Les 10 « tartes à la crème » des gourous du digital et des médias sociaux

Pas facile de tordre le cou aux idées reçues. Surtout lorsqu’elles émanent d’experts reconnus (ou de gourous autoproclamés) et que, l’intérêt du public et la médiatisation aidant, certaines se sont imposées si rapidement qu’elles semblent aujourd’hui relever de l’évidence…

BOXES

Dans Les nouveaux défis du brand content, de Thomas Jamet, le spécialiste des nouveaux médias Vincent Balusseau ose une charge argumentée (et réjouissante) contre certaines de ces idées. Faisant sienne la citation de Larry Page « C’est un fait commun, nous surestimons l’impact que la technologie a sur le court terme, mais nous sous-estimons son importance sur le long terme », Vincent Balusseau s’inscrit dans une approche pragmatique du nouveau paradigme digital et dans une perspective marketing de « l’ici et du maintenant ». Il n’hésite pas, à ce titre, à remettre en question la doxa dominante et certaines affirmations péremptoires de grands gourous tels que Brian Solis, Marco Tinelli ou Jeff Dachis.

Son pragmatisme et son esprit critique m’ont inspiré l’idée de cette première liste des 10 idées « tartes à la crème » du digital et des médias sociaux. Je ne manquerai pas de l’amender et de la compléter, au besoin. Car si la plupart d’entre nous, marketeurs et communicants, sommes déjà passés du stade de la découverte et de l’appropriation à un « âge de raison » dans notre approche du digital et des médias sociaux, on sait que les clichés ont la peau dure !

1 – « Le marketing est mort »

Un an déjà que Bill Lee, illustre Président du Lee Consulting Groupe, a publié son fameux billet « Marketing is dead » sur le blog de la Harvard Business Review. D’après lui, les disciplines traditionnelles que sont les relations publiques, le branding ou la communication corporate étaient condamnées à disparaître à brève échéance. Coûteux, inadaptés aux nouveaux besoins, inefficaces à capter l’attention du consommateur, ces piliers du marketing avaient (ont) en outre le défaut de reposer sur des KPI non mesurables. A la place, Bill Lee nous promettait un nouveau paradigme « social » et vertueux, combinant community targeting, influence clients et customer empowermentQu’en est-il aujourd’hui ? Certes, il est encore tôt pour évaluer les impacts de la révolution digitale et la portée du nouveau paradigme. Mais on voit bien qu’il sera toujours question de marketing… Car les fondamentaux sur lesquels repose la mercatique restent pertinents quelles que soient les évolutions technologiques. Et les techniques évoquées par Bill Lee lui-même relèvent directement d’une démarche marketing.

2 – « La pub payante et les médias traditionnels sont dépassés »

Depuis l’émergence des médias sociaux, les experts et gourous distinguent communément 3 catégories de média. Le Paid, correspondant à l’achat média et tout ce qui ressort de l’exposition publicitaire payante, est opposé au Owned, qui comprend tous les supports et points de contacts appartenant à la marque et au Earned media (la masse d’information créée et partagée par tous ceux qui diffusent des contenus de marque). Aux deux derniers de ces médias, tous les avantages ou presque (relation affinitaire, maîtrise des messages et de l’image pour le Owned ; interaction, conversation et engagement pour le Earned). Le Paid media est voué aux gémonies car désormais considéré comme « cher », « intrusif », « peu efficace » ou trop « vieille économie »… Pourtant, comme le montrent bien Alexandre Jamet et les experts interviewés dans son ouvrage, c’est bien de l’intégration de ces médias (et non de leur opposition) que découlent la valeur et la performance des contenus.

 3 – Content is king : « les bons contenus se suffisent à eux-mêmes… »

… et trouvent naturellement une large audience sur les médias sociaux, grâce à leur qualité intrinsèque… Rien de moins vrai à ce jour, en définitive. Si le contenu est intéressant et de qualité, encore faut-il qu’il soit pertinent par rapport à la cible et en adéquation avec ses attentes, bien entendu. Sa présentation doit également être soigneusement étudiée, ainsi que le choix des médias de diffusion. Car il ne suffit pas d’un bon référencement naturel pour garantir le succès. La viralité exceptionnelle de campagnes de référence telles que A hunter shoots a bear 1 et 2 de Tippex ou des barres chocolatées ROM doit beaucoup, en plus de leur qualité créative indéniable, à des investissements pub importants en amont, en home-pages de sites tels que You tube pour la première ; en presse, TV et points de vente pour les secondes… Tout sauf le hasard, donc.

4 – « L’engagement du consommateur est désormais la panacée » 

… Et à ce titre, l’objectif devient de plus en plus de susciter un maximum de clics, likes, shares, RT, comments ou pins, ces nouvelles expressions du consommateur engagé et séduit, génératrices de Earned media. Au-delà de l’exposition passive à un message, il s’agit aujourd’hui d’emmener les consommateurs vers des dispositifs interactifs à même de leur procurer des « expériences gratifiantes », qu’elles soient divertissantes, informatives ou fonctionnelles… Car un engagement accru génère des effets positifs directement mesurables sur les ventes et garantit une relation plus pérenne et plus riche avec le client. Le hic de cette vision, c’est qu’on n’a encore rien trouvé de mieux, pour toucher une large audience, que les médias de masse à forte couverture et répétition. Et que les taux moyens d’engagement des fans vis-à-vis des marques sur Facebook, par exemple, exprimés en nombre d’interactions, demeurent relativement faibles. En ce domaine, il y a encore un monde entre les projections des marketeurs et les habitudes réelles de consommation média de leurs cibles. D’autant que toutes les marques n’ont pas vocation à générer un engagement puissant…

5 – « Toutes les marques ont vocation à être présentes sur les réseaux sociaux »

Comme le relèvent de plus en plus d’experts et de consultants, cet adage n’est pas forcément vrai. Si le digital permet effectivement de capitaliser, de manière particulièrement vertueuse, efficace et efficiente sur l’appêtit d’interactions et d’implications des individus via-à-vis de marques et de leur contenus… « ceci ne signifie pas que tout le monde a tout le temps envie d’interagir et de s’engager avec toutes les marques qui peuplent leur quotidien » rappelle Vincent Balusseau. Prenons par exemple toutes les marques alimentaires ou d’ustensiles ménagers que vous utilisez dans votre cuisine. Avec lesquelles aurez-vous envie, le soir venu, de nouer une « relation privilégiée » sur les réseaux sociaux… Assez peu en vérité. Toutes les marques (pas seulement en BtoB) n’ont pas le même potentiel d’implication et d’engagement, ni le même intérêt à être présentes sur les réseaux sociaux. Faute d’une stratégie, d’objectifs clairs et de ressources bien définies d’ailleurs, il est même recommandé aux entreprises de passer au moins provisoirement leur tour…

6 – « Surveiller sa réputation est aussi important que soigner ses clients »

Toutes les études le montrent, la perte de confiance des différents publics envers l’entreprise s’est accentuée ces dernières années. Pour répondre à ce « désamour », de nombreuses organisations ont choisi de travailler en priorité leur image, en cherchant notamment à afficher leur proximité avec le consommateur et leur responsabilité sociale. Ce faisant, elles ont peu à peu privilégié la dimension « réputationnelle » de leur communication, au détriment de la réponse aux attentes concrètes des parties prenantes. Et contrairement aux idées reçues, cet « éloignement » des marques vis-à-vis de leurs publics ne s’est pas forcément réduit avec l’émergence des médias sociaux, comme le confirme Thierry Libaert dans un excellent article (voir ici). Le « halo conversationnel », cette multitude de micro-interactions nouées entre la marque et ses fans followers / relations, généralement « acquis à la cause », ne correspond pas forcément au type de « relation » réclamé par la majorité des consommateurs… Pour restaurer la confiance, certaines entreprises seraient donc bien inspirées de revenir aux fondamentaux, en étant moins préoccupées de réputation que de l’écoute active de leurs clients.

7 – « Les digital natives font les meilleurs community managers »

La terminologie est née en 2001 sous la plume du professeur Marc Prensky. Les digital natives désignent toutes les personnes nées après l’introduction des technologies numériques, par opposition aux digital immigrantsnés avant l’apparition de celles-ci. Agés aujourd’hui de 12 à 25 ans et parfois assimilés à la génération Y (voir la « tarte à la crème » 10 ci-dessous), les digital natives auraient « de par leur naissance » tous les atouts pour faire de bons community managers… De fait, même si les statistiques confirment encore une propension des entreprises à recruter pour ce poste à la sortie des écoles, il est de plus en plus admis que des profils disposant au moins d’une première expérience, ou des salariés connaissant bien l’entreprise et formés aux médias sociaux, offrent une bonne alternative. La difficulté intrinsèque du métier de CM, en particulier la nécessité de maîtriser sur le bout des doigts l’activité et l’organisation de l’entreprise, sa culture, ses circuits de validation et autres « chausses-trappes », rendent en effet la tache objectivement plus ardue pour un débutant ou un junior que pour un candidat interne ou externe confirmé.                                                                             

8 – « Les data scientists sont l’avenir du directeur marketing »

S’il est une profession dont on a beaucoup parlé en 2013, parmi les nouveaux métiers du digital, c’est bien celle de data scientist. Née avec l’émergence du phénomène du big data, la fonction est promise à un bel avenir. Qui est-il et que fait-il ? Le data scientist est avant tout un expert en programmation informatique, disposant de solides compétences dans la manipulation de l’information. Ses objectifs : consolider, traiter et analyser la masse colossale de données et d’information brute enregistrées et stockées dans les bases de données (relationnelles ou non) de l’entreprise. Une mission qui ne peut être exercée sans de solides compétences dans la manipulation de l’information et la programmation algorithmique notamment, et qui réclame de surcroît une réelle aptitude à appréhender les enjeux du business et à travailler avec toutes les équipes compétentes au sein de l’entreprise. A ce titre, tous les exemples d’organisations en pointe sur le big data le prouvent, les data scientists interviennent le plus efficacement en étroite coopération avec les équipes marketing. Idéalement, sous l’autorité du CMO (et non en concurrence avec lui), car celui-ci demeure le mieux placé pour conserver le recul et la vision transversale en matière de gestion de la connaissance client.

9 – « Les CEO doivent être présents sur Twitter »

La plupart des gourous du digital et des médias sociaux ne cessent d’enjoindre les chefs d’entreprise à être (davantage) présents sur les médias sociaux. Les bénéfices, selon eux, en sont multiples. En terme de marque employeur, la présence en ligne des dirigeants est d’abord perçue par les collaborateurs de l’entreprise comme « un signe de dynamisme, de modernisme et d’efficacité » d’après une étude menée par la société BRANDfog en 2012. De même, cette présence serait un atout en matière de recrutement et de fidélisation des collaborateurs… Surtout, vis-à-vis de clients et de prospects, l’engagement des CEO est cité comme un « levier d’amélioration de la visibilité de l’entreprise ». C’est sans doute la raison pour laquelle la proportion de dirigeants actifs sur les réseaux sociaux est passée de 36 % en 2010 à 66 % en 2012, selon la société de relations publiques Weber Shandwick. Principaux vecteurs : les chaînes YouTube des entreprises, mais également Facebook. A contrario, Twitter est la seule plateforme a avoir connu une régression de l’engagement des CEO. Les raisons : d’une part les chefs d’entreprise ont conscience que la viralité extrême de Twitter constitue un facteur de risque non négligeable. Ils se méfient donc particulièrement de cette plateforme (et certains bad buzz leur donnent a priori raison…). Par ailleurs, Twitter leur paraît trop chronophage au regard des objectifs recherchés : la plupart des CEO ne souhaitent pas s’investir dans la dimension conversationnelle de Twitter. Ce qui les intéressent en priorité demeure la visibilité de leur entreprise, ce qu’on ne peut leur reprocher…

10 – « Il faut s’adapter à la génération Y car ce n’est pas elle qui va s’adapter ? »

Tarte à la crème des tartes à la crème ? La « génération Y » fait vendre. Oui, mais comme pour tous les bons petits produits de saison, attention à la date de péremption. Démographie oblige, on entend de plus en plus parler de la génération suivante, dite « Z »… Pour autant, la rigueur de ces notions est loin de faire l’unanimité. Et c’est bien normal. Comment croire en effet à l’homogénéité comportementale d’un groupe démographique ? Pour ce que j’en vois, si quelques grandes spécificités se dégagent (aisance avec le digital, relation bouleversée à l’autorité et à la hiérarchie…), il me semble que les plus petits communs dénominateurs comportementaux attribués à la génération Y sont surtout le reflet des changements sociétaux à l’oeuvre depuis 20 ans. Et à ce titre, de plus en plus universellement partagés, quelle que soit la génération. A partir de là, des formations en entreprise sur le management de la génération Y sont-elles réellement nécessaires aujourd’hui ? Pourquoi pas, quand on aime enfoncer des portes ouvertes… Mais c’est bien à la nouvelle relation des individus au travail et aux attentes sous-jacentes de tous les salariés qu’il faudrait en priorité s’intéresser.

Crédit photo : TheBrandNewsBlog

Comments

  1. Post très intéressant et très utile pour bon nombre de marketeux, qu’ils soient en agence ou chez l’annonceur.
    La posture en elle-même résume parfaitement la révolution engendrée par la socialisation du digital et sa dimension conversationnelle. Les grandes règles ne fonctionnent plus. N’en déplaise à ceux qui aiment toujours appliquer les mêmes recettes (qu’elles soient vieilles ou plus modernes), les médias sociaux ont surtout généré un changement d’approches… L’humilité remplace l’arrogance, le Test & Learn remplace les pré-tests et le soucis du détail remplace la puissance. Tout est possible et chacun peut le faire à sa manière mais à une condition : respecter des étapes et des postures assez éloignées de ce à quoi le marketing nous avait habitués.

    (Tentative de) démonstration ;)

    « Toutes les marques ont vocation à être présentes sur les réseaux sociaux »
    –> L’association d’idée entre réseaux sociaux et conversation ou son super cousin « l’engagement » est à mon sens très réductrice. Pour moi, toutes les entreprises peuvent exploiter des opportunités sur les les réseaux sociaux. Mais ce ne sera pas systématiquement sous forme de communautés, de page Facebook ou de course au share !

    On oublie souvent que Facebook propose l’une des offres « media » la plus riche et précise au monde (le nombre de critères de targeting est impressionnant), ou que quelques dizaines de co-créateurs (certaines marques d’électro-ménager en ont mise en place) peut constituer une communauté à part entière (sur des plateformes fermées ou un simple Groupe Google+).

    Vous l’avez compris, l’erreur (selon moi) est plus dans l’ambition de synthétiser des pratiques toujours plus complexes et pointues que dans le sens même que peuvent avoir ces « tartes à la crème ».

    Merci d’avoir tendu la perche !

    • Tout à fait d’accord Gilles sur la 1ère… voire la seconde partie du commentaire ;) J’aurais pu écrire en effet, pour être plus précis et mieux résumer mon propos d’ailleurs : « Toutes les marques ont le même intérêt à être présentes sur les réseaux sociaux ? ». Car pour ce qui est des opportunités offertes, elles sont en effet suffisamment variées et étendues pour que toute entreprise / marque puisse en tirer bénéfice, à des degrés divers néanmoins (et c’est sur quoi on peut insister), chacune selon son type d’activité, ses objectifs, son potentiel affinitaire ou « aspirationnel » le cas échéant, le type de résultat recherché, etc.

  2. matthieudufour says:

    Je plussoie. J’ai lu le livre qui a effectivement le mérite de ne pas abonder dans le sens des experts auto-proclamés du moment. Je ne cesse de répéter à mes clients un certain nombre de ces constats et réflexions de bon sens. Oui le numérique, les révolutions technologiques, les réseaux changent tout par leur puissance, leur capacité à toucher, converser, dialoguer. Mais il y a des choses qui ne changent pas, des fondamentaux marketing qui font que si une marque n’a pas fait l’effort de réflexion, ne cherche pas à apporter, créer une vraie valeur ajoutée à ses produits ou services, quel intérêt d’aller avec une proposition banale essayer de générer un dialogue avec des consommateurs sur-sollicités ? Vous pouvez séduire des publics variés par la création et la diffusion d’un contenu passionnant, si votre produit est naze c’est du gaspillage. De plus tous les consommateurs n’ont pas forcément envie d’entrer dans une relation avec la marque. Quand on voit les attentes en matière de d’offres promos, les soldes quais-permanentes sur le net, on voit que les leviers de l’engagement ne sont pas uniquement ceux décrits par les gourous su social-commerce ! Je suis persuadé que les « anciens » médias ont encore de beaux jours devant eux. J’ai posé quelques réflexions sur le sujet ici… http://matthieu-dufour.com/2013/12/04/le-marketing-digital-nexiste-pas/

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