La communication interne, plus que jamais au coeur des enjeux de l’entreprise, pendant et après la crise…

Largement mobilisés depuis les prémices de la crise sanitaire, les communicants internes ont été particulièrement actifs ces derniers mois, dans leur double mission d’information des publics de l’entreprise et d’émulation des relations et du lien social entre les collaborateurs.

Souvent impliqués dans les cellules de crise, ils ont d’abord su rassurer, en fournissant une information claire et didactique à tous les salariés, qu’ils soient présents sur site, en télétravail ou au chômage partiel.

Il ont aussi su adapter le ton, les formats et modalités d’expression de la communication interne à chaque étape du développement de cette crise inédite : dans la phase « 1 » de la pandémie ; dans la bascule vers le confinement ensuite ; dans la période d’adaptation des organisations puis la préparation du déconfinement ; enfin dans l’accompagnement du retour progressif des salariés sur sites, avec la nécessité de gérer des collectifs toujours partagés entre télétravail et présentiel…

Au fil des semaines et des mois, au-delà de cette première mission d’information, il s’est surtout agi d’entretenir le lien et les relations au sein du collectif de travail, en montrant une réelle attention vis-à-vis des collaborateurs et en accompagnant au besoin les cadres et les dirigeants dans leur communication managériale et la mise en oeuvre de nouveaux rites de travail et d’échanges.

Le résultat ? D’après une étude Harris Interactive dévoilée au mois de mai, plus de 4 salariés sur 5 disent avoir été bien ou suffisamment informés sur le plan de la continuité des activités et les aménagements de travail mis en oeuvre par leur entreprise¹. Et les managers et dirigeants ne tarissent pas d’éloge sur l’accompagnement fourni en cette période par les équipes support et par les communicants d’entreprise.

Alors que le « retour à la normale » des activités se fait toujours attendre et que planent encore de nombreuses incertitudes, quels enseignements et bonnes pratiques retenir des mois écoulés en terme de communication interne, et quelle communication d’entreprise mettre en oeuvre pour répondre aux nouveaux enjeux et aux nouvelles attentes des salariés ? A l’aune de cette actualité et des défis à venir (développement du télétravail, animation de collectifs éclatés, invention de nouvelles modalités relationnelles et coproduction du sens…), quels seront la place et le rôle des communicants ?

Très optimiste sur les perspectives qui s’offrent aux communicants internes, Jean-Marc Atlan dressait il y a quelques semaines sur ce blog le constat d’une communication d’entreprise reconnue et revalorisée : « S’il en était besoin, la crise et le confinement ont renforcé une prise de conscience essentielle quant au rôle et aux enjeux décisifs de la fonction communication interne dans les entreprises et les organisations ».

Partageant ce constat et désireux d’obtenir des réponses aux questions ci-dessus, de la part d’experts de la communication interne, je me suis permis de solliciter Sophie Palès, déléguée générale de l’AFCI et Jean-Marie Charpentier, consultant en communication et co-auteur du livre « Communiquer en entreprise », pour aller plus loin.

Qu’ils soient ici remerciés de leurs précieux éclairages, que je vous laisse découvrir in extenso dans mon article du jour…

The BrandNewsBlog : Tout d’abord, Sophie et Jean-Marie, quels enseignements retenir de la crise sanitaire que nous traversons depuis 6 mois, en matière de communication interne ? Plusieurs étapes se sont succédé chronologiquement : 1) la phase de développement de la pandémie ; 2) L’annonce du confinement et des mesures qui en découlaient au sein des organisations ; 3) La phase de « gestion » du confinement et du télétravail de masse ; 4) L’annonce du déconfinement et des mesures de retour sur sites des collaborateurs en télétravail… A quelle étape en est-on aujourd’hui ? Et quelles leçons retenir de chacune ? 

Sophie Palès : Pendant des semaines, cette crise est apparue lointaine et irréelle, sans doute à la fois par son caractère extraordinaire et son origine, asiatique. Les entreprises les plus internationales, avec des implantations en Chine ou dans des pays touchés en premier, ont un peu mieux vu venir la déferlante. Pour les autres, comme d’ailleurs pour l’ensemble de la population, l’annonce du confinement a produit l’effet d’un électrochoc.

Avec un peu de recul, on observe quatre phases de gestion de crise dans les entreprises : une phase de préparation, très courte voire de précipitation, ensuite la bascule vers le confinement, phase intense, puis une phase de gestion d’un nouveau quotidien, usant, et, depuis le mois de mai, une quatrième phase, dans laquelle nous sommes encore, d’accompagnement du déconfinement et qui s’étirera encore plusieurs mois.

En entreprise il y a donc d’abord eu cette courte phase assez silencieuse de préparation, puis le passage brutal en télétravail pour ceux dont l’activité peut s’exercer à distance, le chômage partiel, le confinement, etc. Il y a eu un point de bascule mi-mars, ensuite une période d’adaptation et de surchauffe intense pour les équipes informatiques, RH, communication interne notamment, pour accompagner cette bascule. Les enjeux de communication interne consistaient alors à informer sur les nouvelles règles et fonctionnements applicables, mais très vite il a été question du maintien du lien au sein des équipes.

Avril a représenté une période étale, et dès la fin du mois, la préparation du déconfinement a occupé les esprits. Ce déconfinement est très progressif, de nombreux salariés sont encore en télétravail. Le retour au bureau se fait assez lentement ; d’abord parce que les protocoles sanitaires limitent le nombre de personnes présentes simultanément dans les espaces des entreprises, et aussi parce que le « retour à la normale » revêt des réalités très variables en fonction des conditions du confinement, du rapport au travail ou des conditions de travail de chacun. On parle ici essentiellement des fonctions tertiaires, mais tous les métiers de terrain ont été impactés différemment, certains confinés, au chômage partiel, d’autres non. Je retiens que les enjeux de communication interne qui sont apparus au grand jour pendant la phase la plus chaude de la crise sont bien installés. Ils devront en tout état de cause être pris en compte dans la période de crise économique et sociale qui s’annonce.

The BrandNewsBlog : De manière générale, quel est le rôle des communicants internes en temps de crise ? Quel ton, quelle posture doivent-ils adopter ? Quels messages doivent-ils transmettre ? Il semble que ce rôle se soit singulièrement étoffé avec la crise du Coronavirus-Covid 19… Dans quelle mesure et pourquoi ? 

Jean-Marie Charpentier : Cette crise a confirmé au fond le double rôle des communicants internes. Dès le début, comme le rappelle Sophie, il y a eu d’une part la dimension information et d’autre part la dimension relation, lien social.

Dans le contexte, je retiendrais surtout la montée en puissance de la deuxième dimension. Du côté de l’information, c’est le besoin de sobriété qui a prévalu. Plutôt que la profusion des contenus, dans un moment difficile on attend des communicants précision et clarté pour favoriser la connaissance exacte de la situation.

On a vu les effets avec les chaînes d’info en continu d’une pure logique de contenus. Elle nuit aussi bien à la clarté qu’à la connaissance. L’infobésité fait encore plus de dégâts qu’en temps normal. En temps de crise, les communicants internes ont, plus que jamais, un rôle particulier à jouer dans la régulation des flux d’information.

Du côté de la relation et du lien, la crise a révélé un grand besoin d’attention et de souci de l’autre. Avec une double dimension : individuelle et collective. C’était vrai vis-à-vis des salariés intervenant sur site en pleine pandémie. C’était vrai aussi pour les salariés dispersés, en télétravail, ou ceux mis en chômage partiel. Avec et au côté des managers, les communicants ont eu à prendre soin des salariés. Prise de nouvelles, écoute, facilitation de l’expression du ressenti de la crise, enquête… Dans l’ensemble, et malgré des difficultés bien réelles, les communicants ont été au rendez-vous de ce défi relationnel. Prendre soin des salariés, des collectifs quand tout bascule dans la crise, cela fait partie de la fonction sociale de la communication. Cela redonne, s’il le fallait, de l’épaisseur au métier.

The BrandNewsBlog : D’après une étude réalisée au mois d’avril par le cabinet Elan-Edelmann, toutes les entreprises et les organisations n’ont pas su gérer cette crise avec la même efficacité, loin s’en faut. Et seulement 43% des salariés français estiment que les entreprises ont pris des mesures suffisantes pour protéger salariés et clients face au Coronavirus… A cet égard, qu’est-ce qui a péché le plus souvent en terme de communication ?

Sophie Palès : Si l’étude d’Elan Edelman fait ressortir le chiffre de seulement 43% de Français estimant que les entreprises ont su mettre à disposition les produits et services nécessaires attendus par les consommateurs, elle ne fait pas explicitement mention de la communication interne.

Je crois qu’il est important de bien comprendre d’où l’on parle. Si on interroge les Français sur leur perception de l’entreprise, ce n’est pas tout à fait pareil qu’aller interroger des salariés sur leur perception des mesures de protection et de communication prises par leur entreprise. A cet égard, je constate que les chiffres sont plutôt bons, aussi bien à chaud, au cœur de la crise, qu’avec un peu de recul.

Une étude d’Harris Interactive que nous avons présentée en avant-première aux membres de l’Afci début mai, mettait en évidence au 21 avril, que 89% des salariés avoir été bien ou suffisamment informés par leur entreprise sur le plan de la continuité des activités et sur les aménagements de travail. Ce chiffre en vérité est élevé quand on sait que sur le plan de l’information, les gens ont souvent tendance à répondre qu’ils ne sont jamais assez informés…

Sans verser dans un plaidoyer pro domo,  il nous semble que les communicants internes ont plutôt bien fait le job en matière d’information. Ils ont cherché à répondre aux attentes, avec des moyens souvent limités, beaucoup d’ingéniosité, d’innovation, de pertinence dans les formats testés. Et tout cela, rappelons-le dans un contexte dégradé.

The BrandNewsBlog : Parmi les nombreuses problématiques nouvelles voire exceptionnelles qui ont émergé pendant la crise, il a notamment fallu animer des collectifs fragmentés entre salariés en télétravail et « premiers de corvée », tout en continuant à donner de la visibilité et du sens à l’action collective. Il a aussi fallu accompagner la mise en place du télétravail « de masse » et la mise en œuvre de nouveaux rituels de travail, en faisant preuve de créativité… Ces défis d’animation et d’information sont-ils encore d’actualité au sein des entreprises, dans la phase de retour à la normale et de reprise progressive de l’activité que nous traversons ?

Jean-Marie Charpentier : La crise a mis au jour un nouveau rapport entre distance et proximité. La mise au chômage partiel, l’explosion du télétravail et la coupure entre salariés dont certains étaient tenus d’être présents sur site, tout cela a redessiné les contours de l’entreprise et fragmenté les collectifs de travail.

Il a fallu à chaud revisiter la question des équipes avec leurs rites, leurs modalités de rencontre et d’échange. Travail délicat d’animation et de régulation pour les managers notamment, mais aussi pour tous ceux, RH et communicants internes, qui ont à voir avec le corps social et le lien dans l’entreprise. Cela s’est fait dans un contexte exceptionnel à tous égards et dans une grande diversité de pratiques.

Des ratés, il y en a eu. Cela a été quelque fois difficile à vivre. Dans nombre de cas, l’isolement et l’éclatement n’ont été que partiellement compensés par les outils. Le très probable développement dans l’avenir du télétravail nous rappelle en fait une chose : plus on est distant, plus la question de la proximité revient en force. Quelle que soit la configuration dans le travail, il faut toujours qu’à un moment ou à un autre on puisse se voir, se rencontrer physiquement, de personne à personne dans un groupe.

A défaut, on laisse les salariés distants seuls face aux dilemmes ou aux arbitrages. C’est toute la question des espaces et des temps de discussion dans et sur le travail. Avec l’expérience de la distance contrainte, la crise a révélé quelque chose d’essentiel : on ne peut pas rester durablement isolé au travail, on a besoin de faire équipe, d’être soutenu par un collectif, un réseau, une organisation. Les nouvelles configurations du travail qui vont voir le jour devront en tirer des leçons quant à l’équilibre entre autonomie et besoin du collectif. La place de la communication est au cœur de cette nouvelle donne qui fait qu’un salarié doit être « équipé » et pas seulement en termes informatique.

The BrandNewsBlog : Le déploiement contraint et massif du travail à distance a été largement commenté. Imposé par les circonstances et le plus souvent mis en œuvre avec efficacité et rapidité, il a permis à un certain nombre d’entreprises d’assurer la continuité partielle ou totale de leur activité. Quels en ont été les bénéfices et les limites pour les entreprises et pour les salariés ? Les mêmes limites existent-elles dans le télétravail choisi et à temps partiel ?

Sophie Palès : Eh bien, je crois que l’on peut dire que cette crise sanitaire a balayé d’un coup tous les plans de transformation digitale poussifs, inachevés, timorés… Nous avons tous sauté dans le grand bain, testé et appris en grandeur nature.

Lorsque l’on parle de télétravail, je crois qu’il faut bien avoir conscience que ce que les gens ont vécu pendant le confinement n’a pas grand-chose à voir avec le télétravail. Il s’agissait de travail à domicile, pour certains à temps plein, avec des coworkers par toujours très discrets et autonomes…

Le télétravail, dans une version courante, a vocation à permettre un meilleur équilibre entre sphères professionnelles et personnelles. Il permet de s’isoler du collectif de travail pour se pencher sur des sujets de fond, d’avancer plus vite, etc. On en était loin ces derniers mois…  On a vécu un temps de travail allongé, une productivité et une efficacité dans doute accrues, en tous cas dans les équipes de communication interne, mais aux dépens des temps informels, des échanges à bâtons rompus, de l’observation, de tout ce qui soude un collectif de travail.

Installer durablement le télétravail dans le fonctionnement des entreprises est certes une nécessité pour répondre aux contraintes sanitaires, mais ce n’est pas envisageable à temps plein et à long terme. Comme le souligne Jean-Marie, il est vraiment difficile d’interagir durablement avec des personnels si on n’a jamais l’occasion de les rencontrer.

Malgré les quelques limites que nous venons d’évoquer, le travail à distance est plébiscité aussi bien par les collaborateurs que les dirigeants, dont la plupart ont l’intention d’en développer encore la pratique à l’avenir, sur la base du volontariat et à temps partiel. Quels impacts l’extension de cette modalité de travail aura-t-elle sur les entreprises et les collectifs de travail ? Et quels en sont les enjeux en termes de communication interne ?

Jean-Marie Charpentier : Sur le plan du télétravail, les choses se sont accélérées récemment avec des conséquences à la fois favorables et problématiques.

En France tout de même, rappelons-le, le télétravail a longtemps été perçu par l’entreprise comme assez marginal et ne concernant que certaines personnes pas toujours bien vues d’ailleurs. L’expérience de la crise change radicalement la donne. Au-delà de l’effet d’aubaine, l’enjeu va être maintenant d’installer ce nouveau mode de travail dans la durée articulé au présentiel. Et là, on comprend bien qu’on est au tout début d’un processus.

Selon moi, les mots-clés qui prévalent sont usage et appropriation.  Les salariés en tout cas doivent avoir leur mot à dire, car il en va de la qualité du travail et de la qualité des relations au sein de l’entreprise. Il y a là un gros et beau chantier. Les communicants internes seront doublement concernés, à la fois pour eux-mêmes dans leur métier et sur un plan transverse dans l’entreprise.  Un des points sensibles, Sophie l’a dit, concerne la place des temps informels, des moments d’interstice dans le travail qui font la richesse des relations et sont pour beaucoup dans la coopération au quotidien.

The BrandNewsBlog : Comme les « premiers de corvée », mis à l’honneur durant cette crise, les managers de proximité ont également connu leur heure de gloire ces derniers mois. Pressés de s’adapter aux contraintes du confinement, d’alléger et de rendre plus efficaces leurs rituels de travail et de communication, ils ont réinvesti la scène du travail, au détriment de leurs missions annexes et n’ont jamais paru plus proches de leurs équipes… Ce retour aux sources du management a également refaçonné l’agenda et la communication des dirigeants. Comment faire perdurer les bénéfices de ce renouveau managérial ? Et comment repenser la communication managériale de demain en tenant compte de l’expérience de ces derniers mois ?

Sophie Palès : Comme bien souvent, les managers ont été en première ligne auprès de leurs équipes pour les informer des dispositions liées à l’organisation du travail. Ils et elles ont eu à investir un champ important de leur rôle, qui est celui de faire tenir le collectif de travail à l’échelle d’une équipe, souvent avec le concours de la communication interne.

C’est passé par des initiatives plus ou moins spontanées visant à reproduire les temps partagés en équipes. Au fil des semaines, ces actions un peu forcées type café-visio ont souvent évolué vers des contacts plus individuels, plus subtils. Coté dirigeants, on a découvert des prises de parole plus spontanées sur le fond et sur la forme. Moins de langue de bois, moins de filtres et de survalidation, donc plus de chair et d’authenticité. Et sur la forme, les videos « dans la cuisine » ont fleuri, pour parfois laisser la place au son, au podcast.

Tu sais, Hervé, comme j’aime la proximité, l’intimité, l’incarnation d’un propos que permet la voix, et dans cette période angoissante et incertaine, la voix des dirigeants s’est souvent fait entendre de manière plus directe et ouverte. La désintermédiation de la relation managériale se justifie pleinement dans les circonstances actuelles et surtout doit être complémentaire d’un accompagnement de proximité. Œuvrons pour tisser une communication managériale digne de ce nom. Communicants et managers ont partie liée en ce domaine.

The BrandNewsBlog : Durant les derniers mois, la crise sanitaire a également eu comme vertu de revaloriser et remettre en évidence la mission première de nombreuses entreprises, voire de secteurs entiers (grande distribution, santé, logistique, industrie pharmaceutique…). Pour bien des collaborateurs, le sens même de leur travail est redevenu soudain plus évident et facteur de motivation. Comment capitaliser sur ce supplément d’âme dans les prochains mois, alors que l’attente de sens n’a jamais été aussi forte ? 

Jean-Marie Charpentier : Le sens en entreprise et dans le travail a beaucoup à voir avec l’utilité sociale. Utilité sociale de l’entreprise. Utilité sociale des métiers. On a bien vu combien cette notion a été centrale dans la crise, de même que la notion de service, qu’il s’agisse du service public hospitalier ou des services à la population.

Ce qui a été frappant, c’est la mise en visibilité de services ou de métiers qui étaient largement devenus invisibles, alors qu’ils sont essentiels pour notre quotidien. Passés l’émotion ou les applaudissements, il y a maintenant un enjeu fort à « capitaliser », comme tu le dis Hervé, sur l’engagement professionnel qui a été assez exceptionnel de la part de nombreux salariés. Cela passe par la reconnaissance. Un vrai défi, car la reconnaissance est à plusieurs détentes. Financière d’abord, car un certain nombre des « héros » professionnels figurent parmi les plus basses rémunérations.

Symbolique ensuite, car dans l’ordre des représentations des métiers et professions, les caissières ou les éboueurs ne sont guère avantagés. Professionnelle enfin, car aussi bien du côté des conditions de travail ou des compétences on ne peut pas dire que l’investissement des entreprises soit très important vis-à-vis de ces populations. Le sens est donc une affaire plus concrète qu’on ne le pense souvent. Il faut des moments exceptionnels pour remettre les choses en perspective. Les communicants internes ont, de ce point de vue, un rôle à jouer, à la fois par la mise en valeur des métiers et par le recueil d’expressions et de paroles professionnelles au cœur des équipes. La crise a mis en visibilité, la communication interne a les moyens de la prolonger.

RSE, « raison d’être », engagements sociétaux… Il n’est pas toujours simple de communiquer efficacement sur ces sujets vis-à-vis des publics externes. Et vis-à-vis des publics internes, comment s’y prendre ? La crise économique à venir ne risque-t-elle pas de compliquer encore la tâche des communicants, en détournant l’attention des collaborateurs vers des préoccupations plus urgentes ? En quoi est-il important de continuer à communiquer sur ces sujets à votre sens ?  

Sophie Palès : Je crois qu’il ne s’agit pas de « communiquer sur » les enjeux de RSE ou de raison d’être, etc. mais bien d’intégrer ces enjeux à la manière dont on pense l’entreprise, pour en faire des leviers stratégiques.

Je crois aussi que les entreprises qui sauront prendre ces questions à bras le corps en les intégrant à une stratégie de reprise économique s’installeront plus durablement dans le paysage. Et pour les communicants, les actes se rapprocheront des paroles.

The BrandNewsBlog : Qu’en sera-t-il à votre avis de la communication interne dans les prochains mois ? Après avoir été largement sollicités et mis à l’honneur ces derniers mois, pour leur implication dans la communication de crise et dans l’animation des collectifs de travail, après avoir prouvé leur capacité d’adaptation et d’innovation bien souvent, les communicants interne tireront-ils bénéfice de cette période inédite ? Faut-il s’attendre à un renouveau de la communication interne et à une reconsidération de son rôle stratégique ?

Jean-Marie Charpentier : Nous traversons une crise à tous les sens du terme, c’est-à-dire une période à la fois pleine de danger et d’opportunité. C’est vrai aussi pour toutes les fonctions de l’entreprise. La communication interne n’y échappe pas.

Mon sentiment est que cette fonction, souvent occupée par des professionnels qui interviennent à bas bruit en cherchant la bonne distance de communication, a de l’avenir. Certes, le travail change, les phénomènes de désintermédiation jouent à plein, mais cette crise nous montre combien le travail lui-même est fait de communication et pas seulement de transmission.

Le renouveau de la communication interne que tu évoques Hervé me semble se jouer là au cœur du travail dans toutes ses dimensions, y compris à distance. Les reconfigurations des modes de travail et des équipes, les remises en question des unités de temps, de lieu et d’action sont affaire de management tout autant que de communication.

Les agents du lien seront essentiels dans le monde qui vient. Les dénominations et les rattachements importent peu à mon sens, ce qui compte c’est la reconnaissance de l’enjeu de la communication en entreprise. Et de ce point de vue, les choses sont en train d’évoluer.

The BrandNewsBlog : J’avais parlé sur ce blog d’un quintuple défi à relever par les communicants internes pour développer l’assise stratégique de leur fonction (défi des moyens ; défi du rythme et du sens ; défi du ton et du langage ; défi de la pertinence et du lâcher prise ; défi de la redéfinition des missions…). Qu’en est-il exactement aujourd’hui ? Quels progrès ont été accomplis ? Peut-on être optimiste et espérer que la communication interne s’affranchisse bientôt de son statut de « parent pauvre » de la communication d’entreprise ?

Sophie Palès : On l’a vu lors des derniers mois, les communicants internes ont été au rendez-vous de leur métier : l’information interne certes, mais aussi cette dimension plus relationnelle de la communication, ou en tout cas, ils sont tous bien conscients de la nécessité de développer cet axe, pour eux-mêmes et dans l’accompagnement des managers.

Les entreprises qui ont le mieux géré la crise sont celles qui avaient intégré les équipes de communication, notamment interne, aux cellules de crises. Pour les autres, la période aura permis de mettre en évidence la nécessité d’inviter la communication interne à la table des décideurs. J’espère que ce saut stratégique sera durable. C’est aussi aux communicants de forcer un peu les portes ; l’actualité récente leur a donné l’occasion de démontrer la dimension stratégique du métier.

The BrandNewsBlog : Au final, quels sont, selon vous, les progrès accomplis en matière de communication interne, et quels sont encore les axes et domaines de progression ?

Jean-Marie Charpentier : Deux évolutions assez récentes selon moi. Je crois que l’on en a fini avec le discours sur « la fin de la communication interne » qui revenait comme un marronnier ; par ailleurs, la logique selon laquelle la communication interne n’aurait en définitive d’avenir que du côté de la « fabrique des contenus » se trouve tout de même assez largement démentie par les événements récents au profit d’une approche plus équilibrée.

Quant aux axes de progression, j’en vois un que vient d’évoquer Sophie et qui me paraît essentiel : la communication managériale. Les managers ont un rôle-clé dans la régulation du travail comme dans la communication avec les équipes.  Ils auront notamment à s’adapter à une alternance qui va croître entre proximité et distance, en inventant des formes de lien et des rituels de communication. Les communicants internes ont à les aider dans cette tâche délicate. La communication managériale, ce n’est pas, ce n’est plus la diffusion des kits. Il y a bien plus important.

 

Notes et légendes :

(1) Etude Harris Interactive dévoilée dans le cadre du webinaire « La communication interne à l’heure du confinement et du déconfinement » organisé par l’AFCI le 5 mai 2020 .

(2) Article du BrandNewsBlog « Après le confinement, quels constats et quelles évolutions managériales, organisationnelles et communicantes pour les dirigeants et les entreprises », en date du 17 mai 2020

 

Crédit photos et illustrations : AFCI, Sophie Palès, Jean-Marie Charpentier, The BrandNewsBlog 2020, X, DR

Du statut d’éclaireur à celui de suiveur : les dircom sont-ils aujourd’hui à la traîne de la transformation numérique ?

Vous le savez : cela fait des années que je m’intéresse aux évolutions des métiers de la communication et du marketing et que je rends compte, sur ce blog, des impacts de la révolution numérique sur nos pratiques quotidiennes.

Ayant eu la chance de vivre et d’impulser la transformation numérique à la tête d’équipes particulièrement agiles et d’interviewer régulièrement des dircom tous aussi passionnés que moi par ce sujet, j’ai toujours été assez admiratif de la capacité d’adaptation des communicants face à l’émergence de nouvelles technologies et de nouveaux usages. Et je n’ai jamais hésiter à affirmer leur/notre exemplarité dans ce domaine et la légitimité des dircom à accompagner cette mutation, aux avants-postes de la transformation globale de leurs organisations.

Pour autant, les dircom et leurs équipes sont-ils toujours en avance de phase en matière de #TransfoNum ? A l’heure de l’IA, de la blockchain, des big data et du web sémantique, font-ils à tout le moins figure d’éclaireurs au sein des entreprises, comme cela a été le cas aux premières heures du web puis lors de l’émergence du web 2.0 ?

Sans revenir sur le chemin accompli ces dernières années, plusieurs études et rapports récents vont sans doute refroidir l’enthousiasme des plus auto-satisfaits, car non seulement reste-t-il beaucoup à faire pour exploiter toutes les opportunités du web social, mais il semble bien que les communicants soient en train de passer à côté des prochaines révolutions technos : notamment celle du web², centré sur l’exploitation des données et celle du web 3.0, centré sur la connaissance…

Un avertissement déjà formulé en filigrane il y a quelques mois par l’éditeur Cision, à l’issue d’une enquête menée auprès de 380 directeurs de la communication¹, et relayé tout dernièrement par l’expert en transformation Alan Calloc’h².

Auteur d’un excellent mémoire sur les « Nouveaux enjeux du dircom à l’ère de la transformation digitale et de l’intelligence artificielle », dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur lors de sa soutenance au Celsa, ce passionné de communication et de numérique revient dans ses travaux sur 25 années d’évolution des métiers de la communication et dresse un constat sans appel : après s’être plutôt bien illustrés dans les premiers temps de la révolution numérique, les dircom et communicants seraient « à la traîne » face aux défis à venir. Et auraient perdu en influence et en crédibilité dans l’accompagnement des changements occasionnés au sein de leur entreprise par la transformation numérique, étant de plus en plus concurrencés sur ces sujets par d’autres directions et des expertises digitales plus poussées.

Comment en est-on arrivé là ? Et quelles sont précisément les nouvelles technologies et problématiques sur lesquelles les communicants n’ont pas suffisamment su se positionner ? Comment continuer de répondre aux enjeux de la révolution numérique tout en capitalisant sur les fondamentaux de nos métiers ? Et comment demeurer crédibles et en avance de phase, pour des dircom de plus en plus challengés par les directeurs digitaux ou des experts du marketing digital notamment ?

C’est ce que je vous propose d’aborder dans mon article du jour, dont je publierai la suite et fin dès jeudi. En remerciant encore Alan Calloc’h pour la confiance qu’il a bien voulu m’accorder, pour son point de vue et ses éclairages passionnants sur les conséquences et défis de cette révolution numérique, qui représente bien une transformation permanente au sein des entreprises et non un simple « tournant », même si des progrès importants ont déjà été accomplis, y compris ces derniers mois avec une forte accélération de la digitalisation durant la crise sanitaire.

Des dircom plutôt satisfaits de leur maturité numérique et des compétences digitales de leurs équipes…

Les directeurs et directrices de la communication auraient-ils tendance à se voir un peu trop « beaux-digitaux » ? S’il est toujours risqué de tirer des conclusions générales, tant le degré d’appétence et de maturité numériques varie d’une entreprise à l’autre et surtout d’un dircom à un autre, l’étude de l’éditeur Cision « Comment les dircom perçoivent-ils la transformation digitale ? », réalisée à l’automne 2019, a le grand mérite de fournir de premières réponses et nous présente un panorama finalement assez nuancé de la digitalisation des services com’.

Tandis que 86% des 380 dircom interrogés par Cision perçoivent la transformation digitale comme une évolution nécessaire ou une évidence (cf infographie ci-dessous), ils sont tout de même 63% à estimer que leur service est « plutôt en avance », voire « très en avance » sur le sujet par rapport aux autres directions de l’entreprise… et 19% seulement à estimer être « en retard » ou « très en retard ».

Une perception somme toute assez flatteuse, étant entendu que la « transformation digitale » reste pour beaucoup un terme assez fourre-tout, de même que « l’intelligence artificielle » par exemple, perçue par les dircom de manière très positive… alors que bien peu y ont aujourd’hui recours, ainsi que nous le verrons plus loin, et qu’un nombre encore limité de communicants est aujourd’hui en mesure de définir précisément ce que recouvre cette notion d’IA et quels usages pourraient vraiment en être faits au sein de leur structure.

Plus lucides sans doute quand il s’agit de parler de données, les dircom sont 87% à estimer que la data n’est pas utilisée de manière suffisamment approfondie au sein de leur service (cf infographie ci-dessous), la mesure de la performance de leurs actions de communication et la personnalisation des contenus en fonction des cibles étant les deux usages prioritaires identifiés  par ces professionnels.

De même, dans l’étude Cision, les directrices et directeurs de la communication sont pas moins de 72% à affirmer que leur département n’est pas suffisamment équipé pour conduire sa transformation digitale, une lacune dont 43% des communicants interrogés imputent la responsabilité à leur direction générale, pas assez volontariste dans ce domaine à leur goût, 64% des dircom pointant également un budget insuffisant et 66% un déficit de formation… L’appétence des équipes communication pour la transformation digitale n’étant pas en cause selon eux, puisque seul un petit nombre de managers et de collaborateurs seraient réticents aux mutations en cours.

Conscients de leur manque d’outils pour mener à bien tous les chantiers de la transformation digitale, les communicants sont moins de 30% à avoir accès aux solutions de CRM, quand il en existe au sein de leur entreprise (un point bloquant pour relier l’efficacité de leurs actions aux variations du chiffre d’affaires). Et seuls 8% des départements communication seraient équipés de logiciels d’influence, 15% de chatbots, tandis que les outils de social media management du type Hootsuite et les outils de veille et de social media listening seraient heureusement plus répandus…

Si les solutions d’accompagnement de l’employee advocacy (comme Sociabble) ne sont pas abordées dans l’étude Cision, on peut constater en revanche une nette progression de leur usage depuis 2 ans, parmi les entreprises ayant mis en œuvre des démarches dédiées au développement et à la gestion de leurs communautés d’ambassadeurs.

Un point positif qui ne contrebalance que faiblement le constat de sous-équipement numérique de la plupart des directions de la communication.

En ce qui concerne enfin les canaux et typologies de supports utilisés par les communicants pour diffuser leurs contenus, ceux-ci seraient aujourd’hui « digitalisés » à 65%, tandis que les outils et actions de communication non dématérialisées/non dématérialisables tendraient à représenter une portion de plus en plus congrue du brand content, ainsi que le démontrent les infographies ci-dessous. A noter que parmi les canaux digitaux, seul le blog d’entreprise tomberait progressivement en désuétude, les podcasts et autres outils du « live » étant au contraire promis à un bel avenir, de même que les contenus vidéos de manière générale (longs ou courts) hébergés sur les chaînes des entreprises.

Dircom et transformation numérique : un « décrochage » progressif, malgré la digitalisation de la fonction ces dernières années ?

Evidemment plus exhaustif et critique dans le cadre de son mémoire que ne peuvent l’être les différentes études menées sur la transformation numérique des services communication, Alan Calloc’h fait quant à lui le constat d’un retard progressif dans l’appropriation des technologies par les dircom et leurs équipes.

Et le décrochage, si tant est que l’on puisse utiliser ce terme, lui le situe historiquement dans le passage du web 2.0 au web² et au web 3.0, tels que décrits ci-dessous dans le schéma de Dion Hinchcliffe, avec de premiers retards constatés ici et là dès l’émergence du web 2.0, dans la prise en compte de certains des impacts du web social, avec une appropriation plus ou moins avancée parmi les entreprises de la révolution du brand content, des nouveaux formats d’écritures et codes du storytelling digital, ou bien en matière de gestion des User Generated Contents, faute de stratégies de co-création bien définies et réellement formalisées au sein de la plupart des entreprises…

Ainsi, dans son analyse très intéressante des évolutions de la communication et du métier de dircom, Alan Calloc’h rappelle à juste titre que notre secteur a été le premier impacté par la numérisation des organisations. Durant les années 90, avec l’émergence du web 1.0 ou web de publication centré sur les documents et alors que le site web et l’email sont les nouveaux services plébiscités par le grand public, les dircom et leurs équipes sont en effet en première ligne de la transformation numérique des entreprises. Ils élaborent les premiers sites internet et intranet et gardent le contrôle sur l’information, en considérant simplement le web comme un nouvel outil, qui ne remet nullement en cause la stratégie de prise de parole de leur organisation.

A partir de 2004, avec l’apparition des premières plateformes sociales et interfaces de programmation, puis l’essor des réseaux sociaux, naît le web 2.0 ou web social centré sur les utilisateurs et leur offrant la possibilité d’interagir (développement d’interfaces riches et de nouveaux usages de partage et de conversation). Durant cette phase, qui voit les organisations accélérer l’intégration stratégique du web, les dircom et communicants restent mobilisés, intègrent les nouvelles technologies et nouveaux codes, tout en comprenant que leur métier va en être profondément bouleversé. Ils constatent en effet qu’ils perdent de plus en plus le contrôle sur l’information, à mesure que les internautes s’expriment davantage, échangent entre eux et se mettent à interpeller les marques.

Mais avec le web², tandis que les communicants en sont encore à gérer tant bien que mal les impacts du tsunami 2.0, la donnée prend le pouvoir et vient de nouveau bousculer le périmètre métier des communicants. « En manque d’expérience, de culture technologique et marketing face à cette nouvelle vague, le dircom se voit dépossédé de certains projet, au bénéfice des directeurs marketing et des nouveaux directeurs digitaux, disposant d’un niveau d’expertise bien plus poussé et d’une vision transversale de la transformation numérique’.

Alors que nous entrons désormais progressivement dans l’ère du web 3.0 dit « sémantique », où les machines comprennent et sont en capacité d’utiliser de manière autonome les données qu’elles hébergent, la perte de repère est encore plus complète pour les communicants, qui tardent à mettre à jour leur logiciel et à adapter leurs pratiques, faute de formation et d’une compréhension fine des nouveaux enjeux. En témoigne le corpus d’annonce de recrutement ainsi que les nombreuses fiches de poste récentes étudiées par Alan Calloc’h : dans la plupart des cas, les enjeux liés au digital y sont traités traités à la marge (ou pas du tout), comme si la révolution numérique était achevée et déjà totalement intégrée par l’écosystème de la communication.

Dixit le consultant en transformation numérique : « Nous avons été surpris de constater que 60% des annonces étudiées (tous secteurs et tout type de structure confondus) n’intègrent peu ou pas d’enjeux liés au digital, ni au titre de la transformation de l’organisation, ni au titre de la dimension ‘outil’. Par ailleurs, concernant les fiches descriptives du métier de directeur de la communication, 86% des structures du panel étudié n’intègrent pas de sémantique spécifique sur le thème de la transformation digitale. » 

Sans même entrer dans le détail des technologies et les notions d’intelligence artificielle, de blockchain ou de data, dont la mention est là aussi absente de la quasi-totalité des annonces et descriptifs, cette conception pour le moins « figée » de nos métiers interpelle et vient donner de l’eau au moulin d’Olivier Lefèvre, consultant du groupe Onepoint cité par Alan Calloc’h, qui ne peut lui aussi que relever le décalage :

« Le secteur de la communication est le premier à avoir été impacté par la numérisation au sein de l’organisation. Un temps en première ligne de la transformation digitale, le directeur de la communication est aujourd’hui moins impliqué. Il est pourtant celui qui a installé les outils web, créé les premiers sites (internet et intranet), mis en place des cellules dédiées au web… Et pourtant, il ne semble plus être un moteur de la transformation […] L’écosystème a évolué plus vite que lui »

Nouveaux formats et nouvelles écritures du storytelling digital, modélisation de la chaîne éditoriale, stratégies de co-création… : tous les impacts et enjeux du web 2.0 sont encore très inégalement pris en compte

Dans la première partie de son mémoire, « Disruptions à l’ère des réseaux sociaux et du mobile », Alan Calloc’h recense de manière précise et exhaustive les différents défis auxquels les dircom dont confrontés à l’ère du web 2.0, en précisant que la plupart ont été intégrés, au moins dans les discours, comme en témoignent les interviews de dircom qu’ils ne manquent pas de citer.

Immédiateté des réseaux sociaux, fake news, défiance croissance des citoyens face aux institutions et aux discours corporate, inflation de contenus, « infobésité » et diminution de l’attention des publics… réclament une transparence accrue, de la sincérité et la démonstration de véritables valeurs de l’entreprises, incarnées de préférence par ses salariés, ses dirigeants ou des ambassadeurs crédibles.

De fait, à l’heure du web social, « ce sont les valeurs de respect, d’honnêteté, d’écoute et de générosité qui forment le socle durable de relations numériques de confiance… » rappelle Alan Calloc’h et les communicants sont appelés à communiquer différemment, en investissant certes les différentes plateformes sociales et en s’appropriant les nouveaux outils, mais en intégrant également à leur narration le destinataire de leurs messages.

Dans cette nouvelle ère où les marques sont invitées à exprimer leur identité et une vision forte, articulée aux nouveaux besoins de leurs parties prenantes et de la société, il appartient aux entreprises et aux communicants de démontrer sans langue de bois la réalité de leurs engagements, de respecter le « contrat de confiance » avec leurs clients et parties prenantes en nourrissant un vrai dialogue, une vraie conversation avec eux sur les réseaux sociaux notamment. Les contenus produits doivent être efficaces et engageants, et respecter les nouveaux codes et formats de l’écriture digitale (contenus riches, « langage augmenté » utilisant toute la palette des nouvelles ressources numériques : émojis, mêmes, sons et images), alterner formats longs et courts dans le cadre d’un storytelling digital pensé et efficace, soutenu par de véritables schémas narratifs (les lecteurs assidus de ce blog retrouveront là des conseils maintes fois évoqués sur ce blog, ainsi que l’écho des recommandations de l’experte du langage Jeanne Bordeau).

Mais de facto, comme le souligne Alan Calloc’h et malgré de réels progrès accomplis par beaucoup d’organisations, c’est souvent dans l’appropriation de ces nouveaux codes d’écriture et dans le déploiement ce se storytelling digital, voire dans l’organisation et la modélisation même de la chaîne éditoriale sensée suivre cette stratégie éditoriale et en produire les contenus que le bât blesse.

Encore très « silotée » (entre directions de la communication, du marketing, voire les départements commerciaux), la production de contenus, trop souvent disparates, échoue à atteindre son objectif de cohérence et à adresser la multiplicité des points de contact avec les bons messages, dans le bon timing. Et si des « newsrooms » ont été bien mises en place ici et là, dont le dircom est rarement le rédacteur en chef en définitive, il est bien rare que tous les producteurs de contenus et tous les experts des canaux digitaux et offline y aient été intégrés, pour gérer cette chaîne éditoriale complète allant de la production à leur diffusion, en passant par l’indispensable monitoring de leur performance. Et tous les experts du web social sont loin d’y être systématiquement associés.

Outre le faible degré de modélisation de la chaîne éditoriale au sein de la plupart des entreprises, le manque de ressources et d’expertises dédiées ainsi que d’outils pour saisir complètement toutes les opportunités du web 2.0, les communicants seraient encore assez en retard en matière de co-création de contenus et de gestion des user generated content, ainsi que le rappelle également Alan Calloc’h.

De fait, si la capacité à faire participer les consommateurs, les clients fidèles et les consommateurs à leur storytelling de marque est une des forces d’entreprises exemplaires comme Innocent, Red Bull ou Go Pro pour ne citer que les plus connues, bien des entreprises considèrent encore la co-création et le « storymaking » comme des gros mots… quand la signification même de ce dernier terme ne leur échappe pas complètement.

Il y aurait donc encore beaucoup à faire pour que toutes les entreprises et tous les communicants puissent se targuer d’exploiter complètement toutes les opportunités du web social, nous glisse en filigrane Alan Calloc’h.

Blockchain, big data, VR et IA : des nouvelles technologies encore mal maîtrisées et très peu appliquées par les communicants et les dircom

Si le web 2.0, les réseaux sociaux et le mobile ont bouleversé le quotidien du dircom, sans que celui-ci sache encore en exploiter toutes les opportunités, une autre révolution peut-être plus impactante encore pour les organisations se prépare depuis des années : celle de la captation, de l’enrichissement et du traitement de la donnée sous toutes ses formes.

Capable de capter, traiter et exploiter une masse sans cesse plus importante de données, la technologie associant big data et tracking comportemental à la puissance de calcul accrue de l’informatique offre des possibilités quasi illimitées et permet aux entreprises de comprendre, mieux cibler et anticiper. « Couplées avec les techniques d’intelligence artificielle, de l’automatisation et de la vérification des informations via la blockchain, les données autorisent les direction marketing et communication à atteindre le graal : adresser le bon contenu, à la bonne personne et au bon moment. » 

Et Alan Calloc’h de présenter dans le détail, dans son mémoire, les opportunités offertes par le tracking comportemental et la masse exponentielle de data consolidées par les GAFAM, Google et Facebook en tête, ainsi que l’importance de la 5 G, du cloud et des objets connectés dans la convergence des systèmes informatiques et le croisement de ces milliards de données qui ne demandent qu’à être analysées et utilisées.

Las, les entreprises et les services marketing et com’ disposent encore très rarement des outils et des compétences leur permettant une telle exploitation, quand ce n’est pas la gouvernance elle même du sujet au sein de l’entreprise qui pose problème. Dixit Béatrice Mathurin, directrice communication du groupe Chantelle : « La mutation du métier est lié à la data et aux multiples sources de collecte de données. Face à cette problématique, on a l’impression que personne ne dirige. On accumule les chiffres avec une volonté de les faire parler, afin d’aller chercher toujours plus de ROI », mais sans mettre en oeuvre au bon endroit les expertises adéquates pour une exploitation efficace, faute de concertation et d’une véritable prise de conscience des enjeux.

De même, la blockchain, technologie de stockage et de transmission d’information sécurisée fonctionnant sans organe central de contrôle, offre des perspectives plus qu’intéressantes pour les dircom et leurs équipes : 1) possibilité de lutter contre la désinformation et les fake news, en certifiant et garantissant la fiabilité d’informations et de publications (communiqués de presse, communications financières…) ; 2) authentification et gestion de la relation avec les influenceurs sur la base d’indicateurs partagés de ROI ; 3) assainissement du marché de la publicité en ligne grâce aux capacités de structuration et de sécurisation de la blockchain ; 4) meilleure gestion de la relation client et de l’employee advocacy, grâce au partage directement consenti par les contacts et les ambassadeurs de leurs données personnelles… Mais là encore, hormis le 1er item concernant la certification des informations, déjà utilisé par quelques grands groupes, les expérimentation des dircom et de l’écosystème de la communication demeurent pour l’instant embryonnaires.

Et que dire de l’intelligence artificielle, si souvent et confusément évoquée qu’on ne sait plus exactement ce qu’elle recouvre ? Dans son mémoire, Alan Calloc’h y consacre un longue partie et remet les « vaches au milieu du pré », en citant 5 champs à explorer méticuleusement par les dircom et leurs équipes : 1) l’amélioration des dispositifs de veille, d’écoute et de collecte des données, grâce aux technologies d’exploration intelligente ou de « smart crawling », à la vérification et l’analyse des informations ; 2) la production de contenus courts et structurés, comme des dépêches ou brèves, ou l’identification de contenus existants grâce à la reconnaissance de textes ou d’images ; 3) La personnalisation et la diffusion de contenus, avec une analyse en temps réel des retours et interaction des publics ou des communautés destinataires des messages ; 4) les agents conversationnels ou chatbots, dont Alan Calloc’h signale qu’ils pourraient être aussi intéressants en communication interne qu’en communication externe ; enfin 5) La reconnaissance et la recherches vocales avec les opportunités infinies offerts par les assistants virtuels, dont je vous avais déjà parlé dans cet article.

On le voit : ce ne sont pas les sujets et les chantiers d’innovation qui manquent, d’autant que je n’ai parlé ni de réalité virtuelle ou augmentée, ni des ressources de la communication live, ni des apports tangibles des sciences cognitives dans le développement d’expériences utilisateurs plus satisfaisantes et gratifiantes, pour ne citer que ces autres champs d’amélioration et d’investigation…

Comment les dircoms et leurs équipes peuvent-ils combler leur retard et quelle posture adopter face aux flux continu d’innovations et à la #TranfoNum permanente ?

Sur ces points, les recommandations d’Alan Calloc’h et des experts de Cision se rejoignent.

S’il n’est pas attendu des dircom et des communicants qu’ils abandonnent leurs missions « régaliennes », l’information des publics, la promotion de l’image et des valeurs de la marque au travers d’une narration et de contenus incarnés, reflétant l’identité et la vision de l’entreprise, la gestion de la réputation et la mise en cohérence des discours sortants, l’animation de leurs communautés d’ambassadeurs et de porte-parole… on attend néanmoins d’eux qu’il investissent complètement les opportunités du web conversationnel et de la co-création, qui sont à leur portée, et s’emparent des nouveaux codes et bonnes pratiques du storytelling digital, en revoyant au besoin l’organisation et à modélisation de leur chaîne éditoriale, pour faire tomber les silos au sein de leurs propres équipes.

Et au-delà de la question des budgets et des moyens, qui est certes cruciale pour envisager la suite et faire face aux enjeux du web² et du web 3.0 dont nous venons de parler, au-delà même de la question des outils qui ne sont pas du tout à la hauteur des ambitions, il est aussi urgent que les dircom s’approprient tous les enjeux des révolutions à venir, en se formant en permanence et en formant leurs équipes aux technologies émergentes. C’est loin d’être suffisamment et si souvent le cas dans toutes les entreprises, certains pensant – à tort – être suffisamment en avance ou voir fait le tour des principaux enjeux.

A cet égard, si les dircom n’ont pas nécessairement vocation à devenir eux-mêmes des experts opérationnels du digital, beaucoup gagneraient assurément à s’inspirer de l’exemple de Béatrice Mathurin, dircom du groupe Chantelle, qui a poussé jusqu’au bout la réflexion sur l’évolution de ses propres compétences en choisissant, après 15 ans d’expérience, de réaliser un 3ème cycle spécialisé en marketing digital. A défaut d’avoir elle-même exercé chacun des nouveaux métiers du numérique, si utiles aux services communication, elle dispose sans doute aujourd’hui d’une bien meilleure connaissance et compréhension des enjeux… et des axes de progression de ses équipes pour passer du web social à celui de la connaissance : un défi majeur pour tout communicant.

 

 

 

 

Notes et légendes :

(1) Etude « Comment les dircom perçoivent la transformation digitale ? » réalisée entre juillet et septembre 2019 auprès de 380 directrices et directeurs de la communication en France, par Cyndie Bettant, Directrice Communication & Influence de Cision.

(2) Passionné par le numérique et la communication, Alan Calloch est aujourd’hui coach, consultant et formateur, spécialisé dans l’accompagnement des entreprises à la transformation digitale.

Il a réalisé son mémoire sur les « Nouveaux enjeux du dircom à l’ère de la transformation digitale et de l’intelligence artificielle » dans le cadre de son master de Communication des entreprises et des institutions réalisé en formation continue au Celsa, sous la responsabilité de la Professeure Nicole d’Almeida.

 

Crédit photos et illustrations : 123RF, Cision, The BrandNewsBlog 2020, X, DR

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