Image qui marque versus image de marque : la morale implacable des réseaux sociaux

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Comment y échapper ces derniers jours ? Tandis que la première semaine de l’année restera marquée par les images des attaques terroristes de Charlie Hebdo et du supermarché cacher de la Porte de Vincennes, cette première semaine de rentrée nous laissera en souvenir une autre image, tout aussi indélébile. La photo terrible du corps sans vie d’Aylan Kurdi, cet enfant échoué sur une plage turque, dont l’horreur a soudain semblé sortir de leur torpeur des opinions publiques occidentales jusqu’ici modérément mobilisées par la question des migrants.

Etait-il besoin qu’un tel drame se produise (un de plus), pour que l’Europe et les pays occidentaux prennent enfin conscience de l’ampleur du problème et du drame vécu par ces familles ? Ou bien l’émotion soulevée par l’image de cet enfant explique-t-elle à elle seule la colossale mobilisation qui s’en est suivie et le revirement dans l’attitude des Etats européens ?

Sans doute un peu des deux. Mais on observera qu’une fois encore, à l’instar des grandes photos de guerre devenues célèbres (et encore davantage du fait du rôle d’accélérateur joué par les réseaux sociaux), certaines images ont bien le pouvoir de modifier le cours des évènements…

Aux antipodes de ce cliché dramatique devenu symbole, que dire des images publiées ces jours-ci sur le compte Twitter de Bernard-Henri Lévy, à l’occasion de sa visite en Syrie (voir ci-dessous les images en question)Que mes lecteurs me pardonnent de comparer ainsi deux séries de photos d’une portée aussi différente. Mais, publiées le même jour ou presque, il m’a semblé qu’il y avait des leçons à tirer de leur perception très contrastée par les socionautes et de leur sort sur les réseaux sociaux, au-delà de leur télescopage visuel et calendaire…

Le décryptage du BrandNewsBlog : deux prises de vue bien différentes, deux intentions photographiques diamétralement opposées…

Le débat, très ponctuel et franco-français semble-t-il, sur l’opportunité de publier en Une des journaux la photo du petit Aylan semble déjà dépassé. Car, étalée en couverture de tous les titre de la presse internationale et abondamment relayée sur les réseaux sociaux dès ce mercredi, tout le monde ou presque l’a vue et en a compris la portée universelle. Partout, elle a créé le même choc. Et déclenchée la même réaction : la prise de conscience que le drame vécu par les migrants était devenu l’affaire de tous et une ignominie difficilement tolérable au nom de l’humanité.

Premier corollaire de sa force visuelle, cette image jetée à notre figure a en effet rendu impossible le mécanisme habituel par lequel se « protège » chaque individu : le déni. Impossible en effet de ne pas regarder en face ce cliché et de pas être rattrapé par sa violence et la crudité de son « message ».

Sur la forme de cette série d’images (car il s’agit bien d’une série), nul effet ni point de vue d’auteur exprimé par la photographe Nilüfer Demir. Le style est celui du reportage « brut » et on devine que l’image de l’enfant en gros plan a été prise au téléobjectif, au-delà du périmètre aménagé par les autorités turques. Les autres vues, celles de l’enfant dans les bras d’un militaire, sont de la même veine. La photographe s’est complètement effacée devant son sujet, elle même choquée par le spectacle qu’elle avait sous les yeux, comme elle l’a ensuite expliqué aux médias.

A contrario, dans les différentes images de Bernard Henri-Lévy prises en Syrie par Alexis Duclos, on peut a minima parler de reportage « orchestré ». Certes, le style se rattache bien au genre du reportage, mais à quelques rares exceptions près, les cadrages et les poses trahissent une mise en scène évidente. Comme cette image (impossible sur un théâtre d’opération) de Bernard Henri-Lévi entrant prudemment avec un soldat armé dans une maison… où le photographe se trouve déjà pour prendre sa photo (!). De même, les vues de combattantes kurdes entourant l’écrivain à Erbil, ou de BHL regardant une carte avec un officier, s’apparentent davantage au photomontage qu’à la capture de moments de vérité…

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Crudité de l’actualité d’un côté, reportage complaisant et personal branding de l’autre…

Continuons le décryptage et que voit-on ? Sur la photo du petit Aylan qui a fait le tour du monde : le corps encore habillé d’un enfant couché face contre sol. Et il faut une fraction de seconde (c’est là la force terrible de cette image) pour comprendre qu’il n’est pas en train de dormir… Contre toute apparence, il s’agit bien d’un cadavre et on le découvre comme tel au bout d’un moment, comme dans le Dormeur du val de Rimbault en quelque sorte.

Pour l’image de BHL ci-dessous, que voit-on en revanche ? Celle d’un homme sûr de lui qui avance au milieu de combattantes kurdes enjouées. Lui au milieu et un pas devant, elles derrière. Comme sur toutes les autres photos et dans nombre de déplacements précédents, Bernard Henri-Lévy porte un costume sur mesure et une chemise blanche immaculée, cette célèbre chemise blanche « signature », dont le journaliste Doug Ireland nous avait livré le secret il y a quelques années (voir l’article ici) : « elle est un élément important de l’image télévisuelle et publique de BHL, qui en dit beaucoup sur l’homme. Si vous essayiez de faire la même chose avec votre propre chemise, le col s’affaisserait. Mais les chemises de BHL sont conçues spécialement par le fameux chemisier Charvet, avec des cols qui résistent au déboutonnage et ne disparaissent jamais sous le col de sa veste».

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On comprend qu’avec un pareil uniforme, Bernard-Henri-Lévy se sente en sécurité sur le front syrien ;-)

Ainsi costumé et apprêté, reconnaissable entre tous avec sa grande chevelure grisonnante, absorbé par la contemplation d’une carte militaire ou bien debout, en majesté derrière des sentinelles en faction… BHL se donne en spectacle en singeant la contenance et les manières d’un chef d’Etat.

Capture d’écran 2015-09-06 à 07.12.03Placé au centre de chaque image, dont il est le finalement le véritable « héros », les kurdes jouant en quelques sortes le rôle de faire-valoir, on comprend bien qu’il est ici question de personal branding. Un reportage complaisant moins destiné à valoriser l’armée kurde (qui n’avait pas besoin de BHL pour cela) qu’à mettre en valeur la marque personnelle de Bernard-Henri-Lévy, et redorer sans doute son image, bien écornée ces dernières années…

Buzz et bad buzz sur les réseaux sociaux

En définitive « vertueuse » quand il s’agit de transformer en buzz une histoire qui le mérite, et implacable à repérer et sanctionner les contenus frelatés et/ou boursouflés d’ego, la Twittosphère et ses Twittos auront réagi les premiers à la publication des photos du petit Aylan Kurdi… et vivement réagi aux gesticulations syriennes de BHL.

Tandis que l’émotion s’emparait des réseaux au sujet de la tragédie de Bodrum et du sort des migrants (prétexte hélas à quelques tweets indignes, comme ceux ci-dessous), les socionautes s’emparaient aussi sans vergogne des tweets publiés par son éditrice sur le compte de Bernard Henri-Lévy, pour s’en moquer ou les détourner (voir ici l’excellent article à ce sujet de la libre Belgique).

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Moralité : si les réseaux sociaux ne sont assurément pas gages de vertu (suffisamment de débordements et de déviances nous le prouvent tous les jours), ils constituent un tremplin viral naturel aux émotions les plus SINCERES de la société.

Quand les intentions sont moins louables et la sincérité sujette à caution (BHL semble aujourd’hui tellement préoccupé de lui-même que son ego vampirise toutes les causes dont il s’empare), le retour de bâton est en général immédiat. Et souvent humoristique et brillant. Les vertus d’une « modération » naturelle, à l’échelle des millions d’utilisateurs des réseaux sociaux ? Même si cela reste à démontrer, les deux cas évoqués ci-dessus plaident en ce sens…

Et un double constat apparaît de plus en plus évident : les socionautes sont non seulement devenus des champions du décryptage, mais ils ne sont plus prêts à avaler n’importe quoi… et le font savoir !

 

Comments

  1. Ah la la, ce BHL, au moins il peut se vanter qu’il ne passe pas inaperçu et qu’on parle de lui!

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