Influenceur autoproclamé, véritable expert ou ambassadeur: quel influenceur BtoB êtes-vous ?

C’est un constat que j’ai déjà pu dresser à plusieurs reprises dans les colonnes de ce blog¹: depuis l’émergence puis l’explosion des réseaux sociaux, le marketing d’influence n’a cessé de prendre de l’ampleur, au point d’être devenu une discipline incontournable aujourd’hui. Et quel que soit le secteur d’activité considéré, force est de reconnaître que les partenariats entre annonceurs et influenceurs se sont multipliés ces dernières années, selon des modalités variées et avec des résultats néanmoins inégaux, il faut bien le dire.

Mais qu’à cela ne tienne : la course à l’influenceur est désormais bien lancée… Et sur certains marchés BtoC, cette course a déjà tourné à la frénésie et à la déraison parfois, au point de susciter quelques dérapages et bad buzz mémorables, quand la moralité et les pratiques des influenceurs.euses sollicité.e.s n’étaient pas au niveau escompté notamment.

Il n’en reste pas moins que les marques grand public restent particulièrement friandes de ces collaborations. Et qu’il n’est pas un jour sans qu’on parle de ces Youtubers, gamers et autres instagramers « stars » qui font aujourd’hui rêver dans les cours d’école (et pas seulement) : de Cyprien à Enjoy Phoenix, en passant par Gotaga, Emma CakeCup ou Axel Lattuada, pour ne citer que ceux-ci…

A des années-lumières de ces « macro-influenceurs » déjà reconnus et des autoroutes – pas encore si bien balisées – de l’influence en BtoC, il est à mon sens des sentiers encore moins bien éclairés à ce jour : ceux du marketing d’influence BtoB.

Et c’est assurément le grand mérite du très dynamique CMIT (le Club des marketeurs de la Tech²), associé à l’agence Faber Content³, d’avoir publié cette semaine un remarquable Livre blanc de synthèse sur le sujet, intitulé « L’influence B2B, une histoire de gourou, de leader d’opinion ou d’expert », auquel j’ai eu le plaisir et l’honneur de contribuer*.

Et de quoi est-il question dans ce Livre blanc, me direz-vous ? Et bien de marketing d’influence bien entendu, et plus précisément de ce qu’est exactement un influenceur dans les secteurs BtoB, sur quoi repose son influence et comment il est possible de collaborer avec lui.elle ou de l’engager vis-à-vis de votre marque, en particulier.

Où l’on apprend notamment – et cela ne sera peut-être pas une surprise pour vous – que les modalités d’actions, budgets et moyens alloués par les entreprises BtoB au marketing d’influence n’ont en définitive pas grand chose à voir avec les pratiques de leurs consoeurs grand public… Et qu’à défaut de « gourou » (dont il n’est pas vraiment question dans le Livre blanc en définitive), les meilleurs moteurs de l’influenceur BtoB – ce qui le distingue – sont avant tout son expertise, sa passion, son dévouement à sa communauté et sa faculté à produire des contenus intéressants et partagés… Les critères de notoriété et de taille de communauté n’étant pas toujours les plus pertinents à prendre en compte pour un influenceur BtoB, puisqu’un bon ambassadeur-salarié ou un pair peut rayonner parfois aussi fort qu’un influenceur ou un spécialiste autoproclamé.

Pour vous donner un premier aperçu du très riche contenu de cette publication, à laquelle ont contribué de nombreux experts et que je vous incite évidemment à découvrir et à lire in extenso ici, mais aussi pour résumer les enseignements de la très intéressante étude réalisée à cette occasion par le CMIT et Faber Content, je n’ai pas résisté à vous en livrer ma propre synthèse ci-dessous. A ma manière bien entendu, alors n’hésitez pas à réagir à cet article et à me faire part de vos commentaires, ici et sur les réseaux sociaux, pour continuer à échanger sur ce sujet passionnant !

Influence et influenceurs BtoB : quelques point communs avec le marketing d’influence BtoC… mais surtout de vraies différences !

Il faut tout d’abord féliciter Jean-Denis Garo, Président du CMIT et Fabrice Frossard, ex journaliste et fondateur de Faber Content, d’avoir su si bien préparer et synthétiser la très dense matière de ce Livre blanc, et d’avoir su pour l’occasion s’entourer de si nombreux experts.

Pas moins de 39 opérationnels du marketing, des SI et de la communication (dont un certain nombre d’influenceurs comme Camille Jourdain, Alban Jarry, Cyrille Franck ou Fabienne Billat) ont en effet accepté de participer à cette publication et de donner leur avis sur cette matière en pleine évolution qu’est l’influence BtoB.

Et là où, dans la multiplication des points de vues et avis, on aurait pu redouter une certaine dilution voire une cacophonie – ou à tout le moins une vision pointilliste du sujet – ce sont a contrario quelques grandes lignes de force qui ressortent de cet ouvrage choral, bien mises en perspective par les résultats très cohérents de l’étude CMIT-Faber Content sur le marketing d’influence BtoB…

Et le premier constat de l’ouvrage, plutôt factuel et largement partagé par les différents contributeurs et confirmé par l’étude, est le suivant : plutôt que des « gourous », des « stars » ou des influenceurs autoproclamés, la plupart des influenceurs en BtoB sont avant tout des experts, passionnés par leur métier et reconnus comme tels par leur communauté, auprès de laquelle ils apparaissent « légitimes ».

Créateurs de contenus originaux pour la plupart, voire talentueux agrégateurs de contenus tiers (plus marginalement : cf infographie ci-dessous), les influenceurs BtoB sont appréciés pour la veille qu’ils.elles proposent, leur analyse pertinente et la lecture critique de l’actualité de leur secteur… plutôt que leur capacité à se rehausser du col et à se faire « mousser ».

CQFD : voilà qui commence bien et qui a le mérite de remettre les moutons de l’influence au milieu du pré, pour celles et ceux qui auraient eu encore des doutes à ce sujet !

Et parmi d’autres contributeurs et contributrices, Sandra Requena (Directeur Marketing et Communication d’ITS Group)  d’être l’une des plus explicites : « L’influenceur de qualité reste finalement celui qui ne souhaite pas en être un, dont la passion et le naturel irradient les posts et non celui qui pourrait se laisser séduire par un statut grisant uniquement axé sur l’opportunisme » […] « Choyer et être honnête avec sa communauté, privilégier la qualité à la quantité, apporter son œil d’expert sont certainement les principaux ingrédients à privilégier si demain l’ambition de devenir influenceur BtoB vous titille ».

Directrice Marketing Opérationnel et Communication d’Orange Business Services, Fabienne Kellay renchérit : « Ce ne sont pas des influenceurs en définitive, ce sont des passionnés soucieux de partager, d’apprendre, d’apporter des points de vue à une communauté. Ils sont les piliers de nos écosystèmes et à ce titre sont de vrais leaders d’opinion ! »

De fait, et on retrouve là la deuxième dimension constitutive de l’influence, cette capacité à partager sa passion pour un secteur donné et à produire des contenus de qualité, sans rétribution ni contrepartie financière le plus souvent, en connaissant bien les attentes de sa communauté/de ses publics et en y répondant, est justement ce qui permet aux influenceurs d’exercer un pouvoir de prescription auprès de leurs followers et d’être considérés comme de véritables « leaders d’opinions » (cf graphe ci-dessous) plutôt que de vulgaires « dealers d’opinions » comme le souligne Jean-Denis Garo.

Pour mémoire, un influenceur est en effet au sens premier « un individu qui de par sa position, son statut ou son expression médiatique, peut influencer les comportements de consommation dans un univers donné » (définition très proche de celle du « leader d’opinion » donnée par Paul Lazarsfeld dans les années 50 : voir illustration ci-dessus).

A cet égard, que penser d’un influenceur qui serait référent en termes de contenu et de veille, mais n’aurait aucun pouvoir de prescription ? Sans doute conviendrait-il de le désigner par un autre terme alors, car la capacité à influencer les publics online ou offline, à avoir un réel impact sur les professionnels de sa communauté, demeure évidemment clé !

Autre enseignement de l’étude CMIT-Faber Content et des témoignages des contributeurs de ce Livre blanc : là où l’influence digitale des Youtubers, instagramers et autres blogueurs semble désormais irrésistible dans la plupart des segments de marché BtoC (cosmétique-beauté, tourisme, loisirs, etc), l’influence BtoB est encore largement exercée, dans le monde physique comme le monde virtuel, par des acteurs institutionnels ou ces acteurs traditionnels que sont les journalistes et la presse spécialisée, les analystes de grands cabinets de conseil tels que Gartner, Forrester, IDC ou CXP-PAC pour ne citer que ceux qui interviennent dans le secteur de l’IT par exemple.

A cette influence « traditionnelle » ou institutionnelle, viennent pour ainsi dire s’ajouter l’influence et le pouvoir de prescription des professionnels influents (experts, ambassadeurs-salariés, partenaires, clients des entreprises), disposant de communautés plus ou moins importantes et qui utilisent en premier lieu Twitter, LinkedIn, mais également les blogs (de plateforme ou leurs propres blogs) pour faire entendre leurs voix et diffuser leurs analyses (cf graphe ci-dessous sur les canaux d’influence BtoB les plus utilisés).

L’influence BtoB… Une expertise et une passion dont les influenceurs vivent rarement   

Autre point bien souligné par l’étude CMIT-Faber Content : le marketing d’influence BtoB, bien qu’en net développement, n’en est encore qu’à ses prémices et incomparable en termes de budget et de maturité avec ce qui se pratique aujourd’hui en BtoC…

J’en veux pour preuve les très faibles montants consacrés annuellement par les entreprises à des partenariats avec des influenceurs : le plus souvent ponctuelles (cf graphe ci-dessous) les collaborations ne dépassent un montant cumulé de 5 000 euros par an que dans 25% des entreprises, 75% des marques y consacrant un budget inférieur ou pratiquant uniquement des contreparties en nature (dans 36,5% des cas).

Cela est d’ailleurs cohérent avec les propos tenus par les contributeurs du Livre blanc, dont plusieurs évoquent l’importance croissance du marketing d’influence BtoB… avant de reconnaître qu’ils.elles n’ont aucun budget dédié à y consacrer au sein de leur entreprise (!).

Autres constats un peu déroutants, outre le fait que 60% des répondants à l’enquête déclarent encore ne jamais faire appel à des influenceurs BtoB (une proportion importante qui relativise tout de même les jolies déclarations d’intention des uns et des autres), on voit que la plupart des collaborations des entreprises avec des influenceurs restent très classiques, avec des sollicitations pour des conférences – pas toujours rétribuées d’ailleurs – et la rédaction de contenus publi-promotionnels plus ou moins à la gloire de la marque.

De même, les KPI utilisés pour mesurer a posteriori l’impact de ces opérations ponctuelles demeurent très limités et le plus souvent concentrés sur des métriques d’engagement ou de notoriété de la marque, et non de contribution au business, comme le regrette Yvanie Trouilleux, Manager marketing de Mitel France…

« Si l’objectif de l’influence marketing est d’augmenter la contribution au funnel (la priorité du marketing depuis quelques années), il est paradoxal de constater que ces mêmes marketeurs s’intéressent beaucoup  plus à des KPIs relevant uniquement de la notoriété.  D’après l’étude CMIT-Faber Content, le nombre de vues ou d’impressions semble effectivement être davantage plébiscité au détriment des taux de conversion et de complétion ».

Vous l’aurez compris : si les pratiques des entreprises dans ce domaine de l’influence BtoB trahissent encore un manque de maturité (manque de maturité également perceptible en BtoC dans le domaine de la mesure de la performance des opérations et des partenariats), il est encore rarissime que les influenceurs BtoB puissent vivre de cette influence et de leurs collaborations encore épisodiques avec les entreprises.

Des influenceurs BtoB davantage perçus comme ressources pour la veille que  partenaires potentiels pour des opérations d’influence…

En complément de la statistique que j’énonçais ci-dessus (60% des répondants à l’enquête CMIT-Faber Content déclarant ne jamais faire appel à des influenceurs BtoB), il semble bien en effet que la première utilité perçue pour ces leaders d’opinion soit avant tout de représenter une source de veille, les entreprises n’ayant pas toujours le réflexe ou le budget pour faire davantage en effet.

A ce titre, comme l’indiquent les auteurs de l’étude, « les influenceurs ne seraient donc que des sources d’information au même titre que d’autres », même si quelques marques plus motivées et mieux dotées que les autres commencent à faire appel à eux.

Une hypothèse corroborée par les réponses à la question « Pourquoi suivez-vous des influenceurs BtoB ? » (voir ci-dessous) dans laquelle les fonctions de « veille », « détection des tendances », « alimentation d’une curation », voire « recherche d’avis sur un nouveau produit » demeurent archi-dominantes.

Comment identifier un influenceur BtoB  et travailler avec lui de manière efficace dans la durée ?

On le voit : si tous les professionnels du marketing et de la communication semblent avoir un avis sur l’influence BtoB, bien peu semblent en quelque sorte en avoir un échantillon sur eux ;-) Et les expériences sont encore une fois partielles et ponctuelles, quand collaboration il y a eu.

Nonobstant, la plupart des professionnels sont tous d’accords sur les 4 à 5 étapes et recommandations suivantes  pour réussir un partenariat avec un influenceur BtoB :

1 – Mettre en place une « veille influenceurs », pour identifier les leaders d’opinion réellement influents de votre secteur d’activité

Cette veille peut se dérouler en 3 temps :

>> 1) Identifier qui parle de vous ? Comment en parlent-ils ? Comment parlent-ils de vos concurrents et de vos partenaires ? Cette recherche portera sur le nom de votre marque, sur les réseaux sociaux et sur Google, mais il est évidemment intéressant et pertinent d’élargir votre recherche à tous les mots-clés ou hashtags significatifs sur lesquels vous avez besoin de vous positionner. Sans oublier d’identifier les leaders d’opinion traditionnels (journalistes de la presse spécialisée, analystes) dont tous n’ont pas nécessairement une activité débordante sur les réseaux sociaux mais n’en sont pas moins visibles et influents.

>> 2) Valider parmi ces différents experts, qui sont réellement des influenceurs pertinents pour votre secteur : en déterminant lesquels sont réellement créateurs de contenus et producteurs d’analyses critiques, lesquels a contrario ne sont que des curateurs ? Quelle est l’audience et l’influence réelle de chacun, sa capacité à engager sa communauté ? Quelle est leur niveau de crédibilité et d’éthique ?

>> 3) Sur cette base, il s’agit alors de faire des choix en examinant, sur les moyens et long termes, qui est vraiment présent et intéressant pour la marque, qui serait susceptible de lui apporter une plus-value, en se positionnant sur quelques influenceurs à cibler en priorité.

2 – Nouer contact

Pour cette étape, je ne saurai trop conseiller d’avoir préalablement examiné attentivement les productions et le public des influenceurs ciblés… Quels sont les sujets de prédilection de l’expert ? Quels sont les liens et les habitude qui l’unissent à sa communauté ? A t-il déjà collaboré avec des marques ou jamais par le passé ?

Ces précautions vous sembleront peut être superflues, mais pour recevoir nombre de propositions moi-même, combien de communiqués de presse et de prises de contact maladroites, non ciblées, proposant des sujets ou des coopérations aux antipodes des domaines d’intérêt et des habitudes de l’influenceur considéré ? La remarque est ici la même que pour les influenceurs BtoC, que certaines agences et entreprises continuent de traiter « en masse » comme des journalistes ou pigistes indifférenciés de leur secteur.

Que le leader d’opinion BtoB soit abordé à l’occasion d’un salon, d’une conférence de presse  ou lors d’une autre occasion, ne pas oublier que ce sont des professionnels qui exercent parallèlement à leur passion un véritable métier. Ils ont donc peu de temps et des délais de réponse qui leur appartiennent, aux antipodes de la presse classique le plus souvent.

3 – Proposer et organiser une collaboration

Pour les experts intéressés par la marque, et susceptibles d’être ouverts à une coopération, les précautions à prendre avec ces nano ou micro-influenceurs sont souvent les mêmes que pour les influenceurs BtoC : il s’agit que les coopérations proposées soient vraiment des « win-win », offrant l’opportunité à l’expert de faire croître sa communauté (son premier objectif bien souvent, au delà des contreparties financières ou en nature).

A ce titre, on veillera à lui laisser carte blanche dans les domaines créatifs et à ne pas imposer à tout crin sa charte d’entreprise et ses éléments de langage, si ceux-ci sont très éloignés du ton et des pratiques de l’influenceur en question. Il s’agit en effet que celui-ci / celle-ci ait en effet envie de recommencer l’expérience, et d’engager un partenariat dans la durée.

4 – Mesurer l’efficacité du partenariat et viser un partenariat pérenne plutôt que des « one shots »

Le montage d’opérations communes exigeant un minimum de confiance réciproque et une connaissance mutuelle, qui ne pourra se développer qu’avec la répétition des partenariats, les marques ont tout intérêt à viser le moyen et le long termes plutôt que des collaborations ponctuelles, quand elles en ont les moyens évidemment.

Cela suppose d’être exigeant également sur l’analyse des retombées des opérations, en ne se contentant pas des statistiques d’engagement parfois assez vagues fournis par certains, mais en mettant évidemment sur pied ses propres outils de veille, pour voir combien de fois les hashtags ou mots clés ont été repris, le nom de la société a été cité, par qui et avec quel ton (positif/neutre/négatif) bien évidemment…

Là encore : des conseils de bon sens, mais pas forcément appliqués par toutes les entreprises…

Et les ambassadeurs-salariés dans tout ça ? Et les clients-partenaires ?

A celles et ceux qui auraient une définition particulièrement restrictive de l’influence, rappelons que tout individu a la capacité d’influencer autrui. Et en ligne, cela a été suffisamment souligné, les fameux « nano-influenceurs » – que peuvent être les ambassadeurs, des clients ou des partenaires – ont un impact et une crédibilité vis-à-vis de leurs pairs bien supérieure aux « macro-influenceurs ».

Ainsi, les ambassadeurs-salariés peuvent avoir un véritable pouvoir de prescription, et c’est bien dans cette optique – je serai amené à en reparler – qu’un certain nombre d’entreprises ont commencé à booster les programmes de formation de leurs collaborateurs en matière de social selling, comme IBM France, qui s’est fixé des objectifs ambitieux dans ce domaine.

Si tout un chacun n’est en effet pas un influenceur, au sens premier du terme, il reste évident que chacun a un réel pouvoir d’influence et de prescription. Et il appartient aux entreprises de laisser une latitude suffisante à leurs collaborateurs dans leur politique d’employee advocacy et dans leur expression sur les réseaux sociaux notamment, pour ne pas transformer ceux-ci en vulgaires « porte-voix » des messages corporate ou commerciaux de la marque… Chacun y perdrait en effet en crédibilité auprès de sa communauté.

 

 

 

Notes et légendes :

(1) Parmi mes précédents articles, à découvrir ou redécouvrir sur la thématique du marketing d’influence, je vous recommande notamment ceux-ci : « Influence 2.0 : et si on mettait enfin le marketing d’influence au service du parcours client ? » et « La nano-influence : nouvelle pilule miracle de la pharmacopée digitale ou poudre de perlimpinpin ? »  

(2) Le CMIT ou Club des Marketeurs de la Tech, fondé en 2003, réunit à ce jour plus d’une centaine d’adhérents autour de problématiques Business to Business. Présidé par Jean-Denis Garo, International Integrated Marketing Director chez Mitel, ce Club a en particulier pour mission de « promouvoir la valeur et la contribution des métiers du marketing et de la communication au sein de son écosystème ».  

Pour plus d’information sur les activités de ce Club, ses nombreux évènements et livres blancs précédents, vous pouvez en découvrir davantage sur le site du CMIT.

(3) Fondée par Fabrice Frossard, ex journaliste, Faber Content est une agence de communication qui accompagne les entreprises dans la définition et la mise en place de leur stratégie de contenu, la création de contenus experts (blogs, infographies, livres blancs, vidéos…) et leur amplification.

* Retrouvez ci-dessus ma contribution au Livre blanc du CMIT et de Faber Content : « Influenceur B2B : un passionné reconnu pour son expertise et ses contenus par une communauté de professionnels ».

 

Crédit photos et illustration : 123RF, CMIT-Faber Content, TheBrandNewsBlog 2019, X, DR.

 

 

 

Marketeurs et communicants : 10 tendances persistantes ou émergentes à prendre en compte en 2019 !

Péché mignon de tous les plumitifs de la communication et du marketing, la publication des tendances de l’année écoulée et de l’année à venir est un peu à nos métiers ce que le christmas pudding est à la gastronomie britannique : une tradition incontournable du mois de décembre !

Après la parution de moult articles et autres rapports plus pertinents et inspirés les uns que les autres – mais aux constats disparates – je ne pouvais résister à l’envie de vous livrer ma propre version, quintessence de ces différentes analyses et de mes propres observations.

Pour faire sobre et sans succomber au côté « putaclic » de l’exercice, je suis donc parti sur 10 grandes tendances, parce que c’est à la fois un chiffre rond et facile à mémoriser. Il va sans dire que j’aurais pu en citer davantage : l’accélération technologique et la transformation de nos métiers fournissent à elles seules une telle matière que je n’aurais eu aucun mal. Mais je ne voulais pas vous voir frôler l’indigestion…

Sursaut de la lutte contre les discriminations et avènement du brand purpose ; importance de la lutte contre les fake news et besoin d’authenticité ; fin de la communication top-down et envol du e-to-e et de l’employee advocacy ; professionnalisation et sophistication du marketing d’influence ; retour en grâce des contenus de qualité et du storytelling Les 10 tendances à découvrir en deux épisodes sur le BrandNewsBlog (ce dimanche pour les 4 premières et mercredi pour les 6 suivantes) étaient pour un certain nombre d’entre elles déjà en germe en 2017 et se confirment aujourd’hui. D’autres sont en revanche plus nouvelles et émergentes. Elles donnent en tout cas une bonne idée de la diversité et l’importance des enjeux auxquels les marketeurs.euses et communicant.e.s sont et seront plus que jamais confrontés demain.

Pour aborder au mieux 2019 – et les années suivantes – il s’agira par conséquent de faire preuve d’ouverture d’esprit et d’adaptabilité : soit tout le contraire de l’application de ces vieilles recettes marketing-com’ qui ont longtemps prévalu mais sont désormais largement dépassées…

Pour nous guider sur ce chemin et en guise d’aliment indispensable à ma réflexion, je tiens en particulier à remercier l’association de communicants COM-ENT, pour le précieux éclairage apporté par ses Grands Prix 2018 et son analyse poussée des enseignements qui en ressortent¹. Je distinguerai également parmi d’autres contributions passionnantes le travail effectué par l’institut Kantar² (« 12 tendances médias communication 2018 ») ou celui désormais bien connu mené année après année par Talkwalker³ et ses experts-invités (« 13 tendances digitales et social media 2019 »).

Bonne dégustation de ces tendances marketing communication 2019 donc, et comme d’habitude : n’hésitez pas à me faire part de vos commentaires et compléments, toujours bienvenus ! Car dans cette matière prospective encore plus que dans toute autre, nul n’a la science infuse, on le sait bien :-)

1 – Sursaut de la lutte contre les discriminations et avènement du brand purpose

Sans aucun doute boostées par l’ampleur du phénomène #MeToo et par un élan sans précédent dans la lutte contre les discriminations, les entreprises ne sont pas demeurées en reste sur ces thématiques en 2018, comme en témoigne le palmarès des Grands Prix décernés cette année par l’association COM-ENT.

Promotion de l’égalité femme-homme et dénonciation des préjugés sexistes, racistes, générationnels ou religieux, de même que des tabous sur le handicap ont ainsi rythmé l’année et de nombreuses campagnes de communication, internes ou externes. Exemplaires de cette tendance sont à cet égard la web-série égalité professionnelle hommes-femmes réalisée par l’agence WAT pour MBDA Systems ou la campagne « Eclairages » de GRTgaz mettant à l’honneur la diversité. Chacune a été récompensée, la première par un COM-ENT d’or, ex aequo avec la campagne #Maintenantonagit réalisée par TBWA corporate pour la Fondation des femmes ; la seconde par un prix d’honneur.

Et cette tendance ô combien vertueuse devrait assurément perdurer en 2019 et 2020, tant il y a hélas encore à faire sur le sujet des discriminations, les prises de parole des entreprises reflétant désormais une véritable prise de conscience qui dépasse enfin le champ de la marque employeur pour s’afficher comme une priorité d’entreprise, en particulier dans les secteurs dont l’activité est historiquement très masculine.

En écho à cet engagement, et peut-être aiguillonnées par les discussions autour de la loi Pacte et ses dispositions touchant la transformation responsable des entreprises et le statut « d’entreprise à mission », de plus en plus nombreuses ont été les organisations à affirmer ou réaffirmer cette année une mission sociétale au-delà de leur activité commerciale et de leur vocation marchande. C’est enfin – du moins je l’espère – la reconnaissance et l’avènement de ce brand purpose dont je n’ai cessé dans ces colonnes de répéter l’intérêt et l’importance pour les entreprises, tant il est vrai qu’une mission d’entreprise légitime et crédible demeure pour toute entité un des premiers leviers de motivation et d’engagement de ses collaborateurs.

Pourquoi, en effet, marques et entreprises ne pourraient-elles avoir pour ambition de prendre part à l’amélioration du monde ? C’est non seulement un bel axe d’engagement et de communication, mais surtout un devoir à l’heure où 60% des Français pensent que « les entreprises ont aujourd’hui un rôle plus important que les gouvernements dans la création d’un avenir meilleur », ainsi que le rappellent les contributeurs du blog We are com¹.

Engagées pour être engageantes, les organisations n’ont à mon sens d’autres choix que de réfléchir à cette mission sociétale et à ce brand purpose, qui constituera une des tendances majeures des années à venir à mon sens, et on ne peut que s’en réjouir !

2 – Importance de la lutte contre les fake news et besoin d’authenticité

A l’heure où les théories du complot et les conspirationnistes de tous bords font un carton sur les réseaux sociaux, certains d’entre eux recevant même un adoubement médiatique inespéré sur les plateaux TV de médias en quête d’audience, les fake news ou vérités alternatives n’ont hélas jamais eu autant le vent en poupe. Et représentent un vrai défi pour les entreprises tout autant que pour la démocratie, ainsi que le rappelle en substance Caroline Faillet, Chief Executive Officer du cabinet Boléro et auteure du tout récent « Décoder l’info : comment décrypter les fake news ? » aux éditions Bréal.

Ainsi, pour préserver leur réputation intacte contre des attaques externes et la malveillance d’adversaires souvent difficiles à identifier, mais également pour ne pas prêter le flanc elles-mêmes à la critique ou au relai de fausses informations, les entreprises devront-elles se montrer vigilantes et exemplaires.

Cette exemplarité passe notamment par un examen rigoureux de leur propres pratiques et cette prise de conscience que « l’acceptabilité sociale est une nouvelle contrainte à intégrer dans toutes leurs décisions de gestion, de la plus stratégique à la plus quotidienne » résume l’auteure de « L’art de la guerre digitale », son précédent ouvrage.

Cette nouvelle norme sociale à laquelle doivent se conformer les entreprises, au risque de voir sinon se mobiliser contre elles les internautes, repose sur des critères à la fois éthiques (santé, environnement, dignité humaine…) et des questions de perception, puisque le moindre fait et geste de l’entreprise est d’abord appréhendé à l’aune de l’émotion.

Il en découle que les fake news – et cette nouvelle légitimité sociale dont je viens de parler – demeureront des enjeux capitaux pour les organisations et leurs communicants en 2019 et au-delà. Les organisations devront également veiller à ne pas propager via leurs propres contenus ou des contenus tiers de fausses nouvelles, et arrêter de financer des sites ou médias diffusant des fake news (ce que trop d’annonceurs ont hélas fait pendant des années, ainsi que l’ont révèlé de nombreuses études sur les achats médias).

Dans ce contexte, qui coïncide également avec une exigence accrue de transparence et d’authenticité exprimée par les différents publics, avec un refus de la langue de bois et une appétence marquée des audiences pour des informations non retraitées (infographies épurées, vidéos « à la Brut »…), il est plus important que jamais que les entreprises veillent à la sincérité, à l’exactitude et à l’authenticité de leurs messages.

3 – Fin de la communication « top-down », envol du « e-to-e » et de l’employee advocacy

On comprend, à la lecture des deux tendances précédentes, que la « communication de papa » à la fois unilatérale et « top-down » est complètement révolue et inadaptée aux nouveaux enjeux.

De cette communication descendante, ripolinée et autosatisfaite, privilégiant les messages grandiloquents et les visuels ultra-léchés des banques d’image à la simplicité des faits, les publics ne veulent plus ou le moins possible.

Et, avec la quête d’authenticité, ce sont de vrais gens et de vraies situations que se nourrissent désormais les communications des entreprises, qui capitalisent au maximum sur les témoignages « sans édulcorant » et un discours de sincérité. En témoignent les innombrables campagnes et publications vues cette année, mettant le collaborateur à l’honneur et au centre du récit de l’entreprise.

Guest-star plus « bankable » que jamais, le collaborateur est ainsi accommodé à toutes les sauces, au cœur de dispositifs de communication aussi bien internes qu’externes, que ce soit en mode « figuration » ou plus souvent en tant qu’acteur/actrice d’un discours d’authenticité sur l’organisation. La campagne « Génération 3F » primée par COM-ENT et dans laquelle les collaborateurs et collaboratrices expriment clairement ce qu’ils aiment et ce qu’ils aiment moins et pourquoi ils ont rejoint 3F en est un bel exemple.

Meilleur atout de la marque employeur, pour convaincre de futures recrues de rejoindre l’entreprise dans le cadre de dispositifs « e-to-e » ou « employee to employee », le collaborateur est aussi sollicité de plus en plus fréquemment comme ambassadeur digital de l’organisation, dans le cadre de politiques d’employee advocacy ambitieuses. Sur ce sujet, cet article récent du BrandNewsBlog et mon interview croisée de Benoît Cornu (Elior) et de Kate Phillips (Faurecia), démontrent bien les progrès importants accomplis dans la dernière année par beaucoup d’entreprises, dont 94% des dircom ont déjà entrepris ou ont prévu de lancer prochainement une démarche d’employee advocacy.

4 – Professionnalisation et sophistication du marketing d’influence 

L’utilisation d’un influenceur ou d’une influenceuse numérique serait-elle en passe de devenir LE nouveau Graal des marques et des entreprises, que ce soit en B2B ou B2C ?

Après des débuts plus que timides et laborieux, il semblerait bien en tout cas que le marketing d’influence ait pris une toute autre dimension avec le développement de l’influence numérique. Dixit les membres du Think Do Tank Digital et Innovations de l’association COM-ENT : « L’influence a de tout temps existé dans les stratégies de communication, mais elle n’était pas jusqu’alors la dimension la plus valorisée par les entreprises. L’explosion du numérique, l’impact du Web et des réseaux sociaux ont changé la donne, faisant de l’influence numérique une véritable discipline pratiquée… il faut bien le dire avec plus ou moins de réussite ».

Et même si les dircom reconnaissent en être pour la plupart au stade exploratoire et que les marques « tâtonnent encore, cherchent et testent », les opérations et coopérations se multiplient avec des influenceurs plus ou moins connus, youtubeurs et youtubeuses en tête. Et si les secteurs de la mode ou des cosmétiques, ainsi que du divertissement et des loisirs ont une réelle avance sur le sujet, il est intéressant de voir des entreprises telles que Sofinco ou Isagri recourir avec succès à des stars du net, pour rendre le crédit conso plus sympa pour la première ou pour attirer des développeur à Beauvais pour la seconde.

Mais la palme de l’opération la plus audacieuse et la plus réussie dans le genre, d’après l’association COM-ENT, revient sans doute en 2018 à la MAAF, avec sa campagne virale pour la prévention de l’alcool et de la drogue au volant, qui sort des codes habituels et fait mouche, grâce au youtubeur Axel Lattuada, très apprécié de la cible des 18-24 ans.

Dans ce domaine, la véritable maturité (encore à venir pour la plupart des entreprises) et la prochaine étape, consisteront sans doute à mesurer en toute objectivité de part et d’autre – pour l’influenceur et pour la marque – le bénéfice final en terme d’image et de business pour la seconde, et le bénéfice en terme de recrutement pour le premier, afin de pérenniser les collaborations tout en respectant l’univers et le ton des influenceurs.

Mais ainsi que le faisait observer récemment avec humour l’expert social media Jonathan Chan, le marketing de l’influence est loin de se limiter aux collaborations avec des youtubeurs stars, et la professionnalisation et la sophistication de la discipline, palpables au sein des agences comme des annonceurs, passe aussi par la concentration sur d’autres relais, tout aussi efficaces en terme d’engagement : les micro-influenceurs, nano-influenceurs (auxquels j’avais consacré cet article)… et bientôt les « pico- » ? Jonathan Chan s’étonne dans son tweet ci-dessous du nombre de segments d’influenceurs proposé lors d’une présentation par le cabinet Digimind… Mais cette segmentation montre bien en réalité le degré de maturation grandissant des professionnels, et le chemin restant à parcourir pour les marques et les entreprises pour embrasser tout le champ et toutes les perspectives prometteuses de l’influence digitale.

Pour en lire davantage sur ces opportunités et la nouvelle frontière du marketing d’influence, je vous renvoie d’ailleurs à cet article du BrandNewsBlog et aux propositions enthousiasmantes de Brian Solis, que j’avais analysées…

5 – Retour en grâce/en force des contenus de qualité et du storytelling

Si les contenus de marque à faible valeur ajoutée créative et informationnelle se sont hélas multipliés exponentiellement ces dernières années, dans une sorte de couse à l’échalote éditoriale sensée répondre au besoin des médias sociaux et à la frénésie des fils d’actu – au point qu’on parle de « snacking content » pour désigner ces productions formatées et sans saveur à consommer sur le pouce – 2018 semble montrer une inflexion notable de la part des marques.

Certaines d’entre elles, s’il ne s’agit pas encore d’une majorité, paraissent avoir enfin compris l’intérêt de revenir à des productions plus réfléchies et qualitatives et à de véritables partis pris éditoriaux. Ces choix structurants s’accompagnent en général d’une réinvention des codes et d’un retour en force du storytelling, avec l’alternance de formats courts et de formats longs dans les récits et l’amorce de schémas narratifs plus structurés, propres à susciter l’émotion et à capter l’attention des publics.

Parmi les productions éditoriales remarquables de l’année, que ce soit en communication externe ou en communication interne, l’association COM-ENT a ainsi remarqué le très beau support papier réalisé par AccorHotels et qui invite à rencontrer celles et ceux qui font vivre ses hôtels, en racontant de manière sensible leur quotidien. Autre bel objet print, le reportage « Au cœur de la machine » dessiné par deux auteurs en immersion dans une raffinerie de Total constitue un projet à la fois valorisant pour les collaborateurs, original et décalé, qui témoigne d’un engagement pédagogique fort de la marque et d’une volonté de réinventer les codes de la com’ interne : une approche récompensée par un COM-ENT d’or.

Pour les membres du Think Do Tank Prospective de l’association de communicants, ce regain d’intérêt pour le print est tout sauf un hasard : « A l’heure du tout digital, nous observons un retour en force du bel objet print, qui raconte une histoire en prenant son temps, en faisant le tour de la question, en invitant toutes les parties prenantes à venir s’y exprimer. C’est une pause structurante dans la frénésie du fil d’actu et un choix constructif et aspirationnel de la part des entreprises. C’est aussi le signe d’une reconnaissance et d’une attention particulière qu’elles donnent à celles et ceux qui sont destinataires de ces livres, de ces magazines, de ces ovnis pour certains ».

Et tandis que les unes ciblent leurs collaborateurs, les autres leurs clients – et parfois les deux, comme dans ces rapports annuels audacieux que nous avons pu voir cette année, les entreprises n’hésitent plus à dévoiler leurs coulisses et à jouer sur la corde sensible de l’émotion. Dixit Sarah-Pearl Bokobza et Séverine Lecomte* : « Pour marquer les esprits et rendre leur marque inoubliable, les entreprises jouent la carte du tendre et de l’intime, de l’accueil chaleureux des lecteurs.rice.s dans leur univers. Avec un contenu riche, une forme de ‘tout en un’ qui réinvente les codes en proposant un mix gagnant entre formats courts et histoires longues, entre les faits et les gestes, entre le process et l’humain, entre anecdotes et stratégie… De quoi garder leur lectorat éveillé et en alerte. »

6 – Triomphe de l’UX, de la personnalisation, des technologies immersives et du live

Certes, ce n’est pas aujourd’hui que les entreprises ont commencé à s’intéresser à l’expérience client/collaborateur. Et au-delà de ce « marketing expérientiel » dont on nous rebat les oreilles et de la quête ultime de cet « effet waouh » sensé tout renverser sur son passage, c’est à un travail de fond sur leurs points de contact et leurs parcours clients/candidats que se consacrent désormais un nombre croissant d’organisations, bien aidées par les outils et nombreuses opportunités offertes par le digital.

Désormais au cœur de toutes les stratégies marketing et de communication, l’UX et la personnalisation sont en effet partout prégnantes, avec des objectifs ambitieux de retour sur investissement et de réels moyens consacrés à la rationalisation des parcours.

Dans cette approche sans cesse plus mature de la dimension expérientielle – et quel que soit d’ailleurs l’objectif recherché (acquisition, fidélisation ou génération de leads) – les données et les contenus viennent nécessairement nourrir les dispositifs et les entreprises ont enfin compris l’importance d’enrichir et de personnaliser au maximum l’information délivrée à chaque étape, en veillant également à simplifier au maximum les interactions avec les utilisateurs de leurs sites et de leurs applis.

Parfaite illustration de ces efforts concrets et payants, les membres du Think Do Tank Digital et Innovations n’hésitent pas à citer en exemple le nouveau hub mis en place par la Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP), pensé par typologies d’utilisateurs et conçu avec eux dans une logique UX. Marquante également, la refonte réussie du site carrières du groupe La Poste fait la part belle à l’UX et à la personnalisation en proposant pas moins de 4 entrées et 4 parcours digitaux bien distincts en fonction du profil des internautes, affranchissant les chercheurs d’emploi de toutes les étapes superflues dans l’atteinte d’un job sur-mesure et mettant à leur disposition chatbot, quizz d’orientation ou social wall pour une expérience 100% personnalisée et interactive.

Plus que jamais immersifs, interactifs et conversationnels, les dispositifs de communication digitale les plus marquants de 2018 font aussi la part belle aux nouvelles technologies : réalité augmentée, VR, assistants virtuels… tandis que le besoin de lien, d’authenticité et d’interaction s’est traduit par un fort développement du live, dont l’usage s’est largement diversifié. Au-delà des défilés de grandes marques de mode et autres grands messes diffusés en direct sur Twitter par Free ou par Apple, on notera dans ce registre les initiatives originales d’Auchan Retail, organisateur d’un défilé diffusé sur Facebook ou bien encore ce comité de direction exceptionnel diffusé en live par le groupe EDF pour tous ses collaborateurs…

7 – Prise de conscience de l’importance de la data, nouvel « or noir » du marketing

Qui dit personnalisation accrue des parcours et des contenus proposés aux diverses parties prenantes dit évidemment données. Et de ce point de vue, 2019 et les années à venir devraient enfin voir l’avènement de l’entreprise « data driven », dans laquelle les multiples points de contact sont pilotés en utilisant la donnée en amont et en aval, pour garantir une relation fluide, optimale et engageante avec les publics internes et externes.

Plus qu’une tendance, la maîtrise de la donnée est en définitive une nécessité dans des univers à la fois hyper concurrentiels et où la volatilité du client est plus forte que jamais. Fondateur de Faber-content.com, Fabrice Frossard estime d’ailleurs que « le combo gagnant à l’avenir sera celui d’une donnée finement exploitée et de la créativité pour affirmer sa différence dans des univers balisés et banalisés. »³

Co-fondateur de Talkwalker, Christophe Folschette est tout aussi optimiste en estimant quant à lui qu’à partir de 2019, les entreprises reprendront résolument la main sur leurs données : « Le monde change tellement rapidement que les entreprises doivent gérer leurs données plus efficacement. En alignant leurs KPIs clés à tous les aspects de l’entreprise, avec des benchmarks clairement définis ainsi que des sets de données, elles pourront développer leur business. Nous verrons également que les sociétés se concentreront plus sur la maturité de leur social data. Les marques devront apprendre à gérer l’entièreté de leur Big Data, au risque d’être noyées sous des KPIs et métriques sans valeur ajoutée. »

CQFD… Nouvel or noir pour les entreprises, au cœur de la fameuse « transformation digitale » dont on nous parle tous les jours, la data n’a donc pas fini d’être collectée, stockée et analysée et nous n’en sommes de ce point de vue qu’au milieu du gué, en attendant l’avènement d’une ère de la donnée 100% utile et systématiquement exploitée pour le bien-êre et la satisfaction de chacune des parties prenantes de l’entreprise.

8 – Irruption irrésistible de l’IA…

En tête de gondole des sujets les plus abordés dans la presse professionnelle en 2018, l’IA a un peu été (mal)traitée à toutes les sauces cette année et a fait les choux gras d’une kyrielle d’experts tous mieux informés les uns que les autres…

Et pour cause : ainsi que l’expliquait dans les colonnes de ce blog l’éminent professeur Niraj Dawar, tous les plus grands géants de la technologie ont désormais lancé leur propre plateforme d’IA et le domicile des usagers est déjà en voie de colonisation accélérée par leurs assistants virtuels.

Enceintes Echo et assistant vocal Alexa d’Amazon, enceinte Google Home et assistant vocal de Google, HomePod d’Apple, assistants IA Cortana et Xiaowei pour Microsoft et Tencent : chacun des grands acteurs présents sur le marché a déjà équipé des dizaines de millions de foyers… et le mouvement s’est encore accéléré cette fin d’année, avec notamment l’annonce par Free du choix d’Alexa comme assistant vocal sur sa nouvelle Freebox Delta, ou l’annonce de l’intégration d’Alexa dans la nouvelle enceinte connectée d’Orange. Une course à l’IA dont les industriels européens sont hélas totalement absents, n’ayant su imposer une solution viable de plateforme IA parmi celles des grands acteurs évoqués ci-dessus, tandis qu’un vaste mouvement de concentration entre la douzaine de concurrents déjà présents est à attendre d’après tous les experts dans les 5 à 10 prochaines années.

L’enjeu : conquérir au plus vite une place auprès d’un maximum de consommateurs pour imposer ensuite définitivement sa solution IA comme le tiers de confiance privilégié entre ces usagers et les marques.

Car ne nous y trompons pas, même si de par leur niveau de performance actuel – encore largement perfectible – les plateformes IA et autres assistants vocaux ou virtuels sont encore loin de répondre avec fiabilité à toutes les questions et besoins de leurs utilisateurs, il ne s’agit plus que d’une question de temps avant qu’elles ne s’imposent définitivement comme intermédiaires auprès des consommateurs et que plus personne ne puisse s’en passe. Et ainsi que le résume Niraj Dawar, à terme, « la plateforme IA recueillera et transmettra l’information, tandis que l’assistant virtuel sera l’interface de l’usager avec ses installations domestiques, les différents appareils et autres dispositifs. » […] Et par dessus tout : « Les assistants IA minimiseront les coûts et les risques encourus par les usagers ; ils offriront également un confort d’utilisation inégalé. Ils veilleront à ce que les achats de routine parviennent sans encombre jusqu’aux différents foyers – comme la fourniture d’eau et l’électricité – et ils géreront les décisions d’achat plus complexes en apprenant à connaître les critères des consommateurs et en optimisant les compromis que ceux-ci sont prêts à faire ».

On comprend dès lors que tout le battage médiatique fait autour de l’IA – dont je viens ici de ne mentionner qu’une des applications – n’a rien à voir avec une effet de mode et que cette technologie révolutionnera bel et bien les pratiques des professionnels du marketing et de la communication…

9 – Emergence et enjeux du social selling pour les entreprises et pour les marques

Encore balbutiantes de ce côté-ci de l’Atlantique, où l’advocacy a souvent d’avantage pour but de soutenir la réputation des entreprises que leur business, les techniques du social selling devraient néanmoins se professionnaliser et être de plus en plus plébiscitées parmi les pratiques des entreprises et des marques à partir de 2019.

Et pour Julie Albenque, consultante et formatrice en stratégie digitale, cette évolution est inéluctable : « Attendez-vous à ce que le cycle d’achat évolue radicalement l’année prochaine. Avec l’intégration de l’achat au sein des stories Instagram et de Facebook messenger par exemple, ou l’augmentation des avis vérifiés, vous devrez adapter votre marketing social pour activer des ventes directes ». Et il est bien certain que « grâce à une stratégie social media bien pensée, les marques pourront toucher les consommateurs lors des différents moments du parcours client : les fameux « Touch Points », aussi bien en amont du processus d’achat, que pendant ou après ».

Critères primordiaux du choix et de la fidélité à une marque, la qualité des produits et services devraient dans ce contexte demeurer des atouts clés. Mais il est aussi tout à fait certain que le consommateur s’attachera de plus en plus à la pertinence des contenus qui lui sont proposés à chaque étape du cycle d’achat et à la capacité d’une marque à être créative et à capter son attention, sur les réseaux sociaux notamment.

Dans cette optique, tout l’enjeu pour les marques sera donc d’utiliser l’éventail des possibilités offertes par les nouvelles technologies pour créer du contenu à la fois pertinent, personnalisé et différenciant, qui répondra parfaitement au besoin des consommateurs à un instant t. Un défi de taille, mais qui est constitue tout l’enjeu du social selling, d’où la nécessité de l’appropriation de ses techniques par les entreprises et leurs équipes commerciales, en particulier.

10 – Besoins de nouveaux outils, de nouvelles organisations et d’une véritable éthique de la communication et du marketing

On le voit : ainsi que je le notais en introduction, les défis pour les marketeurs et les communicants sont plus nombreux et diversifiés que jamais à l’orée de la nouvelle année qui se profile. Et l’ouverture d’esprit et l’adaptabilité sont et seront primordiales pour réussir dans nos métiers, en gardant un œil sur l’évolution rapide des besoins de nos publics et l’autre sur l’émergence accélérée des nouvelles technologies, qui requiert des efforts inédits d’acculturation de la part des entreprises et des marques.

Transformation numérique, formation et auto-formation… les professionnels doivent non seulement être capables d’assimiler les nouveaux codes et d’utiliser les nouveaux outils, mais ils doivent également être en mesure de sélectionner les KPI les plus pertinents pour mesurer en permanence le ROI de leurs actions, avec ce souci de piloter efficacement leur activité et de délivrer des indicateurs compréhensibles et aisément appropriables par leurs interlocuteurs au sein des entreprises.

L’évolution continue des modes de fonctionnement et des organisations, pour répondre à ces nouveaux défis, devient presque partout une nécessité pour des directeurs de la communication et du marketing plus que jamais en quête de d’autonomie, de réactivité et de polyvalence de la part de leurs équipes.

Ainsi, dans les profils comme les organigrammes, dimensions interne et externe des missions tendent de plus en plus à se confondre, tandis que la quête de l’engagement des parties prenantes et la maîtrise des leviers d’influence deviennent des compétences cardinales, de véritables « directions de l’engagement » ayant ici et là tendance à se substituer aux traditionnelles directions de la communication, ou à venir les compléter le cas échéant.

Brand newsrooms, social rooms : celles et ceux qui le peuvent n’hésitent pas non plus à mettre en place de nouvelles équipes ou de nouveaux dispositifs pour répondre aux nouveaux besoins en matière de veille et de production de contenus, tandis que les organisations les plus mâtures regardent également comment rendre les pratiques de la communication plus éthiques et responsables, à l’image du groupe EDF, signataire fondateur en début d’année 2018 du Programme FAIRe de l’Union des Annonceurs, une charte qui s’attache à promouvoir des pratiques plus vertueuses en terme de marketing et de communication, et qui a été traduite en interne sous la forme d’une soixantaine d’engagements précis à respecter par tous les communicants d’EDF : un engagement complètement en ligne avec le soucis d’éthique, de transparence et d’authenticité dont je faisais mention ci-dessus en début d’article, et avec la lutte contre les fake news qui en est un des volets…

 

 

 

Notes et légendes :

(1) L’intégralité des Prix attribués par l’association COM-ENT dans le cadre de ses 32èmes Grand Prix est consultable dans le Mag’ des grands prix n°8, « Les trending tropics ». De nombreux décryptages y sont proposés : par les membres du Think Do Tank Prospective de COM-ENT ; par les membres du Think Do Tank Digital et Innovations ; par les membres du réseau « Toutes femmes toutes communicantes »; par Laurence Rousseau de l’association Meet in et par les contributeurs du blog We are com’.

(2) « 12 tendances médias communication 2019″ – Institut Kantar, WPP (6 décembre 2018)  

(3) « Stratégie digitale et réseaux sociaux : 13 tendances à surveiller en 2019″ – par les contributeurs-invités de Talkwalker (27 novembre 2018)  

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, The BrandNewsBlog 2018, X, DR.

 

 

Entre digitalisation, banalisation et nouveaux usages : l’industrie du luxe à la croisée des chemins…

D’ici quelques jours, avec la publication de l’édition de printemps de son étude mondiale sur le secteur du luxe, le cabinet Bain & Company devrait confirmer les tendances très positives qu’il avait commencé à relever au mois de septembre dernier¹…

Oui : après une année 2017 qui aura vu le marché mondial du luxe renouer avec la croissance et progresser de 5% en valeur (pour atteindre 1 160 milliards d’euros au total²), la reprise tant attendue du marché, si longue à se dessiner suite à des années de marasme, devrait en effet se confirmer, redonnant le sourire à tous les acteurs de l’industrie.

Dès la fin 2017, il faut dire que ce baromètre de la santé du secteur que représente le Luxury Trend Report³, publié par l’Ifop et le magazine Stratégies, pronostiquait déjà une nette amélioration de la situation économique des marchés du luxe, 75% des 277 experts interrogés se disant « optimistes » ou « très optimistes » sur les perspectives du secteur en 2018 (soit une progression de 23% par rapport à leurs projections pour 2017).

Eut égard à la contribution non négligeable du secteur du luxe à la croissance mondiale et aux positions extrêmement avantageuse qu’y occupent les plus grands groupes français, avec leur portefeuille de marques prestigieuses, on ne peut évidemment que saluer un tel redressement, bien boosté par le regain de vigueur des consommateurs chinois et asiatiques il faut le dire, mais également par les très bonnes dispositions de la plupart des grands pays traditionnels du luxe (Japon, Etats-Unis, France, Emirats-Arables Unis, Singapour, Royaume Uni, Honk-Kong…), de nouveau très dynamiques dans leurs achats de produits et services.

Mais faut-il pour autant pavoiser de cette santé retrouvée, et que cache cette reprise en relatif trompe-l’œil ? Derrière les statistiques flatteuses, continuent de subsister des disparités réelles entre les métiers et les diverses activités du luxe. Et le secteur – que l’on aurait grand tort de considérer comme homogène – a beaucoup changé ces dernières années, d’importantes évolutions des usages se faisant jour, tandis que la concurrence du premium est devenue beaucoup plus tangible et qu’une relative « banalisation » guette aujourd’hui les grandes marques, de plus en plus challengées par de nouvelles concurrentes malgré leurs importants efforts de digitalisation et de transformation…

Ainsi, entre digitalisation à marche forcée, personnalisation accrue de l’offre et accélération du rythme des lancements et autres sorties de collections, l’industrie du luxe ne serait-elle pas en train de perdre de son âme et cette part de mystère qui en a fait la rareté ? Et comment concilier disruption, innovation et préservation de la désirabilité des marques de luxe aux yeux des consommateurs, de moins en moins attachés aux valeurs de distinction sociale et à la possession des produits, à l’heure où la valeur d’usage et l’expérience offerte aux consommateurs tendent de plus en plus à s’imposer comme critères de choix et modalités principales de relation avec les marques ?

Tandis que les jeunes générations se détournent de plus en plus du « luxe de papa » et plébiscitent ces nouveaux acteurs qui savent au quotidien leur apporter cette valeur ajoutée expérientielle et relationnelle, on évoquera dans la suite et fin de cet article tout l’intérêt de réinventer les marques de luxe pour les adapter aux besoins évolutifs des nouvelles générations de consommateurs, sans renier pour autant leur identité ni les sacro-saintes notions de rareté et d’exclusivité, constitutives du luxe.

En attendant la suite de cet article à paraître samedi matin, bonne revue de ces nouveaux enjeux marketing et communication. Ceux-ci sont d’autant plus passionnants que par bien des aspects, l’univers du luxe cristallise à lui seul tous les nouveaux enjeux du branding, et la plupart des contraintes et opportunités offertes par des marchés à la fois matures, internationalisés et hautement sensibles aux évolutions macro-économiques et aux nouvelles tendances de consommation.

Une reprise boostée par les marchés asiatiques et un optimisme retrouvé chez les professionnels du luxe

Il suffit de se référer aux infographies ci-dessous issues de l’étude Luxury Trend Report 2017 pour le constater : sur les différents marchés du luxe, il semble bien que la reprise pointe enfin le bout de son nez !

Et le regain de dynamisme des consommateurs asiatiques, en particulier des consommateurs chinois sur leur marché domestique (deuxième marché mondial du luxe voire le premier en valeur), n’y est évidemment pas pour rien.

Après des années de récession, dans la foulée notamment des lois anticorruption de 2012 (qui avaient été adoptées par l’Empire du milieu pour juguler les pratiques les plus douteuses comme les échanges de petits cadeaux entre officiels) et une sévère correction sur les marchés de l’horlogerie et des spiritueux en particulier, ces marchés et tout le secteur sont repartis à la hausse en 2017, comme en témoignent les bons résultats affichés en Chine par les plus grands groupes internationaux du luxe. Et fin 2017, les professionnels étaient 42% à imaginer que le marché chinois repartirait encore à la hausse en 2018, une anticipation bien plus positive que les années précédentes.

Outre la Chine, le Japon et les autres grands pays asiatiques ont également été mieux orientés en 2017, et cette tendance devrait se poursuivre en 2018, comme ne manquera sans doute pas de le confirmer la prochaine édition de l’étude Bain & Company, à paraître début juin.

« Certains marchés comme la Chine se portent beaucoup mieux. Le retour à une Asie dynamique est crucial pour le luxe », commente Stéphane Truchi, président de l’Ifop, co-auteur avec le magazine Stratégies de l’étude Luxury Trend report 2017.

« Mais le bloc des pays traditionnels du luxe est lui aussi en très bonne santé », ajoute-t’il, avant de noter, parmi les marchés du luxe considérés comme « stratégiques », que le continent africain apparaît pour la première fois dans les propos des professionnels interrogés, certes loin derrière la Chine, les Etats-Unis ou le Japon, mais avec 16% de citations tout de même, illustrant bien les nouvelles opportunités dont ce rebond du marché du luxe est également porteur.

Un ciel certes plus dégagé, mais de nouveaux défis et de nouvelles menaces…

C’est sans doute un des principaux mérites de cette étude Luxury Trend Report publiée en décembre dernier : à côté des bonnes nouvelles et de l’embellie annoncée, elle n’esquive pas les « sujets qui fâchent ».

Après avoir mis plusieurs années à sortir de cette phase de récession dont nous venons de parler et dont nous commençons à peine à nous remettre, l’industrie du luxe s’est efforcée de rattraper son retard dans un certains nombre de domaines cruciaux, à commencer par la digitalisation et l’expérience client.

Mais si la plupart des grandes marques on enfin fait le nécessaire dans ces domaines, de nouveaux défis, pas moins importants d’après les professionnels interrogés, se font jour. Et le premier est incontestablement le relatif manque d’appétence des jeunes générations pour le luxe, en tout cas pour le luxe tel qu’on le connaît aujourd’hui, qui menace de peser sur les perspectives de de croissance du secteur si celui-ci n’y remédie pas.

Autre menaces potentielles identifiées par les professionnels : la trop grande exigence de rentabilité à court terme, qui semble être hélas un dénominateur commun à de nombreux acteurs (41% de citation), la trop forte accélération des lancements et des collections (38% de mentions), mais également aujourd’hui la concurrence de plus en plus féroce des marques premium (comme Sandro ou Tara Jarmon, entre autres) qui taillent désormais des croupières aux maisons de luxe les plus prestigieuses et les plus anciennes.

De nouveaux usages et de nouvelles attentes portés par les millenials…  

Beaucoup a déjà été dit au sujet des millenials. Et dans un précédent billet (à découvrir ou redécouvrir ici), j’avais notamment décrit leurs attitudes et attentes accrues vis-à-vis des marques.

Pour l’industrie du luxe, les millenials font en quelque sorte figure « d’épouvantails ». Unanimement dépeints comme des générations clés, détenant entre leurs mains l’avenir du secteur (de par leur pouvoir d’achat et leur poids démographique), ils sont à la fois perçus comme source d’opportunités et de menaces par des marques traditionnelles souvent déroutées par leurs pratiques.

Plus forcément prêtes à débourser les sommes folles que leur réclament les plus grandes marques, de plus en plus « déconnectées » dans leurs politiques tarifaires, et plus que jamais porteuses de ce grand changement de paradigme que représente la primauté de l’usage sur la possession, les générations Y et Z démontrent une réelle appétence pour le luxe, mais ne sont plus disposées à en acquérir les produits et services aux prix les plus forts.

A ce titre, les nouvelles générations sont au coeur du succès fulgurant des marchés de la location et de la vente d’articles de luxe d’occasion, sur lesquels prospèrent des sites spécialisés tels que Rent the runway, Girl Meets Dress, Chic by choice, Armarium, Panoply City ou Instant Luxe.

Dixit Rebecca Robins, global director chez Interbrand et co-auteure de l’ouvrage Meta-luxury, « Désormais, on est davantage attirés par l’accès à un bien que par son acquisition. Il suffit de constater ce qui se passe dans le secteur de la musique ou de la vidéo. Les biens culturels que nous avions l’habitude d’acheter et d’accumuler sont désormais disponibles à la demande sur Spotify et Netflix. D’est dans cette nouvelle économie que les marques doivent désormais évoluer […] Dans cette époque du Moi, on veut s’approprier les produits à la mode immédiatement et non dans un an. Le statut découle de la façon dont nous sommes perçus et la question de savoir si nos possessions ont fait l’objet d’un leasing ou d’un achat est quasiment insignifiante. »

Ainsi, « les vêtements loués apportent de la valeur lorsqu’ils sont postés en ligne ou partagés dans les stories sur Instagram ou Snapchat », confirme Rebecca Robins… La primauté de l’usage et de l’expérience vécue avec le produit ou le service plutôt que la satisfaction de la possession et de l’identification sociale et statutaire que représente l’acte d’achat : en résumé, une véritable disruption !

Mais il serait réducteur d’imputer la responsabilité de ce changement de paradigme à la seule fantaisie des millenials. Car l’attitude des marques de luxe, souvent isolées dans leur tour d’ivoire, n’est pas pour rien dans ces évolutions, ainsi que le confirme Emmanuelle Brizay, co-fondatrice du site Panoply. Outre le fait que les sites de location et d’achat de vêtements et accessoires répondent à un réel besoin, car les études confirment par exemple qu’on porte un vêtement 7 fois seulement en moyenne, « l’inflation des prix, considérables ces 20 dernières années, se double d’un autre phénomène : on parle de fast fashion pour Zara et H&M, mais la mode elle aussi multiplie les collections, entre pré-automne-hiver et pré-printemps-été, collection Croisière, etc. Le luxe a ainsi perdu de sa durabilité et tout le monde n’a pas envie de dépenser 2 500 euros pour un bomber brodé Saint-Laurent […] On n’investit plus des milliers d’euros pour une pièce fashion qui n’est pas intemporelle… »

… Et auxquels les nouveaux acteurs du luxe répondent souvent mieux que les marques traditionnelles

Dans ces espaces de l’usage et de la primeur de l’expérience client, laissés en partie vacants par les plus grandes marques, de nouveaux acteurs ont eu l’intelligence de s’insinuer… ou de faire une entrée fracassante.

C’est le cas pour toutes ces Indie brands de l’univers de la cosmétique dont j’avais déjà parlé dans cet article. De Glossier, créée par la blogueuse beauté Emily Weiss à Fenty Beauty, lancée avec succès par la chanteuse Rihanna, en passant par Kat von D ou Huda Beauty, ces nouvelles marques des stars de l’influence, à mi-chemin entre marché du luxe et premium sont pour ainsi dire « nativement digitales », mettant en avant une communication léchée conçue pour les réseaux sociaux et en particulier Instagram, où leurs fondatrices comptaient déjà des centaines de milliers ou des millions d’abonnés avant de créer leur marque.

Ainsi, que ces nouvelles marques soient pour ainsi dire des pure players du digital, bâties en quelques mois sur l’influence de leurs fondatrices, ou bien au contraire des marques de niche plus « multicanales », privilégiant le retail et une approche plus personnalisée et artisanale (comme les marques Codage, Sézanne, Everlane ou Maison Martin Morel), ces nouveaux acteurs ont tous en commun une approche disruptive et plus personnalisée du luxe.

Outre la transparence, la traçabilité et l’authenticité de leurs produits, qui en constituent le dénominateur commun, « ce qui réunit également ces nouvelles marques, c’est la collaboration, voire la co-création avec le client » observe Emmanuelle Rigaud-Lacresse, directrice du master Luxury in management de Neoma Business School. « Ces nouvelles marques challengers travaillent en général en réseau et mettent le client au centre de leur développement produit. Les groupes de luxe, au fonctionnement plus classique, sont obligées de se poser des questions. »

Entre digitalisation tous azimuts et primauté de l’expérience client : un nouveau terrain de jeu pour les marques de luxe

Après avoir accusé des années de retard et s’y être mis, pour certaines, avec beaucoup de réticences, les grandes marques de luxe ont mené leur révolution digitale tous azimuts et se sont engagées dans une nouvelle relation avec leurs clients, ainsi que le confirme Déborah Marino, directrice du planning stratégique chez Publicis 133 : « L’industrie a eu un peu de retard au démarrage sur le digital, elle l’a utilisé comme un outil de spectacle mais étonnamment très peu pour connaître ses clients. Après avoir essayé d’être sur tous les points d’interaction – Instagram, Facebook, Twitter, influenceurs – les marques sont à nouveau en quête de cohérence et de storytelling. Depuis deux ans, on constate beaucoup de compétitions sur des plateformes de marque, moins sur des communications pour épater la galerie ».

Outre les Indie brands, dont on vient de parler, de nombreuses nouvelles marques se sont lancées en exploitant ce créneau de l’expérience haut de gamme ou d’exception, partagée ou « augmentée » grâce au digital, auprès de communautés de happy few en quête d’une nouvelle relation au luxe.

Ainsi The collectionist, le « Airbnb des riches », organise pour ses clients des vacances sur mesure dans des propriétés d’exception. Premium conciergerie offre quant à lui des services de conciergerie haut de gamme à une clientèle exigeante, tandis que Culture secrets permet de participer à des rencontres privilégiées avec des artistes, toujours dans cette optique d’expérience exclusive et unique offerte à un nouveau profil de clientèle.

« L’idée de l’entre soi, du secret, de l’expérience en silence devient ainsi une vraie tendance du luxe » souligne Delphine D., directrice de l’agence Brand image.

4 pistes pour rendre de nouveau le luxe désirable…

Mais après s’être immergées parfois complètement dans la technologie et dans une expérience client augmentée par le tout digital, sur les traces de marques précurseures dans ce domaine, comme Burberry, le risque demeure de galvauder l’idée même de luxe et la part de rêve qui lui est attachée.

En sombrant dans une certaine forme de standardisation, par des contenus stéréotypés ou l’alignement des boutiques en rang d’oignons dans des espaces dépersonnalisés (voir cet article intéressant de Christophe Rolland à ce sujet), et en se laissant gagner de surcroît par les vertiges de la fast fashion… un certain nombre de grandes marques tendent à se banaliser, décevant à la fois leur clientèle traditionnelle et rebutant les consommateurs les plus jeunes.

Cherchant à déterminer comment le secteur du luxe pourrait renouveler son discours à l’heure de la standardisation et des technologies omniprésentes, l’agence de design Brand union s’est employée à imaginer comment redonner cette part d’intrigue et de mystère qui en fait l’essence même, convaincue « que le désir naît nécessairement d’une distance à l’objet ».

Et voici ci-dessous les 4 pistes abordées dans son étude « Le luxe a besoin d’imagination »:

1 – Jouer sur la notion de futur et son mystère

Après avoir largement communiqué sur les notions de temps, d’héritage et de transmission, quelle meilleure idée que de jouer la carte des futurs possibles et de redonner place à l’imaginaire ?

Du cognac Rémy Martin, réalisant un film que les spectateurs ne pourront pas voir avant 2115, à la maison Veuve Cliquot, immergeant 350 de ses bouteilles à 43 mètres de profondeur, dans le but scientifique de les déguster dans 40 ans, la notion de futur est propice à un storytelling riche redonnant leur caractère exclusif aux marques de luxe.

2 – Capitaliser sur la surprise de la synesthésie ou l’association de plusieurs sens

Imaginer une odeur à partir d’une couleur, modifier le goût d’un breuvage au fil d’un spectacle son et lumière… L’association des sens est porteuse de surprises et d’imaginaire, comme l’a bien compris Caran d’Ache, associant le parfum subtil du bois du Tibet à la douceur de ses crayons ou bien encore Martin Margiela, créant des fragrances associées à des lieux bien spécifiques.

3 – Surfer sur les charmes de l’insaisissable instant

Les marques de luxe ont compris depuis un moment l’intérêt de travailler sur les notions d’éphémères et d’instants exceptionnels : la création de séries limitées et de pop up stores jouent évidemment sur ce ressort déjà connu.

Enrichissant encore ce thème, l’agence de voyage Black Tomato joue la surprise de l’inattendu et des moments sur mesure en proposant à ses clients de planter une tente 5 étoiles à l’endroit où ils le souhaitent partout dans le monde (désert, jungle…) pour une expérience à la fois unique et marquante.

4 – Se laisser emporter par la poésie des souvenirs inutiles

Les souvenirs nous offrent matière inépuisable à rêverie, avec des voyages aux pays de notre enfance ou des premières amours, comme le souligne l’agence Brand union. S’attacher à convoquer la poésie surannée de la madeleine de Proust, comme les œuvres d’art ont le pouvoir de le faire, permet de créer une expérience inoubliable et personnalisée.

C’est la démarche de l’artiste Quentin Carnaille, imaginant The last watch, une montre qui ne donne pas l’heure – comme pour arrêter e temps – ou bien la marque Hermès en créant un porte galet à l’utilité toute relative…

 

…A côté des promesses technologiques et des expériences digitales certes étonnantes mais virtuelles, quoi de plus intelligent en effet que de redonner sa part de rêve et de mystère à l’univers du luxe, tout simplement ?

 

 

 

Notes et légendes :

(1) 16ème édition de l’étude sur le marché mondial des biens personnels de luxe, publiée par le cabinet Bain & Company le 25 octobre 2017.

(2) 1 160 milliards d’euros = valeur totale du marché mondial du luxe en 2017, incluant les produits et les expériences de luxe ; 262 milliards d’euros = valeur (record) du marché mondial des biens personnels de luxe estimée en 2017 également. 

(3) Luxury Trend Report 2017 : étude publiée par l’Ifop et le magazine Stratégies en novembre 2017, sur la base d’interviews de 277 professionnels du secteur du luxe.

 

Crédits photos et illustrations : The BrandNewsBlog 2018, X, DR.

Authenticité, transparence, engagement… : les nouvelles attentes des millenials vis-à-vis des marques

Objets de toutes les attentions et toutes les convoitises, les millenials sont aujourd’hui sondés, scrutés, auscultés sous toutes les coutures et décryptés par des dizaines d’instituts et une infinité de marques, plus empressées les unes que les autres de comprendre comment elles.ils fonctionnent et de connaître leur moindre désir.

Génération fascinante et mystérieuse à la fois, sujette à nombreux fantasmes (et tant de généralisations hâtives et de stéréotypes), les 18-38 ans représenteront en effet sous peu plus de 50% de la population active mondiale (d’ici 2020) et pas moins de 75% en 2025 !

Bataillons aux profils hétérogènes, ils pèsent déjà d’un poids prépondérant dans les achats de biens de grande consommation et davantage encore dans les perspectives de développement de certains pans d’activité. 85% de la croissance du secteur du luxe leur serait notamment imputable, d’après une étude récente réalisée par Bain & Company¹. Et il n’est pas une entreprise qui n’ait déjà réfléchi, ou ne soit en train de réfléchir à toutes les adaptations fonctionnelles et managériales à mettre en oeuvre pour s’adapter à cette nouvelle population de salariés hyperconnectés et exigeants…

Mais quelles sont exactement les croyances, valeurs et attentes communes à une classe d’âge aussi large ? Et quelles sont les conséquences pour les organisations, les marques, mais aussi les marketeurs et communicants dans leur activité ? Comment séduire et impliquer durablement ces millenials ? Sur la base de quel nouveau « contrat relationnel » et avec quels modèles d’entreprises et de marques ?

Ce sont là quelques-unes des questions passionnantes auxquelles répond l’excellente Revue des marques, en consacrant son premier numéro de l’année 2018 aux relations Marques – Millenials. Un numéro auquel de nombreux experts et instituts d’étude ont apporté leur contribution, cassant au passage quelques mythes et idées reçues et nous livrant un portrait nuancé et inpirant de ces générations qui commencent à bousculer largement les schémas classiques de la consommation et du monde du travail.

En quête de sens et de repères, mais aussi de transparence et d’authenticité, il se murmure en effet que 25% à peine des marques qui existent aujourd’hui trouveraient grâce aux yeux des millenials, les 75% restant leur apportant si peu de valeur qu’elles seraient selon elles.eux destinées à disparaître ! De quoi s’interroger sérieusement sur certaines pratiques… et justifier mon article du jour, dans lequel je vous propose non seulement un résumé des enseignements de la Revue, mais également un condensé de mes convictions personnelles en matière de branding et de communication. Puisque les millenials nous amènent à remiser une fois pour toute le « marketing de papa » au grenier (ou à la cave), elles.ils nous poussent aussi à déployer des trésors de créativité et d’intelligence pour les intéresser et les satisfaire… Une bonne nouvelle pour tous les néo-marketeurs et les néo-communicants !

Les Millenials : une population aux profils et comportements objectivement hétérogènes, mais aux croyances et valeurs relativement partagées…

Comme le rappellent la plupart des intervenants sollicités par la Revue des marques, une des premières erreurs à ne pas commettre au sujet des millenials serait de les considérer comme une population parfaitement homogène, aux profils et comportements communs et bien déterminés.

Car au-delà de la définition purement statistique de cette population, qui regroupe toutes les personnes nées entre 1980 et 2000 (ayant donc aujourd’hui de 18 à 38 ans), quel rapport entre un lycéen ou une jeune étudiante et une personne adulte de plus de 30 ans, potentiellement père ou mère de famille et disposant d’une première voire de plusieurs expériences professionnelles ?

Objets de généralisations hâtives et de stéréotypes tenaces, la perception des millenials a d’ailleurs tendance à varier grandement en fonction du point de vue de celle ou celui qui les décrit : souvent dépeints comme « jeunes », « feignants », « enfants gâtés », « rois du zapping » et « technophiles » par les « X » et les générations plus anciennes, ils se perçoivent évidemment eux-mêmes de manière beaucoup plus favorable, comme « jeunes » et plutôt « technophiles » en effet, mais aussi « innovants », « bohème » et bien plus « cool » que leurs aînés, comme nous le révélait dès 2012 cette étude de référence du Boston Consulting Group : « The Millenial Consumer – Debunking Stereotypes », par Christine Barton, Jeff Fromm et Chris Egan.

De fait, à défaut de profils et de comportements homogènes identifiables sur une population aussi large, en réalité composée de différentes tranches d’âge et de sous-segments, comme ceux proposés ci-dessous par le BCG², il paraît en revanche beaucoup plus approprié et pertinent de parler de qualités communes, d’attitudes, de croyances et de valeurs partagées, comme celles relevées étude après étude par une majorité d’instituts, qui pointent d’abord une aisance évidente avec les technologies numériques (ce n’est pas pour rien qu’on parle de « digital natives ») et un usage beaucoup plus fréquent que leurs aînés des réseaux sociaux modernes (Instagram, Facebook, WhatsApp et Snapchat surtout). Cette aisance avec le digital et cette vie « augmentée » par le web 2.0 et les liens communautaires – en tout cas en Occident – incitent naturellement les millenials à partager davantage et beaucoup plus rapidement que leurs aînés avis, commentaires, réflexions et autres moments de vie, soit publiquement soit en mode « privé », et à se montrer beaucoup plus réactifs à la moindre actualité. L’accessibilité, l’instantanéité et l’universalité de l’information venant sans conteste amplifier cette hyper-réactivité.

Mais enquête après enquête, quels que soient les continents et les pays étudiés, les experts pointent aussi d’autres qualités partagées, attentes et valeurs communes : au-delà de l’information voire la surinformation dont les millenials disposent, une exigence encore plus forte que les générations précédentes vis-à-vis des marques, une capacité pour ainsi dire « innée » à décrypter et à décoder la moindre campagne marketing et les « éléments de langage » de la communication, mais également un réel souci pour la protection de l’environnement, pour les sujets sociétaux et pour l’emploi, ainsi que la préservation de leur santé…

Au-delà des stéréotypes, des millenials beaucoup plus « classiques » et ancrés dans le réel qu’on ne le dit, à la fois marqués par les contraintes économiques… et bien décidés à changer le monde !

Pascale Hébel, Directrice du pôle Consommation et Entreprise du Crédoc et Stéphanie Marty, Directrice du développement client de l’institut Research Now, nous apportent au travers de deux articles de la Revue des marques des éclairages précieux et complémentaires sur ces populations de « Y » et « Z », qui composent la cohorte des millenials.

Ainsi, sur la base d’une étude prospective menée récemment sur les comportements alimentaires de demain et sur les principales tendances de consommation, il apparaît que ces deux populations de millenials ne se comportent pas si différemment des générations précédentes. « Il n’ y a pas d’inversion de tendance constatée dans la manière de consommer. L’évolution des modes de vie se poursuit, nous dit ainsi Pascale Hébel, comme en témoigne le contenu de leurs assiettes. Les jeunes mangent par exemple moins de viande, beaucoup moins de produits bruts, de fruits et de légumes et, a contrario, plus de sandwichs ou de sodas ».

Mais, très influencée par la conjoncture économique et en l’occurrence par la crise de 2007 (qui aura duré pas moins de 10 ans !), cette génération entre ou est déjà entrée dans le monde du travail en étant moins bien payée que les générations précédentes au même âge, malgré un niveau de diplôme globalement supérieur, comme cela s’était déjà passé en 1973 ou en 1993… « Cela crée des inégalités entre les générations, particulièrement en France où l’on constate le plus gros écart de revenu entre les moins de 30 ans et les autres. »

Ces difficultés économiques et ce marché du travail que les millenials subissent, avec le plus fort taux de chômage jamais atteint chez les moins de 25 ans, « impacte non seulement le pouvoir d’achat de cette génération, mais crée également un rapport au monde qui l’encourage à développer d’autres façons de vivre » indique encore Pascale Hébel, soulignant que les Y et les Z partent plus tôt de chez leurs parents que leurs aînés, du fait d’une relation à la famille beaucoup plus distendue chez ces enfants de divorcés. Rien d’étonnant, dès lors, que la valeur d’usage soit en train de supplanter auprès de cette génération la valeur de possession… Si les plateformes d’achat en seconde main, de prêt, de partage et d’échange de compétences ont été aussi plébiscitées par les millenials, avec le succès de start-up comme BlaBlaCar ou Flexdrive, la contrainte économique n’y est évidemment par pour rien.

Et si, chez les 16-21 ans, les préoccupations quotidiennes semblent évidemment différentes de leurs aînés « Y », leurs principales inquiétudes portant sur des problèmes de smartphone, d’accès au réseau ou bien encore la crainte du piratage de leurs comptes sur les différents réseaux sociaux, les millenials de la génération « Z » n’en conservent pas moins un lien étroit avec le réel, comme le confirme Stéphanie Marty d’après les résultats d’une grande étude internationale menée auprès de cette cible spécifique…

« Bien que baignant dans un univers digitalisé, les représentants de la génération Z ne se coupent pas du monde réel… confirme la directrice du développement de Research Now. Leurs amis ne sont pas virtuels : à 78%, ils préfèrent les voir en personne plutôt que de leur parler sur WhatsApp ou Snapchat […] De même, les points de contact avec les marques ne sont pas que virtuels : l’achat en magasin reste une expérience sensorielle appréciée et préférée (67%), même s’il s’agit d’une tendance plus féminine que masculine (72% versus 62%).

Marqués par le même contexte de crise que les « Y » et les mêmes incertitudes concernant leur futur emploi, les « Z », au pouvoir d’achat encore plus limité, se montrent particulièrement raisonnables et réalistes et aspirent à un schéma de vie somme toute très classique. Au-delà de leurs soucis quotidiens de connexion, la première de leur inquiétude est en effet la peur de ne pas pouvoir payer leurs factures et, faute de moyens sans doute, une large majorité des Z affirme préférer rester chez elle (à regarder des séries en l’occurrence) plutôt que de sortir. Les prix et le souci de faire des économies en étant a priori la première raison, quel que soit le pays considéré. De même, les 16-21 ans affirment souhaiter avant tout fonder une famille (32%) qu’ils imaginent avec enfants (44%) et seraient prêt à travailler tout autant dans une entreprise établie (34%) que dans une société qu’ils auraient créé eux-mêmes (28%).

« Y » comme « Z », les millenials aspirent aussi, de manière très affirmée, à changer le monde, avec pour commencer une meilleure prise en compte de l’environnement et de leur santé, comme le confirme sans ambiguïté Pascale Hébel. « L’environnement apparaissait déjà dans nos précédentes études et se développait avec le temps. Mais la génération que nous appelons « nomade » se démarque par un intérêt nettement supérieur pour l’écologie. C’est une mutation majeure chez les plus jeunes, qui ont grandi sous l’ère du Grenelle de l’environnement de 2007. Depuis 10 ans, on ne leur parle plus que de cela, dès les programmes scolaires, si bien que c’est devenu pour eux un prérequis qui va modifier profondément leur relation à de nombreux éléments. Avec l’environnement, la préocuppation nutritionnelle et l’inquiétude pour le capital santé – même à cet âge – s’imposent. »

Transparence, naturalité, authenticité et engagement : ce que les millenials attendent des marques…

Bien que recouvrant des populations ou segments de population hétérogènes, comme on vient de le voir, les millenials expriment pourtant, d’étude en étude, des croyances et valeurs communes et des attentes assez largement partagées.

Plutôt que de vous en proposer une longue énumération, j’ai résumé ci-dessous en une illustration les principales attentes identifiées par les différents experts et instituts cités par la Revue des marques, sous forme d’un nuage de mots-clés…

Dans un article de la Revue au titre explicite (« Génération #NoBullshit »), la fondatrice de l’institut Trend Sourcing, Pascale Brousse, s’arrête en particulier sur trois tendances/attentes des millenials qui selon elle vont changer durablement les produits, les mentalités et la consommation : 1) le degré d’exigence, 2) la quête de sens et 3) La soif de transparence.

S’il est souvent répété ici et là – et ce furent sans conteste les plus nombreux commentaires suite à la parution de la première partie de cet article – que les attentes des millenials tendent en définitive à être les mêmes que celles des autres générations (et c’est relativement normal puisqu’ils.elles sont en définitive les précurseurs d’attitudes et de comportements qu’adoptent ensuite les autres classes d’âge : en ce sens, nous sommes toutes et tous des « millenials » potentiels ), les « Y » et les « Z » se distinguent par la vigueur de leurs attentes et de leur volonté de changement.

Plus exigeants encore que les générations précédentes, ils.elles sont comme je l’indiquais en introduction des champions du décodage marketing, comme le soulignaient il y a déjà quelques années Grégory Casper et Eric Briones dans leur ouvrage « La génération Y et le luxe ». Allergiques aux éléments de langage et aux vieilles ficelles du marketing et de la communication « de papa », ce sont toutes et tous des « enfants de pub » habitués à décrypter depuis leur plus jeunes âges les codes et artifices d’une communication souvent trop bavarde et bonimenteuse, alors qu’ils.elles sont souvent hyperinformés et connaissent déjà parfaitement les forces et faiblesses des produits…

En attente de qualité, de durabilité et d’une valeur d’usage encore supérieure vis-à-vis des produits et services qu’ils achètent, ils.elles sont en effet en quête de sens et se tournent naturellement vers des marques aux partis pris forts répondant à un véritable brand purpose. « Leurs caractéristiques ? nous dit Pascale Brousse, une vraie reason-why et pas de bla-bla marketing. Les millenials, ou comme mentionné dans le titre de mon article la génération #NoBullshit, en ont plus qu’assez des discours éculés et sonnant faux des marques. Ils se tournent vers celles qui racontent une histoire vraie avec du coeur et du sens, qui ouvrent le dialogue avec leurs fondateurs et leur réseau : l’humain, les personnes avant la marque. C’est le passage du product centric marketing  au human centric marketing. Le sens prime le produit. »

Et au-delà de cette quête de sens, les Y et les Z expriment aussi et surtout une soif de transparence, qui va bien au-delà de ce que l’on avait connu jusque-là. Car en adeptes du fact-checking et du tracking, ils exigent de plus en plus de savoir où le produit a été fabriqué, par qui et dans quelles conditions. Non seulement le bien-être des salariés et des sous-traitants sont et seront de plus en plus scrutés, mais les millenials figurent aussi parmi les premiers utilisateurs d’applications telles que Clean Beauty, qui permet de vérifier si son produit d’hygiène-beauté est exempt de substances indésirables. Fans de conscious cosmetic, de clean food et autres green products, ils.elles sont les premiers clients de start-up telles que Think Dirty, qui imagine dès aujourd’hui les objets connectés qui nous permettront demain de tout scanner en rayon et de tout savoir sur n’importe quel produit, substance ou matériau. « Etant donné que 25% des consommateurs américains de 18 à 38 ans prennent déjà le temps de scanner les codes produit figurant sur les packaging, il semble pertinent d’imaginer que d’ici peu, nous serons tous équipés d’appareils portatifs miniatures ou d’applications permettant de faire nos choix de consommation de manière éclairée » ajoute à ce sujet Pascale Brousse. Une évolution des comportements clairement impulsée par les millenials.

Premiers témoins (et aujourd’hui acteurs) de ces bouleversements, les dircom sont progressivement passés d’un statut d’émetteurs, garants de tous les messages de l’organisation à celui de « facilitateurs connecteurs » et de chefs d’orchestre, à l’écoute et au service de tous les interlocuteurs susceptibles de prendre la parole au nom de l’entreprise.

Comment les entreprises et les marques peuvent-elles s’adapter à ces attentes des millenials ? Trois axes structurants sont à privilégier…

Respectivement directrice générale et directrice générale adjointe de Sorgem Advance, Maria di Giovanni et Céline Grégoire nous livrent trois pistes à suivre d’urgence par toute marque soucieuse de répondre aux attentes de ces nouvelles générations de consommateurs que sont les Y et les Z…

1) Premier axe de travail : « densifier le sens » de sa marque

Partant du constat que les marques qui réussissent le mieux auprès des millenials sont celles qui présentent un positionnement « très cohésif, recentré, voire radical et jouant la carte d’une forte densité sémantique et culturelle », comme les fameuses marques indies du make up, développées par des influenceuses ou de petites équipes et souvent concentrées sur un segment bien défini : rouge à lèvres, vernis ou blushs (ex : MUG, Color Pop…), ou bien des marques au positionnement très fort et « bordé » comme Innocent ou encore Red Bull, Maria di Giovanni et Céline Grégoire conseillent aux marques de densifier leur « reason why » à un double niveau. D’une part, en travaillant sur le sens que la marque propose aux consommateurs : plus la promesse et la proposition de valeur seront fortes et claires, plus les consommateurs pourront aisément s’y reconnaître et s’engager et le sens apparaîtra évident. Et d’autre part, en travaillant sur le sens de la marque vis-à-vis de la société, c’est à dire ce que fait la marque pour la planète, la société et l’emploi.

A ce titre, les conseils des deux dirigeantes de Sorgem Advance rejoignent complètement mes analyses et préconisations personnelles, régulièrement exprimées sur ce blog, notamment dans cet article que vous aviez plébiscité il y a quelques mois : « Nouveaux leviers d’engagement : et si on misait sur la bienveillance et la quête du bien commun ? ». De fait, les marques qui réussissent aujourd’hui le mieux sont effet celles qui savent démontrer qu’elles contribuent aujourd’hui à l’intérêt général, ce fameux « bien commun », en développant, en complément de leur offre de valeur principale, une véritable utilité sociale.

2) Deuxième axe de travail : toucher la cible en s’intégrant dans sa culture au travers d’insights pertinents

Si les marques de l’hospitality ont si bien réussi ces dernières années, comme Airbnb, c’est qu’elles ont su capter au bon moment et finement le changement de culture et d’attentes des millenials en matière de vacances et de dépaysement.  En renouvelant complètement l’expérience du voyage, en proposant de vivre les pays de l’intérieur et en adaptant leur sens et leur offre à cette nouvelle culture émergente, ces marques se sont construites sur les bons insights culturels, qui touchent le plus les générations des Y et des Z. Comme les souligne à juste titre Maria di Giovanni et Céline Grégoire, « c’est plus facile bien sûr quand la marque se construit directement sur la culture de la cible ». Mais cela n’empêche pas des marques plus anciennes, comme Moët et Chandon, d’avoir su parfaitement saisir les nouveaux codes culturels de la fête des millenials, en surfant avec bonheur sur l’expérience du « now » et des moments de partage plus spontanés, libres et moins formels que par le passé.

Ainsi, pour les deux dirigeantes, « les insights culturels sont devenus tout aussi importants que les insights consommateurs ». Toucher la personne dans sa culture ET le consommateur dans son quotidien est devenu primordial ».

3) Troisième axe de travail : proposer une expérience personnalisée et rechercher la conversation, pour entretenir une relation toujours plus riche et resserrée avec les millenials

Le succès des marques auprès des millenials repose aussi sur une personnalisation de la relation et de l’expérience offerte à chacun.e, car ils.elles aspirent évidemment à être considérés personnellement, rapidement et avec pertinence. Converser avec sa communauté et savoir faire participer les Y et les Z à l’univers de sa marque sont par ailleurs devenus les autres facteurs clés de succès pour toutes ces nouvelles marques indépendantes ou « de niche » qui affichent aujourd’hui des taux de croissance insolent, au point que Maria di Giovanni et Céline Grégoire n’hésitent pas à le conseiller à toute entreprise…

« La conversation est un puissant antidote à la fin annoncée des marques. Une de ses vertus est de permettre aux interlocuteurs d’évoluer en même temps qu’elle se construit. Si les marques considèrent avec empathie l’esprit critique des millenials, voire l’intègrent dans leur stratégie, elles ont un bel avenir devant elles » […] « Au-delà de la communication digitale, cette vague technologique (IA, outils conversationnels) propulse les marques dans un courant qui va les conduire à entretenir des relations toujours plus directe et resserrées avec les consommateurs, en délivrant des expériences multiples. Les marques qui seront considérées par les millenials seront celles qui conversent avec empathie et sincérité : échangent, interrogent, stimulent, défient, étonnent… et acceptent en retour les remerciements, les recommandations, les pratiques d’influences, mais aussi les critiques et les suggestions. »

Ultime recommandation / axe de travail proposé subsidiairement par Maria di Giovanni et Céline Grégoire : faire évoluer la conception du « premium », pour toutes les entreprises et marques rattachées au domaine du luxe notamment.  Dans cette perspective, il est important de noter que le « premium » ne revêt plus la même signification pour les Y et les Z que les générations passées. Tandis que la conception du premium fondée sur des arguments purement économiques et une dynamique de statut social a en effet tendance à perdre beaucoup de terrain auprès de cette classe d’âge, c’est le besoin d’expérience enrichie et distinctive, porteur d’une différenciation individuelle et communautaire qui est aujourd’hui le plus valorisé par les millenials et symbole de luxe ultime à leurs yeux.

Cette notion d’exclusivité, d’expérience valorisante fournissant l’opportunité d’afficher ostensiblement ses priorités, ses valeurs et sa culture consacre une nouvelle vision du premium, dont les marques de luxe doivent impérativement prendre conscience pour ne pas faire fausse route. Là encore, il s’agit d’affirmer les atouts d’une marque aux partis pris forts et clairs, car le prix n’est plus nécessairement une donnée d’entrée et il est possible à toute marque de se positionner désormais comme pretium dès lors qu’elle pousse l’affinité culturelle au bout se sa logique.

Et Maria di Giovanni et Céline Grégoire de conclure positivement sur ces différents défis : « Notre conviction est que les millenials ne constituent nullement un péril pour les marques, mais dessinent une nouvelle ère, où les acteurs du marketing devront davantage que par le passé se remettre en question. »

Et au sein des organisations, comment gérer cette nouvelle population des millenials ?

Equilibre vie privée-vie professionnelle, quête accrue de sens (à leur action et dans la mission de l’entreprise), modes de travail plus collaboratifs, management moins hiérarchique et plus ressource, opportunités d’engagement (dans le cadre de l’entreprise et au-delà, pour l’intérêt général)… Angelica Mleczko, consultante en bien-être au travail liste pour la Revue des marques les nouvelles attentes des générations Y et Z, en soulignant cette circonstance exceptionnelle que 4 générations différentes cohabitent aujourd’hui dans le monde du travail.

De fait, beaucoup de défis à relever sont dès lors intergénérationnels, mais les enjeux de la révolution numérique, qui bouleversent profondément les marchés, les métiers et le paysage de l’entreprise, incite aussi les organisations à se transformer en profondeur et à repenser leurs organisations et leurs modes de travail et de collaboration.

« Densification du sens » et pédagogie autour de la mission de l’entreprise, « libération » du travail pour le rendre plus flexible en journée et adapter les temps de travail et de télétravail, acculturation des équipes au numérique et à l’innovation, développement du coworking et lutte contre les silos, accompagnement au changement et redéfinition du rôle des managers… les solutions et initiatives sont légion.

Mais comme je le soulignais déjà dans cet article, c’est aussi l’esprit général et les objectifs qui président à cette transformation interne qui doivent être les bons… et cohérents. Il ne s’agit pas de « surfer » sur les attentes de l’une ou l’autre des générations au travail, pour redorer sa marque employeur, en étant en totale contradiction avec la réalité des expériences vécues par le salarié sur le terrain. Là encore, il s’agit d’écouter les millenials, en effet, mais aussi de proposer un sens et une mission crédibles, conformes à la culture de l’entreprise.

Et demain, tous millenials ?

On le voit : les attentes des millenials sont certes spécifiques, pour un certain nombre d’entre elles, mais comme le soulignent – à raison – plusieurs observateurs avertis, les différents experts et analystes seraient bien inspirés de rester humbles et prudents car il demeure en partie illusoire de prétendre définir rigoureusement et étroitement cette génération, tant ses attentes tendent de plus en plus à s’imposer comme de nouveaux standards pour l’ensemble des générations qui les ont précédé. En particulier pour les individus qui en partagent déjà les croyances et les modes de vie : citadins occidentaux hyperconnectés, en quête de transparence et d’une nouvelle relation vis-à-vis des marques…

Dixit Christophe Chaptal de Chanteloup, Directeur général de CC&A et président de l’APCI, qui dispose d’un avis tranché sur la question : « Vouloir définir et cadrer les millenials est une erreur. Cette génération est très diverse, et on peut en définitive se considérer millenial à 50 ans. Ce n’est pas tant une question d’âge que de mentalité. Si on n’a jamais eu accès à l’information aussi vite et aussi complètement, il n’y a pas pour autant de millenial type. »

Bref : sur ces questions de génération, comme toujours, force est de constater que le débat reste ouvert ! ;-)

 

 

Notes et légendes :

 

(1) Etude réalisée par Bain & Company, Le Monde – 26 octobre 2017

(2) Etude du Boston Consulting Group : « The Millenial Consumer – Debunking Stereotypes », par Christine Barton, Jeff Fromm et Chris Egan – 2012

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, La Revue des marques, The BrandNewsBlog, X, DR.

Pourquoi les comportements des consommateurs et des marques sont si imprévisibles… et les leçons à en tirer

Si l’on a autant parlé de Richard Thaler, le tout nouveau lauréat du Prix Nobel d’économie, c’est peut-être en raison de sa personnalité et de son charisme indéniables, bien entendu, mais c’est évidemment avant tout pour la qualité et l’originalité de ses travaux, assurément iconoclastes.

Co-inventeur du concept de « nudge »¹ (avec le juriste Cass Sunstein), Richard Thaler aura eu le mérite, à force de pédagogie et d’obstination, de faire entendre cette évidence aux plus orthodoxes des tenants de l’économie classique : non, la théorie des marchés efficients, longtemps érigée en dogme et qui présuppose que tous les agents économiques adoptent spontanément un comportement rationnel conforme à leurs intérêts, et que leur interaction aboutit nécessairement à un équilibre optimal, n’est absolument pas conforme à la réalité. Et ses postulats et conclusions sont démentis par toutes les observations de terrain…

De fait, ainsi que l’ont démontré ces deux autres pionniers de l’économie comportementale que sont Daniel Kahneman (Prix Nobel 2002) et Robert Schiller (Prix Nobel 2013), l’irrationalité prévaut le plus souvent dans les arbitrages et comportements de la plupart des agents économiques, dont les décisions sont d’abord déterminées par leur psychologie/culture, mais varient également en fonction du contexte, de l’environnement et de leur interprétation des informations disponibles à un instant « t ».

Ami.e.s marketeurs.euses et communicant.e.s, ce constat tonitruant, claironné par trois « Nobels » au nez et à la barbe des tenants de l’économie classique… est tout aussi applicable à nos disciplines du marketing et de la communication évidemment, n’en déplaise à toutes celles et ceux qui voudraient en faire les soeurs cadettes ou de lointaines cousines des sciences « dures » !

Et ce ne sont ni les big data ni les méthodes analytiques traditionnelles qui permettent hélas d’expliquer pourquoi, année après année, les consommateurs se disent de plus en plus enclins à « consommer responsable »… tout en modifiant aussi peu leurs comportements et habitudes d’achat au quotidien, pour ne citer que cet exemple.

Pourquoi de telles incohérences dans les comportements individuels ? Et comment en tenir compte pour promouvoir une consommation plus éthique et responsable, notamment ? Pourquoi les marques elles-mêmes se comportent si souvent de manière peu rationnelle ? Et quels enseignements en tirer ?

Vous l’aurez compris : au travers de ce rappel et des flagrants délits d’irrationalité que je m’apprête à évoquer ci-dessous, c’est bien à une leçon d’humilité et de réalisme que je vous invite dans mon article du jour. Pour ne plus se prendre les pieds dans le tapis de la psychologie du neuro-consommateur… et adapter modestement mais efficacement nos stratégies, en étant conscients de nos propres lacunes et incohérences. Car soyons lucides au moins un moment : nous ne sommes pas plus rationnels que nos publics, assurément…

Des consommateurs beaucoup moins rationnels que ce qu’on lit dans les manuels… 

Je parle régulièrement du Mercator, je pourrais aussi bien citer les ouvrages de référence de Philip Kotler et Bernard Dubois (Principes de marketing ou Marketing management) et de multiples autres : étayés de nombreux schémas, matrices et autres asymptotes religieusement analysés et décryptés dans les écoles, les manuels de marketing et de communication donnent souvent à voir une image idéalisée et volontiers « scientifique » de nos métiers.

Les différents agents économiques, à commencer par les consommateurs évidemment, mais également les entreprises et les marques elles-mêmes y sont présentés comme des acteurs fondamentalement rationnels, dont les comportements reflètent le plus souvent leurs intérêts et peuvent être par conséquent aisément anticipés, pourvu de deviner les attentes et désirs des uns et de connaître la stratégie des autres, que ce soit au moyen d’enquêtes « déclaratives » traditionnelles ou bien d’études et de benchmarks poussées. A peine a-t-on commencé à s’intéresser vraiment, ces dernières années, aux « parcours clients » et aux enseignements des sciences comportementales pour analyser et influencer les décisions d’achat, en s’appuyant principalement sur les ressources du numérique et en priant pour que le traitement des big data vienne définitivement éclairer ce paysage mouvant des attentes consommateurs et transformer les hypothèses en certitudes…

Las, ainsi que le répètent judicieusement Michel Badoc et Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou, dans leur dernier ouvrage paru aux éditions Eyrolles², alors que le consommateur se croit lui-même conscient et parfaitement rationnel, son cerveau lui, prend souvent des décisions inconscientes et irrationnelles.

Et le grand biais des enquêtes dites « déclaratives », par questionnaire interposé et quel qu’en soit le sujet, est assurément d’induire de la part de celles et ceux qui y répondent des réponses convenues, ne reflétant en rien leur pensée profonde.

De fait, comme le rappellent les deux professeurs à HEC, « par crainte d’être jugée ou d’avoir mal compris, la personne interrogée répond souvent ce qui lui semble correct, correspondant fréquemment à la pensée commune. C’est en particulier le cas lorsqu’elle est questionnée sur des sujets délicats tels que le racisme, la politique, la mort, l’argent les addictions, la vieillesse, l’épargne, le risque d’accident, les relations familiales… touchant directement son intimité et sa sensibilité ». Et l’amplitude des erreurs d’appréciation qui en découlent est telle (de même que lorsqu’on demande à des individus de verbaliser eux-mêmes ce qu’ils éprouvent), que toutes les conclusions qui sont tirées de ce genre d’enquêtes s’avèrent le plus souvent erronées et induisent ensuite des stratégies ou réactions inappropriées de la part des marques et des médias, notamment. On en a hélas l’illustration à chaque nouvelle échéance électorale, dans la plupart des pays occidentaux aujourd’hui, pour ne citer que cet exemple connu.

Et en définitive, le « neuro-consommateur » que nous sommes tous, c’est à dire « ce consommateur largement soumis aux automatismes inconscients ou hors de la conscience de son cerveau » tel que le définissent Michel Badoc et Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou, voit la plupart des décisions importantes de sa vie quotidienne ainsi que ses processus d’achats fortement influencés par ses émotions et ses désirs… plutôt que par le fruit d’un raisonnement éminemment rationnel.

De nombreuses « incohérences comportementales » au regard des schémas déclaratifs et analytiques traditionnels peuvent évidemment en découler…

Le « neuro-consommateur » : un consommateur aux comportements parfois imprévisibles, voire incohérents avec ses propres déclarations / prises de position « conscientes » 

Un des exemples les plus flagrants de ces incohérences comportementales des consommateurs était rappelé récemment par Alain Anquetil, professeur de philosophie morale et d’éthique des affaires à l’école de management Essca, dans un article du Monde intitulé « Pourquoi nous ne consommons pas responsable »³.

Alors que j’ai moi-même fait régulièrement écho, sur ce blog, de ces nombreuses études encourageantes tendant à prouver que la responsabilité sociale et environnementale des marques devenait un sujet de plus en plus important pour leurs client(e)s – selon une enquête de l’institut Lab42¹ menée en 2014, 84% des consommateurs américains se disaient par exemple prêts à payer davantage pour un service ou un bien délivré par une entreprise « socialement responsable » – Alain Anquetil ne manque pas de pointer, dès le début de son article, ces nombreuses enquêtes mettant a contrario en évidence le fossé abyssal entre les belles déclarations d’intention des individus sur l’importance d’une consommation responsable… et la réalité de leurs actes d’achat.

De fait, et quoiqu’en dise tous les « gourous » de la RSE, à l’exception des défenseurs les plus assidus de la cause environnementale, la majorité des consommateurs a beau se déclarer plus soucieuse de ces questions, cela ne se traduit hélas que très marginalement dans ses comportements quotidiens et décisions d’achat : un effort encore très insuffisant au regard de l’appel et du cri d’alarme lancés ce mardi par 15 000 scientifiques de 184 pays pour sauver la planète !

Pourquoi un tel décalage et de telles incohérences dans les conduites individuelles à l’égard de l’environnement ? D’après Alain Anquetil et un courant de recherche de plus en plus important, les consommateurs tiendraient en définitive inconsciemment une sorte de « comptabilité morale » de leurs propres faits et gestes.

Le but de cette comptabilité morale ? « Non pas de faire le bien à tout prix, hélas, mais plutôt d’équilibrer les biens et les maux, les bonnes actions et les mauvaises, pour préserver avant tout leur réputation, au travers de leurs déclarations, tout en maintenant leur équilibre psychique en ayant le sentiment de participer à l’évolution de leur temps » (!)

Dans la pratique, cet artifice moral inconscient donnerait aux consommateurs une justification pour ne pas se comporter ou acheter systématiquement de manière plus responsable, en dépit de leurs bonnes intentions. Il comblerait à la fois le souci de désirabilité sociale de chaque consommateur, de donner une image positive de lui-même à autrui, tout en assurant par le biais de déclarations publiques un certain statu quo, une équilibre psychologique en définitive confortable mais en définitive « perdant-perdant » pour la cause écologique, en tout état de cause…

Cette thèse d’une « compatibilité morale » des consommateurs, plutôt navrante en terme d’éthique et de résultats, serait hélas en passe d’être confirmée par plusieurs études comportementales récentes et travaux en psychologie.

Des marques souvent et/ou largement irrationnelles également

Les entreprises et les marques sont, encore davantage que les consommateurs eux-mêmes, représentés dans la littérature économique et dans les manuels marketing comme des acteurs parfaitement ou en tout cas le plus souvent rationnels. Composées de collectifs de collaborateurs eux-mêmes guidés/pilotés par des managers et une direction générale, ces « personnes morales » œuvreraient nécessairement et naturellement dans un sens bien déterminé, une de leur première finalité étant, on le rappelle, de dégager de la valeur, pour leurs actionnaires en premier lieu bien sûr quand il y a lieu, mais également pour leurs autres parties prenantes : clients, collaborateurs, partenaires, etc.

Dans la pratique, même si peu de recherches ont eu pour objectif final de prouver de manière un tant soit peu méthodique et exhaustive l’irrationalité des entreprises, un certain nombre d’études et de travaux, sur des périmètres ou des domaines d’intervention et de décision bien déterminés, laissent pourtant clairement à penser là aussi que des incohérences, voire la subjectivité même des dirigeants, peuvent fortement influencer leur action, dans un sens parfois contraire aux recommandations de la raison et à leurs propres intérêts…

Brillant psychanalyste, Saverio Tomasella a ainsi démontré, au fil de ses travaux et collaborations avec diverses entreprises, dans l’univers du luxe notamment, comment « l’inconscient de la marque » est susceptible de déterminer leurs décisions/leur histoire et d’en imprégner fortement toute la communication.

Pour lui, ainsi qu’il le rappelle dans cette conférence donnée dans le cadre d’un séminaire de recherche international organisé par la Chaire Marques & Valeurs de l’IAE de Paris, « si les marques ne sont pas des personnes, elles sont en revanche en relation avec un très grand nombre de personnes » (consommateurs, distributeurs, partenaires, collaborateurs…) dont les projections et les discours finissent par construire et définir la marque, celle-ci pouvant au final être considérée comme l’addition des récits qui sont produits à son sujet.

Ainsi, c’est en étudiant ce qu’il appelle « l’archogénèse » des marques, c’est à dire leur histoire et celles de leurs dirigeants + toutes les formes et modalités de discours qui les ont peu à peu construites, que Saverio Tomasella a pu constater combien « l’inconscient de marque » était important et pouvait imprégner leurs décisions et toutes leurs campagnes de communication successives. Dans le cas de Lancaster par exemple, griffe de luxe créée à Monaco par deux frères marqués par la disparition précoce de leur père, les publicités ont longtemps témoigné de ce passé et cet inconscient en colportant l’image du deuil et de l’absence, au travers des regards absents de femmes-objets traitées de manière onirique, comme l’explique très bien le psychanalyste.

De même, au-delà des discours et des campagnes de communication, Saverio Tomasella démontre comment les décisions successives de nombreuses marques ont pu être/peuvent être influencées au quotidien par la psychologie et l’histoire de leurs dirigeants et leurs collaborateurs, les relations de ceux-ci à leur propre entreprise étant le plus souvent éminemment émotionnelles… et irrationnelles.

Dans un tout autre domaine, celui des fusions-acquisitions en l’occurrence, le professeur Roger Martin donne quant à lui une autre illustration édifiante de l’irrationalité, parfois extrêmement coûteuse et désastreuse pour toutes les parties prenantes, de certaines entreprises.

Dans un article dont je vous recommande fortement la lecture, cet enseignant à la Rothman School of Management de Toronto nous explique en effet pourquoi, bon an mal an, 70 à 90% des acquisitions se soldent par de terribles fiascos, exemples à l’appui. Revente par Google, pour 2,9 milliards de dollars, de la division mobile de Motorola acquise en 2012 pour 12,5 milliards ; Passage par pertes et profits, dans les comptes 2015 de Microsoft, de 96% de la valeur de la division mobiles de Nokia, pourtant acquise pour 7,9 milliards de dollars en 2014 ; revente catastrophique (pour un montant 20 fois inférieur au prix d’acquisition) de Myspace par NewsCorporation… Les exemples de deals faramineux réalisés ces dernière année et conclus par des faillites géantes ou de véritables déroutes financières sont hélas légion.

Et pour Roger Martin, l’irrationalité ou le manque de recul flagrant des acquéreurs (et de leurs dirigeants) est la plupart du temps en cause, avec des achats réalisés à des prix excessifs et complètement déraisonnables, qui s’avèrent le plus souvent impossibles à rentabiliser, à moyen et long termes.

La raison de ce fiasco ? Le professeur canadien en dresse un constat impitoyable et contre-intuitif : les acquéreurs qui se focaliseraient sur une « cible » uniquement ou principalement pour ce qu’elle peut leur rapporter et pour la valeur qu’ils peuvent ensuite engranger pour eux-mêmes ont considérablement moins de chances de rentabiliser un jour leur deal que ceux qui se focalisent d’abord sur la valeur qu’ils peuvent apporter à leur acquisition !

Dixit Roger Martin : « Lorsqu’un acheteur est en mode « preneur », le vendeur peut faire monter le prix d’achat pour retirer de la transaction toute la valeur future cumulée – notamment si un autre acquéreur potentiel se manifeste. Microsoft, Google, HP et NewsCorp ont par exemple payé leurs acquisitions au prix fort, et pour cette seule raison, il leur aurait été difficile d’obtenir une rentabilité sur le capital investi […] Les sociétés qui se focalisent sur ce qu’une acquisition est à même de leur rapporter ont beaucoup moins de chances de réussir que celles qui se focalisent sur ce qu’elles ont à apporter à cette acquisition. »

Et l’ex doyen de l’université de Toronto de lister les 4 principaux leviers de réussite d’une acquisition : pour apporter une véritable valeur ajoutée à la société achetée, l’acquéreur doit au choix :

  1. …lui fournir tout le capital dont celle-ci a besoin pour croître et qu’elle ne trouverait pas nécessairement sur le marché ou auprès d’autres investisseurs ;
  2. …la doter d’une direction stratégique, d’une organisation et d’une rigueur opérationnelle de meilleure qualité  ;
  3. …améliorer la performance de son acquisition en procédant directement à un transfert spécifique (de compétences, d’actifs ou de potentiel) dont celle-ci est dépourvue (par exemple : redéploiement de personnels spécifiques en faveur de la société acquise) ;
  4. …partager avec la société acquise une compétence ou une ressource plutôt que la transférer : il s’agit alors d’une simple mise à disposition.

Las, ainsi qu’en témoignent les chiffres, la grande majorité des acquéreurs n’ont hélas pas la sagesse de réfléchir en ces termes avant une acquisition, plus souvent faite sur la base de critères irrationnels et émotionnels que dans une optique de consolidation ou de collaboration réciproque, pointe encore Roger Martin…

Comment mieux tenir compte de cette irrationalité… pour agir et communiquer plus efficacement ?

On vient de le voir : les incohérences dans le comportement des entreprises et des consommateurs sont hélas beaucoup plus fréquentes que ne veulent bien l’admettre les manuels d’économie, de marketing et de communication.

Pour en tenir compte, sans entrer dans de trop longs développements car j’y reviendrai très certainement dans les colonnes de ce blog, il importe d’être à la fois conscient de ces incohérences, de rester humble dans la formulation de ces hypothèses et la mise en œuvre de ses plans d’actions… et de se mettre à niveau en acceptant cette irrationalité et en adressant de manière spécifique les émotions et la fibre émotionnelle de ses publics.

Ainsi, pour être efficace, et j’y reviendrai là aussi ultérieurement, il ne suffit plus à une communication RSE d’être factuellement exacte et étayée de preuves, il faut toucher émotionnellement la fibre environnementale et parentale de ses publics, dont les générations actuelles seront comptables auprès de leurs descendants de l’état dans lequel nous aurons laissé notre planète. Argumenter, prouver voire culpabiliser ne suffiront plus : il faut trouver le déclic émotionnel et motivation profond susceptible de faire enfin évoluer les comportements dans le bon sens.

De même, dans le management comme dans les formations au leadership des entreprises, serait-il intéressant de sensibiliser les futurs dirigeants à l’analyse de leurs propres émotions et au besoin à la prise de recul, ainsi que je le suggérais déjà dans mon précédent article au sujet des enjeux de pouvoir en entreprise et du leadership bienveillant. Car être conscient de ses propres failles et incohérences est évidemment la première étape incontournable avant d’apprendre progressivement à s’en affranchir / les dépasser…

 

 

Notes et légendes :

(1) Le concept de « nudge », conçu par l’économiste Richard Thaler et par le juriste Cass Sunstein correspond à une « incitation douce » ou « coup de pouce » donné à un individu ou à un consommateur pour modifier son comportement. Les nudges sont une réponse au manque de rationalité constaté des individus, qui s’explique par de nombreux biais identifiés dans le cadre de l’économie comportementale…

(2) « Le Neuro-consommateur : comment les neurosciences éclairent les décisions d’achat du consommateur », par Michel Badoc et Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou, éditions Eyrolles – octobre 2016

(3) « Pourquoi nous ne consommons pas responsable », par Alain Anquetil, Le Monde – 12 octobre 2017

 

Crédit photos et illustrations : 123RF, Yuni Yoshida (série d’images issue de l’exposition « Imaginatomy » tenue au Laforet Museum d’Harajuku en novembre 2014), TheBrandNewsBlog, X, DR

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