Génération « K » : une horde de Z prête à changer le monde… et les marques

Génération « K » comme Késako ? Après les « X » les « Y » et les « Z » que l’on avait à peine commencé à apprivoiser, voici qu’un nouveau concept a fait son apparition depuis quelques temps dans la sémantique générationnelle : la génération « K ».

Pour celles et ceux de mes lecteurs qui nourrissaient déjà quelques doutes sur ces approches générationnelles, voici la goutte d’eau qui pourrait bien faire déborder le vase…

Mais pas de panique ! Les « K » dont on commence à nous parler ici et là ne seraient pas la prochaine classe d’âge observée au berceau, ni de futurs envahisseurs venus de la planète Krypton : c’est tout simplement le nom donné à une majeure partie des « Z » par une brillante économiste anglaise, Noreena Hertz, à la suite d’une importante étude menée par ses soins auprès de cette génération de millenials, en référence à la jeune héroïne guerrière de la tétralogie des Hunger games, Katniss Everdeen (voir plus loin mes explications à ce sujet¹).

En quoi cette génération « K » ou « KZ » se différencie-t-elle des précédentes (« Y » et « X » surtout) ? Quelles sont ses caractéristiques démographiques et sociologiques ? Quelles sont ses croyances, ses rêves et ses pratiques ? Quelles sont ses références culturelles et quelle relation entretient-elle au monde et à la consommation ? Et qu’attend-elle plus particulièrement, pour finir, des entreprises et des marques ?

C’est à ces différentes questions que je vous propose de répondre aujourd’hui, en compagnie de Georges Lewi, grand expert des marques, sociologue et mythologue, qui vient de publier un passionnant ouvrage sur cette nouvelle cohorte de « Z », bien décidée à changer le monde²…

Après avoir voulu intituler son dernier opus « Génération (KZ), mode d’emploi », il a finalement préféré opter pour « Génération Z, mode d’emploi », ainsi qu’il nous l’explique ci-dessous. Mais ne nous y trompons pas : c’est bien de « K », de « Z » et de « nouveaux millenials » qu’il va nous entretenir aujourd’hui. Et il en convaincra plus d’un / plus d’une je pense de l’intérêt de se pencher sur ces nouvelles générations porteuses de nouveaux modes de vie et de pensée !

Qu’il soit ici remercié pour sa disponibilité, son sens du partage et sa bienveillance, mais également pour son féminisme ardent. Car qu’on se le dise – et comme vous pourrez le lire ci-dessous – les nouvelles générations seront féministes, ou ne seront pas !

Le BrandNewsBlog : Bonjour Georges. Tout d’abord, si vous me permettez, ce n’est pas la première fois que vous écrivez sur ce sujet des « millenials ». Dans un précédent roman, Bovary21 – une Madame Bovary transposée au XXIème siècle – vous réinvestissiez le mythe de l’espoir féminin à travers la vie et le regard d’une jeune blogueuse… Pourquoi une telle fascination pour la jeunesse dans vos travaux et publications ?

Georges Lewi : Mon métier de consultant en branding et storytelling est d’essayer de comprendre la société pour permettre aux marques de se positionner au mieux, d’écrire un storytelling efficace, de tirer le meilleur de leur savoir-faire.

Non seulement les millenials sont l’avenir de la société, de la consommation mais ils en sont surtout la dominante culturelle. C’est dans la jeunesse et les minorités que se trouve l’expression d’une société. Les plus anciens ne font souvent que bégayer la musique de leurs propres vingt ans…

Enfin, il semble effectivement que les temps nouveaux soient nés avec Internet, c’est-à-dire il y a à peine vingt ans : générations Y et Z. Aujourd’hui même, pour chacun d’entre nous, quel que soit notre âge, l’époque pré-Internet s’apparente à de la lointaine préhistoire. Se concentrer sur les millenials me paraît donc une posture de survie.

Le BrandNewsBlog : Votre livre s’intitule « Génération Z, mode d’emploi », mais vous utilisez également le qualificatif de « nouveaux Millenials » pour décrire ces jeunes que vous avez étudiés. Pour lever toute ambiguïté, pourriez-vous nous rappeler qui sont exactement les « Z » : de quelle tranche d’âge parlons-nous, par rapport aux générations « X » et « Y » ? Et quelle distinction faites-vous avec les « millenials » pris dans leur ensemble ? Il me semble que les anglo-saxons considèrent que ce sont à la fois les générations « Y » et les « Z », mais étudier un groupe aussi large a-t-il du sens à votre avis ? Certains millenials travaillent et sont déjà parents, tandis que d’autres sont encore des enfants scolarisés…

Georges Lewi : On considère que les Z, les « vrais » millenials, sont nés avec le millénaire. En l’an 2000. Comme les Y étaient nés autour de 1980 et qu’une génération, c’est 15 ans, les Z naissent à partir de 1995. Les X, génération qui précède les Y, sont nés vers 1965. La génération d’avant ce sont les babyboomers, ceux qui naissent juste après la guerre de 1939/1945. Ce sont eux qui ont « fait » mai 68.

Chacune de ces générations a sa raison d’être et son moment de gloire. Les babyboomers écoutent les histoires de guerre de leurs parents, font l’Europe pour tuer la guerre, profitent du boom économique et le conteste en 68. La génération X est la génération du silence. Venir après les soixantuitards était une gageure. Ils bossent, subissent la crise majeure des années 75 (le premier choc pétrolier) et se taisent. Comme leurs grands-parents qui avaient vécu la guerre, ils construisent une génération de taiseux. Toujours au travail, ils considèrent souvent avoir perdu leur vie. Ces 2 générations se révèlent dans des rêves collectifs.

Les Y, sur lesquels on a énormément écrit, sont à l’inverse plutôt individualistes. Ce sont les fameux « digital natives ». Ils sont nés avec l’ordinateur puis ont découvert Internet. Mais ils l’utilisent « égoïstement ».

Les Z sont intéressants car ce sont des « social natives ». Ils sont nés avec les réseaux sociaux. Tout le contraire d’individualistes, mais plus du tout des « collectivistes » comme le furent les babyboomers et les X. Ils se construisent des communautés, chacun à son échelle, souvent petites, sans cesse fluctuantes mais bien vivantes. Et ils inventent ou plébiscitent presque chaque jour de nouveaux réseaux sociaux…

Comme la « GENZ » est récente, et qu’on ne sait pas encore comment l’appréhender, il est facile de parler de millenials en assimilant Z et Y. Mais en raisonnant ainsi, on risque d’aller au-devant de vraies surprises !

Le BrandNewsBlog : Pour évacuer ce type de réserve et de critiques d’emblée, certain.e.s de nos lecteurs et lectrices sont très circonspect.e.s sur ces approches générationnelles, arguant notamment du fait que les comportements et attentes attribuées spécifiquement aux « Y », aux « Z » ou « KZ¹ » sont souvent communs aux autres générations, en définitive. Je ne partage pas forcément ces réserves car il me semble incontestable qu’il existe bien des caractéristiques démographiques, sociologiques et comportementales propres aux uns et aux autres, de même qu’il existe des comportements trans-générationnels et communs. Est-ce aussi votre avis ? Et que répondez-vous aux détracteurs de tels ouvrages ?

Georges Lewi : Peu importe les générations. Mais on ne peut nier qu’Internet a bouleversé les comportements, et que les « digital natives » se sont façonnés des attitudes venues de cette nouvelle manière de regarder le monde, les entreprises, la mondialisation, la consommation et sans doute leur voisin de palier…

Même si les babyboomers se servent très bien d’une tablette, ce n’est pas leur culture première. Quand à 12 ans, on a eu l’habitude de partager ses photos d’anniversaire ou de vacances avec son « réseau », cela va créer pour toujours une exigence de transparence, une quasi nécessité de tout voir et tout savoir, tout le temps.

La transparence est comme une seconde nature pour les Z, dès leur plus jeune âge. Et même s’ils le voulaient, ils ne pourront plus effacer cette quête. Autrement dit, peu importe en définitive les générations, ce qu’il faut retenir ce sont les faits générateurs de nouvelles attitudes et de nouveaux comportements. Ce sont les ruptures majeures comme ce fut le cas avec l’arrivée de la voiture, de l’électricité, de l’électroménager, de l’avion pour tous, de la pilule… Nous sommes tous les enfants de notre temps. Et les enfants de Facebook existent bel et bien.

Le BrandNewsBlog : Après d’importants travaux menés auprès de 2 000 jeunes filles aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, l’économiste anglaise Noreena Hertz a eu l’idée de rebaptiser une partie des « Z » en « génération K » (ou KZ), en référence à Katniss Everdeen. Quelles sont les principales caractéristiques de cette génération et en quoi la jeune héroïne de la tétralogie de films Hunger Games en est-elle la représentante parfaite / le symbole ?

Georges Lewi : Je voulais appeler mon livre « Génération(K)Z » mais mon éditeur, à juste titre a maintenu un titre plus raisonnable, plus compréhensible tout de suite.

Katniss Everdeen est l’héroïne de Hunger Games, dont le premier roman sort en 2009 et le film en 2012. Elle est née la journée de la femme, le 8 mai, et prend la tête de la lutte contre la tyrannie qui opprime son peuple. C’est une survivante des arènes où le « système » la force à combattre pour sauver sa tribu, ce qu’elle fait très bien avec son arc et ses flèches. « Je m’appelle Katniss Everdeen. J’ai dix-sept ans. Je viens du district Douze. Il n’y a plus de district Douze. Je suis le geai moqueur. J’ai abattu le Capitole. Le président Snow me hait… » « Et si tu te fais tuer ? » demande Coin – « N’oubliez pas de filmer. Ça fera d’excellentes images » répond Katniss.

Belle, courageuse au-delà des mots, presqu’innocente, tueuse et storyteller de sa propre vie. C’est elle qui sauve sa tribu, l’humanité. Elle représente ces super-women que nous admirons désormais. Son temps est aussi arrivé  – #metoo – nous dit-elle en filigrane. Le temps des héros est celui des héroïnes. Car bien qu’elle soit aussi forte, aussi courageuse, elle n’a d’autre ambition que d’accomplir sa mission. C’est une héroïne sans arrière-pensée de pouvoir. Voilà pourquoi elle symbolise cette nouvelle génération.

Le BrandNewsBlog : Vous dressez dès votre introduction le portrait d’une génération « résolument féministe » et ultra-connectée, « résiliente » et volontiers idéaliste car bien décidée à réinventer le monde et à lutter contre les inégalités, mais aussi adepte de l’immédiateté, « de la transparence et du pragmatisme ». Une génération à la fois romantique et lucide, soucieuse de changer les choses bien qu’elle hérite selon vous « d’un passif difficile à porter »... Mais le portrait n’est-il pas un brin idyllique ? N’est-ce pas le propre de toute nouvelle génération de susciter à la fois autant d’espoirs et de craintes ? Et n’avons-nous pas tendance à projeter sur les plus jeunes (les « Z » aujourd’hui, les « Y » hier) nos illusions perdues et nos propres rêves d’amélioration du monde ?

Georges Lewi : Ce qui caractérise notre époque, c’est que les générations précédentes ont « pourri le monde », au sens premier. Que les Z veuillent tout de suite des résultats est un corollaire de leur culture numérique où « ça ne traîne pas ». On garde ou on spam. On plébiscite ou on fustige. Pas de milieu, pas de quartier ! On veut tout savoir tout de suite et on juge sans perdre de temps… Mais dans le même temps on sait rire de soi, en mode « lol » ! Sans s’énerver… Ce cocktail est vraiment nouveau : Exigence, Transparence, Immédiateté, sans cri ni insulte. Tout en humour et en restant « cool ».

Comme si cette « GENZ » était à la fois adolescente et mature. C’est pourquoi on peut parler de résilience. Ils sont plus forts car ils sont plus meurtris par la situation géopolotique et environnementale mais ne hurlent pas pour autant. Ils agissent. Pas comme le souhaiteraient certains leaders politiques, dans lesquels ils ne se reconnaissant pas vraiment, mais qu’ils côtoient quand ils les amusent ou les surprennent.

Chaque génération nouvelle suscite des espoirs mais celle-ci a tout pour les tenir car elle a conquis le vrai pouvoir et il est désormais numérique !

Le BrandNewsBlog : « Kiffeurs » en quête d’authenticité, « Zappeurs » capables de passer sans transition de l’adulation à l’oubli, « rebelles et angoissés », les « Z » semblent porter en eux beaucoup de contradictions mais très bien les assumer. Vous dites que trois piliers fondamentaux ou plutôt trois « illusions » les caractérisent : 1) volonté de transparence ; 2) affirmation du féminin et 3) obsession de la rencontre… Pouvez-vous nous en dire davantage sur chacun de ces piliers et pourquoi utiliser le terme « d’illusions » ?

Georges Lewi : Comme je l’ai dit à l’instant, la transparence, vertu née des réseaux sociaux, est devenue une seconde nature. « Dis-moi ce que tu postes, je te dirai qui tu es ». Les Z exigent la transparence de toutes les élites et institutions, à commencer par le gouvernement, les entreprises, les marques…

Le féminin de cette génération – à l’image de Katniss – s’impose même culturellement avec les boucles d’oreille pour homme, par exemple. Les garçons/les hommes ne savent même plus comment parler des filles/des femmes. On sait qu’on va mal faire. Pour quelques années, on sait qu’on n’a pas intérêt à la « ramener ». On sait, en plus, pourquoi. Voilà pourquoi on l’accepte.

La rencontre. Elle vient aussi de Facebook et des autres réseaux. Comme la transparence, c’est une seconde nature. Les entreprises ont même du à la hâte construire des espaces de co-working un peu partout, tant les Z ont besoin de se retrouver en petit nombre, pour travailler, discuter, se rencontrer…

Mais, cela m’arrache le cœur, ces trois vertus générationnelles sont toutes trois des illusions. La transparence est illusion. Car poussée à l’extrême, la transparence est mortifère. Si je voyais ce que vous pensez vraiment de moi lorsque vous lisez ces lignes, nous serions déjà en train de nous entretuer… La transparence, venue de la chimie, n’est peut-être pas une vertu humaine en définitive.

Le féminin, parallèlement, gagne autant dans nos sociétés qu’il perd. Une avancée ici et une marche arrière là…Même la bataille juridique de l’avortement est en « yoyo ». Les filles ont été en pointe dans les printemps arabes. Une fois au pouvoir, elles ont hélas quasiment disparu…

La notion de rencontre sur le net est par essence fallacieuse, voire trompeuse, à commencer par le nombre de ses « amis ».

Ces trois piliers, considérés ensemble, sont donc nouveaux. Les autres générations ne les avaient pas cultivés mais ils sont en même temps extraordinairement fragiles. De là à penser que ce sont des illusions… Mais de nombreuses générations après tout ont vécu sur des illusions. Même si ça fait mal quand celles-ci s’effondrent. Il faut le savoir…

Le BrandNewsBlog : A l’image de cette Katniss Everdeen qui les représente, vous soulignez que les « K » sont pour ainsi dire « nativement » féministes. Génération « me too » et « balance ton porc », elles.ils prennent le destin des femmes en main, avec une farouche volonté de rendre la société plus mixte, moins phallocrate et plus transparente, dans les sphères professionnelles, publiques et privées. Par quelles nouvelles exigences et comportements cela se traduit-il ? Vous émettez aussi l’hypothèse/le risque que cette « avancée du féminin » puisse se transformer en illusion ou en leurre, dans la mesure où elle voudrait s’ériger en nouvelle façon d’être « politiquement et socialement correct ». Qu’entendez-vous par là ? Est-ce lié au fait que le féminisme n’est pas forcément une aspiration universelle, et ne progresse pas forcément partout à la même vitesse (en dehors des sociétés Occidentales par exemple) ?

Georges Lewi : A l’origine de toute civilisation, le pouvoir est féminin. Dans la mythologie grecque, la première « patronne » est Gaia, la déesse de la terre, qui enfante et fait pousser ce dont l’être humain a besoin. C’est elle qui enfante le ciel, Ouranos et le temps, Chronos. C’est la déesse d’un monde sédentaire.

Avec les nomades, les invasions, les guerres, les hommes prennent le dessus et les divinités masculines apparaissent en haut de l’Olympe.

Mais dans presque toutes les civilisations, le féminin est également symbole d’espoir, de savoir, d’avancées… Pandore garde dans sa jarre l’espérance comme trait principal de l’humanité et Eve dans la Bible croque un fruit de l’arbre de la connaissance. Autrement dit, le masculin se laisse porter par les événements, le féminin veut comprendre et croire en l’avenir. Ces deux notions vivent en alternance. Le temps du féminin est peut être venu. Mais l’autre « clan » ne se laissera pas faire et ce sont bien sûr les écoles de petites filles qui sont visées en premier quand on veut interdire le savoir !

Le BrandNewsBlog : Vous décrivez avec les yeux de Chimène une génération engagée et consciente de son pouvoir de changer le monde, grâce aux réseaux sociaux notamment, que les « Z » utilisent comme une « bombe relationnelle et politique » car ils « se considèrent eux-mêmes comme un média ». Mais contrario, au sujet de ces mêmes classes d’âge, d’autres auteurs comme Jean-Marc Lehu (cf cet article précédent du BrandNewsBlog) nous ont parlé plutôt « d’idéalistes de salon », prompts à soutenir une grande cause, à militer en faveur de l’environnement et à défendre systématiquement le faible et l’opprimé, « pourvu que cet engagement n’aille pas au-delà d’un clic sur l’icône d’un pouce levé » ! Des activistes plutôt flemmards et égocentriques en somme – ou « slacktivists » – dont l’engagement n’aurait rien de durable ni de sincère… Quels sont vos éventuels points d’accords avec cette vision et pourquoi êtes-vous de votre côté beaucoup plus positif sur le renouveau du militantisme qu’apporte selon vous les « Z » et sur leur capacité à changer le monde ?

Georges Lewi : J’ai une grande admiration et beaucoup d’amitié pour Jean Marc Lehu qui est un peu le « Cassandre » du marketing français. Adossé à un savoir colossal et à une analyse pointue, il prophétise ses mauvaises nouvelles. Il finira par avoir raison car Troie finit toujours par être détruite… Mais j’espère dans bien longtemps.

Les armes de Katniss sont son arc et ses flèches, armes rudimentaires mais bigrement efficaces. Les armes de la génération Z sont les réseaux sociaux. Cette arme a fait reculer des grands laboratoires, un géant de l’agro-alimentaire…

Leur déclencheur est l’émotion. Et alors ? Est-ce moins légitime que la raison ? Pas si sûr ! Doit-on pour autant les traiter d’ « idéalistes de salon », même si la formule est belle ? Tout mouvement romantique (fondé entre autres sur l’émotion) est discutable. Mais on n’a plus de temps et il s’agit de gagner en efficacité. Jusque-là, cette génération ne se débrouille pas si mal.

Le BrandNewsBlog : De par leurs moyens matériels et financiers nécessairement limités (comme le rappelait cet autre article du BrandNewsBlog), les nouveaux millenials doivent composer avec de fortes contraintes qu’ils ont parfaitement intégrées. C’est aussi une génération qui a traversé des moments tragiques (crises, attentats terroristes) en « allant de la consternation au discours » et en se montrant particulièrement « résiliente ». Qu’entendez-vous par là ? Et comment se traduit cette résilience, au quotidien, chez les « Z » ?

Georges Lewi : Les (K)Z ne lâchent rien, tout en gardant le sourire… Et sont prêts à recommencer. Certains ont souri, après les attentats, de voir les gosses fréquenter les mêmes cafés, encore plus qu’avant. Après l’invasion soviétique à Prague, les jeunes habitants avaient fait de même. C’est ainsi que le mur est tombé. On connaît la pièce de la comédie grecque Lysistrata où les femmes refusent de faire l’amour tant que les hommes n’arrêteront pas de faire la guerre. Les Z cultivent ce type de paraboles.

Le BrandNewsBlog : Dans le monde du travail, comment se traduisent les 3 illusions des nouveaux millenials que vous évoquiez ci-dessus : exigence de transparence, revendication du féminin, vertu du partage ? Vous évoquez 3 piliers ou nouvelles exigences incontournables que sont 1) l’impératif d’équité ; 2) la sérenpidité et 3) le lâcher-prise… Comment cela se manifeste-t-il concrètement dans la vie professionnelle et les grandes entreprises et structures traditionnelles sont-elles encore capables d’apporter cela aux jeunes candidats de la génération « Z », épris d’entrepreneuriat ? 

Georges Lewi : En grande majorité, les « Z » réagissent bien différemment des « Y ». Ils ne veulent pas commencer leur vie professionnelle en grande entreprise, malgré les avantages. Ils se mettent le lâcher-prise en bandoulière et voudraient imposer une logique de travail en mode projet, en horaires et lieux de travail libres. Comme ils le font avec le web créatif, ils jouent de la sérendipité et réclament le droit à l’erreur et celui d’inventer leurs propres méthodes de travail.

Dans la logique de transparence, ils veulent que tout soit dit et montré. Mais comme ce ne sont pas des tyrans, ils ne réclament pas l’égalité (par exemple de salaires entre tous) mais l’égalité « selon eux », l’équité. L’équité est l’égalité à taille humaine. Ils comprennent qu’une star du foot soit infiniment plus payée qu’un employé de banque. Mais entre les employés de banques, il doit y avoir égalité. Surtout entre garçons et filles. Ce ne sont pas des révolutionnaires mais des révoltés. La raison pure est remplacée par la perception. C’est ce qui peut effrayer. Le storytelling remplace le tableau Excel en quelque sorte.

Ils exigent un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Le travail n’est plus perçu comme un passage obligé mais comme un des facteurs de la vie. On peut s’en passer toujours ou souvent. S’il est un enrichissement, tant mieux. Sinon, le travail peut attendre. Ils ne sont pas du tout paresseux mais la culture numérique, exigeante s’il en est, les amène à faire des choix en permanence. Des choix d’horaires de travail en particulier. C’est pourquoi certains métiers comme le service en restauration peinent à trouver des candidats.

Dans ce contexte, s’ils veulent une vraie relation, choisir un travail qui ait du sens et ne compter que sur « leur » communauté, ils choisissent la PME ou la création d’entreprise. La start-up est dans le coup avec son rêve de réussite. Car, créateurs de leur contenu et par conséquent de leur vie, ils considèrent qu’ils en « valent la peine » et méritent d’être reconnus. Les entreprises qui ne savent pas leur donner cette reconnaissance sont, d’avance, éliminées. Le salaire ne suffit plus. Cela perturbe, bien-sûr, la grande entreprise, elle qui avait inscrit son attractivité sur les avantages matériels.

Le BrandNewsBlog : Cette demande d’équité que vous évoquez est une notion beaucoup plus subjective que l’égalité, qui ne semble pas être un des premiers objectifs pour les « Z ». Pourquoi selon vous et quelles différences entre les deux concepts ? Et pour ce qui est de l’exigence de sérenpidité ou de « progresser cool », comment se traduit-elle dans le monde professionnel ? Et comment les entreprises essaient-elles d’y répondre ?

Georges Lewi : Les GenZ mettent au panier définitivement la schizophrénie de la personne qui vit et qui travaille. Quand ils reçoivent un accord d’une entreprise, ils consultent d’abord, leur petite communauté. Pour les générations précédentes, on prenait seul sa décision.

Elle est désormais faite en réseau, en collectif. Cela change tout ! Car ils partageront tous les ingrédients de la vie professionnelle. Les conditions d’équité, le mode d’autonomie, l’absence de hiérarchie, leur épanouissement professionnel : tout se fait sous l’œil du réseau.

Cela les rend plus exigeants. Leur culture des réseaux sociaux, celle de Norman, de Cyprien et d’autres, ces youtubeurs visibles – quelquefois célébrissimes – les conduit à considérer l’humour comme le mode « normal » de communication. Là aussi, c’est nouveau. Jusque-là les générations étaient dans le conflit. Les « Z » sont davantage dans le répit.

Le BrandNewsBlog : Et vis-à-vis des marques, qu’attendent plus particulièrement les nouveaux millenials ? Est-ce que l’avènement de cette nouvelle génération va représenter une véritable rupture dans les modes de consommation, ou faut-il plutôt s’attendre à de lentes évolutions ? La consommation « éthique » et les critères de responsabilité sociale et environnementale de la part des marques vont-ils s’imposer comme des exigences sociétales incontournables à l’avenir ?

Georges Lewi : Les GENZ ont 3 exigences vis-à-vis des marques : 1) qu’elles soient transparentes et éthiques ; 2) qu’elles les divertissent et leur apporte leur dose quotidienne de « fun » ; et 3) qu’elles leur donne leur minute de gloire, dont ils puissent se glorifier auprès de leur propre réseau.

Ils ne détestent pas les marques et respectent plutôt ces représentations qui sont là depuis 50, 100 ou 150 ans. Selon la formulation de la question, ils sont 55 à 65% à les aimer.

Mais les marques sont pour cette génération des lieux d’expériences sympas, sans tâche, et dont ils doivent être les héros. La marque d’émetteur devient média, passeur de petits bonheurs. Ils sanctionnent vite (et souvent bien). Les marques n’ont plus le droit à l’erreur. Sur le web, on est premier ou premier. L’internaute navigue peu. Quand il le fait, c’est qu’il n’a pas encore trouvé « sa marque » ou qu’il a déjà décidé de changer. Le web développe le paroxysme de la logique de la marque : être toujours la meilleure ou disparaître. Le monde physique laissait la place à l’approximation. Pas le web. Qui face à Google, qui face à Amazon ?

Le BrandNewsBlog : Véritable appétit pour le storytelling, côté « inoclaste » et refus de considérer la réputation des marques a priori (dans le rapport à la notion de luxe notamment), revendication et valorisation ultime d’un droit à l’expérience (et à l’erreur), transfert du pouvoir et de l’attention de la marque aux consommateurs… Comment se traduisent ces nouvelles attentes de la génération « Z » ? Et quelles sont les marques qui ont le mieux su relever ces défis, selon vous ? Quels sont les exemples à suivre ?

Georges Lewi : Les « GENZ » se sont appropriés le storytelling, cette façon de « se faire un film » en se plaçant telle Katniss toujours du bon côté. Le storytelling leur permet de trouver leur place, de se situer, tels les héros de l’antiquité. Chez Homère, on est clairement du côté des Grecs ou de celui des Troyens.

Le monde est foutu, il faut le sauver. Les autres générations ont montré leur incapacité à le faire. Cette génération, la dernière lettre de l’alphabet qui préfigure en cas d’échec la fin du monde, pense qu’elle peut le faire.

Les sondages des marques préférées montrent deux tendances, celle d’Apple, celle des héros de la techno, du luxe, du cher et celle de Décathlon, celle de l’expérience accessible. La marque (car elle est plus qu’une enseigne) invente, amuse, cible par exigence et met à disposition en magasin des produits qu’on peut tester et renouveler souvent. Les marques qui ne les « embarquent » pas dans un storytelling construit et exigeant ne trouveront plus de public sur le web et deviendront des sous-traitants des marques leaders. A la manière d’un Teddy Riner que les Z adorent, ils faut être cool, engagé et toujours premiers !

 

 

Notes et légendes :

(1) C’est à la suite d’une importante étude sociale et économique concernant les Britanniques et les Américains nés entre 1995 et 2002 (dont elle a publié les résultats pour la première fois en avril 2015 dans le New York Times) que Noreena Hertz, professeur en économie, a mis en évidence un groupe sociologique qu’elle a choisi de nommer la génération K, en référence à l’héroïne Katniss Everdeen. 

L’ouvrage de Georges Lewi « Génération Z, mode d’emploi » y fait référence et traite à la fois des « K » et des « Z », qui ont en réalité un très grand nombre de caractéristiques communes, puisque les « K » sont en définitive une classe d’âge appartenant à la génération Z. Raison pour laquelle on parle presque indifféremment dans cet article de « K » et de « KZ ».

(2) « Génération Z, Mode d’emploi » par Georges Lewi – Editions Vuibert, Mai 2018

 

Crédits photos et illustrations : Georges Lewi, The BrandNewsBlog 2018, X, DR

 

Authenticité, transparence, engagement… : les nouvelles attentes des millenials vis-à-vis des marques

Objets de toutes les attentions et toutes les convoitises, les millenials sont aujourd’hui sondés, scrutés, auscultés sous toutes les coutures et décryptés par des dizaines d’instituts et une infinité de marques, plus empressées les unes que les autres de comprendre comment elles.ils fonctionnent et de connaître leur moindre désir.

Génération fascinante et mystérieuse à la fois, sujette à nombreux fantasmes (et tant de généralisations hâtives et de stéréotypes), les 18-38 ans représenteront en effet sous peu plus de 50% de la population active mondiale (d’ici 2020) et pas moins de 75% en 2025 !

Bataillons aux profils hétérogènes, ils pèsent déjà d’un poids prépondérant dans les achats de biens de grande consommation et davantage encore dans les perspectives de développement de certains pans d’activité. 85% de la croissance du secteur du luxe leur serait notamment imputable, d’après une étude récente réalisée par Bain & Company¹. Et il n’est pas une entreprise qui n’ait déjà réfléchi, ou ne soit en train de réfléchir à toutes les adaptations fonctionnelles et managériales à mettre en oeuvre pour s’adapter à cette nouvelle population de salariés hyperconnectés et exigeants…

Mais quelles sont exactement les croyances, valeurs et attentes communes à une classe d’âge aussi large ? Et quelles sont les conséquences pour les organisations, les marques, mais aussi les marketeurs et communicants dans leur activité ? Comment séduire et impliquer durablement ces millenials ? Sur la base de quel nouveau « contrat relationnel » et avec quels modèles d’entreprises et de marques ?

Ce sont là quelques-unes des questions passionnantes auxquelles répond l’excellente Revue des marques, en consacrant son premier numéro de l’année 2018 aux relations Marques – Millenials. Un numéro auquel de nombreux experts et instituts d’étude ont apporté leur contribution, cassant au passage quelques mythes et idées reçues et nous livrant un portrait nuancé et inpirant de ces générations qui commencent à bousculer largement les schémas classiques de la consommation et du monde du travail.

En quête de sens et de repères, mais aussi de transparence et d’authenticité, il se murmure en effet que 25% à peine des marques qui existent aujourd’hui trouveraient grâce aux yeux des millenials, les 75% restant leur apportant si peu de valeur qu’elles seraient selon elles.eux destinées à disparaître ! De quoi s’interroger sérieusement sur certaines pratiques… et justifier mon article du jour, dans lequel je vous propose non seulement un résumé des enseignements de la Revue, mais également un condensé de mes convictions personnelles en matière de branding et de communication. Puisque les millenials nous amènent à remiser une fois pour toute le « marketing de papa » au grenier (ou à la cave), elles.ils nous poussent aussi à déployer des trésors de créativité et d’intelligence pour les intéresser et les satisfaire… Une bonne nouvelle pour tous les néo-marketeurs et les néo-communicants !

Les Millenials : une population aux profils et comportements objectivement hétérogènes, mais aux croyances et valeurs relativement partagées…

Comme le rappellent la plupart des intervenants sollicités par la Revue des marques, une des premières erreurs à ne pas commettre au sujet des millenials serait de les considérer comme une population parfaitement homogène, aux profils et comportements communs et bien déterminés.

Car au-delà de la définition purement statistique de cette population, qui regroupe toutes les personnes nées entre 1980 et 2000 (ayant donc aujourd’hui de 18 à 38 ans), quel rapport entre un lycéen ou une jeune étudiante et une personne adulte de plus de 30 ans, potentiellement père ou mère de famille et disposant d’une première voire de plusieurs expériences professionnelles ?

Objets de généralisations hâtives et de stéréotypes tenaces, la perception des millenials a d’ailleurs tendance à varier grandement en fonction du point de vue de celle ou celui qui les décrit : souvent dépeints comme « jeunes », « feignants », « enfants gâtés », « rois du zapping » et « technophiles » par les « X » et les générations plus anciennes, ils se perçoivent évidemment eux-mêmes de manière beaucoup plus favorable, comme « jeunes » et plutôt « technophiles » en effet, mais aussi « innovants », « bohème » et bien plus « cool » que leurs aînés, comme nous le révélait dès 2012 cette étude de référence du Boston Consulting Group : « The Millenial Consumer – Debunking Stereotypes », par Christine Barton, Jeff Fromm et Chris Egan.

De fait, à défaut de profils et de comportements homogènes identifiables sur une population aussi large, en réalité composée de différentes tranches d’âge et de sous-segments, comme ceux proposés ci-dessous par le BCG², il paraît en revanche beaucoup plus approprié et pertinent de parler de qualités communes, d’attitudes, de croyances et de valeurs partagées, comme celles relevées étude après étude par une majorité d’instituts, qui pointent d’abord une aisance évidente avec les technologies numériques (ce n’est pas pour rien qu’on parle de « digital natives ») et un usage beaucoup plus fréquent que leurs aînés des réseaux sociaux modernes (Instagram, Facebook, WhatsApp et Snapchat surtout). Cette aisance avec le digital et cette vie « augmentée » par le web 2.0 et les liens communautaires – en tout cas en Occident – incitent naturellement les millenials à partager davantage et beaucoup plus rapidement que leurs aînés avis, commentaires, réflexions et autres moments de vie, soit publiquement soit en mode « privé », et à se montrer beaucoup plus réactifs à la moindre actualité. L’accessibilité, l’instantanéité et l’universalité de l’information venant sans conteste amplifier cette hyper-réactivité.

Mais enquête après enquête, quels que soient les continents et les pays étudiés, les experts pointent aussi d’autres qualités partagées, attentes et valeurs communes : au-delà de l’information voire la surinformation dont les millenials disposent, une exigence encore plus forte que les générations précédentes vis-à-vis des marques, une capacité pour ainsi dire « innée » à décrypter et à décoder la moindre campagne marketing et les « éléments de langage » de la communication, mais également un réel souci pour la protection de l’environnement, pour les sujets sociétaux et pour l’emploi, ainsi que la préservation de leur santé…

Au-delà des stéréotypes, des millenials beaucoup plus « classiques » et ancrés dans le réel qu’on ne le dit, à la fois marqués par les contraintes économiques… et bien décidés à changer le monde !

Pascale Hébel, Directrice du pôle Consommation et Entreprise du Crédoc et Stéphanie Marty, Directrice du développement client de l’institut Research Now, nous apportent au travers de deux articles de la Revue des marques des éclairages précieux et complémentaires sur ces populations de « Y » et « Z », qui composent la cohorte des millenials.

Ainsi, sur la base d’une étude prospective menée récemment sur les comportements alimentaires de demain et sur les principales tendances de consommation, il apparaît que ces deux populations de millenials ne se comportent pas si différemment des générations précédentes. « Il n’ y a pas d’inversion de tendance constatée dans la manière de consommer. L’évolution des modes de vie se poursuit, nous dit ainsi Pascale Hébel, comme en témoigne le contenu de leurs assiettes. Les jeunes mangent par exemple moins de viande, beaucoup moins de produits bruts, de fruits et de légumes et, a contrario, plus de sandwichs ou de sodas ».

Mais, très influencée par la conjoncture économique et en l’occurrence par la crise de 2007 (qui aura duré pas moins de 10 ans !), cette génération entre ou est déjà entrée dans le monde du travail en étant moins bien payée que les générations précédentes au même âge, malgré un niveau de diplôme globalement supérieur, comme cela s’était déjà passé en 1973 ou en 1993… « Cela crée des inégalités entre les générations, particulièrement en France où l’on constate le plus gros écart de revenu entre les moins de 30 ans et les autres. »

Ces difficultés économiques et ce marché du travail que les millenials subissent, avec le plus fort taux de chômage jamais atteint chez les moins de 25 ans, « impacte non seulement le pouvoir d’achat de cette génération, mais crée également un rapport au monde qui l’encourage à développer d’autres façons de vivre » indique encore Pascale Hébel, soulignant que les Y et les Z partent plus tôt de chez leurs parents que leurs aînés, du fait d’une relation à la famille beaucoup plus distendue chez ces enfants de divorcés. Rien d’étonnant, dès lors, que la valeur d’usage soit en train de supplanter auprès de cette génération la valeur de possession… Si les plateformes d’achat en seconde main, de prêt, de partage et d’échange de compétences ont été aussi plébiscitées par les millenials, avec le succès de start-up comme BlaBlaCar ou Flexdrive, la contrainte économique n’y est évidemment par pour rien.

Et si, chez les 16-21 ans, les préoccupations quotidiennes semblent évidemment différentes de leurs aînés « Y », leurs principales inquiétudes portant sur des problèmes de smartphone, d’accès au réseau ou bien encore la crainte du piratage de leurs comptes sur les différents réseaux sociaux, les millenials de la génération « Z » n’en conservent pas moins un lien étroit avec le réel, comme le confirme Stéphanie Marty d’après les résultats d’une grande étude internationale menée auprès de cette cible spécifique…

« Bien que baignant dans un univers digitalisé, les représentants de la génération Z ne se coupent pas du monde réel… confirme la directrice du développement de Research Now. Leurs amis ne sont pas virtuels : à 78%, ils préfèrent les voir en personne plutôt que de leur parler sur WhatsApp ou Snapchat […] De même, les points de contact avec les marques ne sont pas que virtuels : l’achat en magasin reste une expérience sensorielle appréciée et préférée (67%), même s’il s’agit d’une tendance plus féminine que masculine (72% versus 62%).

Marqués par le même contexte de crise que les « Y » et les mêmes incertitudes concernant leur futur emploi, les « Z », au pouvoir d’achat encore plus limité, se montrent particulièrement raisonnables et réalistes et aspirent à un schéma de vie somme toute très classique. Au-delà de leurs soucis quotidiens de connexion, la première de leur inquiétude est en effet la peur de ne pas pouvoir payer leurs factures et, faute de moyens sans doute, une large majorité des Z affirme préférer rester chez elle (à regarder des séries en l’occurrence) plutôt que de sortir. Les prix et le souci de faire des économies en étant a priori la première raison, quel que soit le pays considéré. De même, les 16-21 ans affirment souhaiter avant tout fonder une famille (32%) qu’ils imaginent avec enfants (44%) et seraient prêt à travailler tout autant dans une entreprise établie (34%) que dans une société qu’ils auraient créé eux-mêmes (28%).

« Y » comme « Z », les millenials aspirent aussi, de manière très affirmée, à changer le monde, avec pour commencer une meilleure prise en compte de l’environnement et de leur santé, comme le confirme sans ambiguïté Pascale Hébel. « L’environnement apparaissait déjà dans nos précédentes études et se développait avec le temps. Mais la génération que nous appelons « nomade » se démarque par un intérêt nettement supérieur pour l’écologie. C’est une mutation majeure chez les plus jeunes, qui ont grandi sous l’ère du Grenelle de l’environnement de 2007. Depuis 10 ans, on ne leur parle plus que de cela, dès les programmes scolaires, si bien que c’est devenu pour eux un prérequis qui va modifier profondément leur relation à de nombreux éléments. Avec l’environnement, la préocuppation nutritionnelle et l’inquiétude pour le capital santé – même à cet âge – s’imposent. »

Transparence, naturalité, authenticité et engagement : ce que les millenials attendent des marques…

Bien que recouvrant des populations ou segments de population hétérogènes, comme on vient de le voir, les millenials expriment pourtant, d’étude en étude, des croyances et valeurs communes et des attentes assez largement partagées.

Plutôt que de vous en proposer une longue énumération, j’ai résumé ci-dessous en une illustration les principales attentes identifiées par les différents experts et instituts cités par la Revue des marques, sous forme d’un nuage de mots-clés…

Dans un article de la Revue au titre explicite (« Génération #NoBullshit »), la fondatrice de l’institut Trend Sourcing, Pascale Brousse, s’arrête en particulier sur trois tendances/attentes des millenials qui selon elle vont changer durablement les produits, les mentalités et la consommation : 1) le degré d’exigence, 2) la quête de sens et 3) La soif de transparence.

S’il est souvent répété ici et là – et ce furent sans conteste les plus nombreux commentaires suite à la parution de la première partie de cet article – que les attentes des millenials tendent en définitive à être les mêmes que celles des autres générations (et c’est relativement normal puisqu’ils.elles sont en définitive les précurseurs d’attitudes et de comportements qu’adoptent ensuite les autres classes d’âge : en ce sens, nous sommes toutes et tous des « millenials » potentiels ), les « Y » et les « Z » se distinguent par la vigueur de leurs attentes et de leur volonté de changement.

Plus exigeants encore que les générations précédentes, ils.elles sont comme je l’indiquais en introduction des champions du décodage marketing, comme le soulignaient il y a déjà quelques années Grégory Casper et Eric Briones dans leur ouvrage « La génération Y et le luxe ». Allergiques aux éléments de langage et aux vieilles ficelles du marketing et de la communication « de papa », ce sont toutes et tous des « enfants de pub » habitués à décrypter depuis leur plus jeunes âges les codes et artifices d’une communication souvent trop bavarde et bonimenteuse, alors qu’ils.elles sont souvent hyperinformés et connaissent déjà parfaitement les forces et faiblesses des produits…

En attente de qualité, de durabilité et d’une valeur d’usage encore supérieure vis-à-vis des produits et services qu’ils achètent, ils.elles sont en effet en quête de sens et se tournent naturellement vers des marques aux partis pris forts répondant à un véritable brand purpose. « Leurs caractéristiques ? nous dit Pascale Brousse, une vraie reason-why et pas de bla-bla marketing. Les millenials, ou comme mentionné dans le titre de mon article la génération #NoBullshit, en ont plus qu’assez des discours éculés et sonnant faux des marques. Ils se tournent vers celles qui racontent une histoire vraie avec du coeur et du sens, qui ouvrent le dialogue avec leurs fondateurs et leur réseau : l’humain, les personnes avant la marque. C’est le passage du product centric marketing  au human centric marketing. Le sens prime le produit. »

Et au-delà de cette quête de sens, les Y et les Z expriment aussi et surtout une soif de transparence, qui va bien au-delà de ce que l’on avait connu jusque-là. Car en adeptes du fact-checking et du tracking, ils exigent de plus en plus de savoir où le produit a été fabriqué, par qui et dans quelles conditions. Non seulement le bien-être des salariés et des sous-traitants sont et seront de plus en plus scrutés, mais les millenials figurent aussi parmi les premiers utilisateurs d’applications telles que Clean Beauty, qui permet de vérifier si son produit d’hygiène-beauté est exempt de substances indésirables. Fans de conscious cosmetic, de clean food et autres green products, ils.elles sont les premiers clients de start-up telles que Think Dirty, qui imagine dès aujourd’hui les objets connectés qui nous permettront demain de tout scanner en rayon et de tout savoir sur n’importe quel produit, substance ou matériau. « Etant donné que 25% des consommateurs américains de 18 à 38 ans prennent déjà le temps de scanner les codes produit figurant sur les packaging, il semble pertinent d’imaginer que d’ici peu, nous serons tous équipés d’appareils portatifs miniatures ou d’applications permettant de faire nos choix de consommation de manière éclairée » ajoute à ce sujet Pascale Brousse. Une évolution des comportements clairement impulsée par les millenials.

Premiers témoins (et aujourd’hui acteurs) de ces bouleversements, les dircom sont progressivement passés d’un statut d’émetteurs, garants de tous les messages de l’organisation à celui de « facilitateurs connecteurs » et de chefs d’orchestre, à l’écoute et au service de tous les interlocuteurs susceptibles de prendre la parole au nom de l’entreprise.

Comment les entreprises et les marques peuvent-elles s’adapter à ces attentes des millenials ? Trois axes structurants sont à privilégier…

Respectivement directrice générale et directrice générale adjointe de Sorgem Advance, Maria di Giovanni et Céline Grégoire nous livrent trois pistes à suivre d’urgence par toute marque soucieuse de répondre aux attentes de ces nouvelles générations de consommateurs que sont les Y et les Z…

1) Premier axe de travail : « densifier le sens » de sa marque

Partant du constat que les marques qui réussissent le mieux auprès des millenials sont celles qui présentent un positionnement « très cohésif, recentré, voire radical et jouant la carte d’une forte densité sémantique et culturelle », comme les fameuses marques indies du make up, développées par des influenceuses ou de petites équipes et souvent concentrées sur un segment bien défini : rouge à lèvres, vernis ou blushs (ex : MUG, Color Pop…), ou bien des marques au positionnement très fort et « bordé » comme Innocent ou encore Red Bull, Maria di Giovanni et Céline Grégoire conseillent aux marques de densifier leur « reason why » à un double niveau. D’une part, en travaillant sur le sens que la marque propose aux consommateurs : plus la promesse et la proposition de valeur seront fortes et claires, plus les consommateurs pourront aisément s’y reconnaître et s’engager et le sens apparaîtra évident. Et d’autre part, en travaillant sur le sens de la marque vis-à-vis de la société, c’est à dire ce que fait la marque pour la planète, la société et l’emploi.

A ce titre, les conseils des deux dirigeantes de Sorgem Advance rejoignent complètement mes analyses et préconisations personnelles, régulièrement exprimées sur ce blog, notamment dans cet article que vous aviez plébiscité il y a quelques mois : « Nouveaux leviers d’engagement : et si on misait sur la bienveillance et la quête du bien commun ? ». De fait, les marques qui réussissent aujourd’hui le mieux sont effet celles qui savent démontrer qu’elles contribuent aujourd’hui à l’intérêt général, ce fameux « bien commun », en développant, en complément de leur offre de valeur principale, une véritable utilité sociale.

2) Deuxième axe de travail : toucher la cible en s’intégrant dans sa culture au travers d’insights pertinents

Si les marques de l’hospitality ont si bien réussi ces dernières années, comme Airbnb, c’est qu’elles ont su capter au bon moment et finement le changement de culture et d’attentes des millenials en matière de vacances et de dépaysement.  En renouvelant complètement l’expérience du voyage, en proposant de vivre les pays de l’intérieur et en adaptant leur sens et leur offre à cette nouvelle culture émergente, ces marques se sont construites sur les bons insights culturels, qui touchent le plus les générations des Y et des Z. Comme les souligne à juste titre Maria di Giovanni et Céline Grégoire, « c’est plus facile bien sûr quand la marque se construit directement sur la culture de la cible ». Mais cela n’empêche pas des marques plus anciennes, comme Moët et Chandon, d’avoir su parfaitement saisir les nouveaux codes culturels de la fête des millenials, en surfant avec bonheur sur l’expérience du « now » et des moments de partage plus spontanés, libres et moins formels que par le passé.

Ainsi, pour les deux dirigeantes, « les insights culturels sont devenus tout aussi importants que les insights consommateurs ». Toucher la personne dans sa culture ET le consommateur dans son quotidien est devenu primordial ».

3) Troisième axe de travail : proposer une expérience personnalisée et rechercher la conversation, pour entretenir une relation toujours plus riche et resserrée avec les millenials

Le succès des marques auprès des millenials repose aussi sur une personnalisation de la relation et de l’expérience offerte à chacun.e, car ils.elles aspirent évidemment à être considérés personnellement, rapidement et avec pertinence. Converser avec sa communauté et savoir faire participer les Y et les Z à l’univers de sa marque sont par ailleurs devenus les autres facteurs clés de succès pour toutes ces nouvelles marques indépendantes ou « de niche » qui affichent aujourd’hui des taux de croissance insolent, au point que Maria di Giovanni et Céline Grégoire n’hésitent pas à le conseiller à toute entreprise…

« La conversation est un puissant antidote à la fin annoncée des marques. Une de ses vertus est de permettre aux interlocuteurs d’évoluer en même temps qu’elle se construit. Si les marques considèrent avec empathie l’esprit critique des millenials, voire l’intègrent dans leur stratégie, elles ont un bel avenir devant elles » […] « Au-delà de la communication digitale, cette vague technologique (IA, outils conversationnels) propulse les marques dans un courant qui va les conduire à entretenir des relations toujours plus directe et resserrées avec les consommateurs, en délivrant des expériences multiples. Les marques qui seront considérées par les millenials seront celles qui conversent avec empathie et sincérité : échangent, interrogent, stimulent, défient, étonnent… et acceptent en retour les remerciements, les recommandations, les pratiques d’influences, mais aussi les critiques et les suggestions. »

Ultime recommandation / axe de travail proposé subsidiairement par Maria di Giovanni et Céline Grégoire : faire évoluer la conception du « premium », pour toutes les entreprises et marques rattachées au domaine du luxe notamment.  Dans cette perspective, il est important de noter que le « premium » ne revêt plus la même signification pour les Y et les Z que les générations passées. Tandis que la conception du premium fondée sur des arguments purement économiques et une dynamique de statut social a en effet tendance à perdre beaucoup de terrain auprès de cette classe d’âge, c’est le besoin d’expérience enrichie et distinctive, porteur d’une différenciation individuelle et communautaire qui est aujourd’hui le plus valorisé par les millenials et symbole de luxe ultime à leurs yeux.

Cette notion d’exclusivité, d’expérience valorisante fournissant l’opportunité d’afficher ostensiblement ses priorités, ses valeurs et sa culture consacre une nouvelle vision du premium, dont les marques de luxe doivent impérativement prendre conscience pour ne pas faire fausse route. Là encore, il s’agit d’affirmer les atouts d’une marque aux partis pris forts et clairs, car le prix n’est plus nécessairement une donnée d’entrée et il est possible à toute marque de se positionner désormais comme pretium dès lors qu’elle pousse l’affinité culturelle au bout se sa logique.

Et Maria di Giovanni et Céline Grégoire de conclure positivement sur ces différents défis : « Notre conviction est que les millenials ne constituent nullement un péril pour les marques, mais dessinent une nouvelle ère, où les acteurs du marketing devront davantage que par le passé se remettre en question. »

Et au sein des organisations, comment gérer cette nouvelle population des millenials ?

Equilibre vie privée-vie professionnelle, quête accrue de sens (à leur action et dans la mission de l’entreprise), modes de travail plus collaboratifs, management moins hiérarchique et plus ressource, opportunités d’engagement (dans le cadre de l’entreprise et au-delà, pour l’intérêt général)… Angelica Mleczko, consultante en bien-être au travail liste pour la Revue des marques les nouvelles attentes des générations Y et Z, en soulignant cette circonstance exceptionnelle que 4 générations différentes cohabitent aujourd’hui dans le monde du travail.

De fait, beaucoup de défis à relever sont dès lors intergénérationnels, mais les enjeux de la révolution numérique, qui bouleversent profondément les marchés, les métiers et le paysage de l’entreprise, incite aussi les organisations à se transformer en profondeur et à repenser leurs organisations et leurs modes de travail et de collaboration.

« Densification du sens » et pédagogie autour de la mission de l’entreprise, « libération » du travail pour le rendre plus flexible en journée et adapter les temps de travail et de télétravail, acculturation des équipes au numérique et à l’innovation, développement du coworking et lutte contre les silos, accompagnement au changement et redéfinition du rôle des managers… les solutions et initiatives sont légion.

Mais comme je le soulignais déjà dans cet article, c’est aussi l’esprit général et les objectifs qui président à cette transformation interne qui doivent être les bons… et cohérents. Il ne s’agit pas de « surfer » sur les attentes de l’une ou l’autre des générations au travail, pour redorer sa marque employeur, en étant en totale contradiction avec la réalité des expériences vécues par le salarié sur le terrain. Là encore, il s’agit d’écouter les millenials, en effet, mais aussi de proposer un sens et une mission crédibles, conformes à la culture de l’entreprise.

Et demain, tous millenials ?

On le voit : les attentes des millenials sont certes spécifiques, pour un certain nombre d’entre elles, mais comme le soulignent – à raison – plusieurs observateurs avertis, les différents experts et analystes seraient bien inspirés de rester humbles et prudents car il demeure en partie illusoire de prétendre définir rigoureusement et étroitement cette génération, tant ses attentes tendent de plus en plus à s’imposer comme de nouveaux standards pour l’ensemble des générations qui les ont précédé. En particulier pour les individus qui en partagent déjà les croyances et les modes de vie : citadins occidentaux hyperconnectés, en quête de transparence et d’une nouvelle relation vis-à-vis des marques…

Dixit Christophe Chaptal de Chanteloup, Directeur général de CC&A et président de l’APCI, qui dispose d’un avis tranché sur la question : « Vouloir définir et cadrer les millenials est une erreur. Cette génération est très diverse, et on peut en définitive se considérer millenial à 50 ans. Ce n’est pas tant une question d’âge que de mentalité. Si on n’a jamais eu accès à l’information aussi vite et aussi complètement, il n’y a pas pour autant de millenial type. »

Bref : sur ces questions de génération, comme toujours, force est de constater que le débat reste ouvert ! ;-)

 

 

Notes et légendes :

 

(1) Etude réalisée par Bain & Company, Le Monde – 26 octobre 2017

(2) Etude du Boston Consulting Group : « The Millenial Consumer – Debunking Stereotypes », par Christine Barton, Jeff Fromm et Chris Egan – 2012

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, La Revue des marques, The BrandNewsBlog, X, DR.

%d blogueurs aiment cette page :