Entre profil bas, empathie, solidarité et activisme : quelle attitude adopter et quels enjeux pour les marques aujourd’hui ?

Il y a quelques semaines, alors que nos concitoyens et les entreprises commençaient à peine à découvrir les contraintes du confinement, je m’étais permis d’interroger quelques experts de la communication de crise et des directeurs de la communication sur les mesures à mettre en place pour conserver le lien avec leurs collaborateurs et leurs clients¹.

De fait, l’accompagnement des mesures de chômage partiel ou de télétravail mises en place, le souci premier de la sécurité et la santé des équipes et l’application des modalités du travail à distance, de même que l’animation de la relation avec les collaborateurs distants étaient au premier rang des préoccupations, avec une attention toute particulière accordée à la communication interne, qui demeure plus que jamais une priorité dans la période actuelle.

Depuis lors, les entreprises et les marques se sont naturellement remises en ordre de marche, avec une réactivité et une capacité d’adaptation souvent remarquables. Mais passé le temps de la sidération et de la réorganisation opérationnelle, passé le temps des annulations et des reports d’évènements, la question de la communication externe et de la posture à adopter par les marques est revenue se poser avec acuité…

Fallait-il / faut-il comme Coca-Cola, annuler l’intégralité de ses campagnes publicitaires, pour en flécher les budgets vers la lutte contre le Coronavirus Covid-19… au risque de mettre en péril l’écosystème fragile des médias et de la communication ? Fallait-il / faut-il renoncer – par attentisme, décence ou prudence – à toute campagne et démarche de communication externe, comme l’ont fait depuis lors un nombre croissant d’entreprises ? Et sur quel ton communiquer, dans quel but et avec quel message, pour les marques qui s’y sont risquées ?

De fait, dans cette période de crise sanitaire mondiale, les marques ont su dans leur grande majorité faire preuve de responsabilité et ont démontré une solidarité remarquable et assez inédite, par son ampleur et sa réactivité.  Dons ou fabrication de masques et de gel hydro-alcoolique, donations aux hôpitaux et aux personnels soignants, hébergement et nouveaux services gratuits pour les travailleurs en première ligne de la lutte contre le Covid-19, soutien aux consommateurs et aux populations les plus fragiles…

Ce faisant, les marques ont répondu à cette aspiration croissante de nos concitoyens qu’elles s’impliquent davantage dans leur vie quotidienne et dans la résolution des grands problèmes sociétaux, environnementaux et de santé.

Pour autant, ce bel élan de solidarité perdurera-t’il ? Comment concilier solidarité, nécessité de la reprise d’activité et redéploiement de la communication externe ? Et au-delà des mesures et stratégies ponctuelles dans le cadre de cette grande cause commune de la lutte contre le Coronavirus, quelle nouvelle posture et quelle attitude adopter pour les marques, dans les prochaines semaines et les prochains mois ?

Voici quelques-unes des questions que j’ai souhaité poser cette semaine à ces éminents experts de la communication et des marques que sont Marion Darrieutort, Présidente de l’agence Elan Edelman ;  Elise Ginioux, Membre du Comité exécutif en charge de la communication, de la RSE et des affaires publiques de Generali France ; Thomas Kolster, expert internationalement reconnu de la communication responsable et fondateur de l’agence Goodvertising ; et enfin Georges Lewi, mytholoque et grand expert des marques et du branding.

Qu’ils soient tous remerciés, très chaleureusement et sincèrement pour le temps qu’ils ont bien voulu m’accorder et la grande qualité de leurs réponses et de leurs éclairages ! Et très bonne lecture à toutes et tous de ce dossier, que publierai comme souvent en deux temps : ce dimanche pour la première partie, jeudi prochain pour la suite et fin…

Le BrandNewsBlog : Bonjour Marion. En complément de votre grande étude annuelle « Trust barometer », dont vous avez révélé les résultats en janvier, Edelman vient de publier il y a quelques jours un rapport spécial « Brand Trust and the Coronavirus » ²dont les résultats démontrent que les marques sont très attendues au tournant de la crise Covid-19. Auprès de qui cette étude a-t-elle été réalisée et quels en sont les principaux enseignements ?

Marion Darrieutort : Cette étude s’appuie sur la méthodologie du Trust Barometer que le Groupe Edelman conduit depuis 20 ans. C’est une édition « spéciale Covid » conduite du 23 au 26 mars auprès de 12 000 personnes, dans 12 pays dont la France.

Le principal enseignement de l’étude est une forme de call to action des consommateurs, qui plébiscitent l’émergence de ce que j’appelle des « marques soignantes », qui prennent soin de leurs parties prenantes et dont le leitmotiv serait « Solve don’t Sell », c’est à dire participer à résoudre les problèmes avant de chercher à vendre. Durant cette période de crise, les marques sont et seront en effet jugées sur leur aptitude à être pleinement à l’écoute. Au-delà d’une simple posture d’écoute clients traditionnelle, elles se doivent d’être en empathie et d’entrer en résonance avec les consommateurs et plus largement avec la Société.

Le BrandNewsBlog : Vous indiquez dans votre rapport que 20% des Français déclarent avoir d’ores et déjà orienté leurs décisions d’achat en fonction du comportement des marques durant cette crise… le comportement des marques dans cette période pouvant même déterminer à terme 50% de leurs décisions d’achat. Une fois la crise sanitaire terminée, nos concitoyens n’auront-ils pas tendance à revenir néanmoins vers leurs habitudes d’achat passées et vers les marques auxquelles ils accordaient déjà leur confiance avant la crise, si tant est qu’ils en aient délaissées certaines ?

Marion Darrieutort : L’issue de cette crise est encore difficile à prévoir. Il est en effet plausible que les consommateurs privés de leurs marques fétiches retournent vers elles rapidement et très spontanément. Un peu à l’image de ces consommateurs chinois qui ont fait la queue devant les boutiques Hermès une fois les mesures de confinement levées.

Mais 1 consommateur sur 2 déclare aujourd’hui réfléchir à ses prochaines décisions d’achat, ce qui est beaucoup. Et 20% des consommateurs interrogés nous disent avoir récemment commencé à acheter une marque, motivés par la manière dont elle s’est comporté durant l’épidémie. Nous risquons par conséquent de rentrer dans une ère d’infidélité un peu plus forte qu’auparavant pour les marques. L‘enjeu pour elles est vraiment, durant la période actuelle, de préserver leur capital confiance en démontrant ce qu’elles font très concrètement pour participer à la résolution de la crise.

Le BrandNewsBlog : En cette période, votre étude souligne en effet que les marques doivent faire preuve d’une empathie sincère dans leurs messages et leur communication, mais avant tout s’inscrire résolument dans l’action et la résolution des problèmes que rencontrent les soignants et les Français. C’est l’émergence d’un nouveau modèle, celui de la « marque soignante » dont vous venez de parler et que vous appelez de vos voeux. Mais qu’entendez-vous par là ? Toutes les marques ont-elles vocation à devenir des « marques soignantes » ? Démontrer leur utilité (brand utility) n’est-il pas un engagement au demeurant suffisant, plutôt que de tomber dans une forme de « sur-promesse » ? 

Marion Darrieutort : Nous avons utilisé volontairement le concept de « marque soignante » pour provoquer la réflexion et exprimer cette conviction, étayée par notre étude, que le marketing traditionnel qui consiste à vendre des produits et des services sans prendre en compte les insights sociétaux sera fortement bouleversé par cette crise.

Nous entrons aujourd’hui dans une ère où le marketing doit être plus responsable que jamais, être porteur de sens et viser un impact sociétal. C’est une révolution pour les marques qui n’en ont pour la plupart pas suffisamment pris la mesure. Cette crise nous montre que la posture « business as usual » n’est plus acceptable, car les Français en demandent davantage aux entreprises et aux marques.

Et je pense que cette attente forte perdurera après la crise, car elle correspond à une mutation assez profonde. Démontrer leur utilité est une étape majeure pour les marques, qui se rapproche de la notion de « care » dont nous venons de parler au sens de « prendre soin ».

Et pour répondre à votre question, il s’agit de ne pas verser dans la sur-promesse en effet. Les consommateurs et les parties prenantes des marques exigent d’abord des faits, des actions et du reporting en toute transparence sur les progrès réalisés.

Le BrandNewsBlog : De manière très claire et intéressante, vous identifiez 4 attitudes plébiscitées de la part des marques en cette période : 1) le fait de se positionner en « solution solver » et de proposer des solutions concrètes plutôt que de chercher à vendre leurs produits/services ; 2) le fait d’adapter leur communication ; 3) le devoir le contribuer concrètement à lutte contre le Covid-19, le passage à l’action n’étant pas une option ; 4) Le fait de ne pas agir seules, mais de rechercher des synergies d’actions… Pouvez-vous expliciter chacun de ces points : les principales attentes des consommateurs et la bonne « réponse » attendue des marques ?

Marion Darrieutort : En ce qui concerne l’attitude n°1 (proposer des solutions), cela peut se traduire concrètement par le fait de fabriquer des produits qui vont permettre aux gens de résoudre leurs difficultés, mais également par le fait d’offrir ou de baisser le prix de produits destinés aux soignants, aux professionnels en première ligne de la crise sanitaire ou à ceux dont les emplois ont été affectés.

Pour l’attitude n°2 (savoir adapter sa communication), il s’agit en premier lieu de trouver le bon ton et les messages adaptés, c’est à dire « sociétalement corrects ». Le ton humoristique ou trop léger, par exemple, doit être manié avec grande précaution. Les marques sont aussi amenées à éviter les publicités invitant à l’évasion ou montrant des personnes en groupe utilisant leurs produits et passant un bon moment. En cette période de confinement – c’est du bon sens – ce type d’images pourrait en effet se retourner contre elles.

Pour l’attitude n°3 (contribuer concrètement à la lutte contre le Covid-19), une des plus fortes attentes exprimées est de rompre l’isolement par la création de communautés. 77 % des Français attendent des entreprises qu’elles leur permettent de rester proches les uns des autres, au moins d’un point de vue émotionnel. 70 % attendent qu’elles favorisent un esprit de communauté en utilisant les réseaux sociaux, pour faciliter et renforcer ce sentiment d’appartenance et qu’elles offrent une véritable « entraide sociale » aux personnes.

Enfin, attitude n°4 (ne pas agir seules), 79 % de nos concitoyens attendent des entreprises qu’elles représentent un « filet de sécurité », capable de prendre le relais du gouvernement ou de pallier ses insuffisances. En coordination avec les autorités nationales ou locales, leur contribution peut porter sur la fabrication de produits d’urgence, la diffusion de messages sur les soins de santé ou la prestation de services de soutien, comme la nourriture ou le transport, notamment.

Le BrandNewsBlog : Outre le passage obligatoire à l’action, la communication des marques doit aussi se montrer responsables, en somme. Les marques sont invitées à se départir de leur posture et registres commerciaux, à capitaliser sur les preuves d’action plutôt que les grands discours… mais également à trouver le ton « sociétalement correct » nous dites-vous : « chaque fausse note ou mésaccord étant susceptible d’induire un rejet durable ». N’est-ce pas là un chemin très étroit ? Que la plupart des marques, à l’exception de notables faux pas (cf ci-dessous la pub Polette) ont globalement suivi au demeurant, jusqu’à verser dans la surenchère d’empathie parfois, en dupliquant les mêmes messages et courriers types ?

Marion Darrieutort : Oui, c’est  vrai, le chemin à suivre idéalement est relativement étroit. Nous traversons aujourd’hui une crise majeure qui entraîne une forte déstabilisation, une grande perte de repères et un besoin de réinvention.

Alors bien entendu, trouver la bonne réponse dès les premiers jours est difficile. Cela nécessite pour les marques de faire évoluer leur lecture des insights consommateurs en s’ouvrant à des insights plus sociétaux. De se procurer et se savoir interpréter les bonnes données, de tester des messages et des campagnes auprès des bonnes personnes, les consommateurs certes mais également des experts capables de décrypter les mutations sociétales que nous vivons et leur impact sur les déclinaisons de communication.

Le BrandNewsBlog : Vous l’indiquez dans votre rapport Marion, 58% des Français estiment que la France sortira de la crise si les marques jouent un rôle majeur dans la résolution des problèmes actuels, et ils sont 49% à penser que les marques réagissent plus efficacement et réactivement que les gouvernements… Cette image un brin héroïque reflète-t-elle la réalité ? A l’image de la filière alimentaire et des acteurs de la grande distribution, soudain revalorisés, quels sont les secteurs et marques qui tirent le mieux leur épingle du jeu et se sont montrées à votre sens les plus exemplaires ?

Marion Darrieutort : Depuis quelques années maintenant, notre Trust Barometer décrypte la baisse de la confiance dans les gouvernements et la montée de la confiance dans les entreprises et les marques. Et cette crise ne fait que renforcer cette tendance car dans un moment de déstabilisation, les gens se tournent vers les « visages de la confiance ».

Personnellement, je trouve que dans cette période, les marques et les entreprises se montrent plutôt héroïques, en effet ! Certaines se sont mobilisées pour produire des gels, des masques, soutenir les soignants, mobiliser leurs équipes pour aller aider ou tout simplement remercier les soignants… Une majorité d’entreprises a fait la démonstration de sa contribution sociétale, et le mouvement est assez massif.

Je suis engagée depuis plus de 10 ans pour encourager les marques à développer leur empreinte sociétale. Durant cette dernière décennie, les choses avaient déjà bougé mais cette fois ci, l’accélération est majeure, profonde et concrète. Les entreprises font la démonstration de leur impact positif à la société. Espérons que cela dure quand nous serons de retour dans le « New Normal ».

Le BrandNewsBlog : Fabrication et dons de masques ou de solution hydro alcoolique, fourniture de respirateurs, aides et avantages pour les personnels soignants, rétrocession de primes d’assurance aux conducteurs, baisse de la rémunération des dirigeants… De nombreuses marques ont en effet montré l’exemple ces dernière semaines, faisant preuve de solidarité et d’une grande responsabilité. Mais cette posture de « marque soignante » et la démonstration de leur « brand purpose » face à ce test grandeur nature que représente la crise… a-t’elle des chances de résister aux conséquences de « l’après » et aux réalités économiques ? Quand les difficultés financières auront rattrapé jusqu’aux plus grands groupes, dans les secteurs sinistrés (tourisme, hôtellerie  restauration, industrie…), ne risque-t-on pas d’assister à de douloureux atterrissages au « business as usual » dont vous parliez, plutôt qu’à l’envol des marques « héroïques » ? Et quid des PME et marques déjà en difficulté en ce moment ?

Marion Darrieutort : On le sait, nous vivons une crise sanitaire mondiale et la crise économique qui s’annonce sera sans doute majeure. Il serait donc normal que l’urgence du business, l’impératif de vendre et de faire repartir rapidement la machine dominent les premières décisions et comportements des marques une fois cette crise terminée.

Sauf si celles-ci réalisent pleinement que pour vendre, il faudra désormais engager les consommateurs dans d’autres dimensions que les seuls attributs produits. Je pense que cette prise de conscience est déjà en train de se faire et que les marques ont compris, ces dernières années et encore davantage au travers de la crise actuelle, qu’elles peuvent être dans le « ET » et non le « OU ». Ce serait là une des premières leçons positives de la crise et une bonne nouvelle pour la suite.

Le BrandNewsBlog : Elise, vous êtes membre du Comité exécutif, en charge de la communication, de la RSE et des affaires publiques de Generali France, une des plus grandes marques du secteur de l’assurance. A l’heure où les marques se posent tant de questions sur leur communication, quelle est à votre avis la bonne attitude à adopter ? Doivent-elles faire « profil bas » (certaines ont arrêté toute communication externe), continuer comme avant en se contentant de reporter des campagnes… ou tout revoir ? Et qu’en est-il dans les secteurs de la banque et l’assurance décriés : y-a-t’il un sens à communiquer dans une telle période ?

Elise Ginioux : Les temps de crise sont des moments très révélateurs du positionnement des secteurs et des marques et de la manière dont ils sont perçus.

Banques et assurances sont fortement attaquées dans cette crise sanitaire qui se transforme, pour ces secteurs, en véritable crise de communication. Il est plus que jamais important de communiquer pour répondre à ce sentiment légitime de détresse ressenti par certains, ou pour répondre à une certaine mauvaise foi – pour ne pas dire un certain poujadisme – mis en œuvre par d’autres pour servir leurs propres intérêts.

De nombreuses incompréhensions du modèle assurantiel existent. Et il est vrai que les mécanismes de l’assurance ne sont pas toujours simples à comprendre et que le secteur de l’assurance a parfois pêché par défaut de pédagogie.

D’abord, et c’est un réflexe classique, on oppose en ce moment les plus de 200 milliards d’euros de chiffre d’affaire des assureurs aux 50 ou 80 milliards d’euros de pertes d’exploitation estimées des commerçants ou entreprises. Une situation qui se résumerait au traditionnel « pot de fer contre pot de terre ».

Sauf que ce chiffre d’affaire correspond avant tout à la consolidation de l’épargne des français et de leurs livrets d’assurance-vie qui contribueront à payer leur retraite ou d’autres projets de vie à long terme. Il est donc impossible de mobiliser cette somme pour dédommager des pertes d’exploitation. D’autant plus que l’assurance est un secteur extrêmement supervisé et que nos autorités de contrôle veillent au grain, notamment en matière de liquidité et de solvabilité – expliquant d’ailleurs la forte résilience des assureurs lors des grandes crises financières ou économiques des dernières décennies, au plus grand bénéfice des assurés et de la vie économique française.

Enfin, il est important d’expliquer que si les pandémies et les interdictions d’exploitation ne sont pas couvertes par les assurances c’est parce qu’une telle garantie n’a pas fait l’objet de cotisations préalables, n’est pas provisionnée et rend la mutualisation propre à l’assurance non fonctionnelle.

Si une telle garantie était généralisée dans les conditions actuelles, cet événement représenterait à lui seul un coût supérieur à l’ensemble des cotisations annuelles perçues par toutes les compagnies d’assurance françaises sur une année, pour tous types de clients et pour tous types de risques (accidents, événements naturels, vols, dégâts des eaux, etc.) Ces 50 ou 80 milliards d’euros dépasseraient largement la totalité des fonds propres de l’ensemble des entreprises d’assurance. On ajouterait donc un nouveau problème – la banqueroute des assureurs dommages – à un autre problème.

C’est la raison pour laquelle le secteur entier de l’assurance se mobilise pour travailler avec les pouvoirs publics à la création d’un régime d’assurance des catastrophes sanitaires : seule une réponse public-privé est envisageable dans de telles circonstances, à la manière d’un régime de solidarité national de catastrophes naturelles. Les premières recommandations devraient arriver à l’été.

Nos directions de la communication ont donc un rôle clé à jouer, qui est celui de la pédagogie pour accompagner clients, médias, pouvoirs publics, élus, collaborateurs, réseaux commerciaux et autres leaders d’opinion dans leurs différents rôles.

Le BrandNewsBlog : Dans une tribune accordée récemment au site l’ADN³, Laurent Habib, Président de l’AACC et Laurence Bordry, Présidente du Club des Annonceurs, ont tous deux déploré la décision d’un grand annonceur* d’annuler purement et simplement toutes ses campagnes pour faire don du budget correspondant à la lutte contre le Covid-19. Même si les marques sont « souveraines » dans leurs décisions, ils redoutent que cet exemple fasse tache d’huile et mette en péril l’économie déjà fragile du secteur des médias et de la pub. Qu’en pensez-vous ? La mobilisation des marques face au Coronavirus est-elle incompatible avec le maintien des budgets com’ et des investissements prévus ?

Elise Ginioux : Les conséquences macro et micro-économiques de cette crise sanitaire seront considérables et restent encore difficile à chiffrer précisément. Les conditions de la reprise économique, les comportements des consommateurs, les équilibres offres-demandes, le niveau de chômage, d’inflation ou de récession sont encore incertains.

Il est donc à mon sens inévitable, pour ne pas dire responsable, que les entreprises étudient avec le plus grand soin leurs dépenses, notamment en matière de frais généraux.

Certaines de nos dépenses ont été orientées, très rapidement, vers l’urgence : cela relève de la responsabilité citoyenne que chaque entreprise doit avoir, à proportion de ses moyens.

La ligne de crête en matière de budget de communication est toujours ténue dans ce genre de circonstance : il s’agit de garder une certaine responsabilité vis-à-vis de nos partenaires, de ne pas annihiler les investissements du passé, et de préserver une cohérence entre notre identité de marque, nos déclarations et nos actions. En ce qui nous concerne, nous nous sommes tournés en priorité vers les indépendants et petites entreprises (notre cœur de cible), le personnel médical, et notre travail de communication et de pédagogie.

Nous n’avons pas eu à faire d’arbitrage en matière d’investissements publicitaires, puisque nous sommes très discrets depuis une dizaine d’année en la matière. Mais nous y travaillons et cela devrait se concrétiser dans les mois à venir.

Le BrandNewsBlog : En ce qui vous concerne, chez Generali, comme d’autres grandes marques mondiales, vous n’avez pas tardé à réagir à la crise et à faire preuve d’une grande solidarité, en multipliant et en alternant les initiatives locales de dons de masques et d’équipements de protection et des donations de beaucoup plus grande ampleur. Pouvez-vous nous en parler ? Je crois que cette mobilisation s’exprime en dizaines de millions d’euros, avec notamment la création d’un fond international pour la gestion de l’urgence de la crise Covid et des dons de plusieurs millions aux hôpitaux et systèmes de santé en France et en Italie ? Une telle mobilisation était-elle évidente pour votre marque ?

Elise Ginioux : Dès les premiers jours de la crise, et a fortiori dès le début du confinement, nous avons lancé en effet des initiatives fortes. Comme je l’évoquais à l’instant, nous nous sommes tournés en priorité vers les indépendants, les petites entreprises, et le personnel médical et hospitalier engagés en première ligne.

Aujourd’hui, l’ensemble des impacts et des engagements portés par Generali dans la lutte contre le Covid-19 en métropole et en outre-mer s’élève à 300 millions d’euros – ce qui correspond pour tous les acteurs de l’assurance à 3,2 milliards d’euros de mesures exceptionnelles. Un effort salué par Matignon en début de semaine.

Nos engagements portent pour moitié dans notre contribution au fonds gouvernemental de solidarité pour soutenir les indépendants et entrepreneurs impactés par la crise, ainsi que dans la mobilisation de nos capacités d’investissement au service de la relance de l’économie française via le programme d’investissement de 1,5 milliard d’euros lancé par la profession assurantielle. Il est tout même important de préciser que les assureurs, bien qu’eux-mêmes impactés par la crise, sont les seuls représentants du secteur privé à contribuer à ce fonds gouvernemental, et cela à hauteur de 400 millions d’euros !

Les 150 millions d’euros restants consistent en des engagements spécifiques à Generali. Ainsi, nous mettons en œuvre des mesures extra-contractuelles de maintien et d’extension de garanties au bénéfice de nos assurés, dont 80 millions d’euros de gestes commerciaux à l’attention de nos clients professionnels, entreprises et indépendants. Enfin, nous avons lancé plusieurs initiatives de solidarité adressées notamment au personnel soignant et au secteur de la santé.

Par exemple,  nous avons supprimé les franchises en cas d’arrêt maladie des professionnels de santé libéraux travaillant en première ligne dans la lutte face à l’épidémie. Nous avons également effectué une donation de 3 millions d’euros à destination de la Fédération Hospitalière de France pour contribuer aux besoins d’urgence des 38 hôpitaux publics de métropole et d’outre-mer ; et nous avons lancé avec la FHF une plateforme spéciale pour collecter les contributions additionnelles de nos collaborateurs. Nous mettons aussi à disposition des pouvoirs publics 15 appartements vacants à Paris (pour un total d’environ 50 chambres) afin de loger les personnels soignants appelés à travailler en Île-de-France tout au long de la crise sanitaire.

Par ailleurs, comme vous le précisez, notre Groupe a lancé un fonds de solidarité de 100 millions d’euros pour soutenir les mesures sanitaires d’urgence et les entreprises en difficulté. De nombreux dons en nature, tels que des respirateurs médicaux, ont également été effectués dans des hôpitaux du monde entier, notamment par notre filiale Europ Assistance.

L’ensemble de ces engagements fait sens au regard de notre positionnement stratégique de « Lifetime partner » : être partenaire de nos clients tout au long de leur vie. Et cela doit être d’autant plus vrai dans les moments difficiles.

Le BrandNewsBlog : Pour autant Elise, en complément de ces démonstrations de solidarité et de votre mobilisation, je crois que votre entreprise a mis un point d’honneur à ne pas avoir recours au chômage partiel dans cette période, à garantir la rémunération de ses salariés, dont la quasi-totalité travaille aujourd’hui à distance, et à payer rubis sur l’ongle ses partenaires et fournisseurs. Comment cela se traduit-il au niveau de vos plans et de vos investissements en communication, notamment en matière de pub et d’évènementiel ? Quels ont été / quels vont être vos arbitrages ?

Elise Ginioux : Oui, en effet. Bien que certaines de nos équipes soient en sous-charge, nous avons décidé en Comité exécutif de ne pas mettre en place de chômage partiel pour nos collaborateurs. Cela représente plusieurs dizaines de millions d’euros de coûts évités aux pouvoirs publics.

De la même manière, conscient que les priorités de l’Etat sont de gérer la crise sanitaire et d’aider les entreprises en difficulté, nous n’avons pas demandé de report d’impôt sur les sociétés ni de report de cotisations sociales.

Nous avons également répondu à l’appel de l’Etat visant à soutenir les fournisseurs et sous-traitants, et nous accélérons le paiement sans délai de l’ensemble des prestations en cours, même celles non réalisées actuellement pour des raisons évidentes. La direction financière y veille particulièrement, et nous recevons chaque semaine un état d’avancement très précis sur ce sujet.

En matière d’évènementiel, nous ne pouvons pas nous soustraire aux règles obligatoires de distanciation sociale. Nous devons mettre en place de nouveaux moyens, dans des délais courts, tels qu’audiocasts et transmissions vidéos, le tout avec le souci d’économie de notre bande passante. Nous ne pouvons en effet dégrader les conditions de télétravail de nos collaborateurs et commerciaux. Et nous reportons ce que nous pouvons : lors de la reprise, il y aura des rites internes ou des moments-clés commerciaux inévitables qui aideront à la bonne relance de notre activité.

Le BrandNewsBlog : Dans l’étude réalisée par Edelman sur les marques face au Covid-19, dont vient de nous parler Marion Darrieutort, on évoque l’émergence de « marques soignantes », dont la vocation ne serait pas seulement de prendre soin de leurs clients, mais aussi de leurs collaborateurs et leurs autres parties prenantes. Ce concept vous paraît-il intéressant / pertinent ? Il me semble qu’avec les initiatives de votre Fondation The Human Safety Net et vos engagements en matière de RSE, votre marque n’a pas attendu la crise du Covid-19 pour prendre conscience de son rôle sociétal et environnemental… Quel intérêt pour votre marque d’investir ces champs et « d’agir pour le bien commun », pour reprendre la formule de Thomas Kolster ?

Elise Ginioux : Cela semble en effet une véritable tendance de fond. Nous vivons dans un pays empli de paradoxes à l’égard notamment de l’Etat et des entreprises. Force est de constater que l’image de l’Etat-Providence reprend des couleurs dans une telle crise, sans oublier que la séquence précédente « gilets jaunes » n’était pas complètement fermée…

Chacun doit jouer sa partition. C’est une question de citoyenneté, de responsabilité, d’attractivité et de fierté interne. Et la capacité des entreprises à accompagner leurs clients et leurs parties prenantes est d’autant plus attendue en de telles circonstances.

J’évoquais notre positionnement stratégique de « Lifetime partner ». Il s’inscrit parfaitement dans cette tendance du soin et de l’attention. Pour Generali, il s’agit de ne pas vendre des « commodités », ces produits qui relèvent de l’indispensable, voire de l’obligatoire, mais qui ne sont jamais appréciés et toujours vécus comme subis par le client. Nous devons passer d’une relation purement transactionnelle à une relation de « care » et d’accompagnement des moments-clés de vie de nos clients.

A titre d’exemple, nous avons lancé au début du mois « Covid Protection Salariés » auprès des entreprises. Il s’agit d’un ensemble de garanties d’assurance et d’assistance pour accompagner les salariés d’entreprises et leur famille à traverser l’épreuve de la maladie (soutien psychologique, assistance sociale, indemnisations journalières en cas d’hospitalisation et de convalescence, livraison à domicile des médicaments et de repas…) Ces garanties sont à but non lucratif : à l’issue de la période de garantie, nous restituerons toutes les cotisations d’assurance potentiellement non consommées à nos associations partenaires impactées par la crise sanitaire. A l’inverse, s’il y a un excédent de dépenses, nous l’assumerons.

Autre exemple : nous avons en effet créé fin 2017 une fondation à destination des familles vulnérables et entrepreneurs réfugiés : « The Human Safety Net ». Manque de produits de première nécessité, problèmes d’accès aux soins, isolement, exclusion numérique, risques de faillites… On le sait, les périodes de crise rendent toujours plus aigües les fragilités et les inégalités. En complément de nos engagements tout au long de l’année dans le cadre de cette fondation, nous avons donc débloqué récemment la somme de 230 000 euros, que nous redistribuons actuellement auprès de nos différentes structures, sous la forme de dons en nature ou d’aides financières ciblées.

C’est par ce type de garanties, de mesures et de d’actions que nous souhaitons être cohérents avec notre positionnement de Lifetime partner.

Le BrandNewsBlog : En dépit du degré d’incertitude et du grand manque de visibilité quant à l’issue et aux conséquences – notamment économiques – de cette crise, votre entreprise a-t-elle vocation à maintenir ses engagements sociétaux, dans les prochaines années ? Considérez que cela fait maintenant partie de « l’ADN » de votre marque et que la crise est finalement un grand moment de vérité, pour toutes les entreprises qui proclament une raison d’être et une ambition sociétales, comme Generali France ? Si tant est qu’il en existe, quelles leçons positives retirer d’ores et déjà de cette crise, pour les marques ?

Elise Ginioux : Nous avons évoqué les réflexions inévitables en matière budgétaire. Mais il est clair que nos engagements RSE sont sanctuarisés. Qu’il s’agisse de notre Fondation The Human Safety Net dont j’ai parlé, de notre partenariat avec le « Ballon Generali » à Paris, véritable outil de santé publique et de surveillance de l’air, ou de notre mécénat culturel : nous ne remettrons en cause aucun de ces engagements.

Ainsi, nous sommes très fiers d’être partenaire de la grande exposition « Sculpture italienne : de Donatello à Michel-Ange » qui devait s’ouvrir en mai au musée du Louvre. De grandes incertitudes demeurent quant au planning et à la possibilité même d’organiser cette exposition. Quelles que soient la décision du musée et ses contraintes, nous maintiendrons notre engagement de mécénat et travaillerons ensemble à la meilleure solution possible. Nous saurons être créatifs !

The BrandNewsBlog : Thomas, merci beaucoup d’avoir accepté de répondre à mes questions. Depuis plus de dix ans maintenant, vous êtes l’un des experts internationaux les plus renommés dans les domaines de la communication et de la publicité responsables, et vous avez lancé il y a 8 ans le concept de « goodvertising », dont nous allons bien sûr reparler. Que vous inspire cette crise mondiale du Covid-19 ? Est-ce, comme vient de le suggérer Marion Darrieutort, une période cruciale pour les marques, durant laquelle le moindre de leur comportement sera observé et jugé… mais en même temps une période riche d’opportunités et d’enseignements nouveaux ? 

Thomas Kolster : C’est incontestablement une période intéressante pour les marques, et il faut la considérer comme telle, en termes d’opportunité, car les crises ont d’abord cette vertu de nous pousser à réfléchir davantage et à nous remettre en question. Mon ouvrage de 2012 sur la publicité responsable est d’ailleurs né dans une large mesure de mes réflexions suite à la crise la crise financière de 2008…

Avec la crise actuelle, ce qui me semble vraiment frappant, c’est que nous sommes en train de vivre la plus grande expérience de déconsommation dont j’ai été témoin. Le contrainte du confinement, la fermeture de la plupart des magasins et le recentrage sur l’achat de produits de première nécessité représentent une opportunité inédite pour les entreprises de se projeter dans le « monde d’après », et de réfléchir aux nouvelles offres de valeur qu’elles pourraient proposer, de repenser aussi la façon dont elles pourraient construire et promouvoir différemment leur(s) marque(s). Voilà à mon avis la première et la plus grande des opportunités de la période actuelle.

A contrario, mais nous allons en reparler je crois, car c’est quelque chose que nous avons hélas déjà vécu après la crise de 2008 : le risque existe que les entreprises retombent dans une forme de court-termisme et un certain manque de vision, en pratiquant une course aux promotions pour redresser leurs ventes et leur chiffre d’affaire : le fameux « business as usual ». Ce serait humain, mais cela pourrait évidemment compromettre les enseignements positifs que nous venons d’évoquer…

The BrandNewsBlog : Beaucoup d’entreprises et de marques ont spontanément apporté leur soutien financier et technique aux systèmes et aux professionnels de santé, en fabriquant notamment des masques, du gel hydroalcoolique ou des éléments de respirateurs… Ce faisant, elles ont répondu à cette attente des consommateurs de voir les marques plus actives et plus impliquées socialement, beaucoup de nos concitoyens considérant d’ailleurs qu’elles ont été plus efficaces dans leur gestion de la crise que les gouvernements. Êtes-vous surpris de ces manifestations de solidarité, et considérez-vous comme Marion que la période actuelle représente en quelque sorte un « torture test » pour les marques dotées d’une raison d’être, dont elles sortent pour l’instant grandies ?

Thomas Kolster : Je ne serais sans doute pas aussi catégorique et définitif sur ce dernier point, car il me semble surtout que la période que nous vivons est tout à fait inédite et ne se rapproche de rien de ce que notre génération a connu. Toute proportion gardée, nous vivons un choc similaire à celui d’une guerre, durant laquelle l’union sacrée est de vigueur, si ce n’est parmi les citoyens, du moins parmi les entreprises. 

A cet égard, toutes les entreprises se doivent de dire ou de faire quelque chose, et de prouver leur solidarité : c’est une espèce de « minimum syndical » ou de minimum civique pour toute marque qui se dit citoyenne, qu’elle soit dotée ou non d’une raison d’être.

J’ai été davantage surpris, je vous l’avoue, par l’impressionnant élan de solidarité, d’attention, de créativité et d’ingéniosité dont ont fait preuve les citoyens face au Coronavirus et à la gestion du confinement. Dès les premiers jours de ce confinement, dans chaque pays, sont nées des milliers d’idées et d’initiatives individuelles ou collectives des uns et des autres pour créer du lien, échanger, divertir leurs communautés et surtout soutenir les soignants et les professionnels en première ligne de la lutte contre le Covid. Cela témoigne à mon sens d’une vraie « prise de pouvoir » des gens, qui veulent plus que jamais avoir leur mot à dire. Et les marques les plus intelligentes sont sans doute celles qui réussiront à capter ce mouvement et à accompagner ou faciliter cette expression collective et individuelle, en proposant les bons outils ou les bonnes idées au bon moment.

The BrandNewsBlog : Dans votre livre, Creative advertising that cares, traduit en français en 2015, avec l’aide de l’ADEME et de l’agence Sidièse, vous avez donné vie à ce nouveau concept de « goodverstising », avec l’ambition de servir les projets de marques plus responsables et impliquées sociétalement. Alors que la publicité et la communication devraient avoir une influence positive sur l’opinion et sur la prise de décision des consommateurs, vous aviez alors déclaré que 99% des pubs étaient vraiment mauvaises et ne faisaient la promotion d’aucune amélioration sociale ni environnementale… Est-ce encore le cas aujourd’hui ? Les agences ont-elles progressé aussi rapidement que certains de leurs clients ? Et comment pourraient-elles encore s’améliorer ?

Thomas Kolster : Oui, c’est évident. Beaucoup de choses se sont passées depuis 10 ans et le développement durable est progressivement devenue une thématique incontournable pour les entreprises et pour les agences, un peu comme la saveur Coca-Cola dans les chewing-gum des années 90. Parler du « care », proclamer son souci de l’environnement et sa responsabilité sociétale sont en quelque sorte devenus la norme.

Mais paradoxalement, plus les entreprises crient sur les toits leur souci de l’environnement et revendiquent leur engagement sociétal, dans une forme de surenchère, plus les consommateurs développent leur scepticisme, voire un certain cynisme, en voyant partout du « green-washing » ou du « woke-washing », ce qui est plutôt dangereux… et les faits leur donnent souvent raison.

La question de la confiance, et par ricochet celles de la sincérité, de l’humilité et de l’incarnation des marques dans leur approche des problématiques de la RSE sont donc essentielles. Voilà pourquoi il est nécessaire de changer complètement la façon de communiquer sur ces sujets, car si on continue à le faire de manière « top-down », comme on l’a fait ces dernières années, par de grandes déclarations voire déclamations, on risque de compromettre durablement la crédibilité des marques dans ce domaine. C’est d’ailleurs le sujet de mon deuxième ouvrage, « The Hero Trap », dans le quel j’explique qu’il est plus que temps de redonner le pouvoir aux consommateurs, y compris dans les domaines du marketing et de la communication.

The BrandNewsBlog : Une fois la crise Covid-19 terminée, ne pensez-vous pas que beaucoup d’entreprises et de marques seront tentées de revenir au « business as usual », notamment si elles sont contraintes de se battre pour leur survie ? Qu’en sera-t’il alors des préoccupations environnementales ? N’y a-t-il pas un risque (bien légitime) que les entreprises se concentrent davantage sur la santé, la sécurité et les préoccupations sociales (sauver les emplois, pour commencer), sacrifiant toute autre préoccupation ? Les marques ont-elles vocation (et les moyens) de relever tous les défis auxquels l’humanité est confrontée ?

Thomas Kolster : Oui, ainsi que je le disais, le risque existe toujours d’un retour à des approches purement promotionnelles et court-termistes, en cas de crise économique majeure et au nom de la survie des entreprises. Des initiatives ou des budgets pourraient être sacrifiés, et les belles initiatives autour de la « raison d’être » sociétale des marques être provisoirement voire définitivement laissées de côté.

C’est un peu le problème des approches RSE et des « corporate purposes » abstraits et complètement déconnectés des réalités du business : quand la raison d’être arrive comme une « couche supplémentaire » au-dessus de la dimension business, ou comme une « cerise sur le gâteau », cette cerise peut être sacrifiée en période de crise. Alors que lorsque la RSE et la dimension sociétale sont embarquées dès l’amont dans les projets business et résultent d’une observation et d’une compréhension fines des attentes et des besoins des publics, et de l’attention que la marque porte à longueur d’année à ses clients, en les impliquant idéalement, alors il y a beaucoup plus de chances que l’approche RSE soit pérenne et efficace à long terme.

Mais sur ce long chemin, la marque doit également rester humble, faire le plus souvent profil bas et savoir reconnaître qu’elle est loin d’être parfaite : à partir de l’identification initiale de ses impacts, elle doit reconnaître qu’elle essaie chaque jour de s’améliorer et communiquer sans effet de manche sur ce qu’elle a mis en place pour y arriver. Il n’est pas question d’essayer de résoudre toutes les problématiques de l’humanité, loin de là.

The BrandNewsBlog : Nous parlions de la responsabilité des marques, qui doivent changer leurs habitudes et réflexes pour oeuvrer davantage pour le bien commun. Mais qu’en est-il des citoyens et consommateurs que nous sommes ? Si les études montrent que nous attendons davantage des marques aux plans sociétal et environnemental, nous ne sommes pas exempts de contradictions et continuons souvent d’acheter des produits et services à des plateformes ou des entreprises qui ne respectent pas toujours le droit du travail ni l’environnement. Comment la communication et la publicité peuvent-elles modifier cela ? Et contribuer à un changement de mentalité commun ? Est-ce possible ou pure utopie ?

Thomas Kolster : C’est une conclusion à laquelle je suis en effet arrivé avant d’écrire mon dernier ouvrage, The Hero Trap. Les êtres humains sont souvent contradictoires, et le plus grand adversaire du changement, c’est toujours nous mêmes, c’est l’individu. C’est pourquoi il est si important de s’intéresser dès le départ et de très près aux sciences humaines et à tout ce qui nous permet de mieux comprendre la psychologie et les comportements humains, pour être en mesure de commencer à les étudier, avant de songer à les changer en commençant par travailler sur nos représentations et nos attitudes.

A cet égard, changer les habitudes de consommation et les comportements des individus, pour qu’ils deviennent plus citoyens et eco-responsables, est un travail de très longue haleine. C’est comme courir un marathon : il y a bien plus d’étapes et de passages obligés qu’on ne l’imagine au départ.

Et il ne s’agit pas simplement d’être « customer centric » en sachant capter l’expression des besoins actuels des clients, car on ne produirait sans doute aucun changement à partir de cela. Il faut aussi et surtout s’intéresser aux perceptions des gens, à leurs envies et et à leurs rêves, pour identifier dans ces projections les catalyseurs du changement et commencer à susciter le changement de mentalité dont vous parlez.

Cela n’a donc rien d’utopique, mais c’est un travail de fond. Et les entreprises doivent s’y intéresser car elles ont un grand rôle à jouer dans ce changement. Si nous revenons dans un premier temps dans les prochains mois à des incitations massives à consommer davantage, ce qui ne serait pas étonnant, il faudra à plus long terme se servir de ce que nous aurons appris durant cette crise pour activer et mobiliser le désir le changement des individus, qui s’est exprimé si fortement dans les premières semaines du confinement. Ce sera le plus puissant moteur pour produire un changement.

The BrandNewsBlog : Georges, en ce qui vous concerne, que vous inspire la période que nous vivons ? Pensez-vous qu’elle va susciter un changement de paradigme pour les marques (et si oui dans quelle mesure ?), ou bien qu’il s’agisse plutôt d’un épiphénomène et que les entreprises reviendront bien vite à leurs comportements et réflexes habituels une fois la crise sanitaire terminée ?

Georges Lewi : La période que nous vivons est celle de la perte des repères. Visiblement, tout le monde va à tâtons, des politiques aux scientifiques, eux qui étaient censés représenter le « savoir », les chiffres, les données… On comptait sur eux.

Cela partait plutôt bien avec le directeur de la santé que tout le monde louait… au début. Et puis patatras, Médecins et politiques se contredisent, annoncent une vérité démentie le lendemain. On s’était fait dociles comme des enfants, et on s’aperçoit que la nécessité d’un confinement sans faille, qui commence à échauffer les esprits, n’est peut-être qu’un mensonge de plus. Ce traitement hautement moyenâgeux, quand on ne connaissait ni médecine, ni médicaments, ne serait finalement que la potion prescrite suite à l’impréparation des hôpitaux et au retard dans la commande des masques, des tests et du matériel respiratoire.

On l’avait accepté sans broncher dans l’ignorance avant de se comparer aux autres, les Norvégiens, les Suédois, les Allemands, Les Vietnamiens… C’est ainsi que l’on perd repères et confiance.

Et que se passe-t-il quand on perd ses repères ? On revient à ses croyances. Avec deux grandes tendances dans ce type de circonstances : Athéna ou Arès. La sagesse de l’être humain civilisé, le Sapiens, qui fait confiance, ou la divinité de la brutalité qui ne croit qu’en lui. On commence à entendre le son de la violence monter. D’autant qu’en France, il n’était pas loin. Le clivage se fait dans la société, la délation revient, le pouvoir communique sur le nombre absurde de PV pour infraction au confinement. Presque un million ! Les autochtones veulent renvoyer les propriétaires de résidence secondaires. Un syndicat et un tribunal veulent interdire Amazon.

Pour les marques, on voit bien le clivage. « Tout ce qui n’est pas nécessaire à la survie doit disparaître ! ». Du coiffeur à la librairie en passant par le fleuriste ! Et chez Amazon, tu n’achèteras plus de coloration pour tes cheveux, de jouets, de vibro-masseurs… Les vieux, tu confineras jusqu’à la fin des temps ! Il y aurait donc deux types de marques : les vitales et les inutiles, voire nuisibles. Les temps passent mais les idées, les représentations restent. La bataille ne fait que commencer. Arès est de retour. Même son père et sa mère, Zeus et Héra, ne pouvait plus à le supporter. Seule, Aphrodite, sa sœur, belle comme un jour et chipie comme pas deux était restée proche de lui ! Le clivage des gens et des marques est bien parti pour se cristalliser.

The BrandNewsBlog : Les grandes entreprises et la plupart des grandes marques se sont montrées très solidaires et généreuses depuis le début de cette crise Covid-19. Pensez-vous que les consommateurs sauront s’en souvenir dans les prochains mois, voire les prochaines années ? L’institut Edelman, souligne que 20% des consommateurs auraient déjà infléchi leurs décisions d’achat en fonction du comportement des marques… L’effet pourrait-il être plus durable ?

Georges Lewi : Il faut, à mon sens, distinguer deux phénomènes. Son entreprise et les entreprises. Pour l’entreprise dans laquelle on travaille, la plupart ont montré beaucoup d’intelligence et de compréhension vis-à-vis de leurs salariés. Ceux-ci vont s’en souvenir.

Le management s’est montré très souvent à la fois attentif et présent. Il a su, souvent, entraîner les gens à se dépasser comme dans la distribution. Cela confirme les études menées depuis très longtemps. Les gens peuvent se défier des patrons, c’est à dire de la notion de l’autorité et de l’argent, mais ont une bonne opinion de leur propre « boss ».

La valeur forte est la proximité. Pour la générosité qu’ont mise les entreprises dans cette période exceptionnelle, je pense qu’elle sera vite oubliée. D’abord, parce qu’il est « normal » humainement d’aider quelqu’un à côté de soi qui est dans la détresse, ensuite parce que beaucoup ont mené des actions similaires comme faire un don aux Hôpitaux de France, structure dont on n’avait pas entendu parler avant.

Que signifie pour un citoyen qui n’a aucune notion d’économie de « donner » 5% de son chiffre d’affaires ? Rien. 5%, c’est peu même si les économistes savent que sur une marge de 20 ou 25%, c’est beaucoup. Est-ce l’APHP qui a plutôt « mauvaise presse » depuis les conflits dans les hôpitaux ? Ce que le public de proximité encore une fois retiendra, ce sont ces actes de proximité, le pâtissier ou le restaurant d’à côté » qui prépare pour les soignants. En « charité » comme ailleurs, la vérité est le symbole et la différenciation. Je me méfie du déclaratif sur les intentions d’achat. Les consommateurs ne sont pas des sauvages mais ils ont de bonnes intentions qu’ils oublient souvent quand ils se trouvent dans les rayons du magasin. Restera l’item proximité, le « made in France », qui avait bien progressé et que cette crise rend plus indispensable.

The BrandNewsBlog : A travers cette générosité et leurs démonstrations de solidarité, les marques – certaines d’entre elles en tout cas – se sont-elles glissées dans le costume du « héros », en lieu et place des institutions et gouvernements souvent moins réactifs et très critiqués ? Et les grandes marques ont-elles été dans cette période à la hauteur de leur mythe ?

Georges Lewi : L’être humain voit et pense le monde en binômes. C’est ainsi que notre esprit « fonctionne ». Ce qui est proche/ce qui est lointain. Ce qui est naturel/ce qui est sophistiqué. Ce qui marche/ce qui ne marche pas, Ce qui est utile/ce qui est inutile…

Dans la panique des premiers jours, qu’ont vu les consommateurs et les citoyens ? Des services publics souvent débordés ou comme La Poste, absents. Des entreprises certes débordées mais qui « tiennent », comme le firent les grands distributeurs, même s’il manque de la farine ou du papier hygiénique. Des grandes entreprises qui se débrouillent pour trouver du gel, des masques pour leurs collaborateurs (ceux qui sont là). Comme les soignants, les caissières, les éboueurs, les livreurs sont là !

Même les banques ! Les « boîtes » et les marques ont fait le « job ». Depuis au moins trois ans, le public maintenait sa confiance (entre 55 et 65%) dans les marques par rapport aux « institutions », aux médias, aux journalistes… En fait, depuis trente ans, ce chiffre de confiance (selon la nature de la question posée et son contexte) ne se dément pas. Je passe mon temps à le répéter. Il n’y a jamais vraiment eu de défiance envers les marques.

Seulement, des catégories « plébiscitées » il y a 30 ans, comme le jean, les baskets, le tee-shirt, l’équipement de la personne, sont surpassées désormais dans l’échelle de la préférence par de nouvelles catégories comme celle du smartphone ou des plateformes de films ou de jeux.

Les marques, celles dont la catégorie intéresse le consommateur interviewé sont, en effet, les héros dont on a besoin pour notre quotidien, pour nous sentir reconnu et valorisé, pour être avec les autres, pour s’identifier ou au contraire s’en éloigner et s’affirmer en contrepoint . Si en plus, « ma » marque se montre généreuse, intelligente, alors, là, c’est le bonheur ! J’aime mon héros, je m’identifie à lui et en plus, il est au top de la générosité et désormais tout le monde l’aime comme moi… C’est l’harmonie du monde reconstruite autour de mes valeurs ! 

Les GAFAM ont tenu sans être très généreux. Mais quand on a eu besoin d’eux, ils étaient là. Les opérateurs comme Orange ont tenu et en plus nous ont offerts un « petit bonus » de temps, de chaînes gratuites… Une marque, proche et héroïque, ça ne s’oublie pas ! le consommateur est content de retrouver ces plaisirs simples qu’il craignait de perdre. Les marques qui ont su les sauvegarder vont marquer des points pour longtemps. C’est ce que je conseille à mes clients dans mon travail de consulting.

Reste la question douloureuse des compagnies et marques d’assurances qui en effet se sont d’abord « fait pincer les doigts dans la posture d’Oncle Picsou » [voir à ce sujet la réponse d’Elise Ginioux ci-dessus]. La catégorie va avoir besoin de quelques temps pour s’en remettre. Les agents généraux vont le sentir très vite dans les contacts avec leurs clients. Il va leur falloir faire preuve de beaucoup de proximité transactionnelle et émotionnelle pour regagner client par client. Il va leur falloir retrousser les manches de leur plateforme de marque ! 

The BrandNewsBlog : Dans votre dernier ouvrage, Devenir une marque mythique, ainsi que dans plusieurs ouvrages précédents, vous avez démontré comment les plus grandes marques ont su, savent alimenter et renouveler en permanence leur storytelling en s’inspirant des plus grands mythes de notre histoire, si présents dans l’inconscient collectif. Pour autant, dans le cas présent, les marques peuvent-elles utiliser l’épisode dramatique que nous vivons pour venir nourrir leur récit, même ultérieurement ? Serait-ce légitime ou plutôt indécent à votre sens ?

Georges Lewi : Une marque est récit. C’est ce qui la distingue du marketing qui est commerce. Une grande marque sait allier les deux : faire du business sur une narration solide. Ce récit, ce « storytelling », est fondé sur une petite cinquantaine de « points de vue », de mythèmes : le grand/le petit, le proche/le lointain, la civilisé/le brut, le technicien/Le commerçant, l’expert/le débrouillard, le terrien/Le maritime, le sage/le fou…

Ces récits reprennent dans les grandes lignes les postures des divinités de l’Olympe dont parle Homère (il écrit il y a 3 000 ans environ) , ce qu’on nomme pour faire simple les « mythes ». Qu’est-ce qu’un mythe ? une représentation illustrée du monde à laquelle on adhère plus ou moins ou pas du tout. Les « mythes » nous permettent, à nous Sapiens, de nous situer, de nous reconnaître pour nous permettre de nous raconter, donc, d’exister.

Les dernières études montrent que « Sapiens » est parvenu à survivre, puis à s’imposer car il savait construire des récits capables d’«embarquer » cent, mille… un million de personnes pour une cause là où les autres espèces ne savaient mobiliser que leur proximité immédiate.

La survie de de l’humanité est due à son besoin fondamental de « storytelling ». La crise que nous vivons est « clivante ». Chacun va donc trouver dans « ses » marques de quoi se conforter.

Celui qui croit en la rationalité des grandes marques agro-alimentaires va conforter son « profil » Déméter, la déesse de la terre cultivée, de la fécondité et va remplir son placard de biscuits, de yaourts, de plats cuisinés. Il se dira qu’heureusement que ces marques existent pour lui permettre de bien se nourrir.

Celui qui croit en la seule vérité des produits non industriels va cultiver son « profil » Artémis, la déesse de la nature sauvage et se jeter sur la farine pour faire son pain et ses gâteaux. Il se dira qu’heureusement que l’on n’a pas tout transformé pour lui permettre de « manger sain » et de rester en bonne santé !

Vouloir se faire une grosse pub sur une bonne action en ces temps difficiles ne sera que mal vu. Mais faire du surf sur son positionnement pour souligner discrètement que vos consommateurs ont bien raison de vous suivre, en ces temps difficiles sera un « plus ». Et n’oublions pas que le consommateur est multiple, qu’il n’est ni un robot ni un monstre de cohérence ! De quoi tout compliquer encore…

The BrandNewsBlog : Pour finir Georges, quelles marques vous ont semblé communiquer de manière particulièrement avisée ces dernières semaines, et pourquoi ?

Georges Lewi : La « marque » professeur Raoult ! Il apporte une solution (bonne ou mauvaise) là où les autres tergiversent. Ensuite, les « proxis », ces supermarchés de proximité qui fonctionnent dans un monde à l’arrêt et pour certains livrent à domicile (ce que fait aussi l’épicier ou le pharmacien du coin).

Les marques qui réussissent à maintenir la barre dans un univers où tout semble flancher. Les marques de frais qui ont tenu comme La Ruche qui dit Oui, Grand Frais qui ont joué la proximité et l’efficacité. Doctolib, qui met très vite en place pour vous et votre médecin des consultations à distance.

Et bien-sûr, les marques qui nous ont donné le sentiment que tout pouvait continuer : nous voir, apprendre, éviter de perdre du temps… comme WhatsApp, Youtube, Netflix ! Les marques d’urgence comme le 15. Un petit dernier a gagné sa notoriété à la vitesse de l’éclair numérique, c’est Zoom ! D’autres marques sont aussi nées de la nécessité comme SOS Confinement du docteur Xavier Emmanuelli pour « avoir gratuitement une voix humaine au bout du fil » Mais aucun média ! Les uns étaient absents quand on avait besoin d’eux, les autres bégayaient.

Et bien-sûr, on attend la marque qui inventera le vaccin ! Je prends le pari qu’elle n’aura pas besoin d’un gros budget de publicité pour s’imposer !

 

Notes et légendes :

(1) Article « Comment communiquer et garder le lien avec collaborateurs et clients dans cette période de crise et de confinement ? » , The BrandNewsBlog, 22 mars 2020 – Avec les interviews exclusives de Julien Villeret, Valérie Lauthier, Jean-Marie Charpentier et Florian Silnicki.

(2) « Trust and the Coronavirus », étude Edelman menée dans 12 pays au mois de mars 2020.

(3) Article « La communication des marques a-t-elle du sens en période de crise ?», L’ADN, 3 avril 2020.

* Coca-Cola

 

Crédit photos et illustration : 123RF, The BrandNewsBlog 2020, X, DR

 

Engagement sociétal : comment les marques peuvent innover en créant de la valeur partagée…

A l’heure où l’on parle tant de « raison d’être » et d’engagement sociétal des entreprises, les initiatives les plus remarquables ne sont hélas pas toujours connues du grand public…

Et pourtant, des actions concrètes et parfois spectaculaires, contribuant directement à la santé ou au bien-être de dizaines de milliers voire de millions d’individus, sont menées depuis des années par les plus grandes marques ainsi que par des PME dynamiques, qui n’ont pas attendu les derniers mois pour s’intéresser au « bien commun ».

En déployant des approches innovantes et des trésors de persévérance au service d’une cause bien identifiée et longuement étudiée, ces entreprises ont réussi à relever ce grand défi : répondre à un besoin sociétal… tout en dégageant du profit. Une démarche à la fois raisonnée et efficace, parfois contre-intuitive dans les cultures latines plus attachées à la pure philanthropie que le monde anglo-saxon… mais davantage garante de la pérennité des actions solidaires ou humanitaires menées sur le terrain.

Pour s’en convaincre, c’est à ce sujet passionnant et à quelques-unes des meilleures pratiques en matière d’innovation responsable que j’ai décidé de consacrer mon billet du jour, à la lumière d’un long et dense article publié il y a déjà quelques temps par la Harvard Business Review¹.

Je vous propose d’en découvrir ci-dessous les principaux enseignements, en vous souhaitant bonne lecture ainsi qu’un excellent week-end prolongé !

Produire de vraies avancées sociales tout en générant des profits, c’est possible ! 

Souvent brocardées pour leurs écarts voire prises en flagrant délit de « greenwashing »², les marques sont aussi capables du meilleur, comme le prouvent les nombreux exemples cités par la Harvard Business Review (>> voir le tableau de synthèse ci-dessous).

Encore faut-il que l’engagement sociétal des entreprises et de leurs dirigeants soit sincère, soutenu par une mobilisation sans faille des différents intervenants (collaborateurs, partenaires, associations…) et servi par une approche méthodique des besoins sociétaux à adresser.

Telles sont en tout cas les conclusions des consultants du FSG, un cabinet de conseil international à but non lucratif dans le domaine du développement social, au terme d’une étude menée auprès d’une trentaine d’entreprises particulièrement innovantes dans le domaine social.

D’après cette étude, 5 conditions ou facteurs clés de succès apparaissent nécessaires pour que les marques puissent créer à la fois de la valeur sociale et de une valeur économique :

  1. Ces marques doivent intégrer dans leur mission voire leur statut un réel objectif social ;
  2. Elles doivent répondre à un / des besoins sociaux précisément défini(s) et bien analysé(s) ;
  3. Elles doivent mettre en place des mesures de suivi régulières de leurs actions, pour pouvoir modifier les paramètres de leur engagement au besoin ;
  4. La conduite du projet doit associer un maximum de collaborateurs mais le pilotage de l’action doit être concentré et irréprochable ;
  5. La cocréation en partenariat avec des intervenants externes est 9 fois sur 10 indispensable et une des meilleures garantie de succès et de pérennité des actions.

De Coca-Cola à Novartis en passant par Nestlé, Mars ou Becton Dickinson : 8 exemples de création de valeur partagée…

Exemplaire de cette approche fut par exemple l’initiative Coletivo imaginée par Coca-Cola Brésil il y a de cela quelques années. Après une étude de 6 mois et l’établissement d’un business plan rigoureux prévoyant une collaboration avec les ONG locales, le projet visait à créer pour des jeunes en difficulté des programmes de formation axés sur la vente au détail et l’entrepreneuriat. Ces programmes prévoyaient de les faire ensuite travailler au sein d’un distributeur de Coca-Cola sur des améliorations spécifiques touchant la gestion des stocks, les promotions, le merchandising, dans l’objectif d’accroître au final les ventes de Coca-Cola auprès des classes moyennes brésiliennes…

En mettant en avant de manière rigoureuse et chiffrée l’augmentation du volume des ventes attendue au travers de cette démarche, Coca-Cola Brésil a réussi à convaincre dès 2009 sa maison-mère de lancer de premières expériences pilotes. Rigoureusement suivies et mesurées sur la base de 4 indicateurs clés : nombre de jeunes ayant par la suite obtenu un emploi / progrès réalisés par les stagiaires dans l’estime de soi (sur la base d’interviews par des consultants) / accroissement des ventes réalisées / amélioration de la notoriété de la marque dans les communautés ciblées… l’action a été conduite et suivie avec le même professionnalisme que n’importe quel autre projet d’investissement important de Coca-Cola.

Résultat : ces formations ont depuis été généralisées à plus de 150 communautés aux revenus modestes à travers tout le Brésil ; l’initiative a offert une formation à plus de 50 000 jeunes depuis son lancement, dont 30 % ont ensuite décroché leur premier job chez Coca-Cola. Et cerise sur le gâteau si j’ose dire : les résultats en termes de ventes ont été si bons qu’ils ont permis de rentabiliser cette initiative de Coca-Cola en à peine 2 ans…

Autre action, mise en oeuvre par Novartis cette fois, l’opération Arogya Parivar (« famille en bonne santé » en hindi) visait à approvisionner en médicaments de première nécessité les millions d’indiens les plus pauvres de l’Inde rurale n’ayant habituellement pas accès aux soins. Après avoir bâti une véritable « étude de marché » visant à adresser la plus large cible possible, Novartis réduisit à quelques roupies le prix des médicaments dans 11 domaines pathologiques de son portefeuille. Clés du succès de cette initiative : le prix, donc, mais également la capacité à assumer un retour sur investissement beaucoup plus long que sur ses autres marchés, ainsi que la capacité à distribuer efficacement les médicaments auprès des populations ciblées. Sur ces deux derniers points, Novartis plaça d’abord Arogya Parivar sous l’égide de son groupe d’affaires sociales pour en assurer le financement initial. Des partenariats furent par ailleurs conclus avec des distributeurs locaux pour toucher efficacement les populations.

Résultat : là encore, une rentabilisation de la démarche plus rapide que prévue (au bout de 31 mois seulement) et plus de 42 millions de personnes desservies à ce jour dans 33 000 villages indiens… soit un considérable progrès sanitaire, auquel n’aurait pu parvenir l’Etat indien.

Egalement exemplaires de ces démarches innovantes et réalistes sont les actions menées par Nestlé, qui a su résoudre de gros problèmes de malnutrition en Inde en concevant des épices enrichies en micronutriments essentiels (fer, iode, vitamine A). En l’espace de 3 ans seulement, Nestlé a vendu 138 millions de ces portions d’épices, en s’appuyant là aussi sur un réseau de distribution existant… Tandis qu’en Côte d’Ivoire, Mars s’est engagé pendant 10 ans auprès des ONG locales et du gouvernement sur des programmes visant à enrayant la chute des rendements et la menace de pénurie en cacao, pilier de l’économie locale…

Dans chacun de ces cas, une étude approfondie du besoin social à servir, accompagnée d’un plan de financement rigoureux et de partenariats avec des institutions locales et ONG existantes, ont permis de garantir le succès des démarches…

valeur partagée

La création de valeur partagée : une innovation qui bénéficie à toutes les parties prenantes !

On le voit : l’innovation au bénéfice de toutes les parties prenantes et de la société dans son ensemble n’est pas qu’une utopie… C’est aussi un principe « gagnant-gagnant » pour les marques et leurs différents publics. Et c’est ce vers quoi devrait tendre toute entreprise fraîchement engagée dans une démarche sociétale, traduite dans une nouvelle « raison d’être »…

Au sein de l’entreprise, ce type de démarche est en effet particulièrement porteur pour 4 raisons principales :

  1. Cette innovation est pourvoyeuse de nouveaux débouchés rentables ;
  2. Elle permet justement à l’entreprise de venir étayer la mission sociétale affirmée au travers de la « raison d’être » de l’entreprise  ;
  3. Elle est un facteur de cohésion d’autant plus fort que les valeurs et actions sont réellement incarnées par les dirigeants et appropriées par les collaborateurs ;
  4. La création de valeur partagée contribue aussi in fine à renforcer les marques corporate, commerciale et employeur auprès de leurs publics.

 

 

Notes et légendes :

(1) « Innover pour le progrès social » de Marc Pfitzer, Valérie Bockstette, Mike Stamp – Harvard Business Review

(2) Greenwashing :  autrement appelé (en Français) « écoblanchiment » ou « verdissage », il s’agit d’un procédé de marketing ou de relations publiques qui consiste pour une organisation (entreprise, administration publique, etc) à se donner une image écologique responsable. La plupart du temps, l’argent est davantage investi en publicité que pour de réelles actions en faveur de l’environnement… (source : Wikipédia)

 

Crédit photo / illustration : 123RF, The BrandNewsBlog 2019

 

Les quincados, ces « rebelles de l’âge » qui cultivent une nouvelle relation au monde et aux marques…

Que celles et ceux qui n’auraient pas encore réfléchi à leur liste de Noël se le disent : se faire offrir le petit livre « Les Quincados » de Serge Guérin¹ – ou encore mieux, se l’offrir soi-même – est la garantie d’un plaisir de lecture immédiat.

Couvert d’éloges et largement médiatisé au moment de sa sortie il y a quelques mois, ce petit essai est devenu depuis un véritable best-seller, de très nombreux lecteurs et lectrices se reconnaissant parfaitement dans le portrait de ces « seniors » nouvelle génération que l’auteur nous dépeint avec enthousiasme et faconde.

Car oui, décidément, que ces rebelles old-cool, « qui assument leur âge mais refusent d’être sages » nous paraissent d’emblée vivants, attachants et sympathiques sous la plume de ce talentueux sociologue ! Agés de 45 ans à 70 ans aujourd’hui², ils.elles sont le portrait craché de toutes celles et ceux d’entre nous qui, sans sombrer dans le jeunisme ni réfuter la réalité, ont décidé d’échapper aux représentations stéréotypées sur les seniors et le vieillissement, et fuient tout autant la routine que l’image du déclin, cette « fin d’après-midi de la vie » sur fond de soleil couchant qui leur donne la nausée et sent déjà un peu le sapin.

Artistes, nomades, entrepreneurs… et surtout libres de vivre selon leur choix, ces quinqua-, sexa-, voire septuagénaires dynamiques font un peu tout à rebours des générations précédentes. Pas avares de nouvelles expériences professionnelles, personnelles ou amoureuses, ni à l’abri des brûlures de la vie qui peuvent en découler et dont ils ne sont pas épargnés, ces nouvelles catégories de seniors ne fuient pas leur âge, contrairement aux faux jeunes et autres « adulescents », mais « ils imaginent une autre façon d’en prendre sans vieillir, se font porteurs de changement, révolutionnaires du quotidien, lanceurs de tendances »

Autant vous dire qu’à l’approche de la cinquantaine et comme beaucoup d’autres, je me suis assez rapidement reconnu dans ces descriptions et identifié au fil des pages à la figure de ce « quincado », qui m’a semblé d’autant plus pertinente qu’elle s’affranchit des théories générationnelles en vogue (« X », « Y »  et autre « Z »), par trop globalisantes et artificielles. En bon sociologue, Serge Guérin ne manque pas en effet de s’attacher à la diversité des comportements, à la singularité des parcours de vie et aux disparités sociales et de perception pour proposer une vision nuancée de ces « quincados » dont il nous offre d’ailleurs une classification par famille, ces nouveaux seniors étant loin d’être tous des « bobos » travaillant dans des professions libérales ou de service…

Pour en savoir plus sur ces « quincados » et rentrer justement dans les détails de leurs comportements, attitudes et habitudes de consommation, et mieux connaître leur rapport réinventé aux marques, j’avais très envie d’interroger Serge Guérin³. Cela tombe bien : il a tout de suite accepté mon invitation et je le remercie infiniment de la grande richesse de ces réponses, dans cette interview exclusive qu’il accorde aujourd’hui au BrandNewsBlog.

Où l’on découvre, au-delà des profils variés et très attachants de ces quincados, une nouvelle catégorie de consommateurs avisés, aux goûts affirmés, disposant de revenus en général bien supérieurs aux millenials et souvent très concernés par les préoccupations écologiques, sociétales et environnementales, contrairement à l’image d’Epinal qui voudrait que les jeunes soient davantage porteurs de changement dans ces domaines : un autre cliché auquel Serge Guérin tord résolument le cou (voir ci-dessous).

Très bonne lecture à toutes et tous et merci encore à l’auteur de cet excellent ouvrage, optimiste et revigorant ! :-)

Le BrandNewsBlog : Tout d’abord, félicitations pour votre ouvrage Serge, qui a été et reste un vrai succès éditorial et médiatique six mois après sa sortie… Pourquoi a-t-il rencontré un tel écho à votre avis et pour rentrer dans le vif du sujet, qui sont exactement les quincados ? Et en quoi se différencient-ils des seniors d’il y a 20 ou 30 ans ?  

Serge Guérin : Oui Hervé, vous avez raison, ce petit bouquin a rencontré son public et plus encore résonne de manière très directe dans l’esprit des lecteurs. C’est incroyable le nombre de personnes qui ont pu me dire des phrases du genre « je me suis retrouvé complétement dans le livre », « j’ai vraiment pris conscience que j’étais un quinquado et pas du tout quelqu’un sur le déclin », « je suis plus jeune mais je me retrouve parfaitement dans ce portrait d’une génération »… De nombreuses femmes, y compris des personnalités des médias, se sont reconnues dans l’illustration sur la couverture ! Comme Prof à l’INSEEC SBE, j’ai aussi croisé des collègues venus sur le tard à l’enseignement, des parents d’élèves ou des étudiants en reconversion qui s’inscrivaient dans la même tendance. C’est fou le nombre de personnes qui peuvent se retrouver dans ce portrait des quincados !

En fait avec « Les quincados », je reviens sur des hypothèses, travaux et analyses que j’ai défendus autour du fait que l’âge n’est qu’un élément de notre identité, qu’il ne nous résume pas ! On est tous le « vieux » de quelqu’un. Le « vieux » ce n’est jamais moi, c’est toujours l’autre. Un gamin de 10 ans vous dira qu’un trentenaire est un « vieux ». Une étude de ViaVoice  montre que les Français se considèrent âgés à 68 ans, dans leur vie personnelle, contre 57 ans, dans leur vie professionnelle. Soit un écart de 9 ans ! Et pire, dans l’entreprise les salariés se voient coller l’étiquette « senior » à 50 ans, voire 45 ans ! Ce n’est pas acceptable, d’autant que contrairement aux « vieux » d’hier, ceux d’aujourd’hui sont majoritairement en pleine forme ! L’âge est plus une construction sociale qu’une borne neutre et objective ! Et puis, ce livre c’est aussi une manière de rappeler que l’âge a rajeuni. Pour l’enquête je me suis amusé à demander à des personnes ayant entre 45 et 65 ans de me montrer une photo de leur mère ou leur père au même âge. Effet garanti ! A chaque, les gens ont eu l’impression de voir leur grand-mère ou leur grand-père…

Le BrandNewsBlog : Si on s’en tient au résumé en dernière de couverture de votre ouvrage et à une vision purement démographique, on peut être tenté d’identifier les quincados à la tranche d’âge des 50 à 70 ans. Mais s’agit-il seulement d’une sous-catégorie des seniors, comme ces générations « Y » et « Z » dont on a tant parlé au sein des fameux « millenials », ou bien d’un groupe sociologique hétérogène d’abord caractérisé par son attitude et sa façon d’appréhender l’âge et la vieillesse ?

Serge Guérin : D’abord, lorsque l’on évoque les seniors, on regroupe plus de 24-25 millions de personnes, ayant entre 45 et 115 ans ! Il faudrait au minimum distinguer les plus âgés, c’est-à-dire, les aînés, octogénaires, nonagénaires ou centenaires ; les 65-80 ans, que j’ai appelé, en 2015, les « Silver » dans un livre (« Silver Génération, 10 idée fausses sur les seniors », éditions Michalon), et les plus jeunes des seniors. Dans cette catégorie, les quinquagénaires en particulier, ne sont pas tous des quincados ! J’ai voulu brosser le portrait sociologique et humain, de celles et ceux qui au tournant de la cinquantaine, parfois avant, parfois après, préfèrent se renouveler, aller de l’avant, se remettre en question, au lieu de se mettre en retrait, voir être en préretraite ! En fait, ils – et je devrais dire nous- préfèrent le risque d’affronter des problèmes et des difficultés à celui d’avoir la télé comme seule fenêtre sur la vie et la seule certitude de devoir attendre la fin. Bref, des ennuis plutôt que l’ennui !

En d’autres termes, je dirais que les quincados assument leur âge, mais refusent d’être sages ! Ils sont cinquantenaires et un peu ados ! Ils restent jeunes dans leur tête et veulent agir sur leur vie. Ils voient les années futures comme autant d’opportunités.

Ensuite, ma critique des histoires de générations Y ou Z se fonde sur la complexité croissante des positions, des imaginaires et des situations vécues par des personnes relevant officiellement de la même génération. Regardez l’idée de « digital native » : oui, les personnes qui ont 20 ans aujourd’hui partagent le fait d’être nées après l’invention de l’internet et ont grandi avec le développement du numérique et des réseaux sociaux. Pour autant, ils n’écoutent pas les mêmes musiques, ne vivent pas les mêmes réalités économiques, sociales ou culturelles selon leur lieu de vie, leur environnement familial, leur religion, leur niveau de formation… On peut avoir 25 ans, être très à l’aise avec les jeux en ligne et être un peu perdu pour faire sa déclaration d’impôt sur le net…

Le BrandNewsBlog : Dès les premières pages de votre ouvrage, vous n’hésitez pas à donner beaucoup d’exemples de personnalités (hommes et femmes) qui incarnent cette nouvelle attitude, le « quincadoïsme » : de Georges Clooney à Sophie Marceau en passant par Etienne Daho, Marc Simoncini, Vanessa Paradis ou Karine Lemarchand… Mais qu’est-ce que ces personnalités d’horizons divers ont réellement en commun, selon vous ?

Serge Guérin : Oui, les réalités sociologiques s’incarnent ! Ces personnalités ont trois choses en commun en dehors de la tranche d’âge : 1) continuer de connaître le succès mais en se transformant ; 2) être en grande forme et paraître au moins 10 ans de moins que leur âge officiel ; et 3) surtout, rester auteurs de leur vie et poursuivre des projets et inventer leur avenir. Les quincados comme vous et moi font la même chose à leur niveau ! Femmes et hommes, nous faisons moins que nos âges ; femmes et hommes, nous nous réinventons pour vivre une nouvelle tranche de vie ; femmes et hommes, nous avons des projets, personnels et/ou professionnels, qui nous portent et nous passionnent !

La diversité de ces personnalités – on pourrait aussi évoquer Nicolas Sirkis d’Indochine ou Zazie auteure d’une chanson magnifique sur la cinquantaine – montre  que les quincados inventent leur projet de vie sans se référer à un modèle unique. C’est aussi cela être quincado : suivre son chemin et penser par soi-même !

Le BrandNewsBlog : On retient surtout en vous lisant que contrairement aux seniors d’il y a 30 ou 40 ans, les quincados ont tendance à considérer davantage le présent et toutes les opportunités des années qui leur restent à vivre plutôt que le passé, sans rupture avec les générations plus jeunes. Est-ce cela, finalement, le « bien vieillir », un réenchantement de notre « supplément de vie » ? Quels sont les nouveaux comportements qui en découlent et en quoi les quincados vivent différemment des autres seniors, dits « traditionnels » ? 

Serge Guérin : Les quincados ont le sens du tragique  et savent que la vie est courte et veulent du coup lui donner du sens et de l’épaisseur. Leurs aînés ne savaient pas qu’ils allaient vivre plus longtemps, ils ont été surpris par l’allongement de la vie.

A l’inverse, les quincados sont prévenus et sont les premiers à expérimenter la société de la longévité. Ils ont à la fois conscience des difficultés présentes et futures, ils peuvent avoir des parents en grande fragilité, mais aussi des enfants et des petits-enfants devant être soutenus… Pour autant, ils sont aussi désireux de profiter de ce temps qui s’ouvre à eux. Une sorte d’été indien ou d’après-midi de la vie dont ils entendent profiter. Ils veulent décider, faire leur choix, choisir par eux-mêmes leur vie de demain…

Le BrandNewsBlog : Rebelles aux conceptions uniformes et déterministes de l’âge, que ce soit dans leur engagement professionnel, leur vie personnelle et sentimentale ou leurs relations aux autres, les quincados n’hésitent pas à multiplier les expériences « sans lésiner sur les changements vécus, les brûlures de l’âme ou les les accidents de la vie ». Recherche d’emploi, déceptions amoureuses, ruptures, leurs vies sont finalement très comparables à celles de leurs cadets, dont ils.elles n’ont jamais été aussi proches. Est-ce pour cela que les quincados sont aussi à l’aise dans la relation aux autres et éminemment « intergénérationnels » ?

Serge Guérin : La vie des quincados est un long fleuve, mais pas tranquille ! Les quincados ne sont pas des épargnés et ne s’épargnent pas… Mais c’est aussi cela qui produit du lien avec leurs cadets. Il y a finalement beaucoup de situations comparables entre les 20-30 ans et les quincados.

Dans le monde du travail, les plus jeunes ont parfois du mal à entrer dans la carrière, tandis que les quincados sont souvent poussés dehors par les entreprises. De la même manière, « vintados » et « trentados » partagent souvent les mêmes affres amoureuses et existentielles que leurs aînés. Mais ces rapprochements peuvent aller plus loin encore : je me souviens d’une étudiante de 55 ans qui en découvrant sa copie a toute de suite voulu l’envoyer à sa plus jeune fille qui était étudiante et à sa petite fille écolière. Elles se tiraient la bourre pour savoir qui avait la meilleure note !

Les deux générations ont en partage beaucoup de situations comparables, cela aide à se comprendre ! Mais au-delà, le lien intergénérationnel s’explique aussi par des gouts communs, par exemple autour du vintage. Les plus jeunes y sont sensibles à la fois pour des raisons de mode, de nostalgie, d’influence écologique, et les quincados adorent retrouver des vêtements qu’ils ont porté ou utilisé dans leur jeunesse et sont de plus en plus sensibles à l’idée de recycler ou de réactualiser des objets des années 1980.

Le BrandNewsBlog : Travaillant souvent dans le secteur tertiaire : communication, enseignement, conseil, nouvelles technologies… les quincados les plus archétypiques que vous décrivez paraissent plutôt aisés et souvent « bobos ». Mais en définitive, vous indiquez qu’il en existe aussi d’autres profils dans toutes les couches de la société, et notamment de plus fragiles physiquement ou socialement, qui ne vivent pas forcément le vieillissement de manière aussi idyllique… Pouvez-vous nous en parler ? Sociologiquement, quels sont donc les traits ou dénominateurs communs à tous les quincados ?

Serge Guérin : Comme sociologue, je suis toujours dérangé lorsque j’entends des formules du genre « la jeunesse » ou « les seniors »… Cela ne veut rien dire ! Il y a mille façons de vivre sa jeunesse, et tout autant de vivre son avancée en âge. Et je ne parle pas des quincados !

Alors, oui, une grande partie des quincados se situe dans les grandes métropoles, provient plutôt des catégories sociales aisées et/ou bien formées et dispose d’un large capital social, c’est-à-dire de connexions, de liens et de capacités à entrer en contact avec d’autres gens. Pour autant, ces quincados, qui sont majoritairement des femmes, peuvent se retrouver dans l’ensemble des classes sociales et habiter aussi dans de petites villes ou dans le monde rural.

Beaucoup ont choisi de rebondir après un coup dur, type perte d’emploi ou séparation. Je me souviens du fondateur d’un hôtel à Laval qui avait eu un gros poste dans l’industrie et qui après son licenciement a décidé de monter son projet personnel, en se faisant plaisir mais en partant d’une analyse de marché sérieuse. Il voulait créer un hôtel convivial, moderne et design, comme il aurait eu envie d’en trouver dans une ville moyenne… J’ai rencontré d’autres personnes qui ont décidé de quitter un job ou un univers ne leur convenant plus. Certains faisant le choix d’une activité artisanale pas nécessairement très rémunératrice, d’autre allant vers le domaine de la santé ou de l’humanitaire.

Comme je dirige un diplôme à l’Inseec formant des directeurs d’établissement de santé, j’ai vu arriver une flopée de candidats tournant autour de la cinquantaine, certaines étaient infirmières depuis 20 ou 25 ans, d’autres, avaient été licenciés et les troisièmes étaient des cadres en recherche de sens. Bref, des milieux différents à l’origine mais une même envie de changer de vie, une même volonté de prendre son destin en main, un même désir de décider et non de suivre une voie toute tracée.

Femmes ou hommes, cadres, employés ou ouvriers, à la différence d’autres quinquagénaires ou de leur aînés, les quincados assument leur âge, mais refusent d’être sages ! Ils sont cinquantenaires et un peu ados ! Ils restent jeunes dans leur tête et veulent agir sur leur vie. Ils voient les années futures comme autant d’opportunités.

Le BrandNewsBlog : « Old cool », « Jeuniors », « Boobos »… les différentes dénominations voisines que vous utilisez pour parler des quincados peuvent prêter à confusion. Qu’en est-il exactement ? Les quincados sont-ils les descendants de ces familles sociologiques que vous aviez identifiées il y a quelques années ? Et en quoi se différencient-ils fondamentalement des « adulescents », que vous décrivez comme leur opposé ?

Serge Guérin : C’est vrai que j’avais il y a longtemps établi une typologie des seniors, à partir de quatre profils de style de vie et de situation, pour, déjà, signifier que l’on ne vieillit pas tous – et toutes !- de la même manière et pour montrer qu’en fonction de l’âge, de la structure familiale, de la situation sociale ou encore de la santé, il y avait de sacrées différences au sein de la vaste catégorie des seniors.

J’avais mis en avant les Boobos, pour « Boomers Bohêmes », comme archétype de seniors très jeunes dans leur tête et dans leur corps et très éloignés de la figure traditionnelle de la personne qui avance en âge.  Ils sont issus du baby-boom et en voyant le nombre qui étaient passés au camping-car, j’avais eu l’idée de les surnommer « bohèmes », avant même que le terme de « bobo » fasse flores… Pour une partie, les quincados sont les descendants de ces Boobos. Pour autant, peut-on dire que les quincados seraient des bobos ayant avancés en âge ? Pas tout à fait, car les quincados ont une sociologie plus diversifiée et, surtout, ont une conscience du tragique, de la vie qui avance, plus épaisse que les bobos…

Si j’ai utilisé par ailleurs l’expression « old cool », c’est d’abord parce cela sonne bien à l’oreille et aussi pour exprimer que ces quinquagénaires sont à la fois des modernes décidés à ne pas prendre leur retraite et des personnes qui restent attachés à des valeurs autour de la politesse, de l’effort, de la culture ou encore du respect pour leurs aînés et de la responsabilité devant leurs cadets. L’expression montre aussi une tendance au retour d’une mode années 1970-1980, très vintage, très rétro…

Le terme « jeuniors » qui est utilisé un peu dans la pub, et qui à priori veut signifier un peu la même approche, me paraît discutable. D’abord sur un plan esthétique, car tout de même, ce n’est pas très joli ! Mais, surtout, parce qu’il s’agirait d’exprimer que les quinquagénaires ressemblent à des juniors, ou qu’ils seraient juste des seniors jeunes. Or, je défends que les quincados restent, dans leur corps, leur âme et leur état d’esprit marqués par la jeunesse mais avec l’expérience en plus. Et aussi avec une carte bleue plus fournie que les jeunes !

Le BrandNewsBlog : Même si vous n’aimez guère la référence aux « Y » et aux « Z » et les logiques purement générationnelles, que vous remettez en question dans votre livre*, les quincados semblent aussi très intéressants sur un plan plus économique. Sont-ils aussi « bankable » pour les entreprises et les marques que leurs cadets, les millenials, dans une société qui souffre encore de « jeunisme » ? Dépensent-ils.elles plus ou moins que les seniors « traditionnels » et en quoi s’en différencient-ils.elles en terme de consommation ?

Serge Guérin : Encore une fois, j’insiste aussi sur une réalité de la société française qui est marquée par un éclatement – « façon puzzle » comme aurait pu dire Bernard Blier – de plus en plus marqué selon les espaces géographiques, culturels, voir religieux, et sociaux. Le mouvement des Gilets Jaunes en a été une expression très vive et leur opposition est tout sauf générationnelle !

Bien sur qu’il y a des effets de génération, que le développement des usages du numérique, des réseaux sociaux et de nouvelles formes de travail peut créer des différences entre les classes d’âge. Et il y a aussi des formes de consommation qui rapprochent les âges… Pour autant, si je prends par exemple la question écologique, je ne crois guère au discours, très jeuniste, faisant de Greta Thunberg le symbole d’une jeunesse unanime et debout pour changer la donne, et voulant laisser croire que les jeunes sont tous hyper conscients des enjeux, se mobilisent pour le climat et développent tous des comportements plus vertueux…

Oui, les mouvements de désobéissance civile et porteurs de débats, comme Extinction Rebellion, qui ne mobilisent pas que les jeunes, montrent une implication croissante et concrète des jeunes générations, pour autant, ces dernières n’ont pas des modes de consommation particulièrement favorables à la préservation de notre planète.

Ainsi, jamais les millenials et la Génération Z n’ont autant contribué à la pollution numérique, invisible, certes, mais particulièrement dangereuse, par un recours effréné au digital. Une étude américaine montre par exemple que 60% des jeunes utilisent aux US le streaming pour regarder… la télévision.

En France, les 18-24 ans passent presque 3heures par jour devant leurs écrans pour regarder de la vidéo à la demande, qui présente un bilan carbone désastreux (consommation délirante de données, de besoin de stockage, de refroidissement des serveurs…). Autre exemple, l’écoute en ligne de musiques est 2 à 3 fois plus couteuse en carbone que les bons vieux CD. Et que dire des effets sur l’environnement de l’incroyable consommation de smartphones, y compris par les très jeunes, avec des batteries très consommatrices d’énergie, des assemblages conduisant à faire plusieurs fois le tour de la planète et un recours à des métaux qui conduisent à la destruction d’écosystèmes et à la pollution de l’eau? Rappelons que 90% des 12-14 ont déjà leur propre smartphone… Et je laisse de côté la question du recours par les jeunes au transport aérien, plus utilisé que jamais… Ou le fait que la mode des trottinettes électriques est tous sauf écologique avec encore une fois une débauche de batteries et une durée de vie des engins très faibles…

En ce qui les concerne, les quincados se distinguent souvent par un mode de consommation très orientée sur la qualité plus que sur la quantité. Ils partagent avec une partie des jeunes une même attention pour la préservation de l’environnement. La consommation des quincados est aussi très sensible aux objets de nostalgie et de vintage. Et, là aussi, les quincados peuvent partager ces pratiques de consommation avec des plus jeunes.

Les quincados sont aussi très sensibles aux objets, produits et services qui favorisent la qualité de vie, le soutien à la forme, la prévention, l’aide à paraître dynamique et plus jeunes… Ils sont aussi très intéressés par une alimentation préservant leur santé, par le bio… Ce sont aussi des « clients » pour certaines médecines alternatives ou complémentaires (voir d’ailleurs le livre collectif que nous venons de publier avec V. Suissa et le Dr Denormandie, chez Michalon sur le sujet). Reste que la culture marketing globale reste toujours orientée vers les cibles « jeunes », vers un « rajeunissement » perpétuel de la marque ou de la consommation. Mais les choses bougent et le succès de mon petit bouquin en est un indice : la société prend conscience de la transition démographique, de l’importance croissante du nombre de seniors ou encore du fait que l’on ne prend pas de l’âge aujourd’hui de la même manière qu’hier.

En définitive, les représentations sont toujours très lentes à évoluer, y compris celle des publicitaires, marqués plus que les autres par le jeunisme. Pour autant, des échanges avec des entreprises et des agences de communication, suite à la publication du livre, me laissent à penser que les imaginaires se déplacent et devraient évoluer.

Le BrandNewsBlog : Le basculement vers le quincadoïsme s’effectuant parfois brusquement, à l’occasion d’une rupture ou d’un divorce comme vous le soulignez, ce changement d’attitude est-il aussi synonyme pour les quincados d’évolution de leur mode de consommation ? Ont-ils tendance à se tourner vers de nouvelles marques, à expérimenter, ou restent-ils plutôt fidèles à celles de leur enfance et de leur passé ?

Serge Guérin : Le plus souvent, les changements majeurs de  situation de vie entraînent des modifications dans les comportements de  consommation. Déjà, une rupture sentimentale ou un perte d’emploi peut se traduire par une baisse de pouvoir d’achat qui entraîne une diminution de la consommation, un déménagement…

Ces changements de vie, de nouvelles rencontres, l’obligation de s’adapter… Tout cela peut avoir des conséquences sur le mode de consommation, sur les marques privilégiées… Ces ruptures peuvent être aussi  l’occasion de revenir à d’anciennes habitudes, retrouver des produits délaissés ou liés à l’enfance ou à la jeunesse.

A l’inverse, après une rupture ou un tournant professionnel, l’idée de changer de mode de vie, de changer de référentiel de consommation est aussi une manière de se relancer. Ces ruptures sont aussi des moments de prise de conscience sur soi et sur le temps qu’il reste. Dans mon enquête, j’ai rencontré pas mal de personnes me disant qu’elles s’étaient remises au sport par exemple. Une amie m’a dit que suite à sa séparation, elle avait décidé de penser davantage à elle, de se plaire à elle d’abord…

Il ne s’agit pas d’une consommation statutaire, d’une consommation pour faire jeune, d’une consommation de consolation, mais d’une volonté d’assumer et penser ses choix. Les quincados font des choix en adulte et en conscience. Ils ont gagné en autonomie, y compris par rapport aux discours des marques. Ils veulent des produits et des services qui les accompagnent dans leur conquête des années futures, qui soient en adéquation avec leurs choix de vie.

Le BrandNewsBlog : Vous évoquez un certain nombre d’entreprises et de marques qui s’intéressent aux quincados et ont su les toucher, comme le Comptoir des cotonniers avec ses campagnes de pub intergénérationnelles, ou bien des marques patrimoniales telles que Cacolac ou Lorina ? Pourquoi le « vintage », plus particulièrement, séduit-il autant les quincados ? Et quelles sont par ailleurs les marques « branchées » qu’ils s’approprient volontiers ?

Serge Guérin : Attention, le quincadoïsme n’est qu’un aspect des choses. Globalement, en période de crise, la tentation du « c’était mieux avant » est forte. Elle favorise la consommation de produits à forte symbolique nostalgique.

Par ailleurs, nous vivons une réelle prise de conscience concernant les effets délétères du réchauffement climatique et de la pollution. De ce point de vue, revenir à des modes de consommation apparaissant comme plus sains, plus respectueux de la nature ou de l’environnement, ou encore récusant l’obsolescence programmée, peut aller de pair avec les évolutions de style de styles de vie issus des quincados.

Ces derniers valorisent des produits vintages ou des objets de consommation réputés de meilleure qualité et plus solides… Par exemple, Cacolac, dont je suis un fan absolu, Lorina, Antésite et tant d’autres sont des boissons qui à la fois rappellent l’enfance et le temps jadis, mais qui apparaissent aussi comme porteuses de valeurs familiales et/ou artisanales, comme plus authentiques et de meilleure qualité.

Les quincados dans leur recherche de sens trouvent aussi de la cohérence dans la consommation de produits vintage ou plus naturels, plus respectueux de l’environnement et de leur santé. De même, ces quincados qui décident de quitter les grandes structures où ils se sentaient anonymes, ou qui ont été poussés dehors par ces mêmes géants sans âme, ont souvent envie de travailler dans des entreprises familiales et humaines ou de créer leur société, et trouvent une certaine cohérence à privilégier les produits de ces dernières.

Plus largement, la valorisation des quincados participe d’une tendance plus globale de la société à privilégier le « solide » sur le « liquide », ce qui dure sur ce qui passe…

Le BrandNewsBlog : Démographiquement, il n’y a jamais eu autant de personnes de plus de 50 ans en bonne santé et encore en activité. Qu’est-ce que cette nouvelle donne, qui devrait s’accentuer dans les années à venir, va changer dans nos sociétés ? Nos économies et nos entreprises, aujourd’hui loin d’être exemplaires sur l’emploi des seniors, sont-elles prêtes à s’y adapter et à l’accepter ? 

Serge Guérin : J’ai pointé, il y a déjà longtemps, ce paradoxe… Plus l’espérance de vie augmente et plus l’espérance de vie professionnelle diminue… Ce n’est pas tenable sur le long terme. Avec l’allongement de l’âge légal de départ à la retraite voté en 2010,  l’emploi des seniors de 55-64 ans a plutôt augmenté, il est passé de 36,4%, en 2004, à 52,3% fin 2019, contre une moyenne de presque 60% en Europe. En particulier, l’emploi des plus de 60 ans reste dramatiquement faible. Surtout, la réalité c’est que le nombre de chômeurs de plus de 50 ans a doublé depuis 2008 et que les entreprises restent très majoritairement fort peu « senior-friendly » !

Sur ce plan, la société va bien plus vite que les décideurs : de nombreux quinquagénaires souhaitent relever de nouveaux défis, mais peu d’entreprises sont en capacité culturelle et mentale de leur donner leur chance. C’est un gâchis incroyable. Ce manque de confiance est l’une des explications au fait que de nombreux salariés souhaitent quitter le monde du travail prématurément. Et ce n’est pas l’idée d’instaurer un quota de seniors dans l’entreprise qui va contribuer à changer l’image des plus de 50 ans…

Si la question de l’emploi des seniors reste aussi délicate, notons aussi que les entreprises et les agences de communication se doivent de prendre en compte les réalités, le fait que la consommation n’est pas limité au moins de 50 ans, que les quincados sont de nouveaux consommateurs qui ouvrent des dynamiques dans leur choix de produits et de services, qui seront reprises par d’autres… La réalité évolue plus vite que les imaginaires des décideurs, mais je vois de plus en plus d’acteurs d’influence, comme votre  blog, qui partagent ce regard sur les quincados et plus largement sur l’importance structurante de la transition démographique.

Le BrandNewsBlog : Alors que les seniors sont de plus en plus actifs et dynamiques et que le regard sur l’âge commence à évoluer, grâce à des ouvrages comme le vôtre, n’y-a-t’il justement pas un paradoxe à les voir si mal considérés en entreprise ? En étiquetant notamment « seniors » les plus de 45 ans et en les considérant souvent comme des boulets plutôt que des leviers de croissance, le monde du travail ne  joue-t-il pas le jeu de cette « obsolescence programmée » qu’il vous arrive de dénoncer  : une marginalisation plus acceptable que celle d’autres minorités visibles… car encore largement acceptée socialement ?

Serge Guérin : Le sujet majeur reste que nos décideurs n’ont pas beaucoup évolué et que l’image de l’âge est toujours globalement négative et associée à un manque de productivité et d’adaptation aux technologies.

Deux éléments parfaitement faux comme le démontre toute la littérature scientifique sur le sujet… La question est aussi que la culture dominante est centrée sur le « moderne », le « nouveau », le « neuf » et non sur l’expérience, le savoir-faire, la culture… Mais, à mon sens, les choses bougeront en partie par la nécessité, car il y a un manque de compétences et d’expertise sur le marché et que notre système de formation ne sait pas ou ne peut pas proposer une offre suffisante. En dehors de compétences haut de gamme, nous avons d’autres problématiques de compétence, en particulier dans les services à la personne où le déficit est de plus de 500 000 personnes et dans les métiers manuels. Encore faut-il accompagner les professionnels potentiels, valoriser ces métiers, développer des parcours de carrière et les rémunérer convenablement.

Dans une époque où il y a une sorte de concurrence entre certaines minorités, de course à la victimisation, de médiatisation de la différence, on oublie que l’âge reste la première des stigmatisations en entreprise. Face aux jeunes et aux candidats en milieu de carrière, c’est, dans la grande majorité des cas, la compétence et le savoir être qui est regardé d’abord. Pour les seniors, c’est l’âge qui est le critère premier. Les recruteurs ont encore trop souvent une mentalité d’état-civil…

Je remarque néanmoins que Pôle Emploi et l’APEC semblent vouloir faire aussi bouger les lignes. Encore une fois entre le discours gouvernemental appuyant à allonger le nombre d’années d’activité et de plus en plus d’entreprises qui sont freinées par un manque de compétences disponibles sur le marché du travail, les quincados vont être de plus ne plus demandés !

Le BrandNewsBlog : Sans doute plus libres dans leurs têtes que leurs aînés ou les seniors « traditionnels », les quincados sont bien décidés à ne pas être considérés non plus comme des « retraités du désir » et veulent vivre pleinement leurs envies et tous les plaisirs. Intrigués et attirés par les sites de rencontres, qui pour la plupart ont bien flairé le « filon » et sur lesquels ils n’ont jamais été aussi nombreux, ils.elles aspirent à vivre de belles expériences, sans crainte du jugement des autres. Alors le quincadoïsme, nouvel âge d’or de la sexualité ?

Serge Guérin : Nouvel âge d’or de la sensualité plutôt… Il y a plusieurs choses qui peuvent être dites sur le sujet. Tout d’abord, une réalité partagée par les femmes et les hommes, c’est que nous vieillissons mieux que nos parents. Nous sommes en meilleure forme, plus attachés à notre apparence et plus conscients de nos désirs. Ensuite, les normes évoluent. Enfin, un peu… Balzac évoquait la femme de 30 ans comme une vieille femme… Aujourd’hui, cela paraît délirant : séduire, recommencer une histoire d’amour, avoir des partenaires pour des rencontres sexuelles n’est pas « interdit » par les codes de bonne conduite aux plus de 50 ans. Et jamais les femmes de plus de 50 ans n’ont été aussi belles que maintenant !

Si les normes de l’âge semblent plus lourdes pour les femmes que pour les hommes, les représentations évoluent. Au moins dans une partie de la société… Les quincados en sont la preuve et s’inscrivent dans cette dynamique de liberté.

Un troisième élément peut être pris en compte : comme les quincados ont conscience de vivre plus longtemps, ils se disent plus facilement que leurs aînés que les années qui sont encore devant eux peuvent être des temps radieux pour la séduction, le jeu amoureux, le désir. De ce point de vue là, en effet, les quincados sont tout sauf des préretraités !

Par ailleurs, dans les rencontres que j’ai pu faire pour la rédaction du livre ou dans mon quotidien, j’ai pu aussi constater que les quincados se distinguent des autres quinquagénaires ou d’autres générations par la conscience qu’ils ont de leur liberté nouvelle. Je me souviens de plusieurs femmes m’ayant dit qu’avec la ménopause, elles se sentent plus libres dans leur sexualité. D’autres, femmes comme hommes, s’amusent de ne plus risquer de voir arriver les enfants au moment des ébats…

Enfin, il faut bien dire qu’être quincado, c’est aussi avoir suffisamment de maturité et de libre arbitre pour s’affranchir du jugement des autres. Il y a une certaine volupté à s’accepter comme on est, à ne plus vouloir suivre la norme et la mode, à voir l’autre juste par ses propres yeux et non en fonction d’une image sociale… C’est cela aussi le quincadoïsme !

Le BrandNewsBlog : Passionnant jusque dans les dernières pages, vous proposez en fin d’ouvrage un QCM amusant : « Quel quincado êtes-vous ? »… Où j’ai découvert qu’en ce qui me concerne je faisais partie des « quincados pop », à ne pas confondre avec les « quincados artistes » et les « vieux jeunes ». Vous évoquez également dans l’ouvrage deux autres catégories : les « quincados nomades » et les « quincados entrepreneurs ». Quelles sont les principales caractéristiques de chacune de ces familles ? Et dois-je m’inquiéter d’être un « quincado pop », docteur ?

Serge Guérin : Même si ce livre se veut joyeux et léger, il est aussi un exercice de sociologie concrète et de pédagogie douce ! De la même manière que je conteste la massification en fonction de l’âge et la simplification identitaire, car la triste tendance du moment est de vouloir réduire chacun d’entre nous à une couleur de peau, une religion ou un genre de sexualité, je continue de chercher la nuance et la pluralité dans les identités.

Ainsi si tous les 45-65 ans ne sont pas des quincados, tous les quincados ne sont pas réductible à un seul type d’attitude. D’où ce petit jeu des quatre familles. A la fois pour insister sur la différence, à mes yeux essentielle entre les vieux-jeunes ou les faux jeunes et les quincados, mais aussi pour monter qu’il y a plusieurs style de vie dans le quincadoïsme !

Les « vieux jeunes » sont des vieux qui veulent apparaître comme jeunes. Mais tout est dans l’apparence et non dans l’état d’esprit. Ils sont dans l’angoisse de vieillir et dans le déni des années qui passent. Ils regardent derrière eux et ne savent pas se réinventer. L’inverse des quincados.

Les « Quincados artistes » sont des créatifs sans frontières, des femmes et des hommes qui vivent de projets et de rencontres. Des amoureux de la découverte et du plaisir, des entrepreneurs de la vie. Ces personnes ont toujours été du côté de la curiosité et l’âge ne fait rien à l’affaire : ils continuent !

Les « Quincados nomades » sont plus centrés sur le voyage, le déplacement, la vitesse. Ils ont besoin d’horizons nouveau pour se sentir dans la vie. Ce sont des extravertis pas trop portés sur l’introspection et l’implication dans la société. J’ai repéré un mouvement aussi du côté de l’entreprise, de la création de projets à but lucratifs ou non, à dimension sociale, humanitaire ou de socialisation.

Et puis, il y comme vous cher Hervé, les « Quincados pop » ! Ces derniers vivent avec allégresse les 50 ou 60 ans. Le Quincado pop ne fuit pas son âge mais il récuse l’ennui, les gens trop tristes, la mélancolie. La cinquantaine, C’est le moment de reprendre sa guitare, de retrouver les copains et de vivre à fond. Les quincados pop bénéficient d’un sacré sens de l’humour et d’une belle capacité à faire lien avec les autres, quel que soit leur âge. Ce sont plutôt des gens capables de prendre de la distance avec eux-mêmes et dotés d’une vraie capacité à être heureux. Le meilleur moyen pour vivre bien et longtemps !

Le BrandNewsBlog : Finalement, alors que cette notion de quincado n’avait jamais eu beaucoup d’écho par le passé, comme nous le signalions en introduction, le retentissement de votre ouvrage n’est-il pas une bonne nouvelle ? Son impact médiatique n’est-il pas le signe d’une évolution positive de la société sur le sujet du vieillissement ? Et le fait qu’autant de lecteurs, dont votre serviteur, se soient reconnus dans vos portraits de quincados ne marque-t-il pas un changement de regard : fini le rejet de l’âge, bienvenue aux seniors qui s’assument comme tels, heureux et épanouis ?

Serge Guérin :  Oui, c’est assurément un des signaux faibles annonçant une évolution des mentalités. Le fait que autant de personnes se soient reconnus dans le livre, dans les portraits, dans les manières d’être montre d’abord que l’on s’assume comme tel. Et ça c’est un fait social fort.

Ensuite, le fait que les médias aient autant relayé le propos du bouquin, montre à la fois que beaucoup de journalistes se sont reconnus et qu’une large partie de l’audience se situe dans cette mouvance. Philippe Robinet, le patron de Calmann-Lévy qui dès le début a cru à ce livre était à l’origine de la publication en France de l’ouvrage américain qui a lancé le terme et la définition des Bobos. Il a vu dans mon projet une dynamique, certes différente sur le fond, mais tout aussi puissante en terme sociétal.

Bien sur, l’émergence de la catégorie des quincados et la vision très positive posée sur eux apparaissent comme une bonne nouvelle et une tendance favorisant la déconstruction des représentations datées et des regards tristes sur l’avancée en âge. Pour autant, l’image des plus âgés, des aînés reste encore trop souvent stigmatisée. En fait, les quincados sont surtout la preuve qu’une partie importante de la société entend, quel que soit sont âge, être auteur de sa vie. Une société fonctionne en grande partie sur des imaginaires. Les quincados les font bouger. Et c’est très bien !!

 

 

Notes et légendes :

(1) « Les Quincados », par Serge Guérin – Editions Calmann Lévy, avril 2019

(2) Contrairement aux générations « X », « Y » et « Z », définies et bornées par des tranches d’âge bien définies, les « quincados » sont une famille sociologique et se caractérisent d’abord par une façon d’envisager le monde et leurs relations à autrui, des attitudes et des comportements spécifiques, mais ils ne recouvrent pas l’intégralité des classes d’âge évoquées : quinquagénaires, sexagénaires, voire septuagénaires. Parmi ces classes d’âge, il peut en effet se trouver des seniors plus « traditionnels », qui ne sont pas des quincados.

(3) Serge Guérin, sociologue et consultant, est expert des enjeux du vieillissement, de l’intergénération et de la solidarité. Professeur à l’Inseec School of Business & Economics, c’est aussi un passionné de chocolat et de tendances sociétales. Il a notamment publié « La Silver économie » en 2018, « La guerre des générations » en 2017 et contribué à l’ouvrage « Médecines complémentaires et alternatives : pour ou contre ? » en 2019 

 

Crédits photos et illustrations : Serge Guérin, Calmann Lévy, X, DR

 

Influenceur autoproclamé, véritable expert ou ambassadeur: quel influenceur BtoB êtes-vous ?

C’est un constat que j’ai déjà pu dresser à plusieurs reprises dans les colonnes de ce blog¹: depuis l’émergence puis l’explosion des réseaux sociaux, le marketing d’influence n’a cessé de prendre de l’ampleur, au point d’être devenu une discipline incontournable aujourd’hui. Et quel que soit le secteur d’activité considéré, force est de reconnaître que les partenariats entre annonceurs et influenceurs se sont multipliés ces dernières années, selon des modalités variées et avec des résultats néanmoins inégaux, il faut bien le dire.

Mais qu’à cela ne tienne : la course à l’influenceur est désormais bien lancée… Et sur certains marchés BtoC, cette course a déjà tourné à la frénésie et à la déraison parfois, au point de susciter quelques dérapages et bad buzz mémorables, quand la moralité et les pratiques des influenceurs.euses sollicité.e.s n’étaient pas au niveau escompté notamment.

Il n’en reste pas moins que les marques grand public restent particulièrement friandes de ces collaborations. Et qu’il n’est pas un jour sans qu’on parle de ces Youtubers, gamers et autres instagramers « stars » qui font aujourd’hui rêver dans les cours d’école (et pas seulement) : de Cyprien à Enjoy Phoenix, en passant par Gotaga, Emma CakeCup ou Axel Lattuada, pour ne citer que ceux-ci…

A des années-lumières de ces « macro-influenceurs » déjà reconnus et des autoroutes – pas encore si bien balisées – de l’influence en BtoC, il est à mon sens des sentiers encore moins bien éclairés à ce jour : ceux du marketing d’influence BtoB.

Et c’est assurément le grand mérite du très dynamique CMIT (le Club des marketeurs de la Tech²), associé à l’agence Faber Content³, d’avoir publié cette semaine un remarquable Livre blanc de synthèse sur le sujet, intitulé « L’influence B2B, une histoire de gourou, de leader d’opinion ou d’expert », auquel j’ai eu le plaisir et l’honneur de contribuer*.

Et de quoi est-il question dans ce Livre blanc, me direz-vous ? Et bien de marketing d’influence bien entendu, et plus précisément de ce qu’est exactement un influenceur dans les secteurs BtoB, sur quoi repose son influence et comment il est possible de collaborer avec lui.elle ou de l’engager vis-à-vis de votre marque, en particulier.

Où l’on apprend notamment – et cela ne sera peut-être pas une surprise pour vous – que les modalités d’actions, budgets et moyens alloués par les entreprises BtoB au marketing d’influence n’ont en définitive pas grand chose à voir avec les pratiques de leurs consoeurs grand public… Et qu’à défaut de « gourou » (dont il n’est pas vraiment question dans le Livre blanc en définitive), les meilleurs moteurs de l’influenceur BtoB – ce qui le distingue – sont avant tout son expertise, sa passion, son dévouement à sa communauté et sa faculté à produire des contenus intéressants et partagés… Les critères de notoriété et de taille de communauté n’étant pas toujours les plus pertinents à prendre en compte pour un influenceur BtoB, puisqu’un bon ambassadeur-salarié ou un pair peut rayonner parfois aussi fort qu’un influenceur ou un spécialiste autoproclamé.

Pour vous donner un premier aperçu du très riche contenu de cette publication, à laquelle ont contribué de nombreux experts et que je vous incite évidemment à découvrir et à lire in extenso ici, mais aussi pour résumer les enseignements de la très intéressante étude réalisée à cette occasion par le CMIT et Faber Content, je n’ai pas résisté à vous en livrer ma propre synthèse ci-dessous. A ma manière bien entendu, alors n’hésitez pas à réagir à cet article et à me faire part de vos commentaires, ici et sur les réseaux sociaux, pour continuer à échanger sur ce sujet passionnant !

Influence et influenceurs BtoB : quelques point communs avec le marketing d’influence BtoC… mais surtout de vraies différences !

Il faut tout d’abord féliciter Jean-Denis Garo, Président du CMIT et Fabrice Frossard, ex journaliste et fondateur de Faber Content, d’avoir su si bien préparer et synthétiser la très dense matière de ce Livre blanc, et d’avoir su pour l’occasion s’entourer de si nombreux experts.

Pas moins de 39 opérationnels du marketing, des SI et de la communication (dont un certain nombre d’influenceurs comme Camille Jourdain, Alban Jarry, Cyrille Franck ou Fabienne Billat) ont en effet accepté de participer à cette publication et de donner leur avis sur cette matière en pleine évolution qu’est l’influence BtoB.

Et là où, dans la multiplication des points de vues et avis, on aurait pu redouter une certaine dilution voire une cacophonie – ou à tout le moins une vision pointilliste du sujet – ce sont a contrario quelques grandes lignes de force qui ressortent de cet ouvrage choral, bien mises en perspective par les résultats très cohérents de l’étude CMIT-Faber Content sur le marketing d’influence BtoB…

Et le premier constat de l’ouvrage, plutôt factuel et largement partagé par les différents contributeurs et confirmé par l’étude, est le suivant : plutôt que des « gourous », des « stars » ou des influenceurs autoproclamés, la plupart des influenceurs en BtoB sont avant tout des experts, passionnés par leur métier et reconnus comme tels par leur communauté, auprès de laquelle ils apparaissent « légitimes ».

Créateurs de contenus originaux pour la plupart, voire talentueux agrégateurs de contenus tiers (plus marginalement : cf infographie ci-dessous), les influenceurs BtoB sont appréciés pour la veille qu’ils.elles proposent, leur analyse pertinente et la lecture critique de l’actualité de leur secteur… plutôt que leur capacité à se rehausser du col et à se faire « mousser ».

CQFD : voilà qui commence bien et qui a le mérite de remettre les moutons de l’influence au milieu du pré, pour celles et ceux qui auraient eu encore des doutes à ce sujet !

Et parmi d’autres contributeurs et contributrices, Sandra Requena (Directeur Marketing et Communication d’ITS Group)  d’être l’une des plus explicites : « L’influenceur de qualité reste finalement celui qui ne souhaite pas en être un, dont la passion et le naturel irradient les posts et non celui qui pourrait se laisser séduire par un statut grisant uniquement axé sur l’opportunisme » […] « Choyer et être honnête avec sa communauté, privilégier la qualité à la quantité, apporter son œil d’expert sont certainement les principaux ingrédients à privilégier si demain l’ambition de devenir influenceur BtoB vous titille ».

Directrice Marketing Opérationnel et Communication d’Orange Business Services, Fabienne Kellay renchérit : « Ce ne sont pas des influenceurs en définitive, ce sont des passionnés soucieux de partager, d’apprendre, d’apporter des points de vue à une communauté. Ils sont les piliers de nos écosystèmes et à ce titre sont de vrais leaders d’opinion ! »

De fait, et on retrouve là la deuxième dimension constitutive de l’influence, cette capacité à partager sa passion pour un secteur donné et à produire des contenus de qualité, sans rétribution ni contrepartie financière le plus souvent, en connaissant bien les attentes de sa communauté/de ses publics et en y répondant, est justement ce qui permet aux influenceurs d’exercer un pouvoir de prescription auprès de leurs followers et d’être considérés comme de véritables « leaders d’opinions » (cf graphe ci-dessous) plutôt que de vulgaires « dealers d’opinions » comme le souligne Jean-Denis Garo.

Pour mémoire, un influenceur est en effet au sens premier « un individu qui de par sa position, son statut ou son expression médiatique, peut influencer les comportements de consommation dans un univers donné » (définition très proche de celle du « leader d’opinion » donnée par Paul Lazarsfeld dans les années 50 : voir illustration ci-dessus).

A cet égard, que penser d’un influenceur qui serait référent en termes de contenu et de veille, mais n’aurait aucun pouvoir de prescription ? Sans doute conviendrait-il de le désigner par un autre terme alors, car la capacité à influencer les publics online ou offline, à avoir un réel impact sur les professionnels de sa communauté, demeure évidemment clé !

Autre enseignement de l’étude CMIT-Faber Content et des témoignages des contributeurs de ce Livre blanc : là où l’influence digitale des Youtubers, instagramers et autres blogueurs semble désormais irrésistible dans la plupart des segments de marché BtoC (cosmétique-beauté, tourisme, loisirs, etc), l’influence BtoB est encore largement exercée, dans le monde physique comme le monde virtuel, par des acteurs institutionnels ou ces acteurs traditionnels que sont les journalistes et la presse spécialisée, les analystes de grands cabinets de conseil tels que Gartner, Forrester, IDC ou CXP-PAC pour ne citer que ceux qui interviennent dans le secteur de l’IT par exemple.

A cette influence « traditionnelle » ou institutionnelle, viennent pour ainsi dire s’ajouter l’influence et le pouvoir de prescription des professionnels influents (experts, ambassadeurs-salariés, partenaires, clients des entreprises), disposant de communautés plus ou moins importantes et qui utilisent en premier lieu Twitter, LinkedIn, mais également les blogs (de plateforme ou leurs propres blogs) pour faire entendre leurs voix et diffuser leurs analyses (cf graphe ci-dessous sur les canaux d’influence BtoB les plus utilisés).

L’influence BtoB… Une expertise et une passion dont les influenceurs vivent rarement   

Autre point bien souligné par l’étude CMIT-Faber Content : le marketing d’influence BtoB, bien qu’en net développement, n’en est encore qu’à ses prémices et incomparable en termes de budget et de maturité avec ce qui se pratique aujourd’hui en BtoC…

J’en veux pour preuve les très faibles montants consacrés annuellement par les entreprises à des partenariats avec des influenceurs : le plus souvent ponctuelles (cf graphe ci-dessous) les collaborations ne dépassent un montant cumulé de 5 000 euros par an que dans 25% des entreprises, 75% des marques y consacrant un budget inférieur ou pratiquant uniquement des contreparties en nature (dans 36,5% des cas).

Cela est d’ailleurs cohérent avec les propos tenus par les contributeurs du Livre blanc, dont plusieurs évoquent l’importance croissance du marketing d’influence BtoB… avant de reconnaître qu’ils.elles n’ont aucun budget dédié à y consacrer au sein de leur entreprise (!).

Autres constats un peu déroutants, outre le fait que 60% des répondants à l’enquête déclarent encore ne jamais faire appel à des influenceurs BtoB (une proportion importante qui relativise tout de même les jolies déclarations d’intention des uns et des autres), on voit que la plupart des collaborations des entreprises avec des influenceurs restent très classiques, avec des sollicitations pour des conférences – pas toujours rétribuées d’ailleurs – et la rédaction de contenus publi-promotionnels plus ou moins à la gloire de la marque.

De même, les KPI utilisés pour mesurer a posteriori l’impact de ces opérations ponctuelles demeurent très limités et le plus souvent concentrés sur des métriques d’engagement ou de notoriété de la marque, et non de contribution au business, comme le regrette Yvanie Trouilleux, Manager marketing de Mitel France…

« Si l’objectif de l’influence marketing est d’augmenter la contribution au funnel (la priorité du marketing depuis quelques années), il est paradoxal de constater que ces mêmes marketeurs s’intéressent beaucoup  plus à des KPIs relevant uniquement de la notoriété.  D’après l’étude CMIT-Faber Content, le nombre de vues ou d’impressions semble effectivement être davantage plébiscité au détriment des taux de conversion et de complétion ».

Vous l’aurez compris : si les pratiques des entreprises dans ce domaine de l’influence BtoB trahissent encore un manque de maturité (manque de maturité également perceptible en BtoC dans le domaine de la mesure de la performance des opérations et des partenariats), il est encore rarissime que les influenceurs BtoB puissent vivre de cette influence et de leurs collaborations encore épisodiques avec les entreprises.

Des influenceurs BtoB davantage perçus comme ressources pour la veille que  partenaires potentiels pour des opérations d’influence…

En complément de la statistique que j’énonçais ci-dessus (60% des répondants à l’enquête CMIT-Faber Content déclarant ne jamais faire appel à des influenceurs BtoB), il semble bien en effet que la première utilité perçue pour ces leaders d’opinion soit avant tout de représenter une source de veille, les entreprises n’ayant pas toujours le réflexe ou le budget pour faire davantage en effet.

A ce titre, comme l’indiquent les auteurs de l’étude, « les influenceurs ne seraient donc que des sources d’information au même titre que d’autres », même si quelques marques plus motivées et mieux dotées que les autres commencent à faire appel à eux.

Une hypothèse corroborée par les réponses à la question « Pourquoi suivez-vous des influenceurs BtoB ? » (voir ci-dessous) dans laquelle les fonctions de « veille », « détection des tendances », « alimentation d’une curation », voire « recherche d’avis sur un nouveau produit » demeurent archi-dominantes.

Comment identifier un influenceur BtoB  et travailler avec lui de manière efficace dans la durée ?

On le voit : si tous les professionnels du marketing et de la communication semblent avoir un avis sur l’influence BtoB, bien peu semblent en quelque sorte en avoir un échantillon sur eux ;-) Et les expériences sont encore une fois partielles et ponctuelles, quand collaboration il y a eu.

Nonobstant, la plupart des professionnels sont tous d’accords sur les 4 à 5 étapes et recommandations suivantes  pour réussir un partenariat avec un influenceur BtoB :

1 – Mettre en place une « veille influenceurs », pour identifier les leaders d’opinion réellement influents de votre secteur d’activité

Cette veille peut se dérouler en 3 temps :

>> 1) Identifier qui parle de vous ? Comment en parlent-ils ? Comment parlent-ils de vos concurrents et de vos partenaires ? Cette recherche portera sur le nom de votre marque, sur les réseaux sociaux et sur Google, mais il est évidemment intéressant et pertinent d’élargir votre recherche à tous les mots-clés ou hashtags significatifs sur lesquels vous avez besoin de vous positionner. Sans oublier d’identifier les leaders d’opinion traditionnels (journalistes de la presse spécialisée, analystes) dont tous n’ont pas nécessairement une activité débordante sur les réseaux sociaux mais n’en sont pas moins visibles et influents.

>> 2) Valider parmi ces différents experts, qui sont réellement des influenceurs pertinents pour votre secteur : en déterminant lesquels sont réellement créateurs de contenus et producteurs d’analyses critiques, lesquels a contrario ne sont que des curateurs ? Quelle est l’audience et l’influence réelle de chacun, sa capacité à engager sa communauté ? Quelle est leur niveau de crédibilité et d’éthique ?

>> 3) Sur cette base, il s’agit alors de faire des choix en examinant, sur les moyens et long termes, qui est vraiment présent et intéressant pour la marque, qui serait susceptible de lui apporter une plus-value, en se positionnant sur quelques influenceurs à cibler en priorité.

2 – Nouer contact

Pour cette étape, je ne saurai trop conseiller d’avoir préalablement examiné attentivement les productions et le public des influenceurs ciblés… Quels sont les sujets de prédilection de l’expert ? Quels sont les liens et les habitude qui l’unissent à sa communauté ? A t-il déjà collaboré avec des marques ou jamais par le passé ?

Ces précautions vous sembleront peut être superflues, mais pour recevoir nombre de propositions moi-même, combien de communiqués de presse et de prises de contact maladroites, non ciblées, proposant des sujets ou des coopérations aux antipodes des domaines d’intérêt et des habitudes de l’influenceur considéré ? La remarque est ici la même que pour les influenceurs BtoC, que certaines agences et entreprises continuent de traiter « en masse » comme des journalistes ou pigistes indifférenciés de leur secteur.

Que le leader d’opinion BtoB soit abordé à l’occasion d’un salon, d’une conférence de presse  ou lors d’une autre occasion, ne pas oublier que ce sont des professionnels qui exercent parallèlement à leur passion un véritable métier. Ils ont donc peu de temps et des délais de réponse qui leur appartiennent, aux antipodes de la presse classique le plus souvent.

3 – Proposer et organiser une collaboration

Pour les experts intéressés par la marque, et susceptibles d’être ouverts à une coopération, les précautions à prendre avec ces nano ou micro-influenceurs sont souvent les mêmes que pour les influenceurs BtoC : il s’agit que les coopérations proposées soient vraiment des « win-win », offrant l’opportunité à l’expert de faire croître sa communauté (son premier objectif bien souvent, au delà des contreparties financières ou en nature).

A ce titre, on veillera à lui laisser carte blanche dans les domaines créatifs et à ne pas imposer à tout crin sa charte d’entreprise et ses éléments de langage, si ceux-ci sont très éloignés du ton et des pratiques de l’influenceur en question. Il s’agit en effet que celui-ci / celle-ci ait en effet envie de recommencer l’expérience, et d’engager un partenariat dans la durée.

4 – Mesurer l’efficacité du partenariat et viser un partenariat pérenne plutôt que des « one shots »

Le montage d’opérations communes exigeant un minimum de confiance réciproque et une connaissance mutuelle, qui ne pourra se développer qu’avec la répétition des partenariats, les marques ont tout intérêt à viser le moyen et le long termes plutôt que des collaborations ponctuelles, quand elles en ont les moyens évidemment.

Cela suppose d’être exigeant également sur l’analyse des retombées des opérations, en ne se contentant pas des statistiques d’engagement parfois assez vagues fournis par certains, mais en mettant évidemment sur pied ses propres outils de veille, pour voir combien de fois les hashtags ou mots clés ont été repris, le nom de la société a été cité, par qui et avec quel ton (positif/neutre/négatif) bien évidemment…

Là encore : des conseils de bon sens, mais pas forcément appliqués par toutes les entreprises…

Et les ambassadeurs-salariés dans tout ça ? Et les clients-partenaires ?

A celles et ceux qui auraient une définition particulièrement restrictive de l’influence, rappelons que tout individu a la capacité d’influencer autrui. Et en ligne, cela a été suffisamment souligné, les fameux « nano-influenceurs » – que peuvent être les ambassadeurs, des clients ou des partenaires – ont un impact et une crédibilité vis-à-vis de leurs pairs bien supérieure aux « macro-influenceurs ».

Ainsi, les ambassadeurs-salariés peuvent avoir un véritable pouvoir de prescription, et c’est bien dans cette optique – je serai amené à en reparler – qu’un certain nombre d’entreprises ont commencé à booster les programmes de formation de leurs collaborateurs en matière de social selling, comme IBM France, qui s’est fixé des objectifs ambitieux dans ce domaine.

Si tout un chacun n’est en effet pas un influenceur, au sens premier du terme, il reste évident que chacun a un réel pouvoir d’influence et de prescription. Et il appartient aux entreprises de laisser une latitude suffisante à leurs collaborateurs dans leur politique d’employee advocacy et dans leur expression sur les réseaux sociaux notamment, pour ne pas transformer ceux-ci en vulgaires « porte-voix » des messages corporate ou commerciaux de la marque… Chacun y perdrait en effet en crédibilité auprès de sa communauté.

 

 

 

Notes et légendes :

(1) Parmi mes précédents articles, à découvrir ou redécouvrir sur la thématique du marketing d’influence, je vous recommande notamment ceux-ci : « Influence 2.0 : et si on mettait enfin le marketing d’influence au service du parcours client ? » et « La nano-influence : nouvelle pilule miracle de la pharmacopée digitale ou poudre de perlimpinpin ? »  

(2) Le CMIT ou Club des Marketeurs de la Tech, fondé en 2003, réunit à ce jour plus d’une centaine d’adhérents autour de problématiques Business to Business. Présidé par Jean-Denis Garo, International Integrated Marketing Director chez Mitel, ce Club a en particulier pour mission de « promouvoir la valeur et la contribution des métiers du marketing et de la communication au sein de son écosystème ».  

Pour plus d’information sur les activités de ce Club, ses nombreux évènements et livres blancs précédents, vous pouvez en découvrir davantage sur le site du CMIT.

(3) Fondée par Fabrice Frossard, ex journaliste, Faber Content est une agence de communication qui accompagne les entreprises dans la définition et la mise en place de leur stratégie de contenu, la création de contenus experts (blogs, infographies, livres blancs, vidéos…) et leur amplification.

* Retrouvez ci-dessus ma contribution au Livre blanc du CMIT et de Faber Content : « Influenceur B2B : un passionné reconnu pour son expertise et ses contenus par une communauté de professionnels ».

 

Crédit photos et illustration : 123RF, CMIT-Faber Content, TheBrandNewsBlog 2019, X, DR.

 

 

 

Leadership digital des dirigeant.e.s d’entreprise : de nets progrès, mais « peut encore mieux faire »…

De longue date, je vous ai entretenus sur ce blog de l’importance pour les dirigeant.e.s d’incarner pleinement leur entreprise et leur(s) marques, quitte à en devenir les premiers « storytellers » ¹.

Et de fait, ces dernières années, nous avons assisté à une véritable libération de la parole des patron.ne.s de grands groupes et d’organisations, une sorte de « Printemps du leadership » à la fois bien vu et bienvenu, les capitaines d’industries et autres dirigeant.e.s d’institutions et d’associations hésitant de moins en moins à s’exprimer en dehors des thématiques convenues liées à leur business et à la performance de leur entité.

Cette incarnation vertueuse des entreprises par leur CEOs, plébiscitée par les collaborateurs.trices et par les consommateurs, en attente de davantage d’engagement de la part des marques, a néanmoins mis un certain nombre d’années avant de se traduire sur les réseaux et médias sociaux. Pas toujours à l’aise avec les nouveaux outils du « web 2.0 » ni avec ses codes, certain.e.s ont en effet mis beaucoup de temps à se lancer…

Mais voilà, ça y est : ainsi que le dévoilait il y a quelques jours l’agence Angie+1, en délivrant la deuxième édition de son étude « TOP 100 du leadership digital » ², cette fois il semblerait qu’une majorité de P-DG de grandes entreprises s’y soit mis, avec plus ou moins d’assiduité et de pertinence il est vrai, mais le pas est franchi. Et les exemples de dirigeant.e.s à la stratégie digitale exemplaire, ayant mis en oeuvre une vraie ligne éditoriale tenant compte des atouts et spécificités de chaque plateforme, ne sont plus des cas isolés.

Ainsi, comme vous pourrez le voir ci-dessous, Patrick Pouyanné (Total), Emmanuel Faber (Danone) et Isabelle Kocher (Engie) trustent activement les 3 premières places du classement établi sur la base de 7 critères par l’agence Angie+1. Et des dirigeant.e.s d’entreprises et d’organisations de nombreux autres secteurs d’activité sont également représentés, témoignant d’une vraie prise de conscience de l’importance et des possibilités du leadership digital, en lien avec les stratégies d’employee advocacy des entreprises.

Une bonne occasion de rediscuter de l’importance de l’incarnation des marques par leur dirigeant.e.s et des facteurs clés de succès d’un véritable leadership digital avec François Guillot, directeur associé d’Angie+1 et Mathilde Aubinaud, créatrice de la Saga des audacieux et auteure d’un mémoire de référence sur « la figure du dirigeant à travers sa marque ».

…Et ainsi que vous le verrez, la « raison d’être » est encore une fois au coeur du sujet ce matin sur le BrandNewsBlog, puisque les dirigeant.e.s d’entreprise les plus dynamiques et les plus influents n’hésitent pas à mettre leur compte au service des engagements de leurs entreprises et à appuyer leur leadership sur l’affirmation d’un « purpose », au service de la société toute entière…

Le BrandNewsBlog : François, tout d’abord bravo à vous pour cette deuxième édition de votre étude « Top 100 du leadership digital ». De par le nombre de dirigeants dont vous avez ausculté l’activité, la richesse et la profondeur des critères que vous avez croisés et la masse de publications que vous avez du brasser, on comprend que cela a du représenter un travail considérable ! Pouvez-vous nous en dire plus sur la méthodologie utilisée et les 4 principaux critères retenus pour cette étude ?

François Guillot : Merci Hervé. L’idée de départ de l’étude était de prendre une photo très globale d’un phénomène que l’on perçoit tous mais qui méritait d’être objectivé : la tendance croissante des patrons français à utiliser les réseaux sociaux. Plutôt que de s’arrêter au traditionnel CAC 40 ou de faire une liste de « patrons influents », ce qui aurait sans doute conduit à une sur-représentation des patrons de start-ups, nous avons voulu regarder l’activité des CEOs de grandes entreprises françaises, pour nous intéresser au tissu économique de façon beaucoup plus globale et transversale.

La première étape a donc consisté à réunir notre « corpus » : nous avons cherché du côté du SBF 120, de l’AFEP, des EPIC, des grandes marques… et nous avons mené en parallèle des recherches sur les grandes entreprises en rentrant secteur par secteur, notamment. A la suite de ce travail, nous avons identifié 150 CEOs particulièrement actifs sur les réseaux sociaux (contre 120 l’an dernier).

La deuxième étape de notre travail a consisté à mesurer le leadership digital de ces dirigeant.e.s et nous l’avons réalisé à l’aune de 4 familles de critères : 1) l’audience (= plus je suis suivi, plus j’ai des chances d’élargir le public qui me suit) ; 2) l’activité (= si je ne suis pas actif, je n’exprime pas mon leadership). Par exemple, Xavier Niel, qui est suivi par près de 200 000 comptes sur Twitter mais n’a tweeté que deux fois en 2018, a été sorti du corpus ; 3) l’engagement, un critère classique sur les réseaux sociaux (= cela nous dit quel niveau d’interaction suscite le CEO) ; et enfin 4) l’attractivité, qui a été mesurée à l’aune de l’audience de la page Wikipédia de ces P-DG (quand ils.elles en ont une), et qui est une autre manière de mesurer l’intérêt qui leur est porté.

Le BrandNewsBlog : Dans l’introduction de votre document de synthèse, vous évoquez le travail minutieux de « data crunching » que vous avez du effectuer, « en partie en utilisant des algorithmes, en partie a la mano ». En quoi a consisté ce data crunching ? Et pourquoi avoir choisi d’examiner en priorité Twitter, LinkedIn et Wikipedia, à l’exclusion des autres plateformes sociales et des blogs ? Certains blogs fameux de dirigeants, comme celui de Michel-Edouard Leclerc, soutiennent leur leadership digital : pourquoi ne pas avoir retenu ces canaux ? L’influence digital de MEL n’en a-t-elle pas pâti (il apparaît seulement à la 11ème place de votre classement) ?

François Guillot : Et bien quand je parle de « data crunching » et en ce qui concerne par exemple Twitter, notre équipe spécialisée en data a lancé des scripts qui permettent d’éliminer tous les abonnés « morts », afin de reconstituer une « vraie audience ». En faisant cela, nous avons remarqué que l’audience « morte » sur Twitter pouvait aller de 10 à 75% selon les P-DG étudiés. Nous avons également fait ce travail d’identifier les comptes certifiés et les comptes de journalistes parmi les bases d’abonnés des dirigeant.e.s que nous avons étudié.e.s, et nous les avons en définitive « sur-pondérés », pour donner une note globale d’audience qualifiée dépassant le seul nombre de followers, qui ne veut plus dire grand-chose…

En ce qui concerne les plate-formes analysées, nous avons bien sûr retenu Twitter parce que c’est le lieu du débat public, de l’influence, de l’actu chaude, du live. Nous avons aussi regardé de près LinkedIn parce qu’il permet, à travers la publication d’articles sur LinkedIn Pulse notamment, de développer un véritable point de vue. Et dans ce contexte, le dirigeant est typiquement dans un exercice de prise de hauteur.

L’alliance de ces deux plateformes crée une belle complémentarité et à ce titre, notre classement distingue les patrons qui sont particulièrement présents et actifs sur ces deux réseaux. Concernant Wikipédia, il me semble que la mesure des audiences (et des écarts importants qui existent d’une personnalité à l’autre) est également très révélatrice de leur attractivité respective. C’est à cet égard un critère assez étonnant et fascinant.

En ce qui concerne enfin les blogs et les autres plates-formes sociales, nous avons considéré que leur usage était trop minoritaire et que les inclure serait susceptible de poser d’importants problèmes méthodologiques. Peu de patron.ne.s ont un blog en réalité, et Michel-Edouard Leclerc, l’un des rares à en avoir, y publie les mêmes articles que sur Facebook et Linkedin : nous n’avons donc pas eu l’impression de dévaluer son influence. En fait, le nouveau format de blog aujourd’hui dans le business, c’est LinkedIn. Après, il faut noter qu’il y a également des CEOs présents sur Instagram (Isabelle Kocher, et Alexandre Ricard par exemple) ou Facebook, mais c’est assez minoritaire, et cela a encore peu d’impact pour le moment.

Le BrandNewsBlog : Votre classement 2019 fait ressortir un certain nombre de dirigeants charismatiques, en particulier Patrick Pouyanné (Total, 1er du classement), Emmanuel Faber (Danone, 2ème) et Isabelle Kocher (Engie, 3ème), qui figuraient déjà tous les trois dans votre tiercé de tête en 2018. Les 7 P-DG suivants (cf tableau ci-dessous) sont eux aussi des représentants de grandes entreprises, majoritairement du CAC 40… Est-ce à dire qu’on a aucune chance de viser le haut du classement si on est patron d’une entreprise plus modeste, du SBF 120 et au-delà ? N’y-a-t-il pas pourtant des dirigeants digitalement exemplaires dans ces structures ?

François Guillot : Emmanuel Faber était quatrième l’an dernier (le trio était à l’époque complété par Carlos Ghosn). Les résultats favorisent effectivement des patrons « connus », notamment parce que le critère Wikipédia leur ajoute des points et parce que la célébrité engendre aussi l’audience et l’engagement. C’est plus facile pour un patron déjà présent dans le débat public que pour un inconnu qui part de zéro sur les réseaux sociaux, c’est évident.

Mais je suis bien sûr persuadé que des patrons de structures moins exposées peuvent aussi avoir une excellente communication sur les réseaux sociaux, au service des enjeux de leur entreprise. En dehors du CAC, on a par exemple Alain Dehaze d’Adecco qui est 8ème, Gérald Karsenti de SAP France qui est dixième, Pascal Demurger de la MAIF qui est treizième…

Le BrandNewsBlog : J’ai tout de même noté, dans les 30 premières places, et crédités d’un « score de leadership digital » de plus de 30, la présence de deux dirigeants de grandes écoles : Isabelle Barth d’une part (INSEEC, 12ème) et Loïc Roche (Grenoble Ecole de Management, 26ème). Comment ces dirigeants d’institutions ont-ils réussi à se glisser dans ce classement très orienté grandes entreprises ? De même, quand on examine les résultats détaillés de chaque CEO par plateforme, en fonction de leur activité ou de leur taux d’engagement, on s’aperçoit que les classements peuvent significativement varier (Cf infographies ci-dessous). Est-ce à dire que le trio de tête des leaders digitaux est plutôt bon en moyenne sur toutes les plateformes, sans figurer parmi les premiers sur aucune d’entre elles ? Quels enseignements faut-il en tirer ?

François Guillot : Concernant les Ecoles Supérieures de Commerce, nous nous sommes posé la question et nous avons fait le choix de les inclure. Beaucoup de leurs dirigeant.e.s ont un usage des réseaux sociaux très intéressant, et le classement a d’ailleurs vocation à fournir un benchmark à tous ceux qui se posent la question de la communication digitale des dirigeants. A ce titre, on peut considérer qu’au-delà de l’effectif salarié, une école rassemble aussi des centaines de professeurs experts, donc une surface proche de celle d’une ETI, voire d’une grande entreprise.

Et oui, pour répondre à la question sur les différents classements présents dans notre étude, il est clair que l’addition de 7 critères différents favorise les CEOs qui ont des « bonnes notes » un peu partout, sans avoir de « trou dans leur raquette ». C’est pour ça que l’étude comporte un certain nombre de zooms, critères par critères, qui sont assez révélateurs.

Alexandre Bompard a ainsi l’audience la plus qualifiée sur Twitter, Frédéric Oudéa sur LinkedIn. Dominique Schelcher est le plus actif sur Twitter, Loick Roche sur LinkedIn. Stéphane Richard est celui qui génère le plus d’engagement sur Twitter tandis que c’est Patrick Koller qui en génère le plus sur LinkedIn. Enfin, celui qui est le plus recherché et visité sur Wikipédia est Guillaume Pépy. On ne retrouve donc aucun des top 3 en tête sur un critère en particulier, en effet.

Le BrandNewsBlog : Vous le soulignez, dans cette édition 2019, un des plus puissants leviers du leadership digital – en tous cas un point commun à tous les P-DG en tête de votre classement –  est de porter haut et fort la « cause », la « raison d’être » ou le combat de leur entreprise… A ce titre, en quoi Emmanuel Faber (patron de Danone) et Pascal Demurger (DG de la Maif) vous paraissent-ils tous deux exemplaires ? En une slide de synthèse (cf ci-dessous), vous résumez par ailleurs finement la stratégie éditoriale vertueuse utilisée par les P-DG pour traiter ce thème de la raison d’être sur les réseaux sociaux, en utilisant les spécificités de chaque plateforme : pouvez-vous nous en résumer les points saillants ?

François Guillot : Emmanuel Faber s’est fait un nom et une réputation avec son discours sur la justice sociale à HEC, qui a été vu des millions de fois sur les réseaux sociaux. C’est d’ailleurs très intéressant comme mécanique d’accès à la célébrité, surtout pour un patron (je pense que c’est le premier patron « star du web », d’une certaine façon…). Depuis, il est devenu le pionnier de la réflexion sur la mission des entreprises et il ne parle pas forcément beaucoup, mais chacune de ses prises de parole est forte. Son article sur la justice sociale sur LinkedIn est de ce point de vue très symbolique, il creuse de façon argumentée le discours tenu à HEC, qui jouait davantage sur l’émotion.

Pascal Demurger s’inscrit également dans cette dynamique : loi Pacte, entreprise à mission, lutte contre les inégalités, surconsommation, réchauffement climatique…

On assiste à une éclosion passionnante de dirigeants qui veulent changer le monde, et qui utilisent leur position pour cela. Et ils sont largement suivis, car il existe une forte demande de changement positif et beaucoup de salariés d’entreprises ressentent le besoin de participer à ce changement.

A l’heure où on se demande ce que peuvent vraiment faire les pouvoirs publics, les citoyens ou les consommateurs, et où beaucoup de changements dans nos vies quotidiennes sont impulsés par les entreprises, on peut se légitimement demander si les avancées sociétales et environnementales ne doivent pas être impulsées en premier lieu par ces acteurs économiques. Que des dirigeant.e.s souhaitent faire bouger les lignes dans ces domaines a donc beaucoup de sens !

Le BrandNewsBlog : De nombreuses études, comme le Trust barometer 2019 publié récemment par l’agence Elan Edelman soulignent à quel point les internautes et les citoyens ont tendance à faire davantage confiance aux institutions et représentants qui leur sont proches (à commencer par leur patron d’entreprise) plutôt qu’aux institutions et autorités plus distantes. De même, vous venez de le souligner, il semble qu’il y ait une attente croissante au sein du grand public pour davantage de prises de parole des CEO, sur les sujets sociétaux notamment. En quoi cette incarnation de la parole de l’entreprise par leur P-DG vous paraît-elle particulièrement importante ? Et quelle plateforme vous semble la plus qualitative pour partager cette vision aujourd’hui : vous recommandez beaucoup LinkedIn (utilisée par 70% des patrons) avant même Twitter (pourtant utilisée par 90% d’entre). Pourquoi ? Quels sont les avantages de l’un et de l’autre de ces plateformes pour les dirigeants ?

François Guillot : Vous avez raison, la confiance des publics obéit en effet à des lois de proximité : c’est assez normal de faire confiance à celles et ceux que je connais, donc davantage à ma ou mon P-DG davantage qu’à celui ou celle des autres d’ailleurs. Si, à cette loi naturelle, s’ajoute une proximité créée et soutenue par une bonne communication (= je lis ce patron > je comprends ce qu’il dit > je trouve ça intéressant > je me sens proche), alors il y a beaucoup à gagner pour les dirigeants et pour les entreprises.

De plus, il faut noter qu’il y a toujours eu un intérêt pour la personnalité des patron.ne.s. On le voit depuis longtemps dans la presse business, qui angle généralement ses histoires sur l’action du capitaine d’industrie plutôt que celle de son entreprise. Les réseaux sociaux, en permettant d’être en prise directe avec ces CEOs, satisfont ce besoin.

Après, en ce qui concerne les plates-formes, chacune a ses caractéristiques et ses qualités spécifiques, mais je pense que LinkedIn a longtemps été sous-estimé par les dirigeant.e.s qui ont été davantage attiré.e.s par ce formidable objet médiatique qu’est Twitter. C’est pour cela qu’ils y sont aujourd’hui encore plus nombreux. Mais Twitter recquiert aussi davantage de maturité en communication : il faut potentiellement avoir un avis sur tout, entrer dans une dynamique d’interaction, participer au débat…

LinkedIn a pour lui d’être plus « rassurant », plus safe : on sait où on est, en l’occurrence sur un réseau professionnel plutôt bienveillant. Mais un réseau très puissant également, comme en témoignent les nombres d’abonnés, statistiques d’engagement, etc. Donc je pense que dans la maturation digitale d’un dirigeant, c’est plus facile de commencer par LinkedIn, avant de descendre dans « l’arène » de Twitter…

Le BrandNewsBlog : Si vous soulignez une progression collégiale de l’ensemble des patrons que vous avez suivis en matière de maîtrise digitale (le score de leadership moyen augmentant de 9% par rapport à 2018), plus de la moitié des P-DG de votre classement a une note inférieure à 30, c’est à dire plutôt faible voire médiocre… Et sans trahir de secret, je crois savoir que beaucoup de P-DG, y compris parmi les premiers de votre classement ont tendance à publier rarement eux-mêmes/elles-mêmes, préférant confier la gestion et l’animation de leurs comptes sociaux à leur équipe ou à des agences. Quels sont les avantages et les inconvénients d’une telle délégation ? Et quels conseils donneriez vous aux P-DG ayant encore un score de leadership inférieur à 30 pour mieux faire l’année prochaine ?

François Guillot : La délégation est tout à fait dans l’ordre des choses. Il faudrait en effet être naïf pour croire qu’un.e P-DG, même très investi.e en communication, a les moyens et le temps d’opérer sur tous ses réseaux sociaux lui-même/elle-même.

Certains co-opèrent au fil de leurs inspirations et c’est déjà très bien. Ce qui compte, c’est leur investissement dans la communication, d’avoir quelque chose à dire, le fait de voir leur équipe de communication maîtriser ce sujet, de définir avec elle les orientations, de comprendre ce qui s’y passe… Comprendre également que le monde a changé et que la communication ne se borne pas/plus à faire partir un communiqué de presse quand on croit avoir quelque chose à dire !

On peut avoir l’impression d’enfoncer des portes ouvertes en disant cela, mais il nous appartient en tant que communicant.e.s d’achever de changer le regard des dirigeants sur la communication.

Concernant les notes attribuées à la plupart des dirigeants étudiés, elles sont « mi-figues mi-raisin » en effet. Mon article sur l’étude de l’an dernier s’intitulait « le verre d’eau à moitié plein ». On peut en effet considérer qu’il y a une cinquantaine de CEOs qui disposent d’une réelle stratégie digitale, même imparfaite, alors que les autres sont encore dans l’improvisation ou une phase de découverte…

Ils.elles pourraient souvent faire beaucoup mieux, et les équipes de communication qui les accompagnent sont très souvent frustrées de ne pas faire davantage car elles réalisent parfaitement le potentiel inexploité. Mais le sujet dépasse évidemment la seule problématique des réseaux sociaux : il s’agit de mettre la communication au service du leadership des dirigeant.e.s, d’avoir quelque chose à dire, et d’avoir mûri dans sa relation au numérique…

De ce point de vue, après les geeks, les jeunes et les moins jeunes, les politiques, les marques, les entreprises, les salariés… les patrons sont un peu le dernier maillon de la chaîne à investir les réseaux sociaux… Mais la maturation est en train de se faire. Il y a 15 ans, on avait un seul patron blogueur : Michel-Edouard Leclerc. Aujourd’hui, on en a 150 qui sont actifs sur les médias sociaux.

Et dieu merci, la phase de doute existentiel en mode « Mais que fait-on quand on a des messages négatifs ? », qui était si bloquante chez certain.e.s, semble enfin révolue. On n’entend plus, heureusement, ce genre de remarques. Tant mieux… La transformation est en marche. Donc, le meilleur conseil c’est d’y aller et de ne pas / de ne plus avoir peur !

Le BrandNewsBlog : Parmi les CEO les plus actifs sur Twitter et LinkedIn, c’est à dire celles et ceux ayant le plus fort volume ou la plus haute fréquence de publications, il me semble que beaucoup sont eux-mêmes/elles-mêmes souvent à la manoeuvre sur leurs comptes de réseaux sociaux, au moins une partie du temps  Et qu’ils.elles n’hésitent pas à interagir ou à entrer en conversation avec les autres internautes, ce que font plus rarement les P-DG ayant une activité uniquement pilotée par leurs communicant.e.s… Cette spontanéité n’est-elle pas vertueuse ? Et a contrario, n’existe-t-il pas un risque, au travers de prises de parole de CEO trop formatées et pilotées/planifiées, que cette parole devienne à son tour « aseptisée » et déceptive, même si on compte sur la force des réseaux d’ambassadeurs et l’employee advocacy pour relayer cette parole de dirigeant ?

François Guillot : Si, bien sûr, la spontanéité est vertueuse et l’analyse de celles et ceux qui sont les plus actifs laisse en effet penser qu’ils interviennent et publient régulièrement eux-mêmes. Laurent Vimont de Century 21 en est un exemple vertueux fréquemment cité. On aimerait tendre vers ça mais l’étape de délégation et de communication plus prudente est souvent nécessaire. Il faut en effet voir la maturation comme un process : de l’hostilité à l’acceptation puis à l’envie, du test à la stratégie, du discours officiel à la vision et l’expression personnelle et interactive. On ne devient pas un champion de Twitter en quelques jours : on passe par plusieurs étapes et il y a aussi un « apprentissage de la spontanéité » qui requiert une réflexion sur soi, sur sa communication, et une compréhension des codes de la culture digitale (je ne parle pas des émojis mais d’un état d’esprit : le « ça se tweete ou pas »).

De ce point de vue, beaucoup de communicant.e.s doivent encore apprendre à « lâcher prise » et à encourager la spontanéité… Il ne faut pas perdre de vue que le véritable objectif du communicant, pendant longtemps, était la maîtrise du risque. C’est moins vrai aujourd’hui, mais on est encore en partie dans « l’effet diligence » des réseaux sociaux. C’est à dire le fait d’utiliser une innovation comme celle qui l’a précédé, comme au far west où les premiers wagons de train avaient un look de diligence… Donc sur les réseaux sociaux, certains veulent avant tout pousser des messages « sans risque », comme on le faisait dans l’ancien monde (souvent avec une absence d’impact, mais sur les réseaux sociaux, l’absence d’impact se voit).

Or pour une communication moins aseptisée, on a besoin des vrais gens. L’expression de la marque corporate n’emporte pas tout : elle est souvent très contrainte et tentée par le lissage. Les individus, dont les CEOs font partie, peuvent proposer davantage d’aspérités, et on a tous davantage envie d’être en contact avec des vrais gens plutôt que des entités désincarnées !

Plus généralement, je crois qu’on n’est encore qu’au tout début de l’employee advocacy, au sens prise de parole (pas forcément seulement sur les réseaux sociaux d’ailleurs) du CEO, mais aussi du reste du Comex, des experts, des patrons de régions ou d’entités, des enthousiastes, etc. Peut-être dans un futur proche verra-ton des directions de la communication créer des directions de l’employee advocacy d’ailleurs, au même titre qu’une direction des relations publiques…

Le BrandNewsBlog : Bonjour Mathilde. Vous qui avez travaillé sur l’incarnation de la marque à travers son/ses dirigeants, que vous inspirent les résultats de ce « top 100 du leadership digital » ? Etes-vous notamment surprise de la faible proportion de femmes dans ce classement (elles sont 16 pour 84 hommes cette année, contre 18 pour 82 hommes en 2018, avec 2 femmes seulement parmi les 20 premières places) ? A l’exception notable d’Isabelle Kocher (3ème), cette faible visibilité numérique vous paraît-elle correspondre à la sous-représentation des femmes à la tête des entreprises, ou bien y-a-t’il d’autres facteurs d’explication à votre avis ?

Mathilde Aubinaud : L’écart est manifeste. Et cela persiste dans l’imaginaire collectif. Les représentations et les incarnations du leadership demeurent liées à un univers masculin. Ce sont bien souvent les hommes dirigeants qui s’emparent de la parole dans l’espace médiatique et se font davantage entendre.

Fort heureusement, on perçoit une évolution. Les barrières se lèvent peu à peu, l’autocensure tend à se perdre son importance. Vous évoquez Isabelle Kocher. Celle-ci prend la parole de façon très régulière sur les réseaux sociaux. La DG d’Engie y expose sa vision de la société et des enjeux clés comme la révolution énergétique que nous sommes en train de vivre. Une vision qu’elle entend défendre en tant que dirigeante. Une vision qui dépasse le seul prisme de son industrie. Elle fait d’ailleurs partie du Top 10 des influenceurs LinkedIn de l’année 2018 tout comme Clara Gaymard, qui entend sensibiliser, avec Gonzague de Blignières, à l’importance d’une économie bienveillante avec le MEB initié en 2018.

De plus en plus, les dirigeantes s’emparent des réseaux sociaux et les investissent à un rythme régulier à l’image de Sophie Bellon, citée dans le classement d’Angie +1 et Présidente du conseil d’administration de Sodexo, qui a rejoint Twitter en début d’année. Elle met en lumière la raison d’être du Groupe dès son premier tweet : « At @SodexoGroup, our ambition is to improve #qualityoflife for 1 billion people around the world. »

Le BrandNewsBlog : Dans votre mémoire « De l’audace d’entreprendre. La figure du dirigeant à travers sa marque », vous aviez choisi de faire un zoom sur 4 P-DG charismatiques ayant eux-mêmes construit leur marque de services : Steve Jobs, Richard Branson, Bernard Arnaud et Xavier Niel. Les deux derniers cités sont d’ailleurs absents du classement des leaders digitaux dévoilé par Angie + 1. Est-ce à dire qu’un dirigeant peut avoir une grande aura médiatique (voire un nombre de followers important sur les plateformes où il est présent, comme Xavier Niel), sans être pour autant un leader digital, en tous cas sans être proactif sur les réseaux sociaux et sans stratégie digitale ??

Mathilde Aubinaud : Dans ce mémoire, je souhaitais interroger les liens entre ces figures identifiées du grand public et les marques que celles-ci portent. Leur posture, l’image véhiculée et les enjeux qui se posent.

Leur aura s’affirme, en effet, bien au-delà de leurs secteurs respectifs et cela depuis longtemps. Si l’on met l’accent sur le digital, les prises de parole des dirigeant.e.s ne s’y limitent pas et heureusement. L’enjeu est d’éviter de diluer sa prise de parole en se dispersant. Il est crucial de revenir sur les fondamentaux de la communication. A quels publics souhaitent-ils s’adresser ? Puis vient, ensuite seulement, la question du canal. Celui-ci se doit d’être cohérent avec les publics visés et le message véhiculés. Il s’agit bien entendu d’adapter les supports de prise de parole aux parties prenantes qu’entend viser la marque et de s’y inscrire en cohérence.

Le BrandNewsBlog : Vous faites évidemment partie des experts de la communication qui estiment que l’incarnation de la marque par son/ses dirigeants est un atout pour l’entreprise, notamment en termes de visibilité, de notoriété et d’image. Et dans votre excellent mémoire, vous analysiez notamment le storytelling efficace mis en oeuvre par les patrons les plus charismatiques. A ce titre, vous avez du être sensible à la typologie en 8 profils de leaders (voir infographies ci-dessous) proposée par Angie + 1 dans son analyse : « L’ambassadeur », « Le visionnaire », « Le citoyen »… Est-ce cela correspond aux différents types de storytelling de dirigeant.e.s que vous avez pu relever sur les réseaux sociaux ??

Mathilde Aubinaud : La manière dont le.la dirigeant.e porte et incarne sa marque est en effet cruciale pour l’inscrire dans la durée. Même si notre échelle de temps s’assimile de plus en plus à celle du social media, l’enjeu est bien celui de créer une préférence sur le long terme.

Les profils de leaders proposés par Angie + 1 reflètent bien la diversité des postures sur les réseaux sociaux. Chacun adopte une posture qui lui est propre en fonction de sa personnalité et de l’engagement qu’il entend porter. L’enjeu est bien pour les dirigeant.e.s de quitter une dimension unidirectionnelle afin de s’inscrire dans la conversation, en laissant transparaître leur état d’esprit et leur vision.

Dans la pratique, il faut bien reconnaître que ce n’est pas si souvent le cas. Il s’agit de quitter, en partie, le discours attendu pour faire ressortir leurs traits de personnalité, la manière dont ils portent leurs équipe, dont ils.elles appréhendent la marque. Quand un.e dirigeant.e prend la parole sur les réseaux sociaux, cela se ressent d’emblée et permet de ressérer les liens avec les publics auxquels il.elle entend s’adresser.

Le BrandNewsBlog : Mathide, vous êtes aussi une ardente supportrice des entrepreneurs audacieux et de l’audace en général, comme en témoigne bien votre blog « La Saga des audacieux ». Quels sont justement, parmi les leaders classés dans ce top 100 du leadership numérique, celles et ceux qui vous impressionnent le plus par l’audace de leur prise de parole, ou par la qualité du storytelling qu’ils.elles ont su déployer ? Et pourquoi?

Mathilde Aubinaud : Pour ma part, je retiens notamment les prises de parole de Gérald Karsenti, DG de SAP France et de Laurent Vimont, Président de Century 21. J’admire la manière dont ils appréhendent la construction du leadership, loin des lectures habituelles.

 

Notes et légendes :

(1) « Brand leaders, storytellers, digital evangelists : les nouvelles casquettes des dirigeants de demain », Hervé Monier – The BrandNewsBlog, 14 juin 2016

(2) Accès à la présentation slideshare de synthèse de l’étude « TOP 100 du leadership digital » réalisée par l’agence Angie+1

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, Angie+1, Mathilde Aubinaud, The BrandNewsBlog 2019.

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