A l’heure où l’on parle tant de « raison d’être » et d’engagement sociétal des entreprises, les initiatives les plus remarquables ne sont hélas pas toujours connues du grand public…
Et pourtant, des actions concrètes et parfois spectaculaires, contribuant directement à la santé ou au bien-être de dizaines de milliers voire de millions d’individus, sont menées depuis des années par les plus grandes marques ainsi que par des PME dynamiques, qui n’ont pas attendu les derniers mois pour s’intéresser au « bien commun ».
En déployant des approches innovantes et des trésors de persévérance au service d’une cause bien identifiée et longuement étudiée, ces entreprises ont réussi à relever ce grand défi : répondre à un besoin sociétal… tout en dégageant du profit. Une démarche à la fois raisonnée et efficace, parfois contre-intuitive dans les cultures latines plus attachées à la pure philanthropie que le monde anglo-saxon… mais davantage garante de la pérennité des actions solidaires ou humanitaires menées sur le terrain.
Pour s’en convaincre, c’est à ce sujet passionnant et à quelques-unes des meilleures pratiques en matière d’innovation responsable que j’ai décidé de consacrer mon billet du jour, à la lumière d’un long et dense article publié il y a déjà quelques temps par la Harvard Business Review¹.
Je vous propose d’en découvrir ci-dessous les principaux enseignements, en vous souhaitant bonne lecture ainsi qu’un excellent week-end prolongé !
Produire de vraies avancées sociales tout en générant des profits, c’est possible !
Souvent brocardées pour leurs écarts voire prises en flagrant délit de « greenwashing »², les marques sont aussi capables du meilleur, comme le prouvent les nombreux exemples cités par la Harvard Business Review (>> voir le tableau de synthèse ci-dessous).
Encore faut-il que l’engagement sociétal des entreprises et de leurs dirigeants soit sincère, soutenu par une mobilisation sans faille des différents intervenants (collaborateurs, partenaires, associations…) et servi par une approche méthodique des besoins sociétaux à adresser.
Telles sont en tout cas les conclusions des consultants du FSG, un cabinet de conseil international à but non lucratif dans le domaine du développement social, au terme d’une étude menée auprès d’une trentaine d’entreprises particulièrement innovantes dans le domaine social.
D’après cette étude, 5 conditions ou facteurs clés de succès apparaissent nécessaires pour que les marques puissent créer à la fois de la valeur sociale et de une valeur économique :
- Ces marques doivent intégrer dans leur mission voire leur statut un réel objectif social ;
- Elles doivent répondre à un / des besoins sociaux précisément défini(s) et bien analysé(s) ;
- Elles doivent mettre en place des mesures de suivi régulières de leurs actions, pour pouvoir modifier les paramètres de leur engagement au besoin ;
- La conduite du projet doit associer un maximum de collaborateurs mais le pilotage de l’action doit être concentré et irréprochable ;
- La cocréation en partenariat avec des intervenants externes est 9 fois sur 10 indispensable et une des meilleures garantie de succès et de pérennité des actions.
De Coca-Cola à Novartis en passant par Nestlé, Mars ou Becton Dickinson : 8 exemples de création de valeur partagée…
Exemplaire de cette approche fut par exemple l’initiative Coletivo imaginée par Coca-Cola Brésil il y a de cela quelques années. Après une étude de 6 mois et l’établissement d’un business plan rigoureux prévoyant une collaboration avec les ONG locales, le projet visait à créer pour des jeunes en difficulté des programmes de formation axés sur la vente au détail et l’entrepreneuriat. Ces programmes prévoyaient de les faire ensuite travailler au sein d’un distributeur de Coca-Cola sur des améliorations spécifiques touchant la gestion des stocks, les promotions, le merchandising, dans l’objectif d’accroître au final les ventes de Coca-Cola auprès des classes moyennes brésiliennes…
En mettant en avant de manière rigoureuse et chiffrée l’augmentation du volume des ventes attendue au travers de cette démarche, Coca-Cola Brésil a réussi à convaincre dès 2009 sa maison-mère de lancer de premières expériences pilotes. Rigoureusement suivies et mesurées sur la base de 4 indicateurs clés : nombre de jeunes ayant par la suite obtenu un emploi / progrès réalisés par les stagiaires dans l’estime de soi (sur la base d’interviews par des consultants) / accroissement des ventes réalisées / amélioration de la notoriété de la marque dans les communautés ciblées… l’action a été conduite et suivie avec le même professionnalisme que n’importe quel autre projet d’investissement important de Coca-Cola.
Résultat : ces formations ont depuis été généralisées à plus de 150 communautés aux revenus modestes à travers tout le Brésil ; l’initiative a offert une formation à plus de 50 000 jeunes depuis son lancement, dont 30 % ont ensuite décroché leur premier job chez Coca-Cola. Et cerise sur le gâteau si j’ose dire : les résultats en termes de ventes ont été si bons qu’ils ont permis de rentabiliser cette initiative de Coca-Cola en à peine 2 ans…
Autre action, mise en oeuvre par Novartis cette fois, l’opération Arogya Parivar (« famille en bonne santé » en hindi) visait à approvisionner en médicaments de première nécessité les millions d’indiens les plus pauvres de l’Inde rurale n’ayant habituellement pas accès aux soins. Après avoir bâti une véritable « étude de marché » visant à adresser la plus large cible possible, Novartis réduisit à quelques roupies le prix des médicaments dans 11 domaines pathologiques de son portefeuille. Clés du succès de cette initiative : le prix, donc, mais également la capacité à assumer un retour sur investissement beaucoup plus long que sur ses autres marchés, ainsi que la capacité à distribuer efficacement les médicaments auprès des populations ciblées. Sur ces deux derniers points, Novartis plaça d’abord Arogya Parivar sous l’égide de son groupe d’affaires sociales pour en assurer le financement initial. Des partenariats furent par ailleurs conclus avec des distributeurs locaux pour toucher efficacement les populations.
Résultat : là encore, une rentabilisation de la démarche plus rapide que prévue (au bout de 31 mois seulement) et plus de 42 millions de personnes desservies à ce jour dans 33 000 villages indiens… soit un considérable progrès sanitaire, auquel n’aurait pu parvenir l’Etat indien.
Egalement exemplaires de ces démarches innovantes et réalistes sont les actions menées par Nestlé, qui a su résoudre de gros problèmes de malnutrition en Inde en concevant des épices enrichies en micronutriments essentiels (fer, iode, vitamine A). En l’espace de 3 ans seulement, Nestlé a vendu 138 millions de ces portions d’épices, en s’appuyant là aussi sur un réseau de distribution existant… Tandis qu’en Côte d’Ivoire, Mars s’est engagé pendant 10 ans auprès des ONG locales et du gouvernement sur des programmes visant à enrayant la chute des rendements et la menace de pénurie en cacao, pilier de l’économie locale…
Dans chacun de ces cas, une étude approfondie du besoin social à servir, accompagnée d’un plan de financement rigoureux et de partenariats avec des institutions locales et ONG existantes, ont permis de garantir le succès des démarches…
La création de valeur partagée : une innovation qui bénéficie à toutes les parties prenantes !
On le voit : l’innovation au bénéfice de toutes les parties prenantes et de la société dans son ensemble n’est pas qu’une utopie… C’est aussi un principe « gagnant-gagnant » pour les marques et leurs différents publics. Et c’est ce vers quoi devrait tendre toute entreprise fraîchement engagée dans une démarche sociétale, traduite dans une nouvelle « raison d’être »…
Au sein de l’entreprise, ce type de démarche est en effet particulièrement porteur pour 4 raisons principales :
- Cette innovation est pourvoyeuse de nouveaux débouchés rentables ;
- Elle permet justement à l’entreprise de venir étayer la mission sociétale affirmée au travers de la « raison d’être » de l’entreprise ;
- Elle est un facteur de cohésion d’autant plus fort que les valeurs et actions sont réellement incarnées par les dirigeants et appropriées par les collaborateurs ;
- La création de valeur partagée contribue aussi in fine à renforcer les marques corporate, commerciale et employeur auprès de leurs publics.
Notes et légendes :
(1) « Innover pour le progrès social » de Marc Pfitzer, Valérie Bockstette, Mike Stamp – Harvard Business Review
(2) Greenwashing : autrement appelé (en Français) « écoblanchiment » ou « verdissage », il s’agit d’un procédé de marketing ou de relations publiques qui consiste pour une organisation (entreprise, administration publique, etc) à se donner une image écologique responsable. La plupart du temps, l’argent est davantage investi en publicité que pour de réelles actions en faveur de l’environnement… (source : Wikipédia)
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