Mission sociale de marque : comment choisir le bon combat… et éviter le « greenwashing »

C’est une évolution importante, dont je vous ai entretenu à plusieurs reprises sur ce blog: dans leurs relations avec les marques, les consommateurs n’attendent plus seulement que celles-ci se bornent à leur offrir des avantages fonctionnels.

Au-delà même de leur prouver l’utilité de la marque (brand utility) ou de leur faire vivre des expériences ludiques et gratifiantes, la plupart des individus aspirent en effet à donner un nouveau sens à leur consommation et souhaitent, dans leur travail comme dans leurs actes d’achat, que leurs actions soient davantage en cohérence avec leurs valeurs et qu’elles s’inscrivent dans un projet global, une oeuvre collective.

A ce titre, il est de plus en plus attendu des marques qu’elles s’investissent dans la société, pour une cause bien déterminée ou pour le bien commun, ainsi que je l’avais déjà souligné dans ce billet¹.

Dixit le marketeur Jean-Paul Richard et le sociologue Stéphane Hugon, « Alors que l’idée même de consommation tend à se structurer autour de sa dimension relationnelle, il est désormais attendu des marques qu’elles deviennent curatrices d’une expérience sociale, leur rôle consistant à assurer une qualité d’expérience dont les consommateurs sont les parties prenantes²».

Fortes de ces constats, des entreprises de plus en plus nombreuses ont commencé à prendre position – de façon aussi visible que possible – sur une large palette de sujets sociétaux et se sont mises en quête d’une véritable mission sociale.

Des championnes de l’économie sociale et solidaire aux plus grandes groupes de l’industrie et des services, chacun y est allé ou y va désormais de sa cause et de son programme à visée sociale, sensé exprimer le brand purpose ou la mission supérieure de la marque…

Mais à côté des indéniables réussites et des success stories d’entreprises admirables dans ce domaine, combien d’engagements pérennes et véritablement sincères, combien de projets viables et de contributions réellement tangibles des marques au bien commun ? Ainsi qu’en témoigne une étude de longue haleine menée par deux chercheurs australiens auprès de grandes entreprises s’étant engagées de manière publique il y a 10 ans à réduire leur consommation d’énergie et leurs émissions de gaz à effet de serre… et ayant progressivement abandonné cette mission et mis de côté leur engagement contre le réchauffement climatique, trop d’entreprises se laissent décourager en chemin par un objectif inatteignable et/ou une cause sociétale ou environnementale mal définie. Quand ce ne sont pas la conjoncture et des résultats financiers atones qui ont progressivement raison des plus louables ambitions…

Pour éviter ce genre de déroute et que les « brand purposes » affichés par les entreprises ne finissent en « business as usual », comment choisir le bon combat et la cause sociétale la plus pertinente pour votre marque ? Comment bâtir une stratégie de mission sociale qui répondent efficacement à de réels besoins, tout en créant de la valeur pour l’entreprise et en renforçant ses attributs de marque ? Comment, en définitive, faire de cette mission sociale un réel avantage concurrentiel et un levier de performance pour votre organisation, meilleur gage de la pérennité de vos démarches et votre engagement?

C’est à ces questions complexes et passionnantes que je vous propose de répondre aujourd’hui, à la lueur des contributions récentes des experts en marketing Omar Rodriguez Vilà et Sundar Bharadwaj et à l’aune des théories de Douglas Holt sur le branding culturel ou des travaux de Géraldine Michel, entre autres³.

…Où l’on verra, en définitive, au travers d’une batterie de « 12 questions à se poser pour réussir la stratégie de mission sociale de votre marque », qu’il est tout à fait possible de concilier sur le long terme la performance financière de l’entreprise avec une mission supérieure fédératrice pour les collaborateurs comme les consommateurs !

Au-delà des effets d’annonce et des grandes ambitions initiales, tant de raisons de se décourager en chemin… ou d’échouer !

Celles et ceux d’entre vous qui lisent régulièrement le BrandNewsBlog connaissent mon attachement à la thématique du jour : comme un certain nombre de professionnels et de plus en plus de dirigeants (fort heureusement), je suis convaincu depuis longtemps de l’intérêt pour les entreprises de s’engager au cœur de la société, en mobilisant leur énergie pour de grandes causes, mais en réfléchissant également à leur « brand purpose », cette mission supérieure de la marque qui transcende le « business as usual » et le simple profit et dont on a vu ci-dessus qu’elle pouvait coïncider avec le « bien commun ». A condition d’y croire et de s’en donner les moyens, bien évidemment…

Mais être pénétré d’une vision aussi positive – certains diront sans doute « idéaliste » – de l’évolution du rôle des entreprises n’empêche pas d’être réaliste… Et de considérer un à un tous les freins et obstacles qui se présentent sur la route des marques désireuses de s’investir durablement dans une mission sociale ou sociétale.

Après avoir étudié pendant des années d’innombrables programmes de mission sociale conçus par des entreprises du monde entier et avoir travaillé avec près d’une douzaine de leaders sur leur marché sur de telles démarches, Omar Rodriguez Vilà et Sundar Bharadwaj, ne s’y trompent pas : « On ne compte plus les programmes à visée sociale bien intentionnés qui ont englouti quantité de ressources et de temps consacré au management pour finir aux oubliettes ». 

Et le premier des freins ou des obstacles à la réussite de tels programmes est tout simplement le temps, bien sûr, et la force des habitudes, car s’il est bien évident que l’engagement social des entreprises représente un indéniable levier de motivation et de performance pour les collaborateurs (notamment), il est assez peu d’initiatives et d’engagements qui résistent hélas à un retournement conjoncturel ou à de longues périodes de « vaches maigres », comme l’ont fait observer les chercheurs Christopher Wright et Daniel Nyberg, à l’issue de l’étude que j’ai évoquée ci-dessus : « An Inconvenient Truth : How Organizations Translate Climate Change into Business as Usual ».

Soucieux de voir comment diverses entreprises dans les secteurs de l’énergie, de l’industrie, de la banque, de l’assurance et des médias avaient tenu leurs promesses en matière de lutte contre le réchauffement climatique – dont chacune avait fait sa « grande mission »- ils ont pu observer sur les 10 dernières années 3 phases successives d’engagement. D’une part, 1) une phase de définition, durant laquelle tous les hauts dirigeants des entreprises concernées ont présenté en interne et en externe l’importance de la lutte contre le réchauffement climatique comme un enjeu social et stratégique majeur ; 2) une phase dite de « localisation », durant laquelle tous les managers et collaborateurs de ces groupes ont été invités à traduire ces grandes annonces en actions pratiques et concrètes, pour réduire la consommation d’énergie et les émissions de gaz ; et 3) la phase dite de « normalisation », hélas systématique, lorsque chacune de ces entreprises, tour à tour, a commencé à faire marche arrière et à redonner la priorité aux considérations financières, cette dernière phase coïncidant en général avec une période de sous-performance ou de changement au sein de l’organisation…

Mais outre ce frein conjoncturel et financier – hélas le plus courant – Omar Rodriguez Vilà et Sundar Bharadwaj ont identifié 3 autres facteurs d’échec des stratégies de mission sociale, qui ne sont pas moins pernicieux…

Le deuxième facteur d’échec le plus fréquent pour une stratégie de mission sociale est lié aux questions de perception et à un mauvais choix de l’entreprise quant à la cause ou au combat qu’elle entend incarner. Ce type d’échec, parfois retentissant et à fort impact sur l’image des marques, survient notamment lorsque les messages destinés à promouvoir l’action de l’entreprise sont perçus comme non sincères ou en décalage avec la réalité (= greenwashing), voire offensants pour les consommateurs.

Et les deux chercheurs américains de rappeler pour exemple l’échec cuisant de « Race Together », la campagne de communication antiraciste de Starbucks, dont la campagne de communication bâclée fut rapidement et très vivement critiquée par les internautes, à la fois parce qu’elle ne correspondait pas aux thématiques habituelles de la marque, mais surtout parce qu’elle apparut opportuniste et insincère à la plupart des communautés américaines.

Autre facteur d’échec courant : le fait que la mission ou cause sociale retenue ne fasse tout simplement pas écho auprès de la cible des clients ou passe inaperçue auprès des parties prenantes de la marque. C’est l’écueil rencontré par Nike dans son engagement à réduire les déchets issus de ses usines de production. Si la cause est noble et réelle, car elle vise à réduire l’impact de la marque sur son environnement, il est à noter que cet engagement et ce combat n’ont jamais passionné ses client et clientes, plus intéressés par des engagements plus concrets dont eux-mêmes pourraient mesurer concrètement les bénéfices.

Et de fait, Nike a cessé depuis quelques années de communiquer sur cet engagement auprès du grand public, et ne s’en sert désormais que dans sa communication auprès de ses fournisseurs et actionnaires, dans un tout autre registre.

Quatrième facteur d’échec : quand la cause sociale ou la mission mise en avant sont pour ainsi dire « gadgets » et n’ont pour autre but que de faire la pub de l’entreprise ou de promouvoir artificiellement son discours et ses engagements RSE, sans se soucier de la valeur réelle créée pour la société, là encore la mission est amenée à péricliter et à se déliter au fil des ans, comme le font observer Omar Rodriguez Vilà et Sundar Bharadwaj.

Entre les « brand purpose natives » et les « immigrants » de la responsabilité sociale : 2 degrés de maturité sociétale bien différents…

Dans leurs études et leurs recommandations, les deux chercheurs Omar Rodriguez Vilà et Sundar Bharadwaj distinguent d’emblée – et à mon avis à raison – deux cas de figure bien distincts.

Tout comme on parle de « digital natives » pour qualifier les générations nées après l’avènement d’Internet, ayant pour ainsi dire naturellement adopté les outils et les techniques du web 2.0, Vilà et Bharadwaj distinguent quant à eux les marques ayant dès le départ intégré une mission sociale à leur business model (comme Patagonia, Warby Parker, Seventh Generation ou Ben & Jerry’s) de toutes celles – bien plus nombreuses – qui ont grandi sans stratégie de mission sociale prédéfinie (les « immigrants » de la responsabilité sociale) mais qui souhaitent à un moment de leur histoire pallier ce manque et s’engager dans la définition d’un brand purpose sociétal.

Pour les premières, impossible d’imaginer se passer soudain de leur engagement sociétal : celui-ci fait « nativement » partie de leur « ADN » de marque et il y a fort à parier qu’elle disparaîtraient ou connaîtraient un sort funeste si elles renonçaient à ce qui les a clairement démarqué des marques sans mission. Dans ce premier groupe de marques en quelque sorte exemplaires, le focus et toute l’attention doivent être portés sur l’identité de la marque et sa communication, puisque l’engagement est déjà bien défini et parfaitement en ligne avec les valeurs constitutives de l’entreprise.

Pour le deuxième groupe de marques (les plus nombreuses, donc), développer une stratégie de mission sociale requiert impérativement de commencer par identifier clairement un ensemble de problématiques sociales et environnementales auxquelles elles seraient légitimes de s’attacher et de contribuer de manière significative.

Pour ne pas conserver d’œillères dans cet exercice et ouvrir l’horizon des possibles, Vilà et Bharadwaj, recommandent d’évaluer toutes les options que leur offrent les 3 domaines suivants : 1) l’héritage de la marque ; 2) les tensions existantes chez les consommateurs ; 3) les externalités négatives liées à leurs produits…

Héritage de la marque + tensions « culturelles » sur un marché donné + externalités négatives de la production ou des produits = les trois domaines à investiguer pour lister toutes les missions sociales potentielles pour une entreprise

>> 1) Investiguer l’héritage de la marque et ce qui fonde son bénéfice distinctif, sa « Unique Selling Proposition ». Cette recommandation paraîtra sans doute évidente à tous mes lecteurs : pour être « en ligne » avec l’identité et les valeurs de sa marque, et surtout cette valeur ajoutée compétitive qui en a fait le succès, il ne faut pas hésiter à se référer à son histoire, comme la marque Dove, qui a toujours refusé de se vendre comme un vulgaire savon depuis son lancement en 1957, mais s’est positionné d’emblée comme un « pain de beauté » : exalter la beauté des femmes était donc une mission éminemment légitime puisque partie intégrante de sa proposition de valeur initiale, même ce « brand purpose » ne s’est pas dégagé instantanément.

>> 2) Investiguer les orthodoxies et tensions « culturelles » existantes sur son marché. Omar Rodriguez Vilà et Sundar Bharadwaj rendent ici hommage aux travaux de Douglas Holt sur le « branding culturel ». Pour séduire les « crowdcultures », c’est à dire ces communautés qui se sont fédérées en ligne autour de centres d’intérêt et de croyances communes, clé de succès du marketing moderne, il est nécessaire d’avoir identifier les orthodoxies et les tensions existantes sur son marché. Dit plus clairement, il faut chercher à « disrupter » son marché (pour reprendre la terminologie chère à Jean-Marie Dru) et s’orienter vers des missions susceptibles de résoudre les tensions (souvent non formulées et presque inconscientes) ressenties par les consommateurs. C’est ainsi qu’en célébrant le parcours d’immigrant de l’un de ses fondateurs, à l’occasion d’une publicité diffusée pendant le Super Bowl, la marque de bière Budweiser s’est clairement positionnée en opposante à la politique de l’administration Trump sur l’immigration, tout en restant fidèle à son « ADN » et ses valeurs. 

>> 3) Identifier les « externalités négatives » de sa production ou ses produits. Dans ce dernier domaine, soyons tout à fait clairs : il ne peut suffire de cibler les impacts négatifs de son activité sur l’environnement et la société en général pour proposer une grande mission sociétale légitime et pertinente. Si les « externalités négatives » sont trop importantes et si les engagements de l’entreprise reviennent en quelque sorte à jouer les « bouche trous » de la RSE de la marque, la stratégie de mission sociétale de la marque risque d’apparaître comme réductrice et insincère… et ne suffira sans doute pas à intéresser ni contenter les parties prenantes. Néanmoins, en prenant pour cheval de bataille la réduction de l’obésité et la prévention pour une alimentation plus saine et plus propre, des marques comme Panera Bread ou Coca Cola. La dernière campagne de Facebook sur le thème de la préservation des données personnelles de ses utilisateurs (cf visuel ci-dessous) semble dessiner un premier degré d’engagement du réseau social… tout en s’apparentant néanmoins à de la communication post crise après le scandale Cambridge Analytica et les différents déboires de Facebook dans ce domaine de la protection des données utilisateurs…

4 critères de sélection et 12 questions à se poser pour cibler les combats les plus pertinents à mener et les plus porteurs pour votre marque ! 

Une fois dressée la liste des besoins sociaux entrant en résonance avec son « ADN » de marque, les « crowdcultures » et les externalités négatives de son produit ou sa catégorie de produit, les deux chercheurs américains Vilà et Bharadwaj recommandent de s’orienter vers la mission sociale qui génèrera le maximum de valeur pour la marque (= avantage concurrentiel) tout en minimisant ses risques d’exposition.

Si une telle stratégie de mission sociale peut paraître « intéressée » et non dénuée d’arrières-pensées, les deux chercheurs soulignent -encore une fois à raison à mon sens- que c’est à cette condition et cette condition seulement que l’entreprise peut tenir ses engagements dans la durée : le fait que ceux-ci lui procurent un bénéfice marché permettant de justifier auprès de différentes parties prenantes l’investissement de moyens significatifs en ressource humaine et en moyens financiers. Et cela peut se faire, très pragmatiquement, tout en allant dans le sens de l’intérêt supérieur commun.

Vilà et Bharadwaj soutiennent ainsi qu’une stratégie de mission sociale efficace doit en premier lieu 1) créer de la valeur en renforçant les attributs clés de la marque OU 2) donner accès à des marchés connexes , TOUT EN 3) réduisant le risque d’association négative pour la marque ET 4) en suscitant l’adhésion des parties prenantes.

1er CRITERE DE SELECTION : Créer de la valeur en renforçant les attributs clés de la marque. Pour illustrer cette dimension, Omar Rodriguez Vilà et Sundar Bharadwaj n’hésitent pas à prendre l’exemple bien vu de la marque Vaseline, dont la crème était en passe de devenir un produit générique en 2014 aux Etats-Unis…

En réfléchissant à leur stratégie de mission sociale, et à la façon dont celle-ci pourrait contribuer à redorer l’image de la marque et à renforcer ses attributs, la direction et les équipes de l’entreprise sont arrivées à la conclusion que leur engagement devrait s’appuyer sur le bénéfice essentiel de leur crème : son pouvoir réparateur. En essayant de déterminer qui pouvait avoir le plus besoin de ce pouvoir réparateur, les équipes de Vaseline ont découvert que leur crème était déjà utilisée comme remède par les urgentistes et les humanitaires et constituait un des éléments essentiels de la trousse de premier secours… Forts de cette information, la stratégie de mission sociale de l’entreprise a été délibérément orientée vers les « soins dermatologiques à destination des plus vulnérables » au travers du « Vaseline Healing project », monté en partenariat avec l’ONG Direct Relief, et dont l’objectif est de traiter gratuitement 5 millions de patients d’ici 2020. L’initiative a obtenu les meilleurs résultats en terme de visibilité et d’image et rempli tous les objectifs de Vaseline dès la première année d’existence, en redonnant du sens à la marque et en valorisant ses attributs auprès du grand public.

2e CRITERE DE SELECTION : S’imposer sur des marchés connexes à la faveur de sa mission sociétale de marque. En s’emparant d’un nouveau besoin social non satisfait par ses concurrentes – celui de la réduction des déchets – la marque Brita, qui jusqu’en 2005 vendait essentiellement des filtres à eau du robinet, s’est ouvert un nouveau marché : celui des eaux en bouteille. En effet, en positionnant l’eau filtrée comme une alternative écologique permettant de limiter la consommation de plastique et en innovant aussi bien dans son offre de gourdes que de carafes, Brita a su astucieusement valoriser le bénéfice environnemental lié à la consommation d’eau filtrée, puisque pour chacun des ses filtres utilisés, ce sont 300 bouteilles en plastique en moins qui finissent dans les décharges et les océans. Une stratégie qui a aidé Brita à bénéficier d’un nouvel atout concurrentiel et à prendre des parts non négligeables sur le marché des eaux en bouteilles, tout en adoptant une stratégie de mission sociale claire et efficace.

3e CRITERE DE SELECTION : Atténuer le risques d’associations d’idées négatives de la part des consommateurs. Pour une marque, il est toujours important de réfléchir à la façon dont les consommateurs vont percevoir la mission sociétale qu’elle envisage de se donner. Verront-ils les bénéfices affichés comme un avantage ou un inconvénient ? Percevront-ils la démarche comme sincère et probante ou bien artificielle et sujette à controverse, comme la campagne « Race together » de Starbucks ? Pour cette raison, il est très important que les responsables de marque identifient les associations cognitives liées au discours social de la marque auprès des différents segments de consommateurs. Un exemple probant de cette préoccupation est donné par la marque de nettoyage écologique Green Works de Clorox.

En étudiant les différents segments de marché des produits de nettoyage, les responsables de cette marque se sont aperçus que l’argument environnemental n’était jugé important que par 15% des consommateurs et que le terme « écologique » était cognitivement associé par les acheteurs potentiels à une moindre efficacité en terme de nettoyage ! S’appuyant sur ces données, les marketeurs ont retardé deux fois le lancement de Green Works pour améliorer la formule de leurs produits et décidé d’associer fortement le logo de la marque mère Clorox, réputé pour son efficacité, à cette nouvelle gamme. En travaillant sur les packagings et sur sa communication, la marque a finalement réussi à imposer clairement sur son marché les bénéfices sociétaux de ses produits et sa stratégie de mission sociale, en se taillant une part de marché respectable.

4e CRITERE DE SELECTION : Susciter l’adhésion des parties prenantesOutre les associations cognitives négatives et positives liées à une démarche de mission sociale, il est important d’évaluer si celle-ci est acceptée et soutenue par les différentes parties prenantes de la marque, car le risque de voir déraper de telles démarches est réel. Selon Omar Rodriguez Vilà et Sundar Bharadwa, 3 motifs peuvent expliquer une réaction négative des parties prenantes : 1) un hiatus entre le message de la marque et ses actions ; 2) une politisation de son message, à un moment ou un autre ; 3) une méfiance vis-à-vis des motivations de l’entreprises. Pour preuve, malgré le grand succès de Dove dans sa stratégie de mission sociale, aujourd’hui reconnue et plébiscitée par la plupart des parties prenantes, la marque du groupe Unilever n’a pas échappé à un certain nombre de polémiques, auxquelles on s’expose d’autant plus fortement quand on affiche haut et fort sa mission sociale, justement. En lançant notamment sa campagne sur la « Vraie beauté », remettant ainsi en cause les standards de la beauté traditionnelle et défendant l’idée que la beauté peut prendre un nombre illimité de formes, Dove s’est exposé aux critiques acerbes de certains consommateurs, qui n’ont pas manqué de souligner la contradiction entre ce positionnement et celui d’autres marques du groupe Unilever, comme Axe en particulier, dont les publicités mettaient en scène des hommes séduisant de jeunes mannequins en tenue légère…

Aux yeux des consommateurs, qu’Unilever combatte la notion de beauté stéréotypée tout en en faisant par ailleurs la promotion traduisait tout simplement une hypocrisie de la part du Groupe. Ce qu’Unilever a fini par admettre et commencer à combattre véritablement en repositionnant complètement la stratégie de sa marque Axe et en décidant de bannir une fois pour toute les stéréotypes sexistes de son marketing, quelle que soit la marque concernée.

On le voit : outre les 4 critères de sélection évoqués ci-dessus et les 12 questions clés associées, pour être sûr de réussir sa stratégie de mission sociale (voir l’infographie de synthèse ci-dessous), un alignement de la mission sociale avec l’identité et les valeurs de la marque – ce que Géraldine Michel appelle « l’être de la marque » – est absolument primordial, tout autant que la dimension du « faire », qui suppose aussi et surtout que la marque soit sincère et authentique dans ses engagements et veille très attentivement à réduire au maximum tout éventuel écart entre la mission sociale qu’elle affiche et chacun de ses actes, au jour le jour, sur le terrain.

 

 

Notes et légendes :

(1) « Nouveaux leviers d’engagement : et si on misait sur la bienveillance et la quête du bien commun ? » , article d’Hervé Monier, The BrandNewsBlog, 15 octobre 2017

(2) « Mutations sociétales et imaginaires des marques », article de Jean-Paul Richard et Stéphane Hugon, Revue des marques n°100, octobre 2017.

(3) Omar Rodriguez Vilà est professeur adjoint de marketing au Scheller College of Business de Georgia Tech et membre du Ray C. Anderson Center for Sustainable Business ; Sundar Bharadwaj dirige quant à lui la chaire Coca-Cola de marketing au Terry College of Business de l’université de Géorgie et est chercheur senior à l’Indian School of Business. Ils ont tous les deux contribué à l’article « La mission sociale comme avantage concurrentiel », paru dans le numéro de juin-juillet 2018 de la Harvard Business Review.

Douglas Holt, est professeur à la Harvard Business School et à l’université d’Oxford, fondateur et président du Cultural Strategy Group. Il a posé en 2017 les bases d’une discipline nouvelle, le branding culturel (voir ici mon article à ce sujet).

Géraldine Michel est directrice de recherche de la chaire Marques & Valeurs de l’IAE de Paris. Elle a publiée de nombreux ouvrages dont je vous ai parlé sur le BrandNewsBlog, dont l’ouvrage de référence « Au coeur de la marque », dont je parle ici.

 

Crédits photos et illustrations : The BrandNewsBlog 2018, 123RF, X, DR.

 

 

Marketeurs et brand content : et si la lune de miel touchait bientôt à sa fin ?

Idea Commercial Planning Marketing Brand Concept

Vous l’avez sans doute remarqué : sur le BrandNewsBlog, je n’ai jamais hésité à relayer les pensées et théories un brin « iconoclastes ». Comme le faisait d’ailleurs observer Jean-Luc Godart, à qui l’on reprochait de faire partie de ces « déboulonneurs de statues » qui restent volontiers en marge, « la marge est aussi ce qui fait tenir les pages du cahier ensemble ». Et il arrive souvent que les penseurs et artistes les plus iconoclastes s’avèrent aussi être de grands visionnaires…

Douglas Holt, fondateur et président du Cultural Strategy Group, fait incontestablement partie de ces marketeurs à la fois iconoclastes et visionnaires, qui ne cultivent ni la langue de bois ni le prêt-à-penser.

Dans un article passionnant, paru cet été dans la Harvard Business Review¹, l’ancien professeur à la Harvard Business School et à l’université d’Oxford pose les bases d’une discipline encore toute jeune, le branding culturel. Et il en associe le développement à l’essor sans précédent, sur les réseaux et médias sociaux, de sous-cultures très organisées : les crowdcultures.

Ce faisant, l’auteur du best-seller « How Brands Become Icons »² ne manque pas d’épingler les colossaux mais vains efforts des marques pour s’introduire de force au sein de l’univers numérique et s’attirer les bonnes grâces des socionautes. Et il égratigne au passage leurs agences, qui n’ont eu de cesse de chanter les louanges du brand content et de concevoir des contenus de plus en plus sophistiqués, mais au demeurant peu efficaces.

Pour passer du culte du brand content à un marketing plus en phase avec les nouveaux mécanismes de l’innovation culturelle, suivez-donc le guide : je vous emmène sur les pas de Douglas Holt, apôtre de la brand culture

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Le brand content : vestige des méthodes et de l’ère des médias de masse…

Ainsi que le rappelle tout d’abord Douglas Holt, avec l’apparition d’Internet puis surtout l’émergence du web 2.0, de nombreuses entreprises se sont mises à investir massivement dans leurs contenus de marque.

L’idée était simple : « les réseaux sociaux devaient permettre aux entreprises de contourner les médias traditionnels pour nouer des liens directement avec les clients. Leur raconter des histoires passionnantes et établir une connexion avec eux en temps réel devaient permettre aux marques de se transformer en plateformes pour une communauté de consommateurs ».

Mais ce que les promoteurs du brand content ont alors présenté comme une méthode marketing révolutionnaire n’était en réalité « qu’un des vestiges de l’ère des médias de masse, dont on a redoré l’image pour en faire un concept numérique ». Et Douglas Holt de rappeler, notamment, l’âge d’or des soap opera américains dans les années soixante, ou la réussite de ces nombreux formats narratifs courts, empruntant au codes cinématographiques et à la chanson, que des marques comme Alka-Seltzer, Frito-Lay ou Noxema utilisèrent pour séduire des générations de consommateurs. Car de fait, les spectateurs et téléspectateurs étaient encore captifs des grands médias du divertissement constitués en oligopole, et la concurrence culturelle était plus que limitée. Ainsi, « les entreprises de biens de consommation pouvaient s’offrir un chemin vers la gloire  en plaçant leurs marques dans cette arène culturelle strictement contrôlée. »

Avec l’irruption et l’adoption par le grand public des nouvelles technologies numériques, d’Internet et des médias sociaux, les opportunités de se soustraire à l’influence des marques sont devenues légion et il leur a été de plus en plus difficile « d’acheter leur renommée ». Les départements marketing ont alors augmenté leur mise de manière spectaculaire sur toutes ces nouvelles formes de brand content destinées à séduire directement les consommateurs, via le web 2.0, au détriment de la publicité et des contenus de marque « 1ère génération ».

Création de courts métrages pour Internet, réalisés par les plus grands réalisateurs, multiplication exponentielle des contenus ludiques, informatifs ou promotionnels pour alimenter les plateformes owned media, comptes sociaux et autres chaînes YouTube des marques… Et les plus grands groupes n’ont pas hésité à investir des milliards, et à embaucher des bataillons de community managers pour engager les socionautes dans une « conversation passionnante et privilégiée avec leur marque » sur la base d’opérations millimétrées et de contenus toujours plus coûteux. Au point que, selon Express writers, 25% du budget marketing global des entreprises seraient aujourd’hui alloués à la création de contenus et pas moins de 118,4 milliards de dollars auraient été dépensés dans le brand content et le content marketing à l’échelle mondiale en 2015 !

Quand la grande ruée vers les contenus de marque se heurte à la réalité des statistiques…

Las, les résultats de tous ces programmes et investissements faramineux ne furent pas (et ne sont toujours pas) au rendez-vous… Car non seulement les performances de la plupart des grandes marques en matière d’engagement demeurent indigentes, mais sur la base de KPI aussi primaires que le nombre de vues, de visites ou d’abonnements, les résultats demeurent plus que médiocres. Encore davantage quand on les compare, comme ne manque pas de le faire Douglas Holt, au succès insolent des stars du sport et de la chanson sur les réseaux sociaux, mais aussi et surtout à la réussite insolente de toutes ces nouvelles figures du web 2.0 que sont devenus les blogueurs, YouTubers et autres Instagramers stars, qui accumulent les vues, abonnements et autres interactions par millions sur les réseaux sociaux, quand la plupart des marques n’en ont en général que quelques milliers… acquis à coups de millions d’euros ou de dollars.

Et l’auteur de « How Brands Become Icons » de comparer les performances des uns et des autres sur les plus grandes plateformes sociales, à commencer par YouTube et Instagram justement. Sur ces réseaux, le haut du pavé est tenu par des artistes littéralement sortis de nulle part. Ou plus exactement : des artistes propulsés par de gigantesques communautés de socionautes, rassemblés autour de thématiques générant un engagement spectaculaire, comme la sous-culture des jeux vidéos. Sur ce segment et dans des genres totalement nouveaux plébiscités par les jeunes, comme le « gaming comedy », qui consiste à commenter de manière humoristique des parties ou des jeux (avec des moyens techniques dérisoires), règne en star Felix Arvid Ulf Kjellberg, alias PewDiePie (1ère chaîne YouTube mondiale avec près de 48 millions d’abonnés et plus de 13 milliards de vues début septembre 2016 !), mais également elrebiusOMG (20 millions d’abonnés), VanossGaming (18 millions d’abonnés) ou encore CaptainSparklez (9 millions).

En comparaison, la première chaîne YouTube d’entreprise (et de très loin) est celle de Red Bull, dont le budget marketing annuel de 2 milliards d’euros, en grande partie consacrée au brand content justement, lui permet d’arriver royalement en 184ème position dans le classement des chaîne YouTube, 2 autres marques seulement étant présentes dans le top 500 ! Quant à McDonald’s, pour ne prendre que cet autre exemple et malgré les montants investis, sa chaîne YouTube pointe quant à elle en 9 414ème position (275 000 abonnés), soit une performance 200 fois moindre que celle de PewDiePie, tandis que les coûts de production de ses vidéos demeurent 100 à 1 000 fois supérieurs !

On pourrait ainsi multiplier les exemples (ou plutôt) contre-exemples de la performance des contenus de marques sur les réseaux sociaux. Il en existe hélas une foule de preuves plus que tangibles, tant sur les plans qualitatif que quantitatif. Mais Douglas Holt enfonce tout de même le clou en mentionnant la déroute, ô combien symptomatique, de la stratégie marketing de Coca Cola, dont le brand content est devenu le principal cheval de bataille ces dernières années…

C’est en effet en 2011, pour ceux qui s’en souviennent, que l’entreprise de soda la plus connue du monde dévoila en fanfare une nouvelle stratégie marketing plus qu’ambitieuse. Très officiellement baptisée « Liquid & Linked », celle-ci visait à remiser au placard l’excellence créative qui avait fait son succès dans son approche des médias de masse… et à la remplacer par l’excellence des contenus (ses contenus de marque sur les réseaux sociaux en l’occurrence).

Jonathan Mildenhall, à l’époque directeur du marketing de Coca-Cola avait alors bien présomptueusement déclaré que l’entreprise produirait désormais en continu « le contenu le plus convaincant du monde« , destiné à capter « une part démesurée de la culture populaire », contribuant par la même occasion à doubler les ventes de la marque d’ici 2020 !

Navire amiral de cette nouvelle politique, le site web statique de la marque fut transformé dès 2012 en véritable magazine numérique : Coca-Cola Journey. Incarnation parfaite d’une stratégie de marque, au lancement sur-médiatisé, celui-ci traite de tous les sujets de la culture pop (sports, gastronomie, développement durable, voyages…). Mais au grand dam de ses concepteurs, qui nourrissaient pour lui l’ambition démesurée de le voir prendre place parmi les premiers médias mondiaux… le site de Coca-Cola n’enregistre hélas presque aucune visite !

Depuis son lancement, ce magazine en ligne ne s’est jamais hissé dans le top 10 000 des sites aux Etats-Unis, ni même dans le top 20 000 à l’échelle mondiale. Et la chaîne YouTube de la marque (n° 2 749 en janvier 2016), ne comptait alors que 676 000 abonnés (1 millions aujourd’hui).

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… Une preuve de plus, s’il en fallait, que les consommateurs-socionautes ne s’intéressent guère aux contenux de marque, contrairement aux affirmations hâtives de nombreuses agences et des apôtres du brand content. La plupart d’entre nous n’en voudrait pour rien au monde dans son fil d’actualité, beaucoup allant jusqu’à considérer qu’il s’agit d’un véritable spamming de la part des marques, malgré tous les efforts mis en œuvre par les différentes plateformes pour les valoriser et les intégrer harmonieusement à leurs flux…

Les crowdcultures, nouveaux vecteurs d’innovation culturelle et de production d’idées…

Ainsi que l’explique très bien Douglas Holt, un des phénomènes les plus importants survenus avec l’émergence puis le développement des médias sociaux est la constitution de gigantesques communautés en ligne, qui se sont rassemblées spontanément en fonction de leurs centres d’intérêt.

Ces communautés, autrefois éparpillées géographiquement et sans moyen de communication ou presque, ont évidemment trouvé avec le web 2.0 un fantastique levier de développement. Et leurs membres, une fois rassemblés et connectés, n’ont cessé d’intensifier leurs échanges, quantitativement et qualitativement, au point d’acquérir une visibilité et une influence culturelle prépondérantes dans leurs domaines respectifs.

Elles ont ainsi donné naissance à de véritables « crowdcultures », vecteurs d’innovation culturelle, de production et de diffusion d’idées et de concepts, à l’instar de cette crowdculture des jeux vidéos dont je viens de parler, qui a inventé en quelques années à peine de nouvelles formes de divertissement et vu émerger des stars aujourd’hui reconnues bien au-delà de leur communauté d’origine.

Et Douglas Holt d’expliquer que ces crowdcultures sont partout désormais et couvrent tous les centres d’intérêt ou presque. Elles se divisent selon lui 2 catégories distinctes : d’une part des sous-cultures très vivaces (aux thématiques innombrables : amateurs de d’expresso, fans de science fiction, runners, défenseurs du roman victorien ou de la chasse à courre…) ; d’autres part, des univers artistiques dont la vocation est essentiellement d’ouvrir de nouveaux horizons dans le domaine de l’art justement et celui du divertissement.

Ainsi, tandis que les sous-cultures des fans de science-fiction, des chasseurs à courre ou des amateurs de mangas et de dessins animés japonais se retrouvent « augmentées » et font éclore de nouvelles pratiques et disciplines, les univers artistiques, rassemblant des artistes et talents de tous horizons, inventent aujourd’hui de nouveaux formats, de nouveaux genres et styles dans une concurrence collaborative et inspirée. Plus besoin, dès lors, de passer par les fourches caudines d’une scène locale difficile d’accès, d’un éditeur installé ou d’une maison de disque trop gourmande : des millions d’entrepreneurs culturels communiquent et intéragissent désormais en temps réel, en ligne, pour produire le prochain best seller ou le tube de demain.

Davantage en phase avec le public et réalisés à moindre coût, ces contenus issus des crowdcultures (en tout cas les meilleurs et les plus innovants d’entre eux) dament le pion aux productions des industries culturelle classiques dites « de masse », de même qu’à tous les contenus conçus et diffusés par les marques. Même quand celles-ci essaient de singer les codes de leurs communautés-cibles ou de copier la recette des YouTubers et Instagramers stars…

Comprendre et intégrer les crowdcultures… pour passer du brand content au branding culturel

Car ainsi que le rappelle Douglas Holt : « sur les réseaux sociaux, la technique qui fonctionne pour Shakira ou PewDiePie s’avère un échec cuisant pour des marques comme Crest et Clorox ».

Plus qu’un problème créatif, le premier souci des marques est d’ailleurs organisationnel, selon Holt. Trop souvent prisonnières d’organisations, de modes de production et de validation excessivement lourds, les agences et leurs clientes, les marques, se retrouvent en effet piégées par leur propre « bureaucratie de marque ». Une bureaucratie certes appropriée pour développer et mettre en oeuvre, sur le terrain et à l’échelle mondiale, des programmes marketing extrêmement complexes, mais aux antipodes de la réactivité et l’agilité créative dont font preuve les univers culturels dont nous venons de parler.

De fait, pour réussir à intégrer véritablement les codes des crowdcultures et se faire de nouveau une place dans le coeur et la tête des consommateurs, les marques doivent développer une approche inédite pour elles : le branding culturel.

Comme le démontre Douglas Holt, passer d’une stratégie de content marketing traditionnel à une stratégie de branding culturel requière pour le marques un changement de perspective complet.

Les marques doivent d’abord abandonner les illusions du marketing « mass-market » et faire le deuil de leur capacité à intéresser les foules comme le font les stars des réseaux sociaux, sur la base d’une conversation ou de contenus de marque simplement divertissants. Car « l’idée même que les consommateurs voudraient discuter de Corona ou de Coors de la même manière qu’il débattent du talent de Ronaldo et Messi est complètement absurde ». Jamais les marques ne susciteront le même intérêt et ce n’est pas non plus en associant les stars du sport ou des réseaux sociaux dans leurs production et leurs contenus qu’elles arriveront à les passionner, car les internautes et socionautes ne sont pas dupes de telles démarches.

Ensuite, pour émerger du discours ambiant et produire un message réellement différenciant, Douglas Holt recommande de travailler en 5 étapes : 1) Schématiser l’orthodoxie ou les orthodoxies culturelles qui sont en vigueur sur son segment ; 2) Repérer l’opportunité culturelle / l’alternative à l’orthodoxie permettant de s’exprimer de manière différenciante sur son marché ; 3) Cibler une / des crowdcultures bien déterminées pour faire passer son message ; 4) Diffuser la nouvelle idéologie que la marque aura produite ; 5) Innover en permanence en s’appuyant sur des tensions culturelles.

Voici, résumées dans le tableau ci-dessous, résumées ces différentes étapes, en prenant l’exemple d’une marque agro-alimentaire qui a parfaitement su les déployer : Chipotle.

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Dove, Axe, Old Spice, Under Armour ou encore Jack Daniel’s sont d’autres marques citées dans son article par Douglas Holt et qui appliquent ou ont appliqué avec succès les recettes du branding culturel.

Pour les 3 premières, elles ont su capter toutes les 3 des tendance culturelles fortes différentes sur leur marché… et rencontrer chacune le succès auprès de la crowdculture correspondante. Axe a ainsi exploité la « lad culture », un phénomène britannique jouant sur les codes de l’hypermasculinité. Dove a capitalisé sur une image positive et originale de la féminité (se démarquant des campagnes agressives d’Axe) et en ciblant une crowdculture féminine émergente. Old Spice s’est appuyée sur l’idéologie et la crowdculture hipster, en l’alimentant largement.

Under Armour s’est rendue célèbre en détournant et s’opposant à la stratégie culturelle de Nike. Quant à Jack Daniel’s, elle s’est positionnée avec succès autour de la crowdculture des hommes de la classe moyenne supérieure urbaine et l’esprit far west de la nouvelle frontière. Un mythe et un univers beaucoup plus masculins que ce que lui recommandaient tous les professionnels du marketing. Mais ce branding culturel a été gagnant et lui a permis de fortement se différencier.

 

 

Notes et légendes :

(1) « Le branding à lire des réseaux sociaux » par Douglas Holt – publié dans l’édition française de la Harvard Business Review (août-septembre 2016) et initialement dans son édition anglaise sous le titre « Marketing in the age of social media » (Mars 2016).

(2) « How Brands Become Icons: The Principles of Cultural Branding » par Douglas Holt – Harvard Business School Press, 2004

 

Crédit photos : 123RF, X, DR

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