Nouveaux leviers d’engagement : et si on misait sur la bienveillance et la quête du bien commun ?

C’est un constat sans appel, que vient confirmer la toute récente étude sur la qualité  de vie au travail publiée mercredi dernier par Malakoff Médéric¹ : chaque année, l’engagement des collaborateurs vis-à-vis de leur employeur tend à diminuer. Et pas qu’un peu, manifestement…

Tandis que les salariés interrogés étaient encore 42% à se déclarer « très engagés dans leur travail et dans leur entreprise » en 2009, ils n’étaient plus que 36% à le dire en 2012… et 28% cette année !

Ces nouveaux chiffres corroborent en bien des points ceux déjà relevés par l’institut Gallup² en 2013 : à l’époque, 61% des salariés interrogés avaient admis « ne pas se sentir engagés » vis-à-vis de leur employeur et 28% déclaraient déjà être « vraiment désengagés ».

Côté consommation, force est de reconnaître que les résultats de la plupart des études ne sont guère plus glorieux : malgré tous les efforts déployés par les marques pour susciter l’intérêt, créer des contenus attractifs et/ou générer des conversations intéressantes sur les réseaux sociaux notamment, les taux d’interaction avec les internautes demeurent particulièrement faibles… et tendent parfois à devenir marginaux, même si ce constat reste à nuancer d’une marque à l’autre bien sûr.

Globalement, néanmoins, une frange de plus en plus importante de la population se déclare désormais totalement allergique à la publicité et au discours des marques, même enrobé dans les plus beaux atours du brand content.

Misère de misère, me direz-vous ! Mais qu’est-ce que les entreprises et les marques ont bien pu faire pour mériter un tel désamour ? Et quelles sont surtout les nouvelles attentes des consommateurs et des collaborateurs à l’heure de la transformation numérique et des mutations sociétales qui l’accompagnent ?

C’est ce dont je vous propose de parler aujourd’hui, en évoquant le rôle désormais central de la bienveillance en entreprise, mais également le renversement complet de cette fameuse pyramide de besoins de Maslow qui a tant inspiré les marketeurs et servi de référence à la hiérarchisation des besoins des consommateurs pendant des décennies.

>> Mettez donc votre masque, les palmes et le tuba et plongeons dès maintenant, si vous le voulez bien, dans cet océan particulièrement mouvant des aspirations individuelles et des nouvelles tendances de consommation et modalités d’engagement…

Une forte attente de bienveillance managériale mais également de nouvelles relations de travail entre collègues…

Avec ce titre d’article et mon sujet du jour, j’en connais qui vont me reprocher de repeindre en rose le monde du travail et de succomber subitement à une vision angélique du rôle de l’entreprise et des marques… Que nenni ! Celles et ceux qui lisent régulièrement ce blog se souviendront que j’ai déjà abordé le sujet de la bienveillance il y a plusieurs semaines, dans mon article sur les bonnes résolutions de rentrée des marketeurs et communicants. Il faut donc me faire au moins crédit de ma cohérence ;-)

Plus sérieusement, je ne prétends pas décrire aujourd’hui les relations de travail qui prévalent dans tous les secteurs d’activité, ni nier que les « rapports de force » et des pratiques managériales d’un autre âge continuent de perdurer dans un certain nombre d’entreprises. Mais les temps changent et c’est bien à l’évolution des attentes des collaborateurs et des consommateurs que j’ai choisi de m’intéresser dans mon billet du jour.

De ce point de vue, étude après étude, une majorité de salariés du privé et d’agents des fonctions publiques n’en finit pas de dénoncer des conditions de travail qui se dégradent et une pression accrue au sein de leur organisation : « Le stress en entreprise ne cesse d’augmenter et la motivation de chuter » confirme ainsi le docteur Philippe Rodet, spécialiste du stress au travail et coauteur, avec Yves Desjacques, de l’ouvrage Management bienveillant, publié tout récemment aux Editions Eyrolles.

De fait, en marge de cette autre publication récente, le « Panorama du bien être au travail en France » réalisé par Deloitte et Cadremploi, dont j’ai déjà parlé dans ces colonnes, le co-directeur de l’institut Vaugirard-Humanités et Management, Marc Grassin, avait parfaitement résumé les nouveaux enjeux qui se posent au sein des entreprises : « L’attente de bienveillance surgit aujourd’hui comme une sorte d’invitation à faire de la relation dans le monde du travail autre chose que ce qu’elle est. Il y a là un signe des temps qui dit bien plus que la simple aspiration à un bien-être au travail, à la gestion des risques psychosociaux, à la bientraitance et autres modalités organisationnelles. Car la bienveillance n’est ni un concept managérial, ni un concept organisationnel, mais un engagement de soi vis-à-vis de l’autre, une sorte d’élémentaire humain. Les hommes et les femmes au travail en appellent à une manière d’être en relation particulière les uns vis-à-vis des autres, car ils pressentent que le monde du travail n’est humain que sous certaines modalités relationnelles. Peut-être vivons-nous un tournant dont il faut prendre la juste mesure. La dureté des relations au travail, la pression organisationnelle et managériale, la fragilisation des sociétés modernes rendent visible le besoin de relations humaines bienveillantes. Le clivage entre ce que nous sommes et aspirons à être et les tâches à faire ne convient plus au monde d’aujourd’hui ».

Quelques « recettes » et facteurs clés de succès de la bienveillance en entreprise…

Cohérente de bout en bout, l’étude Deloitte-Cadremploi préconisait de s’attaquer au problème en commençant par identifier un par un les facteurs de stress, de manière à les combattre, tout en posant les bases d’une relation au travail pacifiée et bienveillante : droit à l’erreur, management constructif et respectueux, « présomption de confiance », valorisation de l’humain au cœur de l’entreprise et de la gentillesse au quotidien, communication et action en cohérence avec les valeurs de l’entreprise…

Dans son ouvrage sur le management bienveillant, Philippe Rodet va plus loin et se veut plus précis quant aux qualités et comportements à adopter par les managers : ceux-ci/celles-ci devraient 1) veiller à donner du sens au travail de chacun ; 2) fixer des objectifs au bon niveau (ambitieux mais réalistes) ; 3) savoir exprimer leur gratitude et encourager leurs équipes ; 4) donner de l’autonomie, laisser place à la créativité de leurs collaborateurs et à l’optimisme ; 5) être perçus comme justes (dans les reproches comme dans les compliments) et enfin 6) être capables de reconnaître leurs maladresses ou leurs erreurs…

Tout un programme me direz-vous, mais la réinvention des relations au travail mérite assurément un management à la hauteur… et n’est pas aussi utopique qu’on pourrait le croire, comme le prouvent les exemples de plus en plus en plus nombreux d’entreprises ayant réussi à promouvoir à grande échelle ces notions de bienveillance.

Pionnier dans ce domaine, le groupe Casino (350 000 collaborateurs dans le monde, 75 000 en France) a fait de la bienveillance un axe fort de sa politique et de ses valeurs. « Depuis 10 ans, le bonus des cadres repose sur le respect des attitudes et de comportements managériaux bienveillants », confirme son DRH. Ayant de la suite dans les idées, le groupe de distribution est d’ailleurs à l’initiative d’un master 2 « Commerce et distribution – management bienveillant » dont la première promotion a démarré au mois d’octobre 2015 à l’université de Saint-Etienne.

Concrètement, Casino a à ce jour sensibilisé aux enjeux du management bienveillant près de 4 200 de ses 6 000 cadres. Et un réseau de 1 200 « bienveilleurs » a été mis en place , soit 1 200 salariés volontaires de toutes activités et de tous statuts qui s’engagent à identifier leurs collègues en difficulté et à les orienter vers des personnes à même de les aider.

Ce qu’il a été possible de mettre en place dans ce secteur de la grande distribution  – au demeurant peu réputé pour le bien-être au travail – pourrait sans doute être dupliqué, en tout cas servir d’exemple à un certain nombre d’autres grandes entreprises, mais également à de nombreuses PME et TPE…

Quête du bien commun : vers une nouvelle conception des aspirations des collaborateurs et des consommateurs… et de leurs relations aux marques  ?

Magazine de référence dans les domaines du marketing et du branding, la Revue des marques s’est intéressée dans son numéro 100 aux nouveaux enjeux des entreprises. Fortement influencées par les transformations culturelles et sociétales contemporaines, les marques sont en effet appelées aujourd’hui à reconfigurer complètement la nature des relations qu’elles entretenaient avec les consommateurs, comme le rappellent à juste titre le marketeur Jean-Paul Richard et le sociologue Stéphane Hugon, dans un article intitulé « Mutations sociétales et imaginaires des marques ».

De la posture pédagogique ou « statutaire » qui prévalait jusqu’ici, et qui plaçait de facto les marques au dessus de leurs clients (elles savaient/sauraient mieux que le consommateur ce qui est bon pour lui), on est passé ces dernières années à une relation beaucoup plus équilibrée, qui laisse davantage les consommateurs s’approprier l’expérience, les codes et la nature du produit, comme le résument bien les deux auteurs. Et de fait, si un certain nombre de grandes marques restent attachées à cette posture statutaire, qui les coupe progressivement des nouvelles aspirations de leurs publics, des marques plus relationnelles et expérientielles tiennent désormais le haut du pavé, n’hésitant pas à proposer aux consommateurs des relations d’accompagnement et de co-construction beaucoup plus participatives et impliquantes.

« C’est l’idée même de consommation qui se structure donc autour de sa dimension relationnelle », analysent ainsi Jean-Paul Richard et Stéphane Hugon. « La marque devient curatrice d’une expérience sociale, son rôle consiste désormais à assurer une qualité d’expérience dont les consommateurs sont les parties prenantes. »

Plus profondément encore, au-delà des notions de brand utility et d’expérience de marque, qui sont de plus en plus plébiscitées, les collaborateurs et les consommateurs aspirent désormais à donner un nouveau sens à leurs missions au sein de l’entreprise et à leur consommation… Car toutes les études le démontrent : ils sont en quête de sens et souhaitent, dans leur travail comme dans leurs actes d’achat, que leurs actions soient davantage en cohérence avec leurs valeurs et qu’elles s’inscrivent dans un projet global, une œuvre collective.

C’est d’ailleurs le grand bouleversement sur lequel insiste quant à elle Karin Boras³, dans un article brillant de cette même Revue des marques n°100…

Pour la directrice de maison d’édition, le recul de l’engagement des collaborateurs dans les entreprises et des consommateurs vis-à-vis des marques s’explique en partie par le fait que les entreprises continuent d’employer un logiciel aujourd’hui obsolète : la pyramide des besoins de Maslow, dont  la hiérarchie était sensée rendre compte des différents niveaux d’accomplissement individuel de chaque être humain. Ainsi, entre les « besoins physiologiques » et les « besoins de sécurité », constituant le socle de cette pyramide, et les besoins d’appartenance / d’estime / et d’accomplissement, marquant l’aboutissement suprême dans une logique de progression imparable, c’est bien la valeur fondamentale de « progrès », chère à l’après-guerre et aux années 50-60 qui a servi de toile de fond et a semblé gouverner le monde, en permettant de décrypter les comportements et attentes des consommateurs pendant près de 70 ans.

Mais cette valeur fondamentale de progrès est aujourd’hui dépassée par une valeur de plus en plus prégnante en ce début de 21ème siècle : celle de « progrès responsable », et par la notion de « quête du bien commun » qui l’accompagne.

De fait, comme l’avait d’ailleurs pressenti le génial Abraham Maslow lui-même, qui aura passé 19 années de sa vie à chercher ce qu’il pouvait bien y avoir au-dessus du dernier étage de sa fameuse pyramide, l’homme parvenu au fait de son accomplissement individuel aspire justement à dépasser sa propre individualité pour entrer en communion avec ses contemporains et s’engager au service de quelque chose qui le dépasse.

Et de manière flagrante, ce sont bien ces nouveaux facteurs de motivation : à savoir la mobilisation collective et l’action collaborative pour la préservation du bien commun qui animent une fraction de plus en plus importante de « consom’acteurs » et de collaborateurs au sein des entreprises. Au point d’amener Karin Boras à proposer une nouvelle lecture des travaux de Maslow…

De la pyramide… à la double spirale de Maslow : une nouvelle représentation vertueuse permettant d’articuler accomplissement individuel et intérêt collectif, et de redonner du sens au travail, à la marque et à l’engagement de chacun (collaborateurs et consommateurs)

Pour articuler cette quête de l’accomplissement individuel et la recherche du bien commun, par l’intelligence et l’action collective, voici venir une nouvelle représentation qui nous voit passer de la pyramide à une double spirale de Maslow, dans laquelle les énergies peuvent désormais circuler librement… et les nouvelles aspirations des collaborateurs et des consommateurs sont prises en compte.

Tandis que les thématiques de la RSE ne cessent de gagner du terrain parmi nos concitoyens et que la prise de conscience des enjeux sociétaux est de plus en plus forte, les collaborateurs et les consommateurs en demandent chaque jour davantage à leurs employeurs et aux marques dans ces domaines. Ils attendent non seulement des entreprises qu’elles soient conscientes de leurs impacts et agissent concrètement pour les maîtriser ou les réduire, mais ils aspirent également à être impliqués dans les missions et actions lancées à l’initiative des marques et qui contribuent directement au bien commun.

Dans toutes les dernières études, ces aspirations ressortent dans la bouche des jeunes diplômés en quête de leur premier emploi… comme des salariés des générations précédentes, qui se disent plus prêts que jamais à s’engager pour une cause qui les dépasse et en vaut la peine.

Pour les marques et les entreprises, il y a évidemment là une formidable opportunité de redonner du sens à toute la chaîne, du producteur au consommateur, et de mobiliser les parties prenantes autour d’objectifs et de dynamiques enthousiasmantes : partager une ambition sociétale qui fait du sens pour chacun et qui soit profitable à tous. Une logique gagnant-gagnant où chacun peut jouer son rôle : les entreprises et les marques en se montrant à la fois plus vertueuses et innovantes que jamais, les collaborateurs en donnant le meilleur d’eux-mêmes pour atteindre ces objectifs ambitieux, et le client en étant l’acheteur d’une offre de produit ou de service qui soit profitable à toutes et tous…

Utopique, me direz-vous ? A en croire l’ampleur des changements sociétaux en cours, et à observer les signaux faibles qui émergent partout et témoignent de nouveaux rapports à la consommation (déconsommation, quête de sens et d’une consommation responsable par un nombre croissants de « prosumers »…) il semble en tout cas que le mouvement soit enclenché, et il n’est pas prêt de s’arrêter à mon humble avis.

Nouveau vecteur de différenciation stratégique et outil bienvenu pour diagnostiquer l’utilité d’une marque, la double spirale de Maslow offre aussi l’avantage de situer à tout moment le degré de maturité d’une démarche, d’un produit ou d’un individu/collaborateur au regard des objectifs sociétaux visés. Pour ceux qui sauront l’utiliser, elle peut donc constituer également un outil de référence très opérationnel.

 

 

Notes et légendes :

(1) Etude « Santé et bien-être des salariés » publiée par Malakoff Médéric, le 4 octobre 2017.

(2) Etude « State of the global Workplace » publiée par Gallup, hiver 2013.

(3) Karin Boras est auteure et Directrice de la maison d’édition e-Quick-reads. « Maslow et le XXIème siècle » est le titre de son article publié dans la Revue des marques n°100 d’octobre 2017.

Crédit photos et illustrations : 123RF, X, DR, The BrandNewsBlog

 

 

Comments

  1. Merci Hervé, j’attends la suite avec impatience… La seule chose qui me gène dans ce concept de management bienveillant c’est que nulle part on ne parle du rôle, attitude du collaborateur bienveillant. Or une relation c’est à deux, non ? Qu’en pensez vous ?

    • Bonjour Delphine : 100 % d’accord, j’ai fait une infographie de synthèse sur le manager bienveillant, mais comme le résume en effet très bien la citation de Marc Grassin, enseignant à l’Essec et co-directeur de l’Institut Vaugirard-Humanités et Management, la bienveillance est un élémentaire humain et une qualité à développer par TOUTES et TOUS ! Donc autant de la part des collaborateurs et collaboratrices vis-à-vis des managers que l’inverse, ou vis-à-vis des dirigeants. C’est bien la relation de travail qui doit être complètement repensée, en effet.

  2. Ne s’agit il pas de Karin Boras et non Anne Boras ?

  3. Tout à fait EXCELLENT et pertinent. Merci, merci, Hervé pour la qualité de vos articles et pour votre contribution à faire avancer la dimension humaine dans les entreprises.
    Normand Brien, auteur, chercheur et développeur de richesse humaine
    « L’Organisation Consciente, la 5e Révolution industrielle; une nouvelle manière de voir, de faire et de vivre l’entreprise ».

  4. Je pense que la première étape avant d’atteindre cette belle notion de bienveillance est le respect mutuel. Pour avoir longuement travaillé sur le sujet, j’ai constaté que le mot bienveillance ne rassemblait pas les mêmes notions d’un individu à un autre.
    Nathalie

    • Bonjour Nathalie : observation très juste. Pour être cet « élémentaire humain » dont parle Marc Grassin, enseignant à l’Essec et co-directeur de l’Institut Vaugirard-Humanités et Management, la notion de bienveillance mérite d’être clarifiée et partagée dans l’entreprise, avec des exemples très concrets à l’appui mis en avant et un minimum d’accompagnement des ressources humaines par exemple, pour ne pas en rester aux déclarations de bonnes intentions et que cette notion devienne un concept gentillet et inutile.

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