La course à l’e-influence, une addiction socialement acceptable ?

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#Gloups. S’il est des articles qu’on lit d’un trait, la gorge un peu serrée et en ravalant sa salive à la fin, celui d’Isabelle Bouttier¹, publié récemment par l’excellente revue Tank, en fait incontestablement partie. C’est que la fondatrice de Web Image&Sens, qui fut sémiologue et coach dans une vie antérieure, n’y va pas par quatre chemins pour décrire les ressorts psychologiques et autres traits qui caractérisent les socionautes influents, ainsi que la course à l’e-influence !

Alors évidemment, quand il se trouve qu’on est soi-même blogueur et twitto assidu, comme le personnage fictif autour duquel l’auteure a construit son article (un certain « Paul »²), difficile de ne pas se sentir visé par cette description sans concession de l’e-influence et par son portrait au vitriol de ces e-influenceurs autoproclamés dont les réseaux regorgent.

De fait, la quête éperdue d’une e-influence chaque jour plus forte s’apparente bel et bien, pour un nombre croissant de socionautes, à cette course à l’échalotte que dépeint Isabelle Bouttier. Un marathon sans fin et sans autre objectif que d’être toujours plus visible et plus puissant, au prix d’une aliénation à un corpus d’indicateurs quantitatifs qu’il est de bon ton de faire évoluer sans cesse : nombre d’abonnés, nombre de partages, ratio abonnements/abonnés (en particulier sur Twitter), etc.

Certes, si Isabelle Bouttier reconnaît que ce genre d’aliénation ne se produit (fort heureusement) pas systématiquement, elle ajoute que celle-ci est en général facilitée par la personnalité des e-influenceurs eux-mêmes. Car la course à l’influence attirerait le plus souvent des individus en « conflit psychique intérieur », soucieux de laisser leur empreinte sur le web et obsédés par la mesure de leur propre image… Des internautes d’autant plus fragiles que leur addiction n’est pas seulement tolérée aujourd’hui : elle est valorisée et encouragée socialement !

Alors, aliénation ou pas ? Quelle seraient, si tant est que l’on puisse parler d’addiction, les signes avant-coureurs de la dépendance ? Et en quoi l’e-influence est-elle (aussi) le nouveau miroir aux alouettes ? Le BrandNewsBlog revient aujourd’hui sur les splendeurs et misères de l’influence, en mode junky or not…

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Le mythe de Narcisse et le miroir (aux alouettes) de l’influence digitale

Sans surprise, Isabelle Bouttier fait remonter l’origine des problèmes de Paul, son influenceur fictif, à l’émergence des réseaux sociaux et plus particulièrement, de Twitter. C’est en effet peu après l’apparition de la plateforme de microblogging que son « héros », expert digital et déjà blogueur depuis plusieurs années, prend conscience des formidables opportunités offertes par les nouveaux médias et de l’importance de devenir, à tout prix, un e-influenceur incontournable.

Voici d’ailleurs sa stratégie : si Paul a déjà pris l’habitude de démontrer son expertise et ses qualités rédactionnelles via son blog (sur le mode : « voici ce que je sais faire »), il comprend vite le parti qu’il peut tirer de Twitter, dans un registre plus performatif (« voilà qui je suis »), en asseyant son aura sur toutes les techniques d’influence et de manipulation « douce » qui fonctionnent si bien avec le web 2.0. Rapidement expert dans le langage et le maniement du réseau, il se met à gazouiller de manière frénétique, en définitive « happé par le désir de voir son propre reflet dans le miroir digital ».

De fait, Isabelle Bouttier est loin d’être la première à pointer la dimension narcissique propre à l’usage des réseaux sociaux. Mais plus précisément, elle souligne la vacuité de l’influence sur ce type de plateforme, en démontrant bien en quoi la performance recherchée reste dans l’absolu inatteignable, l’e-influenceur n’étant pour ainsi dire jamais rassasié de sa propre « montée en influence », qui se traduit en termes essentiellement quantitatifs par le gain de nouveaux abonnés, de nouvelles interactions, etc.

isabelle-bouttierNon seulement les réseaux sociaux sont par définition le terrain de jeu du « JE » de l’e-influenceur, celui cherchant à y être sans cesse plus visible et puissant, mais plus il gazouille, plus le miroir du digital lui donne à entendre la réponse qu’il attend : « tu es plus beau qu’hier et avant-hier », sans néanmoins le satisfaire complètement puisque’ « il y a encore plus beau que toi »

La quête sans fin de l’e-influence et les mécanismes de la dépendance…

Isabelle Bouttier le rappelle : sur les réseaux sociaux et Twitter en particulier, impossible d’arrêter le « smile »… Twetter et retweeter, exprimer son enthousiasme en stimulant sa communauté à coups de hashtags fédérateurs, citer et remercier ses semblables (et surtout les twittos plus influents, car pas question pour les ambitieux de perdre trop de temps avec des twittos « plus petits que soi »), surveiller ses Key Performance Indicators (KPI) comme le lait sur le feu (nbre d’abonnés, ratio followers/following, volume de RT ou de mentions, etc) au moyen d’outils gratuits ou pas tels que Crowdfire, sans oublier d’aller checker régulièrement son score Klout… font partie des figures imposées pour les Twittos en quête d’influence.

Une quête sans fin dans laquelle on tombe d’autant plus facilement, que, vous l’aurez remarqué, tout est fait sur les réseaux sociaux pour qu’on s’intéresse à ses indicateurs quantitatifs, les KPI cités ci-dessus figurant toujours parmi les informations les plus valorisées (et les plus consultées par les socionautes) quelle que soit la plateforme  considéréee…

D’ailleurs, gare à celles et ceux qui seraient tentés de faire une pause ou d’être moins actifs pendant un temps : l’auteure démontre sa connaissance des réseaux en rappelant comment le socionaute influent n’a d’autre choix, pour le rester, que de gazouiller et poster de manière itérative…

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La course à l’e-influence, « terrain privilégié des digital-addicts » ?

Pour Isabelle Bouttier, cette quête sans fin de l’e-influence est d’autant plus addictive, chez certains socionautes, qu’elle est socialement acceptée et même valorisée. Comment ne pas y succomber, d’ailleurs, quand l’injonction des recruteurs, dans un nombre croissant de secteurs d’activité, est désormais d’être actif/active sur les réseaux sociaux, au-delà de la panoplie des compétences professionnelles requises par ailleurs ? Dans tous les métiers liés à l’innovation, au digital, à la communication et au marketing, mais également aux ressources humaines (entre autres), ne pas s’intéresser au social media et à son personal branding³ sur les réseaux sociaux passerait presque pour une négligence coupable aujourd’hui. Et ceux qui en font le plus dans ces domaines, les hyperconnectés, sont plutôt perçus avec bienveillance, tant leur visibilité et leur influence est de plus en plus considérée (à raison) comme un atout potentiel pour leur entreprise.

De fait, l’ancienne coach férue de psychologie ne manque pas d’identifier quelques traits de personnalité communs chez les socionautes les plus « addicts » à l’e-influence. Ce serait, pour une part non négligeable d’entre eux, des individus fragilisés, car « en conflit psychique intérieur », leur jeu du « JE » sur les réseaux sociaux consistant de facto à se prendre pour d’autres et à s’extraire de la vie réelle, pour rechercher dans les interactions numériques une récompense symbolique qu’ils ne trouvent plus ou ne souhaitent pas rechercher dans les relations sociales « de la vraie vie ».

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Certes, vous me direz qu’Isabelle Bouttier y va un peu fort sur son portrait des e-influenceurs, extrapolant beaucoup à partir d’observations empiriques. Et son analyse est sans aucun doute assez caricaturale. On ne saurait en effet tirer de conclusions générales et définitives à partir de cas particuliers. Et si tant est qu’on puisse parler de dépendance et d’aliénation, celles-ci ne revêtent en rien le caractère de gravité des autres grandes addictions connues, comme le rappellent d’autres experts…

L’addiction digitale : quelle addiction ?? La vision pondérée du professeur Lejoyeux

Pour le Professeur Michel Lejoyeux, éminent psychiatre et spécialiste de l’addictologie avec lequel j’ai eu le plaisir de partager une table ronde la semaine dernière*, les conséquences d’un usage abusif des technologies numériques n’ont pas grand chose à voir, en nature et en gravité, avec les deux plus grandes addictions connues : le tabagisme et l’alcoolisme.

Tandis que le tabac et l’alcool continuent de faire des dizaines de milliers de victimes en France chaque année, toutes les campagnes de prévention s’avérant hélas inefficaces à enrayer ces fléaux, le développement de comportements plus ou moins pathologiques vis-à-vis d’Internet et des réseaux sociaux, en particulier, demeure un phénomène assez marginal.

Et aussi effrayantes que paraissent les statistiques de consultation (cf ci-dessous les derniers chiffres de l’étude Connected life publiés cette semaine par TNS Sofres : les 16-30 ans passeraient notamment près de 24 heures par semaine sur leur smartphone), il n’est pas forcément pertinent de parler « d’addiction ». De fait, les conséquences éventuelles sur la santé de l’hyperconnexion sont peu perceptibles et les phénomènes de manque, en cas de « sevrage », restent le plus souvent sous contrôle.

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Ainsi, plutôt que de parler d’addiction et de faire culpabiliser ses contemporains, car l’hyperconnexion est une pratique qui se répand quelle que soit la classe d’âge, Michel Lejoyeux croit à une auto-régulation de ces nouvelles habitudes de consommation des médias. Et recommande ce rapide et simple examen de conscience, pour déterminer si on se trouve ou non dans une situation de consommation excessive : qu’est-ce que je ne fais pas (ou plus) à cause d’Internet et des réseaux sociaux ? Quelles sont les vrais moments de vie que je sacrifie à cette consommation ? A quel moment / en quoi cela affecte-t-il mes relations avec autrui ?

A chacun de répondre à ces questions, en somme, et d’agir au besoin pour se « reconnecter à son environnement ». Car à défaut d’être un fléau, l’hyperconnexion demeure toujours et avant tout une déconnexion (temporaire) de la réalité…

 

Notes et légendes :

(1) « Psychanalyse de l’e-influence sur Twitter et autres réseaux sociaux » par Isabelle Bouttier, Revue Tank, automne 2015

(2) A la manière d’une romancière, Isabelle Bouttier s’est inspirée de personnages réels mais surtout de ses échanges avec des experts du digital et des médias sociaux, lors de ses passages chez We are social ou encore Wellcom, pour composer le portrait de son e-influenceur fictif (« Paul »).

(3) Le personal branding ou « gestion de sa marque personnelle » est l’art de créer, maintenir et améliorer sa réputation, notamment sur Internet, grâce à son style, ses communication, ses actions, etc.

* Chef du Service de psychiatrie et d’addictologie à l’Hôpital Bichat à Paris, professeur à l’Université Denis Diderot, Michel Lejoyeux est auteur de nombreux ouvrages de référence tels que « Les secrets de nos comportements » ou « Du plaisir à la dépendance ». Il a participé, le 23 novembre à la Conférence Tendances communication 2015, organisée par le magazine Stratégies, au cours de laquelle il a été amené à répondre à des questions sur le thème des addictions et du digital…

Classements, RP et autres « awards » : les blogueurs pas forcément à la fête…

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Difficile. Oui, vraiment difficile cette semaine de reprendre le blogging comme si de rien n’était ou presque. J’avais prévu de revenir, mercredi ou jeudi dernier, sur la cérémonie des Golden Blog Awards, à laquelle je venais de participer. Et de remercier, par la même occasion, tous ceux et celles qui ont bien voulu soutenir le BrandNewsBlog durant ce concours. C’était évidemment avant de vivre, par médias interposés, les évènements abjects de ce vendredi 13/11, qui resteront à jamais gravés dans nos mémoires, et de voir notre jeunesse meurtrie (cf photo ci-dessus).

Une petite semaine à peine s’est écoulée depuis la remise des « GBA 2015 », qui m’a semblé une éternité, tant les attentats du 13 novembre et les évènements de ces derniers jours ont accaparé nos esprits. C’est pourtant avec ce sujet dérisoire et bien superficiel des classements et autres « awards » que j’ai choisi de reprendre aujourd’hui le collier, en espérant que vous me pardonnerez cette légèreté.

Que les organisateurs des Golden Blog Awards et les autres acteurs évoqués ci-dessous ne s’offusquent pas trop de mes critiques ci-dessous, qui se veulent constructives. C’est que, quoiqu’on en dise, après avoir évoqué il y a quelques semaines la bonne santé du blogging, je reste surpris de l’attention toute relative portée aux blogueurs et aux autres influenceurs. Car derrière les intentions et belles déclarations, les évènements et classements dédiés font souvent pschitt. Et les professionnels des RP, tout autant que les marques, demeurent pour la plupart assez maladroites dans leur approche de ces (pas si nouveaux) relais d’opinion. Tour d’horizon des doléances et points à améliorer selon moi, pour une meilleure prise en compte de ces publics encore mal connus…

Retour sur les Golden blogs Awards 2015 : une fête des blogueurs un brin surfaite 

Première illustration de mon propos : le concours des Golden Blog Awards, dont l’ambition est de désigner chaque année les meilleurs blogs français parmi une dizaine de milliers de participants. Après avoir inscrit le BrandNewsBlog à cette compétition début octobre, j’ai eu l’honneur d’être shortlisté parmi les 10 blogs finalistes de ce concours dans la catégorie « Economie et marketing » et de participer à la soirée de remise des prix, le 10 novembre dernier.

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Je dois avant tout cette sélection, il faut le rappeler, à la mobilisation des lecteurs et soutiens qui ont bien voulu voter pour mon blog, ce dont je vous remercie tous très chaleureusement. En tête des candidats les mieux « propulsés » sur les réseaux sociaux, tout au long du mois d’octobre, le BrandNewsBlog aura au passage bien contribué à la promotion de l’évènement et du hashtag #GBA6, au même titre qu’un certain nombre d’autres participants au concours.

Veni, vidi, vici… e arrivederci !

Las, c’est à partir de là que les choses se sont gâtées… Non contents de dévoiler les shortlists de blogs finalistes avec près d’une semaine de retard, les organisateurs de ces GBA 2015 auront mis près de deux semaines à confirmer leur invitation aux participants à la soirée, la plupart des blogueurs sélectionnés recevant leur précieux sésame à peine 2 jours avant la cérémonie (merci pour les blogueurs de province !).

Manifestement dépassés par l’ampleur de leur propre évènement (une constante a priori chaque année, ce qui en fait sans doute le charme), les organisateurs dévoilaient un peu « à l’arrache » une liste de 15 jurés (contre plus de cent l’an dernier) chargés de départager en quelques jours les 200 blogs finalistes. Bonjour la gageure… Résultat des courses : le palmarès a été révélé la semaine dernière, avec son lot habituel de surprises et de déceptions (je ne reviendrai pas là-dessus, d’autant que je serais pour le coup juge et partie, et c’est le propre de tout concours). Mais à noter que les participants attendent toujours le décompte des votes et les classements finaux, qui devaient être publiés par les organisateurs dans la foulée de la soirée…

Bref : vous l’aurez compris, le BrandNewsBlog ne l’a pas emporté dans sa catégorie (et il n’aurait sans doute pas pu y prétendre), mais en ce qui me concerne, je ne suis pas prêt de me réinscrire à ce genre de concours et ne le recommanderais pas nécessairement à d’autre blogueurs. Si la soirée des GBA en elle-même était plutôt grandiose (et du coup assez décalée avec l’organisation de la compétition), je ne saurais trop recommander aux organisateurs de faire preuve pour les éditions à venir d’un minimum de transparence à toutes les étapes de leur concours. Et de prêter davantage attention aux participants, au-delà des 20 lauréats qui sont mis en avant. Cela serait au moins un bon début. Choisir un jury un peu moins « bling-bling » serait sans doute une autre piste d’amélioration, avec des personnes ayant un minimum de connaissance des différentes catégories jugées, comme c’était le cas les années passées.

Soyons clairs : utiliser les blogueurs comme produits d’appel vis-à-vis de marques sponsors ne me choque pas, au contraire. Les Golden Blog Awards, autoproclamés « Evènement blogueurs de l’année » constituent sans conteste une des plus belles initiatives en ce sens. Encore faudrait-il traiter les candidats avec un minimum d’intérêt et d’égards… et être irréprochable sur la partie concours. De ce point de vue, il me semble qu’il reste beaucoup à faire. Mais ce n’est que l’humble avis d’un petit blogueur de province, bien entendu ;-)

La fin du classement Teads/ebuzzing/wikio : pour la mesure de l’influence, vous repasserez…

Teads labs : pour beaucoup d’entre vous, ce nom ne dira peut-être rien. Il faut dire que la plateforme, spécialisée dans les services et solutions pour le marché de la vidéo en ligne, a déjà changé à deux reprises de nom, passant de Wikio à Ebuzzing, puis de Ebuzzing à Teads.

Depuis une dizaine d’année, Wikio/Ebuzzing/Teads proposait en complément de ses différent services un classement exclusif des blogs les plus influents dans une quarantaine de domaines : auto, beauté, culture, cinéma, marketing, sciences de l’information, etc.

Comptabilisant le nombre de liens reçus par chaque blog, le nombre de tweets et de partages sociaux ainsi que le nombre de publications mensuelles (entre autres), il était devenu au fil des ans le classement de référence des blogueurs et de tous les professionnels des médias sociaux, connaissant son apogée à la fin des années 2000. Chaque nouvelle édition de ce ranking mensuel était alors attendue fiévreusement et largement relayée par les blogueurs eux-mêmes…

Malheureusement pour les blogueurs, la société Teads a décidé cet automne de ne plus mettre à jour ce classement, dont la publication n’entre plus vraiment il est vrai dans son coeur de métier ni dans le scope de ses nouveaux business. Pour tous les blogs référencés, le classement restera donc figé au mois de septembre 2015, une nouvelle plutôt triste au regard de la notoriété et de l’utilité de ce classement pour tous ceux qui s’intéressent au blogging et à la mesure de la fameuse « influence » des médias sociaux.

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Alors certes, on me dira que ce classement, qui prétendait attribuer un score à la capacité des blogs à faire caisse de résonance sur un sujet donné, était sujet à caution… De par les critères plutôt quantitatifs retenus et du fait que seuls les blogs inscrits y étaient évalués, il était en effet (et nécessairement) incomplet. Sa côte de popularité auprès des blogueurs avait également fléchi ces dernières années, sans pour autant que ce ranking soit vraiment remplacé ni dépassé par aucune initiative concurrente.

Au final, les blogueurs se retrouvent donc un peu orphelins et bien seuls dans le déserts. Tout aussi discutable qu’il ait pu être aux yeux de certains, ce ranking avait d’abord le mérite d’exister, permettant à chaque auteur de « challenger » la qualité de ses contenus et la pertinence de son concept, au-delà des outils statistiques habituels utilisés par tous. Une disparition qui laisse tout de même songeur quant à l’état de santé réel de la blogosphère, dont j’ai récemment souligné qu’il restait excellent, en termes de richesse et de variété des contenus, et même en terme d’audience… Mais le manque d’outils et de suivi ne signale-t-il pas le « début de la fin » ? Je ne manquerai pas de revenir sur le sujet, d’ici quelques temps.

Blogueurs, youtubeurs, instagrameurs… : des influenceurs souvent méconnus et peu/mal adressés

Je ne vais pas rentrer ici dans de longues considérations sur les thématiques de la mesure de l’influence ni du statut (réel ou fantasmé) des influenceurs. J’ai déjà eu l’occasion de consacrer plusieurs billets à ces sujets (notamment ici) et y reviendrait bien volontiers ultérieurement.

Non, le « coup de gueule » du jour, je le consacrerai plutôt au traitement réservé aux blogueurs et influenceurs par les marques, par les agences dites digitales ou « social media » et par les professionnels des relations publics… De fait, et ce n’est là qu’une observation personnelle à l’aune des propositions et sollicitations qui me sont adressées (que je me garderai bien de trop extrapoler), il me semble que les pires pratiques l’emportent encore aujourd’hui sur les meilleures, le plus souvent.

Communiqués de presse adressés en masse, sans prendre le soin d’étudier les spécificités, centres d’intérêt, rythme de publication et éventuelle charte éditoriale des blogs ciblés ; invitations des blogueurs ou influenceurs de province sans prise en charge des frais de transport ou d’inscription, matraquage publicitaire et autres offres commerciales déplacées… les ficelles utilisées par de nombreux professionnels restent souvent grosses… et peu adaptées. Une minorité de requêtes/propositions s’avérant ciblées ou un minimum personnalisées.

Alors certes, une sollicitation reste toujours flatteuse et je précise qu’en ce qui me concerne, je suis loin d’être « harcelé », contrairement aux blogueurs et influenceurs connus (sur des sujets « lifestyle » notamment), auxquels les marques et agences consacrent sans doute beaucoup plus d’attention. En tout cas je l’espère ! Mais pour en avoir discuté avec plusieurs d’entre eux et avoir lu le témoignage de certains autres, je ne pense pas hélas que leur constat soit très éloigné du mien.

Alors, messieurs les professionnels des RP et autres experts social media, même si je me garderai bien de vous mettre tous dans le même sac, car il y en a parmi vous d’excellents bien sûr : encore un petit effort collectif de pédagogie en la matière et demeurez vigilants… Car les vieilles habitudes des RP de papa reprennent vite le dessus, par manque de temps ou de moyen sans doute. Mais elles peuvent évidemment être préjudiciables à l’image des marques et de leurs agences, alors autant essayer de faire un tout petit peu mieux, non ?

 

Bad marketing ? Quand les promotions incitent au gaspillage alimentaire…

caddie-supermarcheOn le sait : le gaspillage alimentaire demeure un véritable fléau dans notre pays. Il coûterait entre 100 et 160 euros par personne, soit 12 à 20 milliards d’euros par an au total… Une situation d’autant plus navrante qu’au-delà des aliments dont les ménages se débarrassent, les entreprises agroalimentaires, le secteur de la restauration et la grande distribution participent également au gâchis, en jetant de grandes quantités de produits ou en les rendant définitivement impropres à la consommation…

Naturellement, quand les politiques se sont emparés du sujet cet été, et que Ségolène Royal a choisi d’engager une partie de bras de fer très médiatisée avec la grande distribution, ce sont ces destructions massives de stocks qui ont été les plus commentées et reprises par les rédactions, toujours friandes d’images spectaculaires et de résumés « choc ».

Pourtant, à bien y regarder, il se pourrait que la principale responsabilité des marques et des enseignes de distribution dans le gaspillage alimentaire se trouve ailleurs. Et la FCD (Fédération des entreprises du commerce et de la distribution) a eu beau jeu de rappeler les réels progrès réalisés par les enseignes. Bon an mal an, la grande distribution serait aujourd’hui directement responsable d’à peine 6,6 % des volumes gaspillés (contre 73,6% pour les ménages, 39% pour les industries agroalimentaires et 14% pour la restauration hors-foyer).

Non, plutôt que dans les destructions de stocks, la véritable responsabilité des marques et des enseignes et le point sur lequel celles-ci gagneraient grandement à s’améliorer, c’est bien le marketing et en particulier la succession ininterrompue des promotions, qui contribuent indirectement mais puissamment au gaspillage que l’on constate en bout de chaîne, chez les consommateurs.

C’est en tout cas la conclusion tirée par Guillaume Le Borgne, doctorant à l’Institut national pour la recherche agricole (Inra) qui vient de consacrer une thèse passionnante à ce sujet¹.

Pour ce chercheur, les promotions dans le domaine alimentaire accélèrent en effet la marchandisation de la nourriture, première cause de dévalorisation des aliments et donc de gaspillage. Un engrenage dont il est sans doute possible de sortir par davantage de régulation, mais qui nécessite surtout une véritable prise de conscience de la part de tous les acteurs.

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Les ménages français, champions européens du gaspillage alimentaire ?

S’il fallait une justification au combat dans lequel s’est engagé le gouvernement cet été, et avant lui, un certain nombre de personnalités telles qu’Arash Derambarsh, il suffit de regarder les chiffres du gaspillage alimentaire dans notre pays… et de les comparer aux statistiques fournies pour les autres pays européens.

Tandis que le volume annuel global du gaspillage alimentaire s’établit en moyenne à 179 kilos par an et par habitant en Europe (source : Commission européenne), il représenterait environ 140 kilos en France. Mais la part de la grande distribution dans la production de ces déchets serait supérieure dans notre pays à la moyenne européenne (9,1 kilos par an et par habitant contre 8 kilos en Europe). Surtout, les ménages de l’hexagone seraient bien moins exemplaires que leurs voisins, puisque nous jetons 102 kilos de nourriture par an et par habitant… contre 76 kilos ailleurs (!)

De quoi faire réfléchir sur la sensibilité des Français à ces thématiques, même si les déterminants du gaspillage chez les consommateurs demeurent encore mal connus. Comme l’écrivait ainsi le député Guillaume Garot dans son rapport d’avril 2015 sur le gaspillage alimentaire : « Les sociologues auditionnés par la mission rappellent que le gaspillage est un phénomène généralement inconscient et irrationnel : on a toujours davantage conscience du gaspillage des autres que du sien ».

Le rôle déterminant des marques et des enseignes de grande distribution dans le gaspillage des ménages…

Si le lien direct entre promotions commerciales et gaspillage alimentaire n’a jamais été formellement établi par les études sociologiques, la thèse de Guillaume Le Borgne relève néanmoins un grand nombre d’indices convergents allant dans ce sens.

Et c’est par une série de mécanismes direct et indirects, plus ou moins conscients dans l’esprit des consommateurs, que les offres promotionnelles sont susceptibles d’engendrer malnutrition, surconsommation et gaspillage…

>> Premier de ces effets pervers les plus fréquemment observés : la tendance (classique) au stockage des aliments. Ainsi, lorsqu’une quantité donnée de produit est vendue à un prix inférieur à l’habitude, les offres promotionnelles induisent naturellement à l’achat d’une plus grande quantité de produits qu’initialement escompté. Il en résulte une double conséquence, en fonction du produit et de la capacité du consommateur à gérer ce type de stock : 1) si le produit n’est pas périssable (comme le papier hygiénique), il supportera d’être conservé à longue durée ; 2) s’il s’agit de nourriture et au regard des dates de péremption, le risque existe beaucoup plus fortement que les éventuels surplus aillent à la poubelle…

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>> Deuxième effet pervers parmi les plus fréquents : la surconsommation voire la malnutrition. Dans le cas des promotions girafe (par exemple : « 1 + 1 gratuit »  ou « moins 80% sur le deuxième produit »), on constate souvent que le consommateur, à défaut de jeter, aura tendance à se servir plus copieusement et à remplir son assiette, plutôt que de gérer rationnellement les aliments sur la durée.

>> Troisième effet plus indirect : le gaspillage d’autres produits que ceux proposés à un prix attractif. De fait, il a été prouvé que lorsqu’on économise 1 euro sur son budget de manière imprévue (du fait d’une promotion), le consommateur a tendance à dépenser en moyenne 4 euros supplémentaires en produits dont l’achat n’était pas prévu (source : étude « Spending on the fly, mental budget, promotions and spending behavior » menée aux Etats-Unis en 2010). Résultat : les achats impulsifs réalisés en ligne ou en magasin se portent le plus souvent vers des produits qui entrent en compétition avec les produits déjà achetés : comme par exemple des yaourts quand on a déjà acheté beaucoup de fruits… Au final, l’un des deux produits se retrouve souvent à la poubelle une fois sa date de péremption expirée.

On pourrait ainsi multiplier les exemples de gaspillage découlant des mécaniques promotionnelles…

Une marchandisation de la nourriture, conséquence directe du marketing alimentaire…

Quand le prix d’un aliment est divisé par deux, au gré des offres promotionnelles, « l’effet dégressif éloigne le consommateur de l’idée que l’aliment a une valeur intrinsèque », rappelle Guillaume Le Borgne. Et il en est assurément de même « quand un produit est vendu à peine plus cher, mais dans une bien plus grande quantité que la quantité habituelle ».

Peu à peu, les consommateurs sont amenés à perdre ainsi la notion du « juste prix » des aliments, de même que celle des saisons auxquelles il est avantageux de les acheter. Il en résulte que l’alimentation perd ainsi de cette valeur intrinsèque qui lui était attachée, et avec elle une partie de la notion de plaisir… Agnès Banaszuk, coordinatrice du réseau prévention et gestion des déchets chez France Nature Environnement ne dit pas autre chose : « L’une des raisons sociologiques du gaspillage est que l’alimentation a perdu de sa valeur. Elle est devenue un produit comme les autres ».

Cette banalisation s’inscrit d’ailleurs dans un contexte de réduction sensible du budget consacré à l’alimentation : tandis que celui-ci représentait 38% des dépenses en 1960, cette part est tombée à 25 % ces dernières années.

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… et qui n’est pas prêt de s’arrêter. Sauf à ce que la prise de conscience des consommateurs s’accélère…

De l’aveu même des responsables de la distribution, ces tendances lourdes de la consommation sur le marché alimentaire ne devraient pas évoluer très vite. Et cela malgré toutes les démarches volontaristes déjà engagées par les pouvoirs publics, comme ce Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, lancé en 2013 et qui implique l’ensemble des acteurs de la chaîne agro-alimentaire.

C’est que, comme le rappelle Thierry Desouches², porte-parole de Système U, la crise est bien présente, poussant les consommateurs à optimiser encore leur budget et les grandes enseignes de distribution à se livrer à une véritable guerre des prix pour conserver ou acquérir des parts de marché, les Français réalisant encore trois quarts de leur courses alimentaires dans les super et hypermarchés.

« Aujourd’hui, il y a une grosse bagarre pour attirer les clients sur un marché qui stagne, voire qui régresse. Le ressort public-promotionnel fait partie du dispositif . Chez tous les distributeurs, la guerre des prix et des promotions va continuer ».

… Pas de raison par conséquent d’espérer un retournement de situation à court terme. Même si les responsables des enseignes eux-mêmes et Guillaume Le Borgne notent tout de même quelques signaux encourageants ici et là, indiquant que la prise de conscience serait engagée, depuis les opérations de communication menées ces dernières années sur le sujet, et le bon écho donné par les médias à cette préoccupation devenue un enjeu national.

« On remarque une appétence nouvelle des clients en matière de prévention du gaspillage alimentaire. Et les gens se sentent de plus en plus concernés », indique ainsi la responsable du développement durable de Monoprix.

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Une préoccupation encore embryonnaire, certes, mais qui a sans doute contribué au succès de l’opération « Quoi ma gueule », lancée il y a deux ans. A l’époque, grâce à une campagne de communication particulièrement réussie et une mise en place efficace, les enseignes partenaires de l’opération avaient su proposer à leurs clients des fruits et légumes à l’aspect imparfait, en trouvant les mots et le ton juste pour cela, contribuant ainsi concrètement à la réduction d’une partie des gaspillages.

Nul doute que de nouvelles opérations, bien relayées par les médias, pourraient contribuer par petites touches à sensibiliser le grand public… tout en permettant de passer des messages efficaces sur le gaspillage alimentaire et les bonnes pratiques à mettre en oeuvre par chacun, dans l’intérêt bien compris de tous.

 

Notes et légendes :

(1) Thèse sur la sensibilité des consommateurs au gaspillage alimentaire, par Guillaume le Borgne, doctorant à l’Institut national pour la recherche agricole (Inra).

(2) Citation de Thierry Desouches, extraite de l’article « Balancez, c’est bradé ! », revue Tank – été 2015.

 

Crédit photos : 123RF + Monoprix, Auchan & Intermarché