Vous le savez, sur le BrandNewsBlog, je ne manque jamais de relayer les études qui me paraissent les plus intéressantes sur nos métiers et sur les pratiques des communicant.e.s.
Et après avoir moi-même interrogé de nombreux professionnels, tout au long de l’année 2020 et ces derniers mois, sur les impacts de cette crise Covid-19 qui n’en finit pas, je ne pouvais pas passer à côté de la dernière enquête qualitative menée par l’agence Proches¹ auprès de dircoms et de dirigeants d’entreprise, presqu’un an jour pour jour après vous avoir présenté les résultats d’une étude conduite auprès d’un échantillon similaire par l’agence EKNO².
De fait, après avoir interviewé 50 représentants de directions de la communication et de directions générales de diverses entreprises et institutions sur leurs enjeux actuels et les mutations à attendre après la crise ; sur le rôle des dircoms dans un tel contexte ; et sur les nouvelles pratiques de communication, la « photographie » qui en ressort présente certes des similitudes avec celles de l’année passée et des derniers mois… mais on constate aussi que de nouvelles interrogations et priorités apparaissent, sur fond d’incertitude persistante.
Rien d’étonnant, dès lors, que les experts de l’agence Proches aient choisi d’intituler leur synthèse « Dans un monde incertain et mouvant, comment organiser sa communication et décider ? », tant il est vrai que nous sommes encore en manque de repères, et que la détection des signaux faibles par les communicant.e.s et par les marketeurs.euses prend une importance décuplée.
Après plus de 15 mois de crise, quelles mutations de fond et quels nouveaux défis pour les communicants ? Quel rôle pour la communication interne ? Et quels enjeux pour la communication externe ? Entre digitalisation accrue et réallocation des ressources, comment les dircoms s’adaptent ? Et à quels nouveaux changements s’attendre demain ?
Sur ces thématiques et bien d’autres, les professionnels interrogés apportent un éclairage précieux, avec sincérité et transparence. Et au-delà des disparités, judicieusement relevées par l’agence Proches, entre des secteurs et activités très inégalement impactés par la crise, de nombreuses lignes communes se détachent, dessinant les contours d’une fonction communication partout revalorisée et plus stratégique que jamais…
> Un environnement toujours très incertain… et de nouvelles tendances et attentes qui émergent
Tantôt acteurs de la gestion de crise, au sein de leurs organisations respectives, tantôt spectateurs de mouvements de fond et exécutants de décisions prises bien au-dessus d’eux, par les gouvernements et les autorités de santé notamment, les dirigeant.e.s d’entreprises et leurs directeurs.trices de communication sont restés depuis plus d’un an en éveil, à l’affut des moindres tendances et évolutions macro-économiques, sociétales et de consommation.
En prise directe avec leurs publics internes et internes, ils ont une vision claire des mouvements de fond qui bousculent notre société et impactent la communication : 1) crise de confiance encore plus aiguë que les années passées et remise en cause systématique de la parole publique et institutionnelle, qui oblige à agir et communiquer plus que jamais par la preuve ; 2) polarisation sociale et économique entre activités dites ‘essentielles’ et ‘superflues’, contraignant les entreprises/marques à démontrer sans cesse leur utilité ; 3) ‘relocalisation’ de la consommation, avec une préférence de plus en plus affichée pour les produits locaux et le ‘made in France’, présumés plus authentiques et réducteurs de l’empreinte carbone ; 4) exigences accrues en matière environnementale, les impératifs économiques devant aller de pair aux yeux des consommateurs avec des comportements résolument plus vertueux et responsables…
Dans un tel contexte, la lutte contre les fake news n’est plus une option et devient un leitmotiv pour les communicant.e.s, de même que la recherche de sens, au travers de communications intégrant « nativement » les préoccupations sociétales et environnementales des parties prenantes. Le fameux ‘sens’ prenant pour tout un chacun une signification de plus en plus concrète, à commencer par les communicant.e.s eux-mêmes, qui trouvent leur satisfaction et leur première « raison d’être » dans le fait de « bien faire leur métier », « nourrir le lien avec les différents publics » ou encore « garantir une vraie cohérence pour toute l’organisation ».
>> L’heure de gloire de la communication interne… et pour les communicant.e.s d’entreprise
Poussés sur le devant de la scène depuis l’émergence de la crise en février 2020, les communicant.e.s internes et d’entreprise ne l’ont pas vraiment quitté depuis (une bonne nouvelle !). Et après avoir informé sans relâche les publics internes, rivalisé d’énergie et de créativité (y compris budgétaire ;) pour garder le lien avec toutes les catégories de personnels, sur site et en télétravail, en s’efforçant de développer une proximité et une connivence avec chacun dans un esprit ‘Feel good’, leur connaissance et leur maîtrise du corps social de l’organisation ont été encore davantage sollicitées depuis ce début d’année, avec l’organisation d’enquêtes et de baromètres internes, la mobilisation de nouveaux canaux d’engagement et d’interactions pour contrer les effets les plus délétères du télétravail massif… ainsi que sur d’autres problématiques, comme la professionnalisation de la communication managériale.
En résumé, l’heure est à la remobilisation, à l’incarnation encore renforcée des messages, par les dirigeants ou les collaborateurs eux-mêmes. Et l’agence Proches de noter, à juste titre, que si le volume et le rythme des communications internes se sont quelque peu ralentis par rapport aux premiers épisodes de la Covid-19, cette communication reste tout de même nettement plus soutenue que les années précédentes… les communicant.e.s internes ayant tendance à privilégier des contenus de plus en plus ciblés, qualitatifs et participatifs (notamment) et des pratiques de communication interne plus horizontales, avec la généralisation de canaux et de messageries dédiées par exemple…
>> Une communication revalorisée et enfin reconnue dans sa dimension la plus stratégique
Les dirigeants interrogés par l’agence Proches sont assez unanimes sur ce point : la communication est sortie globalement renforcée des 15 derniers mois. Et son regain de légitimité, entre nouvelles pratiques et retour aux « fondamentaux » de la communication, s’est aussi nourri de cette double compétence précieuse : 1) être capable de détecter et structurer/analyser les signaux faibles de l’environnement, quelles que soient les méthodes employées ; 2) savoir s’en faire le ‘traducteur universel’ et ‘murmurer à l’oreille des dirigeants’ comme le résume judicieusement l’agence Proches.
Et plusieurs dircoms interrogés de l’exprimer sans ambage…
« Le Dircom se soit d’être le conseiller du roi. C’est à dire celui qui est capable de dire ce que pense le peuple et d’avoir une parole libérée, dans des environnements de Comex où cela n’est pas toujours le cas. »
» Notre valeur ajoutée est de prendre le pouls de la société. Il faut qu’on ait un temps d’avance pour aider la direction à prendre les bonnes décisions »
Ainsi, si leurs rôles de « vigies » et de traducteurs universels des tendances et des messages de l’entreprise sont en ce moment plébiscités, les dircoms interrogés dans le cadre de cette étude voient également un retour aux basiques dans la priorité donnée à la préservation de l’image et de la réputation de leur entreprise, la communication étant également particulièrement attendue à deux autres niveaux en cette période : d’une part, pour créer ou recréer du commun autour du projet d’entreprise, et accompagner la transformation de l’organisation ; d’autre part, pour défendre et renforcer le potentiel de la marque sur ses différents marchés, le branding étant identifié comme un levier de création de valeur efficace, particulièrement en temps de crise.
« La communication est un outil de conviction, et presque de transformation. Elle n’est pas uniquement un pilier mais un réel traducteur de la valeur ajoutée de l’entreprise. »
« La communication autour de la marque, si elle est humaine, permet de créer un climat de proximité qui a beaucoup manqué aux gens pendant la crise. »
> Entre digitalisation des canaux et incertitudes budgétaires : de la difficulté de convaincre à investir…
Si depuis plus d’un an, la quasi-disparition de l’évènementiel et les contraintes de la distanciation sociale ont amené les entreprises et les dircom à investir massivement dans les canaux et supports digitaux, plébiscités pour leur souplesse, leur accessibilité et une rapidité de mise en œuvre sans égal, de nombreuses incertitudes se ressentent dans les propos des communicant.e.s, lorsqu’il s’agit d’évoquer l’avenir…
Une fois la crise sanitaire terminée, reviendra-t-on à un meilleur équilibre dans la répartition des canaux et des budgets de communication ? Rien n’est moins sûr… Et beaucoup de professionnels interrogés envisagent d’ores et déjà de ‘réduire la voilure’ et le nombre de leurs opérations évènementielles dans les mois et années qui viennent, par rapport à la période pré-Covid.
De même, si beaucoup de dircom reconnaissent avoir pu préserver jusqu’ici leurs enveloppes budgétaires, l’avenir paraît plus incertain, et l’heure des grandes campagnes de communication et opérations de reconquête des publics, pour soutenir la croissance, semble encore loin pour la plupart des dircoms, la prudence budgétaire restant de mise.
Dans la pratique, ce manque de perspective est cependant à nuancer en fonction des secteurs d’activité concernés. Entre gagnants et perdants de la crise sanitaire, l’agence Proches relève de fortes disparités, les secteurs du tourisme ou de la restauration, étant par exemple plus impactés et pessimistes pour l’avenir que ceux de la distribution et du e-commerce, restés ‘au coeur de la crise’ comme l’indique l’agence Proches, au premier rang des secteurs dits ‘essentiels’ (cf graphe ci-dessous)…
> 8 tendances de fond à noter pour les marketeurs et les communicants
En une infographie de synthèse (cf ci-dessous), l’agence Proches résume ainsi les 8 tendances du moment, dont je viens de vous parler, et sur lesquels Audrey Touchard, Directrice Générale Déléguée de Proches, a bien voulu revenir pour nous, dans le cadre de l’interview ci-dessous, dont vous pourrez découvrir la suite et fin jeudi matin prochain…
The BrandNewsBlog : Bonjour Audrey, félicitations à vous et à l’agence Proches pour cette étude éclairante sur la communication des entreprises et des organisations. Pourriez-nous, pour nos lecteurs, nous en rappeler les objectifs initiaux et nous en dire un peu plus sur la méthodologie employée et l’échantillon de professionnels ciblé ? Pourquoi était-il pour vous important de recueillir l’avis des dirigeants, en complément de celui des dircoms ?
Audrey Touchard : La crise que nous traversons a bouleversé nos repères et a fait de l’incertitude une routine épuisante. Mais une chose est sûre : le Covid-19 a modifié notre rapport au monde et aux autres.
Chez Proches, nous avons eu envie d’aller écouter celles et ceux qui contribuent à façonner ce rapport au monde grâce à leur impact sur la société : les dirigeant.e.s d’organisations et leurs directeur.ice.s de la communication.
Pendant 6 mois, nous avons été à la rencontre de DG, de CMO, de CEO, de fondateurs.rices, de directeur.ice.s de la communication et/ou des relations institutionnelles avec une seule et même idée en tête : comment organiser sa communication et prendre des décisions dans un environnement aussi incertain.
A travers cette étude, nous avons analysé une pluralité de points de vue grâce à la diversité des structures interrogées, allant d’entreprises du CAC 40 à des associations en passant par des organisations publiques, des filières ou des TPE / PME.
Nous avons tenu à interviewer aussi bien directeur.ice.s de la communication que les dirigeants de ces structures car face aux enjeux auxquels nous sommes confrontés collectivement et individuellement, la communication s’est révélée stratégique et étroitement liée au destin de l’entreprise.
Nous accompagnons en effet tous les jours des organisations pour mener des batailles culturelles sur leurs sujets et nous constatons que le point de vue du dirigeant sur la communication a un impact considérable sur son efficacité… Croiser les regards entre ces différents acteurs de la communication nous a donc paru une évidence pour enrichir notre approche.
The BrandNewsBlog : Nous venons de le dire, votre angle d’étude s’articulait autour des enjeux et de l’organisation de la communication, dans un contexte d’incertitude. De ce point de vue, tout en nous apportant de précieux enseignements sur la période actuelle et la façon dont les communicant.e.s s’y adaptent, on a l’impression que rien n’est évidemment « gravé dans le marbre ». Et que les priorités et pratiques que vous décrivez sont encore susceptibles d’évoluer au fil des prochains mois… Est-ce aussi votre sentiment ? N’est-ce pas un baromètre annuel qu’il faudrait mettre en place, pour suivre ces évolutions ?
Audrey Touchard : Tout à fait, nous sommes sur des plaques tectoniques. Les personnes que nous avons interviewées ont d’ailleurs fait preuve de beaucoup de prudence dans leurs réponses…
Si la crise nous a tous appris une chose, c’est à faire preuve d’humilité sur l’avenir.
Le sentiment partagé est celui d’une accélération de tendances déjà existantes avant la crise, mais la grande question reste en effet celle des effets contextuels ou structurels de cette crise en matière de communication.
Avec cette étude, nous disposons d’une photographie à un instant t. Mais nous aurons besoin en effet de mesurer régulièrement l’évolution des enjeux et des solutions de communication pour nous rendre compte de leur pérennité.
The BrandNewsBlog : Les dircoms et communicant.e.s que j’ai interviewés tout au long de l’année 2020 faisaient état de 3 grandes priorités dans leur communication : 1) l’information des publics, dans le cadre d’un grand retour aux fondamentaux de la communication ; 2) le besoin de maintenir ou de recréer du lien et du « commun », avec les collaborateurs comme avec les clients ou les usagers ; 3) la nécessité de démontrer plus que jamais l’utilité de leur marque/institution… Ces grands objectifs sont-ils encore ceux de 2021 ? A vous lire, on a l’impression qu’il ne s’agit plus seulement d’informer ni de « rester en contact » avec les parties prenantes, mais tantôt de les rassurer, tantôt de démontrer la proximité ou la connivence de l’organisation : bref, de travailler la richesse et la qualité des liens, plus que la quantité ?
Audrey Touchard : L’année 2020 a obligé la plupart des organisations à se recentrer sur les fondamentaux de la fonction communication et à communiquer dans l’urgence, tout en veillant à la trace laissée sur le long terme auprès de toutes les parties prenantes.
En 2021, la communication dans l’urgence a laissé place à une communication plus saccadée, car la crise s’est installée sur le long terme. Nous sommes passés d’un sprint à une course de fond, dans laquelle chaque direction de la communication doit faire preuve d’empathie avec ses parties prenantes et s’adapter en permanence à des retournements de situation.
La richesse et la qualité des liens sont en effet au cœur des problématiques de 2021, car elles permettent aux organisations de réussir cette course de fond. Et j’ajouterais que la capacité à rassembler des preuves avant de communiquer est également déterminante dans la période que nous vivons. Car les déclarations d’intention seront jugées encore plus sévèrement qu’avant à l’avenir, et seront les premiers facteurs de détérioration des liens avec les différentes parties prenantes de l’entreprise.
The BrandNewsBlog : Détection des signaux faibles, lutte contre les fake news, digitalisation de la com’, importance de la communication interne, réconciliation impérative des logiques économiques et environnementales… Parmi les 8 enseignements et grandes tendances ressorties de votre étude et décrits ci-dessus, quels sont les plus structurants selon vous, voire les plus pérennes ?
Audrey Touchard : L’enseignement fondamental, c’est la réconciliation indispensable entre les logiques économiques et environnementales.
La recherche d’un impact positif sur la société et l’environnement doit être source de performance économique durable pour les entreprises. Celles qui continueront à opposer ces deux logiques seront les grandes perdantes à terme, à la fois en termes d’image et de business car les consommateurs et citoyens s’en détourneront au profit de celles qui auront su réellement s’engager « vers le mieux ».
Si on se penche sur les pratiques de communication, c’est la lutte contre les fake news et la détection des signaux faibles, sources de crises potentielles ou de coups d’avance en matière de communication, qui empêchent nos interviewé.e.s de dormir la nuit. Nous sommes actuellement dans un état « d’entre deux » qui crée de l’inconfort, une perte de repères mais qui est aussi propice au changement, aux rumeurs et aux miroirs déformants… Cette période nécessite une vigilance de tous les instants et une capacité d’analyse importante.
The BrandNewsBlog : Vous évoquez également dans votre étude d’autres enjeux et tendances, conjoncturels ou plus structurels, comme la polarisation entre biens et services ‘essentiels’ et ‘superflus’, le retour en force de la consommation locale et du ‘made in France’, la quête de sens accrue des collaborateurs et des consommateurs… Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Quelle est l’importance réelle de ces sujets et comment les entreprises et les dircoms s’en emparent-ils ?
Audrey Touchard : Le terme « essentiel » a pris une importance incroyable dans nos vies ces derniers mois.
L’État a déterminé ce qui était essentiel et ce qui ne l’était pas (avec les commerces par exemple) et les répercussions sont aujourd’hui importantes en matière de communication.
Communiquer moins mais mieux pour retrouver l’essentiel a été un constat partagé par beaucoup des personnes interviewées. La tyrannie de l’instantanéité ne doit pas faire perdre de vue que la communication sera toujours jugée sur sa capacité à traduire une réalité dans sa forme la plus simple et non à la déformer avec des fioritures inutiles.
Vous évoquez le Made in France, qui est une tendance fascinante à observer. Beaucoup de dirigeants voyaient avant la crise ce sujet comme un « serpent de mer ». Maintenant, ils ont conscience que de ne pas le considérer serait prendre un risque de manquer un tournant important.
Mais nous savons tous que la difficulté sur ce sujet c’est la dissonance entre les intentions d’achats des consommateurs et la traduction réelle dans les ventes. Et du côté des entreprises, les paradoxes sur ce sujet restent nombreux.
Ce qui est sûr, c’est que ce sujet ne peut plus être ignoré. Dans une étude d’Opinion Way pour l’Agence Insign¹, 1 Français sur 2 dit être prêt à payer plus cher pour du « Made in France ». Ça donne envie de croire qu’on n’a pas fini d’entendre parler de cette tendance et qu’elle pourrait gagner la bataille de l’opinion plus rapidement que prévu…
The BrandNewsBlog : En temps de crise, et particulièrement dans un contexte prolongé d’incertitude comme celui que nous vivons, l’anticipation et la détection des signaux faibles sont plus importants que jamais. Comment les dircoms et communicant.e.s s’y prennent-ils pour les recueillir ? Que cherchent-ils à mesurer en priorité, et quelle exploitation font-ils de ces données/signaux dans le cadre de leur communication ? Ce rôle de vigie en temps de crise contribue-t-il à la reconnaissance et à la valorisation accrue de la fonction com’ que vous avez relévées ?
Audrey Touchard : Cette question de la détection des signaux faibles est en effet cruciale. Chacun.e des expert.e.s interrogé.e.s dispose pour ainsi dire des « ingrédients », mais personne n’a vraiment la même recette…
Des outils de social listening à la veille médiatique, en passant par des approches plus ciblées et qualitatives (études ad hoc…), les expériences sont variées et les résultats à géométrie variable. Mais la réputation de l’organisation et de ses dirigeants reste une préoccupation partagée par toutes les directions de la communication.
Les résultats de cette écoute attentive permettent aux directions de la communication d’avoir un temps d’avance pour ne pas subir les mutations à venir, et également de limiter les effets négatifs d’une crise avérée ou potentielle.
Pour les communicant.e.s et dircom, cette posture de vigie que la détection des signaux faibles leur confère, crée des opportunités d’échanges plus nombreuses et régulières avec les dirigeants, en apportant des outils d’aide à la décision précieux et objectivables. Et cette mission, amplifiée par la crise, apporte d’ores et déjà aux directions de la communication une légitimité, qu’il leur faudra continuer à cultiver et à développer dans les prochaines années.
The BrandNewsBlog : Outre le rôle accru de la communication interne, vous évoquez également dans votre synthèse l’importance de la communication interne et externe dans l’accompagnement des transformations. Cette mission est particulièrement sensible dans des périodes telles que celle que nous traversons, avec un triple enjeu dont vous ont parlé les dircoms : 1) Expliquer les changements, 2) Rassurer les publics, à commencer par les collaborateurs, mais également les clients et autres parties prenantes externes et 3) Réduire les risques. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Audrey Touchard : Au premier regard, on pourrait se dire que l’année que nous venons de passer a été synonyme de « stagnation ». Pourtant les transitions ne manquent pas. Qu’elles soient économiques, sociétales ou environnementales, elles nous amènent à nous questionner sur toutes les certitudes les plus profondes que nous pouvions avoir.
On peut dire que le confinement physique n’a pas été accompagné d’un confinement intellectuel ! De nombreuses entreprises ont ainsi décidé de se transformer pour préserver l’existant ou d’investir dans l’avenir. Et dans cette période sensible pour une entreprise, la communication est plus que jamais nécessaire. Car la nature humaine va spontanément pousser toutes les parties prenantes, à commencer par les collaborateurs, vers un mécanisme de résistance voire de défiance.
C’est pourquoi, la communication doit être économe dans ces périodes pour ne pas créer de la confusion ou de la méfiance, tout en favorisant une vraie proximité avec les différentes parties prenantes. Ces dernières années, on a beaucoup parlé de la transformation digitale des entreprises. La nouvelle frontière semble être pour beaucoup d’entreprises la transformation environnementale. Et c’est la communication sur cette transformation qui va faire la différence. Regardez comment les accusations de greenwashing fusent vite sur les réseaux sociaux. La communication a plus que jamais dans ces moments-là un rôle de gardien de la marque et de la réputation de l’entreprise. Seule une communication de la preuve peut fonctionner tellement le défi écologique est grand.
Le cas récent de Danone nous montre bien que la communication joue un rôle à double tranchant : s’engager dans une transformation aussi forte renforce l’image responsable de l’entreprise mais toute information qui contredit cet engagement (comme l’éviction d’Emmanuel Faber) vient semer le doute sur la réelle capacité de cette entreprise à opérer ce changement.
The BrandNewsBlog : La crise, dites-vous, si elle est bien gérée – notamment en termes de communication et de gestion du temps – peut également conférer une valeur ajoutée à la marque et permettre d’en révéler de nouveaux potentiels… Dans quels domaines plus particulièrement ? Pouvez-vous nous en donner quelques exemples concrets, en citant des marques qui ont gagné une légitimité nouvelle depuis un an ?
Audrey Touchard : La marque est une valeur immatérielle qui permet au bateau de moins tanguer en cas de vents violents. A la fin d’une crise, il y a toujours des gagnants et des perdants. Bien sûr, certains secteurs d’activité ont, par essence, démontré leur utilité dans la période et leur nécessité dans nos vies pour travailler (Zoom, Apple…) ou consommer (Auchan…).
Mais ceux qui sortent renforcés de la crise du Covid-19 ont su mettre leur marque – que le business soit essentiel ou non – au service de l’urgence du moment présent en 2020 et capitaliser en 2021 sur cette starification de leur marque.
L’exemple d’Orange est éloquent. Avec sa campagne en avril 2020 « #Onresteensemble », la marque a su rappeler son utilité et créer de la connivence avec sa cible. Et la saga a continué en 2021. De son côté, Décathlon a renforcé la sympathie autour de sa marque et de son entreprise en fournissant à l’hôpital de Brest des masques de plongée en plein période de pénurie de masques pour protéger le personnel soignant. Une idée ingénieuse et une communication humble ont été les deux ingrédients clés pour renforcer l’image de marque de Décathlon.
The BrandNewsBlog : Dans les éléments de réponses des dircoms et des dirigeants, ainsi que dans les verbatims que vous avez mis en avant, vous insistez sur le retour de la communication et des communicants aux fondamentaux (réputation et image de l’entreprise), mais j’ai été étonné je vous l’avoue de voir aussi peu mentionné le rôle de la communication dans l’accompagnement de la reprise et le support aux équipes marketing et commerciales… Il me semblait pourtant que c’était un des faits marquants/ une des tendances de ces derniers mois dans de nombreuses entreprises que ce ‘retour’ d’une dimension également très opérationnelle de la com’ ? Qu’en est-il et comment l’expliquez-vous ?
Audrey Touchard : Vous avez raison, mais c’est une tendance à géométrie variable en fonction des organisations. Ce n’est pas une règle absolue. Là où certaines organisations ont vu les relations entre les équipes marketing, commerciales et communication se renforcer, d’autres ont justement eu des problèmes de coordination qui ont renforcé les silos.
L’équilibre entre la dimension stratégique et opérationnelle de la communication est fragile. La plupart des directions de la communication cherchent à conjuguer le service aux autres et l’inspiration du plus grand nombre. Mais elles sont vite reléguées à un rôle opérationnel quand la situation économique de l’entreprise se complexifie ou que le dirigeant ne croit pas au rôle stratégique de la communication. C’est davantage une question de personnes et de perspectives budgétaires qu’une question de tendance de fond à mon sens.
The BrandNewsBlog : Pour être efficaces en période de crise et d’incertitude, les directions de la communication doivent faire preuve d’anticipation/vision, d’agilité, de résilience et d’un certain sens de la prise de risque, d’après les professionnels que vous avez interrogés… Mais la ‘créativité’ n’est pour ainsi dire jamais citée parmi les qualités d’un bon communicant (1% de mention seulement). Pourtant, il me semble qu’elle a été une des clés pour faire face à la crise l’an dernier, et s’adapter à budget constant au contexte des confinements successifs. Est-ce à dire que son rôle est moins important cette année ou que les dircoms considère qu’elle n’est pas de leur ressort… Comment l’entendez-vous ?
Audrey Touchard : Cette absence de la créativité dans les qualités spontanément par les directeurs.rices de la communication m’a particulièrement interpellée aussi. Je ne m’y attendais pas. Pourtant, quand on prend du recul, les directions de la communication ont dû faire preuve d’agilité plutôt que de créativité car elles se sont adaptées en permanence et ont dû trouver des solutions. La prise de risques intrinsèque à la créativité et son corollaire, la capacité à dépasser les conventions, n’ont pas été favorisées par la période. Ce terme de créativité semble souvent réservé aux autres. Il est presque « sacralisé » tellement il est lourd de sens dans beaucoup d’organisations.
Mais les directeur.rices de la communication ont sans doute aussi fait preuve d’un excès d’humilité. Comme M.Jourdain, je suis persuadée qu’ils font preuve de créativité au quotidien sans le savoir.
The BrandNewsBlog : Vous le soulignez dans votre étude, un dircom doit en période de crise faire preuve de sang froid, demeurer constant et à l’écoute tout en gérant un degré élevé d’incertitude et en tolérant une nécessaire prise de risque. Transparence, humilité et réassurance doivent également faire partie de la panoplie du bon dirigeant et du bon dircom pour faire face à l’incertitude. Mais comment rassurer ou ré-assurer quand par définition on dispose de si peu de visibilité et quand – dans certains secteurs en particulier – les mauvaises nouvelles s’accumulent ?
Audrey Touchard : Rassurer, ça commence pour moi par une capacité à faire preuve de sincérité. Quand on ne sait pas comment régler une situation immédiatement ou de quoi seront faites les prochaines semaines, il faut l’avouer. « Je ne sais pas » est une des choses les plus difficiles à dire quand on dirige. Et pourtant, elle est tellement fondamentale ! Il n’y a rien de pire qu’un dirigeant qui veut absolument répondre à tout, donner l’impression qu’il est en maitrise alors que ce n’est pas le cas. La déception à terme n’en est que plus grande.
Rassurer, c’est être présent sans s’exposer. Ne pas se mettre en scène mais montrer que l’entreprise est un collectif plutôt qu’une somme d’individualités uniquement liées par une transaction économique.
The BrandNewsBlog :Pour ce qui est des mois à venir, même si la fonction communication a été revalorisée comme jamais et reconnue dans sa dimension stratégique, les communicant.e.s que vous avez interrogés ne semblent pas très optimistes ou demeurent à tout le moins prudents… Au-delà des considérations budgétaires, sans doute très liées aux disparités que vous avez identifiées entre entreprises « au coeur de la crise », entreprises « peu impactées par la crise » et entreprises « remises en question par la crise », un retour en arrière de la communication en termes de pratiques et de valorisation stratégique est-il possible ? Ne serait-ce pas contre le sens de l’histoire ? Et en définitive, qu’est-ce qui inquiète le plus les dircom aujourd’hui ?
Audrey Touchard : La période nous a démontré que les jeux sont ouverts. Et c’est incapacité à se projeter qui inquiètent le plus les directions de la communication. « Naviguer à vue » en permanence est épuisant. Aujourd’hui, tout est possible mais tout n’est pas souhaitable.
La fonction communication reste fragile car elle a longtemps été perçue comme un centre de coûts avant tout. Je pense que la meilleure manière pour les directions de la communication d’éviter un retour en arrière est d’abord de mesurer l’efficacité de ses actions et leur contribution au business de l’entreprise. Indicateurs qualitatifs ou quantitatifs, la communication a besoin d’être objectivée et objectivable pour être pérennisée.
Enfin, la « com’ de la com’ » est fondamentale. Combien de directions de la communication sont absorbées par le quotidien et ne prennent pas le temps de raconter en interne ce qu’elles ont fait ? Les petites victoires du quotidien, les grandes batailles à mener : il faut aussi oser se raconter sous peine d’être sous-estimés !
Notes et légendes :
(1) Etude « Dans un monde incertain et mouvant, comment organiser sa communication et décider ? », menée auprès de 50 directeurs de la communication et directeurs généraux par le lab de l’Agence Proches, de septembre à mars 2021 – Publication : mai 2021.
(2) Etude « Covid-19 et confinement » par l’agence EKNO – Avril 2020
(3) Étude Insign “Made in France, relocalisation industrielle : on en est-on depuis la crise sanitaire ?” 2021
Crédits photos et illustrations : The BrandNewsBlog 2021, X, DR.
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