Trouver le bon équilibre entre objectifs business et engagement sociétal : le grand défi de 2021 pour les agences et les annonceurs


Dans la série d’articles #GoodMood, #GoodMove par laquelle j’ai décidé de débuter l’année 2021, j’ai déjà abordé il y a 15 jours le rôle moteur de la communication et des communicant.e.s dans la relance économique.

De fait, après une année 2020 marquée par la crise sanitaire et durant laquelle nous avons du faire preuve de beaucoup de créativité, d’agilité et de réactivité (sous la contrainte des évènements le plus souvent), une nouvelle séquence semble s’ouvrir avec la perspective d’une sortie progressive de la Covid-19, et l’horizon encore évanescent d’un « retour à la normale ».

Comment aborder cette nouvelle séquence, en tirant toutes les leçons des mois écoulés ? Comment se remettre en ordre de marche, pour saisir toutes les opportunités de la reprise et servir au mieux les objectifs business de nos organisations, sans négliger les 3 enjeux toujours d’actualité pour les communicant.e.s : information des publics, renforcement du lien avec les parties prenantes, démonstration de l’utilité de nos marques ? 

Voici quelques-uns des sujets que je vous propose d’évoquer avec mes deux interlocuteurs du jour, Marion Darrieutort¹ et Assaël Adary², personnalités reconnues du marketing et de la communication et fins connaisseurs de l’écosystème médias-agences-annonceurs.

Qu’ils soient ici remerciés de leurs précieux éclairages, et de la sincérité et la franchise avec laquelle ils ont bien voulu répondre à mes questions, en acceptant de revenir sur les mois écoulés et de nous livrer tous les enseignements qu’ils en ont tirés.

…Fin du modèle « traditionnel » d’agence, besoin accru d’écoute et d’études pour anticiper les évolutions les plus fines des attitudes et attentes des collaborateurs et des consommateurs, nouvelle posture de conseil et nouvelles pratiques communicantes : plus que jamais, les professionnel.le.s sont invité.e.s à reprogrammer leur logiciel marketing-com pour répondre aux enjeux du moment… et trouver notamment le bon équilibre entre objectifs business, soutien de la stratégie et mise en exergue de l’engagement sociétal de leurs organisations respectives.

Une équation passionnante, et de beaux défis à relever dans les prochains mois, ainsi que nous l’expliquent de concert Marion et Assaël, dans une interview croisée en deux parties (>> suite et fin de nos échanges à découvrir jeudi prochain).

Bonne fin de week-end et bonne lecture à toutes et tous !


Le BrandNewsBlog : Bonjour Marion, bonjour Assaël. Il y a 15 jours, je consacrais mon dernier article à la thématique de « la communication, moteur de la relance économique », dans la foulée d’une conférence dédiée organisée par l’association COM-MEDIA. Malgré le contexte encore incertain et cette crise sanitaire qui s’éternise, pensez-vous également que la communication puisse/va contribuer à la reprise tant espérée de l’économie ? Et si oui, dans quelle mesure, et à quelles conditions ?

Marion Darrieutort : Effectivement, à l’heure où on va commencer à voir la lumière au bout du tunnel, à penser au « back to normal », à réfléchir aux conditions de la reprise et du redressement, j’ai le sentiment que notre profession sortira grandie de cette crise, si on contribue activement à soutenir l’effort de relance.

Comment ? En trouvant le bon équilibre entre le business et l’engagement sociétal. Au début de la crise, en 2020, les marques et les entreprises ont fait d’importants efforts en matière de responsabilité sociétale. Elles se sont engagées pour apporter des solutions aux maux de la crise, en déployant des programmes de soutien à ceux qui en avaient besoin. La crise a eu cette vertu, d’accélérer le mouvement des marques engagées.

En 2021, j’ose croire que cela va continuer. Mais il ne faut pas se contenter d’une approche trop idéaliste en mode « Dans le monde d’après, on veut aider à changer le monde… ». Car on ne va pas se mentir, les mots d’ordre de cette année vont d’abord être « business » et « création de valeur ».

La casse sociale annoncée, quand les aides du gouvernement vont s’assécher, sera immense et c’est là où la communication doit agir : aider à relancer la consommation, convaincre les Français de consacrer une partie de leur épargne à des achats dont l’économie a besoin, faire changer des comportements.

La vocation première des marques et des entreprises est en effet de vendre, de créer de la valeur. Il faut l’assumer, le revendiquer même. Il faut revenir à ces origines là sans pour autant renier tout l’élan sociétal que la crise a généré.

Assaël Adary : Je suis d’accord. Pour ma part, je milite depuis 25 ans pour « désinhiber » la fonction communication en matière de contribution au business. Car oui, affirmons-le sans hésitation, cette fonction, en construisant et en protégeant la réputation d’une entreprise, contribue au business.

On peut facilement clore le débat en citant l’étude réalisée par Deloitte pour l’AACC, l’UDA et l’Udecam de 2017 – il faudra d’ailleurs après cette crise penser à produire de nouvelles données sur notre secteur – dont la conclusion était sans appel : un euro investi en communication génère en moyenne 7,85 euros de PIB et en comparaison la France est le pays dans lequel les investissements en communication sont les plus rentables.

Mais il est plus pertinent de se questionner sur le « pourquoi » et pas seulement sur le « combien ». Pourquoi la communication est-elle un des principaux leviers de la relance économique ?

Il n’est pas possible d’envisager une relation transactionnelle sans, à sa base, la confiance entre les deux acteurs de la transaction : le vendeur et l’acheteur. La communication crée les conditions de possibilité d’une reprise économique en reliant les agents économiques que sont les entreprises, les marques, les produits et les consommateurs.

Rappelons-nous que l’échange des biens, c’est-à-dire le marché, nécessite au préalable un échange d’informations. De même faut-il partager des informations, « communiquer », pour produire collectivement un bien. La question des échanges d’information, de la communication, est au centre de l’économie et du marché.

La communication, y compris la communication corporate, constitue bien de l’avant-vente, le terreau plus ou moins fertile sans lequel rien ne pousse.

Par ailleurs, dans les 5 années qui viennent, la communication aura pour mission de proposer une nouvelle narration pour l’économie française. Quel imaginaire voulons-nous partager ? En premier lieu, quel imaginaire de consommation ? Et c’est là que nous, les professionnels de la communication, serons face à ces choix cruciaux !

Il y aura une relance, c’est une certitude, il y aura un rebond. On ne sait pas encore exactement la forme de la courbe, en « V », en « U », en « W », mais elle sera là. La question collective qui se pose à notre secteur sera : « Quelle relance voulons-nous ? ». Dans un premier temps, avant d’envisager le pourcentage de croissance, il nous faut qualifier la relance souhaitée et y travailler…

On a beaucoup entendu que le brief du siècle serait celui de la vaccination, je pense profondément que le brief du siècle est celui du plan de relance (plus de 100 milliards).

Il faudra de la confiance, de l’optimisme, croire que demain est meilleur qu’aujourd’hui, ce qui n’est pas évident au regard du mur de la défiance et du pessimisme français.

Mais pour être le principal ressort de la reprise, encore faut-il que notre secteur soit fort et lui-même en capacité de rebondir. Avons-nous encore les muscles pour épauler le reste de l’économie ?

N’oublions surtout pas que la communication est aussi un secteur économique, que les agences sont des entreprises, le plus souvent des TPE/PME, que notre tissu est composé de très nombreux freelance en hyper précarité en ce moment… Serons-nous capables de nous soulever nous-mêmes avant de porter le reste des industries ?

Notre secteur pèse dans l’économie française. EY a calculé que 46,2 milliards d’euros ont été investis par les entreprises en France dans leurs actions de communication en 2015 et rappelons qu’une large part de cet argent atterrit dans les médias qui en ont un besoin vital.

46,2 milliards, c’est 2,1% du PIB de la France, davantage que les investissements en R&D. Et enfin, n’oublions jamais que le secteur de la communication c’est aussi 700 000 emplois soit deux fois plus que l’aéronautique dont on parle tant. Et combien demain ?

Pour terminer sur un secteur qui m’est cher et que je vois se débattre avec panache pour exister encore demain, il faut évoquer l’événementiel. En France, pays de grands salons (Maison & Objet, Le Bourget, Le Mondial de l’automobile, etc.), qui génèrent des milliards de retombées pour les entreprises, la relance aura besoin des agences événementielles, fortes, créatives, diverses. Or on l’a vu récemment avec le bilan très mitigé de la dernière édition du CES Las Vegas, 100% digitalisé : rien ne remplace vraiment la rencontre physique. Comme au théâtre, unité de lieu, unité de temps, cela crée une dynamique inégalable.

Je propose d’ailleurs que le mois de septembre 2021 dure 70 jours pour permettre de planifier deux fois plus d’événements en présentiel :-)

Le BrandNewsBlog : Cette année 2020 a été particulièrement difficile, non seulement pour les professionnels de santé et les « premiers de corvée » mobilisés sur le terrain, mais également pour des pans entiers de l’activité économique (hôtellerie, commerce, restauration, culture…). Et les communicant.e.s, en agence comme chez l’annonceur, n’ont pas été épargnés comme vous venez de le souligner… Comment avez-vous vécu personnellement cette année de crise, dans vos structures respectives, et quelles leçons en tirez-vous ?

Assaël Adary : Occurrence produit des études qui permettent aux directeurs de la communication de se repérer dans le brouillard, de trouver la bonne trajectoire pour toucher les cibles, pour peser les investissements et arbitrer en période de frugalité.

Cette mission, ce rôle de GPS pour les communicants, nous permet de traverser cette crise avec confiance. La période actuelle étant incertaine, l’enjeu pour les Dircoms et les COMEX est de parvenir à décider dans l’incertitude. Pour cela, ils investissent moins dans l’action mais un peu plus dans le décryptage (avant l’action) et dans la mesure de la performance (après l’action) : le fameux « moins mais mieux ». Chaque action de communication doit être mesurée, évaluée pour maximiser ses effets. Il en va de même en matière de communication interne. Le corps social des entreprises a été mis à rude épreuve, la ligne managériale a vécu un véritable traumatisme. Prendre le pouls, mesurer l’état des forces a généré de nombreuses missions pour Occurrence…

Nous sommes donc peu impactés pour le moment. Je le dis sans fanfaronner et avec humilité car l’année 2021 sera le véritable juge de paix… Cette crise demande à nos organisations de courir un marathon, pas un sprint ni même un 5 000 mètres.

Néanmoins, cette crise vient nous questionner sur notre utilité comme toutes les entreprises de tous les secteurs. Sommes-nous suffisamment essentiels pour être conservés dans les budgets des directeurs de la communication ? Réponse dans un an.

Marion Darrieutort : Nos métiers de la communication ont été effectivement impactés. Mais à regarder la situation du personnel soignant, des personnes travaillant dans les Ehpad, et tous ceux qu’on appelle les métiers de première ligne, cela m’amène à relativiser notre propre situation…

A titre personnel, la situation de 2020 a généré chez moi une immense introspection sur la façon dont j’avais envie de travailler, dont j’avais envie d’exercer mon métier, dont j’avais envie d’accompagner mes clients. Car très vite, j’ai eu la certitude qu’il y aurait pour moi un « avant » et un « après Covid-19 » à titre professionnel, car j’avais fondamentalement besoin de nouveauté, d’une bascule, d’une réinvention pour m’inscrire dans une situation qui est prévue pour durer.

Et puis surtout, cette crise a excité et titillé mon instinct d’entrepreneure. Je pensais être « guérie » de l’entrepreneuriat, mais non ! C’est comme un virus (un bon !) qui ne vous quitte pas. Donc 2020 m’a donné l’envie de RE-entreprendre, pour me remettre en risque, pour sortir de ma zone de confort, pour inventer mon futur professionnel, pour me consacrer uniquement à ce que j’aime faire…

C’est ainsi qu’en fin d’année, The Arcane a vu le jour. Un cabinet de conseil en gouvernance et en influence né au cœur de la crise et qui compte aujourd’hui 12 collaborateurs trois mois après son lancement, tous animés d’une réelle audace, d’un esprit de conquête impressionnant, d’une « niaque » entrepreneuriale. Je leur ai transmis mon virus et, ensemble, je sens que l’on peut déplacer des montagnes.

Le BrandNewsBlog : Outre le secteur de l’évènementiel, lourdement sinistré, et ceux de l’impression et du marketing direct, 2020 a aussi été une annus horribilis pour les agences de pub et de com’. Celles-ci ont été plus questionnées que jamais, dans leur modèle et leurs pratiques, avec notamment ces affaires de harcèlement dévoilées par le compte @BalanceTonAgency. Le refus d’une partie de la profession d’envisager toute régulation supplémentaire de la publicité, même au nom de la protection de l’environnement a également été pointé du doigt… Faut-il y voir uniquement les effets de la crise ou bien la fin d’une époque ? Le modèle traditionnel d’agence a-t-il vécu ?

Marion Darrieutort : Une fois encore, c’est vrai que notre filière n’a pas été épargnée cette année, entre la crise sanitaire, la crise économique, la crise de sens, les remises en cause sur nos pratiques et la dénonciation de notre empreinte supposée négative sur la société…

Tout arrive « en même temps ». Pour nous comme pour d’autres. Comme n’importe quel secteur, nous sommes aussi questionnés sur notre impact sociétal. Comme n’importe quel secteur, il ne s’agit plus simplement de corriger nos « externalités négatives », via une politique RSE normalisante… Comme n’importe quel secteur, nous devons réfléchir à la façon dont nous pouvons avoir un impact positif sur la société et l’économie. Et c’est une opportunité unique de nous réinventer pour retrouver un nouveau souffle.

Mais c’est certain, c’est difficile et cela prend du temps car les pratiques, les modèles, les habitudes, les mentalités sont ancrés depuis très longtemps, et il existe une vraie résistance au changement. Mais la profession a pris acte de ces interpellations et est en train de prendre à bras le corps ce qui doit être un progrès positif pour nos métiers. Les plus jeunes ont raison et doivent continuer de nous interpeller, nous challenger, nous questionner, car ils nous offren une chance immense d’évoluer et de nous adapter.

Assaël Adary : Revendiquer que la communication est un secteur utile, utile à la société, oblige à s’interroger sur nos propres pratiques, à faire notre propre introspection. Et cette thérapie, cette séance collective chez le psy, nous la vivons à dire vrai depuis au moins cinq ans…

Que l’on évoque la question des harcèlements, du respect des diversités, de la compatibilité entre nos métiers et la transition écologique, notre secteur est violemment questionné sur sa responsabilité sociétale. Selon moi, ces sujets ne sont pas isolés. Ils convergent, ils viennent en un faisceau unique éclairer le côté obscur de nos pratiques, de nos comportements et viennent violemment heurter notre raison d’être.

Cette situation est grave pour au moins deux raisons majeures : notre secteur risque de voir ses pratiques être drastiquement régulées. L’opinion puis la Loi peuvent nous interdire de faire ce que nous faisons de la manière dont nous le faisons, le fameux « licence to operate ». La deuxième raison est l’attractivité de notre secteur… Faire venir et conserver les talents devient très compliqué dans un secteur pointé du doigt. Perdre le respect de ses partis-prenantes équivaut à un bannissement qui peut constituer le début d’un cercle infernal : moins de talents, moins de qualité, moins de reconnaissance, moins de ressources, donc moins de moyens pour engager et conserver nos talents.

En revanche, je n’y vois pas de fatalité ni même une toxicité systémique. Non, notre secteur n’est pas dans sa globalité pourri, gangréné, sans foi ni loi, sans conscience humaniste.

Dans les différentes associations dans lesquelles je suis engagé, autant je milite pour que collectivement on soulève le tapis, que l’on se confronte à la réalité et surtout que l’on solutionne un par un nos dysfonctionnements, autant je ne plaide pas pour « renverser la table »… Pour proposer une grille de lecture sur les solutions, il faut en effet selon moi découper le sujet en trois chapitres : la loi, la déontologie et l’éthique.

La loi s’intéresse de plus en plus à notre secteur et nous attendons la loi de la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili : quelle sera l’ampleur de la nouvelle régulation ? Parfois, il faut le dire, notre secteur est une cible facile. Il est plus simple d’interdire la publicité en faveur d’un secteur polluant par exemple plutôt que d’interdire ou de restreindre l’activité du secteur en question. Néanmoins, il faut lire le rapport piloté par Thierry Libaert et Géraud Guibert, pour lequel j’ai eu l’honneur d’être auditionné : « Publicité et transition écologique », et prendre connaissance des 23 propositions formulées.

La loi n’intervient souvent que lorsqu’un secteur ne parvient pas à s’auto-réguler. On se souvient du séisme de la loi Sapin en 1993 ou plus récemment du RGPD.

Sur le plan de la déontologie, je crois que notre secteur est bien armé, et même trop. Nous avons beaucoup de chartes, trop de chartes. Or nous ne sommes pas un « ordre » comme les médecins ou les experts-comptables, la déontologie sans possibilité de condamner ceux qui ne la respectent pas est vaine. Elle perd tout son sens et son poids. Evidemment, il y a l’ARPP qui abat un gros travail. L’ARPP qui œuvre pour un secteur publicitaire loyal, véridique et sain devrait, pourrait faire encore davantage en intégrant TOUTES les formes de communication et pas uniquement la publicité.

Il faut nous organiser sur le front de nos pratiques, remettre l’utilité sociétale au centre de notre jeu. Proposer pour chaque problème ou chaque nuisance que nous occasionnons des solutions, des compensations et si possible évidemment en amont des résolutions pour les éradiquer durablement. Par exemple, citons l’initiative depuis deux ans de la ligne d’écoute 100% dédiée au harcèlement moral et sexuel dans le secteur de la communication, une initiative de Com-Ent à laquelle plusieurs associations se sont associées. Rappelons le numéro : 0800 100 334 !

Enfin, arrêtons-nous sur l’éthique. L’éthique parle à chaque individu. Elle revient à questionner l’intime de chaque communicant. Pourquoi fais-tu ce que tu fais ? Dans quelques semaines, Com-Ent va lancer une initiative sur l’éthique du communicant, une démarche novatrice qui sera relayée par de nombreuses écoles et associations.

Pour prendre de la hauteur, l’enjeu pour notre profession dans sa globalité, aux bornes de nos métiers, est quel imaginaire collectif nous souhaitons propager pour notre société ? La consommation comme chemin du bonheur ? La sobriété heureuse de Pierre Rabhi ? Une vision équilibrée, raisonnable ? En cohérence avec notre choix collectif, nous attirerons les talents de demain.

Le BrandNewsBlog : En quittant fin 2020 la direction d’une agence reconnue, et en décidant de créer cette nouvelle structure (le cabinet The Arcane), vous dites Marion avoir fait le choix de la réinvention, pour profiter pleinement des opportunités de la période de transformation que nous vivons. En quoi est-il si important de savoir quitter sa zone de confort et de faire le choix de l’audace, en période de crise ? N’est-ce pas justement pour tourner le dos au modèle traditionnel d’agence, dont nous venons de parler, que vous avez choisi un modèle hybride, entre cabinet de conseil et agence de com’ ?

Marion Darrieutort : Tourner le dos, pas forcément, car il ne s’agit pas non plus de renier l’essentiel de cette vie professionnelle qui m’a permis d’écrire, avec mes équipes, de vrais succès avec ELAN, en mode entrepreneure, puis avec Elan Edelman, en mode intrapreneure.

En revanche, je crois fondamentalement que le modèle traditionnel d’agence rencontre des limites en effet. Le modèle de développement fondé sur le volume est-il vraiment tenable ?

A mes yeux, cette course à la croissance, aux ratios financiers, au +X% à chaque fiscal year n’est pas tenable : elle implique forcément des sacrifices pour les collaborateurs, qui finissent par vivre une perte de sens, par ressentir une pression du delivery qui peut amener à ne plus aimer leur métier…

Et les clients le ressentent, se plaignent… tout en entretenant parfois eux-mêmes cette course infernale… La question est donc de voir comment on peut être plus dans un modèle de valeur. Je cherche la bonne recette ! Cela serait un modèle composé du mode cabinet de conseil pour sa rentabilité, du mode agence pour sa capacité d’idéation, et du mode de coopérative pour l’attention portée au capital humain. Bref, c’est une quête qu’on va en effet essayer de mener chez Arcane.

Le BrandNewsBlog : Et pour vous Assaël, en ce qui concerne les études en marketing et en communication, quelle est la tendance en ce début 2021 ? Les entreprises et les institutions maintiennent-elles leurs budgets et continuent-elles d’investir ? Et si oui, sur quels types de sujet ? Quelles sont leurs préoccupations après plus d’une année de crise ?

Assaël Adary : Le secteur a été impacté assez frontalement et assez durement. Un de nos leaders, BVA, par exemple, est passé par une phase de faillite avant de rebondir, ce qui est une bonne chose pour notre secteur. Néanmoins, la tendance est plutôt positive : les annonceurs investissent moins dans leurs actions mais davantage dans leur monitoring.

C’est le fameux « Mieux vaut moins, mais mieux » prononcé par Lénine en 1923.

Mais les annonceurs comprennent que ce n’est pas en pleine tempête qu’il faut abandonner son sextant, son GPS, bref tout ce qui permet à un Dircom de naviguer sans trop de dégâts.

Trois sujets sont en haut des préoccupations :

  • La prise de pouls du corps social. L’interne devient ou redevient le centre des attentions et c’est une très bonne chose. Nous enchaînons les mesures sur l’état du climat interne, l’état psychologique des collaborateurs (la QVP et les RPS). En premier lieu, celle du management intermédiaire, qui semble être la strate la plus déboussolée par la situation.
  • La mesure de la réputation. Notamment pour les entreprises ayant posé une raison d’être avant la crise, qui aujourd’hui se questionnent sur la perception par leurs parties-prenantes de la réalité de cette singularité. La crise constitue un véritable test des raisons d’être.
  • Enfin, les études d’opinion, assez classiques. Les entreprises doivent aujourd’hui réinitialiser toutes leurs données sur les besoins, les attentes de leurs publics. Chaque secteur est touché, bousculé, car le regard des consommateurs/citoyens change (durablement ? On ne le saura que plus tard). Les entreprises doivent rebâtir une grande partie de leur base de connaissance de leurs publics.

Le BrandNewsBlog : Nous en échangions tous les deux en fin d’année dernière Marion, malgré (ou à cause de) la crise sanitaire, les communicant.e.s ont su se réinventer et innover, en adaptant leurs organisations et leurs modes de fonctionnement, en produisant de nouveaux formats et contenus créatifs à « ISO budget », en accélérant encore la digitalisation et la dématérialisation, en informant de manière sobre et factuelle et en trouvant les bons canaux de com’, en apportant du sens, du lien et du « care ». N’est-ce pas encourageant pour l’avenir de la filière com’ ? Quels sont encore les progrès et à accomplir, et quelles limites au « tout-digital » dans nos métiers ?

Marion Darrieutort : J’ai en effet été bluffée par la façon dont la profession, toutes disciplines de communication confondues, s’est saisie de la crise pour innover et inventer, alors même que les contraintes financières et opérationnelles sont vraiment complexes.

Les services et agences évènementielles se sont convertis à marche forcée aux formats digitaux, en devenant des maisons de production, créant des contenus de qualité. Le social media s’est mis en mode « social selling », avec beaucoup de résultat.

La communication interne a joué avec succès la carte de l’employee advocacy… Donc oui, c’est encourageant. Il n’y aura pas de retour en arrière, et le digital restera majeur. Mais les marques et les entreprises vont avoir besoin de préparer l’après, le « back to normal »… Il y aura une envie de retrouvailles que les agences événementielles vont pouvoir adresser. Il y aura aussi une rationalisation du recours aux influenceurs, car on a pu en constater les excès. Et il y aura l’émergence d’une « nouvelle publicité » dont on commence seulement à voir émerger les contours.

Assaël Adary : Attention au tout digital, nous en voyons les limites actuellement : la saturation. Par ailleurs, tant que le digital n’est pas pleinement engagé dans une démarche de réduction de son empreinte carbone, il n’est pas du tout synonyme d’engagement écologique. Digitaliser des campagnes plutôt que de faire du print génère plus d’impact pour la planète (cf. les données de l’ADEME, par exemple le document La face cachée du digital).

Sur ce sujet, il faut regarder les contenus de Digital For The Planet, une association que soutient Occurrence.

Enfin, n’oublions pas qu’en France, 20% environ de nos citoyens ont un accès très compliqué aux interface digitales, c’est ce que l’ex-ministre Mounir Mahjoubi appelait « l’illectronisme »… Donc « care » et digital ne sont également pas synonymes. Il en va de même pour la communication interne. La digitalisation des dispositifs de communication conduit très souvent à couper des pans entiers de collaborateurs qui se retrouvent sans un accès simple à l’information. Nous le constatons dans nos études : les journaux envoyés au domicile bénéficient de taux de lecture de plus de 80% alors qu’une newsletter interne est performante quand elle parvient à être ouverte par 30% des collaborateurs.

Mais il ne s’agit pas de renier l’apport digital. L’affirmation que je défends est la suivante : le care, le sens, la créativité doivent être au service de la performance de la communication ; c’est-à-dire au service du récepteur, de l’audience, des publics. Le premier enjeu pour un communicant est de se soucier, de considérer son ou ses publics et de produire des contenus dans les formats qui permettent le plus large accès, qui maximisent son attention et qui génèrent de la crédibilité.

Le BrandNewsBlog : Pour en avoir discuté avec l’un et l’autre à plusieurs reprises en 2020, vous soulignez que la crise a donné une épaisseur stratégique et une reconnaissance inédite aux marketeurs.euses et aux communicant.e.s en entreprise. Mais pour développer encore cette reconnaissance, vous insistez sur le fait que les professionnels doivent se mettre encore davantage au service du business, et développer leur ancrage stratégique et sociétal. Pourriez-vous expliciter ces points ? En quoi et comment renforcer encore la dimension commerciale et business ?

Assaël Adary : Simon Sinek, le fameux créateur du « Start with Why », a parfaitement défini le sujet. Les consommateurs n’achètent pas « ce » que vous fabriquez, ni même « comment » vous le fabriquez mais ils achètent le « pourquoi » vous le fabriquez. Ce qui distingue la réussite insolente d’Apple et sa rentabilité face à d’autres groupes de la tech, c’est qu’ils vendent leur raison d’être directement dans leur produit, et cela sans changer de cap depuis l’iconique campagne de 1984 pour le 1er Macintosh.

La raison d’être se confond avec la raison de faire et la raison d’avoir : tout en un.

L’entreprise fait ce que lui dicte sa raison d’être, ni plus ni moins. Elle rend visible, palpable sa raison d’être dans ses produits. Et le consommateur veut posséder une partie de cette raison d’être même si ce n’est que dans une paire d’AirPods. Et tout cela avec une marge colossale car la marque est si puissante qu’elle génère ce que les financiers anglosaxons appellent le Goodwill : une sur-valeur, la valeur de la marque. Les consommateurs sont prêts à payer plus cher pour « avoir » une partie de cette raison d’être, je dirais même pour « en être ».

La marque est donc bien un énorme booster du business et plus encore de la rentabilité ! Elle accélère les ventes et maximise les profits. La marque est le principal actif d’une entreprise. La marque représente bien souvent plus de 60% de la valeur d’une entreprise.

Quand Kering (à l’époque PPR) rachète le groupe PUMA, la valorisation et in fine le chèque représentent le double de la somme des actifs matériels. Pourquoi ? Car la marque vaut autant à elle seule que tous les actifs matériels réunis.

Et qui protège, fait fructifier cet actif au-dessus de tous les autres ? Les communicants et les marketeurs ! Je propose donc que tous les communicants revendiquent une prime indexée sur la valeur immatérielle de la marque de leur entreprise :) C’est dans la marque que vient se révéler la vérité du business et la véritable adéquation sociétale de l’entreprise. Le pilotage de la réputation est l’affaire des communicants, ils sont donc au cœur du business.

Marion Darrieutort : Nous les communicants devons revendiquer que la communication est une fonction stratégique de la gestion d’une entreprise.

Nous ne sommes pas que les experts des « bons tuyaux » (site web, presse, réseaux sociaux…). Notre métier apporte une vraie valeur ajoutée aux enjeux de compétitivité. Donc nous devons être invités à la table des comités exécutifs pour éclairer les discussions qui portent sur les évolutions business de l’entreprise.

Nous sommes capables de plugger du « software » à du « hardware » car nous avons une réelle compréhension des mutations sociétales, nous sommes capables de capter des signaux faibles qui vont impacter l’avenir d’une entreprise et nous sommes en lien avec de nombreuses parties prenantes.

La communication comme fonction stratégique est en train de s’installer, on peut s’en réjouir. Notamment quand on voit les communicant.e.s prendre des fonctions davantage business (directeurs de business units), des fonctions transversales (direction de l’innovation, directeur de l’éthique), ou encore des fonctions de pilotage managérial (secrétaire général).

Le BrandNewsBlog : Je viens de mentionner l’importance du « care » et de développer l’ancrage sociétal des entreprises et des marques, qui n’ont cessé en 2020 de chercher à démontrer leur utilité… Comment les communicant.e.s peuvent-ils y contribuer ? Et comment concilier les objectifs business de relance ou de reconquête, que nous venons d’évoquer et ce souci accru de l’environnement et de l’engagement sociétal : les deux objectifs sont-ils réellement compatibles ? Et si oui à quelles conditions ?

Marion Darrieutort : 2020 a vu l’émergence de nombreuses marques et entreprises qui ont décidé de s’engager pour apporter une contribution à la résolution de la crise.

Certains y ont vu de l’opportunisme. Moi, j’y vois de la sincérité, en tout cas j’ai envie d’y croire et de toutes façons, ça fait du bien à tout le monde !

Les marques et les entreprises entrent de plain-pied avec cette crise dans l’ère de l’engagement. Et je pense que l’engagement est un vrai levier de la résilience. S’engager, cela permet d’oublier un traumatisme, d’avancer, de construire, de tourner une page. Alors oui, il faut concilier tout cela avec les enjeux de performance et les impératifs business. C’est tout le challenge. Mais je pense que nous sommes dans une époque où c’est le sens de l’histoire que les engagements sociétaux soient des leviers de performance financière et extra-financière.

Assaël Adary : C’est la question qui est frontalement posée à notre secteur, et il serait trop facile de dire qu’elle n’est posée qu’à la publicité. Comment concilier la transition écologique et nos activités de communication ? Et au-delà du cataclysme du climat qui demeure la mère de tous les combats, comment les concilier avec toutes les autres batailles sociétales : la diversité, l’égalité des chances, la précarité, etc. ?

La communication doit s’attaquer à cet Himalaya par deux faces.

Le premier chemin est très opérationnel, plus simple, mais il va demander des efforts réels. Il s’agit de changer fortement nos pratiques, notre manière de faire. En premier lieu, intégrer l’éco-socio conception dans 100% de nos réalisations. En matière de print, d’événementiel ou dans le digital, plus aucune production sans ces deux enjeux d’éco-socio conception !

J’associe socio- à éco- pour ne jamais oublier que la fin du monde et la fin du mois sont des questions indissociables …Faire un support qui génère 0 émission de carbone est formidable mais si pour le produire vous payez vos freelances à 200 jours fin de mois en les plaçant en situation de précarité, vous n’êtes clairement pas socialement engagés !

Le deuxième chemin, beaucoup plus transformatif, presque politique et plus idéologique, consiste pour la communication à modifier son logiciel de fonctionnement et à proposer à la société un nouvel imaginaire du bonheur. Aujourd’hui, bonheur rime avec croissance, accumulation, consommation et soyons honnêtes, la communication, pas seule certes, a fabriqué cet imaginaire depuis des décennies.

Serons-nous capables de construire et de propager un autre imaginaire ? Une agence sera-t-elle en capacité économique de refuser un client qui ne correspondrait pas à cet enjeu ? Un Dircom sera-t-il capable d’avoir assez d’influence pour infléchir certains messages ou contenus dans ce sens ?

Plus notre secteur sera fort et légitime, plus nous pourrons peser dans cette transformation durable.

Le BrandNewsBlog : Dans la dernière édition du Communicator Assaël, vous consacrez une place toute particulière à la communication responsable. Quels en sont les principes ? En quoi est-elle si importante et liée également aux engagements environnementaux et sociétaux des entreprises ?

Assaël Adary : La communication responsable n’est pas un concept nouveau, j’avais déjà introduit cette notion dans le Communicator 8 et je milite pour ce sujet depuis 2010, notamment au sein de Com-Ent via l’application de la norme ISO 26000 aux métiers de la communication.

Sous l’impulsion de plusieurs associations professionnelles, nous avons créé cette boîte à outil. Elle existe depuis 2012 mais comme cela est expliqué dans cet article, elle est trop peu utilisée.

Bonne nouvelle néanmoins, cette pratique prend beaucoup d’ampleur depuis quelques années. Consécration, l’ADEME vient de publier (janvier 2020) un guide de 200 pages dédiées au sujet !

Concrètement, comment résumer la communication responsable ?

Elle repose sur trois piliers :

  • L’honnêteté des contenus : leur véracité (et oui les communicants doivent aussi être des fact-checkers, nous ne sommes pas que de tuyaux) ; leur authenticité ; leur intégrité (la dimension éthique et morale), par exemple la non-propagation des stéréotypes.
  • L’éco-socio conception de nos actions… donc pas uniquement la dimension écologique mais aussi sociale, comment nous payons nos fournisseurs, organisons nos appels d’offre, comment nous intégrons dans nos arbitrages les choix et les normes RSE
  • L’écoute des parties prenantes dans les processus de création et de production des contenus de communication.

Il s’agit ni plus ni moins de poser les bases de l’utilité de la fonction communication. Avant de soutenir l’utilité des marques, de persuader les publics de la réalité de la raison d’être des entreprises, la communication doit déjà démontrer et amplifier sa propre utilité !

La communication responsable est certainement le nouveau logiciel de fonctionnement de nos métiers, celui qui nous permettra de repenser nos pratiques pour plus d’utilité sociétale et certainement aussi celui qui nous permettra de rendre plus attractifs nos métiers pour les jeunes générations !

Le BrandNewsBlog : 1) Continuer à informer, 2) maintenir le lien avec les différents publics et les parties prenantes, 3) Démontrer l’utilité de sa/ses marques sont les 3 priorités les plus cités par les communicant.e.s pour 2021. Et pour se faire, se montrer à la fois « agiles » et « frugaux », « malins » et « responsables », tout en se mettant davantage encore au service du business et de la stratégie sont les pistes qui font consensus. Etes-vous d’accord sur ces leviers de résilience pour 2021 ? Auriez-vous d’autres conseils à donner aux communicant.e.s et marketeurs.euses pour les mois à venir ?

Assaël Adary : Pour plagier Pierre Rabhi, il va nous falloir inventer de nouvelles pratiques dans le cadre d’une sobriété heureuse. Nous entrons pour au moins pour 12 ou 24 mois dans une forme de frugalité des moyens, c’est une certitude.

Pour moi, la résilience passera surtout par l’efficience ! Il va falloir questionner chaque investissement en communication au travers de son « rendement », de sa performance, performance qui n’est pas qu’économique, elle peut être sociétale !

« Performance » va devenir le suffixe de tous les autres qualificatifs : malin ET performant, responsable ET performant.

J’y vois une véritable opportunité pour les communicants de reprendre la main sur leur stratégie : mieux arbitrer, mieux allouer des ressources en baisse, jouer pleinement son rôle d’expert et de conseil, être en capacité de dire « non » à certaines injonctions, etc.

Bref, nous sommes peut-être à l’aube d’une fonction communication plus mature, encore plus experte, plus responsable, plus reconnue et légitime. Et si cette crise produit ces effets, elle n’aura pas été totalement vaine…

Marion Darrieutort : Tous ces leviers sont très pertinents. Et c’est déjà un beau programme !

J’ajouterais peut-être le fait d’oser sortir des clous, de faire le pas de côté, d’accepter parfois d’être dans une logique de « coups » pour être un peu moins dans le tout scolaire, processé, planifié…

Car dans les périodes de crise, tout bouge : les lignes, les positions, les postures… Et il faut surveiller ces mouvements car il y a parfois des places à prendre dans les petits espaces qui se libèrent.

 

 

Notes et légendes :

(1) Marion Darrieutort, fondatrice du cabinet ELAN, puis Présidente de l’agence ELAN Edelman, a récemment créé fin 2020 le cabinet The Arcane. Ardente avocate, depuis des années, de l’engagement sociétal des entreprises et des marques et passionnée par les questions de raison d’être et de brand purpose, elle est également co-présidente de l’association Entreprise & Progrès.

(2) Assaël Adary, personnalité également bien connue des communicant.e.s, est Président du cabinet Occurrence ; Secrétaire général de l’association de communicant.e.s Com-Ent ; Président des Alumni du Celsa ; auteur de nombreux ouvrages de référence sur la communication et co-auteur du célèbre Communicator, dont il a supervisé plusieurs éditions (dernière édition en date : Communicator 9).

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, Marion Darrieutort, Assaël Adary, The BrandNewsBlog 2021, X, DR.

La rentrée dans le viseur de… Sophie Palès, Déléguée générale de l’Afci

Vous savez, et je n’ai cessé d’en parler dans les colonnes de ce blog depuis des mois, quel rôle éminent les communicants ont joué au sein des entreprises depuis les prémices de la crise sanitaire.

Premiers relais (et parfois traducteurs) des directives gouvernementales, mais aussi et surtout porteurs des décisions et consignes de leur direction générale, ils ont fait preuve de réactivité, d’agilité et d’une créativité sans pareille pour maintenir le lien avec l’ensemble des parties prenantes leur organisation…

Une prouesse parfaitement illustrée cette semaine par les témoignages de Thierry Orsoni (Club Med) et Emmanuelle Raveau (EY) notamment.

Parmi les plus équipes les plus fortement mobilisées, dès le mois de février, les communicants internes ont du répondre à des situations et des enjeux multiples et évolutifs, depuis l’accompagnement de la mise en place du confinement jusqu’au retour sur site des collaborateurs en chômage partiel ou en télétravail, en passant par la gestion du « déconfinement » progressif et très encadré imposé aux entreprises…

Pour revenir sur ces différents défis et nous projeter sur les enjeux de cette rentrée et des mois à venir, auxquels seront nécessairement confrontés les communicants d’entreprise, j’ai choisi d’interviewer aujourd’hui Sophie Palès, Déléguée générale de la très dynamique Afci (Association française de référence en Communication interne).

Comme nous l’explique Sophie, son association a su durant les mois écoulés répondre avec réactivité et inventivité à toutes les questions et interrogations de ses adhérents, et se réinventer pour les accompagner au mieux, à distance, dans la résolution de leurs problèmes et la gestion de cette crise majeure. 

Gageons cependant – et Sophie ne nous dit pas le contraire – que les communicants et l’Afci auront encore beaucoup à faire dans les mois à venir, tant les défis des crises désormais combinées (sanitaire et économique) demeurent importants et l’incertitude forte.

Bonne lecture à tous et mille mercis encore à Sophie pour sa disponibilité et ses éclairages experts !

Le BrandNewsBlog : Bonjour Sophie. Avant l’été, nous avons eu une première occasion d’échanger ensemble sur le rôle très actif joué par les communicants internes durant la crise sanitaire. Hyper-sollicités au sein de leurs entreprises et de leurs organisations depuis le mois de mars, ont-il enfin pu souffler ces deux derniers mois ? Et dans quelles conditions vont-ils.elles attaquer cette rentrée ? Quels seront leurs principaux défis ?

Sophie Palès : Bonjour Hervé. En effet, les communicants dans les organisations ont été très sollicités au plus fort de la crise, car ils ont du notamment accompagner les nouvelles modalités de travail (chômage partiel, mise en place du télétravail…) ainsi que la mise en œuvre des contraintes sanitaires que l’on connaît. Les enjeux étaient alors de réagir vite, de diffuser la bonne information à la bonne personne et au bon moment, malgré la dispersion des équipes et des équipements parfois hétérogènes. Par la suite, les enjeux de communication interne ont évolué vers une dimension beaucoup plus relationnelle. C’est d’ailleurs un des bénéfices inattendus de cette crise : elle a donné un coup d’accélérateur à la mutation de la communication interne, tout en démontrant la dimension stratégique de notre métier.

Les adhérents de l’Afci, comme tous les professionnels qui ont travaillé à distance avec une charge lourde, sont sortis très fatigués des deux mois de confinement que nous avons vécu. La période pré-estivale a ensuite été marquée par un semblant de retour à la normale, avec la reprise de projets de fond et la volonté de prendre à nouveau de la hauteur et non plus seulement de gérer l’urgence.

Mais ces derniers mois ont aussi été marqués par une grande incertitude, toujours présente en cette rentrée, assortie de la menace d’une crise économique qui ne fait que commencer. Nos adhérents sont évidemment très concernés par cette menace, à la fois en tant que salariés et en tant que communicants, en charge d’accompagner les changements successifs et les annonces.

Les grands défis des semaines à venir s’inscriront donc dans la continuité des mois écoulés : il s’agira d’accompagner la digitalisation du travail, de consolider les collectifs de travail, d’ancrer les pratiques de gestion de crise dans le temps, d’accompagner les managers dans leur mission de garant du lien social… dans un contexte certainement plus « tendu » lié à la crise économique, avec de probables réductions budgétaires et d’effectifs au sein des organisations.

Le BrandNewsBlog : Nous n’avions pas évoqué ce point lors de votre interview croisée avec Jean-Marie Charpentier, mais l’AFCI, première association française de communicants d’entreprise, a elle même été très impactée par la crise sanitaire. Alors que vous aviez l’habitude d’organiser de nombreuses rencontres et formations en présentiel, il vous a fallu revoir complètement votre organisation et vos modalités d’action depuis le mois de mars. Comment avez-vous réussi à accompagner vos adhérents durant cette période et à surmonter cette crise ?

Sophie Palès : Oui, nous avons dû nous adapter nous aussi très vite et imaginer de nouvelles manières d’aider nos membres à se professionnaliser, à échanger, à s’entraider. Fort heureusement, notre équipe de la délégation générale était déjà prête d’un point de vue technique pour télétravailler.

Très rapidement, nous avons pu réfléchir avec le Bureau de l’association aux apports qui seraient les plus utiles et les plus pertinents pour nos membres dans cette période inédite. Nous avons mis en place des ateliers d’échanges de pratiques en ligne, des webinaires de témoignages d’adhérents, donnant notamment la parole à ceux qui étaient les mieux préparés à la gestion de crise, mais aussi des ateliers inspirés du codéveloppement pour résoudre ensemble des problématiques métiers… Tout cela en utilisant les outils digitaux à notre disposition bien sûr.

Dans cette période incroyable, le rythme s’est considérablement accéléré. Nous avons donc produit une newsletter hebdomadaire pour tenir nos membres informé.es des nombreuses activités proposées, de nos publications, et mis en place des fiches de partage d’expérience. Et nous avons dédié notre veille presse hebdomadaire à la crise. C’était déjà un service très apprécié par nos membres, mais durant cette période, nous avons battu tous les records de consultation ! Il y avait une production médiatique tellement abondante que le travail de curation réalisée par l’équipe apportait une indéniable valeur ajoutée à nos membres

Enfin, nous ne serions pas l’Afci si nous n’avions pas rapidement ressenti le besoin d’analyse et de prise de recul, même au cœur de la crise. C’est ainsi que nous est venue l’idée de lancer de nouveaux formats, propices à cette analyse et cette prise de recul, comme une série de podcasts lancée pendant le confinement.

En résumé, je crois que nous avons su nous adapter rapidement et répondre aux attentes de nos membres durant cette période délicate. Leurs messages de remerciement pour les actions entreprises et leur fidélité pour la saison à venir en sont d’ailleurs des preuves gratifiantes.

Le BrandNewsBlog : Au fil des mois Sophie, la crise a progressivement changé de nature et les enjeux en matière de communication interne ont évolué. Là encore, quelle aide apportez-vous à vos adhérents et quels dispositifs spécifiques mettez-vous à leur disposition en cette rentrée ?

Sophie Palès : On l’a vu, le travail à distance s’installe durablement dans les entreprises et la menace d’une « deuxième vague » de l’épidémie se fait de plus en plus précise. Après une période de « tout distanciel » acharné, où l’on a complètement perdu les petites conversations de la machine à café, nous voici maintenant dans une période hybride.

Les contraintes de distance physique imposent une limite à la fréquentation des locaux des entreprises, avec une limite de 50 à 60% des effectifs présents simultanément. A l’échelle d’une équipe, il y a donc bien souvent des rotations qui se sont mises en place, pour assurer des permanences ou être sûrs de se retrouver certains jours. Mais quoiqu’il en soit, il y a toujours ce besoin de se réunir avec des personnes présentes sur place et d’autres à distance. Il faut donc apprendre à gérer des réunions mi-présentielles, mi-distancielles… ce qui n’est pas si simple, et engendre souvent incompréhensions et frustrations. Cela devient un véritable enjeu pour les managers et donc pour les communicants internes.

Dans la pratique, nous évoluons encore dans un environnement très incertain et ne sommes pas en mesure d’anticiper quelles pourront être les consignes à suivre pour cet automne et cet hiver. Nous avons donc fait le choix de ne pas organiser d’activité présentielle jusqu’à fin 2020.

Toutes nos activités auront lieu en ligne, sous différents formats, ce qui favorise la participation et l’implication de tous nos membres, où qu’ils.elles soient. Et bien entendu, tous les thèmes traités le seront avec le prisme de la crise que nous traversons : espaces de travail et organisation du travail, raison d’être, communication managériale, communication interne de crise et mutations, etc.

Ce contexte amène aussi les administrateurs de l’Afci, qui s’impliquent fortement dans l’organisation de nos activités, à imaginer de nouvelles modalités de traitement de nos sujets. De ce point de vue, la période est certes difficile, mais très propice à l’innovation.

Il en va de même pour notre offre de formation. Nous continuerons assurément à organiser des sessions présentielles, mais nous proposons également tout notre catalogue à distance. Et cela est très apprécié des professionnels, membres ou non de l’association, qui sont en région ou à l’étranger.

Le BrandNewsBlog : Pour une organisation professionnelle de premier plan comme la vôtre, qui vit par et pour ses membres, en organisant habituellement de nombreux évènements, comme nous venons de le dire, quels leçons et enseignements tirez-vous de cette période à la fois passionnante et épuisante ? Comptez-vous faire évoluer durablement votre « modèle », entre échanges et formations à distance et rencontres en présentiel ? Les outils tels que « Zoom », « Teams » et autres peuvent-ils répondre à tous les besoins et quel est votre bilan de leur impact dans votre activité ?

Sophie Palès : Cette évolution était chez nous en gestation depuis déjà quelque temps déjà. Au démarrage de notre nouvelle saison, en juillet 2020, nous avons donc lancé une nouvelle formule d’adhésion unique et tout compris. Les adhérents ont désormais accès à toutes nos activités, en ligne et en présentiel, ainsi qu’à toutes nos publications et à leur réseau de pairs, si précieux. Cela signifie que tous les membres, quelle que soit leur localisation, bénéficient des mêmes services. Les premiers retours suite à cette simplification, notamment de la part de nos adhérents en région, sont très positifs !

L’autre grand changement de la période, c’est l’enrichissement de cette offre mixte « présentiel-distanciel » que nous proposons et que nous allons très certainement continuer à faire évoluer en fonction des attentes des adhérents. Quoiqu’il arrive, notre conviction reste pourtant que la rencontre demeure essentielle pour une vraie qualité relationnelle. Les adhérents l’apprécieront d’autant plus lorsque nous pourrons à nouveau organiser des réunions.

Le BrandNewsBlog : En complément des outils d’échanges et d’information que vous proposiez déjà à vos membres, vous venez de nous dire que vous avez lancé de nouveaux formats durant les mois écoulés, tels que les podcasts. Quels en étaient les objectifs et qu’apportent-ils, dans la panoplie des supports dont vous disposiez déjà ? Cette nouveauté a-t-elle séduit vos membres ?

Sophie Palès : En effet, la période a été féconde en nouveaux formats. Et je suis particulièrement fière de cette série de podcasts que nous avons lancée, Conversations. Il s’agit d’entretiens avec des experts, souvent universitaires, sur les enjeux du moment : Thierry Libaert sur la communication de crise, Nicole d’Almeida sur l’évolution du positionnement de la communication, Denis Maillard sur le collectif de travail, Aurélie Dudézert sur la place du digital dans le travail… Cette série a été très appréciée et demeure accessible en ligne à tous les membres de l’association.

Nous avons aussi prévu de publier dans les prochaines semaines un hors-série des Cahiers de la communication interne dédié à la crise. Nos lecteurs y retrouveront les points de vue d’experts autour des enjeux de communication interne liés à la crise, ainsi qu’une analyse de la situation et une ouverture vers l’après crise, assortis de conseils et de recommandations pour se préparer au nouveau paysage qui nous attend. Nous avons également demandé à des communicant.e.s de réagir avec leur regard et leur expérience de terrain… Bref : en examinant les défis de la crise actuelle, ce numéro spécial permettra d’en tirer tous les enseignements et de se préparer aux crises futures, il s’agissait donc d’un exercice indispensable à nos yeux.

Le BrandNewsBlog : Nous le disions à l’instant : la rentrée s’annonce riche pour les communicants internes. Quels sont / quels seront les prochains rendez-vous à ne pas manquer pour l’AFCI, au mois de septembre et d’ici la fin d’année ? A l’issue de la crise sanitaire que nous traversons – si tant est que celle-ci s’achève bientôt – comptez-vous par exemple lancer une enquête sur le vécu et l’évolution des pratiques des communication de vos membres ?

Sophie Palès : Oui, la rentrée s’annonce riche, avec des rendez-vous en ligne pour les nouveaux membres, le 11 septembre notamment. Et ensuite différentes activités en ligne : le 2 octobre sur le thème « Espaces de travail et organisation du travail », le 8 octobre sur les « enjeux de communication managériale » et des formations sur l’accompagnement du changement, les fondamentaux de la communication interne, la mise en place d’un réseau de correspondants, etc.

Nous réalisons régulièrement des enquêtes auprès des adhérents sur différents aspects de leur métier. Un bilan de la période me semble en effet utile pour évaluer ce qui a changé brutalement et ce qui va s’inscrire dans la durée pour les communicants internes. Nous en reparlerons sans doute cet automne.

 

 

Crédit photo : Photo de Sophie Palès par V. Colin

Etude Afci : la communication interne au coeur des enjeux de transformation (et de communication) de demain

J’en faisais la remarque il y a quelques mois à Sophie Palès (Déléguée générale de l’Association française de communication interne) ou bien encore à Guillaume Aper (Directeur adjoint de la communication du Groupe JCDecaux et Administrateur de l’Afci) : contrairement à de nombreux dircom et à beaucoup de communicant.e.s « externes », la plupart des communicant.e.s internes demeure à mon sens assez peu visible sur les réseaux sociaux et faiblement identifiée en dehors des entreprises qui les emploient…

A tel point que durant plusieurs années, il m’a été difficile d’alimenter la catégorie dédiée de ma liste des « Twittos du marketing et de la communication à suivre »¹. Et que j’ai parfois du mal, encore aujourd’hui, à identifier la ou les personnes en charge de la com’ interne dans telle ou telle organisation.

Question de culture sans doute, mais aussi de philosophie et de réserve liées aux spécificités du métier : cette discrétion est tout sauf anodine… Et si elle est tout à l’honneur de la profession (j’en reparlerai plus loin), elle peut expliquer aussi le manque d’exposition dont elle a pu souffrir et dont il lui arrive parfois encore de pâtir.

Ayant toujours eu pour ma part la plus grande admiration pour les communicant.e.s internes, et considérant depuis des lustres la discipline comme stratégique, je n’étais pas peu fier – et réjoui – d’en voir les représentants s’afficher aussi nombreux mardi dernier, à l’anniversaire des 30 ans de l’Afci².

Pour l’occasion, il faut dire que l’Association de référence de la com’ interne avait mis les petits plats dans les grands, avec un programme festif à la hauteur de l’évènement, et des animations très réussies. Mais c’est également du côté des contenus présentés, préparés avec minutie, qu’il y avait matière à se réjouir, avec le partage de vidéos de nombreux experts, une fresque retraçant les temps forts des 30 années écoulées, et la publication de livrables passionnants… A commencer par une étude en 3 volets extrêmement complète sur le métier de communicant interne, ses enjeux et ses perspectives, complétée par un numéro spécial des excellents Cahiers de la communication interne³.

De quoi donner du grain à moudre et une très riche matière à réflexion à votre serviteur… Car si l’avenir de la communication interne semble assuré et ses perspectives de développement plutôt prometteuses, le métier n’en est pas moins « en tension et en mouvement », structurellement sous-investi par les directions générales au regard des enjeux de transformation actuels et à venir, et « à la croisée des chemins » quant à son évolution…

Parvenu à un tel carrefour, c’est une véritable aubaine que de disposer d’une étude aussi bien ficelée et exhaustive que celle livrée la semaine dernière par l’Afci, combinant à la fois une photo du métier tel qu’il est pratiqué aujourd’hui et une projection éclairée sur les défis à venir… Un vade-mecum indispensable à tout communicant en somme, que je vous propose de synthétiser aujourd’hui sur le BrandNewsBlog.

Une étude de référence pour toutes celles et ceux qui s’intéressent, de près ou de loin, à la communication interne

S’il m’est arrivé, à plusieurs reprises dans les colonnes de ce blog, d’écrire au sujet de la communication interne et de vous faire part de mes constats et recommandations (voir notamment ici ou ), qui de mieux placé que l’Afci pour mener cette grande étude de synthèse sur la communication interne et les communicant.e.s d’entreprise, qui a le grand mérite « d’objectiver » les perceptions et tendances relevées par les uns et les autres ?

Association de référence pour tous les professionnels de la communication interne depuis maintenant 30 ans, et qui en a accompagné le développement et les évolutions avec tant de pertinence (en publiant notamment dès 1994 le premier référentiel de la fonction, régulièrement actualisé et complété depuis), l’Association française de communication interne n’a pas lésiné pour cette grande étude en 3 volets, en confiant la réalisation d’une première étape – qualitative – aux psychosociologues Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault. Le second volet (étude quantitative auprès de 367 communicant.e.s internes) avait quant à lui été confié au cabinet d’étude Occurrence et le troisième volet (plus prospectif sous la forme de deux ateliers de co-design) à Harris Interactive, qui a pu compter sur les contributions précieuses d’une vingtaine de communicants, de managers et de salariés.

Et les résultats de ces 3 démarches, accessibles et consultables directement sur le site de l’Afci, sont particulièrement édifiants…

Pour dresser en premier lieu le portrait-robot du/de la communicant.e interne, sur la base des enseignements de l’étude Occurrence, il s’avère tout d’abord que celui-ci est le plus souvent une femme (dans 83% des cas), de plus de 40 ans (dans 63% des cas), employé dans le secteur privé davantage que le public (pour 65% d’entre eux/d’entre elles : voir l’infographie ci-dessous). Il.elle travaille souvent au sein d’un service communication (dans 39% des cas, les autres rattachements pouvant être la DRH ou directement la direction générale), pour une structure de plus de 2 000 salariés dans 54% des cas, les structures de moins de 2000 salariés concentrant les 46 autres % des communicant.e.s internes.

Complétant cet aperçu purement statistique, les résultats passionnants de l’étude psychosociale de Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault nous enseignent aussi que la majorité des communicant.e.s internes le deviennent rarement dès la sortie de leur formation initiale… Ils.elles rejoignent la fonction après des trajectoires généralement atypiques au sein des entreprises, montrant des « hésitations, des bifurcations au gré de rencontres et d’opportunités. »

Ainsi, si l’ouverture d’esprit, l’intérêt pour les matières littéraires ou le goût pour les voyages et les cultures différentes, de même que la capacité à s’impliquer dans leur mission, semblent constituer des dénominateurs communs pour la plupart de ces professionnel.le.s, leurs parcours n’ont en général rien de linéaire.

Et ils n’en sont pas moins investis dans leur travail, au contraire ! Les 2 volets de l’enquête – quali et quanti – démontrant justement qu’une fois dans ces fonctions, une majorité de communicant.e.s internes y trouve du sens (80% d’entre eux.elles étant satisfaits sur ce point), mais également de véritables marges de manoeuvre et une réelle autonomie (pour 88% d’entre eux.elles) malgré la charge de travail, la lourdeur des circuits de validation ou la faiblesse des moyens budgétaires consacrés à la com’ interne (voir schéma ci-dessous).

Ainsi – et c’est sans doute ce qui me les rend si attachants je vous l’avoue – quels que soient les aléas de leurs parcours et les difficultés de leur quotidien, l’étude Afci dresse le portait de passionnés, dont les niveaux d’engagement dans leur mission et dans leur entreprise pourraient être pris en exemple par bien des DRH, comme le confiait avec humour dans son speech introductif la Présidente de l’Afci, Ingrid Maillard.

De quoi tirer une légitime fierté du métier, confirmée par les propos de Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault : « Le sentiment domine d’être différent, pas tout à fait dans la norme d’une trajectoire bien huilée. Mais lorsque le professionnel réalise, parfois après plusieurs changements de postes, que c’est là son métier, il témoigne bien souvent du sentiment d’avoir trouvé sa place. Certains évoquent ce métier comme une révélation. Le communicant interne est un professionnel qui travaille à donner du sens, par exemple quand il s’attache à donner sens aux fréquents remaniements que connaissent la plupart des organisations ».

Une fonction source de fierté, car porteuse de sens, interconnectée à tous les publics de l’entreprise et au coeur des enjeux de transformation… mais encore sous-investie et faiblement reconnue au regard des enjeux, quand elle n’est pas en souffrance

Plutôt fiers de leurs missions et de leur fonction donc, et bien conscients d’apporter du sens et d’interconnecter entre eux les différents publics de l’entreprise, les communicant.e.s internes n’en sont pas moins lucides (et pour certains résignés) quant aux écueils et embûches qui viennent entraver leur action et leur efficacité au quotidien…

Entre la faiblesse des moyens humains et financiers (pour mémoire, j’évoquais dans cet article la baisse des budgets de communication interne relevée en 2019 par l’association Place de la communication), la faible reconnaissance de leurs missions et de leurs spécificités par rapport aux autres disciplines de la communication (perception qu’on sent poindre dans le volet qualitatif de l’étude notamment) ; la difficulté du travail quotidien avec des circuits de validation complexes et un sous-investissement de certaines directions générales dans la communication interne ; et le sentiment d’accélération du temps qui contraint parfois les communicants d’entreprise à un vraie stakhanovisme éditorial ou à communiquer le changements de manière beaucoup trop précipitée… les axes de progrès demeurent nombreux.  

Dixit Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault, pour illustrer certains de ces écueils : « C’est un métier de conviction. Les professionnels rencontrés expriment un fort attachement à la fonction de médiateur dans les organisations […] Mais pour certains, la fonction semble menacée dans des organisations très verticales ou procédurales. D’autres expriment de la lassitude en raison du développement d’une culture dans laquelle tout est communication et où les demandes sont énoncées sur le mode de l’urgence […] Les communicants internes sont attachés au respect de la temporalité propre à l’appropriation des changements. C’est une composante majeure de leur métier. Or, les organisations sont si mouvantes et les changements quasi permanents qu’il est plus souvent question d’obtenir une adhésion immédiate qu’une appropriation progressive des enjeux. »

Comme le démontre l’infographie ci-dessus, parmi les freins et zones de progrès clairement identifiés, les communicant.e.s internes ont aussi bien conscience de ne pas avoir suffisamment de temps pour accompagner la communication managériale, notamment vis-à-vis des managers de proximité, les plus éloignés des directions d’entreprise et soumis à la pression quand ils ne vivent pas des injonctions paradoxale.

Ainsi, si 63% des communicants reconnaissent le rôle clé des managers dans a communication interne, ils ne sont que 43% à reconnaître les accompagner concrètement dans leur communication de proximité : un regret et un vrai axe d’amélioration pour le futur…

Une transformation digitale plutôt bien appréhendée et intégrée… et une posture de retrait, voire d’effacement volontaire, chez la plupart des communicant.e.s internes

Autre constat confirmé par les deux premiers volets de la grande étude Afci (volets quantitatif et qualitatif), les communicant.e.s internes ou communicant.e.s d’entreprise n’ont pas loupé le train de la transformation digitale.

Ô certes, il reste encore beaucoup à redire et à faire, sur la performance des Intranets-RSE notamment, qui ne s’avère pas toujours au rendez-vous. Ainsi si 92% des communicant.e.s interrogé.e.s reconnaissent que la transformation digitale a été globalement favorable à la communication interne (voir infographie ci-dessous), la performance du réseau social d’entreprise notamment obtient une note globale de 4,9 sur 10 seulement. Evidemment, cette note cache de grandes disparités, entre les entreprises qui ont su faire de leur RSE une plateforme d’échange incontournable et dynamique, comme le groupe JCDecaux, et celles qui n’y sont pas parvenues et connaissent une faible appropriation et de faibles taux d’utilisation de l’outil, voire de consultation de leur Intranet.

Dixit Guillaume Aper, directeur adjoint de la communication de JCDecaux : « Notre groupe, qui compte 13 000 salarié.es répartis dans 85 pays, a fait figure de pionnier avec un réseau social d’entreprise (RSE) lancé dès 2011. Fait plutôt rare, ce réseau a été rapidement utilisé et continue à bien fonctionner. Il a fusionné avec l’Intranet et permis ainsi d’internationaliser l’audience de ce dernier. Le secret de ce succès ? Tout d’abord, notre RSE a répondu dès le début à un véritable besoin. Nos équipes réclamaient une plateforme d’échanges pour bénéficier de la richesse de toutes nos expériences clients à travers le monde. Nous avions préparé une dizaine de communautés témoins qui ont permis de montrer les usages potentiels de ce RSE, et mis l’accent sur l’accompagnement en organisant des formations, des rendez-vous de questions-réponses, etc. Aujourd’hui, nous continuons à accompagner tel ou tel métier pour qu’il devienne producteur de ses propres informations. Le contenu ainsi auto-produit permet à la communication interne de se consacrer à d’autres missions »

Et de fait, comme le pointent Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault, la plupart des communicant.e.s internes a su s’adapter aux innovations techniques et aux nouveaux outils apportés par la révolution digitale sans trop de difficulté apparente, graduellement et progressivement. Ainsi, si plusieurs des professionnel.le.s interrogés par les deux psychosociologues admettent que leur métier reste « assez artisanal », avec une large latitude laissée à l’initiative et à la créativité, ils.elles disent aussi avoir assimilé les innovations et nouveaux outils « sans disqualification et sans difficulté, au gré d’expérimentations souvent décidées par eux-mêmes et non imposés ». Une adaptation facilitée par leur implication active, dès le départ des projets, dans tous les chantiers de refonte des plateformes Intranet et RSE, dont ils.elles sont en général les chevilles ouvrières.

Parallèllement – et sans qu’il y ait de lien particulier avec le constat précédent – Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault ont aussi relevé cette tendance des communicant.e.s internes à demeurer relativement discrets au sein de leur entreprise. J’évoquais ce dénominateur commun en introduction de mon article : d’après les deux psychosociologues, les communicant.e.s internes se placent en effet le plus souvent « dans une posture de retrait, voire d’effacement volontaire, destinée à mettre davantage en lumière les autres acteurs de l’organisation. Ecouter et donner la parole à ceux qui d’ordinaire ne s’expriment pas. Pour certains, cette attention aux autres pourrait fragiliser leur position dans des organisations qui valorisent l’image de la puissance et de la visibilité. D’autres au contraire considèrent que c’est là un élément nodal du métier, centré sur l’écoute et la médiation, qu’il convient de soutenir et d’affirmer ».

Ainsi, si l’accompagnement des salariés dans des démarches d’employee advocacy incite de plus en plus les communicant.e.s internes à « montrer l’exemple » et à sortir de leur réserve et de leur discrétion habituelle, en étant plus actifs qu’auparavant sur les réseaux sociaux à titre professionnel et personnel, ils.elles ne sont pas encore si nombreux à revendiquer leur expertise de communicant.e.s internes dans leurs profils. Pour ne pas se fermer des portes en terme d’employabilité sans doute, beaucoup continuent en effet à se présenter de manière générique sur les réseaux sociaux comme « communicants » ou « responsables communication », sans faire aucunement mention de leur titre ou de leur fonction exacte.

Des perspectives d’avenir assez réjouissantes… pour un métier à la croisée des chemins, qui doit continuer d’évoluer 

Le dernier volet de la grande étude menée par Afci n’est pas le moins intéressant. Confié aux bons soins de la société Harris Interactive, qui a piloté deux ateliers de co-design réunissant une vingtaine de communicants, de managers et de salariés, ainsi que je le notais ci-dessus, il a permis de faire émerger les grandes pistes et futurs possibles pour le métier de communicant interne, autour de 6 challenges parfaitement résumés dans l’infographie ci-dessous.

Ainsi, si les dimensions d’écoute et de partage du sens devraient continuer de contribuer à cette grande mission qui reste de faciliter la compréhension des enjeux et de la complexité, les communicant.e.s internes sont assez nombreux.euses à déplorer qu’on ne leur laisse plus le temps de le faire et qu’on leur demande de plus en plus de présenter une « version simplifiée et édulcorée du monde »… rejetée massivement par les salariés.

Bien conscients de cette difficulté et des dangers du « stakhanovisme éditorial » dans lequel ils se voient parfois enfermés, les professionnels identifient clairement la réhabilitation du temps long comme une autre de leurs priorités, pour mener à bien leur mission d’accompagnement de la transformation de l’entreprise.

Mais tout aussi à l’aise (ou presque) dans cette 3ème mission qu’est l’animation des différents réseaux de communication au sein de l’entreprise, à l’heure où les communicant.e.s ont perdu le monopole de la production et la diffusion des messages sortants, les communicant.e.s internes se voient aussi à l’avenir être des facilitateurs de la créativité et de l’intelligence collaborative au sein de leur organisation, en développant notamment une alliance et un accompagnement beaucoup plus poussés des managers, notamment les managers de proximité, dont ils se veulent plus proches. Cela tombe bien : ces orientations recoupent complètement les évolutions que je suggérais dans mon article sur le passage de la communication interne à la la communication collaborative ! :-)

Enfin, pour soutenir toutes ces missions et actions, il est important pour les communicant.e.s internes de continuer à exploiter au mieux les opportunités du digital, sans oublier de laisser une vraie place aux instances de partage sur le travail et aux évènements permettant une rencontre IRL des collaborateurs.trices, car le numérique ne solutionne pas tout, évidemment. Cette sixième perspective incite aussi les communicant.e.s internes à se remettre en question, en acceptant la porosité croissante de leurs missions avec celles de la communication externe, qui réclame a minima une meilleure coordination – à défaut d’une fusion pure et simple – des équipes. Un chantier de coordination qu’il faut piloter avec doigté, en identifiant les missions spécifiques à la communication interne et à la communication externe et celles qui auraient naturellement vocation à être partagées.

Pour davantage de précisions et un regard très complémentaire sur ce sujet de l’évolution de la communication interne, je vous incite aussi à lire ou relire cet autre article que j’avais écrit sur le sujet : « 5 défis à relever d’urgence pour améliorer votre communication interne ».

 

 

Notes et légendes :

(1) « 450 Twittos du marketing et de la communication à suivre en 2019 », par Hervé Monier – The BrandNewsBlog – 13 janvier 2019 + Suite et fin :450 Twittos du marketing et de la communication à suivre en 2019, The BrandNewsBlog – 17 janvier 2019

(2) L’Association française de communication interne (Afci) fêtait mardi dernier 25 juin ses 30 ans, en présence de nombreux membres et de personnalités de la communication, à la Porte de Versailles à Paris. L’occasion d’une soirée à la fois festive et riche en animations, très appréciée par les participant.e.s.

Les principaux résultats de la grande étude évoquée dans cet article ont été présentés à cette occasion par Ingrid Maillard, Présidente de l’association et Directrice de la communication du groupe DPD.

(3) Les résultats de la grande étude 2019 de l’Afci, ainsi que tous les livrables produits à cette occasion (rapport de l’étude psycho sociale, rapport de l’étude quantitative, rapport sur les ateliers de co-design + Synthèse de la grande étude) sont consultables directement sur le site de l’Afci.

 

Crédit photos et illustration : 123RF, Afci, The BrandNewsBlog 2019

 

 

 

 

Quels enjeux pour les dircom et leurs équipes en 2018 ?

Chaque début d’année, depuis trois ans, je vous propose l’interview croisée de deux dircom, que j’interroge notamment sur l’évolution de leurs missions, sur leur pratique de la communication au sein de leur entreprise et sur les perspectives de nos métiers.

Après avoir mis à l’honneur en 2016* Anne-Gabrielle Dauba, directrice de la communication de Google France et Pierre Auberger, directeur de la communication du Groupe Bouygues ; puis en 2017** Béatrice Mandine, directrice exécutive d’Orange, en charge de la communication et de la marque et Benoît Cornu, directeur de la communication de PMU, c’est au tour de deux nouveaux dircom de nous livrer cette année leur vision.

Et c’est à nouveau à deux professionnels particulièrement appréciés et reconnus que j’ai souhaité donner la parole  : Julien Villeret¹, directeur de la communication Groupe d’EDF, et Anne-Sophie Sibout², directrice de la communication du Groupe Edenred, que je tiens à remercier chaleureusement pour la richesse de nos échanges, pour leur disponibilité et leur réactivité sans faille.

Souvent cités parmi les talents de cette nouvelle génération de dircom qui arrive depuis plusieurs années à la tête des plus grands groupes, ces deux experts nous livrent leur vision avancée des nouveaux enjeux de la communication, la transformation de nos métiers par la révolution numérique étant d’emblée pour eux considérée comme un fait acquis et le « digital » comme une nouvelle compétence à maîtriser par tout communicant plutôt qu’une fonction à part ou une « enclave » au sein des services communication.

Premiers témoins (et parmi les premiers acteurs) de la transformation de leur entreprise, les dircom sont en effet passés ces dernières années d’un statut d’émetteurs, garants de tous les messages de l’organisation à celui de « facilitateurs connecteurs » et de chefs d’orchestre, à l’écoute et au service de tous les interlocuteurs susceptibles de prendre la parole au nom de l’entreprise.

Tout à la fois « vigies ès réputation », managers et pilotes des équipes et des projets de communication, accompagnateurs-enablers et « transformistes », capables de passer en permanence d’un costume et d’une casquette à l’autre, elles.ils n’ont cessé de gagner en crédibilité et en épaisseur stratégique au sein de leur organisation, tout en s’adaptant aux changements permanents qui n’en finissent plus désormais de faire évoluer leur fonction.

Pour leur regard sur ces différentes mutations, et cette vision de la communication qu’ils ont accepté de partager avec les lecteurs du BrandNewsBlog ce matin, merci encore à ces deux dircom exemplaires.

Le BrandNewsBlog : Anne-Sophie, Julien, pourriez-vous tout d’abord me dire quels sont les bouleversements qui ont le plus impacté votre métier ces dernières années ? Et quels sont ceux que vous anticipez dans les mois et années à venir ? En quoi ces bouleversements modifient-ils les comportements des différentes parties prenantes de vos entreprises (consommateurs, citoyens, collaborateurs…) ?

Anne-Sophie Sibout : Je ne suis pas sûre qu’il faille parler en années, tant j’ai le sentiment que notre métier se réinvente chaque jour, que ce soit en termes d’organisation, de positionnement ou d’outils. La digitalisation, dont nous entendons tellement parler, ne veut d’ailleurs rien dire en soi, car elle est éminemment protéiforme. Je crois que c’est avant tout notre posture qui a évolué : le « contrôle de l’information » ne veut plus rien dire, si tant est qu’il ait réellement existé un jour ! Quant à la notion même de médias, elle a été complètement bouleversée avec l’avènement des réseaux sociaux : aujourd’hui, n’importe qui peut en effet créer un contenu et le diffuser… ce qui rend notre métier encore plus passionnant.

Julien Villeret :  Oui, pour ce qui est des changements qui impactent nos métiers, je rejoins évidemment ce que vient de dire Anne-Sophie et je ne prétendrai pas être exhaustif… Que les bouleversements concernent les canaux, les contenus, l’exercice et l’instabilité des métiers de la communication : nous en faisons toutes et tous l’expérience. Sans oublier la contraction de l’espace-temps… Quand un communicant me demande « comment ça va ? », j’aime bien lui répondre : « ça va vite » ! Mais la plus grande évolution à mon sens touche la hiérarchie de l’information : de plus en plus souvent, on a tendance à considérer que les opinions et les informations se valent, voire se confondent. Tout et n’importe quoi, n’importe quelle allégation peut se transformer en « fait » par la seule grâce d’un canal de communication. On pense évidemment au phénomène des fausses infos à visée politique, mais cela va bien au-delà… Les gardiens historiques de l’information, en tout cas de sa véracité – y compris des journalistes – se laissent aller bien plus souvent qu’auparavant à une certaine légèreté au nom de l’audience et permettent du coup aux opinions les plus farfelues de se répandre.

On peut s’en réjouir pour certaines marques et entreprises qui trouvent là une occasion de faire entendre leur voix, mais on ne peut que regretter le risque social que cette évolution représente, avec des fake news qui se multiplient et des publics sans doute davantage désinformés qu’auparavant. Mais il faut malheureusement s’y faire : toutes ces opinions et informations mises au même plan, quelles que soient leurs sources, c’est un mouvement tectonique pour nos métiers… et une inquiétude profonde à titre personnel.

Le BrandNewsBlog : Défiance des citoyens vis-à-vis de la parole publique et du discours des entreprises, accélération du temps et entrée dans l’ère de l’immédiateté, infobésité et difficulté à capter et retenir l’attention des publics… La communication est heurtée de plein fouet par cette fameuse « révolution numérique » que vous évoquez. Comment cela se traduit-il au quotidien et quelle incidence cette révolution a-t-elle dans vos missions et sur la manière d’envisager et pratiquer la communication d’entreprise, chez EDF et chez Edenred ?

Julien Villeret : Voyons d’abord le verre à moitié plein : avec cette désintermédiation généralisée qu’a apporté la révolution numérique, nous, entreprises, avons aussi un accès plus direct à une partie de nos publics. Il a fallu apprendre à parler plus souvent directement aux publics finaux et moins à des relais de ces publics. C’est aussi une chance.

Pour ce qui est du verre à moitié vide : nous galopons sans cesse après l’attention de nos audiences. Nous n’avons plus aujourd’hui que quelques instants pour la capter, pour leur donner envie de rester avec nous et pour marquer leur esprit. C’est difficile et cela pose clairement la question des moyens : jusqu’où peut-on aller dans cette course à l’attention sans basculer dans une « course à la tension » ? Bref : comment rester dans cette quête de l’attention en respectant nos publics, en ne se reniant pas et en n’abîmant pas notre image de marque ? Ce serait tellement simple de répondre à un détracteur ou à un concurrent par une invective sur Twitter ou en saturant l’espace publicitaire… Effet de buzz garanti ! Mais ce n’est ni utile, ni souhaitable, car destructeur de valeur à moyen et long termes.

Anne-Sophie Sibout : Comme je le disais à l’instant, il faut aussi souligner que les impacts de cette révolution numérique sont protéiformes… et cela peut faire peur. J’ai encore en tête les propos d’un dirigeant qui me disait : « D’accord pour aller sur les réseaux sociaux, mais à condition qu’il ne puisse pas y avoir de réactions à nos publications » ! Un dircom doit souvent rassurer… mais tout en prenant des risques pour faire émerger son message. Concrètement, chez Edenred, l’une de mes premières décisions a d’ailleurs été de ne plus intituler l’un des pôles de ma direction « communication digitale », car à mon sens, le numérique ne doit surtout pas être considéré comme une enclave.

Le BrandNewsBlog : Face à cet impératif de transformation qui s’impose aujourd’hui à la plupart des entreprises, il n’y a pas que les pratiques de communication qui soient impactées. C’est toute la gestion de la marque et l’organisation même des services communication qui est aussi à repenser. Pour répondre à ce nouveau paradigme et aux nouveaux besoins, à quels changements avez-vous procédé au sein de vos équipes ? Quelle organisation avez-vous adopté ? 

Anne-Sophie Sibout : Il n’y a évidemment pas d’organisation parfaite, les mutations de nos métiers rendant l’exercice particulièrement exigeant et évolutif. Au-delà de la position de chacun au sein d’un organigramme, c’est en effet la posture de chaque membre de l’équipe qui me semble importante. Chez Edenred, la Direction de la communication est resserrée et j’insiste d’autant plus sur la polyvalence de chacun – y compris la mienne ! Je ne nie pas qu’il existe de vraies expertises, dont il faut nécessairement tenir compte, mais je crois que le succès individuel et collectif réside avant tout dans la capacité de chacun à avoir une vision globale des messages que nous souhaitons porter. Par exemple, une personne qui gère des problématiques d’identité, et notamment des éléments iconographiques, doit être capable de bien comprendre l’intention rédactionnelle et conceptuelle derrière ces éléments pour apporter le meilleur conseil. L’application stricte d’une charte graphique n’est pas suffisante.

Julien Villeret : Ma conviction, c’est que l’organisation la plus fluide et la plus transverse, si elle est composée de personnes réfractaires à la collaboration, ne pourra en tout cas pas rivaliser avec une organisation un peu silotée ou bancale mais composée de talents heureux de travailler ensemble. C’est pourquoi il me semble toujours risqué de dissocier la question des organisations de celle des individus qui les composent.

Un fois ce préalable posé, je crois que l’organisation doit avant tout répondre à nos enjeux, à notre environnement, à nos publics. Dans le cas d’EDF par exemple, nos stakeholders n’ont pas d’horaires ! Nous sommes questionnés, apostrophés, « consommés » à toute heure du jour et de la nuit. Les process et organisations doivent donc nous permettre d’être sur la brèche en permanence, vers l’interne comme vers l’externe. Cela passe par des équipes pluridisciplinaires organisées autour d’astreintes 24h/24, 7j/7, 365 jours par an. La communication d’EDF est à l’image du Groupe d’EDF : par définition présente en continu, en permanence.

Le BrandNewsBlog : Dans un article récent à ce sujet (« Comment structurer les directions de la communication à l’ère numérique »), Christophe Lachnitt³ suggérait de regrouper ou coordonner l’activité des équipes gérant la « création et la projection des contenus froids dans les médias payants et détenus » (= compétences publicitaires, évènementielles + équipes produisant tous les contenus hors réseaux sociaux) et par ailleurs les équipes « manageant la création et la projection des contenus chauds dans les médias conquis » (direction des relations presse ou média + équipes gérant les réseaux sociaux voire les équipes de communication interne). Cette piste de réflexion organisationnelle vous paraît-elle pertinente ? Et pour ce qui concerne spécifiquement la communication interne, un tel rapprochement aurait-il du sens à votre avis ou bien considérez-vous qu’il faut lui conserver une autonomie et une organisation qui lui soient propres ?

Anne-Sophie Sibout : Pour ce qui est d’Edenred, nous avons adopté cette année une organisation assez proche de celle qu’évoque Christophe Lachnitt, en ne consacrant plus de département dédie à la communication interne. L’idée n’étant pas de réduire l’importance de cette fonction, bien au contraire. Un pôle va désormais gérer toute la production et la diffusion de contenus, online ou offline, que ce soit auprès de nos collaborateurs ou de nos publics dits « externes » – sachant que cette dichotomie a de moins en moins de sens, dans la mesure où chaque salarié est un ambassadeur potentiel d’Edenred à l’extérieur. Cela n’exclut pas d’adopter un angle spécifique pour l’interne ou de développer des opérations spéciales évidemment, mais cela permet d’être plus cohérent et percutant dans nos prises de paroles. Les relations presse sont gérées par une autre équipe, avec les médias sociaux, car l’approche et le rythme de ces contenus « chauds » restent spécifiques, mais cela se fait en totale coordination avec le reste de l’équipe bien sûr.

Julien Villeret : L’analyse de Christophe Lachnitt fait écho à ce que je soulignais précédemment. Le constat est en effet important : en terme de contenu, il faut assurément distinguer le « chaud » et le « froid » et en terme de média, le paid, le owned et le earned… Christophe propose d’aller au bout de cette logique en coordonnant deux types d’équipe. L’enjeu sera par conséquent de trouver les bonnes articulations entre les deux… Avec encore une fois les bonnes personnes aux bons endroits. Je crois néanmoins et je le répète qu’il n’y pas de recette miracle, pas de « one size fits all ». Chaque entreprise a besoin d’une organisation sur-mesure de par son histoire, son agilité, ses talents, ses moyens… Je suis le premier à considérer la porosité entre les publics, mais n’oublions pas dans le même temps que chaque stakeholder aura toujours des attentes spécifiques.

Le BrandNewsBlog : Dans une interview que vous aviez accordée en début d’année dernière Julien*, vous souligniez l’importance pour EDF de nourrir son imaginaire de marque auprès des jeunes et de cibler tout particulièrement dans ses actions les millenials. Marque patrimoniale très forte auprès des plus de 35 ans et disposant d’une notoriété de 100% en France, EDF ne dispose pas de la même notoriété à l’étranger ni de la même image auprès des publics les plus jeunes. Pourquoi ce défi est-il si important pour votre entreprise et comment vous-y prenez vous pour intéresser/séduire les millenials ? Est-ce pour cette raison qu’EDF est aussi présente sur les réseaux sociaux et médias de nouvelle génération (Instagram, YouTube, Dailymotion, Konbini ou encore Melty…) ? Et en fonction de quels critères choisissez-vous d’investir ou non une nouvelle plateforme ? 

Julien Villeret : Oui, il s’agit d’un défi important pour EDF et à la liste que vous venez d’évoquer, il faut d’ailleurs ajouter désormais Snapchat, que l’on a particulièrement instruit en 2017 ainsi que le eSport, que nous investissons massivement. Il s’agit en effet de toucher, de sensibiliser les millenials, souvent au moment de leur premier choix d’un fournisseur d’énergie. Et il faut pour cela commencer par les entendre et les comprendre, sous peine de ne pas pouvoir les atteindre ni les convaincre, en pratiquant par exemple une communication « à l’ancienne ». Bref : il nous incombe de parler à tous nos clients, où qu’ils se trouvent, avec des contenus adaptés et de qualité.

Regardez l’âge moyen des téléspectateurs des grandes chaines de télévision : vous comprendrez vite que la majorité de nos concitoyens ne sont pas nécessairement devant le journal télévisé de 20h, en train de regarder un match le samedi après-midi ni le film du dimanche soir… Il nous faut être là où est l’audience.

Pour ce qui est du choix des contenus ou des canaux, il répond tout simplement à une logique de KPI. Comme pour toute initiative de communication, impossible de s’exonérer d’une réelle évaluation de celle-ci. Nos critères recoupent donc logiquement des questions d’audience (puissance et ciblage) et des questions d’affinité de nos publics avec nos contenus. Ainsi, sans un formidable fond documentaire (archives extraordinaires de grands ouvrages industriels, portraits…), nous ne serions jamais allés sur Instagram. Idem, pour prendre la parole sur Maddyness, il était indispensable que nous ayons des preuves tangibles de notre culture technologique et d’innovation ! Pour ce qui est de notre investissement dans le eSport, il répond à la fois à notre métier d’électricien et s’inscrit également dans notre soutien de longue date des sportifs français… Et je pourrais vous donner bien d’autres d’exemples de cette logique et cette exigence qui sont les nôtres.

Le BrandNewsBlog : En tant que directrice de la communication d’un Groupe et d’une marque en plein développement, présents dans 42 pays auprès de 43 millions de salariés et pas moins de 750 000 entreprises et collectivités, vous avez quant à vous Anne-Sophie vécu un moment important l’an dernier avec le lancement le 14 juin 2017 d’une toute nouvelle identité mondiale et le regroupement de toutes vos solutions transactionnelles sous la marque unique Edenred… Comment gère-t-on un chantier aussi considérable ?

Anne-Sophie Sibout : Ce fut en effet un moment important, à la fois pour l’équipe de communication et pour Edenred ! Difficile de résumer en quelques lignes la gestion de ce chantier, tant il a touché tous les niveaux de l’entreprise. Mais il a fallu travailler avec finesse sur ces trois dimensions de tout grand projet : l’organisation, l’implication des collaborateurs et enfin l’état d’esprit. L’organisation tout d’abord, parce qu’un projet aussi vaste nécessite de la méthode. On considère parfois les dircoms comme de purs créatifs ou des artistes, mais il faut avant tout savoir piloter des projets complexes en respectant des échéances et en associant les différentes parties prenantes au bon moment. L’implication, parce que nous avons su faire de cette refonte de marque une vraie aventure collective et collaborative. Les membres de notre comité exécutif et nos 50 directeurs de filiales ont été personnellement impliqués dans le choix de notre logo et de notre charte graphique : une véritable gageure, mais qui s’est avérée particulièrement payante.

Nous avons également travaillé durant plus d’un an avec des ambassadeurs de la démarche dans chaque pays afin de prendre en compte les réalités opérationnelles et de garantir l’effet « big bang » que nous souhaitions pour le jour J. Enfin, l’état d’esprit me semble une dimension essentielle : si de tels projets sont assez lourds à mener, il est courant que le voyage soit assez chaotique, même si la destination est belle :) Il me tenait donc à cœur de mener une conduite du changement exemplaire, dans le respect de chacun et avec une énergie positive tout au long du projet.

Le BrandNewsBlog : Avec son plan stratégique Fast Forward, Edenred s’est engagé dans un grand chantier de transformation, visant notamment à faire du digital une source de croissance majeure. Cela a-t-il impacté la façon dont vous avez géré le lancement de votre nouvelle identité mondiale ? Quel écho avez-vous donné à cet évènement en terme de communication interne et par ailleurs sur les réseaux et médias sociaux ?

Anne-Sophie Sibout : La refonte de notre marque, ou devrais-je dire de tout notre portefeuille de marques, car nous avons modifié plus de 300 logos le jour J, a été menée en lien constant avec la stratégie globale du Groupe, pour en faire un vrai sujet « business ». Le regroupement de tous nos programmes sous la marque unique Edenred, y compris des produits iconiques comme Ticket restaurant, traduit d’ailleurs l’accélération de notre transformation, et notre signature « We connect, you win » évoque à la fois la digitalisation, nos réseaux et les bénéfices que nous apportons (pouvoir d’achat aux utilisateurs et volume d’affaires aux commerçants notamment).

En ce qui concerne le lancement proprement dit, je ne disposais pas d’agence ni de budget spécifique… Nous avons dû être créatifs, déterminés et enthousiastes ! Après avoir travaillé dans le plus grand secret durant plusieurs semaines avec notre réseau de communicants, nous avons « levé la bâche » simultanément dans le monde entier le 14 juin. Sans achat d’espace, nous avons tout misé sur nos collaborateurs pour porter notre nouvelle identité, et le résultat a dépassé nos espérances : les 8 000 salariés d’Edenred ont porté un tee-shirt aux couleurs de notre nouveau logo dans 42 pays le jour J. Nous avons touché 23 millions de personnes sur les médias sociaux grâce à leur implication via le hashtag #edenredconnects. 

Le BrandNewsBlog : Directeur de la communication d’une des plus belles entreprises publiques françaises, mais aussi l’une des plus exposées dans les médias dès lors que survient une crise, comme le rappelait dans cette interview Vincent de la Vaissière, vous vous devez Julien d’être prêt à tout moment à « monter au créneau » pour défendre votre entreprise et sa vision. Quelle incidence cela a-t-il sur votre l’organisation de votre activité et comment anticiper ces crises de plus en plus fréquentes, du fait notamment du rôle d’accélérateur joué par les réseaux sociaux ? J’imagine que la veille et notamment la veille social media est primordiale, mais qu’il est également intéressant, en amont, de pouvoir cultiver des communautés d’influenceurs et de suiveurs susceptibles de relayer les messages de l’entreprise et d’en soutenir l’argumentation en cas de crise ? Quel conseil donneriez à vos confrères et consoeurs les moins aguerris pour gérer au mieux une crise ?

Julien Villeret : J’ai plus un avis que des conseils à donner. Je crois que le plus important, c’est de savoir articuler pertinemment la réactivité et la matière. Dit autrement, il s’agit de savoir marcher sur deux jambes : ne pas sacrifier le fond sur l’autel de l’immédiateté ; et en même temps répondre à cette exigence de « live » qu’impose l’époque en restant extrêmement agile. Tout l’enjeu pour une direction de la communication en situation de crise consiste d’ailleurs à trouver le juste équilibre, à réussir à articuler en permanence « chaud » et « froid », à « nourrir l’animal » sans confondre pour autant vitesse et précipitation… Les dircom doivent avant tout être des manageurs, y compris de crise.

Le BrandNewsBlog : On le mesure chaque jour davantage, le rôle des communicants est de plus en complexe. Comme je l’indiquais en introduction, d’un rôle basique d’émetteur et de « superviseur en chef » des messages sortants de l’entreprise, les dircom ont vu leur rôle et leur périmètre d’action s’étendre considérablement ces dernières années, pour devenir à la fois des « vigies » en mode crise quasi-permanent , « animateurs et émulateurs » (des contenus et prises de parole de l’entreprise), « chefs d’orchestre » (coordonnant les talents et impulsant les stratégies de communication)… Et il leur faut aujourd’hui pouvoir alterner ces casquettes de plus en plus rapidement. Pour arriver à faire tout cela, quelles sont les qualités / compétences que doivent absolument posséder ou développer les communicants et les dircom ?

Anne-Sophie Sibout : Nos casquettes sont en effet de plus en plus variées. Un bon directeur de la communication doit d’abord selon moi être humble : il est et doit demeurer avant tout au service des autres. Mais il doit aussi savoir dire non – un non constructif – et prioriser, car il est sollicité en permanence et toutes les informations ne vont pas intéresser. Il faut aussi avoir une bonne dose de psychologie et enfin du bon sens : le mieux est en effet l’ennemi du bien si l’on veut avancer.

Julien Villeret : De mon point de vue, le dircom doit jouer à plein son rôle de manageur. Manager, cela renvoie aussi bien à la structuration qu’au leadership : d’un côté, il doit définir la stratégie, organiser le travail, développer la performance, rationnaliser les choix en les évaluant ; de l’autre, son leadership doit permettre d’embarquer les parties prenantes – y compris internes – et d’entraîner les talents en créant de l’adhésion. Je crois qu’il s’agit en définitive des deux compétences majeures pour tout dircom. Pour le reste, il faut évidemment savoir laisser les équipes exprimer leurs talents !

Le BrandNewsBlog : L’accompagnement des dirigeants, des managers et des collaborateurs dans la transformation numérique de l’entreprise est une des dernières casquettes dont les dircom ont hérité. En quoi les communicants vous paraissent-ils légitimes à accompagner voire impulser la transformation digitale de l’organisation et comment montrent-ils l’exemple ? Pouvez-vous citer quelques initiatives et innovations lancées par vos équipes ? J’ai notamment pu voir que vous n’hésitiez pas Julien à solliciter les services d’influenceurs connus comme Emmanuelle Leneuf alias FlashTweet pour animer en live sur Periscope une présentation de votre grand prix EDF Pulse. Et je crois que vous intégrez de plus en plus la communication en temps réel dans la batterie de vos outils ?

Julien Villeret : Les communicants sont évidemment parfaitement légitimes sur le sujet de la transformation numérique. D’ailleurs – et c’est lié à la curiosité intrinsèque qu’exige notre métier – ils ont souvent l’antériorité de la digitalisation. Je me remémore mes premiers clients quand j’étais en agence : ils étaient au sein de leur entreprise les précurseurs qui s’intéressaient aux blogs, à la publicité online... Tout cela venait en effet par les équipes communication. Et puis, cela fait écho au leadership que j’évoquais à l’instant : un dircom doit aussi savoir entraîner les sphères dirigeantes. Cela relève de l’indispensable relation de confiance à développer entre le top management d’une entreprise et sa direction de la communication.

Pour ce qui est des initiatives, elles sont de tous ordres : cela passe aussi bien par un partage quotidien avec les équipes sur place et sur sites (Morning briefing), que l’instauration d’une Social Media Room qui rassemble les métiers et compétences de tout le Groupe, ou encore la participation massive de centaines de salariés chez EDF au programme Elevate de LinkedIn. Et nous ne cessons de nous outiller pour aller au rythme de nos publics, pour leur proposer du « live » par exemple. Car en effet, toutes nos prises de paroles publiques et nos évènements sont désormais visibles via Periscope.

Le BrandNewsBlog : Vous êtes tous les deux, ainsi que je l’indiquais en introduction, des communicants très en phase avec la nouvelle donne numérique et plutôt « hyperconnectés », sur les réseaux sociaux notamment. Pourriez-vous nous dire ce que vous apporte votre présence active sur les différentes plateformes sur lesquelles vous êtes présents ? Qu’en retirez-vous à titre personnel et professionnel ? Et avez-vous réussi à transmettre ce dynamisme et votre enthousiasme pour les réseaux sociaux aux dirigeants de vos entreprises respectives ? Je crois notamment que votre P-DG Jean-Bernard Lévy est un Twittos aguerri, Julien ?

Julien Villeret : Oui, Jean-Bernard Lévy partage beaucoup d’informations sur son compte @J_B_Levy. De même, il va à la rencontre de ses publics, que ce soit à l’extérieur d’EDF mais aussi auprès des salariés du Groupe. On oublie en effet trop souvent que Twitter reste aussi un canal pour l’interne… Plusieurs dirigeants de l’entreprise ont d’ailleurs suivi Jean-Bernard Lévy et n’hésitent plus à informer, à communiquer et à partager des points de vue sur les réseaux sociaux. Quand on est entouré d’experts, fréquemment exposés à des crises, la caisse de résonnance permise par les réseaux sociaux s’avère un bon outil pour ne pas se couper des réalités. Si les études d’opinion restent de formidables baromètres, les réseaux sociaux permettent de se constituer de formidables « capteurs » complémentaires. En ça, j’aime bien observer les gazouillis et autres publications des personnes que je suis sur les réseaux. Et participer à mon tour, bien évidemment !

Anne-Sophie Sibout : En ce qui me me concerne, je préfère être « connectée » plutôt « qu’hyperconnectée » et garder un usage raisonné des médias sociaux ;-) J’ai commencé à observer le fonctionnement de Twitter en « auditrice libre » il y a quelques années pour en comprendre les rouages. Puis je me suis lancée car l’expérience personnelle vaut toutes les formations ; j’avais besoin de me sentir légitime pour évangéliser les personnes qui me sollicitent parfois. Pour moi, les réseaux sociaux revêtent trois intérêts majeurs : ils permettent de réaliser une veille synthétique sur les sujets qui m’intéressent, d’avoir accès à un réseau élargi et qualitatif dans le monde de la communication, et représentent enfin une vitrine pour mettre en avant les initiatives d’Edenred.

Le BrandNewsBlog : Une autre tendance marquante de nos métiers est que ce que dit l’entreprise a tendance à devenir chaque jour jour moins important que ce qui se dit sur elle, dans les médias, dans la vraie vie ou sur les réseaux… A partir de ce constat, de nombreuses entreprises se sont lancées dans des démarches de brand advocacy et d’employee advocacy en particulier. Quel est votre degré de maturité sur ces sujets dans vos entreprise respectives ? Et quelles initiatives avez-vous pu lancer ou souhaitez-vous lancer à ce sujet ? Pourriez-vous également nous parler d’une initiative ou un projet en cours qui vous tient particulièrement à coeur, et sur lequel vous travaillez aujourd’hui dans votre entreprise ?

Anne-Sophie Sibout : Le lancement de notre nouvelle marque a été pour moi l’illustration parfaite de ce pouvoir de résonance formidable quand on entreprend une réelle démarche participative, plutôt que de faire du « collaboratif » un simple sujet de communication ! Il n’y avait jamais eu de programme « d’employee advocacy » chez Edenred. Nous avons touché 23 millions de personnes principalement grâce à l’engagement de nos salariés, qui se sont mis en scène aux quatre coins du monde sur tous les réseaux sociaux : Twitter, Linkedin, Facebook, Instagram… Nous sommes 8 000 collaborateurs : c’est à la fois beaucoup et en même temps, cela limite mécaniquement notre impact en terme d’amplification. Nous sommes pour le coup d’autant plus fiers du résultat que nous avons su obtenir ! Mon projet, en 2018, est de développer plus largement ce type de démarches participatives. A suivre, donc !

Julien Villeret : J’ai déjà évoqué quelques programmes d’ambassadorat interne. Nos Dirigeants sont encouragés à prendre la parole. Nos salariés sont alimentés en continu sur la stratégie du Groupe, sur les informations internes et externes importantes et reçoivent des argumentaires le cas échéant. Il est essentiel de bien les outiller et de les « armer » pour défendre leur entreprise au besoin et ne pas laisser dire n’importe quoi ; de leur donner par exemple « les billes » pour débattre autour du poulet du dimanche, pour vanter notre marque employeur ou bien pour partager nos valeurs.

Et puisqu’il ne faut retenir qu’une initiative ou un sujet me tenant à cœur, j’évoquerai volontiers l’exigence accrue de responsabilité qui doit animer tout communicant : cette responsabilité, véritable « licence to operate », s’avère fondatrice.

Le risque d’irresponsabilité et l’emballement parfois injuste – le fameux bad buzz – peuvent en effet s’avérer mortiphères pour toute organisation et désastreux pour tout business. Nous vivons nos quotidiens de communicants avec toujours plus d’épées de Damoclès au dessus de nos têtes. Il faut donc nous en prémunir en s’affirmant responsables dans tous nos actes. En ce sens, la récente initiative de l’Union des annonceurs avec la relance d’une charte responsable (le programme FAIRe) guidera nos prochaines actions avec toujours plus de force. EDF est un signataire fondateur de cette initiative de l’UDA. Cela nous oblige. Nous sommes tenus d’élaborer, de déployer et de respecter un code de communication responsable. Le nôtre compte cinquante engagements et propose une trajectoire vertueuse et ultra ambitieuse pour tous les communicants, et au-delà pour les pratiques au sein du Groupe EDF. Cette indispensable boussole devrait à mon avis nous permettre d’aborder plus sereinement tous les bouleversements que nous venons d’évoquer ensemble.

 

 

Notes et légendes :

* « Quels enjeux pour les dircom et leurs équipes en 2016 » ? Interview croisée d’Anne-Gabrielle Dauba et Pierre Auberger.

** « Quels enjeux pour les dircom et leurs équipes en 2017 » ? Interview croisée de Béatrice Mandine et de Benoît Cornu.

(1) Diplômé du CELSA (il est titulaire d’un DESS « Marketing & Communication Strategies »), Julien Villeret commence sa carrière en 1986 comme journaliste au sein du Groupe Pressimage / Medialoisirs, avant de rejoindre en 1989 l’agence Information & Entreprise, en tant que Consultant puis Associé. Il est nommé Directeur de l’information et des relations presse de SFR en 2007 avant d’en devenir le Directeur de la communication entre 2009 et 2014. Il est ensuite nommé Directeur de la communication Groupe d’EDF en décembre 2014, fonction qu’il exerce depuis lors aux côtés de Jean-Bernard Lévy, P-DG d’Electricité de France.

(2) Titulaire d’un Master 2 en communication du CELSA, Anne-Sophie Sibout débute sa carrière en 2004 au sein du Groupe Accor, comme Chargée de mission mécénat. Après une évolution au poste d’Attachée de presse ce ce Groupe, elle en devient la Responsable des relations presse et de la communication externe de 2008 à 2010. C’est en 2010 qu’elle rejoint Edenred, comme Directrice des relations presse et de la communication interne avant d’en d’être nommée Directrice de la communication en juin 2014, fonction qu’elle occupe depuis lors.

(3) Auteur de Superception, un blog de référence en communication que je cite régulièrement, Christophe Lachnitt est un expert en communication reconnu et expérimenté, qui conseille aujourd’hui de grands groupes sur leur stratégie de communication et leur transformation numérique, après avoir été dircom de plusieurs groupes internationaux (Alcatel Radio & Defense, Alcatel Optics, Alcatel Fixed Communications, Microsoft France et DCNS)

 

Crédits photos et illustrations : EDF, Edenred, The BrandNewsBlog 2018.

Quels enjeux pour les dircom et leurs équipes en 2017 ?

Ces dernières années, avec l’émergence et le développement du digital principalement, qui bouleverse les pratiques des organisations et de toutes leurs parties prenantes, la fonction communication et le rôle des communicants n’ont cessé d’évoluer.

Premiers témoins (et aujourd’hui acteurs) de ces bouleversements, les dircom sont progressivement passés d’un statut d’émetteurs, garants de tous les messages de l’organisation à celui de « facilitateurs connecteurs » et de chefs d’orchestre, à l’écoute et au service de tous les interlocuteurs susceptibles de prendre la parole au nom de l’entreprise.

Tout à la fois « vigies ès réputation », managers et pilotes des équipes et des projets de communication, accompagnateurs-enablers et « transformistes », pour être capables de passer en permanence d’un costume et d’une casquette à l’autre (ainsi que le rappelait judicieusement il y a quelques mois Marie Coudié*), les dircom et leurs équipes n’ont cessé de gagner en crédibilité et en épaisseur stratégique au sein des organisations. Et les attentes à leur égard sont plus fortes que jamais…

Pour évoquer ces différentes mutations, qui vont de pair avec la transformation des entreprises, et pour analyser les nouveaux enjeux auxquels sont/seront confrontés à l’avenir les dircom et les communicants, j’ai choisi de renouveler cet exercice de l’interview croisée que j’avais inauguré l’an dernier avec Pierre Auberger et Anne-Gabrielle Dauba**.

Et c’est à nouveau à deux professionnels particulièrement appréciés, reconnus et connectés que j’ai fait appel  : Béatrice Mandine¹, directrice exécutive d’Orange, en charge de la communication et de la marque et Benoît Cornu², directeur de la communication de PMU, récemment élu « personnalité communicante de l’année 2016 » par l’association Communication & Entreprise.

Qu’ils soient ici remerciés de leur disponibilité et d’avoir accepté de se prêter au jeu des questions-réponses, pour les lecteurs du BrandNewsBlog…

dircom

Le BrandNewsBlog : Béatrice, Benoît, vous êtes tous deux des acteurs et des observateurs privilégiés de ces évolutions de la communication que j’évoquais en introduction. Quels sont donc les principaux bouleversements qui ont impacté votre métier ces dernières années ? Et en quoi ces bouleversements modifient-ils les comportements, usages et attentes des parties prenantes de vos entreprises (consommateurs, citoyens, collaborateurs…) ?

Béatrice Mandine : D’abord, la relation au temps s’est considérablement accélérée. On le constate surtout à travers l’émergence du digital, mais il ne faut pas occulter que c’est surtout la démocratisation technologique qui accélère nos modes de travail. La généralisation d’Internet et la banalisation des smartphones dans nos vies font que l’ère du « tout-connecté » fait aussi naître d’autres courants de réflexion tels que l’art de la déconnexion ou l’appréhension de nouvelles formes de rapport au temps. 

Il faut cependant résister à la tyrannie de l’immédiateté. Il me semble déterminant pour un communicant aujourd’hui de savoir allier deux notions : la réactivité qu’imposent nos professions, sans pour autant négliger le temps plus long de réflexion, de prise de recul, de construction et de création. Et surtout : s’assurer de la cohérence des messages dans la durée.

Benoît Cornu : Un des principaux bouleversements vient aussi de ce que je qualifierai « d’universalité de l’information ». Cette dernière est devenue instantanée, accessible à tous et à tout instant et s’affranchit des canaux historiques. Fini le temps où la radio annonçait, la télévision montrait et les journaux expliquaient, le temps où on pouvait piloter la communication en décidant seul du rythme et des outils en fonction des messages et des cibles. Un de nos enjeux est de continuer à maîtriser le timing quand c’est de plus en plus souvent le marché ou l’opinion qui décident du rythme.

Ce phénomène s’accompagne d’une exigence de transparence. Les attentes vis-à-vis des entreprises ne se limitent plus à leur cœur de métier, elles portent désormais au quotidien sur leur responsabilité globale vis-à-vis de la société, au-delà du champ économique, et parfois au-delà de ce qu’elles contrôlent. Le rôle de la marque s’élargit, sa réputation devenant encore plus importante à cultiver et protéger.

L’autre changement majeur est à mon avis l’émergence d’une communication « participative » dans le sens où chacun peut potentiellement accéder une audience, en particulier avec les réseaux et les médias sociaux.

Le BrandNewsBlog : Défiance accrue des citoyens vis-à-vis de la parole publique et des discours « corporate », accélération du temps et entrée dans l’ère de l’immédiateté… la communication est surtout impactée par cette fameuse « révolution numérique » que vous venez d’évoquer ? Comment cela se traduit-il au quotidien et quelle incidence cette révolution a-t-elle dans vos missions et la manière d’envisager et pratiquer la communication d’entreprise ?

Béatrice Mandine : Ce n’est pas tant la défiance face aux discours « corporate » qui noie la relation entre le citoyen et l’entreprise, entre le consommateur et la marque. Il s’agit plutôt de la quantité, toujours exponentielle, de messages auxquels nous sommes tous exposés, qui conduit à la confusion. Je crois que les marques gagneraient à réaliser deux mouvements : d’une part, équilibrer leur expression commerciale/business et corporate, plus émotionnelle ; d’autre part, elles devraient arbitrer davantage entre les différents canaux d’expression. 

La course au digital, démarrée il y a quelques années dans les grandes entreprises, prend un virage de maturité intéressant : il ne s’agit pas d’être partout mais plutôt de redonner du sens à la présence en ligne d’une entreprise. On rentre alors dans des considérations de particularités, de formats et d’audiences qui sont plus intéressantes que l’étape d’évangélisation qui a conduit les marques, il y a quelques années, à ouvrir des comptes sociaux sur toutes les plateformes avant de se demander si c’était pertinent… Nous sommes dans une phase de rationalisation, c’est le retour du bon sens et on ne peut que s’en féliciter !

Benoît Cornu : Qu’on le veuille ou non, pour nos équipes et pour nous mêmes, il s’agit d’une transformation fondamentale de notre rôle dans l’entreprise, de nos méthodes et de nos organisations, sur un terrain de jeu qui s’élargit sensiblement. Nous devons être attentifs en permanence, écouter beaucoup plus souvent que parler, ne sous-estimer aucune prise de position a priori, et être capables de réagir très vite tout en gardant à l’esprit nos objectifs à moyen et long termes. Il nous faut aussi apprendre en marchant à utiliser de nouveaux outils qui modifient les comportements de nos publics, en interne et à l’extérieur de l’entreprise. Et intégrer une mesure de nos performances, ce qui déstabilise certaines équipes peu habituées à ça dans les métiers de la communication corporate.

Quant à la défiance que vous évoquez, il me semble qu’il faut faire une vraie différence entre la communication d’entreprise et la « com’ » telle qu’elle est décriée aujourd’hui… L’omniprésence de la parole politique, qui finit par confondre discours et décision et mélange constamment l’action et l’apparence de l’action n’est guère positive pour l’image de la communication. Dans nos entreprises, et avec nos dirigeants, je n’ai pas l’impression que nous fassions le même métier. Même en gérant le quotidien, nous répondons à des objectifs sur un temps long, nous nous mettons au service d’une stratégie et nous nous appuyons sur des réalités. Il ne s’agit pas de « faire de la com’ pour faire de la com » et l’esbroufe est interdite.

Benoit Cornu PMU, Paris, 01/2017.Le BrandNewsBlog : Naturellement, dans cette révolution et face à cet impératif de transformation qui s’impose aujourd’hui à la plupart des entreprises, il n’y a pas que les pratiques de communication qui soient impactées. C’est toute la gestion de la marque et l’organisation même des services marketing-com’ qui est aussi à repenser (entre autres). Pour répondre à ce nouveau paradigme et aux nouveaux besoins, à quels changements avez-vous procédé au sein de vos équipes ? Quelle organisation avez-vous adopté ?

Béatrice Mandine : Très vite, chez Orange, j’ai fait le choix de ne plus avoir une équipe dédiée à la communication digitale. Cela ne faisait pas sens, le digital étant partout : aussi bien en média, qu’en relations presse, que sur les événements… 

Pour moi, le digital n’est pas tant une expertise qu’un état d’esprit qui impose un fonctionnement horizontal. C’est une façon de travailler, nouvelle certes, qui doit permettre de laisser sa place à une notion qui n’est pas si familière que cela des grandes organisations : la transversalité. Celle-ci exige écoute, partage, agilité, réactivité… Ces changements culturels ne se font pas, bien évidemment, en un jour. Il faut prendre le temps et je crois que c’est une mission essentielle de la communication au service de toute l’entreprise et de toutes ses fonctions. Et l’on voit d’ailleurs aujourd’hui que tous les acteurs de l’écosystème basculent dans ces modes de fonctionnements : nos agences partenaires, les entreprises dans leur ensemble et même les plateformes Twitter, Facebook, Google, Snapchat et autres, qui sont beaucoup plus dans un mode partenarial aujourd’hui avec nous.

Benoît Cornu : On est de surcroît clairement passé d’une gestion de « moments » à une gestion de flux, où la conversation remplace progressivement le discours. Comme cette conversation est entretenue avec de nombreux interlocuteurs, nous devons multiplier le nombre de porte-parole. Ça signifie davantage de délégation et davantage de responsabilisation à tous les étages. Cette nouvelle réalité dépasse largement le domaine traditionnellement réservé à la fonction communication : elle implique et mobilise les équipes marketing, les services clients… d’où la nécessité de mettre en place des fonctionnements horizontaux et collaboratifs, en effet.

Dans des organisations très centralisées et hiérarchisées, cela s’avère parfois compliqué à mettre en place, mais c’est impératif. Au PMU, nous partageons par exemple nos fils sur les réseaux avec le service client, qui peut prendre la main en direct, et inversement… Et on connaît immédiatement l’impact de chaque émission d’information.

Le BrandNewsBlog : Dans une interview que vous aviez accordée il y a quelques mois Benoît³, vous souligniez le rôle stratégique de la communication, comme moteur du changement de l’entreprise. Depuis 2009 en effet, vous avez par exemple sérieusement dépoussiéré l’image du PMU et, grâce à la communication, vous dites avoir « auto-ubérisé » votre marché. Pouvez-vous nous dire en quoi et nous raconter les grandes étapes de cette mutation ?

Benoît Cornu : Au PMU, nous étions confrontés en même temps à l’arrivée de la concurrence et à une révolution technologique qui pouvaient menacer notre modèle économique historique. Nous avons choisi d’avoir une démarche offensive et de transformer en opportunité ce qui pouvait de prime abord être perçu comme une menace. Nous nous sommes mis à la place de nos concurrents et avons imaginé ce que nous ferions à leur place pour attaquer le marché.

Dès le début, nous avons considéré que la communication aurait un rôle moteur dans ce changement en matérialisant de façon spectaculaire le virage que prenait l’entreprise : nouvelle plateforme de marque, changement d’identité visuelle, nouveau discours publicitaire, investissement massif dans les campagnes digitales, sponsoring, mécénat, partenariats éditoriaux… On a tout changé. Avec deux constantes : 1) surprendre et 2) occuper le terrain en permanence, pour dicter le rythme sur notre marché. Toutes les actions de tous les métiers ont été menées dans cette même cohérence. Un an et demi plus tard, nous étions déjà sur le podium face aux nouveaux entrants, sans perdre notre leadership historique.

Le BrandNewsBlog : En tant que directrice de la marque Orange (en plus de vos fonctions de dircom), vous œuvrez aussi Béatrice pour une de ces « love brands » dont la réputation et la réussite sont désormais internationales. Dans ce contexte, quels sont aujourd’hui vos principaux enjeux et objectifs et quel rôle stratégique assignez-vous à la communication ? Vous insistiez il y a quelques temps, dans une conférence à laquelle je participais, sur la nécessité de ne pas succomber au « tout digital » : pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Béatrice Mandine : Loin de moi l’idée d’entrer en guerre contre les gourous du digital. C’est évidemment une révolution fondamentale pour nous tous et a fortiori pour les communicants. Mais c’est vrai que je m’agace un peu de l’effet de mode qui conduit à une sur-utilisation du mot « digital ». On a l’impression que c’est devenu l’alpha et l’oméga de tout… Si une entreprise a un Chief Digital Officer au Comex’ , elle est sauvée ! ;-) 

Encore une fois, je ne minimise pas ici l’impact du digital. Mon propos est plutôt de dire qu’une bonne communication, c’est d’abord une bonne idée. Le format digital est secondaire. Bien sûr, le digital permet aujourd’hui tellement de choses qu’il doit nourrir la réflexion créative dès le début, mais il ne faut pas inverser les choses. On le voit d’ailleurs aujourd’hui : d’une logique de plateformes, on bascule désormais dans une réflexion autour du contenu, avec un format adapté, certes, mais c’est une info, un chiffre, une image, bref : une idée.

Le BrandNewsBlog : Parlons un peu des communicants. D’un rôle basique d’émetteur, voire de « superviseur en chef » des messages sortants de l’entreprise, les dircom ont vu leur rôle et leur périmètre d’action s’étendre considérablement ces dernières années, pour devenir à la fois « vigies » (en matière de réputation), « animateurs et émulateurs » (des contenus et prises de parole de l’entreprise), « chefs d’orchestre » (coordonnant les talents et impulsant les stratégies de communication)… Et il leur faut aujourd’hui pouvoir alterner ces costumes très rapidement, à la manière d’un « transformiste », comme je le soulignais en introduction. Pour arriver à faire tout cela, quelles sont les qualités / compétences que doivent absolument posséder/développer les dircoms et autres « néo-communicants » ?

Béatrice Mandine : La sincérité est sans doute la qualité la plus importante pour exercer les métiers de la communication. Je crois qu’il faut rester soi-même pour avoir la force de porter ses convictions dans les univers complexes que sont devenus les entreprises et leurs parties prenantes.

Il faut aussi une bonne dose de persévérance pour tenir le cap et ainsi défendre le sens de nos actions. On fait un métier sur lequel chacun a spontanément un avis ;-) Je fais partie, comme Benoît sans doute, de ceux qui considèrent la communication non pas comme une dépense mais plutôt comme un investissement structurant. Dans ce contexte, le moyen terme est souvent plus intéressant qu’une action ponctuelle… La communication s’apprécie à cette échelle-là : celle du moyen/long terme.

Je pense aussi que la curiosité est nécessaire pour garder l’envie : envie de tester en permanence, de se réinventer, de surprendre ! Enfin, je crois que l’écoute est une des forces les plus importantes dans nos métiers car elle garantit que le message que l’on veut diffuser puisse a minima être entendu ! C’est en vous répondant que je me rends compte à quel point nous sommes tous de véritables caméléons… Mais en général, cela répond aussi à un caractère, à une nature prédisposée à cela. La boucle est bouclée : il faut donc rester qui l’on est. Tout simplement.

Benoît Cornu : Selon moi, deux qualités restent essentielles malgré les transformations que nous venons d’évoquer : l’écoute, comme vient de le souligner Béatrice, et l’humilité. Elles sont peut être même plus importantes aujourd’hui. Nous exerçons un métier où l’expertise découle en effet de l’expérience, et où savoir « faire l’éponge » permet d’apprendre à réagir avec le recul et la distance nécessaires. Quand tout va très vite, ou trop vite, c’est parfois salutaire.

Quant à l’humilité, nous ne devons jamais oublier que c’est l’ego de la marque qui passe avant le notre ;-) Je rejoins également Béatrice sur la force de conviction dont nous devons savoir faire preuve en permanence, pour emmener les équipes en interne, défendre nos positions et même convaincre nos patrons ! Et puisque j’en parle, il faut aussi être capable de créer un lien particulier avec le dirigeant de l’entreprise, qui l’incarne en premier lieu. Une forme « d’intimité professionnelle » est indispensable, qui repose à la fois sur la confiance et la loyauté et grâce à laquelle on peut se dire beaucoup de choses, surtout dans les moments difficiles.

Le BrandNewsBlog : L’accompagnement des dirigeants, des managers et des collaborateurs dans la transformation numérique de l’entreprise est une des dernières casquettes/missions dont les dircom ont hérité ces dernières années. En quoi les communicants vous paraissent-ils légitimes (voire plus légitimes que d’autres) à jouer ce rôle, et à prendre le leadership de la transformation digitale de l’organisation ? Pouvez-vous donner quelques exemples concrets de d’initiatives lancées et pilotées par vos équipes dans ce domaine ?

Béatrice Mandine : Je dirais que, peu importe la nature de la transformation, on en revient toujours aux basiques de nos métiers : ce rôle de « vigie » entre la réalité de l’entreprise et l’évolution de son écosystème, notre positionnement au service de l’ensemble de l’entreprise peut-être aussi.

Prenons l’exemple des réseaux sociaux ou n’importe quel autre outil de cette révolution dite digitale : on est toujours dans l’émission d’un message de la part d’un destinataire vers un récepteur. Et puis après cela, il y a aussi la capacité à répondre, à formuler des messages pertinents qui fait la différence. Mais pour être réussie,  une transformation est, en premier lieu, le travail de tous. Donc je n’attribuerai certainement pas ces succès aux communicants : ce sont parfois les précurseurs, toujours les facilitateurs, mais ils en redeviennent aussi très vite les acteurs, au même titre que tout le monde. Enfin, quand on en vient à parler de digital dans une entreprise de télécommunications, vous imaginez que les initiatives sont nombreuses. Pour celles qui concernent la communication, l’accompagnement des membres du Comex sur les réseaux sociaux pour développer leur réputation en ligne me vient en tête spontanément.

Benoît Cornu : Pour ma part, je suis convaincu depuis longtemps que le vrai « Chief Digital Officer » de l’entreprise doit  être le P-DG / CEO. Le digital, ce n’est pas une entité ou un simple moyen, c’est toute l’entreprise qui change pour s’adapter à un nouvel environnement. C’est donc au plus haut niveau que cela doit être piloté.

À partir de là, le rôle des communicants est à mon avis d’anticiper, d’accompagner et parfois de provoquer des chocs culturels qui favorisent la prise de conscience… À titre d’illustration, la participation du PMU à Vivatechnology a permis à la fois d’accélérer très fortement la connexion avec l’écosystème des start-up (nous étions très  en retard) et de mobiliser les équipes sur un projet où le digital n’était finalement qu’un prétexte pour parler vraiment d’innovation.

Portrait de B. Cornu

Le BrandNewsBlog : Vous êtes tous les deux, ainsi que je l’indiquais en introduction, des communicants reconnus et particulièrement « connectés », sur les réseaux sociaux notamment. Pourriez-vous nous dire ce que vous apporte votre présence (très active) sur les différentes plateformes sur lesquelles vous êtes présents ? Qu’en retirez-vous à titre personnel et professionnel ? 

Béatrice Mandine : Les réseaux sociaux sont un formidable outil de veille pour moi. Celui que j’utilise tous les jours, c’est Twitter. La plateforme me correspond bien puisqu’elle me permet de mesurer le pouls de l’opinion en temps réel sur les sujets de l’actualité. J’y vois aussi une occasion, parfois, de mettre en avant certaines personnes ou certaines actions, plus personnelles, qui me tiennent à cœur. C’est donc un bon équilibre qui reflète qui l’on est, je crois. Et surtout je peux utiliser tous les emojis que je veux ! 😃 😢 💁🌹👫 🎃 😃😃

Plus sérieusement, c’est aussi une plateforme sur laquelle nous avons beaucoup misé chez Orange. Et aujourd’hui, tous les membres du Comex jouent le jeu et tweetent eux-mêmes. Chacun sa fréquence, chacun son ton et au final cela forme un panel diversifié, à l’image du collectif que nous représentons. Au départ, les équipes de communication étaient en appui, avec les agences, pour faire la pédagogie de l’usage, proposer des idées… Mais aujourd’hui c’est devenu beaucoup plus spontané et cela marche aussi bien. Il y a même une certaine émulation entre nous pour savoir qui a le plus de followers (et c’est, en toute logique respectée, le chef : @srichard !).

Sinon, j’aime bien flâner sur Instagram où je vois de belles choses. Je ne poste pas beaucoup, par manque de temps, mais je like pas mal. Et puis mon défi 2017, c’est LinkedIn qui présente surtout l’avantage de donner une place à l’écriture. J’aimerais dégager du temps pour partager des points de vue, des coups de gueule aussi sans doute et des découvertes. En tous cas, maintenant que je vous ai donné le scoop, je vais être obligée de m’y mettre !

Benoît Cornu : J’ai fait en ce qui me concerne mes premiers pas sur Facebook fin 2006, et nous n’étions pas très nombreux à l’époque ! Mais j’ai vite été étonné  par le mélange privé/public et depuis je n’utilise les réseaux sociaux qu’à titre professionnel, en tout cas quand il s’agit de publier quelque chose.

Twitter est incontestablement mon premier fil d’actualité et de veille et un formidable outil d’expression, d’échanges et de valorisation. C’est aujourd’hui le réseau que je considère comme le plus incontournable, avec LinkedIn dont les contenus « mûrissent » progressivement et qui est un média plus « froid ». Je suis fasciné aussi par Instagram, qui dans le monde de l’art et de la création est devenu indispensable. J’y passe un peu de temps ! Je recommande aussi de s’intéresser à WeChat, le réseau chinois aux 850 millions d’utilisateurs. Impossible de travailler ou de communiquer en Chine sans y avoir un compte, et c’est maintenant la première chose qu’on vous demande là-bas quand vous faites connaissance : votre QR code WeChat !

Le BrandNewsBlog : Vous l’avez évoqué : à l’heure du digital et des médias sociaux, il semble que chaque jour, ce que dit l’entreprise a tendance à devenir un moins important que ce que l’on dit d’elle… A partir de ce constat, de nombreuses entreprises se sont lancées dans des démarches de brand advocacy et d’employee advocacy** en particulier. Il me semble que vous êtes plutôt en pointe, notamment chez Orange, dans ce type de démarche. Pouvez-nous en parler Béatrice ? Et qu’en est-il au PMU Benoît ? Pourriez-vous également nous parler d’une initiative ou un projet en cours qui vous tient particulièrement à coeur, et sur lequel vous travaillez aujourd’hui dans votre entreprise ?

Béatrice Mandine : Je ne sais pas si nous sommes « en pointe »… Je dirai plutôt que le programme est naissant chez Orange. Depuis quelques années, nous constatons que de nombreux salariés utilisent les réseaux sociaux à titre parfois personnel mais aussi professionnel, pour relayer les informations de l’entreprise.

Très vite, il nous est apparu comme une évidence que les salariés de l’entreprise allaient en être les meilleurs ambassadeurs. C’est un élément de fierté fort. Ce qui nous a pris un peu plus de temps à construire, à la communication, c’est l’étape d’après : comment l’entreprise, et donc sa direction de la communication, peut adresser ses salariés pour qu’ils soient le relais des actions de communication du Groupe ? Comment faire en sorte que cela reste crédible, etc ?

Finalement nous avons opté pour un petit groupe de travail, agile, systématiquement en test & learn et sans processus compliqué. Les choses doivent rester naturelles, spontanées, en proximité. Aujourd’hui, nous partageons régulièrement avec cette soixantaine d’ambassadeurs du contenu destiné à des actions de communication internes ou externes. Des moments de rencontres spécifiques leurs sont également dédiés et des quotas de places sur nos événements leur sont réservés. L’idée n’est pas de faire d’eux des « caisses de résonnance automatisées » de nos actions, mais plutôt de leur donner l’occasion de vivre les coulisses de nos métiers finalement. Et cela marche plutôt bien.

Béatrice Mandine

Benoît Cornu : Pour beaucoup de ces initiatives de brand et employee advocacy, il me semble difficile de déterminer si elles relèvent vraiment d’une démarche volontariste ou bien d’un état de fait au secours duquel volent certaines entreprises… C’est en tout cas une réalité que nous devons tous prendre en compte et dont les contours ne sont pas simples à dessiner. Par définition, de telles démarches ne peuvent être uniquement « top-down » ni aboutir, a contrario, à une libération totale de la parole. De notre côté, nous y réfléchissons depuis peu. La démarche d’Orange est intéressante car pragmatique et mesurée, avec une logique d’accompagnement. Je compte bien m’en inspirer (merci Beatrice) !

Au PMU, nous travaillons surtout l’agilité de l’entreprise et la transformation du modèle managérial pour le rendre plus en phase avec le temps présent et accélérer le rythme interne. PMUConnect, notre réseau social interne s’est imposé en quelques mois seulement (il est aussi simple que Facebook !) et les équipes en mode « agile » font preuve d’une formidable efficacité… Des quick-wins porteuses de belles promesses !

 

 

Notes et légendes :

* Article « Les dircom sont désormais des transformistes » par Marie Coudié (Head of international brand communication du groupe Mazars) –  Série Les néo-communicants (2/8) – Les Echos Business, 26 juillet 2016.

** Article « Quels enjeux pour les dircom en 2016 ? »: interview croisée de Pierre Auberger, directeur de la communication du Groupe Bouygues et Anne-Gabrielle Dauba- Pantanacce, directrice de la communication et des relations presse de Google France – The BrandNewsBlog, 31 janvier 2016.

(1) Journaliste de formation (elle est diplômée de l’École supérieure de journalisme (ESJ) et de l’Institut des hautes études internationales), Béatrice Mandine commence sa carrière en 1988 en tant que journaliste au Figaro, à Marie-Claire et à la chaîne de télévision la 5, avant de rejoindre en 1990 Alcatel comme chargée de communication interne. En 1992, elle devient attachée de presse pour Alcatel Radio Space & Defense, avant d’intégrer le service de presse d’Alcatel Alsthom. Nommée en 1998 directrice médias d’Alcatel Consumer Division, puis directrice des relations presse et publiques de la division téléphone mobile d’Alcatel deux ans plus tard, elle rejoint en 2004 le groupe Faurecia comme responsable des relations presse et de l’image institutionnelle. Elle est entrée chez Orange en 2007 en tant que directrice du service de presse, avant d’être nommée directrice déléguée à la communication externe (en 2010), puis directrice adjointe de la communication en charge de la communication externe en 2012.

Elue en 2013 meilleure dircom parmi les 52 premières entreprises cotées en France, par un jury de 170 journalistes, elle a été nommée directrice exécutive en charge de la communication et de la marque en mai 2013.

(2) Après des études en école de commerce, Benoît Cornu commence sa carrière en 1990 en tant que chargé d’études marketing au sein de l’institut Proscop. Il rejoint ensuite Chronopost en 1994 en tant que responsable marketing avant de rejoindre les supermarchés Match (groupe Cora) en tant que responsable Stratégie et Marché. De 2000 à 2002, il devient Directeur Marketing et Organisation d’Opéra (Casino-Cora) avant de rejoindre le groupe Dell en tant que Directeur délégué d’EMC Distribution. Directeur de la communication et des affaires publiques du Groupe Casino de 2003 à 2006, il rejoint ensuite le PMU, dont il est le directeur de la communication depuis septembre 2007.

Administrateur d’Entreprise et Médias depuis 2014 et de l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) depuis 2015, il a été nommé en novembre 2016 « personnalité communicante de l’année 2016 » par l’association Communication et entreprise, ce prix étant remis chaque année à « une personnalité qui s’est distinguée par ses actions, ses travaux ou ses réflexions dans le domaine de la communication d’entreprise ». 

(3) Article « La communication, levier stratégique pour l’entreprise » à lire sur le site « We are com », blog indépendant dédié à la communication corporate en France.

 

Crédits photos : ©Christophe Guibbaud/SIPA/Orange et ©David Morganti/SIPA (portraits de Béatrice Mandine) ; médiathèque PMU (portraits de Benoît Cornu).

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