Je vous le disais ce week-end : le regard des marketeurs.euses et des communicant.e.s de terrain, qui ont vécu « aux premières loges » les impacts de la crise sanitaire, nous est particulièrement précieux en cette rentrée.
Aux commandes des équipes communication de Club Med, Thierry Orsoni¹ nous parlait samedi de la résilience de son entreprise et du rôle joué par les équipes com’ dans l’accompagnement de ses différentes parties prenantes (collaborateurs, clients…).
Ce mardi, dans le cadre de ma série « La rentrée du BrandNewsBlog », c’est au tour d’Emmanuelle Raveau, directrice communication et marketing d’EY, de partager avec nous son expérience et les enseignements de cette période complexe.
Au contact de la plupart des acteurs de l’économie et aux côtés des entreprises, EY a traversé la tempête des derniers mois en adaptant rapidement son organisation pour continuer de répondre aux besoins de ses clients, plus que jamais en attente d’accompagnement et de conseils.
Tout en continuant de « gérer la demande » et les urgences quotidiennes, l’entreprise a aussi pu mesurer, au travers de cette crise, la nécessité de faire progressivement évoluer les modèles économiques, pour les inscrire dans une dynamique plus responsable et de long terme, validant ainsi sa vision sur les grands enjeux à venir et l’engagement inscrit dans sa raison d’être : « Building a better working world ».
Dans son interview, Emmanuelle Raveau évoque ces grands enjeux et le rôle des communicant.e.s. En tant que Présidente de COM-ENT, premier réseau de communicants français, elle nous dit aussi comment l’association a continué d’accompagner les professionnels, qu’ils soient freelances, collaborateurs d’agences, d’institutions ou d’entreprises, dans une des périodes les plus difficiles que notre filière ait connu.
Merci encore à elle pour sa disponibilité et son éclairage précieux en cette rentrée 2020, qui restera quoiqu’il advienne marquée dans nos mémoires…
Le BrandNewsBlog : Bonjour Emmanuelle. La crise sanitaire mondiale inédite que nous traversons a commencé depuis maintenant plus d’un semestre… et devrait hélas durer encore de longs mois. Comment votre Groupe a-t-il été impacté par cette crise et quelles mesures avez-vous mises en œuvre pour maintenir vos activités ainsi que le lien avec vos collaborateurs et vos clients, durant cette période ?
Emmanuelle Raveau : L’incroyable et historique crise sanitaire que nous venons de vivre, laquelle, nous le voyons de jour en jour, n’est malheureusement pas encore derrière nous, a profondément bouleversé tant dans nos vies personnelles que professionnelles. Il a fallu repenser notre quotidien avec agilité et même courage pour beaucoup d’entre nous.
L’impact a été, comme pour la quasi-totalité des entreprises, à la fois économique et humain. Certains pans de nos activités ont été brutalement mis à l’arrêt. Certains de nos collaborateurs aussi.
Le maintien du lien avec les collaborateurs a été et demeure la préoccupation première du Management et des responsables d’équipes. La communication interne, dont on sait l’importance, a fait l’objet d’une attention toute particulière. Il faut à la fois rester présent à distance, faire preuve de transparence, rassurer quant à l’activité de l’entreprise, se projeter dans un « Après » encore très indéterminé, tout en adaptant les modes de travail au quotidien.
Et pourtant, il nous faut dès à présent penser à demain avec une vision qui dépasse l’immédiateté. Donner de la perspective est capital car aujourd’hui il faut ancrer notre résilience dans un équilibre de très long terme.
Le BrandNewsBlog : A l’heure où nous parlons, quel bilan tirez-vous des mesures mises en œuvre par votre entreprise pour gérer au mieux les impacts de cette crise ? Ont-elles été efficaces et bien perçues par vos différentes parties prenantes ? Et quelles leçons retenez-vous plus particulièrement de ces derniers mois, dont il faudrait/faudra tenir compte dans les prochains mois ?
Emmanuelle Raveau : Je dirais que nous avons su faire preuve d’agilité tant dans la prise de décision que dans la mise en place des mesures de protection sanitaire. Un dialogue interne avec les responsables d’unité, les instances sociales et l’écoute active des collaborateurs nous a permis de concrétiser rapidement un plan d’action. Dans ce type de situation inédite, le plus complexe est, me semble-t-il, de trouver le bon curseur tant dans les actes que dans la communication.
Les prochains mois et particulièrement la période de rentrée nous amènent à prolonger les mesures qui avaient déjà été mises en place afin de protéger nos collaborateurs tout en nous adaptant à nos contraintes clients.
Les enseignements sont multiples mais convergent tous vers un devoir de vigilance accru. La situation perdure et doit nous amener à nous adapter en permanence. C’est un des enseignements majeurs de cette crise, savoir s’adapter rapidement à toutes les situations qui se présentent à nous.
La crise est devenue un état quotidien, presque ordinaire alors même qu’il a fait notre « désordinaire » pendant des mois. L’individu est ainsi fait qu’il a besoin de sécurité, de visibilité, de stabilité pour se réaliser au quotidien, tant personnellement que professionnellement. Hors tous ces principes ont volé en éclats.
Le monde du travail qui était déjà en pleine mutation accélère désormais sa transformation. C’est un virage critique à aborder avec le plus grand discernement pour ne laisser personne au bord du chemin.
Le BrandNewsBlog : La pandémie étant encore loin d’être circonscrite dans le monde, et toujours susceptible de connaître un rebond et de nouveaux épisodes en Europe, pensez-vous néanmoins que votre entreprise serait/sera mieux préparée qu’en début d’année à l’éventualité d’une nouvelle période de confinement ou à l’annonces de nouvelles mesures contraignantes ? Y-a-t‘il réellement une courbe d’apprentissage, même dans une crise aussi singulière et inédite que celle que nous connaissons aujourd’hui ?
Emmanuelle Raveau : Le rebond est malheureusement là. C’est un fait auquel nous nous attendions néanmoins.
Il y a une courbe d’apprentissage, c’est certain, mais elle n’est pas exclusivement inhérente à la pandémie. De tout temps, les entreprises ont vécu des chocs et ont dû s’adapter. On ne peut jamais avoir de certitude car s’adapter c’est vivre une expérience nouvelle, vivre une situation qui est déstabilisante dans un premier temps, puis que l’on apprivoise et que l’on fait sienne.
C’est ce que nous sommes en train de vivre : nous apprivoiser à une situation pour en avoir moins peur. En cela, c’est un apprentissage au quotidien.
Le BrandNewsBlog : La mission d’EY, telle qu’elle est décrite sur votre site web, est « d’aider (vos) clients à résoudre leurs problèmes les plus complexes »… Avec la crise sanitaire et ses différents rebondissements, je pense que la plupart des entreprises ont été bien servies en terme de complexité ! De fait, avez-vous reçu de nouvelles demandes de la part de vos clients et si oui, de quelle nature ? Cette crise a-t’elle été plutôt défavorable ou bénéfique pour votre business ? J’imagine que les TPE/PME, comme les ETI et plus grandes structures, auront encore davantage besoin de conseil dans les prochains mois que par le passé ?
Emmanuelle Raveau : Notre rôle n’a pas changé pendant la crise ; rester présent et engagé aux côtés des entreprises et servir nos clients afin de les aider à appréhender de la meilleure manière leurs enjeux demeure notre quotidien. Face à la situation, les entreprises ont eu davantage besoin de décryptage sur les dimensions RH, les mesures fiscales mises en place par le Gouvernement, les éléments de stratégie afin d’anticiper au mieux la reprise d’activité.
Les équipes ont continué leurs travaux à distance dès lors que cela était possible.
Toutes les entreprises ont souffert et souffrent encore de cette crise. Selon l’activité et la taille, l’impact aura été différent et toutes vont apprendre de ce traumatisme.
Par ailleurs, nous avons constaté que les entreprises qui avaient déjà entamé des process de transformation ont été souvent mieux armées pour faire face à la crise.
Le BrandNewsBlog : On a beaucoup parlé, sur ce blog et dans les médias spécialisés, du rôle accru et éminent des communicants, qui ont été très sollicités durant les mois écoulés. Qu’on parle de communication interne ou bien de communication externe, les défis à relever étaient en effet majeurs. De quelle réussite êtes-vous la plus fière en ce qui concerne vos équipes ces derniers mois ? Et quels sont les enjeux qui se profilent en cette rentrée et les mois suivants pour les communicants ?
Emmanuelle Raveau : La communication a effectivement été accrue ces derniers mois. Les communicants ont davantage travaillé de pair avec leurs homologues des RH. Il a fallu être agile et transparent ; être empathique sans pour autant faire preuve de contagion émotionnelle. L’impératif de survie économique des entreprises, étroitement associé à la mise en place du dispositif d’activité partielle – un choc de plus pour un grand nombre de salariés – a été expliqué sans ambages.
Une forme de solidarité s’est vite exercée entre les collaborateurs demeurés à temps plein et ceux en activité partielle. Beaucoup ont spontanément proposé leurs services dans des domaines qui n’étaient pas forcément les leurs afin de répartir la charge de travail qui avait drastiquement baissé pour les uns et considérablement augmenté pour d’autres.
La crise que nous traversons nous oblige plus que jamais à repenser notre modèle économique, social et sociétal à l’aune de la durabilité. Nos réflexions, nos actions, nos services ne peuvent plus échapper à cette création de valeur à long terme par la société. En cela, il est à espérer que la crise aura accéléré ce changement de paradigme.
Je pense que tous les communicants (ou presque !) sont dans cette mouvance. La communication ne se fait pas ex-nihilo ; elle se construit sur le dialogue, les faits, les actions, le partage ; elle doit constituer un socle puissant et pérenne pour l’entreprise, ses collaborateurs et ses clients.
Aujourd’hui la Société souffre encore de trop d’une communication qui, au prétexte d’aller vite, se distord d’un media à l’autre, d’une bouche à l’autre et qui finit par constituer une arme de désinformation massive dont on connaît malheureusement les résultats. Dominique Wolton appelle cela la mécanique de la dévalorisation lorsqu’il parle du temps comme d’un défi majeur de la communication.
Le BrandNewsBlog : En tant que Présidente de COM-ENT, le 1er réseau de communicants français, vous avez du également voir affluer de nombreuses demandes durant cette période, de la part de confrères/consœurs et de collègues… Comment l’association a-t-elle pu venir en aide aux communicants qui en avaient besoin et poursuivre ses missions ces derniers mois ? Sous quelle forme ? J’imagine que les canaux et outils numériques ont été largement utilisés, à défaut de pouvoir organiser des échanges « in real life » ?
Emmanuelle Raveau : L’ensemble des freelances, agences, institutions ou entreprises ont été impacté par la crise sanitaire. Certains s’en remettent lentement tandis que d’autres sont encore dans une situation complexe. L’Association aussi a souffert de la situation. Nos évènements ont été stoppés et nous avons dû repenser nos formats de rentrée, même si nous sommes conscients que tout peut encore changer.
Notre rôle a été de demeurer présent pour nos adhérents. Nous avons poursuivi le lien social et professionnel avec des Webcast, des temps d’échanges sur de nombreux sujets, notamment sur l’évolution de nos métiers.
Evidemment, le numérique a été le principal canal pour maintenir ce lien. L’ADN de l’association repose pour beaucoup sur ses évènements de convivialité. Nous souhaitons tous ardemment qu’ils puissent reprendre rapidement. Le numérique ne peut pas tout remplacer !
Le BrandNewsBlog : Il me semble qu’au sein de COM-ENT, vous aviez entrepris en début d’année de réfléchir sur l’évolution des métiers de la communication à l’horizon 2030… Qu’en est-il de cette réflexion : avez-vous pu la poursuivre ces derniers mois ? Et est-ce que la crise que nous traversons est de nature à modifier les scenarii sur lesquels vous aviez travaillé ? Qu’est-ce qu’une crise aussi durable et intense que celle que nous traversons va changer à nos métiers et à la fonction de dircom en particulier, selon vous ?
Emmanuelle Raveau : Le sujet est bien entendu toujours d’actualité. Et d’autant plus je dirai avec ce que nous avons vécu. Nous avons à la fois peaufiné et adapté nos réflexions qui devraient être présentés à partir d’octobre. L’idée est de publier mensuellement une fiction (qui pourra devenir une réalité…) et d’organiser en parallèle une rencontre pour approfondir le thème autour de quelques experts et de nos membres.
Les sujets de prospective répondent à une forte demande de nos adhérents. La fiction dépasse vite la réalité et y réfléchir amène évidemment à s’y préparer.
La communication est par essence une fonction dont le contenu et les modes de fabrication évoluent. Je suis convaincue que notre métier continuera d’évoluer vers encore plus de quête de sens et de responsabilité.
En miroir à la citation d’Isaac Newton (We build too many walls and not enough bridges), les communicants sont, plus que jamais, les artisans des ponts qui relient les uns aux autres, ici et ailleurs.
Le BrandNewsBlog : Après avoir défini sa raison d’être (« Building a better working world »), votre entreprise s’est résolument engagée à promouvoir un modèle de croissance « plus responsable et plus durable », dont votre Country Manager, Eric Fourel, analyse brillamment les enjeux dans ce texte, qui présente les 4 « mégatrends » qui devraient reconfigurer le monde de l’après Covid-19… Révolution numérique, transition climatique, évolution des équilibres géopolitiques, explosion démographique : en quoi pensez-vous qu’EY pourra contribuer positivement face à de tels défis ? Et ne pensez-vous pas que, crise économique aidant, les objectifs court-termistes des entreprises et le « business as usual » risquent de reprendre rapidement le dessus sur les belles déclarations d’intention et les nobles engagements sociétaux des entreprises ?
Emmanuelle Raveau : L’engagement est au cœur de l’ADN d’EY depuis longtemps déjà. Aujourd’hui, nos réflexions sur le monde de demain prennent une nouvelle dimension avec notamment des enjeux qui se sont renforcés ou ont fortement émergé ces derniers mois.
Notre groupe étant mondial, nous tirons de nombreux enseignements des enjeux culturels et économiques qui prévalent dans l’ensemble des pays. Cela nous offre un poste d’observation qui nous guide aussi dans nos réflexions aussi bien en France qu’en Europe.
Comme l’a dit notre Président en France, Eric Fourel, la respiration que nous aura imposé cette crise devrait nous inviter à penser demain avec une vision qui dépasse l’immédiateté, pour enfin nous concentrer sur le plus long terme.
La révolution numérique, déjà largement en marche, s’est accélérée et suscite déjà de nombreuses questions au premier rang desquelles celle de l’éthique. Le monde du travail est irréversiblement bouleversé avec, en creux, une précarisation possible de l’emploi ; la guerre sanitaire aura exacerbé les équilibres géopolitiques souvent fragiles au motif d’une (re)conquête de puissance économique.
Dans le contexte qui est aujourd’hui le nôtre, il est évident que rien ne doit être pensé comme avant. Le monde nous a envoyé un signal qu’il serait insensé de ne pas écouter.
Si le principe de ce que l’on qualifie « entreprise à mission » doit prévaloir plus que jamais, il ne doit pas être opportuniste et doit constituer un véritable engagement sur le long terme. Les jeunes générations nous y poussent fortement aussi, considérant que l’entreprise doit s’engager et devenir un terreau d’épanouissement et d’évolution professionnelle.
L’attractivité de l’entreprise doit être le reflet d’une quête de sens, que ce soit dans son modèle économique ou social.
Mais ce changement de paradigme demeure hautement corrélé à la reprise économique qui doit retrouver un rythme acceptable pour pouvoir permettre les engagements sur le long terme.
Le BrandNewsBlog : Que ce soit en tant que directrice communication et marketing d’EY ou bien en tant que Présidente du réseau COM-ENT, quels sont /seront vos priorités et objectifs principaux en cette rentrée ? Et pour les prochains mois ?
Emmanuelle Raveau : Il nous faudra continuer à faire preuve de résilience face à la situation tant sociale qu’économique. Beaucoup de défis nous attendent collectivement. La transformation est à nos pieds et il faut l’accompagner plus que la craindre. Elle est une chance pour assurer la pérennité de notre modèle économique et social.
Les objectifs premiers doivent d’abord nous amener à recouvrer une dimension économique stable afin de préserver l’emploi. C’est à mon sens le point qui appelle le plus d’attention dans les semaines et les mois qui nous attendent.
La crise amène son lot de malheurs et d’incertitudes mais elle nous amène aussi à repenser plus en profondeur notre rapport avec nos collaborateurs et nos clients. Que doit-on considérer comme essentiel pour favoriser la reprise ? Comment guider au mieux les uns et les autres pour accompagner un cercle économique, social et sociétal vertueux ?
La réponse à ces questions devra nous orienter vers davantage d’altruisme et de tempérance.
C’est aussi cette réflexion qui guidera nos actions de rentrée.
Notes et légendes :
(1) Article « La rentrée dans le viseur.. de Thierry Orsoni, directeur de la communication de Club Med » – 5 septembre 2020
Crédits photos et illustrations : EY, The BrandNewsBlog 2020, X, DR
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