Du statut d’éclaireur à celui de suiveur : les dircom sont-ils aujourd’hui à la traîne de la transformation numérique ?

Vous le savez : cela fait des années que je m’intéresse aux évolutions des métiers de la communication et du marketing et que je rends compte, sur ce blog, des impacts de la révolution numérique sur nos pratiques quotidiennes.

Ayant eu la chance de vivre et d’impulser la transformation numérique à la tête d’équipes particulièrement agiles et d’interviewer régulièrement des dircom tous aussi passionnés que moi par ce sujet, j’ai toujours été assez admiratif de la capacité d’adaptation des communicants face à l’émergence de nouvelles technologies et de nouveaux usages. Et je n’ai jamais hésiter à affirmer leur/notre exemplarité dans ce domaine et la légitimité des dircom à accompagner cette mutation, aux avants-postes de la transformation globale de leurs organisations.

Pour autant, les dircom et leurs équipes sont-ils toujours en avance de phase en matière de #TransfoNum ? A l’heure de l’IA, de la blockchain, des big data et du web sémantique, font-ils à tout le moins figure d’éclaireurs au sein des entreprises, comme cela a été le cas aux premières heures du web puis lors de l’émergence du web 2.0 ?

Sans revenir sur le chemin accompli ces dernières années, plusieurs études et rapports récents vont sans doute refroidir l’enthousiasme des plus auto-satisfaits, car non seulement reste-t-il beaucoup à faire pour exploiter toutes les opportunités du web social, mais il semble bien que les communicants soient en train de passer à côté des prochaines révolutions technos : notamment celle du web², centré sur l’exploitation des données et celle du web 3.0, centré sur la connaissance…

Un avertissement déjà formulé en filigrane il y a quelques mois par l’éditeur Cision, à l’issue d’une enquête menée auprès de 380 directeurs de la communication¹, et relayé tout dernièrement par l’expert en transformation Alan Calloc’h².

Auteur d’un excellent mémoire sur les « Nouveaux enjeux du dircom à l’ère de la transformation digitale et de l’intelligence artificielle », dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur lors de sa soutenance au Celsa, ce passionné de communication et de numérique revient dans ses travaux sur 25 années d’évolution des métiers de la communication et dresse un constat sans appel : après s’être plutôt bien illustrés dans les premiers temps de la révolution numérique, les dircom et communicants seraient « à la traîne » face aux défis à venir. Et auraient perdu en influence et en crédibilité dans l’accompagnement des changements occasionnés au sein de leur entreprise par la transformation numérique, étant de plus en plus concurrencés sur ces sujets par d’autres directions et des expertises digitales plus poussées.

Comment en est-on arrivé là ? Et quelles sont précisément les nouvelles technologies et problématiques sur lesquelles les communicants n’ont pas suffisamment su se positionner ? Comment continuer de répondre aux enjeux de la révolution numérique tout en capitalisant sur les fondamentaux de nos métiers ? Et comment demeurer crédibles et en avance de phase, pour des dircom de plus en plus challengés par les directeurs digitaux ou des experts du marketing digital notamment ?

C’est ce que je vous propose d’aborder dans mon article du jour, dont je publierai la suite et fin dès jeudi. En remerciant encore Alan Calloc’h pour la confiance qu’il a bien voulu m’accorder, pour son point de vue et ses éclairages passionnants sur les conséquences et défis de cette révolution numérique, qui représente bien une transformation permanente au sein des entreprises et non un simple « tournant », même si des progrès importants ont déjà été accomplis, y compris ces derniers mois avec une forte accélération de la digitalisation durant la crise sanitaire.

Des dircom plutôt satisfaits de leur maturité numérique et des compétences digitales de leurs équipes…

Les directeurs et directrices de la communication auraient-ils tendance à se voir un peu trop « beaux-digitaux » ? S’il est toujours risqué de tirer des conclusions générales, tant le degré d’appétence et de maturité numériques varie d’une entreprise à l’autre et surtout d’un dircom à un autre, l’étude de l’éditeur Cision « Comment les dircom perçoivent-ils la transformation digitale ? », réalisée à l’automne 2019, a le grand mérite de fournir de premières réponses et nous présente un panorama finalement assez nuancé de la digitalisation des services com’.

Tandis que 86% des 380 dircom interrogés par Cision perçoivent la transformation digitale comme une évolution nécessaire ou une évidence (cf infographie ci-dessous), ils sont tout de même 63% à estimer que leur service est « plutôt en avance », voire « très en avance » sur le sujet par rapport aux autres directions de l’entreprise… et 19% seulement à estimer être « en retard » ou « très en retard ».

Une perception somme toute assez flatteuse, étant entendu que la « transformation digitale » reste pour beaucoup un terme assez fourre-tout, de même que « l’intelligence artificielle » par exemple, perçue par les dircom de manière très positive… alors que bien peu y ont aujourd’hui recours, ainsi que nous le verrons plus loin, et qu’un nombre encore limité de communicants est aujourd’hui en mesure de définir précisément ce que recouvre cette notion d’IA et quels usages pourraient vraiment en être faits au sein de leur structure.

Plus lucides sans doute quand il s’agit de parler de données, les dircom sont 87% à estimer que la data n’est pas utilisée de manière suffisamment approfondie au sein de leur service (cf infographie ci-dessous), la mesure de la performance de leurs actions de communication et la personnalisation des contenus en fonction des cibles étant les deux usages prioritaires identifiés  par ces professionnels.

De même, dans l’étude Cision, les directrices et directeurs de la communication sont pas moins de 72% à affirmer que leur département n’est pas suffisamment équipé pour conduire sa transformation digitale, une lacune dont 43% des communicants interrogés imputent la responsabilité à leur direction générale, pas assez volontariste dans ce domaine à leur goût, 64% des dircom pointant également un budget insuffisant et 66% un déficit de formation… L’appétence des équipes communication pour la transformation digitale n’étant pas en cause selon eux, puisque seul un petit nombre de managers et de collaborateurs seraient réticents aux mutations en cours.

Conscients de leur manque d’outils pour mener à bien tous les chantiers de la transformation digitale, les communicants sont moins de 30% à avoir accès aux solutions de CRM, quand il en existe au sein de leur entreprise (un point bloquant pour relier l’efficacité de leurs actions aux variations du chiffre d’affaires). Et seuls 8% des départements communication seraient équipés de logiciels d’influence, 15% de chatbots, tandis que les outils de social media management du type Hootsuite et les outils de veille et de social media listening seraient heureusement plus répandus…

Si les solutions d’accompagnement de l’employee advocacy (comme Sociabble) ne sont pas abordées dans l’étude Cision, on peut constater en revanche une nette progression de leur usage depuis 2 ans, parmi les entreprises ayant mis en œuvre des démarches dédiées au développement et à la gestion de leurs communautés d’ambassadeurs.

Un point positif qui ne contrebalance que faiblement le constat de sous-équipement numérique de la plupart des directions de la communication.

En ce qui concerne enfin les canaux et typologies de supports utilisés par les communicants pour diffuser leurs contenus, ceux-ci seraient aujourd’hui « digitalisés » à 65%, tandis que les outils et actions de communication non dématérialisées/non dématérialisables tendraient à représenter une portion de plus en plus congrue du brand content, ainsi que le démontrent les infographies ci-dessous. A noter que parmi les canaux digitaux, seul le blog d’entreprise tomberait progressivement en désuétude, les podcasts et autres outils du « live » étant au contraire promis à un bel avenir, de même que les contenus vidéos de manière générale (longs ou courts) hébergés sur les chaînes des entreprises.

Dircom et transformation numérique : un « décrochage » progressif, malgré la digitalisation de la fonction ces dernières années ?

Evidemment plus exhaustif et critique dans le cadre de son mémoire que ne peuvent l’être les différentes études menées sur la transformation numérique des services communication, Alan Calloc’h fait quant à lui le constat d’un retard progressif dans l’appropriation des technologies par les dircom et leurs équipes.

Et le décrochage, si tant est que l’on puisse utiliser ce terme, lui le situe historiquement dans le passage du web 2.0 au web² et au web 3.0, tels que décrits ci-dessous dans le schéma de Dion Hinchcliffe, avec de premiers retards constatés ici et là dès l’émergence du web 2.0, dans la prise en compte de certains des impacts du web social, avec une appropriation plus ou moins avancée parmi les entreprises de la révolution du brand content, des nouveaux formats d’écritures et codes du storytelling digital, ou bien en matière de gestion des User Generated Contents, faute de stratégies de co-création bien définies et réellement formalisées au sein de la plupart des entreprises…

Ainsi, dans son analyse très intéressante des évolutions de la communication et du métier de dircom, Alan Calloc’h rappelle à juste titre que notre secteur a été le premier impacté par la numérisation des organisations. Durant les années 90, avec l’émergence du web 1.0 ou web de publication centré sur les documents et alors que le site web et l’email sont les nouveaux services plébiscités par le grand public, les dircom et leurs équipes sont en effet en première ligne de la transformation numérique des entreprises. Ils élaborent les premiers sites internet et intranet et gardent le contrôle sur l’information, en considérant simplement le web comme un nouvel outil, qui ne remet nullement en cause la stratégie de prise de parole de leur organisation.

A partir de 2004, avec l’apparition des premières plateformes sociales et interfaces de programmation, puis l’essor des réseaux sociaux, naît le web 2.0 ou web social centré sur les utilisateurs et leur offrant la possibilité d’interagir (développement d’interfaces riches et de nouveaux usages de partage et de conversation). Durant cette phase, qui voit les organisations accélérer l’intégration stratégique du web, les dircom et communicants restent mobilisés, intègrent les nouvelles technologies et nouveaux codes, tout en comprenant que leur métier va en être profondément bouleversé. Ils constatent en effet qu’ils perdent de plus en plus le contrôle sur l’information, à mesure que les internautes s’expriment davantage, échangent entre eux et se mettent à interpeller les marques.

Mais avec le web², tandis que les communicants en sont encore à gérer tant bien que mal les impacts du tsunami 2.0, la donnée prend le pouvoir et vient de nouveau bousculer le périmètre métier des communicants. « En manque d’expérience, de culture technologique et marketing face à cette nouvelle vague, le dircom se voit dépossédé de certains projet, au bénéfice des directeurs marketing et des nouveaux directeurs digitaux, disposant d’un niveau d’expertise bien plus poussé et d’une vision transversale de la transformation numérique’.

Alors que nous entrons désormais progressivement dans l’ère du web 3.0 dit « sémantique », où les machines comprennent et sont en capacité d’utiliser de manière autonome les données qu’elles hébergent, la perte de repère est encore plus complète pour les communicants, qui tardent à mettre à jour leur logiciel et à adapter leurs pratiques, faute de formation et d’une compréhension fine des nouveaux enjeux. En témoigne le corpus d’annonce de recrutement ainsi que les nombreuses fiches de poste récentes étudiées par Alan Calloc’h : dans la plupart des cas, les enjeux liés au digital y sont traités traités à la marge (ou pas du tout), comme si la révolution numérique était achevée et déjà totalement intégrée par l’écosystème de la communication.

Dixit le consultant en transformation numérique : « Nous avons été surpris de constater que 60% des annonces étudiées (tous secteurs et tout type de structure confondus) n’intègrent peu ou pas d’enjeux liés au digital, ni au titre de la transformation de l’organisation, ni au titre de la dimension ‘outil’. Par ailleurs, concernant les fiches descriptives du métier de directeur de la communication, 86% des structures du panel étudié n’intègrent pas de sémantique spécifique sur le thème de la transformation digitale. » 

Sans même entrer dans le détail des technologies et les notions d’intelligence artificielle, de blockchain ou de data, dont la mention est là aussi absente de la quasi-totalité des annonces et descriptifs, cette conception pour le moins « figée » de nos métiers interpelle et vient donner de l’eau au moulin d’Olivier Lefèvre, consultant du groupe Onepoint cité par Alan Calloc’h, qui ne peut lui aussi que relever le décalage :

« Le secteur de la communication est le premier à avoir été impacté par la numérisation au sein de l’organisation. Un temps en première ligne de la transformation digitale, le directeur de la communication est aujourd’hui moins impliqué. Il est pourtant celui qui a installé les outils web, créé les premiers sites (internet et intranet), mis en place des cellules dédiées au web… Et pourtant, il ne semble plus être un moteur de la transformation […] L’écosystème a évolué plus vite que lui »

Nouveaux formats et nouvelles écritures du storytelling digital, modélisation de la chaîne éditoriale, stratégies de co-création… : tous les impacts et enjeux du web 2.0 sont encore très inégalement pris en compte

Dans la première partie de son mémoire, « Disruptions à l’ère des réseaux sociaux et du mobile », Alan Calloc’h recense de manière précise et exhaustive les différents défis auxquels les dircom dont confrontés à l’ère du web 2.0, en précisant que la plupart ont été intégrés, au moins dans les discours, comme en témoignent les interviews de dircom qu’ils ne manquent pas de citer.

Immédiateté des réseaux sociaux, fake news, défiance croissance des citoyens face aux institutions et aux discours corporate, inflation de contenus, « infobésité » et diminution de l’attention des publics… réclament une transparence accrue, de la sincérité et la démonstration de véritables valeurs de l’entreprises, incarnées de préférence par ses salariés, ses dirigeants ou des ambassadeurs crédibles.

De fait, à l’heure du web social, « ce sont les valeurs de respect, d’honnêteté, d’écoute et de générosité qui forment le socle durable de relations numériques de confiance… » rappelle Alan Calloc’h et les communicants sont appelés à communiquer différemment, en investissant certes les différentes plateformes sociales et en s’appropriant les nouveaux outils, mais en intégrant également à leur narration le destinataire de leurs messages.

Dans cette nouvelle ère où les marques sont invitées à exprimer leur identité et une vision forte, articulée aux nouveaux besoins de leurs parties prenantes et de la société, il appartient aux entreprises et aux communicants de démontrer sans langue de bois la réalité de leurs engagements, de respecter le « contrat de confiance » avec leurs clients et parties prenantes en nourrissant un vrai dialogue, une vraie conversation avec eux sur les réseaux sociaux notamment. Les contenus produits doivent être efficaces et engageants, et respecter les nouveaux codes et formats de l’écriture digitale (contenus riches, « langage augmenté » utilisant toute la palette des nouvelles ressources numériques : émojis, mêmes, sons et images), alterner formats longs et courts dans le cadre d’un storytelling digital pensé et efficace, soutenu par de véritables schémas narratifs (les lecteurs assidus de ce blog retrouveront là des conseils maintes fois évoqués sur ce blog, ainsi que l’écho des recommandations de l’experte du langage Jeanne Bordeau).

Mais de facto, comme le souligne Alan Calloc’h et malgré de réels progrès accomplis par beaucoup d’organisations, c’est souvent dans l’appropriation de ces nouveaux codes d’écriture et dans le déploiement ce se storytelling digital, voire dans l’organisation et la modélisation même de la chaîne éditoriale sensée suivre cette stratégie éditoriale et en produire les contenus que le bât blesse.

Encore très « silotée » (entre directions de la communication, du marketing, voire les départements commerciaux), la production de contenus, trop souvent disparates, échoue à atteindre son objectif de cohérence et à adresser la multiplicité des points de contact avec les bons messages, dans le bon timing. Et si des « newsrooms » ont été bien mises en place ici et là, dont le dircom est rarement le rédacteur en chef en définitive, il est bien rare que tous les producteurs de contenus et tous les experts des canaux digitaux et offline y aient été intégrés, pour gérer cette chaîne éditoriale complète allant de la production à leur diffusion, en passant par l’indispensable monitoring de leur performance. Et tous les experts du web social sont loin d’y être systématiquement associés.

Outre le faible degré de modélisation de la chaîne éditoriale au sein de la plupart des entreprises, le manque de ressources et d’expertises dédiées ainsi que d’outils pour saisir complètement toutes les opportunités du web 2.0, les communicants seraient encore assez en retard en matière de co-création de contenus et de gestion des user generated content, ainsi que le rappelle également Alan Calloc’h.

De fait, si la capacité à faire participer les consommateurs, les clients fidèles et les consommateurs à leur storytelling de marque est une des forces d’entreprises exemplaires comme Innocent, Red Bull ou Go Pro pour ne citer que les plus connues, bien des entreprises considèrent encore la co-création et le « storymaking » comme des gros mots… quand la signification même de ce dernier terme ne leur échappe pas complètement.

Il y aurait donc encore beaucoup à faire pour que toutes les entreprises et tous les communicants puissent se targuer d’exploiter complètement toutes les opportunités du web social, nous glisse en filigrane Alan Calloc’h.

Blockchain, big data, VR et IA : des nouvelles technologies encore mal maîtrisées et très peu appliquées par les communicants et les dircom

Si le web 2.0, les réseaux sociaux et le mobile ont bouleversé le quotidien du dircom, sans que celui-ci sache encore en exploiter toutes les opportunités, une autre révolution peut-être plus impactante encore pour les organisations se prépare depuis des années : celle de la captation, de l’enrichissement et du traitement de la donnée sous toutes ses formes.

Capable de capter, traiter et exploiter une masse sans cesse plus importante de données, la technologie associant big data et tracking comportemental à la puissance de calcul accrue de l’informatique offre des possibilités quasi illimitées et permet aux entreprises de comprendre, mieux cibler et anticiper. « Couplées avec les techniques d’intelligence artificielle, de l’automatisation et de la vérification des informations via la blockchain, les données autorisent les direction marketing et communication à atteindre le graal : adresser le bon contenu, à la bonne personne et au bon moment. » 

Et Alan Calloc’h de présenter dans le détail, dans son mémoire, les opportunités offertes par le tracking comportemental et la masse exponentielle de data consolidées par les GAFAM, Google et Facebook en tête, ainsi que l’importance de la 5 G, du cloud et des objets connectés dans la convergence des systèmes informatiques et le croisement de ces milliards de données qui ne demandent qu’à être analysées et utilisées.

Las, les entreprises et les services marketing et com’ disposent encore très rarement des outils et des compétences leur permettant une telle exploitation, quand ce n’est pas la gouvernance elle même du sujet au sein de l’entreprise qui pose problème. Dixit Béatrice Mathurin, directrice communication du groupe Chantelle : « La mutation du métier est lié à la data et aux multiples sources de collecte de données. Face à cette problématique, on a l’impression que personne ne dirige. On accumule les chiffres avec une volonté de les faire parler, afin d’aller chercher toujours plus de ROI », mais sans mettre en oeuvre au bon endroit les expertises adéquates pour une exploitation efficace, faute de concertation et d’une véritable prise de conscience des enjeux.

De même, la blockchain, technologie de stockage et de transmission d’information sécurisée fonctionnant sans organe central de contrôle, offre des perspectives plus qu’intéressantes pour les dircom et leurs équipes : 1) possibilité de lutter contre la désinformation et les fake news, en certifiant et garantissant la fiabilité d’informations et de publications (communiqués de presse, communications financières…) ; 2) authentification et gestion de la relation avec les influenceurs sur la base d’indicateurs partagés de ROI ; 3) assainissement du marché de la publicité en ligne grâce aux capacités de structuration et de sécurisation de la blockchain ; 4) meilleure gestion de la relation client et de l’employee advocacy, grâce au partage directement consenti par les contacts et les ambassadeurs de leurs données personnelles… Mais là encore, hormis le 1er item concernant la certification des informations, déjà utilisé par quelques grands groupes, les expérimentation des dircom et de l’écosystème de la communication demeurent pour l’instant embryonnaires.

Et que dire de l’intelligence artificielle, si souvent et confusément évoquée qu’on ne sait plus exactement ce qu’elle recouvre ? Dans son mémoire, Alan Calloc’h y consacre un longue partie et remet les « vaches au milieu du pré », en citant 5 champs à explorer méticuleusement par les dircom et leurs équipes : 1) l’amélioration des dispositifs de veille, d’écoute et de collecte des données, grâce aux technologies d’exploration intelligente ou de « smart crawling », à la vérification et l’analyse des informations ; 2) la production de contenus courts et structurés, comme des dépêches ou brèves, ou l’identification de contenus existants grâce à la reconnaissance de textes ou d’images ; 3) La personnalisation et la diffusion de contenus, avec une analyse en temps réel des retours et interaction des publics ou des communautés destinataires des messages ; 4) les agents conversationnels ou chatbots, dont Alan Calloc’h signale qu’ils pourraient être aussi intéressants en communication interne qu’en communication externe ; enfin 5) La reconnaissance et la recherches vocales avec les opportunités infinies offerts par les assistants virtuels, dont je vous avais déjà parlé dans cet article.

On le voit : ce ne sont pas les sujets et les chantiers d’innovation qui manquent, d’autant que je n’ai parlé ni de réalité virtuelle ou augmentée, ni des ressources de la communication live, ni des apports tangibles des sciences cognitives dans le développement d’expériences utilisateurs plus satisfaisantes et gratifiantes, pour ne citer que ces autres champs d’amélioration et d’investigation…

Comment les dircoms et leurs équipes peuvent-ils combler leur retard et quelle posture adopter face aux flux continu d’innovations et à la #TranfoNum permanente ?

Sur ces points, les recommandations d’Alan Calloc’h et des experts de Cision se rejoignent.

S’il n’est pas attendu des dircom et des communicants qu’ils abandonnent leurs missions « régaliennes », l’information des publics, la promotion de l’image et des valeurs de la marque au travers d’une narration et de contenus incarnés, reflétant l’identité et la vision de l’entreprise, la gestion de la réputation et la mise en cohérence des discours sortants, l’animation de leurs communautés d’ambassadeurs et de porte-parole… on attend néanmoins d’eux qu’il investissent complètement les opportunités du web conversationnel et de la co-création, qui sont à leur portée, et s’emparent des nouveaux codes et bonnes pratiques du storytelling digital, en revoyant au besoin l’organisation et à modélisation de leur chaîne éditoriale, pour faire tomber les silos au sein de leurs propres équipes.

Et au-delà de la question des budgets et des moyens, qui est certes cruciale pour envisager la suite et faire face aux enjeux du web² et du web 3.0 dont nous venons de parler, au-delà même de la question des outils qui ne sont pas du tout à la hauteur des ambitions, il est aussi urgent que les dircom s’approprient tous les enjeux des révolutions à venir, en se formant en permanence et en formant leurs équipes aux technologies émergentes. C’est loin d’être suffisamment et si souvent le cas dans toutes les entreprises, certains pensant – à tort – être suffisamment en avance ou voir fait le tour des principaux enjeux.

A cet égard, si les dircom n’ont pas nécessairement vocation à devenir eux-mêmes des experts opérationnels du digital, beaucoup gagneraient assurément à s’inspirer de l’exemple de Béatrice Mathurin, dircom du groupe Chantelle, qui a poussé jusqu’au bout la réflexion sur l’évolution de ses propres compétences en choisissant, après 15 ans d’expérience, de réaliser un 3ème cycle spécialisé en marketing digital. A défaut d’avoir elle-même exercé chacun des nouveaux métiers du numérique, si utiles aux services communication, elle dispose sans doute aujourd’hui d’une bien meilleure connaissance et compréhension des enjeux… et des axes de progression de ses équipes pour passer du web social à celui de la connaissance : un défi majeur pour tout communicant.

 

 

 

 

Notes et légendes :

(1) Etude « Comment les dircom perçoivent la transformation digitale ? » réalisée entre juillet et septembre 2019 auprès de 380 directrices et directeurs de la communication en France, par Cyndie Bettant, Directrice Communication & Influence de Cision.

(2) Passionné par le numérique et la communication, Alan Calloch est aujourd’hui coach, consultant et formateur, spécialisé dans l’accompagnement des entreprises à la transformation digitale.

Il a réalisé son mémoire sur les « Nouveaux enjeux du dircom à l’ère de la transformation digitale et de l’intelligence artificielle » dans le cadre de son master de Communication des entreprises et des institutions réalisé en formation continue au Celsa, sous la responsabilité de la Professeure Nicole d’Almeida.

 

Crédit photos et illustrations : 123RF, Cision, The BrandNewsBlog 2020, X, DR

Communication de crise : les marques à l’épreuve des millenials et/ou de la logique booléenne des réseaux sociaux ?

Dans la foulée de mon article de la semaine passée, consacré aux croyances et aux attentes des générations Y et Z, il me tenait à coeur de vous entretenir aujourd’hui du rapport particulier qu’entretiennent les millenials – et en réalité de plus en plus de socionautes – avec les marques en situation de crise.

A cet égard, je vous avoue avoir été très marqué (et inspiré) par un article de Jean-Marc Lehu¹, qui n’y va pas avec le dos de la cuillère avec les millenials, puisqu’il nous les désigne carrément comme les « nouveaux bourreaux de la réputation des marques », dont l’instrument de châtiment et de torture préféré ne serait autre que les réseaux sociaux, bien évidemment…

Il est vrai qu’à première vue, de par leur exigence presque inquisitoriale de transparence, leur hyper-sensibilité aux dérapages des institutions et des « puissants » de tout acabit, leurs jugements souvent manichéens, leur maîtrise des outils digitaux et leur goût du (bad) buzz, les « Y » et les « Z » font souvent figure de premiers fossoyeurs de la réputation des marques en crise.

Mais comme le reconnaît incidemment Jean-Marc Lehu lui-même, en nous décrivant le fonctionnement et certaines déviances des réseaux, il en va de même de toutes les générations d’internautes en réalité, tant il est vrai que les réseaux sociaux ont démultiplié de manière exponentielle les mouvements d’humeur des socionautes vis-à-vis des entreprises et largement contribué à alimenter leur intransigeance.

Primauté des émotions sur les faits et du faux sur le vrai, mauvaises interprétations de messages et de contenus de marques, logique « booléenne » des réseaux dans des contextes d’hyper-sensibilité sociétale, surexposition sans précédent liée à l’instantanéité et à l’universalité des médias sociaux : le nouveau cocktail 3.0 est explosif pour les marques en crise, qui doivent plus que jamais faire preuve de prudence, d’empathie… Et faire de plus en plus souvent amende honorable, même quand elles ne sont coupables de rien… ce qui arrive plus souvent qu’on le croît (!)

C’est de ce sujet à la fois passionnant et un brin inquiétant pour tous les communicants (et les citoyens) que nous sommes, que je vous propose de débattre aujourd’hui. En commençant par vous souhaiter une bonne fin de week-end pascal à toutes et tous, bien sûr.

Des millenials plus exigeants vis-à-vis des marques et plus réactifs à leur moindre faux-pas que leurs aînés ?

Dans le portrait qu’il dresse des générations Y et Z, pour le compte de la Revue des marques, Jean-Marc Lehu s’empresse d’emblée de reconnaître, comme la plupart des autres experts que j’ai cités la semaine dernière, qu’il faut se garder de toute généralisation hâtive et des visions stéréotypées. L’homogénéité de cette classe d’âge des « millenials » étant un leurre, ce ne sont pas tant ses caractéristiques sociologiques ou comportementales qu’il faudrait considérer, que ses attitudes et croyances communes et ce ciment qui caractérise la plupart des « digital natives » occidentaux : à savoir un usage et une maîtrise encore plus poussés des réseaux sociaux modernes que leurs aînés.

Aux exceptions individuelles près, d’après l’enseignant de Paris 1, les Y et les Z partageraient ainsi avis, commentaires et moments de vie sur leurs réseaux sociaux favoris beaucoup plus facilement que ne le font leurs parents et grands parents et constitueraient de fait un public d’autant plus plus sensible et imprévisible qu’ils seraient hyper-réactifs à l’actualité.

Partant de ce constat a priori assez factuel, Jean-Marc Lehu n’y va pas vraiment de main morte avec les millenials dans la suite de son article. Accusés de bien des maux, les 18-35 ans seraient pour ainsi dire des « idéalistes de salon », « prompts à soutenir une (grande) cause et à défendre systématiquement le faible et l’opprimé, […] pressés de critiquer les puissants irrespectueux de la communauté et à vilipender les marques jugées déviantes, à militer en faveur de l’environnement et à souhaiter tout changer pour un monde meilleur »… pourvu que cet engagement n’aille pas au-delà d’un clic sur l’icône d’un pouce levé ou d’une simple coche sur la petite case d’une pétition pré-rédigée.

« Slacktivists », abréviation de slackers (flemmards) et d’activists (activistes), les millenials seraient « très majoritairement égocentriques » et plus intéressés par l’émulation collective et la forme de validation sociale que leur apporterait leur engagement a minima via les réseaux sociaux que par un militantisme sincère et une conviction inébranlable envers les causes qu’ils défendent, parfois très momentanément d’ailleurs…

Générations volontiers manichéennes et peu réceptives aux nuances interprétatives (toujours d’après Jean-Marc Lehu) les Y et les Z formeraient de surcroît un troupeau d’autant plus dangereux vis-à-vis des marques en crise que peu disposé à dépenser du temps en vaines recherches et vérifications, faute de temps et de recul, mais aussi faute d’une réelle volonté de compréhension et de discernement, car peu adeptes du moindre effort…

Des constats générationnels à (grandement) relativiser tant l’hypersensibilité sociétale et communautaire, le manque de recul et le manichéisme règnent de plus en plus en maîtres sur les réseaux sociaux… 

Evidemment – celles et ceux d’entre vous qui fréquentent régulièrement les réseaux sociaux et notamment Twitter pourront sans doute en témoigner – il me semble en ce qui me concerne que les travers dépeints ci-dessus par Jean-Marc Lehu ne sont nullement l’apanage des millenials. Ils tendent hélas, à mon humble avis, à être partagés par toutes les classes d’âge et à se vérifier pour une proportion de plus en plus large (et d’ailleurs inquiétante) de socionautes.

Car au-delà de leur utilité et des belles perspectives offertes par les réseaux sociaux en matière de veille, d’accès à l’information et d’innovation notamment, comme l’ont souligné la plupart des auteurs du dernier Livre blanc d’Alban Jarry (Voir ici : L’accès à l’information et aux réseaux sociaux sociaux rend-il plus innovant ?), force est de constater, ne serait-ce qu’en parcourant les fameux trending topics de Twitter, que l’hypersensibilité sociétale, le manque de recul et d’écoute, la polarisation des débats (si tant est qu’on puisse vraiment qualifier de « débats » des échanges d’invectives et de noms d’oiseaux) et l’hyper-agressivité, tendent hélas à devenir la norme sur un nombre croissant de sujets qui y sont abordés… Sujets dont des communautés de plus en plus structurées s’empressent d’ailleurs de s’emparer pour les commenter à leur manière, les dénaturer et imposer une vision du monde souvent étroite et étriquée, car les réseaux sociaux ne sont évidemment nullement synonymes de vertu. Ils sont toujours et plus que jamais ce que les socionautes en font…

Dans un tel contexte, rien d’étonnant qu’un certain manichéisme et une « logique booléenne » où ne finissent par exister que les O et les 1 aient tendance à prévaloir sur les réseaux, au point que je rejoindrai presque ce jugement sévère de l’enseignant de Paris 1 – Panthéon Sorbonne : « Là est bien l’enseignement majeur […] d’un univers ‘digital’ où ne règnent que les 0 et les 1 : interprétations et jugements sont systématiquement booléens, bon ou mauvais, noir ou blanc, gentil ou méchant. La nuance interprétative n’a plus sa place. Elle est par définition source de débats, de discussions et d’échanges, donc consommatrice d’un temps discrétionnaire qui n’est plus disponible. Au surplus, si la nuance est toujours source de richesse intellectuelle, elle exige recul, compréhension et discernement, donc efforts, a minima. Des efforts que nous ne sommes souvent plus disposés à fournir […] Tremblez, marques et produits, la grande inquisition permanente ne fait que commencer ! »

La conséquence de tout ceci ? Pour 100 marques désignées à la vindicte générale et jetées en pâture sur les réseaux – pour de bonnes ou de moins bonnes raisons – combien de bad buzz et/ou de crises réputationnelles en réalité illégitimes ? Comme le démontrent des exemples de plus en plus nombreux, la  « grande inquisition 2.0 » ne fait malheureusement pas dans le détail…

Prenez les bad buzz subis récemment par Dove (groupe Unilever) ou par L’Oréal. Pour la première de ces marques, suite à la présentation en octobre 2017 d’un extrait d’une de ses publicités à venir pour un gel douche, où l’on pouvait voir des consommatrices de diverses origines changeant de couleur de peau en ôtant leur t-shirt, une capture d’écran ne montrant que le passage où une femme noire devient blanche a fait le tour du monde… Avant même d’avoir pris connaissance de l’extrait complet, qui commençait d’ailleurs par la symbolique inverse (une femme blanche devenant noire), les socionautes s’enflammèrent sur leur réseaux sociaux favoris et sur la toile pour dénoncer une « nouvelle preuve du racisme de Dove »², et appeler au boycott de la marque… au point que Dove fut obligée de présenter ses excuses et de retirer complètement son spot, qui ne fut jamais exploité. Regardée au degré 0 de la compréhension et du fact-checking en l’occurrence, la capture proposée au départ par une internaute cherchant manifestement à créer la polémique pouvait en effet être considéré comme raciste… à condition de ne pas tenir compte de l’extrait entier et de ne surtout pas prendre en considération les dénégations de la marque.

De même, alors qu’elle venait à peine de suspendre le contrat conclu avec Munroe Bergdorf, premier mannequin transgenre de la marque, L’Oréal Paris UK fut victime d’un important bad buzz et accusée à tort (triste ironie) de ségrégation ! Mal informés, aveugles ou inconscients et en tout cas peu désireux d’aller fact-checker plus loin que le bout de leur nez, les internautes se mobilisèrent massivement sans aller rechercher la cause de ce licenciement : le fait que Munroe Bergdorf avait tenu des propos violemment racistes sur son compte Facebook, en l’occurrence !

Le faux plus fort que le vrai sur les réseaux sociaux ?

Un autre travers des réseaux sociaux, ou plutôt des internautes sur les réseaux sociaux – dont les marques doivent absolument tenir compte aujourd’hui – est la propension à partager davantage le faux que le vrai…

Jugement de valeur ou propos de comptoir, me direz-vous ? Que nenni : cette propension vient justement d’être démontrée de manière rigoureuse et scientifique par 3 chercheurs travaillant au Medialab du MIT (Massachusetts Institute of Technology), qui ont analysé pas moins de 126 000 histoires différentes, qui se sont répandues sur Twitter entre 2004 et 2017. Des histoires retweetées pas moins de 4,5 millions de fois en l’occurrence…

Et les résultats de cet étude sont à ce point tranchés que l’illustre revue Science a décidé d’en faire la Une d’un de ses derniers numéro, sous ce titre explicite : « How lies spread. On social media, false news beat the truth »

Après avoir rigoureusement vérifié, une par une et avec l’aide de 6 associations, chacune des 126 000 histoires évoquées ci-dessus, puis analysé leur diffusion, Sinan Aral, Deb Roy et Soroush Vosoughi sont arrivés à cette conclusion que les fausses nouvelles sont diffusées plus vite, plus loin, plus profondément et plus largement que les vraies.

Et pas qu’un peu manifestement, puisque sur Twitter, il faut six fois plus de temps au vrai qu’au faux pour toucher 1 500 personnes.  Et les retweets de fausses informations s’avèrent en moyenne beaucoup plus nombreux que ceux des informations vraies, leur « partage en cascades » étant bien plus larges et profonds que ceux des informations vraies et vérifiées. Les 3 chercheurs ont en effet estimé que le 1% des cascades de faux les plus diffusées se propage à la vitesse de l’éclair vers 1 000 à 100.000 personnes en moyenne, un phénomène qui ne se produit pas avec les « vraies infos ».

Se penchant sur les ressorts plus profonds de cette appétence des socionautes pour les fake news et autres rumeurs / « légendes urbaines », Sinan Aral, Deb Roy et Soroush Vosoughi croient pouvoir affirmer que celles-ci apparaissent tout simplement comme davantage nouvelles et plus surprenantes aux yeux des internautes, au détriment des informations rationnelles et vérifiées qui leur semblent en général « plus ennuyeuses ». La palme des fausses informations se diffusant le plus vite touchant d’après les 3 chercheurs le domaine de la politique…

De la nécessité de la veille, de la réactivité et de la transparence pour les marques, mais aussi de leur empathie, pour faire face à cette nouvelle donne.

On le voit, et je ne poursuivrai pas plus loin ma démonstration des travers des réseaux sociaux ou des socionautes, car après tout cette propension à privilégier le faux et le « merveilleux » existe chez l’homme depuis la nuit des temps, la différence aujourd’hui résidant uniquement dans la rapidité et l’intensité de sa propagation : il faut absolument que les marques tiennent compte de ces éléments pour ajuster leur communication particulièrement en situation de crise.

Si je ne peux que conseiller aux entreprises de communiquer de la manière la plus transparente possible, auprès de leurs salariés en premier lieu, particulièrement dans les périodes de changement, il demeure primordial également d’installer les conditions d’une veille efficace. Il s’agit en effet d’analyser soigneusement en amont tous les circuits de diffusion de l’information et d’identifiant un à un  ses détracteurs et éventuels défenseurs, pour être à même de les mobiliser et de leur fournir rapidement les argumentaires pertinents en situation sensible, en tuant la rumeur ou le bad buzz dans l’oeuf dès que ceux-ci commencent à se propager sur les réseaux sociaux.

Mais les exemples cités ci-dessus de Dove et l’Oréal nous le démontrent : une information erronée ayant toujours plus d’écho que son démenti, il s’avère de plus en plus nécessaire de faire acte de contrition en s’excusant auprès de ses publics, même si on est dans son bon droit. Car il s’agit avant tout de montrer son empathie, et d’en laisser une trace… Dans les deux cas que je viens d’évoquer, les marques ont préféré s’excuser d’une erreur non commise – pour couper court à la rumeur et au bad buzz – plutôt que de chercher à se justifier et de passer pour insensibles à l’émotion des internautes. C’est un principe qui existait certes déjà dans la communication des crises dites « traditionnelles », mais qui se renforce encore et se généralise avec les crises réputationnelles nées sur le web : l’empathie devient plus que jamais une des clés majeures, car il s’agit avant tout de faire « amende honorable », avant même de prouver froidement et rationnellement que l’entreprise a eu raison d’agir comme elle l’a fait ou que ses collaborateurs ont bien fait leur travail…

 

 

Notes et légendes :

 

(1) « Millenials versus marques en crise : beaucoup de bruit pour rien ? » par Jean-Marc Lehu, enseignant-chercheur à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, La revue des marques –  Janvier 2018

(2) Les accusations de 2017 à l’encontre de Dove, en l’occurence infondées comme le souligne ici Eva Sophie, font néanmoins suite à une polémique plus sérieuse survenue en 2011 au sujet d’une autre publicité montrant des mannequins de diverses origines et dont le message dévalorisant (ou plus que maladroit selon les analyses) fut largement pointé du doigt. 

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, La Revue des marques, The BrandNewsBlog, X, DR.

 

Les 10 règles de la nouvelle grammaire collaborative, ou comment mobiliser clients, influenceurs et salariés…

Au fil du temps, dans des environnements incertains et soumis à d’importantes mutations, cela devient de plus en plus évident : les vieilles recettes et les anciens modes de fonctionnement qui ont assuré pendant des années le succès de certaines entreprises ne garantissent plus désormais leur survie… Et après avoir si longtemps confiné la réflexion stratégique au sommet de leur hiérarchie et l’innovation au sein de départements dédiés, nombreuses sont les organisations à avoir enfin compris l’intérêt d’associer leurs salariés, mais également les clients et tout leur écosystème, à leur création de valeur.

Explosion de l’économie collaborative et du web 2.0 aidant, il faut dire aussi que la plupart des marques n’ont pu que constater ce bouleversement  : habitués désormais à partager, à donner leur avis et à contribuer librement au sein de communautés sans frontière, les collaborateurs et les clients ne demandent qu’à s’impliquer davantage dans des projets porteurs de sens initiés par leur employeur ou leurs marques favorites…

Crowdfunding, crowdsourcing, co-working et co-création… : les approches et démarches collaboratives à l’initiative des marques se sont ainsi multipliées ces dernières années, sans que les entreprises disposent toujours du bon « mode d’emploi », générant parfois frustration et déception en lieu et place de l’élan et de l’émulation attendus… quand certaines ne se sont pas lourdement fourvoyées dans leur partenariat avec des influenceurs ou dans la mise en place d’outils collaboratifs ruineux, au final sous-exploités.

Quelles leçons tirer de ces échecs et, au-delà des spécificités propres à chaque démarche et aux parties prenantes associées, comment engager efficacement collaborateurs, clients et influenceurs ? Si tant est qu’ils existent, quels grands principes ou règles communes fondent cette nouvelle « grammaire collaborative » que toute entreprise rêve aujourd’hui de maîtriser ? 

… C’est à ces questions que je vous propose de consacrer mon article du jour, à la lueur d’exemples je l’espère éclairants et de conseils d’experts. Co-conception d’article oblige, n’hésitez pas à me faire part de vos commentaires : je ne manquerai pas d’intégrer les plus pertinents dans la deuxième partie de ce billet, à venir ce mercredi !

1 – La confiance et la bienveillance, préalables indispensables à toute démarche collaborative…

J’évoquais déjà la semaine dernière, dans ce billet de rentrée, tout l’intérêt de promouvoir des relations de travail confiantes et bienveillantes au sein de l’entreprise. Outre le fait que la bienveillance correspond aujourd’hui à une des attentes et des aspirations les plus fortes exprimées par les collaborateurs, les chercheurs de tous horizons ont depuis un moment pressenti que le niveau de confiance ressenti au sein des organisations conditionnait directement leur performance.

Et de fait, ce postulat jusqu’ici plutôt empirique vient d’être confirmé de manière tout à fait scientifique par l’apport des neurosciences et les travaux de Paul Zak, directeur du Center for Neuroeconomics Studies de la Claremont Graduate University. Dans un article passionnant du dernier numéro de la Harvard Business Review¹, le chercheur américain démontre sans laisser place au moindre doute comment une culture de la confiance, instillée et confortée au sein de l’organisation, contribue directement à accroître la productivité de ses salariés et leur dynamisme, tout en renforçant leur loyauté et leur implication de manière spectaculaire².

Aujourd’hui obsédées par le niveau d’engagement parfois problématique de leurs collaborateurs, un certain nombre d’entreprises découvrent ou redécouvrent ainsi, à la faveur des travaux et nombreuses expérimentations menées par Paul Zak, que ce niveau est conditionné par des items tels que la qualité de la relation avec les collègues, le sentiment d’apporter une véritable contribution à son employeur, ou le fait de bénéficier de nombreuses opportunités d’apprentissage…

Et qu’en est-il exactement des approches collaboratives initiées par les entreprise ? Pour Paul Zak, leur succès repose nécessairement sur le développement de cette culture de la confiance que je viens d’évoquer, mais une de leurs vertus est aussi de contribuer à renforcer cette confiance en répondant justement au besoin de contribution exprimé par les collaborateurs.

Ainsi, confiance et bienveillance semblent liées et requises de concert pour « démarrer la machine collaborative », mais cela vaut en réalité tout autant pour les démarches impliquant des clients ou des influenceurs que pour celles impliquant les collaborateurs…

2 – Liberté de ton, ouverture d’esprit et affranchissement des codes traditionels : comment le collaboratif oblige les entreprises à « changer de logiciel »

De fait, et c’est un des écueils les plus souvent rencontrés par les entreprises dans les nouvelles relations qu’elles tentent d’impulser avec les influenceurs ou avec leurs clients : elles ont malheureusement tendance à le faire en conservant leurs vieux réflexes et à reproduire leurs anciens schémas de fonctionnement à l’ère collaborative…

Un des exemples les plus symptomatique de cet aveuglement des entreprises et de leur incapacité à capter toute la valeur créée par des influenceurs ou des clients passionnés nous est donné par Bernard Cova dans un article récent de la Revue des marques³. Evoquant les « surfaçons de marque », c’est à dire ces phénomènes de reproduction ou de détournement par lesquels des fans s’approprient spontanément les attributs (logo, publicité, produit) ou l’image d’une marque, ce professeur de marketing à la Kedge Business School de Marseille nous raconte ainsi comment Ferrero a failli passer à côté du « World Nutella Day », une initiative pourtant géniale et aujourd’hui hyper-rentable pour le groupe agro-alimentaire…

En 2007, une jeune américaine vivant en Italie, Sara Rosso, a en effet l’excellente idée d’instaurer de sa propre initiative une « journée mondiale du Nutella » (World Nutella Day). Le 5 février précisément, elle invite ainsi tous les fans de Nutella à venir partager sur le site web qu’elle a créé leurs meilleures recettes à base de pâte à tartiner et à célébrer cette occasion en mangeant des cuillères de Nutella…

Le succès est tel que Sara Rosso et son site sont rapidement suivis par des milliers de fans, et le Nutella Day célébré dans le monde entier. Ce succès ne cessera d’ailleurs d’aller grandissant, de 2008 à 2013, jusqu’à ce que Sara Rosso reçoive en mai 2013 une lettre des avocats de Ferrero la mettant en demeure d’arrêter d’utiliser le logo et le nom de la marque Nutella, le groupe italien redoutant et réprouvant manifestement une telle « déperdition de valeur » au profit d’un autre acteur socio-économique.

N’eut été la réaction épidermique des fans de Nutella, très émus et solidaires de la jeune femme (des milliers de messages témoignant de leur soutien et appelant au boycott de la marque furent alors postés directement sur la page Facebook de Nutella), pas sûr que Ferrero aurait changé son fusil d’épaule. Le 21 mai 2013, il fit néanmoins marche arrière, renonçant à toute poursuite et exprimant « sa sincère reconnaissance à Sara Rosso pour sa passion pour Nutella » et se disant « honoré d’avoir des fans si loyaux et dévoués ». Depuis lors, Sara Rosso a d’elle même transféré volontairement en 2015 son site web, devenu trop lourd à gérer pour elle, au groupe Ferrero, et une nouvelle ambassadrice a été nommée par la marque Nutella pour continuer à « capter la valeur » créée par le Word Nutella Day.

3 et 4 – Flexibilité créative et organisationnelle + explication du sens de la démarche collaborative pour mobiliser les parties prenantes

Cette mésaventure édifiante de Sara Rosso fera sans doute écho, pour celles et ceux d’entre vous qui travaillent pour le compte d’entreprises sur leurs partenariats influenceurs, aux difficultés et incompréhensions éprouvées par des communicants et autres experts en relations publiques parfois « tatillons » face au fonctionnement de blogueurs, instagramers et autres youtubers peu pressés de passer par leurs fourches caudines…

Beaucoup a déjà été écrit à ce sujet, et je me permettrai simplement de renvoyer à des articles que j’ai pu écrire ici, ou à celui de Cyril Attias, dans lesquels les travers des marques en ce domaine sont hélas bien décrits : en fait de partenariats ou de co-créations avec des influenceurs, trop d’entreprises méconnaissent encore le fonctionnement de leurs interlocuteurs, leurs pratiques, leurs centres d’intérêt et leurs lignes éditoriales… Il en découle souvent des briefs « hors-sol », conçus en dépit du bon sens et aux dépens de la crédibilité de l’influenceur, voire de l’efficacité finale du partenariat : chacun d’entre nous avons évidemment en tête ces exemples de placements de produits ou de marques plus ou moins grossiers réalisés sur nos blogs favoris ou les chaînes de YouTubers un peu trop obsédés par leur monétisation…

La valeur dégagée par ce type d’opérations est souvent loin d’être optimale. Et il en va de même pour les démarches collaboratives conçues par des départements marketing souvent plus intéressés par la satisfaction de leurs propres besoins que l’étude des ressorts d’engagement de leurs parties prenantes.

Pour avoir surestimé l’intérêt de ses fans et leur niveau d’implication et de contribution à son programme de collaboration Alfisti, au travers d’une organisation excessivement « taylorienne », Alfa Romeo a ainsi vu le nombre de volontaires inscrits sur sa plateforme se réduire progressivement à peau de chagrin… De même, sur sa plateforme Dell Idea Storm, le groupe Dell a-t-il fait face à une contestation et des commentaires acerbes, car le niveau d’interaction organisé entre ses collaborateurs et les consommateurs s’est avéré bien trop insuffisant au goût de ces derniers.

Quel que soit le cas de figure, quand la démarche collaborative ne remplit pas l’un critères de mobilisation évoqués ci-dessus, le verdict est imparable : c’est soit l’engagement quantitatif (nombre de volontaires du programme), soit l’engagement qualitatif (nombre d’idées pertinentes ou fréquence de fréquentation du site) qui « trinquent »…

5 – Le rôle moteur des dirigeants pour sponsoriser les projets collaboratifs, fixer le cap à suivre et donner le sens…

Ainsi que l’explique très bien Bernard Gaudin*, dans son excellent mémoire professionnel  « Réinventer la communication interne à l’ère collaborative » dont j’ai déjà parlé dans les colonnes de ce blog : en dépit d’une ouverture croissante aux logiques collaboratives et malgré la mise en place d’outils sensés stimuler ce type de démarche (Intranets collaboratifs, réseaux sociaux d’entreprise…) beaucoup d’entreprises éprouvent encore de sérieuses difficultés à faire évoluer significativement les comportements de leurs dirigeants et salariés et à devenir réellement plus collaboratives…

La faute, en premier lieu, à l’attachement tout particulier de nos élites et du management des entreprises françaises à ce modèle pyramidal qui prévaut chez nous depuis des décennies. Et de citer ce constat implacable du sociologue Dominique Martin** : « La tradition de l’entreprise française n’est pas d’accepter le collectif, sauf à l’encadrer et à le soumettre à l’autorité hiérarchique. Il faut donc accomplir ici une profonde révolution que des décennies de taylorisme ont retardé : la reconnaissance des collectifs comme acteurs de l’innovation et de la transformation des régulations organisationnelles. »

Ainsi, s’il s’avère facile pour un individu de partager, collaborer et exprimer ses idées sur Internet, c’est souvent une toute autre histoire au sein des entreprises, ces dernières « ayant fait perdre à leurs collaborateurs la conscience de leur impact sur l’activité […] l’entreprise voyant le sens de la collaboration bridé par son business-modèle même et la conception de son offre » comme l’indique Bertrand Duperrin***.

Pour tendre vers un modèle plus horizontal et initier les changements de comportements nécessaires à tous les niveaux de l’organisation, le rôle moteur du / des dirigeants au sein de l’organisation s’avère donc indispensable, « car dans un modèle hiérarchique, si le patron n’est pas convaincu, il sera difficile de faire bouger les lignes » confirme en effet Bernard Gaudin. Aux P-DG, donc, de se montrer exemplaires, en sponsorisant clairement les démarches collaboratives, en rappelant au besoin le sens moral de l’action collective pour l’entreprise et en livrant leur vision de la transformation et des changements à entreprendre, pour rendre la dynamique collaborative inéluctable et rassurer les managers sur les éventuelles craintes qu’ils peuvent avoir.

Cette implication du/des dirigeants et cette explication du sens de la démarche collaborative, si importantes pour l’évolution des comportements et des pratiques des collaborateurs au sein de l’entreprise, s’avère l’être tout autant pour mobiliser des clients ou des influenceurs dans le cadre de programmes collaboratifs « externes »…

6, 7 et 8 – Utilisation adéquate des compétences de chacun / développement d’un attachement émotionnel au programme et aux autres participants / développement de la fierté de participer au programme…

Dans son article de la Revue des marques, Bernard Cova n’hésite pas à suggérer aux entreprises et à leurs dirigeants de s’inspirer de la gestion des programmes de volontariat mis en œuvre pour les Jeux Olympiques pour mobiliser les participants aux démarches collaboratives et insiste en particulier sur 3 leviers d’engagement complémentaires…

En premier lieu, une dimension organisationnelle : de même que les pilotes des démarches collaboratives doivent veiller attentivement à la flexibilité de leur programme et à s’adapter aux modes de collaboration souhaités par les participants, il est très important d’utiliser de manière optimale les compétences de chacun dans le cadre des démarches collaboratives. Mieux ces compétences seront reconnues et employées, plus fortes seront la contribution et l’implication des collaborateurs, clients ou influenceurs engagés dans ces programmes. Cela rejoint en partie la question du sens attribué aux démarches collaboratives : les salariés, tout comme les consommateurs et les influenceurs ont besoin de se sentir réellement utiles et de voir reconnus leurs talents respectifs.

L’attachement émotionnel aux programmes et aux démarches collaboratives, s’il ne se décrète pas, gagne quant à lui à être entretenu par une communication régulière et efficace. C’est là, entre autres, le rôle crucial et tout le savoir faire des communicants de l’entreprise (internes et externes), pour valoriser ce qui doit l’être, donner de la visibilité aux actions entreprises et aux résultats obtenus sans sur-communiquer pour autant et tomber dans une célébration disproportionnée au regard de l’importance effective du projet. L’alchimie entre des participants aux compétences complémentaires et une interaction soutenue, favorisée par l’entreprise et les pilotes du projet via un outil collaboratif ou une plateforme efficace, contribueront pour le reste à cet attachement émotionnel à la démarche, de la part des participants.

Il en va de même de la fierté d’appartenance au(x) programme(s) : boostée par la communication, certes, mais surtout par la réalité et le caractère concret des résultats obtenus par le biais de la démarche collaborative, cette fierté finit souvent par rejaillir sur toute l’entreprise, quand celle-ci réussit à démontrer qu’elle sait mettre en avant l’intelligence collective et capter la valeur qui en découle. C’est la fierté des salariés du Groupe Poult, PME agroalimentaire de 800 personnes, aujourd’hui régulièrement citée en exemple pour son mode de management libéré et son statut d’entreprise pleinement collaborative ayant réussi à déhiérarchiser son organisation et à remplacer son ancien comité de direction par une équipe « projet entreprise » composée d’une quinzaine de salariés… Mais c’est aussi la fierté des salariés de Castorama, dont la direction France s’est engagée dans des démarches collaboratives depuis 2003, avec à la clé de nombreux projets menés et des résultats très concrets, avec de nouveaux liens établis entre les différents magasins, une plus grande visibilité des initiatives locales et des dispositifs performants d’écoute et d’échange.

On peut aussi citer, dans le registre des belles réussites, le succès de la plateforme collaborative Enjoy ! chez Club Med, devenu un véritable outil pour incarner la culture d’entreprise et partager les émotions, en connectant entre eux les G.O. du monde entier et en leur permettant de remonter et faire connaître leurs initiatives locales. Ou bien le succès du programme collaboratif « Zéro email » lancé en 2011 par le P-DG d’Atos Thierry Breton, avec un dispositif complet mêlant messagerie instantanée, Intranet collaboratif, RSE et groupe de travail pour instiller l’esprit collaboratif au sein de l’entreprise, en réduisant au minimum le nombre d’e-mails…

9 et 10 – Reconnaissance du travail effectué par chacun dans le cadre collaboratif et remerciements / récompense des participants pour leurs efforts : ces autres leviers pour pérenniser la mobilisation…

Et Bernard Cova de poursuivre son analogie avec les programmes de volontariat gérés pour les Jeux Olympiques en évoquant le rôle central de la reconnaissance du travail de chacun et de la récompense (même symbolique) des participants pour les fidéliser et pérenniser la/les collaborations.

Ces dimensions de reconnaissance et de récompense, par ailleurs au cœur des attentes des salariés (comme la confiance et la bienveillance) jouent un rôle majeur dans l’échange social et la dynamique collaborative. Et elles peuvent s’exprimer à quatre niveaux, comme le rappelle judicieusement Bernard Gaudin : il peut ainsi y avoir 1) reconnaissance « existentielle » de la personne ou du collectif de travail, en valorisant son/leur rôle au sein du projet ; 2) « reconnaissance de la pratique », en valorisant les comportements, compétences ou qualités professionnelles mis en œuvre par les participants ; 3) reconnaissance de l’investissement et des efforts consentis (indépendamment des résultats obtenus) en confiant par exemple aux participants, individuellement ou collectivement, des responsabilités plus grandes ; et enfin 4) reconnaissance des résultats, en mettant en avant le rendement du travail accompli et en formalisant les remerciements sous forme de prime au rendement ou de rétribution symbolique (courrier personnalisé, cérémonie formelle de célébration et de remerciement des volontaires en fin de projets…).

La reconnaissance des résultats et la communication sur ces derniers, dans et hors de l’entreprise, constituent assurément une des forme de rétribution les plus appréciées et les plus indispensables, car ainsi que toutes les études et expériences le prouvent : rien de pire, pour tuer une démarche collaborative, que de ne pas communiquer auprès des salariés/ clients ou influenceurs sur les résultats et avancées obtenus grâce à la collaboration. Le silence qui parfois s’ensuit, ou « l’impression d’avoir collaboré ou participé pour rien » sont en effet les pires fossoyeurs des démarches collaboratives.

… On le voit : réussir à impulser une dynamique collaborative dans la durée, en mobilisant efficacement collaborateurs, clients et/ou influenceurs n’a rien de simple. Cela requiert assurément, à terme, une véritable révolution culturelle de la part des dirigeants et des managers, mais le petit « mode d’emploi » ou plutôt ces règles de base de la nouvelle grammaire collaborative que je viens de vous donner peuvent vous y aider. Je me suis d’ailleurs permis de résumer ces conseils et facteurs clés de mobilisation dans le tableau ci-dessous :-) :

 

 

 

Notes et légendes :

(1) « Les neurosciences de la confiance : les façons de manager qui encouragent l’engagement des salariés », par Paul Zak, directeur fondateur du Center for Neuroeconomics Studies et professeur d’économie, de psychologie et de management à la Claremont Graduate University – Harvard Business Review France n°22, août-septembre 2017.

(2) En étudiant les comportements clés de management qui stimulent chez les individus la production d’ocytocine, substance chimique dont le niveau dans le cerveau détermine notre plus ou moins grande confiance, mais également les comportements générateurs des hormones du stress, Paul Zak a pu déterminer, expérimentations et mesures à l’appui, que les collaborateurs les plus confiants déployaient jusqu’à 106% d’énergie supplémentaire au travail, 50% de productivité supplémentaire, un engagement 76% supérieur en moyenne, mais qu’ils étaient également 74% moins stressés, 13% moins absents pour congé maladie et 29% plus satisfaits de leur vie…

(3) « Collaborer pour capter la valeur créée par les consommateurs », par Bernard Cova, professeur de marketing à la Kedge Business School de Marseille – Revue des marques n°99, juillet 2017.

 

 

Crédits photos et infographies : 123RF, TheBrandNewsBlog, X, DR

 

 

 

Pour en finir une bonne fois avec les classements d’influenceurs et autres « tops » en toc…

C’est l’équivalent de ces marronniers qui ressortent à échéance régulière dans les médias « traditionnels » : les réseaux sociaux raffolent de statistiques, classements et autres « tops » souvent plus farfelus et incomplets les uns que les autres… mais qu’il est toujours de bon ton de partager pour avoir l’air à la page.

S’agissant de statistiques et de classements d’influenceurs, il faut dire que l’appétit des socionautes pour ces jolis tableaux et dataviz, le plus souvent produits par des médias en ligne ou des éditeurs de solutions en mal de notoriété, rencontre parfois les tendances un brin égotistes des influenceurs en question, dont certain(e)s finissent par ne courir qu’après cette onction en ligne : le bonheur de recueillir un énième ranking qui viendra confirmer qu’ils/elles demeurent parmi les 5, 10 ou 100 socionautes les plus influents de leur secteur ou sur une thématique donnée… Vanitas vanitatum !

C’est ainsi que de camemberts « MakeMeStat » en « top des Twittos les plus influents » sur Paris ou Garges-les-Gonesses, les pseudos-experts du e-marketing et autres champions du chiffre vite-fait-mal-fait ne sont jamais à court de nouvelles idées de classements et de palmarès, qu’ils s’empressent de publier sur les réseaux sociaux pour faire le buzz… et que les internautes (voire les entreprises) ont hélas le tort de prendre un peu trop pour argent comptant.

Car pour un classement exact et utile/intéressant, combien de « tops » incomplets, sans intérêt ou tout simplement faux, sous couvert d’une pseudo rigueur mathématique ? Le flou méthodologique le plus total (puisque personne ou presque ne se donne la peine d’accompagner de telles publications de précisions concernant l’échantillon ou les critères de calcul) demeure la règle, et les vaches à lait de l’influence continuent d’être hélas (bien mal) gardées…

Evidemment, il serait malhonnête de ma part de prétendre que tous y ont succombé. Hormis les vrais professionnels du marketing d’influence, de plus en plus d’influenceurs et de socionautes influents (j’en connais tout de même un certain nombre) réclament désormais d’être retirés de palmarès où ils n’ont rien à faire ou dont les bases méthodologiques leur paraissent bancales. Tandis que les observateurs les plus sages ont pris le parti depuis longtemps de ne jamais commenter le moindre classement, sans doute fatigués de jouer à « qui a la plus longue » et d’assister aux échanges de congratulations et auto-congratulations auxquels ce type de publications donne généralement lieu.

Pour illustrer mon propos sans créer la polémique (car ce n’est pas le but et le sujet n’en vaut pas la peine), je me suis permis ci-dessous de prendre quelques exemples… Que les professionnels cités ne m’en veuillent pas, car ils ne sont pour rien dans les errements des concepteurs des classements. Et pour ce qui est des influenceurs, je n’en vise aucun non plus, car ils ne tirent aucun bénéfice direct des publications incriminées, dont ils seraient plutôt les « victimes collatérales » à bien y réfléchir, même si j’admets que le terme est un peu fort (car après tout la course à l’influence n’est pas mortelle et une once de flatterie n’a jamais tué personne ;)

Du top extra-light aux classements de celles et ceux qui ont la plus longue (liste de followers)…

Certain(e)s d’entre vous seront peut-être choqué(e)s que j’ai l’outrecuidance d’aborder le sujet des tops et autres classements d’influenceurs, après avoir moi-même si souvent commis des listes de Twittos et d’autres socionautes à suivre dans les domaines du marketing et de la communication (voir notamment ici), de la marque employeur et des RH (voir ) , de la communication territoriale (par ici) ou du numérique (par là), entre autres…

On me reprochera aussi, peut-être, d’avoir contribué au mélange des genres que je dénonce, en publiant des listes d’experts éminemment subjectives et incomplètes.

Peut-être bien… Mais pour celles et ceux qui ont déjà lu ces articles, ils se souviendront que j’ai toujours mis en évidence,  en introduction de telles listes, un avertissement on ne peut plus clair sur leur caractère « manuel » et éminemment subjectif… Point d’outil statistique en effet à l’origine de tels billets, mais des heures et des heures de recherche, en complément des ressources déjà connues de mon réseau + une volonté explicite de parité, en citant systématiquement autant de femmes que d’hommes. Et un double objectif systématique : fournir des listes de comptes auxquelles s’abonner très simplement, en m’efforçant toujours d’apporter une valeur ajoutée informationnelle complémentaire : soit en classant les experts par métier ou spécialité, soit au travers de mini-bios et d’une qualification personnelle du profil des socionautes mis en avant…

A contrario, dans la jungle des « tops », classements et autre listes copiées-collées d’influenceurs dont Internet regorge, le moins que l’on puisse dire est que les précautions méthodologiques et de tels avertissements sont plutôt rares… Et quand les classements ou listes de comptes sont fiables, c’est le plus souvent que leur auteur est lui-même un expert de son sujet (donc à même de garder un minimum de recul), comme ce fut le cas lorsqu’Olivier Cimelière, Nicolas Bordas, Clément Pellerin ou Camille Jourdain recommandèrent chacun sur leur propre blog des listes de comptes (et non des « tops ») à suivre, ou bien que des entreprises sérieuses et ayant pignon sur rue s’y sont collées…

Las, voilà que la sociosphère est inondée sous un déluge de statistiques et autres classements d’influenceurs plus ou moins frelatés et/ou inutiles, la simplicité et la puissance de certains outils de mesure donnant des aîles à tous les Marc Toesca numériques de la terre, plus empressés les uns que les autres de presser leur propre « TOP 50 » à la bonne huile de truffe… Et pour la rigueur mathématique et le croisement des critères de classement, vous repasserez !

« Top 100 des influenceurs du web français », « Top 5 des influenceurs ‘startup’ français », « Top 100 des comptes Twitter les plus influents à Paris », « Top 10 des influenceurs RH sur Twitter »… Je pourrais égrener la liste des exemples pendant des heures, tant l’inventivité des concepteurs de classements est grande… Du plus sérieux au plus bancal et au plus arbitraire, le point commun de la plupart est en général de reposer sur des méthodes nébuleuses (ainsi que je le disais ci-dessus), et de ne retenir que quelques critères de tri, dont le premier – vous l’aurez deviné – demeure le sacro-saint nombre d’abonnés ou de followers, qui s’il ne prouve rien et a pu être « gonflé » artificiellement à coups de « mass-follows » et autres pratiques douteuses, demeure le juge de paix de la plupart de ces classements extra-lights...

…Le grand bazar méthodologique des classements d’influence, plus subjectifs qu’objectifs

Il est vrai que sur ce manque de rigueur et d’objectivité des classements d’influence, beaucoup a déjà été dit et écrit, mieux que je ne le saurais le faire, par plusieurs spécialistes du web 2.0. Pour n’en citer qu’un, je vous renvoie volontiers à cet excellent billet de… septembre 2011, dans lequel Cyril Rimbaud alias Cyroul, « creative technologist, enseignant au Celsa et casseur de mythes publicitaires digitaux », démystifiait « ces outils de mesure de l’influence qui se mesurent d’abord eux-mêmes » et alimentent des classements nécessairement biaisés, puisqu’avec la meilleure volonté du monde on ne juge jamais qu’à l’aune de ses propres critères.

De fait, tandis que la plupart des classements ne retiennent souvent qu’un critère de mesure (le nombre d’abonnés ou de followers, en premier lieu) ou bien une combinaison de 2 à 3 critères seulement, en mélangeant joyeusement les indicateurs de notoriété, d’influence (scores Klout et consorts) ou d’engagement (nombre moyen de likes ou de retweets par publication…), une mesure un tant soit peu fiable et objective de l’influence réelle nécessiterait la prise en compte et le croisement d’une multitude de facteurs (éléments de contexte, d’intentionnalité, de perception…), ce qui s’avère autrement plus complexe, raison pour laquelle personne ou presque ne s’y est hasardé.

C’est ainsi qu’à y regarder de plus près, beaucoup de « tops » offrent souvent un mélange des genres détonnant, comme ce « Top 100 des comptes Twitter les plus influents à Paris » publié par Evan Carmichael et dans lequel les comptes Twitter officiels de grands médias côtoient ceux de personnalités de la politique, de youtubeurs ou d’influenceurs… les comptes les plus sérieux le disputant aux profils plus ou moins bidons boostés aux pratiques les plus douteuses (@FranceNympho…). Même constat ci-dessous, dans ce classement déniché pas plus tard qu’hier par Delphine Foviaux (« classement des influenceurs du #Web2day »), dans lequel des comptes plus ou moins « influents » sont joyeusement mélangés à des profils 100% bots !

Entre flagornerie gratuite et intérêts mercantiles : cherchez à qui le top profite…

Cyril Rimbaud l’avait déjà suffisamment pointé : les juges de l’influence sont quasiment toujours partisans… Entre ceux qui veulent flatter à tout prix ou faire plaisir (ce qui n’a rien de répréhensible en soi mais peut fortement nuire à l’objectivité d’un classement) et ceux qui créent des outils de mesure de l’influence ou des classements pour s’ouvrir un marché (quitte à faire quelques petits arrangements avec la déontologie statistique de base), les ornières et risques de dérapage sont nombreux, auxquels succombent hélas trop d’apprentis sorciers 2.0.

De fil en aiguille, un classement récurrent et à succès peut également dériver et se « corrompre » de lui-même, comme ce classement Wikio évoqué par Cyroul dans son article, en modifiant progressivement ces critères ou en devenant de lui-même pourvoyeur de trafic (le comble pour un top des experts SEO), pour ne citer que cet exemple…

Le diable se cache (souvent) dans les détails : un exemple parmi d’autres…

Evidemment, les métiers du marketing et de la communication ne sont pas à l’abri de cette manie des rankings. Et pour ne citer qu’un cas parmi d’autres, dans cet univers qui est aussi celui que je connais le mieux et dont j’ai eu l’occasion d’identifier et mettre en avant une partie des professionnels influents, le « top des directeurs communication sur Twitter » publié trimestriellement par le site l’Important est un exemple assez édifiant, que ses concepteurs ont eu l’intelligence de faire évoluer au fil du temps, en intégrant plusieurs de mes remarques (et je les en félicite ! :-)

A l’occasion d’une première version publiée début 2017 (voir ci-dessous), ce classement comportait une vingtaine de comptes Twitter seulement, dont j’ai certes eu l’occasion de mentionner une bonne partie dans mes propres listes de comptes de dircom à suivre (la plupart étant hyperconnectés et exemplaires), mais qui était à mon sens loin d’être parfaitement représentative et complète…

De fait, en ne pré-sélectionnant dans son « panel » de départ que des directeurs communication de très grandes entreprises, l’Important faisait l’impasse sur des pans entiers de l’économie (collectivités, associations, entreprises de taille moyenne…) et des dircom plus qu’influents, pour peu que cette appellation ait réellement un sens dans notre domaine d’activité ;)

Après plusieurs échanges avec Claude Posternak, ce top a été complété et amendé au deuxième trimestre 2017 (voir la deuxième livraison ci-dessous) en passant désormais à 30 comptes et en étant intitulé beaucoup plus judicieusement et sobrement « Twitter : Top 30 des directeurs de la communication de grandes entreprises ». Tout en accusant encore des oublis majeurs (quid par exemple de Sophie Déroulèle et Marie Coudie, alias @SoDeroulede et @mcoudie, pour ne citer que certains des comptes que je connais), des dircoms reconnus ont été réintégrés (comme Frédéric Fougerat) et le titre du classement reflète beaucoup mieux son contenu : un amélioration salutaire, à signaler.

Influenceur(euse) reconnu(e), professionnel(le) influent(e) ou pas du tout : et si l’Important était ailleurs ? 

On le voit très bien avec ce dernier exemple de « top » publié par l’Important : un autre (et sans doute le plus important) biais méthodologique de la plupart de ces publications, en dehors du manque de transparence des critères d’évaluation et de classement, réside dans le fait que les comptes cités sont d’abord sélectionnés arbitrairement avant d’être « notés » et classés selon les critères d’influence retenus.

En effet, et je me suis fait confirmer ce point ces derniers jours par plusieurs éditeurs, la plupart des outils statistiques disponibles n’ont pas la capacité d’aller identifier de manière un tant soit peu rigoureuse les influenceurs d’un métier donné sur les réseaux…

La seule identification possible, à un instant t ou sur une période donnée, étant d’aller « requêter » les socionautes s’exprimant sur une ou plusieurs thématiques, un ou plusieurs hashtags… ou ceux qui mentionnent leur profession dans leur profil (ce qui s’avère dans la pratique plus que lacunaire et aléatoire). Cela biaise nécessairement d’entrée tous les classements « généralistes » d’influenceurs, dont la fiabilité ne peut être améliorée que par itération au fil du temps, en faisant remarquer à leurs concepteurs tous les comptes qu’ils ont pu zapper, qu’ils s’empressent en général d’ajouter (« signalez-nous les comptes que nous aurions pu oublier »). Un peu comme si, pour dresser le classement des meilleurs humoristes de France, on commençait par noter l’humour de son premier cercle d’amis… en se disant qu’on finira bien par avoir les autres.

Mais ainsi que l’ont compris depuis un moment les plus raisonnables des internautes, auxquels je faisais allusion tout à l’heure et dont j’envie souvent la sagesse : toute la force et l’intérêt des réseaux vont fort heureusement bien au-delà de ces questions de classement et d’influence. Et in fine, dix internautes passionnés et compétents qui échangent librement, régulièrement et sans tabou autour de leurs sujets d’intérêt favoris auront une conversation bien plus riche et intéressante à suivre que la plupart des « influenceurs » du web, reconnus tels ou autoproclamés :-)

Et si l’important sur les réseaux, au-delà de l’influence (réelle ou supposée), c’était la passion ? Il serait bon de se le remémorer régulièrement, et à chaque publication d’un nouveau classement « super-extra-top » d’influenceur…

 

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, The BrandNewsBlog, X, DR.

 

Pratiques, compétences, organisation : comment le digital « disrupte » et réinvente la communication…

Les marketeurs et les communicants seraient-ils obsédés par la révolution numérique et ses impacts ? On pourrait finir par le croire, si on s’en tient à la quantité de nouvelles publications et de contributions qui sortent chaque semaine sur ces sujets dans nos sphères professionnelles.

A l’exception notable de quelques réfractaires aux évolutions technologiques et de celles et ceux qui, quand ils le peuvent, osent encore prendre un peu de recul (ou de hauteur), le « digital » et la #TransfoNum sont il est vrai sur toutes les lèvres. Et font les choux gras des magazines, blogs et autres sites d’information dédiés au marketing et à la communication, quand ce sont ne sont pas les réseaux sociaux qui s’y mettent…

Pas un professionnel de renom qui n’ait été interrogé, sur le BrandNewsBlog ou ailleurs, au sujet des conséquences de cette révolution sur son métier et/ou sur les missions des « nouveaux communicants ».

Dans ce registre testimonial, je vous invite par exemple à découvrir (si ce n’est déjà fait) cette interview de Nicolas Bordas et Louise Beveridge¹, proposée par Sciences Po Executive Education, ou bien ces vidéos réalisées par le Groupe Bouygues, à l’occasion de sa convention « Reinvention#Com » 2017, qui réunissait tous les communicants de l’entreprise : des contenus superbement ficelés initiés par Pierre Auberger² et ses équipes.

Mais pour aller au-delà du témoignage ponctuel et creuser davantage encore le sillon de cette révolution qui, c’est indéniable, bouleverse et transforme en profondeur nos métiers, j’ai choisi aujourd’hui de mettre en avant deux initiatives récentes. D’une part, la conférence « Quand les réseaux sociaux réinventent la communication de l’entreprise » organisée par Violaine Champetier³ et à laquelle j’ai eu l’honneur de participer. Et d’autre part, cette excellente étude réalisée par l’association Communication et Entreprise : « Comment le digital a disrupté l’organisation de la communication ».

La proximité thématique de ces deux initiatives ne vous ayant pas échappé, je me propose de vous en livrer les principaux enseignements, en détaillant en quoi le digital bouleverse certains des postulats de base de nos métiers, et comment les pratiques et compétences des communicants, ainsi que l’organisation des services communication, s’en trouvent « disruptées »… Je remercie au passage Assaël Adary* et par ailleurs Anne-Sophie Sibout** (interviewée en 2ème partie de ce billet de blog) pour leurs éclairages complémentaires sur l’étude de Communication et Entreprise.

>> Quand les médias sociaux et le digital réinventent la communication…

C’est tout à l’honneur du groupe Onepoint et de Violaine Champetier, d’organiser régulièrement des conférences gratuites au sein de cet espace à la fois chaleureux et stimulant qu’est le LivePoint.

Invité il y a quelques semaines à venir partager mon point de vue et mes retours d’expérience aux côtés de Béatrice Judel et d’Alban Jarry, dans le cadre d’un de ces « Meet up » consacré en l’occurrence à l’impact des réseaux sociaux sur la communication d’entreprise, j’ai eu l’occasion de revenir, en guise d’introduction, sur les grandes lignes de cette révolution que représente le web 2.0 dans la pratique quotidienne des communicants.

Démocratisation de la parole publique, instantanéité et connexion permanente, fin de l’opacité systématique et obligation de transparence, désintermédiation des contenus, aspiration collaborative des citoyens-consom’acteurs, désacralisation du pouvoir de l’expert… Les conséquences du changement de paradigme que représentent la révolution numérique et l’irruption des réseaux sociaux sont évidemment multiformes et mettent à mal les bonnes vieilles recettes du marketing et de la communication « de papa », ainsi que je l’explique dans les premières slides de ma présentation, à découvrir in extenso ci-dessous.

 

La perte de repères qui en découle, pour les dircom comme pour leurs équipes, est parfois assez violente, comme en témoignent les verbatims que j’avais choisi de mettre en avant dans ma présentation, ainsi que le « SWOT du communicant » repris ci-dessous, qui résume à lui seul les forces / faiblesses / opportunités et menaces éprouvés au quotidien par un certain nombre de professionnels que l’agence Proches Influence & Marque avait pris le soin d’interroger en 2016 dans le cadre d’une étude qualitative poussée (étude dont j’avais fait écho dans cet article du BrandNewsBlog).

A la lueur de mes slides de conclusion sur les « bonnes pratiques 2.0 des marques » et des communicants, mais également des témoignages particulièrement riches qui suivirent, de la part de Béatrice Judel, puis d’Alban Jarry (voir ici la présentation d’Alban), le fil conducteur de cette soirée fut assurément l’audace.

Car s’il est de plus en plus évident que les entreprises ne sont plus elles-mêmes les principales émettrices des contenus et conversations qui les concernent (dans le cas des plus grandes marques BtoC, on estime que 70 à 80% de ces contenus et conversations sont désormais produits par des journalistes, des influenceurs ou des socionautes « lambda »), il apparaît d’autant plus vital aujourd’hui pour ces marques et leurs communicants d’oser « entrer en conversation » avec leurs différents publics et de travailler sur l’influence globale de l’entreprise. Et une des meilleures façons de le faire est assurément d’identifier les influenceurs et « ambassadeurs externes » les plus pertinents et de collaborer avec eux dès que cela est possible, mais aussi et surtout de ne pas hésiter à développer en interne des communautés de salariés-ambassadeurs dynamiques. Ces salariés-ambassadeurs sont évidemment susceptible de relayer les contenus préparés par les services communication de l’entreprise, mais aussi et surtout d’en faire rayonner la marque commerciale et la marque employeur à la fois « In Real Life » (auprès de leurs proches…) et sur les réseaux sociaux (vis-à-vis de leurs relations et autres followers).

>> L’organisation de la communication « disruptée » par le digital…

L’association Communication et Entreprise n’a pas attendu que Maurice Lévy invente le terme « d’ubérisation » ni que les médias professionnels consacrent des dossiers entiers à la transformation numérique pour réfléchir aux impacts humains et organisationnels de la révolution digitale.

Une étude riche d’enseignements, « Comment se retrouver dans la jungle des directions de la communication ? » avait déjà eu le mérite, en 2014, de baliser le champs d’investigation, d’identifier un certain nombre de points clés et de poser ce premier diagnostic : « Alors qu’elle irrigue aujourd’hui l’ensemble de la fonction communication, on constate que la question de l’intégration du digital dans l’organisation n’est pas encore aboutie. En perpétuel mouvement, la place du digital et son rôle sont encore imprécis et conduisent pourtant à des réorganisations » était-il alors consigné dans le rapport rédigé par le groupe de travail « Gouvernance de la communication ».

Trois ans plus tard, la question de l’intégration du digital et son appréhension par les professionnels de la communication ont sensiblement progressé, donnant la matière à une nouvelle étude de ce groupe de travail emmené par l’excellent Assaël Adary.

Et les résultats de cette enquête de fond, menée avec le concours de onze grands témoins issus d’entreprises de secteurs d’activité diversifiés, sont édifiants et à mon sens incontournables, tant la restitution en a été soignée sur la forme et sur le fond. Prouesse suffisamment rare pour être signalée, aucune dimension des impacts de la révolution numérique sur les métiers et l’organisation de la communication ne semble avoir été oubliée dans la synthèse proposée par Communication et Entreprise, sous deux formats en l’occurrence : d’une part un mini-site ludique et interactif (à découvrir ici) et d’autre part un grand poster reprenant toutes les informations à retenir…

Et je dois dire (même si c’est un peu le comble pour un sujet touchant aux impacts du digital) que c’est bien cette version « poster papier » que je recommanderais à mes consoeurs et confrères, car 1) la version numérique ne reprend pas tous les enseignements de l’étude et 2) la présentation visuelle du poster en grand format est si complète et réussie qu’il mérite d’être placardé d’urgence dans le bureau de tout bon communicant !

> 2014-2017 : toutes les dimensions de la communication désormais impactées par le digital…

Si tant est que cela n’ait pas déjà été perçu comme tel il y a trois ans, le premier constat posé par le groupe de travail « Gouvernance de la communication » est que le digital s’est infiltré partout et qu’il est désormais présent dans toutes les dimensions du métier de communicant(e). Pour autant, si l’organisation de la communication est particulièrement impactée par la transformation numérique, le digital est en même temps « salvateur » d’après les grands témoins qui ont été interrogés, car il ramène en définitive la communication et les communicants à leurs fondamentaux, qui sont : 1) la connaissance des parties prenantes et de leurs usages (permet de déterminer les formats et la stratégie de diffusion) et 2) la production et l’orchestration de contenus à valeur ajoutée, pierre angulaire de toute bonne stratégie de communication.

Et les rapporteurs du groupe de travail de Communication et Entreprise de présenter de manière limpide et illustrée d’exemples et de verbatim les 10 changements majeurs à gérer pour une intégration réussie du digital au sein des organisations communicantes, que je vous résume ici très grossièrement en mes propres termes sous la forme des « 10 défis » suivants :

  1. Défi « culturel » : la transformation numérique est un apprentissage permanent et induit un changement profond de savoir être et de comportement de la part des équipes communication. Adopter « l’état d’esprit digital », cela suppose donc de revoir complètement les modalités de travail et de promouvoir une attitude générale où le lâcher prise, la reconnaissance du droit à l’erreur, le test and learn et le collaboratif doivent progressivement remplacer les vieux réflexes et modes de fonctionnement internes des communicants.
  2. Défi de la formation et des nouvelles compétences : l’innovation permanente est un corollaire de la révolution numérique, qui redonne aux contenus leurs lettres de noblesse, tout en réclamant une adaptation continue des formats aux nouveaux usages et aux nouveaux canaux / plateformes plébiscités par les consommateurs. Contraintes de « se réinventer en véritables médias » et de s’adapter sans cesse aux nouvelles technologies pour proposer à leurs clients de nouvelles expériences, les directions de la communication doivent impérativement intégrer de nouvelles compétences et se former sans cesse aux technologies émergentes.
  3. Défi de l’immédiateté et des rythmes de travail : les communicants doivent gérer de manière très souple l’alternance du temps long (celui de la réputation) et l’immédiateté propre aux réseaux sociaux. Cette « bipolarité » est un facteur de stress pour les professionnels, qui doivent à la fois assurer une présence constante dans les conversations et être plus efficients, en améliorant sans cesse la « chrono-géo-efficacité » de leurs contenus et messages. Ces deux contraintes exigent d’accélérer les cycles de validation et de donner davantage d’autonomie à tous les porte parole de l’entreprise. Le droit à la déconnexion devient également un vrai enjeu pour les communicants engagés sur le front des médias sociaux et de la veille e-réputationnelle…
  4. Défi de l’accès et du hardware : la compréhension des nouvelles technologies et leur appropriation impose de travailler de manière rapprochée avec les directions informatiques (DSI) et que les services communication (et les collaborateurs) disposent d’équipements suffisamment avancés pour pouvoir lire des animations vidéos, disposer de cartes sons adaptées… Un gros challenge pour la plupart des entreprises, où le niveau d’équipement informatique professionnel a bien du mal à s’aligner sur le degré d’équipement personnel et les attentes de chacun des salariés.
  5. Défi d’une créativité accrue, en interne comme pour les agences : la créativité est la meilleure réponse à l’inflation des contenus et à l’infobésité qui « challengent » aujourd’hui les communicants. Raison pour laquelle les dircom recherchent d’abord des agences et des partenaires créatifs, en veille permanente et disposant des expertises digitales qui leur manquent en interne (de préférence des pure players du digital).
  6. Défis des publics et de l’attention (cf poster Communication et Entreprise pour plus de détails) : La connaissance et la compréhension fines des publics et de leurs attentes, reviennent au centre du jeu et exigent écoute, sensibilité aux data et rapprochement de la communication avec le marketing.
  7. Défi du ROI et de la mesure (cf poster Communication et Entreprise pour plus de détails) : mesurer avec les bons outils et indicateurs et prouver l’efficacité de la communication ne sont plus des « options ». L’obligation de résulats tend à remplacer l’obligation de moyens : une révolution culturelle de plus en plus incontournable pour les communicants.
  8. Défi de l’investissement et des budgets (cf poster Communication et Entreprise pour plus de détails) : La part du « digital » ayant eu tendance à augmenter et à se substituer progressivement aux autres postes budgétaires, sans réelle augmentation de moyens (voire l’inverse), quid des investissements indispensables pour produire sans cesse plus de contenus, mesurer et analyser plus finement, innover et recruter de nouveaux talents… ?
  9. Défi de la diffusion versus la production (cf poster Communication et Entreprise pour plus de détails) : production de contenus versus propagation, que privilégier ? 
  10. Défi de l’audace : Fear Of Missing Out (FOMO), Fear Of Designed Obsolescence (FODO), Fear Of Being Overshadowed (pour plus de détails sur chacune : se référer au poster complet de Communication et Entreprise) : les nouvelles peurs susceptibles de paralyser les communicants sont nombreuses, mais les opportunités offertes par le digital demeurent bien plus nombreuses et importantes que les risques. Il n’y a donc plus d’excuse à la « cécité digitale » : il faut oser et avancer !

> Les témoignages croisés du pilote de l’étude… et d’un(e) grand témoin

Assaël Adary*, vice-président de Communication et Entreprise et pilote du groupe de travail « Gouvernance de la communication » et Anne-Sophie Sibout**, directrice de la communication interviewée au titre de grand témoin dans le cadre de cette étude passionnante de Communication et Entreprise, ont bien voulu répondre à mes questions… Qu’ils en soient encore remerciés !

>> Le BrandNewsBlog : Au travers de ces résultats d’étude Assaël, vous abordez finalement toutes les dimensions de la révolution numérique et de la transformation qu’elle induit pour les communicants… N’avez-vous pas le sentiment d’avoir quelque peu « débordé » de votre sujet initial, qui était l’impact du digital sur l’organisation des services communication et la gouvernance de la com’ ?

Assaël Adary : Non, je ne crois pas. Au contraire. Nous avons en effet voulu traiter de TOUS les impacts du digital sur l’organisation d’une direction de la communication : les compétences, le budget, les relations avec les agences… C’est une vision de l’organisation «à 360°» car pour ne prendre que cet exemple, le rapport au temps, que le digital a littéralement fait exploser, se traduit par des contraintes organisationnelles bien réelles, auxquelles les managers doivent apporter des réponses très concrètes…

De même pour la culture du ROI : l’intégration d’une mesure systématique du retour sur investissement relève certes d’un nouvel état d’esprit, mais également de véritables compétences, de nouveaux outils, voire de nouveaux investissements… Et cela a évidemment des répercussions très concrètes dans le fonctionnement même des directions de la communication, avec par exemple l’apparition de nouvelles instances de gouvernance « Performance Review » et de nouveaux processus de travail… Nous restons donc complètement dans notre sujet organisationnel initial.

>> Le BrandNewsBlog : D’où vous est venue cette (selon moi très bonne) idée de synthétiser les résultats de cette étude sous forme de poster ? Quels étaient pour vous les objectifs de ce support et ses cibles ? Cela a du demander un travail de synthèse très conséquent…

Assaël Adary : Au départ, nous sommes partis d’une analyse très linéaire et classique. Puis nous avons constaté que nous avions bien du mal à hiérarchiser nos conclusions et à écrire le sommaire du bon vieux « PPT de synthèse » auquel tout le monde est habitué.

Nous avons donc choisi de « traduire » le livrable en une carte heuristique (mind map) et tout s’est éclairé. Il s’agissait de rendre compte visuellement de l’exposition créée par le digital sur l’activité des directions de la communication.

Le résultat est au final une cartographie des impacts (en format poster comme l’excellent hebdo « le 1 ») qui répond totalement à notre objectif initial. Un peu comme un général qui aurait envoyé des drones cartographier son nouveau théâtre d’opérations : la carte permet d’identifier les zones dangereuses, les chemins possibles, les forces à engager, etc.

>> Le BrandNewsBlog : Quels sont les deux ou trois enseignements majeurs à retenir de cette étude en matière d’intégration du numérique et de gouvernance de la communication, selon vous Assaël ?

Assaël Adary : Au-delà des 10 impacts majeurs qui constituent nos 10 conclusions, deux méta-conclusions s’imposent. La première, c’est que le digital doit être « inclusif », parce qu’il traverse toute l’organisation et vient se nicher dans chaque espace des organigrammes. Il serait donc contre-productif de l’isoler dans une direction séparée ou dans un service dédié. Les organisations de communication qui savent faire du « digital inside » sont assurément les plus performantes.

L’autre conclusion est que l’explosion que nous décrivons et analysons est positive, voire optimiste, car elle repose et réaffirme les fondamentaux de notre métier. Le digital ne réinvente pas les fondamentaux de la communication : il puise au contraire dans ses théories et bonnes pratiques originelles : la création de contenus (leur qualité, leur singularité), l’adéquation des contenus avec les publics, l’importance du tempo et du « bon » moment pour communiquer… Autant d’éléments qui étaient déjà présents dans les grandes théories de la communication (Ecole de Palo Alto, Marshall McLuhan, etc.). C’est pour cela que nous avons placé en exergue de notre analyse la phrase de Giuseppe Tomasi Di Lampedusa dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change »

En revanche, deux batailles me semblent décisives et plus complexes à gagner : 1) d’abord, la bataille de l’accès : la multiplicité des devices et des formats rend l’accès aux publics (y compris les collaborateurs) de plus en plus compliqué et coûteux. 2) D’autre part, la bataille de l’attention : la prolifération des contenus et l’infobésité, rapportées à la la diminution continue du temps d’attention de la part des publics engendrent souvent des ROI très/trop légers [c’est le fameux « content shock »].

>> Le BrandNewsBlog : Au-delà du site web dont j’ai déjà parlé ci-dessus, qui ne reprend qu’une partie des résultats de votre étude, le poster que vous avez créé est évidemment disponible à la vente : comment se le procurer et à quel prix ? Tout le monde peut-il l’acheter ? Quels sont les premiers retours sur ce document depuis qu’il a été publié ?

Assaël Adary : Nous avons opté pour une logique de « Freemium ». Sur Internet, on ne peut en effet accéder librement qu’à 5 des 10 impacts que nous avons identifiés et détaillés. Si l’on souhaite acquérir la totalité de l’étude, un lien conduit à l’achat du document complet pour 15 euros TTC. Mais pour le moment, nous recommandons vraiment d’acquérir le document « print » car pour nous sa forme (la cartographie au format poster) apporte en elle-même une réelle valeur ajoutée.

> Le BrandNewsBlog : Anne-Sophie, vous faites quant à vous partie des 11 grands témoins / directeurs(trices) ou responsables de la communication interrogés cette année par le groupe de travail « Gouvernance de la communication » pour cette étude sur l’impact du digital sur les organisation de la communication. Pourquoi avez-vous accepté de participer à cette démarche ? Quel intérêt y avez-vous trouvé, pour vous et pour votre entreprise ? 

Anne-Sophie Sibout : De nombreuses prises de parole, orales ou écrites, se consacrent à la production et à la mise en scène des contenus. Avec la généralisation des réseaux sociaux, ces prises de paroles sont de plus en plus accessibles et variées. En revanche, il est plus difficile de trouver des panoramas pratiques et simples sur la gouvernance et l’organisation des directions de la communication. Or, les problématiques de fonctionnement sont souvent le premier défi que nous devons relever, à la fois parce que la communication est une activité dont les frontières ne cessent de mouvoir, et parce que nos publics créent de plus en plus leur propre contenu. Ayant pris la responsabilité de la communication du groupe Edenred il y a trois ans, j’ai été moi-même confrontée à cette problématique, et le suis encore régulièrement – même si l’organisation que j’ai mise en place à l’époque est toujours d’actualité !

> Le BrandNewsBlog : Certains professionnels approchés par les membres du groupe de travail dans le cadre de leur étude ont préféré ne pas y participer et d’autres ont sans doute eu quelques difficultés à jouer le jeu de la transparence…  Est-ce à dire que l’intégration du numérique dans l’organisation est encore un sujet délicat, voire « tabou » au sein de certaines entreprises ? Et pourquoi ?

Anne-Sophie Sibout : Il m’est bien sûr difficile de répondre pour autrui. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un tabou : les responsables en communication ont bien sûr compris que l’intégration du numérique n’est plus optionnelle. Mais on parle parfois du digital comme d’une nébuleuse un peu « fourre-tout », et certains responsables en communication se sentent peut-être plus à l’aise de sous-traiter cette dimension, que ce soit à l’interne ou via des agences, plutôt que de s’en sentir directement partie prenante. La crainte de la perte de contrôle est peut-être un facteur d’explication. Il existe bien entendu de réels experts du numérique, mais je pense pour ma part que n’importe quel communicant peut et doit être dans une démarche de « test and learn » concernant les mutations qu’entraîne le digital dans nos métiers.

> Le BrandNewsBlog : Alors que la précédente étude de Communication et entreprise, réalisée en 2014, avait conclu que l’intégration du digital dans l’organisation « n’était pas encore aboutie », force est de constater que le numérique est désormais présent partout, « dans toutes les dimensions du métier de communicant ». Et l’étude de cette année de relever pas moins de 10 changements majeurs, en termes de culture, de gestion du temps et de production de formats, de budget ou de retour sur investissement… Parmi ces changements, quels sont ceux qui vous paraissent les plus impactants pour les communicants ?

Anne-Sophie Sibout : Je citerais d’abord la question du temps comme principal impact du digital sur les organisations. L’immédiateté des réseaux sociaux implique par exemple de naviguer perpétuellement entre une réactivité très forte et un temps plus long de planification. Par ailleurs, les processus de validation et de vérification sont de plus en plus courts : les communicants ont de plus en plus d’autonomie dans leur prise de décision. Deuxièmement, la bataille de l’attention auprès de publics sollicités fait évoluer les organisations. Au sein d’une direction de la communication, chaque collaborateur peut contribuer de façon plus forte et directe en faisant preuve de créativité et en partageant sa propre expérience. Enfin, le digital a disrupté nos organisations dans le savoir-être et le comportement de chacun : les boucles sont plus courtes, le droit à l’erreur a davantage sa place et il faut accepter le lâcher-prise… En somme, c’est une façon de progresser ensemble dans une exigence bienveillante !

>> Le BrandNewsBlog : Ainsi que je l’explique dans mon article, l’étude entrevoit 3 « nouvelles peurs » liées à l’irruption du digital et qui peuvent paralyser les professionnels au moment d’adapter leurs méthodes et leur organisation : FOMO (peur de rater une nouveauté), FODO (peur de l’obsolescence des contenus et des outils), FOBO (peur d’être dépassé par des flux non maîtrisés de contenus)… Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet, et n’y-a-t-il pas aussi, tout simplement, la crainte éprouvée par de nombreux professionnels de ne pas être à la hauteur de ces défis, en termes de compétence et de connaissance personnelle, voire d’appétence pour les sujets numérique ? Quels conseils donneriez vous à vos confrères et consoeurs communicants à ce sujet ? Et quel est le rôle du dircom dans cette mutation, selon vous ?

Anne-Sophie Sibout : Ces trois peurs existent, mais c’est la crainte d’être dépassé par les flux non maîtrisés qui prédomine (FOBO), selon moi. D’ailleurs, cette peur émane souvent surtout du top management de l’entreprise, davantage que des communicants eux-mêmes. Nous devons faire sans relâche un travail de pédagogie sur ce sujet. Mais vous avez raison : si réticence il y a à adapter les organisations, c’est parfois par manque d’appétence au numérique. Certains imaginent peut-être que la maîtrise du digital est réservée aux « jeunes » générations. Parmi les professionnels de la communication, quelle que soit l’expérience, c’est la plupart du temps inexact : c’est avant tout une question de volonté, davantage que d’âge. Par exemple, en ce qui concerne les réseaux sociaux, tout communicant devrait en avoir une pratique assez régulière, car sans se mettre dans la peau d’un utilisateur, difficile d’établir un plan de communication efficace. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas…

> Le BrandNewsBlog : Chez Edenred, quel est votre degré de maturité sur ce sujet de l’intégration du digital ? Quels sont les bouleversements les plus tangibles apportés par le numérique ? Et concrètement, comment avez-vous fait évoluer l’organisation de la communication pour relever les nouveaux défis et vous adapter à ce changement de paradigme qui modifie en profondeur nos habitudes et impose de reconsidérer nos approches et nos pratiques ?

Anne-Sophie Sibout : Edenred est une entreprise assez exceptionnelle, dans tous les sens du terme, car elle cumule 50 ans d’histoire, avec la création du programme Ticket Restaurant dans les années 1960, et une marque très récente. En effet, c’est une société indépendante qui existe sous sa forme actuelle depuis 2010 seulement, avec la scission du groupe Accor entre le pôle hôtellerie et le pôle services aux entreprises – jusqu’alors baptisé « Accor Services ». Bref, l’existence même d’une direction de la communication classique est assez récente. Mais Edenred est une entreprise en forte croissance, dynamique et très internationale : le classique « Ticket Restaurant » s’est réinventé dans 42 pays à travers 400 programmes dans des domaines variés.

Or, ces programmes sont de plus en plus numériques : le ticket « papier » n’existe presque plus, même si on le voit encore en France ! Aujourd’hui, les salariés utilisent en grande majorité des cartes, des applications mobiles ou des portails Edenred pour effectuer des transactions à valeur ajoutée dans le cadre de leur activité professionnelle. Cette mutation rapide a non seulement révolutionné notre métier, mais aussi la façon dont nous communiquons. Par exemple, nous avons été parmi les premières entreprises à mettre en place un intranet collaboratif, Bubble, en 2011. Chaque jour, des collaborateurs du monde entier partagent sur un « mur » photos et commentaires sur l’activité du Groupe de façon instantanée. Lorsque j’ai pris la direction de la communication en 2014, l’une de mes premières décisions a été de ne plus avoir de département spécifiquement dédié à la communication digitale. L’objectif était de ne pas faire du numérique une « chasse gardée » mais d’intégrer le digital dans tous dans les plans d’actions.

> Le BrandNewsBlog : Le groupe « Gouvernance de la communication » note finalement le rôle salvateur de cette transformation numérique, dans la mesure où elle replace les fondamentaux de la communication au centre du jeu (contenus et formats, connaissance des publics…) et rappelle les communicants à leur socle premier de compétences. Etes-vous d’accord avec cette conclusion et quelles sont ces compétences premières à développer ou renforcer, dans ce nouveau contexte ?

Anne-Sophie Sibout : Je partage cet avis, en partie du moins. Lorsque le message est placé en amont de la stratégie de communication, le terreau est propice à une appropriation du contenu. En revanche, le digital, si tant est qu’on puisse utiliser ce terme si vaste, ne doit pas faire passer la nature du support ou de l’outil avant même de réfléchir au sens de ce que l’on veut donner. Plus que jamais, un bon plan de communication doit faire passer le « pourquoi » avant le « comment »…

 

 

Notes et légendes : 

(1) Président de BEING Worldwide et Vice-Président de TBWA\Europe, Nicolas Bordas est également auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la communication et du blog l’Idée qui tue ; Louise Beveridge a été la directrice communication de grands groupes internationaux, comme Antalis, BNP Paribas ou Kering notamment.

(2) Pierre Auberger est Directeur de la communication du Groupe Bouygues.

(3) Digital ghostwriter, « porte-plume de dirigeant(s) et chasseuse d’influence », Violaine Champetier est par ailleurs la fondatrice et CEO de sa propre agence « Le Meunier qui dort » et travaille à ce titre pour différentes organisations, parmi lesquelles Onepoint, dont elle a conçu et anime l’espace collaboratif « LivePoint ».

* Co-fondateur et dirigeant du cabinet d’études Occurrence, spécialisé dans l’évaluation des actions de communication, Assaël Adary est également Président de l’association des alumni du Celsa et Vice-Président de l’association Communication et Entreprise.

** Anne-Sophie Sibout est Directrice de la communication du groupe Edenred

Crédits photos et illustrations : 123 RF, Onepoint, X, DR

 

Notes et légendes : 

(1) Président de BEING Worldwide et Vice-Président de TBWA\Europe, Nicolas Bordas est également auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la communication et du blog l’Idée qui tue ; Louise Beveridge a été la directrice communication de grands groupes internationaux, comme Antalis, BNP Paribas ou Kering notamment.

(2) Pierre Auberger est Directeur de la communication du Groupe Bouygues.

(3) Digital ghostwriter, « porte-plume de dirigeant(s) et chasseuse d’influence », Violaine Champetier est par ailleurs la fondatrice et CEO de sa propre agence « Le Meunier qui dort » et travaille à ce titre pour différentes organisations, parmi lesquelles Onepoint, dont elle a conçu et anime l’espace collaboratif « LivePoint ».

* Co-fondateur et dirigeant du cabinet d’études Occurrence, spécialisé dans l’évaluation des actions de communication, Assaël Adary est également Président de l’association des alumni du Celsa et Vice-Président de l’association Communication et Entreprise.

** Anne-Sophie Sibout est Directrice de la communication du groupe Edenred

 

Crédits photos et illustrations : 123 RF, Onepoint, X, DR

 

 

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