La rentrée dans le viseur de… Virginie de Barnier, Vice-Présidente de Aix-Marseille Université et experte des tendances de consommation

Ce mardi 1er septembre, c’est la rentrée des classes pour la plupart des élèves et des professeurs… et c’est aussi la rentrée du BrandNewsBlog !

Pour la 7ème saison consécutive, je vous proposerai de retrouver dans ces colonnes des articles de fond et des interviews de personnalités de la communication et du marketing, mais également de couvrir les grands sujets d’actualité de nos métiers, dans ce contexte inédit de crise sanitaire et économique que nous connaissons depuis des mois maintenant.

Et quoi de mieux, pour nous remettre rapidement dans le bain et capter les enjeux de cette rentrée si particulière, que de donner la parole aux professionnels et aux experts, pour un aperçu de ce qui les/nous attend dans les semaines et mois à venir ?

Dans le cadre d’une nouvelle série d’interviews « La rentrée du BrandNewsBlog », j’ai ainsi souhaité recueillir les retours d’expérience et décryptages de dircom d’entreprises, dirigeants de grande école ou d’associations, spécialistes des questions de RSE ou de consommation… en les interrogeant sur les mois écoulés et sur leurs prochains défis.

Et je n’ai pas manqué, au passage, de collecter leurs recommandations pour ne pas succomber au stress et au rythme intense des prochains jours : suggestions de lecture, de podcasts, blogs ou nouvelles ressources… à découvrir tous les deux jours en toute fin d’article.

Pour inaugurer ce tour d’horizon, je remercie chaleureusement Virginie de Barnier, Vice-Présidente de Aix Marseille Université et experte des tendances de consommation, d’avoir bien voulu répondre à mes nombreuses questions !

Après la période du confinement et celle du « déconfinement », et au lendemain de congés estivaux, je souhaitais en effet savoir où en étaient exactement les Français, comment ils avaient adapté et modifié leurs habitudes de consommation et quelles avaient été les conséquences de ces changements pour les différents secteurs d’activité et pour les marques.

Dans cet entretien exclusif, Virginie de Barnier nous révèle également la liste des marques « gagnantes » et des grandes « perdantes » de cette crise, en analysant leurs stratégies respectives et leurs perspectives…

Merci encore à elle pour ces échanges passionnants, et bonne lecture à toutes et tous, en vous souhaitant à chacun.e la meilleure rentrée possible !

Le BrandNewsBlog : Bonjour Virginie. La pandémie et les injonctions du gouvernement afin d’en restreindre l’impact ont amené nos concitoyens à devoir modifier considérablement leur comportement, en respectant un confinement strict durant plusieurs mois, des gestes barrière, des consignes sanitaires dans les lieux publics, le port du masque qui semble aujourd’hui devenir obligatoire dans la plupart des villes, dans les écoles, les magasins… Comment ces bouleversements ont-ils été intégrés par nos concitoyens, comment cela a-t-il été vécu ?

Virginie de Barnier : Le contexte de crise sanitaire a en effet remis en cause beaucoup de comportements. Pour la première fois depuis des années, au moins en occident, les individus ont dû se conformer à des mesures strictes selon les consignes gouvernementales. Ils ont modifié rapidement et drastiquement leurs comportements, parce qu’ils y étaient obligés et non parce qu’ils le désiraient. Cela a donc été une « marche forcée », qui a parfois été perçue comme une restriction de notre liberté individuelle.

N’oublions pas que « Liberté, Égalité, Fraternité » est la devise de la République française et qu’elle figure dans l’article 2 de la Constitution française du 4 octobre 1958. Pour chacun d’entre nous, la liberté fait donc partie d’un droit inaliénable à tout individu. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 définit ainsi la liberté : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. »

Or la crise pandémique a remis en question les trois fondements de notre république. Tout d’abord notre liberté a été restreinte, nous ne pouvions plus librement voyager, sortir, rendre visite à des membres de notre famille éloignés. Nous avions besoin d’une autorisation écrite, un « laissez-passer ». Aujourd’hui encore le port du masque est obligatoire dans de nombreuses villes et peut donner lieu à des amendes conséquentes en cas de manquement. Tout cela rappelle évidemment les moments les plus noirs de notre histoire : la guerre. Le Président Emmanuel Macron l’a d’ailleurs formulé sans équivoque lors de ses discours, faisant référence au champ lexical de la guerre.

La guerre, la mobilisation générale : « Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire, certes […]. Mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse. Et cela requiert notre mobilisation générale » (discours du 16 mars 2020) ; « La mobilisation générale est également celle de nos chercheurs » (discours du 12 mars 2020). Le réquisitionnement : « Nous avons réouvert des lignes pour produire et nous avons réquisitionné » (discours du 13 avril 2020). Les combattants : « Dans cette guerre, il y a en première ligne l’ensemble de nos soignants […]. Le premier soignant est tombé il y a quelques jours à Compiègne » (discours du 25 mars 2020) ; « […] des soignants qui sont au front chaque jour […]» (discours du 31 mars 2020). Les héros de guerre : « Je tiens […] à exprimer ce soir la reconnaissance de la Nation à ces héros en blouse blanche » (discours du 12 mars 2020).

La crise sanitaire a remis en question également notre égalité. Nous n’avons pas été égaux face à la pandémie. Ceux qui ont été confinés dans des appartements ou des maisons vastes l’ont mieux vécu que ceux qui sont restés dans des appartements exigus. Par ailleurs, certains ont pu continuer à travailler par télétravail tandis que d’autres se sont retrouvés au chômage partiel ou total. Enfin nous ne sommes pas tous égaux face à la résilience. Certains avaient une vie construite autour de ce que Boris Cyrulnik appelle des « facteurs de protection » tels que la famille, le confort matériel ou culturel, tandis que d’autres avaient des styles de vie plus isolés, sans « tuteurs de résilience ».

Enfin, la pandémie a mis notre sens de la fraternité à l’épreuve. Quelle attitude choisir quand l’autre représente un risque de contamination ? L’autre devient dangereux, il ne faut plus lui serrer la main, le toucher, l’enlacer, l’embrasser… Les grands-parents ne peuvent plus voir leurs enfants ou leurs petit-enfants, par crainte pour leur vie. La crise met à jour notre vulnérabilité et notre interdépendance les uns des autres. Et spontanément, certains agissent de manière fraternelle : ces soignants prenant soin des malades, cette association de motards à Toulouse « CourseA2roues » qui livre bénévolement les courses aux personnes âgées, ces voisins qui s’entraident… Les exemples sont multiples et montrent combien l’homme est avant tout un être social. Il a besoin de lien social pour survivre.

Le BrandNewsBlog :  Durant les derniers mois, de nombreuses études menées par différents instituts ont démontré que nos concitoyens – et plus largement, les consommateurs du monde entier – avaient modifié en profondeur leurs comportements quotidiens de consommation. Pouvez-vous nous décrire la nature de ces changements et les principales évolutions relevées par les experts ?

Virginie de Barnier : Quatre grands types de comportements ont vu le jour chez les consommateurs, selon une récente étude de Ernst & Young, le Future Consumer Index

1) Le premier groupe, que l’on peut appeler les « écureuils », sont ceux qui ont fait des économies et des réserves. Ils sont les plus nombreux et représentent environ 36% de la population. Ils ont choisi de dépenser moins en réduisant fortement leurs achats de vêtements ou de loisirs afin de privilégier les achats de première nécessité : la nourriture, les médicaments, les produits d’hygiène. On se souvient de la pénurie de papier toilette que nous avons connu !

2) Le second groupe, les « harpagons » ont choisi de réduire considérablement leur consommation. Ils représentent environ 27% de la population, ils sont relativement âgés (plus de 45 ans), ont été fortement touchés par le chômage et sont les plus pessimistes. Ils ont réduit drastiquement leurs achats, recentrés uniquement des biens de première nécessité et se sont détournés des grandes marques pour choisir des marques distributeurs ou premier prix.

3) Le troisième groupe, les « flegmatiques », représentent 26% de la population. Ils ont continué leurs habitudes précédentes et ont choisi de « rester calmes et de continuer », à l’instar des consignes du gouvernement britannique en 1939 « Keep Calm and Carry On ». Ils se sentent moins impactés par la pandémie.

4) Enfin le quatrième groupe, les « marmottes » sont les moins nombreux, 11% de la population. Ils sont les moins touchés par la pandémie, car leur statut social élevé les protège. Ils se sont repliés dans leurs grandes maisons confortables et ont continué à travailler en ligne tout en continuant à consommer beaucoup, via le e-commerce.

Globalement donc la consommation générale a baissé, mais elle s’est aussi recentrée sur trois priorités :

  • A/ Une consommation plus raisonnée qui privilégie la qualité plutôt que la quantité afin d’éviter le gaspillage alimentaire dont nos concitoyens sont de plus en plus conscients.
  • B/ Une consommation plus responsable qui ne déséquilibre pas nos ressources naturelles et s’intègre dans une démarche de développement durable.
  • C/ Une consommation plus locale – on parle des « locavores » – qui privilégie des produits français, issus de la région, dont la traçabilité et l’origine sont connues.

Le BrandNewsBlog : Ces évolutions, dont vous venez de nous parler, se sont manifestées dès le début des périodes de confinement imposées dans de nombreux pays par les autorités. En se recentrant notamment sur la consommation de produits et services jugés de première nécessité, ou directement utiles, beaucoup d’Européens n’ont fait dans un premier temps qu’adapter conjoncturellement leurs pratiques « sous la contrainte », comme leurs ancêtres lors des grandes crises précédentes. Mais qu’en est-il aujourd’hui : est-ce que les tendances que vous décrivez (consommation plus raisonnée, plus responsable et plus locale) se confirment dans la durée, plusieurs mois après le début de la crise sanitaire ?

Virginie de Barnier : Tout dépend du niveau social des individus. S’ils ont retrouvé une relative aisance financière et qu’ils ont découvert des produits qu’ils apprécient et qui correspondent à leurs valeurs éthiques et responsables, alors ils continueront à consommer plus responsable et plus local. On estime que cela va concerner environ 23% des consommateurs, ce qui est déjà beaucoup !

En revanche, si la crise a des conséquences financières graves, ils continueront à adopter des comportements d’économie, de stockage et « d’harpagon » en réduisant leur consommation aux produits low-cost qui sont rarement responsables ou locaux. Les experts pensent qu’environ 13% de la population continuera à consommer des produits bons marchés.

Environ 30% des consommateurs reviendront à leurs habitudes pré-covid et consommerons comme ils le faisaient avant, et 25% consommeront différemment, tout en restant prudents et en opérant des arbitrages entre les catégories de produits. Ils consacreront une part plus importante aux produits liés à la santé ou aux marques engagées qui participent à l’effort collectif, affichent une stratégie de développement durable ou sont produites localement.

Enfin, il est important de noter que 9 % des consommateurs devraient consommer davantage. Il s’agit du groupe des jeunes actifs, qui auront un emploi et souhaiteront retrouver leur liberté et leur style de vie d’avant. Ils veulent tourner la page et « rattraper le temps perdu » à travers une consommation plus importante de tous types de produits et services.

Le BrandNewsBlog : Ces évolutions que vous décrivez concernent-elles toutes les catégories de produits et services et tous les secteurs, ou bien certains sont-ils épargnés ? Y-a-t-il des différences de comportements accrues entre Paris et nos régions, voire de véritables « fractures » perceptibles dans les modes et habitudes de consommation entre les différents profils de consommateurs ?

Virginie de Barnier : Certaines catégories de produits ou services sont plus touchés que d’autres, ceci en fonction de leur capacité à modifier leur offre de produits et en fonction de l’impact de la crise sur leur secteur d’activité.

Les plus touchés sont ceux dont les secteurs sont fortement impactés par la crise et qui n’ont pratiquement pas la possibilité de modifier leur offre. Il s’agit de la restauration, l’hôtellerie, le tourisme, les compagnies aériennes, le textile, les salles de gym…

D’autres secteurs sont fortement impactés mais ont la capacité de modifier leur offre : la banque, la presse écrite, l’enseignement. La crise peut les amener à accélérer le passage en ligne de leurs services.

Enfin certains secteurs ont la capacité de modifier leur offre tout en étant peu frappés par la crise. Ils sont les grands gagnants de la pandémie mondiale. Les plateformes de livraison en ligne, les livraisons de repas à domicile, les cours en ligne, les plateformes de sport en ligne, les loisirs en ligne (jeux vidéo, yoga, sport, couture…).

Amazon a par exemple multiplié par deux ses bénéfices et a créé 175 000 emplois au deuxième trimestre 2020. Netflix a gagné plus de 26 millions d’abonnés nouveaux depuis le début de l’année. TikTok, plateforme préférée des adolescents, attire désormais des adultes. Avec le mouvement « Black Lives Matter » la plateforme a montré qu’elle s’engage politiquement et acquiert ainsi une légitimité comme Instagram ou Youtube. Elle est plébiscitée par des stars comme Will Smith ou Arnold Schwarzenegger qui, confinés, utilisent cette plateforme pour toucher leurs fans, en postant des mini vidéos intimistes filmées chez eux. Au premier trimestre 2020, TikTok a atteint le nombre de 315 millions d’installations sur l’App Store et Google Pay, contre environ 200 millions le trimestre précédent. D’autres grands gagnants : Zoom, le jeu Animal crossing et bien sûr les autres Gafam : Google, Apple, Facebook et Microsoft.

Concernant le clivage Paris-province, la pandémie a généré un renversement des mentalités. Paris centre de tout, capitale du pays, là où tout se décide, où il faut aller pour faire de belles études, de grandes écoles, une carrière… Tout cela a été renversé par une remise en question de cette culture de la performance et de la rapidité. La pandémie nous a obligé à voir que notre société fondée sur le « toujours plus » allait dans le mur. Plus de production, plus de consommation, plus d’argent, plus de responsabilité… dans quel but ? La province, où le rythme de vie est moins effréné que dans la capitale, est apparue aux yeux de tous comme un havre de paix et de sécurité sanitaire. La carte de France découverte par chacun d’entre nous a été choquante : des zones en « vert » en province alors que Paris était en « rouge » !

Dans la même logique, un renversement des valeurs s’est également opéré concernant les métiers et leurs images aux yeux des médias et du grand public. Tout d’un coup, on a pris conscience de la valeur des « petits métiers » indispensables à notre société : le facteur, le caissier du magasin, l’éboueur, le sapeur-pompier, l’infirmière, le « petit fonctionnaire » qui rassure, distribue des masques, informe, dialogue … On a touché du doigt le rôle fondamental que tous ces gens jouent en créant du lien social indispensable à l’homme.

Le BrandNewsBlog : Vous venez de le dire, la crise sanitaire a été particulièrement favorable au commerce en ligne et au développement des grandes plateformes, Amazon en tête, plateformes auprès desquelles nos concitoyens (notamment de zones rurales) ont encore renforcé leurs achats. Qu’en est-il aujourd’hui, 6 mois après le début de la crise sanitaire : les consommateurs ont-ils retrouvé le chemin des commerces « physiques » et leurs habitudes de shopping ? Il semble notamment qu’il y ait eu un net rebond du commerce en juin dans notre pays…

Virginie de Barnier : En mai, les consommateurs sont retournés dans les magasins, en respectant les gestes barrières et les consignes de port du masque. Mais sur le plan économique, nous n’avons pas retrouvé la situation d’avant Covid et il faudra plusieurs mois pour réengager la consommation…

Avec le confinement, nous avons limité au maximum nos déplacements à l’extérieur et souvent nos achats. Et une partie de la population a ressenti un manque, ce sont ceux qui sont retournés avec plaisir dans leurs magasins dès qu’ils ont ouvert. Ils ont privilégié cependant les supermarchés, car les contraintes financières sont fortes et ils ont pour la plupart perdu en niveau de vie. Les enseignes qui ont connu un rebond important de leur fréquentation sont Leclerc, Lidl, Intermarché et Aldi.

Mais pour une autre partie de la population, ce ralentissement, ce relâchement de la pression consommatoire a été vécu comme un soulagement. Et ils se sont rendus compte qu’au fond « ils n’avaient besoin de rien » et que cette accumulation de produits et d’achats complexifiait leur existence et finalement la rendait difficile. C’est le grand mouvement de la « frugalité » issu du courant artistique des années 1960, le minimalisme. Le confinement a forcé les consommateurs à la frugalité et certains d’entre eux ont embrassé cette « déconsommation » comme une véritable libération.

Le BrandNewsBlog : On le sait, certains secteurs sont de tout temps plus « résilients » que d’autres aux crises économiques… ou redémarrent plus rapidement leur activité. Qu’en est-il à cet égard du secteur du luxe ? Comment a-t-il été touché en ce qui le concerne, et comment se remet-il des premiers mois de cette crise sans précédent que nous connaissons ?

Virginie de Barnier : Le luxe a bien entendu aussi été un secteur très touché par la pandémie. Mais la plupart des marques de luxe ont été très actives durant le Covid, se forgeant ainsi une image socialement responsable.

LVMH a choisi de réorganiser ses sites de production de parfums et cosmétiques afin de fabriquer du gel hydroalcoolique fourni gracieusement au personnel hospitalier. Ainsi, des flacons signés LVMH Christian Dior, Guerlain et Givenchy ont rapidement été disponibles, rendant la marque soudainement accessible au quotidien. Dior a réouvert ses ateliers de confection à Redon afin de confectionner des masques également à destination des hôpitaux. Hermès a fait un don de 20 millions d’euros pour l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris). L’entreprise a également fabriqué plus de 30 tonnes de solution hydroalcoolique et de plus de 31 000 masques qu’elle a donné aux services de santé. Chanel a annoncé qu’elle continuerait à payer ses employés en chômage partiel afin de ne pas peser sur les comptes publics de la France. Elle a fait un don de 1,2 million d’euros aux hôpitaux français, de plus de 50 000 masques aux différents services de santé, de sapeur-pompier et de police…

Bien d’autres marques de luxe se sont engagées dans des actions similaires : Clarins, Bulgari, Sisley, Estée Lauder, Giorgio Armani, Donatella Versace, Prada, Gucci, Tiffany… Il s’agissait pour toutes ces marques de montrer qu’elle se mobilisent au côté des consommateurs, qu’elles ne sont pas isolées dans leur tour d’ivoire et éloignées de la réalité d’un pays. Il est en effet important pour elles d’être présentes au quotidien pour accroître l’attachement du consommateur à leur marque.

La recherche a montré que nous sommes attachés aux marques qui nous ont accompagnés dans des moments de fragilité. C’est le cas d’une marque comme Evian ou Mustela, que l’on surconsomme souvent lors de la naissance du premier enfant. Cela crée un attachement très fort à la marque. C’est ce phénomène d’attachement que ces marques de luxe veulent créer par ces actions.

Enfin, n’oublions pas que le luxe demeure une véritable valeur refuge. En mars, à peine le confinement levé, les clientes chinoises se sont précipitées dans les boutiques Chanel de Shanghai et de Hong Kong, faisant de longues files d’attentes de plusieurs heures avant de pouvoir entrer dans la boutique. Le même phénomène s’est produit en mai pour Gucci en Chine.

Si le luxe est cher, il est aussi une valeur refuge très prisée en temps de crise. Investir 10 000 Euros dans un sac Birkin d’Hermès, c’est un investissement plus rentable et plus sûr que l’or ou la bourse ! En 2017, le sac « Himalaya Niloticus Crocodile Diamond Birkin 30 » acheté en 1980, a été adjugé à 380.000 dollars lors d’une vente Christie’s à Hong Kong, soit un rendement annuel moyen de 14,3% ! Et l’investissement est sûr, la valeur de ce sac, comme du modèle Kelly, n’a jamais connu de baisse depuis sa mise sur le marché.

Le BrandNewsBlog : Les phénomènes les plus vertueux que vous venez d’évoquer, notamment la relocalisation de la production et de la consommation et l’attrait pour une consommation plus responsable, ont-ils de réelles chances de se confirmer dans les mois qui viennent ? Ou bien s’agit-il d’un feu de paille ? Roland Beaumanoir, P-DG du Groupe textile Beaumanoir (Cache Cache, Morgan, Bonobo, La Halle…) indiquait récemment que nos concitoyens sont prêts à acheter local… à condition que le différentiel de prix avec des produits importés demeure minime (de l’ordre de 1 à 5 euros maxi pour une robe, par exemple). Qu’est-ce que cette remarque vous inspire ? Les plus modestes auront certainement du mal à acheter plus cher…

Virginie de Barnier : La crise a fait naître une prise conscience des consommateurs quant à l’écologie et la responsabilité sociale des entreprises. A Beijing, Bangkok ou Delhi, les habitants ont durant la pandémie, vu pour la première fois un ciel bleu azur. Les parisiens ont pu apprécier le silence le chant des oiseaux et le bruit du vent dans les arbres. Les canaux de Venise sont devenus clairs et transparents pleins de bancs de poisson. Tout cela a réveillé notre conscience d’appartenir à un seul et même monde. Nous faisons partie de la nature, et ne sommes pas au-dessus d’elle. Notre modèle économique qui exploite cette nature nous met en danger inexorablement.

Bien entendu, lors d’une crise le facteur prix a toujours son importance et il est directement lié à l’indice de confiance des consommateurs. Les consommateurs confiants et optimistes investissent dans des produits et des marques plus chères. Ils sont prêts à payer ce différentiel de prix pour consommer responsable, local, bio…

Mais lorsqu’il y a crise, incertitude et perte de confiance dans l’avenir, le consommateur a tendance à se replier sur des marques premier prix afin de s’assurer de garder le même niveau de vie, du moins en termes de consommation.

L’écrivain français Sylvain Tesson notait ainsi : « La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer ». Et les chiffres le confirment. Une récente étude de McKinsey montre que les pays dont les habitants sont les plus pessimistes suite au Covid sont par ordre décroissant le Japon, l’Espagne, la France, l’Italie, la Corée et le Royaume Unis. En revanche, les pays les plus optimistes sont, par ordre décroissant la Chine, l’Inde, les Etats Unis, l’Allemagne.

Nos choix de consommation sont donc bien évidemment liés à notre niveau social et à une réalité sociologique mais également à une réalité psychologique. On consomme quand on va bien, quand on est confiant et quand on est optimiste quant à l’avenir. Dans le cas contraire on économise, pour se prémunir d’une éventuelle récession économique.

Le BrandNewsBlog : Baisse de la consommation, consommation « raisonnée » ou bien rebond plus durable boosté par un cycle de promotions et par les mesures gouvernementales de soutien à la consommation : à quoi faut-il s’attendre pour la rentrée et les mois qui viennent ? Quoiqu’il arrive, la crise sanitaire n’est pas finie et pèsera sans doute lourdement sur la consommation et le chiffre d’affaires des entreprises et des commerces en particulier ?

Virginie de Barnier : Il faut vraisemblablement s’attendre à un clivage encore plus grand entre les élites et les défavorisés. Les élites ont pu sortir de cette crise sans perte de revenus, voire en gagnant plus qu’au début parce qu’ils sont dans des secteurs porteurs en ligne. Les plus défavorisés ont perdu leur emploi ou ont peur de le perdre, ils craignent l’avenir. Ils ont tendance à se paupériser en faisant appel au crédit à la consommation et aux locations ou leasing divers (appartement, voiture en location longue durée…) afin de préserver au maximum leur de style de vie. Ils ont de grandes difficultés pour accéder à la propriété.

Parallèlement, on assiste à une disparition progressive de la classe moyenne. Et les enseignes commerciales doivent prendre en compte ce phénomène. En effet, la plupart d’entre elles proposent des produits plutôt destinés à cette classe moyenne. Le bon rapport qualité-prix qui convenait à 80% des clients. Aujourd’hui, avec cette redistribution du paysage économique, les marques vont devoir s’adapter et segmenter encore davantage leur offre afin de répondre aux besoins de ces deux cibles aux attentes différentes.

Le BrandNewsBlog : Je parlais en introduction des mesures gouvernementales de soutien à la consommation. De ce point de vue, fort des enseignements des crises précédentes (notamment 2008), les autorités européennes n’ont pas lésiné sur les efforts et les mesures spectaculaires de relance, le plan français annoncé représentant une injection de près de 100 milliards d’euros, après de nombreux efforts déjà réalisés les mois précédents (financement du chômage partiel, aides diverses aux entreprises). Ces mesures et ce plan suffiront-ils à soutenir une reprise durable ?

Virginie de Barnier : Il est essentiel que le gouvernement soutienne le pays à la fois sur le plan économique mais aussi et surtout sur le plan psychologique. Il y a une psychologie de la consommation. On le sait, quand les Français vont mal, ils consomment davantage d’alcool, de cigarette… Et le ministère de l’intérieur a par ailleurs relevé une progression de plus de 30% des violences conjugales lors du confinement…

Le dernier ouvrage du démographe Hervé le Bras « Se sentir mal dans une France qui va bien » montre de manière factuelle la meilleure performance de la France que ses voisins concernant plusieurs domaines clés. Et cela illustre ce paradoxe français, alors que la France est un pays qui va plutôt mieux que ses voisins, les français sont parmi les plus pessimistes.

L’auteur montre que le système redistributif français fonctionne bien pour réduire les inégalités. Parmi les 5 pays européens les plus peuplés, la France a un taux de pauvreté le plus faible et devance l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie. L’espérance de vie, critère de qualité de la santé, est en France l’une des plus élevée au monde. Les Françaises sont à la troisième place mondiale derrière les Japonaises et les Espagnoles avec une espérance de vie de 85,7 ans.

Il est donc fondamental que le gouvernement soutienne l’économie pour redonner confiance aux Français, qui ne cessent de s’auto-dénigrer et de survaloriser des pays voisins pourtant pas si performants. Il est également important de corriger cette image déformée de la réalité que se fait chacun de nos concitoyens.

Retenons pour cela la fameuse formule de Talleyrand : « Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console ».

Le BrandNewsBlog : Vous qui êtes une experte des phénomènes de consommation, quel serait le point d’attention sur lequel les marques devraient à votre avis se mobiliser dans les prochains mois… ? Et quels pans de leur marketing mix devraient-elles plus particulièrement revoir ou réinvestir ?

Virginie de Barnier : Les marques doivent accompagner le consommateur dans ses difficultés, lui simplifier la vie, être à l’écoute, avec de vraies personnes en chair et en os qui répondent au téléphone !

Chacun d’entre nous s’est déjà retrouvé face à une application qui ne fonctionne pas, un répondeur exigeant de sélectionner de multiples touches pour finir au bout de nombreuses minutes par le message « Votre interlocuteur ne peut être joint, veuillez rappeler ultérieurement », une hotline aboutissant à l’autre bout du monde avec un technicien étranger qui ne peut en aucun cas répondre à votre demande… Les marques ont trop voulu faire des économies d’échelle, mettant en avant le critère financier au détriment du social. En privilégiant la quantité, la rapidité, à vouloir tout digitaliser, virtualiser, elles se sont déconnectées du consommateur qui a tendance à se détourner pour aller vers une consommation responsable, locale, plus qualitative.

Les marques doivent apprendre à reconstruire le lien social qu’elles ont perdu avec les consommateurs, afin de recréer un attachement à la marque. Ceci passe bien sûr par une communication adaptée, humanisée, personnelle, directe. On est passé du BtoC (Business to Consumer) au DtoC (Direct to Consumer).

Elles doivent aussi en priorité s’adresser aux enfants du numérique, les « Digital Natives » nés après 2000, c’est-à-dire avec smartphone, ordinateur, tablette, digitalisation… Pour cela, la communication est clé. Il faut maîtriser les codes visuels de Snapchat, d’Instagram de Tik Tok, des réseaux sociaux. Il faut également savoir utiliser habilement les influenceurs en ligne. Les marques doivent raconter leur histoire, faire du « storytelling », expliquer leur raison d’être, leur mission, voire même exposer leurs opinions politiques, ceci afin de se créer une véritable crédibilité, essentielle en DtoC.

Le BrandNewsBlog : Dans un tel contexte, quelles stratégies les marques doivent-elles adopter à votre sens, secteur par secteur, pour résister à la crise, voire en tirer parti ? Les marques les plus « vertueuses » et les plus responsables sociétalement ont-elles une carte à jouer dans les mois qui viennent, face à la concurrence plus féroce que jamais de marques low-cost… délivrant la juste qualité au moindre coût ?

Virginie de Barnier : Les marques doivent faire preuve d’agilité et de résilience. Elles doivent se décentrer du produit ou du service qu’elles offrent pour comprendre le besoin fondamental du consommateur auquel elles répondent. A demeurer trop « centrées produit », elles en oublient leur raison d’être et perdent l’agilité dont elles ont besoin dans une crise. Henri Ford, le célèbre industriel américain de la première moitié du XXᵉ siècle, fondateur du constructeur automobile éponyme a dit : « Si j’avais demandé à mes clients ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu : un cheval plus rapide. »

Les marques qui tentent de faire des chevaux plus rapides n’ont pas d’avenir. Les marques qui offrent des produits excellents et qui, en plus, ont du sens pour le consommateur, leur permettent d’affirmer leur personnalité, leurs valeurs, leur identité, sont les marques qui ont du succès. Pour le chercheur canadien Russel Belk, les marques possédées et choisies par les individus sont une extension du moi.  Cela signifie qu’elles ont une signification particulière pour lui, et contribuent à l’expression de sa personnalité vis-à-vis des autres.

C’est le fameux « Start with why » (« Commencer par pourquoi ») de Simon Sinek. Il s’agit de savoir pourquoi nous faisons ce que nous faisons afin de nous épanouir dans notre travail et dans nos activités de tous les jours. Les marques doivent arriver à communiquer pourquoi elles font ce qu’elles font, la raison qui les inspire, au-delà du simple besoin de gagner de l’argent.

La pandémie a fait ressurgir deux besoins profonds du consommateur : le besoin de sens et le besoin de lien social. Les marques qui sauront donner du sens et du lien social aux consommateurs seront celles qui survivront à la crise sanitaire.

 

Les 10 règles de la nouvelle grammaire collaborative, ou comment mobiliser clients, influenceurs et salariés…

Au fil du temps, dans des environnements incertains et soumis à d’importantes mutations, cela devient de plus en plus évident : les vieilles recettes et les anciens modes de fonctionnement qui ont assuré pendant des années le succès de certaines entreprises ne garantissent plus désormais leur survie… Et après avoir si longtemps confiné la réflexion stratégique au sommet de leur hiérarchie et l’innovation au sein de départements dédiés, nombreuses sont les organisations à avoir enfin compris l’intérêt d’associer leurs salariés, mais également les clients et tout leur écosystème, à leur création de valeur.

Explosion de l’économie collaborative et du web 2.0 aidant, il faut dire aussi que la plupart des marques n’ont pu que constater ce bouleversement  : habitués désormais à partager, à donner leur avis et à contribuer librement au sein de communautés sans frontière, les collaborateurs et les clients ne demandent qu’à s’impliquer davantage dans des projets porteurs de sens initiés par leur employeur ou leurs marques favorites…

Crowdfunding, crowdsourcing, co-working et co-création… : les approches et démarches collaboratives à l’initiative des marques se sont ainsi multipliées ces dernières années, sans que les entreprises disposent toujours du bon « mode d’emploi », générant parfois frustration et déception en lieu et place de l’élan et de l’émulation attendus… quand certaines ne se sont pas lourdement fourvoyées dans leur partenariat avec des influenceurs ou dans la mise en place d’outils collaboratifs ruineux, au final sous-exploités.

Quelles leçons tirer de ces échecs et, au-delà des spécificités propres à chaque démarche et aux parties prenantes associées, comment engager efficacement collaborateurs, clients et influenceurs ? Si tant est qu’ils existent, quels grands principes ou règles communes fondent cette nouvelle « grammaire collaborative » que toute entreprise rêve aujourd’hui de maîtriser ? 

… C’est à ces questions que je vous propose de consacrer mon article du jour, à la lueur d’exemples je l’espère éclairants et de conseils d’experts. Co-conception d’article oblige, n’hésitez pas à me faire part de vos commentaires : je ne manquerai pas d’intégrer les plus pertinents dans la deuxième partie de ce billet, à venir ce mercredi !

1 – La confiance et la bienveillance, préalables indispensables à toute démarche collaborative…

J’évoquais déjà la semaine dernière, dans ce billet de rentrée, tout l’intérêt de promouvoir des relations de travail confiantes et bienveillantes au sein de l’entreprise. Outre le fait que la bienveillance correspond aujourd’hui à une des attentes et des aspirations les plus fortes exprimées par les collaborateurs, les chercheurs de tous horizons ont depuis un moment pressenti que le niveau de confiance ressenti au sein des organisations conditionnait directement leur performance.

Et de fait, ce postulat jusqu’ici plutôt empirique vient d’être confirmé de manière tout à fait scientifique par l’apport des neurosciences et les travaux de Paul Zak, directeur du Center for Neuroeconomics Studies de la Claremont Graduate University. Dans un article passionnant du dernier numéro de la Harvard Business Review¹, le chercheur américain démontre sans laisser place au moindre doute comment une culture de la confiance, instillée et confortée au sein de l’organisation, contribue directement à accroître la productivité de ses salariés et leur dynamisme, tout en renforçant leur loyauté et leur implication de manière spectaculaire².

Aujourd’hui obsédées par le niveau d’engagement parfois problématique de leurs collaborateurs, un certain nombre d’entreprises découvrent ou redécouvrent ainsi, à la faveur des travaux et nombreuses expérimentations menées par Paul Zak, que ce niveau est conditionné par des items tels que la qualité de la relation avec les collègues, le sentiment d’apporter une véritable contribution à son employeur, ou le fait de bénéficier de nombreuses opportunités d’apprentissage…

Et qu’en est-il exactement des approches collaboratives initiées par les entreprise ? Pour Paul Zak, leur succès repose nécessairement sur le développement de cette culture de la confiance que je viens d’évoquer, mais une de leurs vertus est aussi de contribuer à renforcer cette confiance en répondant justement au besoin de contribution exprimé par les collaborateurs.

Ainsi, confiance et bienveillance semblent liées et requises de concert pour « démarrer la machine collaborative », mais cela vaut en réalité tout autant pour les démarches impliquant des clients ou des influenceurs que pour celles impliquant les collaborateurs…

2 – Liberté de ton, ouverture d’esprit et affranchissement des codes traditionels : comment le collaboratif oblige les entreprises à « changer de logiciel »

De fait, et c’est un des écueils les plus souvent rencontrés par les entreprises dans les nouvelles relations qu’elles tentent d’impulser avec les influenceurs ou avec leurs clients : elles ont malheureusement tendance à le faire en conservant leurs vieux réflexes et à reproduire leurs anciens schémas de fonctionnement à l’ère collaborative…

Un des exemples les plus symptomatique de cet aveuglement des entreprises et de leur incapacité à capter toute la valeur créée par des influenceurs ou des clients passionnés nous est donné par Bernard Cova dans un article récent de la Revue des marques³. Evoquant les « surfaçons de marque », c’est à dire ces phénomènes de reproduction ou de détournement par lesquels des fans s’approprient spontanément les attributs (logo, publicité, produit) ou l’image d’une marque, ce professeur de marketing à la Kedge Business School de Marseille nous raconte ainsi comment Ferrero a failli passer à côté du « World Nutella Day », une initiative pourtant géniale et aujourd’hui hyper-rentable pour le groupe agro-alimentaire…

En 2007, une jeune américaine vivant en Italie, Sara Rosso, a en effet l’excellente idée d’instaurer de sa propre initiative une « journée mondiale du Nutella » (World Nutella Day). Le 5 février précisément, elle invite ainsi tous les fans de Nutella à venir partager sur le site web qu’elle a créé leurs meilleures recettes à base de pâte à tartiner et à célébrer cette occasion en mangeant des cuillères de Nutella…

Le succès est tel que Sara Rosso et son site sont rapidement suivis par des milliers de fans, et le Nutella Day célébré dans le monde entier. Ce succès ne cessera d’ailleurs d’aller grandissant, de 2008 à 2013, jusqu’à ce que Sara Rosso reçoive en mai 2013 une lettre des avocats de Ferrero la mettant en demeure d’arrêter d’utiliser le logo et le nom de la marque Nutella, le groupe italien redoutant et réprouvant manifestement une telle « déperdition de valeur » au profit d’un autre acteur socio-économique.

N’eut été la réaction épidermique des fans de Nutella, très émus et solidaires de la jeune femme (des milliers de messages témoignant de leur soutien et appelant au boycott de la marque furent alors postés directement sur la page Facebook de Nutella), pas sûr que Ferrero aurait changé son fusil d’épaule. Le 21 mai 2013, il fit néanmoins marche arrière, renonçant à toute poursuite et exprimant « sa sincère reconnaissance à Sara Rosso pour sa passion pour Nutella » et se disant « honoré d’avoir des fans si loyaux et dévoués ». Depuis lors, Sara Rosso a d’elle même transféré volontairement en 2015 son site web, devenu trop lourd à gérer pour elle, au groupe Ferrero, et une nouvelle ambassadrice a été nommée par la marque Nutella pour continuer à « capter la valeur » créée par le Word Nutella Day.

3 et 4 – Flexibilité créative et organisationnelle + explication du sens de la démarche collaborative pour mobiliser les parties prenantes

Cette mésaventure édifiante de Sara Rosso fera sans doute écho, pour celles et ceux d’entre vous qui travaillent pour le compte d’entreprises sur leurs partenariats influenceurs, aux difficultés et incompréhensions éprouvées par des communicants et autres experts en relations publiques parfois « tatillons » face au fonctionnement de blogueurs, instagramers et autres youtubers peu pressés de passer par leurs fourches caudines…

Beaucoup a déjà été écrit à ce sujet, et je me permettrai simplement de renvoyer à des articles que j’ai pu écrire ici, ou à celui de Cyril Attias, dans lesquels les travers des marques en ce domaine sont hélas bien décrits : en fait de partenariats ou de co-créations avec des influenceurs, trop d’entreprises méconnaissent encore le fonctionnement de leurs interlocuteurs, leurs pratiques, leurs centres d’intérêt et leurs lignes éditoriales… Il en découle souvent des briefs « hors-sol », conçus en dépit du bon sens et aux dépens de la crédibilité de l’influenceur, voire de l’efficacité finale du partenariat : chacun d’entre nous avons évidemment en tête ces exemples de placements de produits ou de marques plus ou moins grossiers réalisés sur nos blogs favoris ou les chaînes de YouTubers un peu trop obsédés par leur monétisation…

La valeur dégagée par ce type d’opérations est souvent loin d’être optimale. Et il en va de même pour les démarches collaboratives conçues par des départements marketing souvent plus intéressés par la satisfaction de leurs propres besoins que l’étude des ressorts d’engagement de leurs parties prenantes.

Pour avoir surestimé l’intérêt de ses fans et leur niveau d’implication et de contribution à son programme de collaboration Alfisti, au travers d’une organisation excessivement « taylorienne », Alfa Romeo a ainsi vu le nombre de volontaires inscrits sur sa plateforme se réduire progressivement à peau de chagrin… De même, sur sa plateforme Dell Idea Storm, le groupe Dell a-t-il fait face à une contestation et des commentaires acerbes, car le niveau d’interaction organisé entre ses collaborateurs et les consommateurs s’est avéré bien trop insuffisant au goût de ces derniers.

Quel que soit le cas de figure, quand la démarche collaborative ne remplit pas l’un critères de mobilisation évoqués ci-dessus, le verdict est imparable : c’est soit l’engagement quantitatif (nombre de volontaires du programme), soit l’engagement qualitatif (nombre d’idées pertinentes ou fréquence de fréquentation du site) qui « trinquent »…

5 – Le rôle moteur des dirigeants pour sponsoriser les projets collaboratifs, fixer le cap à suivre et donner le sens…

Ainsi que l’explique très bien Bernard Gaudin*, dans son excellent mémoire professionnel  « Réinventer la communication interne à l’ère collaborative » dont j’ai déjà parlé dans les colonnes de ce blog : en dépit d’une ouverture croissante aux logiques collaboratives et malgré la mise en place d’outils sensés stimuler ce type de démarche (Intranets collaboratifs, réseaux sociaux d’entreprise…) beaucoup d’entreprises éprouvent encore de sérieuses difficultés à faire évoluer significativement les comportements de leurs dirigeants et salariés et à devenir réellement plus collaboratives…

La faute, en premier lieu, à l’attachement tout particulier de nos élites et du management des entreprises françaises à ce modèle pyramidal qui prévaut chez nous depuis des décennies. Et de citer ce constat implacable du sociologue Dominique Martin** : « La tradition de l’entreprise française n’est pas d’accepter le collectif, sauf à l’encadrer et à le soumettre à l’autorité hiérarchique. Il faut donc accomplir ici une profonde révolution que des décennies de taylorisme ont retardé : la reconnaissance des collectifs comme acteurs de l’innovation et de la transformation des régulations organisationnelles. »

Ainsi, s’il s’avère facile pour un individu de partager, collaborer et exprimer ses idées sur Internet, c’est souvent une toute autre histoire au sein des entreprises, ces dernières « ayant fait perdre à leurs collaborateurs la conscience de leur impact sur l’activité […] l’entreprise voyant le sens de la collaboration bridé par son business-modèle même et la conception de son offre » comme l’indique Bertrand Duperrin***.

Pour tendre vers un modèle plus horizontal et initier les changements de comportements nécessaires à tous les niveaux de l’organisation, le rôle moteur du / des dirigeants au sein de l’organisation s’avère donc indispensable, « car dans un modèle hiérarchique, si le patron n’est pas convaincu, il sera difficile de faire bouger les lignes » confirme en effet Bernard Gaudin. Aux P-DG, donc, de se montrer exemplaires, en sponsorisant clairement les démarches collaboratives, en rappelant au besoin le sens moral de l’action collective pour l’entreprise et en livrant leur vision de la transformation et des changements à entreprendre, pour rendre la dynamique collaborative inéluctable et rassurer les managers sur les éventuelles craintes qu’ils peuvent avoir.

Cette implication du/des dirigeants et cette explication du sens de la démarche collaborative, si importantes pour l’évolution des comportements et des pratiques des collaborateurs au sein de l’entreprise, s’avère l’être tout autant pour mobiliser des clients ou des influenceurs dans le cadre de programmes collaboratifs « externes »…

6, 7 et 8 – Utilisation adéquate des compétences de chacun / développement d’un attachement émotionnel au programme et aux autres participants / développement de la fierté de participer au programme…

Dans son article de la Revue des marques, Bernard Cova n’hésite pas à suggérer aux entreprises et à leurs dirigeants de s’inspirer de la gestion des programmes de volontariat mis en œuvre pour les Jeux Olympiques pour mobiliser les participants aux démarches collaboratives et insiste en particulier sur 3 leviers d’engagement complémentaires…

En premier lieu, une dimension organisationnelle : de même que les pilotes des démarches collaboratives doivent veiller attentivement à la flexibilité de leur programme et à s’adapter aux modes de collaboration souhaités par les participants, il est très important d’utiliser de manière optimale les compétences de chacun dans le cadre des démarches collaboratives. Mieux ces compétences seront reconnues et employées, plus fortes seront la contribution et l’implication des collaborateurs, clients ou influenceurs engagés dans ces programmes. Cela rejoint en partie la question du sens attribué aux démarches collaboratives : les salariés, tout comme les consommateurs et les influenceurs ont besoin de se sentir réellement utiles et de voir reconnus leurs talents respectifs.

L’attachement émotionnel aux programmes et aux démarches collaboratives, s’il ne se décrète pas, gagne quant à lui à être entretenu par une communication régulière et efficace. C’est là, entre autres, le rôle crucial et tout le savoir faire des communicants de l’entreprise (internes et externes), pour valoriser ce qui doit l’être, donner de la visibilité aux actions entreprises et aux résultats obtenus sans sur-communiquer pour autant et tomber dans une célébration disproportionnée au regard de l’importance effective du projet. L’alchimie entre des participants aux compétences complémentaires et une interaction soutenue, favorisée par l’entreprise et les pilotes du projet via un outil collaboratif ou une plateforme efficace, contribueront pour le reste à cet attachement émotionnel à la démarche, de la part des participants.

Il en va de même de la fierté d’appartenance au(x) programme(s) : boostée par la communication, certes, mais surtout par la réalité et le caractère concret des résultats obtenus par le biais de la démarche collaborative, cette fierté finit souvent par rejaillir sur toute l’entreprise, quand celle-ci réussit à démontrer qu’elle sait mettre en avant l’intelligence collective et capter la valeur qui en découle. C’est la fierté des salariés du Groupe Poult, PME agroalimentaire de 800 personnes, aujourd’hui régulièrement citée en exemple pour son mode de management libéré et son statut d’entreprise pleinement collaborative ayant réussi à déhiérarchiser son organisation et à remplacer son ancien comité de direction par une équipe « projet entreprise » composée d’une quinzaine de salariés… Mais c’est aussi la fierté des salariés de Castorama, dont la direction France s’est engagée dans des démarches collaboratives depuis 2003, avec à la clé de nombreux projets menés et des résultats très concrets, avec de nouveaux liens établis entre les différents magasins, une plus grande visibilité des initiatives locales et des dispositifs performants d’écoute et d’échange.

On peut aussi citer, dans le registre des belles réussites, le succès de la plateforme collaborative Enjoy ! chez Club Med, devenu un véritable outil pour incarner la culture d’entreprise et partager les émotions, en connectant entre eux les G.O. du monde entier et en leur permettant de remonter et faire connaître leurs initiatives locales. Ou bien le succès du programme collaboratif « Zéro email » lancé en 2011 par le P-DG d’Atos Thierry Breton, avec un dispositif complet mêlant messagerie instantanée, Intranet collaboratif, RSE et groupe de travail pour instiller l’esprit collaboratif au sein de l’entreprise, en réduisant au minimum le nombre d’e-mails…

9 et 10 – Reconnaissance du travail effectué par chacun dans le cadre collaboratif et remerciements / récompense des participants pour leurs efforts : ces autres leviers pour pérenniser la mobilisation…

Et Bernard Cova de poursuivre son analogie avec les programmes de volontariat gérés pour les Jeux Olympiques en évoquant le rôle central de la reconnaissance du travail de chacun et de la récompense (même symbolique) des participants pour les fidéliser et pérenniser la/les collaborations.

Ces dimensions de reconnaissance et de récompense, par ailleurs au cœur des attentes des salariés (comme la confiance et la bienveillance) jouent un rôle majeur dans l’échange social et la dynamique collaborative. Et elles peuvent s’exprimer à quatre niveaux, comme le rappelle judicieusement Bernard Gaudin : il peut ainsi y avoir 1) reconnaissance « existentielle » de la personne ou du collectif de travail, en valorisant son/leur rôle au sein du projet ; 2) « reconnaissance de la pratique », en valorisant les comportements, compétences ou qualités professionnelles mis en œuvre par les participants ; 3) reconnaissance de l’investissement et des efforts consentis (indépendamment des résultats obtenus) en confiant par exemple aux participants, individuellement ou collectivement, des responsabilités plus grandes ; et enfin 4) reconnaissance des résultats, en mettant en avant le rendement du travail accompli et en formalisant les remerciements sous forme de prime au rendement ou de rétribution symbolique (courrier personnalisé, cérémonie formelle de célébration et de remerciement des volontaires en fin de projets…).

La reconnaissance des résultats et la communication sur ces derniers, dans et hors de l’entreprise, constituent assurément une des forme de rétribution les plus appréciées et les plus indispensables, car ainsi que toutes les études et expériences le prouvent : rien de pire, pour tuer une démarche collaborative, que de ne pas communiquer auprès des salariés/ clients ou influenceurs sur les résultats et avancées obtenus grâce à la collaboration. Le silence qui parfois s’ensuit, ou « l’impression d’avoir collaboré ou participé pour rien » sont en effet les pires fossoyeurs des démarches collaboratives.

… On le voit : réussir à impulser une dynamique collaborative dans la durée, en mobilisant efficacement collaborateurs, clients et/ou influenceurs n’a rien de simple. Cela requiert assurément, à terme, une véritable révolution culturelle de la part des dirigeants et des managers, mais le petit « mode d’emploi » ou plutôt ces règles de base de la nouvelle grammaire collaborative que je viens de vous donner peuvent vous y aider. Je me suis d’ailleurs permis de résumer ces conseils et facteurs clés de mobilisation dans le tableau ci-dessous :-) :

 

 

 

Notes et légendes :

(1) « Les neurosciences de la confiance : les façons de manager qui encouragent l’engagement des salariés », par Paul Zak, directeur fondateur du Center for Neuroeconomics Studies et professeur d’économie, de psychologie et de management à la Claremont Graduate University – Harvard Business Review France n°22, août-septembre 2017.

(2) En étudiant les comportements clés de management qui stimulent chez les individus la production d’ocytocine, substance chimique dont le niveau dans le cerveau détermine notre plus ou moins grande confiance, mais également les comportements générateurs des hormones du stress, Paul Zak a pu déterminer, expérimentations et mesures à l’appui, que les collaborateurs les plus confiants déployaient jusqu’à 106% d’énergie supplémentaire au travail, 50% de productivité supplémentaire, un engagement 76% supérieur en moyenne, mais qu’ils étaient également 74% moins stressés, 13% moins absents pour congé maladie et 29% plus satisfaits de leur vie…

(3) « Collaborer pour capter la valeur créée par les consommateurs », par Bernard Cova, professeur de marketing à la Kedge Business School de Marseille – Revue des marques n°99, juillet 2017.

 

 

Crédits photos et infographies : 123RF, TheBrandNewsBlog, X, DR

 

 

 

Expérience client : encore un long parcours à faire pour les marques françaises !

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Douche écossaise. Je vous l’avoue, parmi les résultats d’étude qui m’interpellent le plus, année après année, figurent incontestablement les tendances relevées par le cabinet Forrester en matière d’expérience client.

Et de vous à moi, l’édition 2016 de son Customer Experience Index, qui a porté en l’occurrence sur plus de 800 marques actives en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, en Inde et en Chine, est loin de me rassurer…

A l’heure où tout un chacun ne cesse en effet de louer les vertus de l’expérience client (à juste titre, j’évoque moi-même régulièrement le sujet sur le BrandNewsBlog), la perception des consommateurs sur l’expérience offerte par ce très large panel de marques étudié par Forrester est non seulement mauvaise, mais en constante dégradation.

Et, cerise sur le pudding si j’ose dire, au-delà du constat déjà navrant de cette dégradation observable à peu près partout dans les pays cités ci-dessus, le plus embarrassant est bien que les marques françaises figurent parmi les plus mauvais élèves de la classe, par dessus le marché (!)

Parmi les 34 marques issues des secteurs du commerce, de l’e-commerce et de la banque qui ont été en effet étudiées en France et soumises au verdict de plus de 9 000 de nos compatriotes, aucune n’atteint le niveau « excellent » en terme de Customer Experience Index Score. Aucune non plus n’est digne du niveau « bien » à en croire Forrester, ce qui semble encore plus préoccupant…

Comment expliquer une telle déroute ? Et pourquoi un tel écart entre le volontarisme expérientiel affichée par les entreprises et le verdict des consommateurs ? Comment faire pour redresser la barre et améliorer enfin cette expérience client dont chacun s’accorde à dire qu’elle représente un des enjeux clés du succès et de la pérennité des marques ?

C’est ce que je vous propose de voir dans mon billet du jour… en évitant surtout de sombrer dans la sinistrose. Car si le chemin est encore long pour la plupart des marques, il est accessible à toutes. Et le défi d’une « expérience client parfaite » est suffisamment ambitieux et important pour mobiliser selon moi tous les collaborateurs et toutes les énergies de l’entreprise.

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Customer experience Index 2016 : des résultats plutôt inquiétants… et qui se dégradent

Après avoir eu du mal à décoller il y a quelques années, les concepts d’expérience client et de marketing expérientiel ont connu un succès assez fulgurant et sont aujourd’hui devenus incontournables. Au point que, d’après l’éditeur Oracle, 97% des entreprises interrogées au sujet de leurs priorités affirment que l’amélioration de l’expérience client est désormais primordiale et essentielle à leur réussite ! Et, quel que soit le secteur considéré, une large majorité des entreprises déclare également avoir engagé des démarches spécifiques et mis en place des indicateurs pour mesurer les résultats de leur actions d’amélioration en la matière.

Hélas, il faut croire que les résultats de cette mobilisation universelle ne sont pas toujours à la hauteur des espérances et des investissements consentis, puisque le score moyen de l’ensemble des marques étudiées au niveau mondial se dégrade sensiblement. Une détérioration qui reboucle avec les conclusions de nombreuses études sectorielles menées précédemment par d’autres observateurs, comme Cap Gemini, dont le World Insurance Report 2015 pointait déjà une telle dégradation de l’expérience client dans le secteur de l’assurance (lire à ce sujet cet article)…

A l’échelon national, au-delà d’une dégradation de l’appréciation des consommateurs français entre 2015 et 2016, c’est aussi à un véritable « décrochage » que nous assistons également sur cet item par rapport à nos concurrents européens, Grande-Bretagne et Allemagne en tête, d’après le cabinet Forrester.

Pour la deuxième année consécutive en effet, aucune marque française ne peut en effet se prévaloir d’offrir une expérience jugée « excellente » ou « bonne » par les consommateurs, alors que c’est le cas d’une marque britannique sur cinq (20%) et de près d’une marque allemande sur six (14%). 

Plus inquiétant : alors qu’en 2015, les expériences clients proposées par les marques françaises étaient jugées « acceptables » dans 40% des cas (contre 42% pour les marques britanniques et allemandes), ces dernières ont fait d’énormes progrès en 2016 semble-t-il, tandis que les françaises auraient régressé : 35% seulement des expériences offertes en 2016 par les marques françaises sont jugées « acceptables » par les consommateurs, contre respectivement 65% et 71% pour les marques britanniques et allemandes !

Quand on sait que plus d’un consommateur sur dix ayant vécu récemment une expérience de marque décevante se déclare susceptible de « changer de crèmerie », on voit l’importance que peuvent revêtir de telles statistiques…

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Au royaume de l’expérience client, les borgnes sont rois ? De fait, les 3 marques jugées les meilleures en terme d’expérience client par les consommateurs français : Crédit mutuel pour le secteur bancaire, Yves Rocher pour le commerce et Amazon pour l’e-commerce (société certes américaine, mais la seule à arriver en tête de son secteur dans la plupart des pays européens), n’offrent pas pour autant des expériences jugées « bonnes » ou « excellentes ». Elles obtiennent simplement les meilleures notes dans la catégorie « expérience acceptable ». De quoi doucher quelques illusions, assurément…

Des consommateurs français à la fois plus critiques et moins technophiles…

Pourquoi une telle déroute des marques françaises par rapport à leurs consœurs européennes ? En première analyse, il serait tentant de se dédouaner de cet impitoyable verdict en pointant l’éternel pessimisme de nos compatriotes, qui se manifeste d’étude en étude, qu’il s’agisse de juger de leurs conditions de vie ou de faire part de leur degré de confiance en l’avenir. Car l’expérience de marque évaluée par les consommateurs relève bien, en effet, d’une question de perception et d’ordre de priorités…

A cet égard, les Français sont étrangement paradoxaux. A la fois moins exigeants vis-à-vis des marques que leurs voisins européens (ils ne sont que 62% à placer la qualité de la relation client au sommet de leurs attentes, contre 67% outre-Manche et 70% outre-Rhin), ils sont aussi plus facilement critiques et se montrent plus réfractaires aux changements et à l’innovation, ainsi que le démontre l’étude Forrester.

Manifestement moins en recherche de nouvelles expériences que leurs homologues anglais et britanniques, et globalement moins technophiles, ils se montrent aussi plus négatifs quand il s’agit de noter la qualité d’un service client, a fortiori quand on les contraint à passer au tout numérique. La faute, sans doute, à la proportion très importante au sein de la population française de ces profils que Forrester qualifie de « Reserved Resisters » : des consommateurs (familles le plus souvent) ayant une faible appétence pour le changement, qu’il soit technologique ou dans leurs habitudes de consommation.

De l’importance de capitaliser sur les émotions dans le parcours client, au-delà des simples facteurs d’efficacité et de simplicité

Nonobstant les spécificités des consommateurs français par rapport à leurs homologues européens, le constat de la dégradation dans le temps de leurs expériences de marques demeure flagrant et sans appel.

A ce titre, pour enrayer la spirale de l’échec et éviter en quelque sorte le « déni expérientiel » des marques les moins dynamiques, le cabinet Forrester les exhorte dans son rapport à accélérer leur transformation numérique et à faciliter et accompagner l’appropriation des nouveaux outils et plateformes par leurs clients. Face aux expériences particulièrement riches proposées par les disrupteurs Airbnb, Amazon ou les services bancaires en ligne HelloBank ou BforBank notamment, il est indéniable que les attentes des clients européens vis-à-vis des autres marques présentes sur ces marchés ont en effet tendance à augmenter. Et ce n’est sans doute que le début…

Par ailleurs, l’étude démontre, sans aucune ambiguïté, à quel point il peut être important et différenciateur pour les marques de capitaliser sur le facteur « émotion ». Au-delà des critères de simplicité et d’efficacité que Forrester a également décortiqué et mis en avant, comme autant de facteurs différenciateurs pour les marques, le cabinet anglo-saxon insiste bien sur ce constat : à savoir qu’un client mis en confiance, qui se sentira respecté et compris sera sensiblement plus loyal envers la marque qu’un client négligé voire en colère.

Sur ce plan également, les marques anglaises et allemandes se montrent davantage susceptibles de fournir à leur clientèle des « émotions » positives que les marques françaises. « Le ratio d’expériences clients positives par rapport aux négatives est en moyenne de 6/1 au Royaume-Uni, de 8/1 en Allemagne, contre seulement de 4/1 en France », explique ainsi Joana van den Brink-Quintanilha, rapporteuse de l’étude chez Forrester.

A ces facteurs clés de succès que sont donc l’émotion et l’innovation, Forrester ajoute par ailleurs quelques recommandations, qui rebouclent complètement avec celles déjà données par un certain nombre d’experts en matière d’expérience client (voir ici l’article détaillant le contenu de ces recommandations) :

  1. Personnaliser l’expérience client
  2. Implémenter des stratégies pluridisciplinaires
  3. Mettre en place un leadership disruptif
  4. Connecter la culture de l’entreprise à sa réussite
  5. Opérer à la vitesse de ceux qui provoquent les ruptures
  6. Faire évoluer les programmes de fidélité
  7. Convertir la business intelligence en valeur ajoutée pour le client
  8. Maîtriser le numérique
  9. Se différencier au travers de la confidentialité des données
  10. Mettre en place un modèle opérationnel fortement axé sur le client

Sans aller trop avant sur le sujet, car j’aurai l’occasion d’y revenir sur le BrandNewsBlog (vous savez à quel point j’attache de l’importance à cette notion d’expérience client), j’ajouterai à la liste de recommandations ci-dessus l’importance de faire de l’amélioration de l’expérience client une des priorités stratégiques de l’entreprise. De cette priorité transversale à toutes les équipes et départements, il découle évidemment que la co-conception de solutions et de produits avec le client, mais également la dimension collaborative de la réflexion et de la démarche en interne sont tout à fait primordiales pour atteindre cette « expérience parfaite » dont j’ai déjà parlé dans les colonnes de ce blog :-)

 

 

Finie la mercatique de papa : et si on passait au marketing implicatif ?

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Un pavé dans la mare. Avec la parution il y a quelques mois de son ouvrage « Marketing : les illusions perdues¹ », aux faux-airs de pamphlet altermondialiste et anti-mercatique, Florence Touzé n’a pas eu peur de relever deux grands défis.

Tout d’abord, pour une universitaire reconnue² et une spécialiste du branding et du marketing justement, prendre le risque de « brutaliser » ainsi son objet d’étude, et par là-même d’être incomprise ou de déplaire. De ce point de vue, on ne peut que la féliciter pour la rigueur et la sincérité de sa démarche, plutôt rares par les temps qui courent… Et par ailleurs : jeter à la face de ses lecteurs un livre certes passionnant, mais aussi exigeant, car il faut à mon avis le lire jusqu’au bout pour en apprécier toute la richesse. A ce propos, l’auteure ne m’en voudra pas : j’avoue m’y être mis à plusieurs reprises pour absorber ce livre dense et ambitieux, qui commence l’air de rien par une revue de l’histoire du marketing et de la consommation, décryptés dans leurs différentes dimensions.

Or que nous dit Florence Touzé dans cet ouvrage ? Je serais bien tenté de vous dire d’y aller voir par vous même (il le faut !), mais ce ne serait pas très sport après vous avoir alléchés… Elle pose tout simplement la question centrale de l’utilité et de l’avenir du marketing (et de la communication des marques, accessoirement).

En quoi le marketing tel qu’on le pratique aujourd’hui est-il dépassé ? Pourquoi les vieilles recettes ne produisent-elles plus les mêmes effets et les rares innovations conceptuelles sont-elles aussi souvent dévoyées ? Comment la consommation ne cesse d’évoluer, laissant tout de même entrevoir la voix du salut pour un marketing revisité et alternatif… C’est de tout cela que Florence Touzé traite dans ce livre. Et cela méritait amplement l’échange à bâtons rompus qu’elle a bien voulu m’accorder. Encore merci à elle pour sa disponibilité et son franc-parler !

mkg

Le BrandNewsBlog : Et bien dites-moi Florence, on vous sent bigrement remontée contre ce « marketing de bout de chaîne commerciale » dont vous démontez un à un tous les rouages et dénoncez les dysfonctionnements ! Pour la professionnelle du marketing que vous êtes, je serais tenté de dire : quelle mouche vous pique ? Qu’est-ce qui vous a donné le déclic pour écrire ce livre et pourquoi avoir choisi ce titre : « les illusions perdues » ?

Florence Touzé : J’observe, j’enseigne le marketing depuis 20 ans. Le décortiquer, ouvrir des débats et peut-être de nouvelles voies de réflexion et de pratiques, c’est mon job. Mais c’est vrai qu’avec ce livre j’ai un peu fait une opération à cœur ouvert. Mais le mien, de cœur ! Un genre de coming-out. J’en avais besoin car je me sens depuis quelques années en dissonance cognitive. Autrement dit, pas très fière du marketing et de ses conséquences.

Et je sais que je ne suis pas la seule, j’ai rencontré tellement de marketeurs écartelés entre leurs convictions personnelles et leurs pratiques ! Il faudrait être aveugle aujourd’hui pour penser que le marketing a une bonne image. Quand il y a de belles innovations ou des succès commerciaux, bizarrement, personne n’appelle ça du marketing. Alors que dès que le produit semble un peu artificiel ou l’opération carrément mensongère, on n’y coupe pas : « c’est du marketing »…

Mais avant son image, je m’interroge sur son bienfondé dans ses formes actuelles. Car clairement, au-delà du marketing, il y a la société et le monde que nous voulons pour nous-mêmes et pour nos enfants. Je crois que l’actualité climatique est assez claire, il est plus qu’urgent de se poser des questions sur nos pratiques et d’agir. J’avais envie de donner à voir l’absurdité de certains modèles. La futilité de succès provisoires d‘entreprises par la satisfaction éphémère des consommateurs. Je devais donc balayer devant ma porte, et tant qu’à faire, partager cette réflexion sans rester dans la théorie pour autant. Je me devais aussi de mener cette réflexion pour mes étudiants à SciencesCom qui ont été les premiers lecteurs et m’ont fait part de leur “soulagement“ à pouvoir imaginer des pratiques en accord avec leurs valeurs.

Alors, j’ai pris le problème à bras le corps pour voir comment le marketing pouvait de nouveau être créateur de valeur et surtout créateur de valeurs pour tous.

Quant au titre, hommage à Balzac mis à part, c’est l’expression d’un système qui tourne à vide, qui s’est enrayé et qui ne croit plus lui même en son efficacité.

Le BrandNewsBlog : Vous n’êtes pas tendre avec les marketeurs et les communicants. A vous lire, on a parfois l’impression qu’ils sont directement responsables de tous les maux liés à l’hyperconsommation. Mais dans le même temps, vous dites vous-mêmes que le marketing n’est que « le bras armé d’un système économique » et qu’il ne faut pas dédouaner les consommateurs de leur responsabilité… N’est-ce pas contradictoire ? N’avez-vous pas l’impression de vous tromper de cible avec ce livre sur le marketing, si ce sont la société toute entière et les comportements de chacun qu’il faudrait changer ?

Florence Touzé : Vous savez, je suis plutôt de nature bienveillante mais c’est vrai que cette fois je secoue un peu tout le monde. Le public qui s’arrange avec sa conscience, les médias qui diabolisent le marketing et les entreprises qui tournent en rond pour inventer le yaourt pour homme ou se dévalorisent – au sens propre- en proposant des produits toujours moins chers… Le marketing, c’est mon objet, ma clé d’entrée mais, il symbolise une société et ses dérives. Je ne fais pas le procès du marketing, c’est sa mission que j’interroge et mets en cause.

Stop à l’image de la méchante entreprise qui manipulerait le pauvre consommateur heureusement défendu par les gentils journalistes ! Les consommateurs ont adoré les offres marketées et la pub il n’y pas si longtemps. Ils sont responsables de leur consommation. Quant aux médias qui adorent jeter de l’huile sur le feu… La société de l’hyperconsommation marche sur la tête et tout ce petit monde se renvoie la patate chaude. Finalement, vous voyez, j’en serai presque à défendre les marketeurs ! En tout cas, je pense et c’est ce que j’essaie de démontrer, que le marketing –repensé bien sûr- peut changer tout ça. En fait je voudrais qu’on arrête la scission, qu’on abandonne les clans pour choisir une pensée systémique.

Le BrandNewsBlog : Depuis l’invention du shopping par Aristide Boucicaud et la création du « désir standardisé », jusqu’au miroir aux alouettes des business models freemium, en passant par la médiocrité globale des publicités et la course à l’échalote de l’audience digitale, il semble décidément qu’aucune des « ficelles » du marketing ne trouve grâce à vos yeux. La communication sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises vous paraît tout aussi suspecte, même si elle s’améliore sans cesse. Est-ce à dire qu’il faut jeter le bébé avec l’eau du bain ? S’il y avait un seul des fondamentaux du marketing à sauver (je ne parle pas du mix marketing, dont vous dites qu’il est moribond), lequel retiendriez-vous ?

Florence Touzé : Hervé, vous faites vraiment l’avocat du diable… Mais vous dites le mot juste : « ficelle ». Si on en est là, c’est un échec. Le marketing, à l’origine c’était bien la satisfaction d’un public pour la réussite d’une entreprise, non ? Or, ce que je constate ce sont des consommateurs insatisfaits et des entreprises à la peine ! Ce n’est pas très convaincant. Voilà les illusions perdues. Tout le monde y a cru, les marques, les publicitaires, les consommateurs, la réalité nous a tous rattrapé.

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Je ne cherche ni à tuer ni à sauver le marketing. Il se trouve qu’il est au cœur de la relation entre les publics. Avec la communication et le design. Si on le pense bien, dans le système, par une approche implicative, alors tout peut progresser. Gardons son objectif premier : le succès des uns par la satisfaction des autres. En ajoutant quelques précisions fondamentales : le succès soutenable des uns par la satisfaction durable des autres. Et ça change tout. Surtout si c’est ensemble qu’ils trouvent les solutions.

Le livre présente d’ailleurs des exemples d’entreprises qui ont su ouvrir cette voie…

Je me suis beaucoup interrogée sur la sémantique. Faut-il alors remplacer le mot marketing ? Je suis sûre qu’on aurait taxé ma démarche de coup marketing !

Le BrandNewsBlog : A défaut de parier un centime d’euros sur l’avenir du marketing tel qu’on le connaît (on a bien compris que cela n’en valait pas la peine), vous semblez placer tous vos espoirs dans l’évolution des comportements de consommation et dans l’avènement du « consommateur émancipé » et responsable. Pouvez-vous nous décrire ce qui caractérise ce consommateur 2.0 ? Et pour me faire encore l’avocat du diable : son avènement est-il réellement inéluctable, à l’heure où beaucoup recherchent encore les prix les plus bas, chérissent le low-cost et l’achat « malin » et se disent prêts à brader leurs données personnelles contre une promo ou quelques euros ?

Florence Touzé : Le consommateur 2.0 ? C’est très vieux marketing ça, non ? Je me suis intéressée aux comportements émergents, aux aspirations, aux revendications. Et j’ai constaté que le marketing les écoutait peu… Qui est le consommateur émancipé que je décris ? Il est différent du consomm’acteur dont on a beaucoup parlé. C’est d’abord une femme ou un homme qui aspire au respect et qui ne vit pas pour consommer. Il est soucieux de sa santé et est conscient que son confort de vie et celui de ses enfants est lié à l’environnement. C’est aussi un hédoniste qui ne trouvera son plaisir que si sa consommation ne nuit à personne, même à l’autre bout du monde. Il rejette tout ce qui peut symboliser le « vieux » marketing et est capable de se débrouiller sans lui pour satisfaire ses attentes. Il est plus attaché à l’usage qu’à la possession. Et si possible grâce à une démarche collective créatrice de lien social. Car oui, bien sûr, il est connecté notre consommateur. Absolument et en permanence. Et ça lui a donné la liberté d’agir différemment et de s’émanciper des instances commerciales traditionnelles.

Oh, je vous vois venir, vous allez me parler de bobos, ou pourquoi pas de babas ou de Bisounours. Détrompez-vous, ces consommateurs émancipés se retrouvent dans toutes les couches de la population et autant en zones rurales qu’en milieu urbain…

Alors oui, ils sont perturbants pour le marketing ! D’autant qu’ils sont de plus en plus nombreux, et capables de créer leur activité quand ils ne trouvent pas la bonne adéquation usage-satisfaction dans l’offre existante.

Quand j’ai commencé à écrire, Uber, BlaBlaCar et Airbnb existaient à peine ! Tout cela va très vite. Comme votre article de la semaine dernière le montrait, certains modèles sont du souci à se faire…

Le BrandNewsBlog : Dans votre ouvrage, vous consacrez un chapitre entier au rôle central des marques et à leur perception de plus en plus « brouillée », rattrapées qu’elles sont par la défiance généralisée des publics et un soupçon manifeste quant à leur utilité et leur « sincérité ». De fait, dans le triple contrat qu’une marque propose à ses parties prenantes (contrat transactionnel + relationnel + sociétal), certaines entreprises se retrouvent en parfaite cohérence et en harmonie en termes d’alignement de leur offre et de leurs valeurs (ex : Le Bon Coin). D’autres sont plutôt en dissonance (Apple par exemple). Pouvez-vous revenir sur les meilleures pratiques des marques… et les plus mauvaises ?

echelle2 copieFlorence Touzé : Le rôle de la marque est plus que jamais central. La garantie, la signature, l’engagement qu’elle représente sont les clés d’un nouveau contrat avec les consommateurs. On sait depuis longtemps que la marque est bien plus que le nom, le logo ou la couleur d’un produit. C’est aujourd’hui ce qui va symboliser le lien avec des publics et garantir l’harmonie entre ses propositions, ses discours et ses comportements. Si l’un d’entre eux n’est pas à la hauteur des attentes, il y a danger…

Ce qui me fait très plaisir c’est que les exemples sont de plus en plus nombreux. Oh tout n’est pas parfait, et alors ? L’important, c’est la sincérité, l’engagement et chaque progrès pour atteindre son objectif. Quant aux exemples, difficile de choisir. Regardez la démarche remarquable de Bel’m, le spécialiste des portes d’entrée. Leur offre de produits accessibles, pérennes et de fabrication française va de pair avec plus de 500 actions concrètes réalisées avec leurs collaborateurs, leurs fournisseurs et leur environnement proche. Le résultat ? Des produits innovants et éco-conçus, l’optimisation de leurs déchets pour chauffer les bâtiments, la création d’une crèche inter-entreprises dans leur commune… La clé : une vision panoramique de l’organisation.

Citons Natéosanté, spécialiste des purificateurs d’air. Leurs produits étaient précédemment fabriqués en Chine. Aujourd’hui, après avoir relocalisé la fabrication en France ils exportent…vers la Chine. La clé : la cohérence.

Prenez Interface, un des leaders mondiaux du revêtement de sol, dont le dirigeant a pris conscience qu’il ne pouvait plus ajouter à la pollution planétaire. En moins de 15 ans et avant l’échéance prévue, il aura atteint l’objectif zéro impact, innové, ouvert de nouveaux marchés… La clé : la détermination. Et les marques de services ne sont pas en reste.

Vous citer de mauvais élèves ? Les ONG le font très bien. Et il suffit d’ouvrir un peu les yeux, de lire les étiquettes, de s’interroger sur la valeur des choses et l’origine des produits. Comme le disait récemment un chroniqueur sur France Inter :“Un jean à 9,95€ ? Hey, what did you expect ?“

Le BrandNewsBlog : L’ère du « marketing implicatif », que vous appelez de vos vœux, me semble faire en partie écho à la pensée de Jeremy Heimans et Henry Timms, à laquelle je consacrais ici même un article la semaine dernière. Nouveaux rapports aux prix et au temps, contrats de marque plus exigeants, nouveau rôle et surtout nouveaux liens proposés entre l’entreprise et ses différents publics : souscrivez-vous à « l’échelle de participation » telle que décrite par ces deux auteurs (voir schéma ci-dessous). Quelles sont les autres caractéristiques et dimensions du marketing implicatif, qui le différencient tant du marketing traditionnel ?

Florence Touzé : Le travail de Timms & Heimans est remarquablement éclairant et structurant sur l’enjeu de la relation aux différents publics. C’est en effet un des axes que je place au centre du marketing implicatif, mais cela ne suffit pas.

Afin de remplir ses nouvelles missions, le marketing doit trouver une nouvelle place dans l’organisation. Celle de médiateur et « d’implicateur ». Il doit donc être en lien direct avec les différents services de l’entreprise et, pourquoi pas, y être intégré. Les nouvelles visions organisationnelles transversales vont dans ce sens.

Afin de dépasser les traditionnels “4P“ que vous évoquiez tout à l’heure, donnons-nous de nouveaux axes transversaux pour travailler : Offrir – Soutenir – Engager – Relier = OSER.

Offrir des solutions satisfaisantes, bien sûr, mais aussi plaisantes et apaisantes. C’est-à-dire des solutions globalement respectueuses de l’individu et de son environnement. Innovantes, cocréées, attractives.

Soutenir, pour faciliter l’apprentissage de nouveaux mode de consommation : guider, accompagner, et avant tout d’écouter.

Engager de nouveaux acteurs dans ses équipes-projets, le consommateur d’abord, comme un acteur central comme le montrent Timms & Heimans. Mais on doit également intégrer tous les professionnels susceptibles d’apporter leur expérience et de témoigner de leurs besoins : l’artisan installateur, l’acheteur professionnel, tous les métiers de conseil qui travaillent à un moment ou un autre avec l’entreprise.

Et enfin Relier, c’est à dire placer la communication à l’origine même du projet. Elle n’est plus la dernière roue du carrosse mais le support d’une démarche globale et continue. La communication doit permettre d’obtenir une relation librement consentie, réciproque et constamment renégociée.

Le BrandNewsBlog : La mission ou la portée que vous assignez au marketing implicatif, un marketing parfaitement responsable fondé sur la satisfaction des besoins légitimes et durables des consommateurs, la co-production et la création de valeur partagée paraît très ambitieux (même si j’y souscris totalement). N’avez-vous pas l’impression que la marche est un peu trop élevée à franchir pour certaines marques et pour les marketeurs ? Toutes les marques ont-elles vocation / peuvent-elles développer autant de liens avec le consommateur et l’impliquer autant dans leur chaîne de valeur ? Quelles pistes ou première priorités assigneriez-vous à des entreprises qui souhaiteraient se lancer dans un tel chantier, sans forcément savoir par où commencer) : la refondation de leur marketing ?

Florence Touzé : Oui, il y urgence et oui, la marche peut être haute. Et non, le contexte ne facilite pas toujours les choses, on pense toujours avoir plus important à gérer.

Pour commencer, il faut se dire que la perfection n’existe pas, que toutes les entreprises sont concernées et accepter d’agir dans la durée. Partagez votre projet avec vos équipes, l’implicatif commence par ça. Expliquez vos motivations, associez-les à vos interrogations en identifiant avec eux les zones de progrès les plus accessibles. Construisez une feuille de route tenable intégrant les points de rencontre avec les consommateurs, tout en visant des objectifs partagés ambitieux. Il ne faudra pas craindre de tout remettre en question, c’est exigeant mais incroyablement créateur !

Toutes les entreprises engagées que je côtoie tirent ces mêmes conclusions. Je le vis au quotidien avec les partenaires de la chaire RSE que je co-anime à Audencia².

Et elles témoignent d’un bonus non négligeable : une grande fierté collective !

 

 

Notes et légendes :

(1) « Marketing, les illusions perdues » de Florence Touzé – Editions La Mer Salée, mars 2015.

(2) Florence Touzé  est professeure de la Faculté Audencia Group, cotitulaire de la chaire RSE, et responsable des programmes « communication de marque » à SciencesCom. Après un parcours en agence de communication, elle a en effet choisi la transmission et l’enseignement supérieur et a placé le lien entre consommation, marketing, marque et responsabilité au cœur de ses recherches.

 

Pour aller plus loin :

http://www.audencia.com/faculte-recherche/chaires/rse/

http://www.sciencescom.org/

http://www.lamersalee.com/

 

Crédits photos et illustration : F. Sénard / Audencia Group, La Mer Salée, Harvard Business Review, The BrandNewsBlog 2015

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