Quels enjeux pour les dircom et leurs équipes en 2017 ?

Ces dernières années, avec l’émergence et le développement du digital principalement, qui bouleverse les pratiques des organisations et de toutes leurs parties prenantes, la fonction communication et le rôle des communicants n’ont cessé d’évoluer.

Premiers témoins (et aujourd’hui acteurs) de ces bouleversements, les dircom sont progressivement passés d’un statut d’émetteurs, garants de tous les messages de l’organisation à celui de « facilitateurs connecteurs » et de chefs d’orchestre, à l’écoute et au service de tous les interlocuteurs susceptibles de prendre la parole au nom de l’entreprise.

Tout à la fois « vigies ès réputation », managers et pilotes des équipes et des projets de communication, accompagnateurs-enablers et « transformistes », pour être capables de passer en permanence d’un costume et d’une casquette à l’autre (ainsi que le rappelait judicieusement il y a quelques mois Marie Coudié*), les dircom et leurs équipes n’ont cessé de gagner en crédibilité et en épaisseur stratégique au sein des organisations. Et les attentes à leur égard sont plus fortes que jamais…

Pour évoquer ces différentes mutations, qui vont de pair avec la transformation des entreprises, et pour analyser les nouveaux enjeux auxquels sont/seront confrontés à l’avenir les dircom et les communicants, j’ai choisi de renouveler cet exercice de l’interview croisée que j’avais inauguré l’an dernier avec Pierre Auberger et Anne-Gabrielle Dauba**.

Et c’est à nouveau à deux professionnels particulièrement appréciés, reconnus et connectés que j’ai fait appel  : Béatrice Mandine¹, directrice exécutive d’Orange, en charge de la communication et de la marque et Benoît Cornu², directeur de la communication de PMU, récemment élu « personnalité communicante de l’année 2016 » par l’association Communication & Entreprise.

Qu’ils soient ici remerciés de leur disponibilité et d’avoir accepté de se prêter au jeu des questions-réponses, pour les lecteurs du BrandNewsBlog…

dircom

Le BrandNewsBlog : Béatrice, Benoît, vous êtes tous deux des acteurs et des observateurs privilégiés de ces évolutions de la communication que j’évoquais en introduction. Quels sont donc les principaux bouleversements qui ont impacté votre métier ces dernières années ? Et en quoi ces bouleversements modifient-ils les comportements, usages et attentes des parties prenantes de vos entreprises (consommateurs, citoyens, collaborateurs…) ?

Béatrice Mandine : D’abord, la relation au temps s’est considérablement accélérée. On le constate surtout à travers l’émergence du digital, mais il ne faut pas occulter que c’est surtout la démocratisation technologique qui accélère nos modes de travail. La généralisation d’Internet et la banalisation des smartphones dans nos vies font que l’ère du « tout-connecté » fait aussi naître d’autres courants de réflexion tels que l’art de la déconnexion ou l’appréhension de nouvelles formes de rapport au temps. 

Il faut cependant résister à la tyrannie de l’immédiateté. Il me semble déterminant pour un communicant aujourd’hui de savoir allier deux notions : la réactivité qu’imposent nos professions, sans pour autant négliger le temps plus long de réflexion, de prise de recul, de construction et de création. Et surtout : s’assurer de la cohérence des messages dans la durée.

Benoît Cornu : Un des principaux bouleversements vient aussi de ce que je qualifierai « d’universalité de l’information ». Cette dernière est devenue instantanée, accessible à tous et à tout instant et s’affranchit des canaux historiques. Fini le temps où la radio annonçait, la télévision montrait et les journaux expliquaient, le temps où on pouvait piloter la communication en décidant seul du rythme et des outils en fonction des messages et des cibles. Un de nos enjeux est de continuer à maîtriser le timing quand c’est de plus en plus souvent le marché ou l’opinion qui décident du rythme.

Ce phénomène s’accompagne d’une exigence de transparence. Les attentes vis-à-vis des entreprises ne se limitent plus à leur cœur de métier, elles portent désormais au quotidien sur leur responsabilité globale vis-à-vis de la société, au-delà du champ économique, et parfois au-delà de ce qu’elles contrôlent. Le rôle de la marque s’élargit, sa réputation devenant encore plus importante à cultiver et protéger.

L’autre changement majeur est à mon avis l’émergence d’une communication « participative » dans le sens où chacun peut potentiellement accéder une audience, en particulier avec les réseaux et les médias sociaux.

Le BrandNewsBlog : Défiance accrue des citoyens vis-à-vis de la parole publique et des discours « corporate », accélération du temps et entrée dans l’ère de l’immédiateté… la communication est surtout impactée par cette fameuse « révolution numérique » que vous venez d’évoquer ? Comment cela se traduit-il au quotidien et quelle incidence cette révolution a-t-elle dans vos missions et la manière d’envisager et pratiquer la communication d’entreprise ?

Béatrice Mandine : Ce n’est pas tant la défiance face aux discours « corporate » qui noie la relation entre le citoyen et l’entreprise, entre le consommateur et la marque. Il s’agit plutôt de la quantité, toujours exponentielle, de messages auxquels nous sommes tous exposés, qui conduit à la confusion. Je crois que les marques gagneraient à réaliser deux mouvements : d’une part, équilibrer leur expression commerciale/business et corporate, plus émotionnelle ; d’autre part, elles devraient arbitrer davantage entre les différents canaux d’expression. 

La course au digital, démarrée il y a quelques années dans les grandes entreprises, prend un virage de maturité intéressant : il ne s’agit pas d’être partout mais plutôt de redonner du sens à la présence en ligne d’une entreprise. On rentre alors dans des considérations de particularités, de formats et d’audiences qui sont plus intéressantes que l’étape d’évangélisation qui a conduit les marques, il y a quelques années, à ouvrir des comptes sociaux sur toutes les plateformes avant de se demander si c’était pertinent… Nous sommes dans une phase de rationalisation, c’est le retour du bon sens et on ne peut que s’en féliciter !

Benoît Cornu : Qu’on le veuille ou non, pour nos équipes et pour nous mêmes, il s’agit d’une transformation fondamentale de notre rôle dans l’entreprise, de nos méthodes et de nos organisations, sur un terrain de jeu qui s’élargit sensiblement. Nous devons être attentifs en permanence, écouter beaucoup plus souvent que parler, ne sous-estimer aucune prise de position a priori, et être capables de réagir très vite tout en gardant à l’esprit nos objectifs à moyen et long termes. Il nous faut aussi apprendre en marchant à utiliser de nouveaux outils qui modifient les comportements de nos publics, en interne et à l’extérieur de l’entreprise. Et intégrer une mesure de nos performances, ce qui déstabilise certaines équipes peu habituées à ça dans les métiers de la communication corporate.

Quant à la défiance que vous évoquez, il me semble qu’il faut faire une vraie différence entre la communication d’entreprise et la « com’ » telle qu’elle est décriée aujourd’hui… L’omniprésence de la parole politique, qui finit par confondre discours et décision et mélange constamment l’action et l’apparence de l’action n’est guère positive pour l’image de la communication. Dans nos entreprises, et avec nos dirigeants, je n’ai pas l’impression que nous fassions le même métier. Même en gérant le quotidien, nous répondons à des objectifs sur un temps long, nous nous mettons au service d’une stratégie et nous nous appuyons sur des réalités. Il ne s’agit pas de « faire de la com’ pour faire de la com » et l’esbroufe est interdite.

Benoit Cornu PMU, Paris, 01/2017.Le BrandNewsBlog : Naturellement, dans cette révolution et face à cet impératif de transformation qui s’impose aujourd’hui à la plupart des entreprises, il n’y a pas que les pratiques de communication qui soient impactées. C’est toute la gestion de la marque et l’organisation même des services marketing-com’ qui est aussi à repenser (entre autres). Pour répondre à ce nouveau paradigme et aux nouveaux besoins, à quels changements avez-vous procédé au sein de vos équipes ? Quelle organisation avez-vous adopté ?

Béatrice Mandine : Très vite, chez Orange, j’ai fait le choix de ne plus avoir une équipe dédiée à la communication digitale. Cela ne faisait pas sens, le digital étant partout : aussi bien en média, qu’en relations presse, que sur les événements… 

Pour moi, le digital n’est pas tant une expertise qu’un état d’esprit qui impose un fonctionnement horizontal. C’est une façon de travailler, nouvelle certes, qui doit permettre de laisser sa place à une notion qui n’est pas si familière que cela des grandes organisations : la transversalité. Celle-ci exige écoute, partage, agilité, réactivité… Ces changements culturels ne se font pas, bien évidemment, en un jour. Il faut prendre le temps et je crois que c’est une mission essentielle de la communication au service de toute l’entreprise et de toutes ses fonctions. Et l’on voit d’ailleurs aujourd’hui que tous les acteurs de l’écosystème basculent dans ces modes de fonctionnements : nos agences partenaires, les entreprises dans leur ensemble et même les plateformes Twitter, Facebook, Google, Snapchat et autres, qui sont beaucoup plus dans un mode partenarial aujourd’hui avec nous.

Benoît Cornu : On est de surcroît clairement passé d’une gestion de « moments » à une gestion de flux, où la conversation remplace progressivement le discours. Comme cette conversation est entretenue avec de nombreux interlocuteurs, nous devons multiplier le nombre de porte-parole. Ça signifie davantage de délégation et davantage de responsabilisation à tous les étages. Cette nouvelle réalité dépasse largement le domaine traditionnellement réservé à la fonction communication : elle implique et mobilise les équipes marketing, les services clients… d’où la nécessité de mettre en place des fonctionnements horizontaux et collaboratifs, en effet.

Dans des organisations très centralisées et hiérarchisées, cela s’avère parfois compliqué à mettre en place, mais c’est impératif. Au PMU, nous partageons par exemple nos fils sur les réseaux avec le service client, qui peut prendre la main en direct, et inversement… Et on connaît immédiatement l’impact de chaque émission d’information.

Le BrandNewsBlog : Dans une interview que vous aviez accordée il y a quelques mois Benoît³, vous souligniez le rôle stratégique de la communication, comme moteur du changement de l’entreprise. Depuis 2009 en effet, vous avez par exemple sérieusement dépoussiéré l’image du PMU et, grâce à la communication, vous dites avoir « auto-ubérisé » votre marché. Pouvez-vous nous dire en quoi et nous raconter les grandes étapes de cette mutation ?

Benoît Cornu : Au PMU, nous étions confrontés en même temps à l’arrivée de la concurrence et à une révolution technologique qui pouvaient menacer notre modèle économique historique. Nous avons choisi d’avoir une démarche offensive et de transformer en opportunité ce qui pouvait de prime abord être perçu comme une menace. Nous nous sommes mis à la place de nos concurrents et avons imaginé ce que nous ferions à leur place pour attaquer le marché.

Dès le début, nous avons considéré que la communication aurait un rôle moteur dans ce changement en matérialisant de façon spectaculaire le virage que prenait l’entreprise : nouvelle plateforme de marque, changement d’identité visuelle, nouveau discours publicitaire, investissement massif dans les campagnes digitales, sponsoring, mécénat, partenariats éditoriaux… On a tout changé. Avec deux constantes : 1) surprendre et 2) occuper le terrain en permanence, pour dicter le rythme sur notre marché. Toutes les actions de tous les métiers ont été menées dans cette même cohérence. Un an et demi plus tard, nous étions déjà sur le podium face aux nouveaux entrants, sans perdre notre leadership historique.

Le BrandNewsBlog : En tant que directrice de la marque Orange (en plus de vos fonctions de dircom), vous œuvrez aussi Béatrice pour une de ces « love brands » dont la réputation et la réussite sont désormais internationales. Dans ce contexte, quels sont aujourd’hui vos principaux enjeux et objectifs et quel rôle stratégique assignez-vous à la communication ? Vous insistiez il y a quelques temps, dans une conférence à laquelle je participais, sur la nécessité de ne pas succomber au « tout digital » : pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Béatrice Mandine : Loin de moi l’idée d’entrer en guerre contre les gourous du digital. C’est évidemment une révolution fondamentale pour nous tous et a fortiori pour les communicants. Mais c’est vrai que je m’agace un peu de l’effet de mode qui conduit à une sur-utilisation du mot « digital ». On a l’impression que c’est devenu l’alpha et l’oméga de tout… Si une entreprise a un Chief Digital Officer au Comex’ , elle est sauvée ! ;-) 

Encore une fois, je ne minimise pas ici l’impact du digital. Mon propos est plutôt de dire qu’une bonne communication, c’est d’abord une bonne idée. Le format digital est secondaire. Bien sûr, le digital permet aujourd’hui tellement de choses qu’il doit nourrir la réflexion créative dès le début, mais il ne faut pas inverser les choses. On le voit d’ailleurs aujourd’hui : d’une logique de plateformes, on bascule désormais dans une réflexion autour du contenu, avec un format adapté, certes, mais c’est une info, un chiffre, une image, bref : une idée.

Le BrandNewsBlog : Parlons un peu des communicants. D’un rôle basique d’émetteur, voire de « superviseur en chef » des messages sortants de l’entreprise, les dircom ont vu leur rôle et leur périmètre d’action s’étendre considérablement ces dernières années, pour devenir à la fois « vigies » (en matière de réputation), « animateurs et émulateurs » (des contenus et prises de parole de l’entreprise), « chefs d’orchestre » (coordonnant les talents et impulsant les stratégies de communication)… Et il leur faut aujourd’hui pouvoir alterner ces costumes très rapidement, à la manière d’un « transformiste », comme je le soulignais en introduction. Pour arriver à faire tout cela, quelles sont les qualités / compétences que doivent absolument posséder/développer les dircoms et autres « néo-communicants » ?

Béatrice Mandine : La sincérité est sans doute la qualité la plus importante pour exercer les métiers de la communication. Je crois qu’il faut rester soi-même pour avoir la force de porter ses convictions dans les univers complexes que sont devenus les entreprises et leurs parties prenantes.

Il faut aussi une bonne dose de persévérance pour tenir le cap et ainsi défendre le sens de nos actions. On fait un métier sur lequel chacun a spontanément un avis ;-) Je fais partie, comme Benoît sans doute, de ceux qui considèrent la communication non pas comme une dépense mais plutôt comme un investissement structurant. Dans ce contexte, le moyen terme est souvent plus intéressant qu’une action ponctuelle… La communication s’apprécie à cette échelle-là : celle du moyen/long terme.

Je pense aussi que la curiosité est nécessaire pour garder l’envie : envie de tester en permanence, de se réinventer, de surprendre ! Enfin, je crois que l’écoute est une des forces les plus importantes dans nos métiers car elle garantit que le message que l’on veut diffuser puisse a minima être entendu ! C’est en vous répondant que je me rends compte à quel point nous sommes tous de véritables caméléons… Mais en général, cela répond aussi à un caractère, à une nature prédisposée à cela. La boucle est bouclée : il faut donc rester qui l’on est. Tout simplement.

Benoît Cornu : Selon moi, deux qualités restent essentielles malgré les transformations que nous venons d’évoquer : l’écoute, comme vient de le souligner Béatrice, et l’humilité. Elles sont peut être même plus importantes aujourd’hui. Nous exerçons un métier où l’expertise découle en effet de l’expérience, et où savoir « faire l’éponge » permet d’apprendre à réagir avec le recul et la distance nécessaires. Quand tout va très vite, ou trop vite, c’est parfois salutaire.

Quant à l’humilité, nous ne devons jamais oublier que c’est l’ego de la marque qui passe avant le notre ;-) Je rejoins également Béatrice sur la force de conviction dont nous devons savoir faire preuve en permanence, pour emmener les équipes en interne, défendre nos positions et même convaincre nos patrons ! Et puisque j’en parle, il faut aussi être capable de créer un lien particulier avec le dirigeant de l’entreprise, qui l’incarne en premier lieu. Une forme « d’intimité professionnelle » est indispensable, qui repose à la fois sur la confiance et la loyauté et grâce à laquelle on peut se dire beaucoup de choses, surtout dans les moments difficiles.

Le BrandNewsBlog : L’accompagnement des dirigeants, des managers et des collaborateurs dans la transformation numérique de l’entreprise est une des dernières casquettes/missions dont les dircom ont hérité ces dernières années. En quoi les communicants vous paraissent-ils légitimes (voire plus légitimes que d’autres) à jouer ce rôle, et à prendre le leadership de la transformation digitale de l’organisation ? Pouvez-vous donner quelques exemples concrets de d’initiatives lancées et pilotées par vos équipes dans ce domaine ?

Béatrice Mandine : Je dirais que, peu importe la nature de la transformation, on en revient toujours aux basiques de nos métiers : ce rôle de « vigie » entre la réalité de l’entreprise et l’évolution de son écosystème, notre positionnement au service de l’ensemble de l’entreprise peut-être aussi.

Prenons l’exemple des réseaux sociaux ou n’importe quel autre outil de cette révolution dite digitale : on est toujours dans l’émission d’un message de la part d’un destinataire vers un récepteur. Et puis après cela, il y a aussi la capacité à répondre, à formuler des messages pertinents qui fait la différence. Mais pour être réussie,  une transformation est, en premier lieu, le travail de tous. Donc je n’attribuerai certainement pas ces succès aux communicants : ce sont parfois les précurseurs, toujours les facilitateurs, mais ils en redeviennent aussi très vite les acteurs, au même titre que tout le monde. Enfin, quand on en vient à parler de digital dans une entreprise de télécommunications, vous imaginez que les initiatives sont nombreuses. Pour celles qui concernent la communication, l’accompagnement des membres du Comex sur les réseaux sociaux pour développer leur réputation en ligne me vient en tête spontanément.

Benoît Cornu : Pour ma part, je suis convaincu depuis longtemps que le vrai « Chief Digital Officer » de l’entreprise doit  être le P-DG / CEO. Le digital, ce n’est pas une entité ou un simple moyen, c’est toute l’entreprise qui change pour s’adapter à un nouvel environnement. C’est donc au plus haut niveau que cela doit être piloté.

À partir de là, le rôle des communicants est à mon avis d’anticiper, d’accompagner et parfois de provoquer des chocs culturels qui favorisent la prise de conscience… À titre d’illustration, la participation du PMU à Vivatechnology a permis à la fois d’accélérer très fortement la connexion avec l’écosystème des start-up (nous étions très  en retard) et de mobiliser les équipes sur un projet où le digital n’était finalement qu’un prétexte pour parler vraiment d’innovation.

Portrait de B. Cornu

Le BrandNewsBlog : Vous êtes tous les deux, ainsi que je l’indiquais en introduction, des communicants reconnus et particulièrement « connectés », sur les réseaux sociaux notamment. Pourriez-vous nous dire ce que vous apporte votre présence (très active) sur les différentes plateformes sur lesquelles vous êtes présents ? Qu’en retirez-vous à titre personnel et professionnel ? 

Béatrice Mandine : Les réseaux sociaux sont un formidable outil de veille pour moi. Celui que j’utilise tous les jours, c’est Twitter. La plateforme me correspond bien puisqu’elle me permet de mesurer le pouls de l’opinion en temps réel sur les sujets de l’actualité. J’y vois aussi une occasion, parfois, de mettre en avant certaines personnes ou certaines actions, plus personnelles, qui me tiennent à cœur. C’est donc un bon équilibre qui reflète qui l’on est, je crois. Et surtout je peux utiliser tous les emojis que je veux ! 😃 😢 💁🌹👫 🎃 😃😃

Plus sérieusement, c’est aussi une plateforme sur laquelle nous avons beaucoup misé chez Orange. Et aujourd’hui, tous les membres du Comex jouent le jeu et tweetent eux-mêmes. Chacun sa fréquence, chacun son ton et au final cela forme un panel diversifié, à l’image du collectif que nous représentons. Au départ, les équipes de communication étaient en appui, avec les agences, pour faire la pédagogie de l’usage, proposer des idées… Mais aujourd’hui c’est devenu beaucoup plus spontané et cela marche aussi bien. Il y a même une certaine émulation entre nous pour savoir qui a le plus de followers (et c’est, en toute logique respectée, le chef : @srichard !).

Sinon, j’aime bien flâner sur Instagram où je vois de belles choses. Je ne poste pas beaucoup, par manque de temps, mais je like pas mal. Et puis mon défi 2017, c’est LinkedIn qui présente surtout l’avantage de donner une place à l’écriture. J’aimerais dégager du temps pour partager des points de vue, des coups de gueule aussi sans doute et des découvertes. En tous cas, maintenant que je vous ai donné le scoop, je vais être obligée de m’y mettre !

Benoît Cornu : J’ai fait en ce qui me concerne mes premiers pas sur Facebook fin 2006, et nous n’étions pas très nombreux à l’époque ! Mais j’ai vite été étonné  par le mélange privé/public et depuis je n’utilise les réseaux sociaux qu’à titre professionnel, en tout cas quand il s’agit de publier quelque chose.

Twitter est incontestablement mon premier fil d’actualité et de veille et un formidable outil d’expression, d’échanges et de valorisation. C’est aujourd’hui le réseau que je considère comme le plus incontournable, avec LinkedIn dont les contenus « mûrissent » progressivement et qui est un média plus « froid ». Je suis fasciné aussi par Instagram, qui dans le monde de l’art et de la création est devenu indispensable. J’y passe un peu de temps ! Je recommande aussi de s’intéresser à WeChat, le réseau chinois aux 850 millions d’utilisateurs. Impossible de travailler ou de communiquer en Chine sans y avoir un compte, et c’est maintenant la première chose qu’on vous demande là-bas quand vous faites connaissance : votre QR code WeChat !

Le BrandNewsBlog : Vous l’avez évoqué : à l’heure du digital et des médias sociaux, il semble que chaque jour, ce que dit l’entreprise a tendance à devenir un moins important que ce que l’on dit d’elle… A partir de ce constat, de nombreuses entreprises se sont lancées dans des démarches de brand advocacy et d’employee advocacy** en particulier. Il me semble que vous êtes plutôt en pointe, notamment chez Orange, dans ce type de démarche. Pouvez-nous en parler Béatrice ? Et qu’en est-il au PMU Benoît ? Pourriez-vous également nous parler d’une initiative ou un projet en cours qui vous tient particulièrement à coeur, et sur lequel vous travaillez aujourd’hui dans votre entreprise ?

Béatrice Mandine : Je ne sais pas si nous sommes « en pointe »… Je dirai plutôt que le programme est naissant chez Orange. Depuis quelques années, nous constatons que de nombreux salariés utilisent les réseaux sociaux à titre parfois personnel mais aussi professionnel, pour relayer les informations de l’entreprise.

Très vite, il nous est apparu comme une évidence que les salariés de l’entreprise allaient en être les meilleurs ambassadeurs. C’est un élément de fierté fort. Ce qui nous a pris un peu plus de temps à construire, à la communication, c’est l’étape d’après : comment l’entreprise, et donc sa direction de la communication, peut adresser ses salariés pour qu’ils soient le relais des actions de communication du Groupe ? Comment faire en sorte que cela reste crédible, etc ?

Finalement nous avons opté pour un petit groupe de travail, agile, systématiquement en test & learn et sans processus compliqué. Les choses doivent rester naturelles, spontanées, en proximité. Aujourd’hui, nous partageons régulièrement avec cette soixantaine d’ambassadeurs du contenu destiné à des actions de communication internes ou externes. Des moments de rencontres spécifiques leurs sont également dédiés et des quotas de places sur nos événements leur sont réservés. L’idée n’est pas de faire d’eux des « caisses de résonnance automatisées » de nos actions, mais plutôt de leur donner l’occasion de vivre les coulisses de nos métiers finalement. Et cela marche plutôt bien.

Béatrice Mandine

Benoît Cornu : Pour beaucoup de ces initiatives de brand et employee advocacy, il me semble difficile de déterminer si elles relèvent vraiment d’une démarche volontariste ou bien d’un état de fait au secours duquel volent certaines entreprises… C’est en tout cas une réalité que nous devons tous prendre en compte et dont les contours ne sont pas simples à dessiner. Par définition, de telles démarches ne peuvent être uniquement « top-down » ni aboutir, a contrario, à une libération totale de la parole. De notre côté, nous y réfléchissons depuis peu. La démarche d’Orange est intéressante car pragmatique et mesurée, avec une logique d’accompagnement. Je compte bien m’en inspirer (merci Beatrice) !

Au PMU, nous travaillons surtout l’agilité de l’entreprise et la transformation du modèle managérial pour le rendre plus en phase avec le temps présent et accélérer le rythme interne. PMUConnect, notre réseau social interne s’est imposé en quelques mois seulement (il est aussi simple que Facebook !) et les équipes en mode « agile » font preuve d’une formidable efficacité… Des quick-wins porteuses de belles promesses !

 

 

Notes et légendes :

* Article « Les dircom sont désormais des transformistes » par Marie Coudié (Head of international brand communication du groupe Mazars) –  Série Les néo-communicants (2/8) – Les Echos Business, 26 juillet 2016.

** Article « Quels enjeux pour les dircom en 2016 ? »: interview croisée de Pierre Auberger, directeur de la communication du Groupe Bouygues et Anne-Gabrielle Dauba- Pantanacce, directrice de la communication et des relations presse de Google France – The BrandNewsBlog, 31 janvier 2016.

(1) Journaliste de formation (elle est diplômée de l’École supérieure de journalisme (ESJ) et de l’Institut des hautes études internationales), Béatrice Mandine commence sa carrière en 1988 en tant que journaliste au Figaro, à Marie-Claire et à la chaîne de télévision la 5, avant de rejoindre en 1990 Alcatel comme chargée de communication interne. En 1992, elle devient attachée de presse pour Alcatel Radio Space & Defense, avant d’intégrer le service de presse d’Alcatel Alsthom. Nommée en 1998 directrice médias d’Alcatel Consumer Division, puis directrice des relations presse et publiques de la division téléphone mobile d’Alcatel deux ans plus tard, elle rejoint en 2004 le groupe Faurecia comme responsable des relations presse et de l’image institutionnelle. Elle est entrée chez Orange en 2007 en tant que directrice du service de presse, avant d’être nommée directrice déléguée à la communication externe (en 2010), puis directrice adjointe de la communication en charge de la communication externe en 2012.

Elue en 2013 meilleure dircom parmi les 52 premières entreprises cotées en France, par un jury de 170 journalistes, elle a été nommée directrice exécutive en charge de la communication et de la marque en mai 2013.

(2) Après des études en école de commerce, Benoît Cornu commence sa carrière en 1990 en tant que chargé d’études marketing au sein de l’institut Proscop. Il rejoint ensuite Chronopost en 1994 en tant que responsable marketing avant de rejoindre les supermarchés Match (groupe Cora) en tant que responsable Stratégie et Marché. De 2000 à 2002, il devient Directeur Marketing et Organisation d’Opéra (Casino-Cora) avant de rejoindre le groupe Dell en tant que Directeur délégué d’EMC Distribution. Directeur de la communication et des affaires publiques du Groupe Casino de 2003 à 2006, il rejoint ensuite le PMU, dont il est le directeur de la communication depuis septembre 2007.

Administrateur d’Entreprise et Médias depuis 2014 et de l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) depuis 2015, il a été nommé en novembre 2016 « personnalité communicante de l’année 2016 » par l’association Communication et entreprise, ce prix étant remis chaque année à « une personnalité qui s’est distinguée par ses actions, ses travaux ou ses réflexions dans le domaine de la communication d’entreprise ». 

(3) Article « La communication, levier stratégique pour l’entreprise » à lire sur le site « We are com », blog indépendant dédié à la communication corporate en France.

 

Crédits photos : ©Christophe Guibbaud/SIPA/Orange et ©David Morganti/SIPA (portraits de Béatrice Mandine) ; médiathèque PMU (portraits de Benoît Cornu).

Protection des données personnelles : un droit imprescriptible… à 680 euros par tête

privacy policy_12Que n’a-t-on lu et entendu au sujet de la protection des données personnelles ? Sujet brûlant s’il en est, cette protection est souvent présentée par les autorités et quelques acteurs privés bien intentionnés comme un droit imprescriptible du consommateur et de l’internaute. Un droit souvent bafoué par les acteurs de la nouvelle économie, malgré tout, puisqu’une partie d’entre eux ne cesse d’exploiter sans notre consentement les datas que nous autres, pauvres naïfs, acceptons de confier à leurs plateformes et autres applications.

Sur ce sujet, une étude du cabinet Mediabrands Marketing Sciences¹ vient chambouler nos dernières idées reçues. Et pourrait bien ringardiser définitivement certaines « pudeurs de jeune fille » relatives à l’utilisation par des entreprises de nos données privées…

Que nous apprend cette étude, me direz-vous ? Et bien non seulement que la protection des données personnelles n’est plus un sujet tabou pour les consommateurs, mais aussi qu’une majorité d’entre eux serait tout à fait disposée à échanger ses données moyennant finance (27%) ou contre de vulgaires remises et bons de réduction !

Et la valeur attribuée par les consommateurs eux-mêmes à leurs données personnelles ? C’est là que les avis des experts divergent… Tandis qu’une étude similaire menée l’an dernier par Orange² auprès de consommateurs français faisait état d’une fourchette comprise entre 170 et 240 euros (chaque info personnelle étant évaluée à 15 euros en moyenne), l’étude Mediabrands menée récemment auprès de 1 000 consommateurs britanniques fait ressortir un prix sensiblement supérieur : 500 livres par an et par individu en moyenne, soit 680 euros.

L’air de rien, cette étude Mediabrand Marketing Sciences vient confirmer deux tendances dont les marketeurs avaient pu déjà constater l’émergence : 1) un changement d’attitude sur la question de l’utilisation des informations personnelles, car le partage de ces données semblait jusqu’ici un sujet « tabou » et le seuil de tolérance des consommateurs en la matière est resté longtemps très bas. Et 2) le triomphe du pragmatisme, puisqu’à défaut de pouvoir efficacement protéger leurs données, il semble que les consommateurs cherchent désormais à maximiser leur bénéfice en cas de cession.

Ces deux constats rebouclent parfaitement avec les autres conclusions tirées l’an dernier par Orange dans le cadre de son étude, à savoir que :

  • les consommateurs sont naturellement plus enclins à accepter l’utilisation de leurs données personnelles par des sociétés qu’ils connaissent déjà  ;
  • ils attendent des entreprises utilisatrices des données qu’elles fassent preuve de transparence sur la façon dont ces informations personnelles sont / seront utilisées, en faisant apparaître de manière claire les avantages dont l’utilisateur du service bénéficiera en les partageant ;
  • malgré tout, 67 % des consommateurs estiment que ce sont les entreprises qui ont le plus à gagner à l’exploitation de leurs données, 6 % seulement des personnes interrogées estimant que le consommateur peut être gagnant ;
  • les données auxquelles les consommateurs attachent naturellement le plus d’importance… ne sont pas nécessairement celles qui intéressent le plus les marques. Tandis que les consommateurs sont les plus réticents à partager des informations concernant leur revenu ou à transmettre les e-mails de leur famille ou de leurs amis, par exemple, ces informations n’intéressent que moyennement les entreprises. Ces dernières sont en effet beaucoup plus intéressées par l’historique de nos achats ou nos données de géolocalisation, bien sûr.

 

Notes et légendes :

(1) Etude « Privacy Vs Relevancy: the Value Exchange » du cabinet Mediabrands Marketing Sciences – Juillet 2015

(2) Etude « The Future of digital trust » par Orange – Septembre 2014

 

Crédit photo : 123RF

LVMH, P&G, Orange… : ces holdings qui renforcent leur marque corporate

louis-vuitton_0-650x365

Mardi dernier, j’évoquais la leçon de branding donnée récemment par François-Henri Pinault (voir ici). A l’issue d’un processus qui l’a fait passer du statut de conglomérat opérationnel et financier à celui de groupe spécialisé dans les domaines du luxe, du sport et du lifestyle, la holding PPR est ainsi devenue « Kering » le 18 juin 2013. Un nom hautement symbolique proposé par Havas Lifestyle et Dragon rouge, et qui pour mémoire renvoie à la fois au « Ker » breton (le foyer) et au « caring » anglais… Bref, il s’agissait à la fois de signifier le rôle de « maison des marques » de la holding, et de mettre en avant le soin particulier que le groupe entend justement porter aux différentes marques qui le composent et à ses parties prenantes (collaborateurs, partenaires, environnement…).

Mais Kering n’est pas la seule holding à avoir récemment amorcé un nouveau départ ou négocié un virage stratégique en matière de branding. LVMH, Procter & Gamble ou bien encore Orange ont elles aussi, pour des raisons différentes, choisi de capitaliser davantage sur leur marque corporate ces dernières années. Décryptage de ces opérations avec le BrandNewsBlog…

>> LVMH travaille sa réputation

On ignore encore à quelle date LVMH est susceptible de programmer la 3ème édition de ses « Journées particulières » *. Les deux premières éditions, en octobre 2011 et juin 2013, ont en tout cas été de grands succès. Au-delà des 120 000 visiteurs dénombrés l’an dernier, du million et demi de pages vues sur le site web de LVMH et des quelque 45 000 fans de la page Facebook dédiée, le groupe de Bernard Arnault a également bénéficié de retombées presse inespérées, dans les pages culture, sorties et art de vivre des magazines… Une véritable bouffée d’air pour un groupe plus habitué aux pages saumon du Figaro, régulièrement épinglé pour sa réputation de prédateur ou les déconvenues de son « riche contribuable » de Président.

C’est que, sortant d’une réserve quasiment inscrite dans les gênes du groupe, LVMH a résolument choisi d’investir dans sa marque corporate et d’améliorer, par la magie de ses marques icôniques, son image et sa réputation. Robert Zarader, Président de l’agence Equancy&Co résumait ainsi à l’époque le dilemme auxquelles les holdings de l’industrie du luxe sont confrontées : « toute la valeur de la marque mère réside dans la valeur des marques filles« . En même temps, impossible pour la holding de trop empiéter sur le territoire de ses marques filles ou de s’afficher comme caution, car dans le secteur du luxe (aussi bien chez LVMH que Kering d’ailleurs), chaque marque se doit d’apparaître comme unique et l’indépendance de chacune demeure un credo largement partagé.

FASHION-LUXURY-ARTS-LOUIS VUITTON

>> Procter & Gamble réassure et cautionne

Avec sa campagne à la fois corporate et promotionnelle multimarques de l’été 2013 (« L’innovation à votre service, essayez-les »), P&G  a joué, pour la première fois de son histoire, le rôle de marque ombrelle. Une véritable révolution pour ce grand groupe international, mais qui se justifie par deux facteurs : d’une part, l’opportunité de réaliser d’importantes économies d’échelle (qui peuvent rapidement se chiffrer à plusieurs dizaines de millions de dollars) ; et d’autre part la demande de transparence de la part des consommateurs.

Sur ce dernier point, pour Procter & Gamble comme pour LVMH ou Kering, il s’agit en effet de répondre à cette question de plus en plus pressante de la part des clients : savoir qui est « derrière » les marques que nous connaissons tous (NB : ce besoin est beaucoup moins fort pour les  e-brands que pour les marques traditionnelles : voir ici mon précédent article à ce sujet).

>> France Télécom passe à l’Orange

2009_09_18_Orange

Depuis le rachat d’Orange par France Télécom, la marque historique de notre opérateur national était peu à peu tombée en désuétude. Le dernier mouvement de cette évolution inéluctable a été l’adoption par la marque entreprise (France Télécom) du nom de sa marque commerciale (Orange) le 1er juillet 2013. Ce rebranding a mis un point final à l’épopée de notre service public national de télécommunications, pour laisser place à une holding résolument tournée vers l’international.

Là aussi, comme chez Procter, les enjeux stratégiques et de branding rejoignent l’intérêt financier, puisque la fin de la cohabitation des deux marques (corporate et commerciale), a évidemment été source d’importantes économies. Plus simple, plus homogène et moins coûteux, le rebranding opéré ne pouvait représenter que des avantages.

corp

 

Sources :

>> Article du Figaro sur les Journées particulières

>> Article : Ces holdings qui cherchent leur marque, 6 juin 2013 – Stratégies n°1726

>> Site de LVMH : www.lvmh.fr

>> Crédit hoto : LVMH, Orange

Marque corporate, marque commerciale, marque employeur: et si on arrêtait de travailler en silos ?

A l’heure du web 2.0 et des organisations « agiles », le modèle classique de gestion des marques est-il encore adapté ? Rien de moins sûr… Sur le papier, tous les services intervenant sur la/les marques au sein d’une entreprise devraient en effet travailler dans la même direction. Dans les faits, le poids de l’histoire, les objectifs intrinsèquement différents poursuivis par les acteurs (sans parler de certains réflexes de « défense de territoire ») laissent entrevoir une réalité différente. Et ce sont souvent les fonctionnements « en silos » qui continuent de prédominer, au détriment d’une vision globale des attentes des clients, des collaborateurs, des partenaires ou des candidats.

Marque corporate, marque commerciale, marque employeur - TheBrandNewsBlog

Dans leur excellent ouvrage collectif sur le Management transversal de la marque*, coordonné par Géraldine Michel, les différents contributeurs ne disent pas autre chose : il est grand temps, aujourd’hui, de décloisonner le management de la marque. Au-delà d’une coordination accrue entre les responsables directement en charge des différentes dimensions de la marque (corporate, commerciale, marque employeur…), l’opportunité est en effet trop belle de fédérer les acteurs de l’entreprise autour de valeurs et d’objectifs communs. D’autant que ce décloisonnement est porteur d’innovation et contribue directement à la pérennité des entreprises.

Une perception tronquée des attentes des clients, des candidats… et des autres parties prenantes

C’est un constat régulièrement dressé (mais trop rarement pris en compte à mon avis) : les entreprises ont souvent une perception imparfaite de leurs parties prenantes. Comme par un « jeu de miroirs brisés », le prisme actuel des organisations et de la gestion de marque (morcelée entre marque corporate / marque commerciale / et marque employeur) renvoie à chacun dans l’entreprise une image incomplète de son environnement.

Dans cette vision tronquée, le client est assis bien sagement aux côtés du candidat, lui même distinct du journaliste, du salarié et de l’actionnaire… Pourtant, dans le monde réel, nous savons bien qu’un client peut se retrouver demain en situation de postuler à une offre d’emploi de l’entreprise ; le journaliste peut être l’ami ou le conjoint d’une de vos collaboratrices ; le prospect ou le salarié figurer parmi vos plus gros actionnaires, etc.

Tout se passe comme si chacun dans l’entreprise feignait de ne pas percevoir la totalité du paysage, nécessairement complexe. On comprend dès lors à quel point les organisations en silos peuvent être inadaptées à saisir la globalité des attentes de leurs cibles. Et cette « myopie » ne date pas d’hier, puisqu’elle est en premier lieu un héritage de l’histoire…

Une gestion de la marque qui s’est complexifiée et « diluée » au fil des décennies

Fabienne Berger-Rémy et Marie-Eve Laporte le rappellent dans le chapitre qu’elles consacrent à « la marque, levier stratégique de l’entreprise » * : l’organisation et les méthodes de gestion des marques commerciales encore en vigueur dans la plupart des entreprises aujourd’hui découlent de recommandations formulées il y a plus de 80 ans.

C’est en effet par le biais d’un mémo, rédigé le 13 mai 1931 à l’attention du président de Procter & Gamble USA, que Neil McElroy posa les bases du brand management system. Un ensemble de principes dont le plus important stipulait que « chaque marque doit avoir ses propres managers et assistants dédiés à la communication publicitaire et à l’ensemble des activités marketing ». De fait, depuis ce « McElroy Memo », la gestion des marques produits n’a cessé de se sophistiquer. Le recrutement de chefs de produits en charge du management et de la performance des marques s’est encore accéléré depuis les années 70 et 80, accentuant dans les esprits l’association de la marque et du marketing.

Pourtant, et c’est ce que déplorent Fabienne Berger-Rémy et Marie-Eve Laporte, cette « intrumentalisation » de la marque a largement contribué à diluer son rôle stratégique. D’une préoccupation quotidienne des dirigeants, engageant leur responsabilité personnelle, le brand management est devenu un domaine de plus en plus technique, géré par des managers de moins en moins expérimentés et décisionnaires…

Des considérations historiques différentes sont à l’origine de la naissance et du développement de la marque employeur, à partir de la fin des années 90. Outre la nécessité perçue par les entreprises de mettre en place une communication spécifique à l’attention des candidats et des collaborateurs internes, il faut se souvenir qu’il s’est aussi agi à l’époque, pour un certain nombre de DRH, de renforcer leurs prérogatives et d’élargir leur périmètre d’action en se dotant de ressources et d’équipes ne dépendant pas des directions communication (en le disant ainsi, je suis conscient de pouvoir heurter. Mais je me souviens très bien de mes échanges d’alors avec un certain nombre de DRH, pour avoir eu la chance de participer au lancement en France du concept de marque employeur, au sein de l’agence Guillaume Tell**).

Les pistes pour décloisonner le brand management au sein de l’entreprise

On le voit, si les considérations historiques expliquent la stratification et l’empilement des systèmes de gestion de marque, les médias sociaux et la porosité croissante des publics réclament aujourd’hui une gestion décloisonnée et transversale de la marque.

Que penser, en effet, de ces trop nombreuses entreprises (comme Nespresso ou Ladurée récemment) qui, adulées par leurs clients, sont dans le même temps décriées par leurs salariés sur les réseaux sociaux ? N’est-il pas prévisible qu’au-delà de leur marque employeur, leur image globale puisse en souffrir ?

De même, comment peut-on penser qu’une crise (comme l’affaire Kerviel à la Société Générale ou les suicides des salariés chez Orange) n’aura pas de répercussion sur l’image et la marque « globales » de l’entreprise ? Seul les partisans les plus acharnés d’une gestion en silo de la marque (il en reste dans toutes les entreprises) pourront soutenir « que cela ne pose pas forcément de problème du point de vue de la marque employeur »…

C’est donc une conviction que je partage avec les auteurs du Management transversal de la marque : il est indispensable aujourd’hui de diffuser dans toute l’entreprise une culture partagée de la marque… et de la (re)penser comme un outil stratégique. Comme l’écrit Géraldine Michel : « une marque utile pour l’organisation n’est pas uniquement celle qui identifie et différencie l’offre sur le marché. C’est aussi celle qui permet de fédérer, de faire partager une même vision stratégique de l’entreprise, donc en interne. C’est d’ailleurs bien souvent la réflexion sur la marque qui initie et oriente la stratégie globale d’une organisation, en provoquant une interrogation sur des concepts fondamentaux tels que le métier, les valeurs, la mission ou les territoires de marque, qui orientent tout le développement de l’entreprise. »

Développer l’identité de marque de façon dynamique ; au-delà de la diffusion d’une simple « plateforme de marque », mettre en place une structure transversale de management (comme une « direction de la marque ») en support de tous les autres départements ; évaluer régulièrement le capital et l’apport de la marque non seulement sur les plans financier et concurrentiel, mais aussi du point de vue du capital-humain et de son apport pour les collaborateurs sont de premières pistes pour le déploiement de cette conception transversale et plus équilibrée de la marque.

Cela passe évidemment au départ par l’identification du « noyau central de la marque » et la formalisation de son territoire. Cela passe aussi, assurément, par l’implication de tous les acteurs de l’entreprise et la consolidation des actions à mettre en oeuvre par chacun pour animer et faire vivre cette marque. Promouvoir un véritable management des hommes par la marque (s’appuyer notamment sur des « champions de la marque » en interne) ;  mobiliser toutes les énergies dans l’objectif de faire des parties prenantes de l’entreprise de véritables « ambassadeurs de la marque » sont en effet des objectifs ambitieux… mais motivants pour tous !

A ces conditions seulement, on pourra bientôt parler « d’une vision globale, plus intégrée et transversale de la marque » qu’elle ne l’est aujourd’hui dans la plupart des organisations…

 

Pour en savoir plus :

* Management transversal de la marque – Editions Dunod, septembre 2013.

** Didier Pitelet, aujourd’hui Directeur général du groupe Moon’s Factory, revendique (à raison) le titre de créateur du concept de marque employeur. Il publia en effet dès la fin des années 90 les premiers ouvrages sur la question.

 

Crédit iconographique :

« Status quo » est une peinture à l’huile de Lily Stockman (merci à elle)

Les marques célèbres acquises par des groupes français…

Il y a quelques semaines, j’évoquais dans un article les exemples de 10 marques françaises qui ont été rachetées par des groupes étrangers. Certains lecteurs me firent alors remarquer que les entreprises françaises ne sont pas les dernières en matière de fusions-acquisitions internationales. C’est tout à fait vrai ! Grâce à nos fleurons nationaux dans les domaines du luxe, de la cosmétique, des spiritueux ou de la banque en particulier, nos grandes entreprises se retrouvent plus souvent dans le rôle du prédateur… que de la proie.

Ainsi, dans les 15 dernières années, un grand nombre de marques célèbres, voire « cultes » sont tombées dans l’escarcelle de nos champions nationaux. Cibles de prédilection des ces « emplettes » de grande envergure, de prestigieuses entreprises anglaises, belges, italiennes, mais aussi américaines ou suédoises… sont passées sous pavillon français. Universal Music Group, Absolut Vodka, Orange, Puma… sont régulièrement citées. Mais à ces grands noms s’ajoutent, dans presque tous les secteurs d’activité, des marques parfois moins connues, mais tout aussi fortes sur leurs marchés respectifs. On peut mentionner, ne serait-ce que ces deux dernières années : Invensys (fabricant britannique de systèmes de contrôle et d’automation – racheté pour 3,9 milliards d’euros par Schneider Electric) ; Loro Piana (marque de luxe italienne – rachetée pour 2 milliards d’euros par LVMH) ; International Power PLC (power utility britannique rachetée par GDF Suez pour la bagatelle de 25,8 milliards de dollars) ; EMI Music rachetée pour 1,4 milliard d’euros par Universal Music Group (filiale de Vivendi)…

Moins récentes, les acquisitions des marques de spiritueux Jameson, Clan Campbell, Chivas ou encore Beefeater (par Pernod Ricard), celles d’Electrabel par EDF ou du géant Blue Circle Industries PLV par Lafarge sont d’autres témoignages de la vitalité des grands groupes français… On pourrait d’ailleurs continuer longtemps car la liste est longue, en définitive. Un démenti cinglant  aux thèses des apôtres du « déclin français », toujours prompts à stigmatiser la vente d’une marque nationale à des groupes étrangers. Car dans ce registre, la France et les entreprises françaises sont loin d’être des oies blanches ;-)

MarquesCultes

%d blogueurs aiment cette page :