Les grandes marques horlogères entre déni, espoir et attentisme…

Alors que la révélation du design et des caractéristiques de « l’Apple watch » vient d’avoir lieu (et devrait encore alimenter le buzz durant les prochains jours), je me suis intéressé de mon côté à cette question : comment les grandes marques de l’horlogerie appréhendent la sortie de cette smartwatch Apple ?

Evidemment, nous n’avons pas encore toutes les réactions « à chaud » des dirigeants de l’industrie horlogère à la suite de la keynote de ce soir*, mais les premiers éléments de réponse donnés ces derniers mois par les patrons de ces grandes marques, suisses pour la plupart, pourraient se résumer ainsi : « il n’y a pas le feu au lac… »

Logique me direz-vous ? Un brin présomptueux, à mon avis… Sauf à considérer que, derrière le vernis du déni, des propos indifférents ou rassurants, les horlogers sont plus inquiets qu’ils ne le laissent paraître et qu’ils travaillent déjà sur une riposte anti-Apple watch ? Rien ne semble véritablement l’indiquer…

Beaucoup moins diplomate en tout cas que les horlogers helvètes, Apple a laissé entendre la semaine dernière, par la voie de son designer en chef Jony Ive, qu’après le lancement de sa smartwatch, l’industrie horlogère suisse « allait se retrouver dans la m_ _ _ _  » (=> voir l’article ici). Il faut dire qu’après avoir tenté de négocier en début d’année des partenariats commerciaux avec certaines de ces grandes marques suisses, Apple s’est vu opposer une fin de non recevoir. S’il n’y a pas encore le feu au lac, la mèche semble donc bel et bien allumée…

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Les patrons des grandes marques horlogères refusent le match… et ne veulent pas voir en Apple un concurrent…

Régulièrement interrogés au sujet des smartwatches sorties ces 3 dernières années, les dirigeants des marques de luxe horlogères ne se sont jamais cachés derrière leur petit doigt pour y répondre. Fondamentalement, la plupart d’entre eux ne voient pas encore l’intérêt de ce type de technologie pour leur industrie, ou alors vraiment « à la marge ». Sûrs de la supériorité de leurs produits, plus hauts de gamme, ils ont été parfois échaudés par le flop ou les ventes très moyennes de leurs propres montres connectées (comme Tissot). Et ils voient finalement d’un mauvais oeil la perte d’autonomie que représente l’indispensable connexion de la smartwatch à un ordinateur et au secteur (pour la recharger), tandis qu’ils plaident pour une montre « indépendante » (voir ci-dessous la vidéo à ce sujet) :

 

L’Apple Watch, malgré la promesse d’une technologie et d’une fiabilité supérieures aux modèles de smartwatches déjà existants, ne semble pas susciter des commentaires très différents. Refusant la « gadgétisation » de leurs propres modèles de montres, les grands horlogers voudraient en effet voir « l’électronique embarquée mise au service de la mécanique… et non pas le contraire » (Ricardo Guadalupe, P-DG de la marque Hublot).

Plus positif, le P-DG de Patek Philippe voit la problématique de manière plus ouverte. Il est convaincu que si les jeunes portent aujourd’hui des smartwatches, ils n’en seront que plus motivés pour avoir de « belles » montres dans le futur :

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En attendant une éventuelle confrontation avec la marque à la pomme, qu’ils ne voient décidément pas comme un concurrent du fait de la dissemblance de leurs produits, de la gamme de prix et de leurs cibles de clientèle, les dirigeants de l’horlogerie suisse demeurent rassurants et fair-play*. S’exprimant par exemple le 4 juillet dernier au sujet du départ de Patrick Pruniaux pour Apple, où il supervisera le lancement commercial de l’Apple watch, Jean-Claude Biver (LVMH) n’hésite pas à féliciter l’ex directeur commercial de Tag Heuer (voir ici la vidéo de son interview) :

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A priori pas rancuniers, les amis helvètes… Quoique : leurs réactions de ces deux derniers jours semblent moins policées*.

Alors, la smartwatch d’Apple est-elle concurrente des grandes marques horlogères, ou pas ?

A ce stade, difficile de l’affirmer : ce sont en effet les premiers mois de commercialisation de l’Apple Watch (début 2015) qui confirmeront si cette montre connectée peut réellement faire de l’ombre aux grandes marques horlogères. Du succès de cette smartwatch dépend en effet, au moins en partie, l’avenir de la catégorie et peut-être de l’horlogerie… Même s’il faut bien dire que la smartwatch dévoilée par Tim Cook ce mardi ne semble pas être aussi révolutionnaire que ce à quoi les fans de la marque à la pomme s’attendaient.

Cette relative sobriété dans le design et les technologies proposées sera-t’elle préjudiciable à Apple ? De fait, à l’occasion de chacun des grands lancements précédents, de l’Pod à l’iPad en passant par l’iPhone, Apple avait su créer la « rupture » en inventant quasiment à lui seul une nouvelle catégorie de produits. Tout les concurrents s’était alors empressés de copier l’innovation, tandis que les clients affluaient en masse.

Le scénario promet cette fois d’être différent. Si les caractéristiques et le prix de la montre connectée d’Apple entrent en ligne de compte, la communication et l’effet de bouche à oreille seront décisifs et suppléeront sans doute aux éventuelles lacunes de l’Apple watch en version 1. Mais les grandes marques horlogères peuvent se permettre d’espérer encore. En arguant du fait que leurs montres se rattachent au secteur du luxe (et du rêve) tandis que l’Apple watch s’annonce comme un joujou techno, dont « l’ADN luxe » (voire l’utilité ?) restent à prouver. Pas certain en effet que, pour les amateurs de belles montres, cette smartwatch soit « cool » au point d’être préférée à une de leurs marques horlogères fétiches.

Sur la base de ces éléments, c’est sans doute Nick Hayek, le P-DG de Swatch Group, qui propose les deux hypothèses les plus réalistes. Soit les clients achèteront les Apple watches par curiosité, en plus de leur montre de luxe (si ils en ont) ; soit elles redonneront aux jeunes l’envie de porter une montre à leur poignet (ce qui serait également une bonne nouvelle car le premier enjeu du marché est bien de rééquiper les jeunes).

Dans ces deux cas, les scenarii envisagés par les grandes marques horlogères ne remettraient pas en cause leur suprématie. Cela étant, je reste convaincu que l’Apple watch ne sera pas seulement une smartwatch de plus. Son succès commercial probable a toutes les chances de créer un déclic pour toute l’industrie. Espérons qu’il saura faire sortir les leaders du luxe de l’attentisme dans lequel ils semblent encore plongés.

 

* A la suite de la déclaration de Jony Ive (voir ci-dessus), les réactions des horlogers suisses se sont faites plus incisives cette fin de semaine (voir ici l’article à ce sujet), et l’Apple watch présentée mercredi ne trouve grâce auprès d’une minorité d’entre eux : « Aucun VIP ou CEO n’osera se rendre à un Conseil d’Administration avec un tel sapin de Noël au poignet » (Mathias Buttet, directeur technique de Hublot) ; « Cette montre sera obsolète d’ici 2 ans, à la vitesse à laquelle évoluent les technologies« … « Pour être honnête, on dirait qu’elle a été conçue par un étudiant de première année » (Jean-Claude Biver) ; « L’Apple Watch devra délivrer des avantages qui ne sont pas fournis par le téléphone, capables d’éclipser les inconvénients du manque d’autonomie et de fiabilité«  (Stéphane Linder, P-DG de Tag Heuer)

 

Sources :

« iWatch : ça va sentir mauvais en Suisse, d’après Jony Ive », Mickaël Bazoge – www.igen.fr, le 4 septembre 2014

« L’horlogerie suisse attaquée par le boss du design d’Apple », Sarah Bourquenoud – www.24heures.ch, le 4 septembre 2014

« Les montres connectées vues par les horlogers suisses », Arnaud Laurent – www.igen.fr, le 21 juillet 2014

« iWatch : Apple recrute dans l’industrie du luxe« , Clément Bohic – www.itespresso.fr, le 7 juillet 2014

« Les fabricants de montres suisses refusent les avances d’Apple », Nicolas Furno – www.igen.fr, le 28 mars 2014

 

Crédit photos : Hublot, Apple

LVMH, P&G, Orange… : ces holdings qui renforcent leur marque corporate

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Mardi dernier, j’évoquais la leçon de branding donnée récemment par François-Henri Pinault (voir ici). A l’issue d’un processus qui l’a fait passer du statut de conglomérat opérationnel et financier à celui de groupe spécialisé dans les domaines du luxe, du sport et du lifestyle, la holding PPR est ainsi devenue « Kering » le 18 juin 2013. Un nom hautement symbolique proposé par Havas Lifestyle et Dragon rouge, et qui pour mémoire renvoie à la fois au « Ker » breton (le foyer) et au « caring » anglais… Bref, il s’agissait à la fois de signifier le rôle de « maison des marques » de la holding, et de mettre en avant le soin particulier que le groupe entend justement porter aux différentes marques qui le composent et à ses parties prenantes (collaborateurs, partenaires, environnement…).

Mais Kering n’est pas la seule holding à avoir récemment amorcé un nouveau départ ou négocié un virage stratégique en matière de branding. LVMH, Procter & Gamble ou bien encore Orange ont elles aussi, pour des raisons différentes, choisi de capitaliser davantage sur leur marque corporate ces dernières années. Décryptage de ces opérations avec le BrandNewsBlog…

>> LVMH travaille sa réputation

On ignore encore à quelle date LVMH est susceptible de programmer la 3ème édition de ses « Journées particulières » *. Les deux premières éditions, en octobre 2011 et juin 2013, ont en tout cas été de grands succès. Au-delà des 120 000 visiteurs dénombrés l’an dernier, du million et demi de pages vues sur le site web de LVMH et des quelque 45 000 fans de la page Facebook dédiée, le groupe de Bernard Arnault a également bénéficié de retombées presse inespérées, dans les pages culture, sorties et art de vivre des magazines… Une véritable bouffée d’air pour un groupe plus habitué aux pages saumon du Figaro, régulièrement épinglé pour sa réputation de prédateur ou les déconvenues de son « riche contribuable » de Président.

C’est que, sortant d’une réserve quasiment inscrite dans les gênes du groupe, LVMH a résolument choisi d’investir dans sa marque corporate et d’améliorer, par la magie de ses marques icôniques, son image et sa réputation. Robert Zarader, Président de l’agence Equancy&Co résumait ainsi à l’époque le dilemme auxquelles les holdings de l’industrie du luxe sont confrontées : « toute la valeur de la marque mère réside dans la valeur des marques filles« . En même temps, impossible pour la holding de trop empiéter sur le territoire de ses marques filles ou de s’afficher comme caution, car dans le secteur du luxe (aussi bien chez LVMH que Kering d’ailleurs), chaque marque se doit d’apparaître comme unique et l’indépendance de chacune demeure un credo largement partagé.

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>> Procter & Gamble réassure et cautionne

Avec sa campagne à la fois corporate et promotionnelle multimarques de l’été 2013 (« L’innovation à votre service, essayez-les »), P&G  a joué, pour la première fois de son histoire, le rôle de marque ombrelle. Une véritable révolution pour ce grand groupe international, mais qui se justifie par deux facteurs : d’une part, l’opportunité de réaliser d’importantes économies d’échelle (qui peuvent rapidement se chiffrer à plusieurs dizaines de millions de dollars) ; et d’autre part la demande de transparence de la part des consommateurs.

Sur ce dernier point, pour Procter & Gamble comme pour LVMH ou Kering, il s’agit en effet de répondre à cette question de plus en plus pressante de la part des clients : savoir qui est « derrière » les marques que nous connaissons tous (NB : ce besoin est beaucoup moins fort pour les  e-brands que pour les marques traditionnelles : voir ici mon précédent article à ce sujet).

>> France Télécom passe à l’Orange

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Depuis le rachat d’Orange par France Télécom, la marque historique de notre opérateur national était peu à peu tombée en désuétude. Le dernier mouvement de cette évolution inéluctable a été l’adoption par la marque entreprise (France Télécom) du nom de sa marque commerciale (Orange) le 1er juillet 2013. Ce rebranding a mis un point final à l’épopée de notre service public national de télécommunications, pour laisser place à une holding résolument tournée vers l’international.

Là aussi, comme chez Procter, les enjeux stratégiques et de branding rejoignent l’intérêt financier, puisque la fin de la cohabitation des deux marques (corporate et commerciale), a évidemment été source d’importantes économies. Plus simple, plus homogène et moins coûteux, le rebranding opéré ne pouvait représenter que des avantages.

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Sources :

>> Article du Figaro sur les Journées particulières

>> Article : Ces holdings qui cherchent leur marque, 6 juin 2013 – Stratégies n°1726

>> Site de LVMH : www.lvmh.fr

>> Crédit hoto : LVMH, Orange

Les marques célèbres acquises par des groupes français…

Il y a quelques semaines, j’évoquais dans un article les exemples de 10 marques françaises qui ont été rachetées par des groupes étrangers. Certains lecteurs me firent alors remarquer que les entreprises françaises ne sont pas les dernières en matière de fusions-acquisitions internationales. C’est tout à fait vrai ! Grâce à nos fleurons nationaux dans les domaines du luxe, de la cosmétique, des spiritueux ou de la banque en particulier, nos grandes entreprises se retrouvent plus souvent dans le rôle du prédateur… que de la proie.

Ainsi, dans les 15 dernières années, un grand nombre de marques célèbres, voire « cultes » sont tombées dans l’escarcelle de nos champions nationaux. Cibles de prédilection des ces « emplettes » de grande envergure, de prestigieuses entreprises anglaises, belges, italiennes, mais aussi américaines ou suédoises… sont passées sous pavillon français. Universal Music Group, Absolut Vodka, Orange, Puma… sont régulièrement citées. Mais à ces grands noms s’ajoutent, dans presque tous les secteurs d’activité, des marques parfois moins connues, mais tout aussi fortes sur leurs marchés respectifs. On peut mentionner, ne serait-ce que ces deux dernières années : Invensys (fabricant britannique de systèmes de contrôle et d’automation – racheté pour 3,9 milliards d’euros par Schneider Electric) ; Loro Piana (marque de luxe italienne – rachetée pour 2 milliards d’euros par LVMH) ; International Power PLC (power utility britannique rachetée par GDF Suez pour la bagatelle de 25,8 milliards de dollars) ; EMI Music rachetée pour 1,4 milliard d’euros par Universal Music Group (filiale de Vivendi)…

Moins récentes, les acquisitions des marques de spiritueux Jameson, Clan Campbell, Chivas ou encore Beefeater (par Pernod Ricard), celles d’Electrabel par EDF ou du géant Blue Circle Industries PLV par Lafarge sont d’autres témoignages de la vitalité des grands groupes français… On pourrait d’ailleurs continuer longtemps car la liste est longue, en définitive. Un démenti cinglant  aux thèses des apôtres du « déclin français », toujours prompts à stigmatiser la vente d’une marque nationale à des groupes étrangers. Car dans ce registre, la France et les entreprises françaises sont loin d’être des oies blanches ;-)

MarquesCultes

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