#coupdebambou : la marque Twitter peut-elle réellement disparaître ?

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Marronnier ou serpent de mer ? Depuis des années, les rumeurs vont bon train concernant la célèbre plateforme de micro-blogging. Sa santé a toujours été fragile et ses performances financières demeurent globalement médiocres. Et malgré une année record en terme de rentrées publicitaires et en nombre d’annonceurs (le réseau social a revendiqué un chiffre d’affaires 2015 de 2,2 milliards de dollars et pas moins de 130 000 annonceurs actifs), les pertes s’accumulent et Twitter inquiète plus que jamais. Au point que le spectre d’une clôture du service et de la disparition d’un des 3 plus grands réseaux sociaux mondiaux ne représente plus véritablement un tabou. C’est même devenu un sujet de sarcasme pour certains internautes. Et plus sérieusement, une hypothèse dont les médias et les professionnels du digital se permettent d’envisager d’ores et déjà toutes les conséquences.

Illustration : la rédaction de Stratégies n’y est pas allée de main morte, la semaine dernière, en imaginant d’emblée « un monde sans tweets » et en consacrant une Une évènementielle et explicite à la possible disparition du petit oiseau bleu (voir ci-dessous).

Stratégies

Derrière ce « coup » éditorial et l’impact visuel de cette couverture réussie, force est de reconnaître, à la lecture de l’article d’Emmanuel Gavard¹, que le statut de symbole et d’icone 2.0 dont peut s’enorgueillir Twitter ne le protège hélas de rien. Pas même des gros revers de fortune.

Pour autant, la marque Twitter, dans ses composantes et tout ce qu’elle représente, peut-elle réellement disparaître ? Pour ma part, malgré les arguments avancés ici et là, je n’y crois guère. Et si l’oiseau devait perdre ses dernières plumes, je le vois rapidement renaître de ses cendres, tel le Phénix, tant l’influence et le storytelling de ce réseau en font une e-brand unique, au potentiel encore sous-exploité.

« Et l’oiseau bleu perdit ses plumes / Et les mendiants leurs Ave » ²

Il faut dire que jamais au grand jamais, de mémoire de Twittos, la situation et l’avenir de Twitter n’ont paru plus compromis qu’en ce début d’année 2016. Outre le fait que, depuis 2013, le réseau social a vu 80% de sa valeur financière partir en fumée, il n’a jamais gagné d’argent depuis sa création en mars 2006. Et les pertes au titre de l’année 2015 s’élevaient tout de même – excusez du peu – à 521 millions de dollars (!) Un gouffre aux yeux des observateurs et une preuve supplémentaire, s’il en fallait, des difficultés de la plateforme à trouver un modèle de rentabilité.

Or tout le monde est à peu près d’accord sur ce point, clairement exprimé dans l’article de Stratégies par le conseiller politique Gilles Boyer : malgré son utilité reconnue, quasiment d’intérêt général, « Twitter n’est pas un service public. Et son avenir dépendra bel et bien de sa viabilité économique ».

A ces difficultés financières se sont d’ailleurs ajoutés, dans les derniers mois, de sérieux problèmes de gouvernance et un certain nombre d’annonces malheureuses, qui ont eu le don d’agacer jusqu’aux utilisateurs les plus inconditionnels… Dernier soubresaut en date, le départ en janvier 2016 de quatre vice-présidents et du directeur de Vine (l’application vidéo rachetée en 2012), fait écho à la crise de gouvernance de l’été dernier, quand Twitter s’est retrouvé un moment sans P-DG suite à la démission de Dick Costolo, désavoué sur sa stratégie et ses résultats.

Côté décisions et annonces malheureuses, sans même parler de l’arrêt de l’API Twitter count en novembre dernier, dont je m’étais moi-même ému à l’époque (cette API permettait à tout éditeur de site ou de blog d’afficher au-dessus ou en dessous de chaque article le nombre de tweets et de retweets correspondants), les rumeurs concernant le changement d’un certain nombre de règles de la plateforme, dont la fameuse limite des 140 caractères pour un tweet, ont largement nourri le (bad) buzz en début d’année, que ce soit auprès des personnalités présentes sur le réseau ou bien de ses utilisateurs les plus inconditionnels…

Effets d’annonce, maladresses et autres ballons-sondes : l’art de se mettre ses utilisateurs à dos

Chacun de souvient, peut-être, du tweet désabusé de Bernard Pivot début janvier, à la simple évocation de la possible extension à 10 000 caractères de la longueur d’un tweet (voir ci-dessous).

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Les réactions des Twittos aux annonces récentes concernant notamment le bouleversement de l’ordre d’affichage des tweets, ne furent pas moins épidermiques… L’accumulation des inquiétudes et des rancoeurs allant même jusqu’à se cristalliser sous la forme d’un hashtag vengeur « #RIPTwitter », momentanément en tête des tendances affichées par le réseau social lui-même ! Une première plutôt inquiétante, pour un réseau plus habitué à ménager la susceptibilité de ses membres…

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Il faut dire, et cela a déjà été souligné à maintes reprises concernant Facebook notamment, que les utilisateurs des réseaux sociaux se montrent en général assez jaloux de leurs prérogatives. Et, bien davantage encore que dans leurs relations vis-à-vis d’autres types de marques, ils s’érigent volontiers en gardiens du temple de leurs plateformes favorites, réagissant promptement (et souvent vertement) au moindre changement.

Twitter ne fait pas exception, bien au contraire. Jusqu’ici très respectueux des remarques et des habitudes des Twittos, le réseau avait procédé à un minimum de changements (hors addition de nouvelles fonctionnalités) avant ces derniers mois. Mais, pressé de se réinventer et d’introduire des nouveautés susceptibles de booster son rendement publicitaire et ses revenus, il s’est depuis le retour de Jack Dorsey lancé dans une surenchère d’annonces pour la plupart mal reçues et mal interprétées.

Hélas pour ses dirigeants et le redressement de sa rentabilité, il se trouve que Twitter est sans aucun doute le réseau qui a su créer le plus de « dépendance rituelle », us et coutumes, au travers justement de son corpus de règles et de codes, parfois difficiles à assimiler, et qui rebutent souvent les néophytes. Innover et se réinventer sans pour autant toucher à ce fameux corpus de règles et de codes relève donc, pour les dirigeants de la plateforme, de la gageure ou de l’exercice d’équilibriste.

Un réseau social tout sauf irremplaçable ?

A en croire la plupart des experts interrogés dans le cadre de son enquête par Emmanuel Gavard, une disparition soudaine de Twitter n’aurait pas forcément les conséquences catastrophiques qu’on imagine, d’un point de vue économique et publicitaire notamment.

Et pour commencer, le magazine Stratégies de rappeler récemment les audiences mensuelles de Twitter, pas folichonnes par comparaison aux autres grandes marques médias digitales… Ainsi, tandis que Facebook pouvait s’enorgueillir, à fin décembre 2015, d’être la 2ème marque digitale française juste derrière Google (avec près de 26 millions de visiteurs unique par mois et 7,9 millions de visiteurs par jour), You Tube pouvait se targuer quant à lui de recevoir 22,5 millions de visiteurs uniques par mois et 3,9 millions par jour. Twitter, pour sa part, ne pointait qu’en 47ème position des marques médias digitales en France (avec 6,3 millions de visiteurs uniques par mois et seulement 698 000 par jour), derrière des sites comme celui de 20 minutes, de l’Obs ou de Télé Loisirs (voir le tableau ci-dessous).

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En nombre d’abonnés dans le monde, on sait que Twitter ne progresse plus vraiment et demeure très loin de Facebook et son milliard d’abonnés, avec 320 millions d’utilisateurs dont 7 millions en France, et moitié moins d’actifs. Et si la disparition de Twitter devait intervenir, elle représenterait certes « un choc pour la planète digitale » et pour la communauté des Twittos les plus dynamiques selon Julien Féré, directeur de la stratégie chez KR Media, mais ce ne serait pas la fin du monde pour les investisseurs.

Et tandis que « Facebook a su devenir un média de masse digitalisé, en intégrant notamment la vidéo » d’après Nicolas Lévy, directeur du planning stratégique chez Marcel, Twitter n’a pas du tout la reconnaissance d’un grand média publicitaire et ne pèse pas grand chose dans les plans médias des agences et des entreprises, même si la plateforme argue de la qualité de son ciblage et de son audience CSP+.

D’ailleur, dixit Julien Féré toujours, « en terme de retour sur investissement », la majorité des annonceurs se rendent désormais compte qu’ils préfèrent viser plus large et avoir de la déperdition », privilégiant ainsi le volume et le ROI, comme pour les médias classiques, plutôt que de rechercher un ciblage pointu… Et cela ne plaide pas en faveur de Twitter, bien au contraire.

« Pour la diffusion et l’audience, la disparition de Twitter ne serait pas tellement un enjeu », résume d’ailleurs le journaliste Samuel Laurent, du Mondecar « Twitter n’a jamais été une ‘machine à clics’, comme peut l’être Facebook »

De plus en plus considéré comme un « reader » personnel par ses abonnés, notamment les journalistes, dont beaucoup l’utilisent finalement comme un fil d’agence de presse, Twitter est certes imbattable pour gérer l’instantanéité, d’après tous les experts. Son influence dans la vie politique et démocratique n’est également plus à prouver, après les révolutions arabes et les nombreux évènements importants dans le cadre desquels Twitter a joué un véritable rôle, en contribuant à la propagation des idées et des informations.

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Véritable « baromètre du web », Twitter est aussi « la colonne vertébrale de toute l’influence social media », selon Thierry Herrant, Directeur général du Pôle Image et contenus chez Publicis consultants. De par son exhaustivité, sa neutralité, sa concision et son extrême viralité, la plateforme est devenue le passage obligé de tout buzz qui se respecte. « Un buzz commence sur Reddit, mais doit être adoubé par Twitter avant d’atteindre les autres plateformes », confirme Nicolas Lévy. Une influence inégalée que j’ai pu moi même constater à maintes reprises, à chaque publication d’un billet sur le BrandNewsBlog notamment, la propagation des contenus se faisant quasi en temps réel via Twitter, tandis qu’elle intervenait avec un léger temps de décalage sur Facebook, puis sur Linkedin.

Et si, en termes d’interaction avec les consommateurs, les experts interrogés par Emmanuel Gavard soutiennent que les marques pourraient en définitive se passer de Twitter, il est un autre champ dans lequel la plateforme s’avère a priori irremplaçable : la veille et la remontée des insights consommateurs les plus qualitatifs. Dans ces deux domaines, les Twittos, comme les instituts d’étude et les marques auraient sans doute beaucoup à perdre si l’oiseau bleu disparaissait…

Une e-brand unique, à l’influence et au storytelling consubstantiels au web

Je le disais en introduction et je le répète en cette fin d’inventaire : non, je ne crois pas à la disparition de Twitter. Et s’il advenait que l’oiseau bleu soit malgré tout descendu en plein vol, du fait de mauvais résultats financiers, je crois sincèrement à l’avenir de la marque et à sa renaissance, que ce soit sous la coupe d’un autre géant du web ou sous une autre forme.

En somme, pour parodier un slogan bien connu : « si Twitter n’existait plus, il faudrait le réinventer ». Et je crois le scénario tout à fait plausible, si tant est que Jack Dorsey et son équipe n’arrivent pas d’eux-mêmes à redresser la barre. Il faut en effet se souvenir en particulier de ce qu’il est advenu de You Tube, après son rachat par Google. Tandis que la plateforme agonisait, peinant à générer des revenus substantiels, son ingestion réussie par le moteur de recherche l’a clairement sauvée… et largement valorisée.

Pour Twitter, son identité de marque et son « ADN » sont très liés au corpus de codes et de règles assez strictes que j’évoquais précédemment et qui dès l’origine en ont paradoxalement assuré le succès. C’est en effet en suivant patiemment une sorte de chemin initiatique que le néophyte/profane accède à la compréhension des rites de la Twittosphère et à la révélation du fonctionnement et des possibilités infinies de Twitter, une plateforme « VIP » dont les early adopters furent d’abord des journalistes, politiques et autres influenceurs, qui ont été les premiers à s’en approprier les codes et ne l’ont jamais quittée depuis.

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Entrés dans le dictionnaire en 2012, cela n’est pas un hasard si les mots « tweets » et « hashthag » font aujourd’hui autant partie de notre quotidien, de même que le verbe « tweeter », qu’on pourrait définir strictement comme le fait de rédiger et publier sur le réseau des messages courts de 140 caractères… Aucun autre réseau social ne peut se targuer d’avoir donné naissance à des mots ou verbes d’usage aussi courant : d’ailleurs on ne « facebooke » pas, à ma connaissance, de même qu’on ne « youtube » et on ne « snaptchate » pas non plus (en tout cas pas encore…).

Au-delà de ces caractéristiques tout sauf anecdotiques et qui font partie intégrante de la marque Twitter, celle-ci s’est aussi construite sur la base d’un storytelling déjà très riche, qui épouse tout simplement l’histoire de la décennie écoulée… Révolution numérique, transformation des usages et pratiques de consommation média, Twitter est surtout devenu un symbole de liberté au moment des printemps arabes, mais aussi le symbole d’une horizontalité médiatique qui permet à chacun d’accéder à l’information en temps réel, en même temps voire avant les agences de presse. Cette culture de l’instantanéité et de la transparence, qu’on ne cesse de décrire en parlant du bouleversement des usages introduits par le numérique, doit beaucoup (voire tout) à Twitter.

On le voit, et l’on pourrait en dire encore beaucoup au sujet de cette e-brand pas comme les autres : Twitter a des atouts et une universalité qui permettent d’envisager tous les développements… Il faudrait en convaincre en premier lieu ses utilisateurs, pour qu’ils acceptent de passer du statut de « gardiens du temple » à celui d’ambassadeur d’une marque social media à nouveau rupturiste et innovante…

 

 

Notes et légendes :

(1) L’enquête de Stratégies : « Et si Twitter disparaissait ? », par Emmanuel Gavard – n°1847 – 18/02/2016

(2) Poème « La Tzigane » de Guillaume Apollinaire – paru dans son recueil Alcools en 1913.

 

Crédits photos : 123RF, Magazine Stratégies, The BrandNewsBlog

 

Les community managers, futurs dircoms ?

Les community managers, futurs dircoms ? via le BrandNewsBlog

Avec cette question aguicheuse, j’en connais qui vont me reprocher de sombrer dans la retape… Qu’importe, j’assume ;-) Le métier de CM a beau n’être plus si jeune, avoir été supplanté sous les projecteurs par d’autres disciplines digitales et faire l’objet de critiques récurrentes (voir ici par exemple), il n’en reste pas moins central dans l’écosystème 2.0, à la croisée des chemins entre les organisations et leurs publics.

Voilà pourquoi je reste confiant dans l’avenir du community management et pourquoi je continue de prédire, comme d’autres avant moi, une belle progression dans les organigrammes pour les community managers.

Au point d’endosser un jour le costume de dircom’ par exemple ? Pourquoi pas… Si tant est que la fonction de directeur/trice communication existe encore (sous ce nom ou un autre), il me semble que les CM en ont déjà la vision transversale et qu’ils en posséderont, s’ils les cultivent, les principales qualités. A condition bien sûr qu’on leur laisse leur chance…

La preuve par quatre :

1 – Les CM occupent une fonction stratégique et transversale, à la croisée des publics et des disciplines

Certes, comme l’évoque cet article du site Webmarketing&Com’, il y aura toujours des décideurs pour considérer le community management, du fait de la jeunesse de la discipline, comme ce « petit homme qu’on regarde avec un oeil circonspect au mieux, craintif ou méprisant au pire ». Il y aura aussi ceux qui réduiront éternellement et strictement le rôle des CM à ces deux missions premières : 1) écouter les remarques, questions ou suggestions de sa / ses communautés 2) échanger avec son/ses publics sur les bases de cette veille…

Au sein d’une fraction non négligeable d’entreprises et chez certaines agences, on laisse volontiers les community managers se débrouiller par eux-mêmes et gérer leurs communautés avec quelques bouts de ficelle. Dans ces mêmes organisations en général, on veille aussi à ce que le/les CM n’aient pas accès aux sphères décisionnelles et on les prive hélas de facto des ressources leur permettant de répondre intelligemment aux sollicitations.

Pourtant, leur mission est bel et bien capitale. Comme le rappelait en début d’année Christophe Ginisty* « nous savons depuis les années 70 et l’invention de la théorie de la pyramide inversée que la personne la plus importante d’une organisation est celle qui est au contact direct du public. A ce titre, la fonction de community management devrait être placée à un niveau absolument stratégique ».

Symptomatique d’une valorisation progressive du métier, on constate tout de même dans un nombre croissant d’organisations une réelle prise de conscience du pouvoir et des responsabilités des CM, dont les missions sont mieux comprises par leurs supérieurs hiérarchiques, comme en témoigne l’édition 2014 de l’étude « Les Community managers en France« . A la question « Estimez-vous que votre rôle est mieux compris dans votre entreprise depuis 1 an ? », 75% des CM interrogés ont répondu affirmativement. De même, ils indiquent être davantage intégrés dans les projets des équipes (communication en général) au sein desquelles ils sont intégrés et travaillent de plus en plus fréquemment avec les différents interlocuteurs de l’entreprise sur des stratégies et des campagnes transmedia ou crossmedia, intégrant les médias et réseaux sociaux.

2 – Les CM managent de la complexité… et sont les rois du système D

Au contact quotidien de la plupart des experts de leur entreprise/organisation, dont ils assurent en quelque sorte l’interface avec leurs communautés, les community managers sont souvent contraints de gérer un niveau élevé de complexité… et de tracer leur chemin dans des organisations mouvantes. La maîtrise des réseaux et médias sociaux étant encore ce qu’elle est au sein des organisations, les modes de fonctionnement et circuits de validation par exemple peuvent s’avérer lourds. Aussi paradoxal que cela puisse paraître au regard des contraintes d’interactivité propres aux différentes plateformes, plus de la moitié des CM disent devoir faire valider régulièrement ou systématiquement leurs messages avant publication, par exemple.

En général seuls sur leur fonction (dans 73% des entreprises, qui sont majoritairement des TPE et des PME) et encore, rarement dédié à plein-temps à cette mission, les Community managers sont par nécessité des rois du système D. Concepteurs et rédacteurs de leurs messages + photographes, maquettistes et développeurs pour les besoins de leurs publications, leur polyvalence n’est en général plus à prouver. S’appuyant occasionnellement sur des ressources internes (quand il y en a) ou des agences, ils doivent le plus souvent faire seuls, à la bonne école de la débrouille… Quand à la gestion de leur temps de travail, nécessités de la veille et la conversation obligent, les CM demeurent par définition atypiques. Hyper-connectés, ils sont 84% à travailler au moins occasionnellement le week-end, le soir ou les jours fériés. Et ce, quelle que soit la nature de l’organisation et de l’activité (publique, parapublique ou privée, industrielle ou de service…). En ce sens, il sont bien aux avant-postes des « relations publics ».

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3 – Les CM sont des traducteurs universels

Animateurs, développeurs et défricheurs de communautés, les CM tissent tous les jours la relation de leur entreprise/organisation avec ses parties prenantes. Premiers ambassadeurs de la marque sur le web, ils sont à la fois vigies, « traducteurs universels » et porte-parole de celle-ci, garants de son image et de sa réputation. Un terrain naturellement très exposé (et glissant), sur lequel leur légitimité est souvent contestée et concurrencée, soit en interne par de nouveaux spécialistes (comme les « community managers stratégiques » par exemple – joli pléonasme -), soit par des compétences externes dans les domaines des RP ou de la com’ de crise par exemple… Mais, pour pertinents et complémentaires que soient ces autres experts, les CM sont loin d’avoir perdu la main. Car qui, quotidiennement au contact des différentes communautés, peut se targuer d’en connaître idéalement les (évolutifs) besoins ?

Dans cette mission à tiroirs, le plus souvent pratiquée avec sérieux, contrairement à ce que laisse entendre l’article de Webmarketing&Com’ (même s’il existe toujours des « divas »), les CM ont la délicate mission de traduire les différents jargons de l’entreprise (commercial, corporate, marque employeur…) en messages directement intelligibles par leurs audiences. Et cela réclame bien des talents. A commencer par celui de la diplomatie, en interne, quand il s’agit de convaincre des opérationnels parfois « revêches » de livrer une information réactive et exploitable pour répondre à la question d’un follower ou d’un fan, pour ne citer que cet exemple…

4 – Les CM aussi sont des « idiots (très) utiles »

C’est Christophe Lachnitt qui l’affirme** et j’avoue que j’affectionne sa définition, un brin provocatrice : les dircoms sont des « idiots utiles ». Car leur talent principal et leur force résident d’abord dans la gestion de l’ignorance… Confrontés en permanence à des experts, ils doivent comprendre leur spécialité, la digérer, « puis la délivrer en messages convaincants à des audiences aux niveaux de compréhension et aux intérêts très différents ». Or c’est précisément de cette ignorance première et du recul auquel elle les autorise que les communicants tirent cette empathie qui leur permet de concevoir une communication efficace… Là où le spécialiste se focalise sur son domaine d’expertise et ne s’adresse qu’à d’autres spécialistes, le communicant s’illustre d’emblée par la prise en compte de l’altérité de son/ses audience(s).

En ce sens, les community managers s’inscrivent totalement dans la mission des communicants et dans celle des dircoms en particulier, dans la mesure où ils sont confrontés, via les réseaux et les médias sociaux, à la plus grande diversité de publics que l’entreprise/l’organisation puisse rencontrer. Il leur appartient donc de faire oeuvre de pédagogie et d’ouverture d’esprit, en commençant par assimiler avec empathie les savoirs et langages internes que j’évoquais ci-dessus. Une mission précieuse, pour qui la mène avec sérieux et un minimum de recul. En ce sens et pour bien des CM que je connais, je trouve que le contrat est plutôt bien rempli…

 

Community managers, la bonne école…

Qu’on ne se méprenne pas, mon propos (certes plutôt flatteur jusqu’ici) n’est pas de faire coûte que coûte l’apologie des community managers, ni de passer sous silence les déviances du métier, les progrès à accomplir ou les obstacles à surmonter… En fonction de leur parcours et de leur maturité, les CM ont souvent beaucoup (voire tout) à apprendre de collègues ou de consultants experts, en matière de « relations publics » ou en gestion de crise, en particulier.

Cela étant, leur position et leurs missions aidant… ils apprennent vite ! Leur vision transversale et leurs atouts opérationnels les prédisposent à évoluer, en fonction de l’organisation bien évidemment et à condition qu’on leur en donne la chance, encore une fois. De ce point de vue, la principale barrière est souvent liée à la culture et au degré de maturité digitale des entreprises et de leurs dirigeants, qui ont parfois du mal à imaginer le CM dans d’autres fonctions.

Malgré ces difficultés, je ne cesse de vanter la fonction aux jeunes diplômés que je côtoie. Même si j’ai écrit précédemment (voir ici « Les 10 tartes à la crèmes des gourous du digital et des médias sociaux« ) qu’ils n’étaient pas obligatoirement les mieux placés pour remplir la mission, du fait même de son importance et sa complexité, force est de constater qu’elle reste pour les apprentis communicants une des voies d’accès les moins bouchées vers l’emploi (voir dessin ci dessous). Et les jeunes dip’, comme les autres, ont tout à gagner à mettre en avant leur connaissance des réseaux et médias sociaux pour décrocher ce type de job, polyvalent et formateur.

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Sources et notes :

* « Pourquoi le métier des RP risque de disparaître« , Christophe Ginisty – 2 février 2014

** « Dircom = idiot utile« , Christophe Lachnitt, Superception – 29 mars 2011

« Etude : les community managers en France, édition 2014«  (présentation via Slideshare des résultats de l’enquête de référence réalisée chaque année par Régions Job et le Blog du modérateur)

« Comment le community management est devenu un jouet médiatique« , Webmarketing&Com’ – 3 mars 2014

« Les 10 tartes à la crème des gourous du digital et des médias sociaux« , Le BrandNewsBlog

 

Iconographie : 

Photos : X, DR, 123RF – Illustration : Diego Aranega

 

Six bonnes raisons de croire en la communication… et de ne pas désespérer des communicants

Souvent brocardés pour leur vacuité, ou pour le pouvoir d’influence et de manipulation qu’on leur prête, les communicants souffrent d’une mauvaise image auprès du grand public. Et la communication reste souvent perçue comme un exercice « cosmétique », au mieux, quand on ne l’accuse pas de servir à cacher ou à travestir la réalité.

Pourtant, les auteurs auxquels je me réfère dans cet article* en sont convaincus : les pratiques les plus décriées vont nécessairement disparaître et de nouveaux comportements communiquants voient déjà le jour. La multiplication des contraintes, ajoutée à l’essor des nouveaux médias et modes de communication, favorisent l’émergence de profils professionnels moins formatés… Des responsables et dircoms « 2.0 » à la fois plus curieux, plus vigilants et réellement soucieux d’engager leur entreprise dans une relation revisitée avec leurs différents publics.

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Vous êtes sceptique ? Voici ci-dessous la preuve par 6 de cette évolution inéluctable… et en filigrane, un portrait-robot de cette nouvelle typologie de dircoms et de communicants:

1 – Les vieilles recettes de la communication descendante ne fonctionnent plus… 

Tout le monde (ou presque) est d’accord sur ce point : c’en est fini de la com’ de papa. Le « bon vieux temps » où il suffisait de passer un spot de 30 secondes à une heure de forte audience et de s’assurer de la parution de quelques articles favorables pour réussir une annonce ou un lancement de produit est révolu. Il y a encore quelques années, un bon directeur de la communication était d’ailleurs recruté pour sa connaissance des médias et de la presse, mais aussi (et surtout) pour son réseau et son entregent. Il lui fallait gagner la confiance de ses dirigeants en les conseillant sur leur image et sur celle de l’entreprise. Hommes et femmes d’influence, volontiers « gourous » à leurs heures, les dircoms veillaient principalement à la cohérence des messages et au respect de plateformes de marque plus ou moins gravées dans le marbre… Cet « âge d’or » de la publicité et de la communication de masse appartient au passé. Du fait de l’essor des réseaux sociaux surtout, et des nouvelles attentes des parties prenantes, les entreprises et services com’ sont sommés de changer leur « disque dur communiquant ».

2 – Les médias sociaux et le digital bouleversent les pratiques et ouvrent de nouvelles perpectives

Dans son dernier ouvrage Managers, parlez numérique, Olivier Cimelière résume ainsi les 6 bouleversements de paradigme survenus ces dernières années : fin du destinataire passif et émergence du conso-acteur ; « délinéarisation » de l’information et connectivité permanente ; exigence de transparence ; passage d’une information rare et contrôlée à l’infobésité ; attentes collaboratives accrues ; remise en question des relations verticales au profit d’échanges entre pairs… Le changement de décor est brutal et l’émergence des nouveaux médias y est en effet pour beaucoup. Les communicants sont priés de se défaire de leurs certitudes pour se connecter (en temps quasi-réel) avec leurs publics. D’autant que le risque réputationnel est partout désormais, puisque chacun, qu’il soit consommateur, salarié, syndicaliste, politicien, militant associatif ou simple spectateur peut aujourd’hui avoir un avis sur l’entreprise et ses orientations… et le faire connaître.

3 – Plus ouverts sur l’extérieur, les communicants sont aussi plus « complets »

Finie l’époque des tours d’ivoire et des plans de communication élaborés « en chambre ». Non seulement les entreprises sont placées dans un contexte d’interactions permanentes avec leurs parties prenantes, mais leur ouverture internationale croissante requiert de savoir adapter les messages et les conversations à des récepteurs très différents. « Tout enjeu d’image obéit aujourd’hui à une mise en perspective multiculturelle » confirme Florence Danton, responsable pédagogique de l’Ecole de la Communication de Sciences-Po. Plus ouverts sur le monde, les communicants sont aussi plus complets et polyvalents. Il leur est notamment demandé de maîtriser le fonctionnement des domaines clés de l’entreprise : juridique, management et surtout finances, dans le cadre d’une communication financière toujours plus importante. Sans oublier le digital bien sûr, qui irrigue toutes les activités de l’entreprise : experts en médias et en nouveaux canaux de diffusion, les communicants 2.0 sont par définition techno-compatibles.

4 – A la fois pilotes et vigies : le rôle des dircoms se complexifie (et gagne en pertinence)

Dans leur missions spécifiques, les directeurs de la communication sont au premier rang de ces mutations. A la fois pilotes et vigies, stratèges et démineurs, ils ont la charge de coordonner les actions et les équipes com’ de l’entreprise dans des domaines de plus en plus variés (production et diffusion de contenus, promotion de l’image, animation de communautés, réenchantement des marques…) et celle de gérer les risques et de garantir l’e-réputation de l’entreprise. A l’écoute des signaux faibles, ils/elles peuvent se transformer en urgentistes quand une crise survient. Plus « visibles et vulnérables » que par le passé, comme le démontre Caroline Castets dans son excellent article de décembre 2012, ils/elles doivent non seulement apprendre à composer avec les incertitudes de leur environnement et abandonner toute velléité de contrôle, mais aussi s’efforcer de créer du sens et du lien, notamment grâce à des contenus de marque appropriés… Bref, la cabine de pilotage du dircom’ s’est singulièrement complexifiée…

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5 – La communication de demain sera plus utile, honnête et empathique… ou ne sera pas

Ce sont les résultats 2013 du Trust Barometer de l’agence Edelman qui nous l’enseignent… Dans un contexte de défiance accrue envers les acteurs institutionnels (entreprises, gouvernements, médias et ONG), l’opinion publique est prête à renouer avec les organisations qui sauront répondre concrètement à leurs attentes. Parmi les plus fortement exprimées : le fait de proposer des produits et services de qualité, de tenir compte des besoins et remarques, de respecter davantage les collaborateurs et de « faire passer les clients avant les profits ». L’adoption par les entreprises de comportements plus éthiques et responsables et le recours à une communication plus « fréquente, explicative et honnête » sont également cités par une majorité de répondants… Pour répondre à ces différents défis, et communiquer de manière plus efficace et pédagogique, les experts com’ et leurs dirigeants doivent remplir 3 conditions préalables d’après Olivier Cimelière : 1/ se (re)mettre dans une position d’écoute active (ce qui va bien au-delà des enquête de satisfaction) ; 2/ via les réseaux sociaux notamment et toutes les opportunités du digital, être capables d’engager durablement un véritable dialogue (et non une conversation asymétrique) avec leurs différents publics ; 3/ proposer des contenus plus utiles et qualitatifs et « passer d’un storytelling de conviction à un storytelling de coopération ».

6 – Communiquer au sens de « mettre en commun », c’est possible

Pour se débarrasser des vieilles habitudes et saisir toutes les opportunités de la révolution digitale, pour instaurer une communication plus empathique et équilibrée avec les parties prenantes et revenir, en définitive, à l’origine étymologique du mot communiquer (= mettre en commun), les principaux obstacles ne sont pas forcément matériels. Ils sont d’abord dans certaines têtes. Dans beaucoup d’entreprises, la fameuse conversion numérique a été amorcée, avec le recrutement de compétences dédiées qui ont notamment rejoint les services communication : community managers, reputation managers… Les équipes en place ont aussi été formées, dans bien des cas, à la nouvelle donne digitale. Mais quand « blocage » il y a, c’est souvent la montée en puissance de ces nouvelles compétences au sein des organisations qui pose problème… Comme le soulignait par exemple Christophe Ginisty dans un article tout récent que je recommande (Pourquoi le métier des RP risque de disparaître), les principaux freins à une évolution des RP sont bien des conservatismes. A savoir, en premier lieu : « l’immense conservatisme du couple annonceur-agence composé de deux éléments qui plaident pour que rien ne bouge trop vite » et par ailleurs (outre la médiocre maîtrise des big data), le « peu de crédit accordé au Community Manager » au sein des entreprises, en dépit de la dimension stratégique de ses missions…

On le voit, pour que la communication évolue dans le bon sens, il manque assez peu de choses en définitive. Et c’est sans doute de l’impulsion et la volonté d’avancer des acteurs eux-mêmes que viendra le salut.

 

* Pour aller plus loin :

> Caroline Castets : Les nouveaux dircoms – Le pouvoir d’influence demeure, la dimensions stratégique s’impose (article du nouvel Economiste.fr du 5 décembre 2012)

> Emmanuel Bloch : Communication de crise et médias sociaux (Editions Dunod – Janvier 2012)

> Olivier Cimelière : Managers, Parlez numérique… et boostez votre communication ! (Editions Kawa, octobre 2013)

> Christophe Ginisty : Pourquoi le métier des RP risque de disparaître, 2 février 2014 (sur http://www.ginisty.com)

(Crédit photos : ondixièmes / X, DR)

La « creative newsroom », doux rêve ou réel défi pour les marques et les dircoms ?

Il y a quelques semaines, le magazine Stratégies offrait une tribune à Dimitri Granger et Rémi Barra, respectivement managing director et consultant senior chez Publicis Consultants Net Intelligenz.

L’occasion pour ces professionnels du digital de revenir sur quelques concepts qui font le buzz, comme le real time content management ou la creative newsroom et les nouveaux défis qui se posent aux marques.

TheBrandNewsBlog ne pouvait passer à côté de tels sujets, qui recouvrent en filigrane toutes les problématiques d’intégration de compétences et de réorganisation des entreprises pour répondre à la nouvelle donne digitale…

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La creative newsroom, un « doux rêve » de consultant ?

Présentée comme la solution à tous les maux par certains, la creative newsroom correspond à un nouveau mode de production de contenus et de diffusion de l’information. Calquée sur le fonctionnement des médias d’information, cette structure sans silo ni partage de territoire réuni(rai)t en une seule équipe les compétences marketing, retail, corporate, voire le service client des entreprises… Des experts du content marketing «déterminés à engager la conversation avec les audiences de la marque , à adapter les messages selon l’actualité, et à réagir en temps réel »… « n’ayant pour seul but que de créer de la valeur et du business ».

Bref : le « hub ultime du contenu de marque» fédérant une large palette de compétences éditoriales et techniques… Or cet idéal paraît bien éloigné du fonctionnement actuel de la plupart des entreprises, comme le reconnaissent eux-mêmes Dimitri Granger et Rémi Barra.

Derrière les anglicismes et les concepts à la mode, de vrais défis

Pourtant,  le modèle de la newsroom a le mérite de soulever de vraies questions.

Aujourd’hui, la complexité du digital impose en effet la collaboration d’hyper-experts qui travaillent tous sur le contenu de marque. Mais au sein de ces équipes relativement dispersées, qui aujourd’hui est le garant d’une ligne éditoriale cohérente ? Qui défend et représente in fine les valeurs de la marque ?

Si demain le hub devenait réalité, il faudrait déterminer en premier lieu qui est le plus qualifié pour en prendre la tête, et avec quelle organisation. Faudrait-il fusionner des départements existants (et toutes leurs compétences) ou bien rassembler en une structure autonome les profils digitaux de l’entreprise ?…

On le devine : au vu des nombreuses interrogations que soulève la création d’une telle plate-forme, un grand chantier de (ré)organisation et de management paraît prioritaire. Or la plupart des entreprises n’y sont pas encore prêtes.

Le directeur de la communication, nouveau « rédacteur en chef » de la marque ?

Pour Dimitri Granger et Rémi Barra, le « rédacteur en chef  » de la marque ne peut être qu’une personne en prise directe avec les dirigeants et la stratégie de l’entreprise. Une seule tête qui dépasse, donc, chargée d’incarner, organiser et assurer la cohérence de la creative newsroom. De par ses missions et sa vision transversales, le dircom’ semble le mieux équipé pour se charger de ce pilotage… Pas question, pour autant, de se lancer dans une telle réorganisation sans un soutien ferme du top management, car il s’agit tout autant de faire du business que de la communication, en définitive.

Pour les annonceurs qui oseront s’engager dans de telles réflexions, les obstacles seront peut-être légion. Mais des gains substantiels sont sans doute à la clé : une meilleure réponse aux attentes, des contenus plus ciblés, pertinents et cohérents, délivrés en temps quasi-réel par une structure agile et moins consommatrice de ressources… Bref, le rêve de tout dirigeant en somme ? Voilà sans doute pourquoi les partisans de la creative newsroom restent optimistes. Nous verrons quel sort l’avenir réserve à cette belle idée.

Crédit photo : CC. 123 RF

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