L’incroyable succès de Lego, la petite brique devenue culte… puis culturelle

J’évoquais il y a quelques semaines l’intérêt pour les marques de soigner leur dimension culturelle. De fait, peu d’entre elles peuvent se vanter d’avoir su développer cette dimension autant que Lego. Sa petite brique, conçue il y a 56 ans par Ole Kirk Christiansen, a fait le tour du monde. Il s’en est vendu des milliards d’exemplaires, de même qu’il s’écoule chaque année 122 millions d’unités de ses différents modèles de figurines. Et la sous-culture Lego, ainsi que sa communauté de fans, sont d’une richesse et d’une vitalité incroyables, comme le démontrent John Baichtal et Joe Meno dans leur excellent ouvrage, Culture LEGO*.

A l’heure où la Grande Aventure Lego fait un carton au cinéma (voir la critique plutôt élogieuse qu’en fait ici Robert Hospyan), le BrandNewsBlog ne pouvait manquer de revenir sur les secrets de réussite de la marque de jouet la plus célèbre du monde…

Une seule devise : « Seul le meilleur est assez bon »

Parmi les monographies consacrées aux marques, le beau livre de Baichtal et Meno se détache incontestablement du lot. Richement illustré et très exhaustif, cet ouvrage « non officiel, ni soutenu ni agréé par le groupe Lego », a été conçu par ces véritables fans de la marque dans le but de faire découvrir toutes les facettes de l’univers et de la culture Lego. J’y ai beaucoup appris sur la marque danoise, sur ses atouts et les raisons qui la poussent sans cesse à innover. La première d’entre elles est que les brevets déposés à l’origine par Lego, concernant les fameuses briques en particulier, ont depuis longtemps expiré. La contrefaçon, et les marques concurrentes telles que Mega Blocks par exemple, ont toujours misé sur des copies des produits Légo, moins robustes et qualitatives que leur modèle, mais sensiblement moins chères.

Il faut dire que les dirigeants de Lego ont toujours été obsédés par la simplicité et la qualité de leurs produits et n’ont jamais accepté de transiger sur ces points, même dans les périodes les plus difficiles. Extrêmement robustes et faciles à assembler, les célèbres briques gardent par exemple leur couleur d’origine pendant des décennies (les fans savent qu’il suffit de les passer au lave-vaisselle pour leur redonner instantanément tout leur éclat). Dès 1963, Godtfred Kirk Christiansen, fils du fondateur de la marque, décrivait ainsi les 10 points fort de ses produits : Un potentiel de jeu illimité / Pour les filles et les garçons / Amusant à tout âge / Un jeu qui se joue d’un bout à l’autre de l’année / Un jeu calme et sain / De longues heures de jeu / Développement, imagination, créativité / Un jeu dont la valeur grandit avec le nombre de pièces à disposition / Des boîtes supplémentaires toujours disponibles / La qualité dans chacun des détails… Une recette qui séduisit immédiatement les enfants et leurs parents. Et en filigrane, la définition du credo fondateur de la marque.

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Un gros trou d’air au début des années 2000

Malgré la qualité irréprochable de ses produits, Lego connaît une sérieuse traversée du désert à partir de la fin des années 90. Les dirigeants de l’époque ayant constaté la transformation radicale des habitudes de jeux des enfants, avec la montée des jeux électroniques et vidéos, il y répondent d’abord par une diversification tous azimuts, assez éloignée des valeurs de la marque et de son credo initial. Une véritable crise d’identité s’ensuit alors chez Lego (« nous avions perdu notre voie », explique aujourd’hui le nouveau P-DG du Groupe). Tandis que la concurrence s’accentue, les ventes s’effritent et la marque de jouet la plus célèbre du monde doit annoncer en 2005 le premier déficit de son histoire. Un plan de redressement est alors présenté qui prévoit des coupures budgétaires et près de 1 000 licenciements. Un moment particulièrement difficile pour la firme danoise, qui accepte aussi à cette époque de déroger à un autre de ses principes en procédant à des délocalisations ciblées de production, en Europe de l’Est et au Mexique.

Aux sources du renouveau : l’innovation et un retour à « l’idéologie » initiale de la marque

Mais le véritable renouveau qui se dessine à partir de 2004, avec l’arrivée à la tête de l’entreprise de Jorgen Vig Knudstorp, premier dirigeant à ne pas être membre de la famille Christiansen, est celui de sa stratégie de marque. Comme l’explique dans un récent ouvrage** Géraldine Michel, Directeur de la chaire de recherche « Marques & Valeurs » de l’IAE de Paris, Lego renoue alors avec son idéologie initiale : « inciter les enfants à explorer et développer leur potentiel créatif ». La brique, son produit emblématique, est remise à l’honneur, tandis que le nouveau management met au premier plan la formation des salariés, « construite autour des métiers clés qui traduisent au mieux les valeurs de créativité et de jeu de la marque ». L’alchimie entre les valeurs fondatrices de la marque, réaffirmées, et le renouvellement continu des gammes de produits Lego est une grande réussite. En témoignent le franc succès des séries Star Wars, Lego City, Indiana Jones ou encore Lego friends, lancées ces dernières années. Mais ce renversement de situation spectaculaire est aussi le fruit d’un travail de longue haleine autour des valeurs de la marque. Depuis des années, Lego a en effet su fédérer, inspirer et développer une très large communauté de fans. Et leur passion pour l’univers, l’esthétique et la « philosophie » Lego, au delà de l’assemblage des briques, s’avère inépuisable. Un atout considérable pour la marque, toujours en quête de nouveaux terrains d’expression.

Une communauté de passionnés, « raides dingues de Lego »

C’est sans aucun doute le plus grand mérite de cet ouvrage, Culture Lego : avoir réussi à saisir toute la richesse et la diversité de cet univers et des tribus de passionnés qui constituent la communauté Lego. Adultes ou enfants, actifs ou retraités, littéraires ou ingénieurs, artistes ou créateurs de prototypes, joueurs en ligne ou simples fans de briques… Les hommes et femmes qui se reconnaissent dans les produits et valeurs de la marque rivalisent de créativité pour tirer le meilleur parti de leur jouet préféré et magnifier la culture Lego.

Qu’ils s’appellent Mik, Scott, Nathan, Brendan, Joz ou Lino, Spencer ou Ean, la galerie de portraits que leur consacre Culture Lego témoigne bien de l’extrême variété des profils et des centres d’intérêts de ces fans, qui se baptisent eux-mêmes « AFOL », « AFFOL » ou « KFOL » (voire la signification de ces acronymes ci-dessous). Certains d’entre eux préfèrent en effet utiliser les éléments Lego pour en faire un usage « domestique » (comme le firent Sergei Brin et Larry Page en bâtissant leur premier chassis de disque dur en briques Lego), d’autres construisent de gigantesques « dioramas » ou « microdioramas » de plusieurs mètres représentant des scènes complexes ou customisent des minifigurines pour leur donner une apparence humaine… D’autres enfin construisent des robots bardés d’électronique… Il faut dire que les différentes boîtes et éléments Lego autorisent d’infinis détournements.

Une presse spécialisée luxuriante (dont le fanzine BrickJournal est la tête de proue) et des conventions qui réunissent des milliers d’adeptes de la marque partout dans le monde permettent aussi à ces fans d’exposer leurs prototypes et collections. Quant à la First Lego League, créée en 1998 par le Groupe Lego, elle réunit chaque année près de 140 000 élèves de 50 pays pour une grandiose compétition robotique, toutes lés équipes devant obligatoirement utiliser des pièces Mindstorm pour construire leur machine…

En définitive, la sous-culture Lego est d’ailleurs si vivace qu’elle possède son propre « dialecte », parlé par les fans du monde entier.  Du « dark age » (période durant laquelle le fan de Lego cesse de s’y intéresser) aux différents acronymes utilisés pour décrire les différents éléments ou construction, ce vocable totalement abscons pour le néophyte recèle d’ailleurs quelques « pépites » :

Les expressions des fans de Lego

Entre gamification, customisation et artification, la culture Lego influence durablement des millions d’enfants… et d’adultes

Devenue un phénomène culturel par excellence, Lego se rapproche ainsi au plus près de la définition sémiotique de la marque énoncée par Andrea Semprini, à savoir : un univers de représentations « constitué par l’ensemble des discours tenus à l’égard de la marque » par ses différentes parties prenantes (clients, fans, presse…). En d’autres mots, Lego fait tellement partie de la culture des ses clients et du grand public qu’elle est devenue bien davantage que ce que ses produits et publicités (voire ses contenus de marque) laissent entrevoir. Fruit d’une co-production permanente avec ses clients et ses communautés de fans, voire la société toute entière, la marque Lego se construit chaque jour au gré de ses échanges avec ses différents publics, et étend sans cesse son influence.

Customisés, détournés par ses innombrables utilisateurs et fans (adultes ou non), ses produits, à commencer par la petite brique, ont aussi inspiré d’innombrables artistes. Culture Lego fait ainsi la part belle aux oeuvres du plasticien Olafur Eliasson, aux graffitis urbains de AME72, aux peintures d’Ego Leonard ou aux sculptures spectaculaires de Nathan Sawaya, réalisées à taille humaine d’un assemblage de briques monochromes. Dans un style plus iconoclaste encore, les fausse boîtes de Lego signées Zbigniew Libera ou les vidéos en stop motions de David Pagano, qui mettent en scène les briques Lego dans de courtes histoires, ne sont que quelques illustrations d’une « artification » de la marque et d’un storytelling surabondant, qui flirte lui aussi en permanence avec les codes de l’art.

On le voit, la réussite de la marque Lego tient à cette exceptionnelle vitalité et aux dynamismes de ses interactions avec ses différents publics. S’efforçant de rester toujours fidèle à son credo / son « idéologie » et de ne jamais décevoir les plus irréductibles de ses fans, Lego a pu, à partir de cette base plus que solide, « essaimer » bien au-delà de son périmètre d’origine. Et c’est bien cela, la récompense ultime d’une marque devenue « culturelle »…

Pour aller plus loin : 

=> consultez la « Lego Gallery » du BrandNewsBlog : les plus belles oeuvres d’art inspirées des éléments LEGO

* Culture LEGO, de John Baichtal et Joe Meno – Edition Muttpop 2013

** Management transversal de la marque, ouvrage collectif – Edition Dunod 2013

Crédit photo et infographie : Lego, TheBrandNewsBlog, Edition Muttpop, Nathan Sawaya, X, DR

Le destin peu commun (et pas toujours enviable) des marques génériques

Frigidaire, scotch, klaxon, kleenex, fermeture Eclair, sopalin, formica… Quel rapport entre ces différents produits ? Avant d’entrer dans le langage courant et de connaître les honneurs du dictionnaire, tous furent à l’origine des symboles d’innovation pour des milliers voire des millions de consommateurs. Mais devenus progressivement des « branduits », c’est à dire des marques génériques qui ont fini par désigner une catégorie de produits voire leur segment de marché tout entier, on en aurait presque oublié que ce sont des marques (quasiment) comme les autres. A ce titre, elles doivent continuer à se différencier de la concurrence et à cultiver la préférence des consommateurs, ce qui dans leur cas est loin d’être évident…

Dans son dernier numéro*, la Revue des marques de l’association Prodimarques revient en particulier sur l’exemple de l’entreprise Caddie. Celle-ci a su faire preuve de beaucoup de créativité pour se relancer ces dernières années et continuer à faire « exister » sa marque sur un marché qu’elle avait pourtant contribué à créer dans les années 50.

Car tel est le destin des marques génériques, en définitive : faute d’innovation ou d’une stratégie de diversification audacieuse, elles sont souvent condamnées à perdre leur leadership, voire à disparaître

Une forte notoriété au départ… mais dont bénéficient ensuite toutes les marques suiveuses

La Revue des marques ne manque pas de le rappeler. A l’origine de toute marque générique, il y a souvent un produit de rupture, qui lui permet de rester longtemps seule sur son marché et de bénéficier d’une notoriété sans équivalent. Avec l’usage et la « lexicalisation » de la marque, celle-ci se transforme progressivement en « emblème » d’une catégorie ou d’un segment de marché tout entier. La notoriété quasi-monopolistique des premières années se « dilue » au fil du temps, les marques suiveuses pouvant à leur tour en bénéficier, en associant leur marque à l’appellation générique créée par leur concurrent.

C’est clairement ce qui s’est passé dans le cas de Caddie, à partir de la fin des années 80. Alors que la marque avait dominé son marché depuis sa création en 1957 (son créateur, Raymond Joseph, était amateur de golf et avait choisi le nom de cette marque en s’inspirant du terme américain caddie cart, le « chariot de caddy » du golfeur), plusieurs concurrents plus dynamiques sont progressivement apparus sur le marché. Davantage à l’écoute des attentes des consommateurs et des donneurs d’ordre, les grandes surfaces, ils ont su proposer des caddies plus maniables, plus légers, répondant aux nouveaux besoins. C’est ainsi que les marques Wanzl (Allemagne), Marsenz (Espagne) ou encore Plastimark (Italie) ont pu gagner des parts de marché et dépasser Caddie dans les années 90.

Créativité, innovation et stratégie de marque ombrelle pour revenir dans la course…

Pour Caddie, cette perte de parts de marché et d’attractivité s’est bientôt transformée en descente aux enfers, jusqu’à son dépôt de bilan en 2009. Mais fort heureusement, conscients du potentiel de la marque (seul fabricant de caddies 100 % français), 4 repreneurs se manifestent. Rebaptisée Caddie Strasbourg SAS, l’entreprise relancée par le groupe Altia mise d’emblée sur le branding, le made in France et la communication pour relever l’entreprise. Dans les années qui suivent, 3 nouveaux modèles/marques sont créés  (notamment Caddie & Motion, Ergodrive et Wind) pour reconquérir le marché. Caddie & Motion, en particulier, est un nouveau modèle hybride en acier et plastique recyclable, plus léger, maniable et silencieux, proposé en guise d’alternative aux modèles plus traditionnels en métal.

La communication et le branding jouent aussi un rôle important dans ce come-back, dans la mesure où Caddie s’est enfin résolu à faire de la pub dans la presse spécialisée et envisage des diversifications rationnelles (par exemple, en termes d’équipements pour l’hôtellerie ou les aéroports). En attendant, les modèles ont résolument changé et se sont adaptés aux demandes des différents clients. Présente dans 130 pays et exportant près de 60 % de sa production, Caddie est enfin revenue dans la course et entend bien exploiter les opportunités pertinentes qui se présenteront, pour développer encore sa présence et son portefeuille de marques.

7 règles pour empêcher la « lexicalisation d’une marque » 

La Revue des marques donne 7 bons conseils pour éviter la lexicalisation des marques et leur transformation en marque générique, facteur de dégénérescence et de brouillage de leur image :

  1. toujours accompagner le nom de la marque de la désignation générique du produit ;
  2. bien distinguer le nom de marque du texte environnant sur les documents où il apparaît ;
  3. ne jamais faire du nom de marque un verbe (ex : stabilobosser ou scotcher…) ;
  4. ne pas utiliser le nom de marque au pluriel ;
  5. faire appel au même graphisme, logotype et emblème sur tous les documents ;
  6. indiquer de manière visible, le cas échéant, que la marque utilisée est un nom déposé ;
  7. ne jamais changer l’orthographe du nom de la marque.

 

* Revue des marques n°85 – Janvier 2014

(Crédit photo : 123 RF)

Les marques célèbres acquises par des groupes français…

Il y a quelques semaines, j’évoquais dans un article les exemples de 10 marques françaises qui ont été rachetées par des groupes étrangers. Certains lecteurs me firent alors remarquer que les entreprises françaises ne sont pas les dernières en matière de fusions-acquisitions internationales. C’est tout à fait vrai ! Grâce à nos fleurons nationaux dans les domaines du luxe, de la cosmétique, des spiritueux ou de la banque en particulier, nos grandes entreprises se retrouvent plus souvent dans le rôle du prédateur… que de la proie.

Ainsi, dans les 15 dernières années, un grand nombre de marques célèbres, voire « cultes » sont tombées dans l’escarcelle de nos champions nationaux. Cibles de prédilection des ces « emplettes » de grande envergure, de prestigieuses entreprises anglaises, belges, italiennes, mais aussi américaines ou suédoises… sont passées sous pavillon français. Universal Music Group, Absolut Vodka, Orange, Puma… sont régulièrement citées. Mais à ces grands noms s’ajoutent, dans presque tous les secteurs d’activité, des marques parfois moins connues, mais tout aussi fortes sur leurs marchés respectifs. On peut mentionner, ne serait-ce que ces deux dernières années : Invensys (fabricant britannique de systèmes de contrôle et d’automation – racheté pour 3,9 milliards d’euros par Schneider Electric) ; Loro Piana (marque de luxe italienne – rachetée pour 2 milliards d’euros par LVMH) ; International Power PLC (power utility britannique rachetée par GDF Suez pour la bagatelle de 25,8 milliards de dollars) ; EMI Music rachetée pour 1,4 milliard d’euros par Universal Music Group (filiale de Vivendi)…

Moins récentes, les acquisitions des marques de spiritueux Jameson, Clan Campbell, Chivas ou encore Beefeater (par Pernod Ricard), celles d’Electrabel par EDF ou du géant Blue Circle Industries PLV par Lafarge sont d’autres témoignages de la vitalité des grands groupes français… On pourrait d’ailleurs continuer longtemps car la liste est longue, en définitive. Un démenti cinglant  aux thèses des apôtres du « déclin français », toujours prompts à stigmatiser la vente d’une marque nationale à des groupes étrangers. Car dans ce registre, la France et les entreprises françaises sont loin d’être des oies blanches ;-)

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Six bonnes raisons de croire en la communication… et de ne pas désespérer des communicants

Souvent brocardés pour leur vacuité, ou pour le pouvoir d’influence et de manipulation qu’on leur prête, les communicants souffrent d’une mauvaise image auprès du grand public. Et la communication reste souvent perçue comme un exercice « cosmétique », au mieux, quand on ne l’accuse pas de servir à cacher ou à travestir la réalité.

Pourtant, les auteurs auxquels je me réfère dans cet article* en sont convaincus : les pratiques les plus décriées vont nécessairement disparaître et de nouveaux comportements communiquants voient déjà le jour. La multiplication des contraintes, ajoutée à l’essor des nouveaux médias et modes de communication, favorisent l’émergence de profils professionnels moins formatés… Des responsables et dircoms « 2.0 » à la fois plus curieux, plus vigilants et réellement soucieux d’engager leur entreprise dans une relation revisitée avec leurs différents publics.

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Vous êtes sceptique ? Voici ci-dessous la preuve par 6 de cette évolution inéluctable… et en filigrane, un portrait-robot de cette nouvelle typologie de dircoms et de communicants:

1 – Les vieilles recettes de la communication descendante ne fonctionnent plus… 

Tout le monde (ou presque) est d’accord sur ce point : c’en est fini de la com’ de papa. Le « bon vieux temps » où il suffisait de passer un spot de 30 secondes à une heure de forte audience et de s’assurer de la parution de quelques articles favorables pour réussir une annonce ou un lancement de produit est révolu. Il y a encore quelques années, un bon directeur de la communication était d’ailleurs recruté pour sa connaissance des médias et de la presse, mais aussi (et surtout) pour son réseau et son entregent. Il lui fallait gagner la confiance de ses dirigeants en les conseillant sur leur image et sur celle de l’entreprise. Hommes et femmes d’influence, volontiers « gourous » à leurs heures, les dircoms veillaient principalement à la cohérence des messages et au respect de plateformes de marque plus ou moins gravées dans le marbre… Cet « âge d’or » de la publicité et de la communication de masse appartient au passé. Du fait de l’essor des réseaux sociaux surtout, et des nouvelles attentes des parties prenantes, les entreprises et services com’ sont sommés de changer leur « disque dur communiquant ».

2 – Les médias sociaux et le digital bouleversent les pratiques et ouvrent de nouvelles perpectives

Dans son dernier ouvrage Managers, parlez numérique, Olivier Cimelière résume ainsi les 6 bouleversements de paradigme survenus ces dernières années : fin du destinataire passif et émergence du conso-acteur ; « délinéarisation » de l’information et connectivité permanente ; exigence de transparence ; passage d’une information rare et contrôlée à l’infobésité ; attentes collaboratives accrues ; remise en question des relations verticales au profit d’échanges entre pairs… Le changement de décor est brutal et l’émergence des nouveaux médias y est en effet pour beaucoup. Les communicants sont priés de se défaire de leurs certitudes pour se connecter (en temps quasi-réel) avec leurs publics. D’autant que le risque réputationnel est partout désormais, puisque chacun, qu’il soit consommateur, salarié, syndicaliste, politicien, militant associatif ou simple spectateur peut aujourd’hui avoir un avis sur l’entreprise et ses orientations… et le faire connaître.

3 – Plus ouverts sur l’extérieur, les communicants sont aussi plus « complets »

Finie l’époque des tours d’ivoire et des plans de communication élaborés « en chambre ». Non seulement les entreprises sont placées dans un contexte d’interactions permanentes avec leurs parties prenantes, mais leur ouverture internationale croissante requiert de savoir adapter les messages et les conversations à des récepteurs très différents. « Tout enjeu d’image obéit aujourd’hui à une mise en perspective multiculturelle » confirme Florence Danton, responsable pédagogique de l’Ecole de la Communication de Sciences-Po. Plus ouverts sur le monde, les communicants sont aussi plus complets et polyvalents. Il leur est notamment demandé de maîtriser le fonctionnement des domaines clés de l’entreprise : juridique, management et surtout finances, dans le cadre d’une communication financière toujours plus importante. Sans oublier le digital bien sûr, qui irrigue toutes les activités de l’entreprise : experts en médias et en nouveaux canaux de diffusion, les communicants 2.0 sont par définition techno-compatibles.

4 – A la fois pilotes et vigies : le rôle des dircoms se complexifie (et gagne en pertinence)

Dans leur missions spécifiques, les directeurs de la communication sont au premier rang de ces mutations. A la fois pilotes et vigies, stratèges et démineurs, ils ont la charge de coordonner les actions et les équipes com’ de l’entreprise dans des domaines de plus en plus variés (production et diffusion de contenus, promotion de l’image, animation de communautés, réenchantement des marques…) et celle de gérer les risques et de garantir l’e-réputation de l’entreprise. A l’écoute des signaux faibles, ils/elles peuvent se transformer en urgentistes quand une crise survient. Plus « visibles et vulnérables » que par le passé, comme le démontre Caroline Castets dans son excellent article de décembre 2012, ils/elles doivent non seulement apprendre à composer avec les incertitudes de leur environnement et abandonner toute velléité de contrôle, mais aussi s’efforcer de créer du sens et du lien, notamment grâce à des contenus de marque appropriés… Bref, la cabine de pilotage du dircom’ s’est singulièrement complexifiée…

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5 – La communication de demain sera plus utile, honnête et empathique… ou ne sera pas

Ce sont les résultats 2013 du Trust Barometer de l’agence Edelman qui nous l’enseignent… Dans un contexte de défiance accrue envers les acteurs institutionnels (entreprises, gouvernements, médias et ONG), l’opinion publique est prête à renouer avec les organisations qui sauront répondre concrètement à leurs attentes. Parmi les plus fortement exprimées : le fait de proposer des produits et services de qualité, de tenir compte des besoins et remarques, de respecter davantage les collaborateurs et de « faire passer les clients avant les profits ». L’adoption par les entreprises de comportements plus éthiques et responsables et le recours à une communication plus « fréquente, explicative et honnête » sont également cités par une majorité de répondants… Pour répondre à ces différents défis, et communiquer de manière plus efficace et pédagogique, les experts com’ et leurs dirigeants doivent remplir 3 conditions préalables d’après Olivier Cimelière : 1/ se (re)mettre dans une position d’écoute active (ce qui va bien au-delà des enquête de satisfaction) ; 2/ via les réseaux sociaux notamment et toutes les opportunités du digital, être capables d’engager durablement un véritable dialogue (et non une conversation asymétrique) avec leurs différents publics ; 3/ proposer des contenus plus utiles et qualitatifs et « passer d’un storytelling de conviction à un storytelling de coopération ».

6 – Communiquer au sens de « mettre en commun », c’est possible

Pour se débarrasser des vieilles habitudes et saisir toutes les opportunités de la révolution digitale, pour instaurer une communication plus empathique et équilibrée avec les parties prenantes et revenir, en définitive, à l’origine étymologique du mot communiquer (= mettre en commun), les principaux obstacles ne sont pas forcément matériels. Ils sont d’abord dans certaines têtes. Dans beaucoup d’entreprises, la fameuse conversion numérique a été amorcée, avec le recrutement de compétences dédiées qui ont notamment rejoint les services communication : community managers, reputation managers… Les équipes en place ont aussi été formées, dans bien des cas, à la nouvelle donne digitale. Mais quand « blocage » il y a, c’est souvent la montée en puissance de ces nouvelles compétences au sein des organisations qui pose problème… Comme le soulignait par exemple Christophe Ginisty dans un article tout récent que je recommande (Pourquoi le métier des RP risque de disparaître), les principaux freins à une évolution des RP sont bien des conservatismes. A savoir, en premier lieu : « l’immense conservatisme du couple annonceur-agence composé de deux éléments qui plaident pour que rien ne bouge trop vite » et par ailleurs (outre la médiocre maîtrise des big data), le « peu de crédit accordé au Community Manager » au sein des entreprises, en dépit de la dimension stratégique de ses missions…

On le voit, pour que la communication évolue dans le bon sens, il manque assez peu de choses en définitive. Et c’est sans doute de l’impulsion et la volonté d’avancer des acteurs eux-mêmes que viendra le salut.

 

* Pour aller plus loin :

> Caroline Castets : Les nouveaux dircoms – Le pouvoir d’influence demeure, la dimensions stratégique s’impose (article du nouvel Economiste.fr du 5 décembre 2012)

> Emmanuel Bloch : Communication de crise et médias sociaux (Editions Dunod – Janvier 2012)

> Olivier Cimelière : Managers, Parlez numérique… et boostez votre communication ! (Editions Kawa, octobre 2013)

> Christophe Ginisty : Pourquoi le métier des RP risque de disparaître, 2 février 2014 (sur http://www.ginisty.com)

(Crédit photos : ondixièmes / X, DR)

60 ans et en pleine forme : Carambar, la marque éternellement jaune

Marque culte s’il en est, vendue essentiellement à l’unité dans les boulangeries, Carambar fête cette année ses 60 ans. Mais pas de retraite en vue pour la célèbre barre de caramel, qui a su séduire des générations d’enfants et devenir trans-générationnelle… Comme le démontre le dossier spécial que lui consacre ce mois-ci la Revue des marques*, le secret de cette éternelle jeunesse réside à la fois dans la prudence et dans les audaces calculées de ses dirigeants successifs. Ceux-ci ont en effet réussi à décliner la « recette » du succès de Carambar, sans jamais la galvauder.

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Aux origines : le mythe d’une erreur de conception

Les grandes marques se nourrissent souvent de mythes fondateurs. La légende voudrait que le Carambar soit né d’une erreur de fabrication. Alors que Georges Fauchille (directeur commercial) et Augustin Gallois (chef de fabrication) travaillaient en 1953 à la conception d’un bonbon à mâcher à base de cacao et de caramel, une machine aurait produit par erreur cette barre de caramel mou qui allait faire la fortune de la société Delespaul-Havez. La réalité est un tantinet plus prosaïque. C’est en fait sur la base d’une enquête auprès des enfants que les deux compères auraient eu l’idée de créer cette confiserie d’un nouveau genre. Un bonbon dont l’originalité et le prix particulièrement modique (5 centimes de franc) ont rapidement fait le succès.

Les 5 « innovations de rupture » offertes par Caram’bar au moment de son lancement le 2 janvier 1954 ? D’abord, un nom facile à mémoriser par les enfants (Caram’bar est devenue « Super Carambar » en 1977 puis « Carambar » en 1984), ensuite un format original et un emballage flashy (il était jaune, fushia et rouge dès l’origine). A cela, il faut ajouter les deux gestes ludiques qui sont restés associés à l’identité de la marque : le dépapillotage et la transformation de la barre, malléable à volonté.

45 ans de blague et de pubs humoristiques

Mais s’il se vend autant de Carambar aujourd’hui (près d’1 milliard d’unités par an en 2013, contre 300 millions en 1960), la raison en revient aussi à la relation amicale et ludique que la marque a su instaurer dès le départ avec les enfants, source de connivence et de recommandation. Après avoir mis en place un système de points, qui permettait aux enfants d’obtenir des cadeaux, c’est en janvier 1969 que sont apparues les premières devinettes, charades et rébus. Au fil du temps, ce concept humoristique a naturellement connu de nombreuses évolutions : jeux concours pour collecter les meilleures blagues (en 1999), collaborations avec divers auteurs et artistes (« Tchô blagues » de Titeuf en 2001 et 2002 ou blagues d’Elie Semoun en 2008). Un site évènementiel concoursdeblaguescarambar.fr a même été créé ponctuellement en 2011 pour renouveler le stock de blagues de la marque.

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Côté pub, l’humour bon enfant a toujours été de mise. Les quadras se souviendront en particulier de la magie des spots « a-bra-carambar » des années 80. Brandir un Carambar permettait alors à un enfant de transformer un professeur de gym en docile faiseur de pompes ou pouvait conduire son père à se désigner pour mettre la table… Toujours sur le ton ludique, mais sur le terrain de la sensation cette fois, les pubs pour le Carambaratomic, à la fin des années 90, capitalisaient allègrement sur le thème « Carambar c’est trop », en secouant un enfant dans un grand huit ou en collant une grand-mère au plafond, comme électrifiée, un Carambar atomic dans la bouche…

Carambar sous toutes ses formes et pour tous les goûts

La force de la marque réside aussi dans sa capacité à se renouveler et à se décliner. Hormis ses différentes variantes en termes de taille et de poids (le Super Caram’bar de 1972 faisait 10 centimètres pour 10 à 12 grammes tandis que le Mini Carambar lancé en 2005 mesure 3,5 cm pour 3,5 grammes), Carambar a su diversifier et étendre largement ses gammes de produits. Du Caranougat de 1973 (coeur blanc au nougat et enrobage caramel) au Curlywurly (un caramel torsadé enrobé de chocolat) en passant par les nouveaux goûts (fruits, Cola, Oasis, Orangina…) ou les gélifiés (Carambar Flex…), de nombreuses déclinaisons ou innovations ont été lancées et Carambar est devenue in fine une marque ombrelle riche d’un large portefeuille.

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Quant aux partenariats, co-branding et autres accords de license, ils ont toujours été gérés avec la plus grande prudence. Car les propriétaires successifs de Carambar (Delespau-Havez > la Générale Alimentaire > la Générale occidentale > BSN-Danone > Cadbury > Kraft Foods-Mondelez International) ont toujours veillé à ne pas donner la recette du Carambar et à en préserver l’intégrité. Des Carambar aromatisés à la barbe à papa, au milk-shake ou à la pomme d’amour ont donc vu le jour, ainsi que des glaces (avec les fabricants Rolland et Flipi) et des ouvrages (en collaboration avec Marabout : Les 30 recettes cultes ou Mon calendrier Carembar)… mais rien qui puisse dénaturer ou dévoyer l’identité de la marque.

Début 2013, un poisson d’avril risqué mais gagnant 

Tout le monde se souvient de ce poisson d’avril avant l’heure conçu sur le modèle du buzz par les équipes digitales de Kids Love Jetlag (groupe Fred & Farid). L’annonce par la marque, le jeudi 21 mars 2013, du remplacement des blagues Carambar par des questions ludo-éducatives avait soulevé un véritable tollé. Preuve que la marque appartient au patrimoine français, pas moins de 950 mentions avaient été relevées dans les médias et les réseaux sociaux s’étaient également enflammés. La Revue des marques livre un intéressant décryptage de l’opération, en précisant que les résultats de la campagne furent, malgré les critiques, excellents. En avril et mai 2013, le buzz a ainsi permis à Carambar d’augmenter son chiffre d’affaires de 20%, ce qui n’était pas arrivé depuis des années. A posteriori, 70 % des familles interrogées déclaraient avoir apprécié l’opération, pour 20 % de « neutres » et seulement 3 % d’avis négatifs… Des résultats qui contrebalancent en partie les réserves que j’ai moi même émises au sujet de cette gentille manipulation.

carambar

A travers de cette action digitale, Carambar a surtout pu regagner du terrain sur son principal concurrent Haribo, dont la notoriété spontanée était sensiblement plus forte. A l’occasion des ses 60 ans, nul doute que Carambar saura de nouveau faire parler de lui sur le web et les réseaux sociaux… et renouveler cette magie qui en a fait la marque culte de générations d’enfants.

 

* Revue des marques – N°85 – Janvier 2014

(Crédit photo : Mondelez International / Fred & Farid / X, DR)

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