Etude Afci : la communication interne au coeur des enjeux de transformation (et de communication) de demain

J’en faisais la remarque il y a quelques mois à Sophie Palès (Déléguée générale de l’Association française de communication interne) ou bien encore à Guillaume Aper (Directeur adjoint de la communication du Groupe JCDecaux et Administrateur de l’Afci) : contrairement à de nombreux dircom et à beaucoup de communicant.e.s « externes », la plupart des communicant.e.s internes demeure à mon sens assez peu visible sur les réseaux sociaux et faiblement identifiée en dehors des entreprises qui les emploient…

A tel point que durant plusieurs années, il m’a été difficile d’alimenter la catégorie dédiée de ma liste des « Twittos du marketing et de la communication à suivre »¹. Et que j’ai parfois du mal, encore aujourd’hui, à identifier la ou les personnes en charge de la com’ interne dans telle ou telle organisation.

Question de culture sans doute, mais aussi de philosophie et de réserve liées aux spécificités du métier : cette discrétion est tout sauf anodine… Et si elle est tout à l’honneur de la profession (j’en reparlerai plus loin), elle peut expliquer aussi le manque d’exposition dont elle a pu souffrir et dont il lui arrive parfois encore de pâtir.

Ayant toujours eu pour ma part la plus grande admiration pour les communicant.e.s internes, et considérant depuis des lustres la discipline comme stratégique, je n’étais pas peu fier – et réjoui – d’en voir les représentants s’afficher aussi nombreux mardi dernier, à l’anniversaire des 30 ans de l’Afci².

Pour l’occasion, il faut dire que l’Association de référence de la com’ interne avait mis les petits plats dans les grands, avec un programme festif à la hauteur de l’évènement, et des animations très réussies. Mais c’est également du côté des contenus présentés, préparés avec minutie, qu’il y avait matière à se réjouir, avec le partage de vidéos de nombreux experts, une fresque retraçant les temps forts des 30 années écoulées, et la publication de livrables passionnants… A commencer par une étude en 3 volets extrêmement complète sur le métier de communicant interne, ses enjeux et ses perspectives, complétée par un numéro spécial des excellents Cahiers de la communication interne³.

De quoi donner du grain à moudre et une très riche matière à réflexion à votre serviteur… Car si l’avenir de la communication interne semble assuré et ses perspectives de développement plutôt prometteuses, le métier n’en est pas moins « en tension et en mouvement », structurellement sous-investi par les directions générales au regard des enjeux de transformation actuels et à venir, et « à la croisée des chemins » quant à son évolution…

Parvenu à un tel carrefour, c’est une véritable aubaine que de disposer d’une étude aussi bien ficelée et exhaustive que celle livrée la semaine dernière par l’Afci, combinant à la fois une photo du métier tel qu’il est pratiqué aujourd’hui et une projection éclairée sur les défis à venir… Un vade-mecum indispensable à tout communicant en somme, que je vous propose de synthétiser aujourd’hui sur le BrandNewsBlog.

Une étude de référence pour toutes celles et ceux qui s’intéressent, de près ou de loin, à la communication interne

S’il m’est arrivé, à plusieurs reprises dans les colonnes de ce blog, d’écrire au sujet de la communication interne et de vous faire part de mes constats et recommandations (voir notamment ici ou ), qui de mieux placé que l’Afci pour mener cette grande étude de synthèse sur la communication interne et les communicant.e.s d’entreprise, qui a le grand mérite « d’objectiver » les perceptions et tendances relevées par les uns et les autres ?

Association de référence pour tous les professionnels de la communication interne depuis maintenant 30 ans, et qui en a accompagné le développement et les évolutions avec tant de pertinence (en publiant notamment dès 1994 le premier référentiel de la fonction, régulièrement actualisé et complété depuis), l’Association française de communication interne n’a pas lésiné pour cette grande étude en 3 volets, en confiant la réalisation d’une première étape – qualitative – aux psychosociologues Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault. Le second volet (étude quantitative auprès de 367 communicant.e.s internes) avait quant à lui été confié au cabinet d’étude Occurrence et le troisième volet (plus prospectif sous la forme de deux ateliers de co-design) à Harris Interactive, qui a pu compter sur les contributions précieuses d’une vingtaine de communicants, de managers et de salariés.

Et les résultats de ces 3 démarches, accessibles et consultables directement sur le site de l’Afci, sont particulièrement édifiants…

Pour dresser en premier lieu le portrait-robot du/de la communicant.e interne, sur la base des enseignements de l’étude Occurrence, il s’avère tout d’abord que celui-ci est le plus souvent une femme (dans 83% des cas), de plus de 40 ans (dans 63% des cas), employé dans le secteur privé davantage que le public (pour 65% d’entre eux/d’entre elles : voir l’infographie ci-dessous). Il.elle travaille souvent au sein d’un service communication (dans 39% des cas, les autres rattachements pouvant être la DRH ou directement la direction générale), pour une structure de plus de 2 000 salariés dans 54% des cas, les structures de moins de 2000 salariés concentrant les 46 autres % des communicant.e.s internes.

Complétant cet aperçu purement statistique, les résultats passionnants de l’étude psychosociale de Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault nous enseignent aussi que la majorité des communicant.e.s internes le deviennent rarement dès la sortie de leur formation initiale… Ils.elles rejoignent la fonction après des trajectoires généralement atypiques au sein des entreprises, montrant des « hésitations, des bifurcations au gré de rencontres et d’opportunités. »

Ainsi, si l’ouverture d’esprit, l’intérêt pour les matières littéraires ou le goût pour les voyages et les cultures différentes, de même que la capacité à s’impliquer dans leur mission, semblent constituer des dénominateurs communs pour la plupart de ces professionnel.le.s, leurs parcours n’ont en général rien de linéaire.

Et ils n’en sont pas moins investis dans leur travail, au contraire ! Les 2 volets de l’enquête – quali et quanti – démontrant justement qu’une fois dans ces fonctions, une majorité de communicant.e.s internes y trouve du sens (80% d’entre eux.elles étant satisfaits sur ce point), mais également de véritables marges de manoeuvre et une réelle autonomie (pour 88% d’entre eux.elles) malgré la charge de travail, la lourdeur des circuits de validation ou la faiblesse des moyens budgétaires consacrés à la com’ interne (voir schéma ci-dessous).

Ainsi – et c’est sans doute ce qui me les rend si attachants je vous l’avoue – quels que soient les aléas de leurs parcours et les difficultés de leur quotidien, l’étude Afci dresse le portait de passionnés, dont les niveaux d’engagement dans leur mission et dans leur entreprise pourraient être pris en exemple par bien des DRH, comme le confiait avec humour dans son speech introductif la Présidente de l’Afci, Ingrid Maillard.

De quoi tirer une légitime fierté du métier, confirmée par les propos de Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault : « Le sentiment domine d’être différent, pas tout à fait dans la norme d’une trajectoire bien huilée. Mais lorsque le professionnel réalise, parfois après plusieurs changements de postes, que c’est là son métier, il témoigne bien souvent du sentiment d’avoir trouvé sa place. Certains évoquent ce métier comme une révélation. Le communicant interne est un professionnel qui travaille à donner du sens, par exemple quand il s’attache à donner sens aux fréquents remaniements que connaissent la plupart des organisations ».

Une fonction source de fierté, car porteuse de sens, interconnectée à tous les publics de l’entreprise et au coeur des enjeux de transformation… mais encore sous-investie et faiblement reconnue au regard des enjeux, quand elle n’est pas en souffrance

Plutôt fiers de leurs missions et de leur fonction donc, et bien conscients d’apporter du sens et d’interconnecter entre eux les différents publics de l’entreprise, les communicant.e.s internes n’en sont pas moins lucides (et pour certains résignés) quant aux écueils et embûches qui viennent entraver leur action et leur efficacité au quotidien…

Entre la faiblesse des moyens humains et financiers (pour mémoire, j’évoquais dans cet article la baisse des budgets de communication interne relevée en 2019 par l’association Place de la communication), la faible reconnaissance de leurs missions et de leurs spécificités par rapport aux autres disciplines de la communication (perception qu’on sent poindre dans le volet qualitatif de l’étude notamment) ; la difficulté du travail quotidien avec des circuits de validation complexes et un sous-investissement de certaines directions générales dans la communication interne ; et le sentiment d’accélération du temps qui contraint parfois les communicants d’entreprise à un vraie stakhanovisme éditorial ou à communiquer le changements de manière beaucoup trop précipitée… les axes de progrès demeurent nombreux.  

Dixit Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault, pour illustrer certains de ces écueils : « C’est un métier de conviction. Les professionnels rencontrés expriment un fort attachement à la fonction de médiateur dans les organisations […] Mais pour certains, la fonction semble menacée dans des organisations très verticales ou procédurales. D’autres expriment de la lassitude en raison du développement d’une culture dans laquelle tout est communication et où les demandes sont énoncées sur le mode de l’urgence […] Les communicants internes sont attachés au respect de la temporalité propre à l’appropriation des changements. C’est une composante majeure de leur métier. Or, les organisations sont si mouvantes et les changements quasi permanents qu’il est plus souvent question d’obtenir une adhésion immédiate qu’une appropriation progressive des enjeux. »

Comme le démontre l’infographie ci-dessus, parmi les freins et zones de progrès clairement identifiés, les communicant.e.s internes ont aussi bien conscience de ne pas avoir suffisamment de temps pour accompagner la communication managériale, notamment vis-à-vis des managers de proximité, les plus éloignés des directions d’entreprise et soumis à la pression quand ils ne vivent pas des injonctions paradoxale.

Ainsi, si 63% des communicants reconnaissent le rôle clé des managers dans a communication interne, ils ne sont que 43% à reconnaître les accompagner concrètement dans leur communication de proximité : un regret et un vrai axe d’amélioration pour le futur…

Une transformation digitale plutôt bien appréhendée et intégrée… et une posture de retrait, voire d’effacement volontaire, chez la plupart des communicant.e.s internes

Autre constat confirmé par les deux premiers volets de la grande étude Afci (volets quantitatif et qualitatif), les communicant.e.s internes ou communicant.e.s d’entreprise n’ont pas loupé le train de la transformation digitale.

Ô certes, il reste encore beaucoup à redire et à faire, sur la performance des Intranets-RSE notamment, qui ne s’avère pas toujours au rendez-vous. Ainsi si 92% des communicant.e.s interrogé.e.s reconnaissent que la transformation digitale a été globalement favorable à la communication interne (voir infographie ci-dessous), la performance du réseau social d’entreprise notamment obtient une note globale de 4,9 sur 10 seulement. Evidemment, cette note cache de grandes disparités, entre les entreprises qui ont su faire de leur RSE une plateforme d’échange incontournable et dynamique, comme le groupe JCDecaux, et celles qui n’y sont pas parvenues et connaissent une faible appropriation et de faibles taux d’utilisation de l’outil, voire de consultation de leur Intranet.

Dixit Guillaume Aper, directeur adjoint de la communication de JCDecaux : « Notre groupe, qui compte 13 000 salarié.es répartis dans 85 pays, a fait figure de pionnier avec un réseau social d’entreprise (RSE) lancé dès 2011. Fait plutôt rare, ce réseau a été rapidement utilisé et continue à bien fonctionner. Il a fusionné avec l’Intranet et permis ainsi d’internationaliser l’audience de ce dernier. Le secret de ce succès ? Tout d’abord, notre RSE a répondu dès le début à un véritable besoin. Nos équipes réclamaient une plateforme d’échanges pour bénéficier de la richesse de toutes nos expériences clients à travers le monde. Nous avions préparé une dizaine de communautés témoins qui ont permis de montrer les usages potentiels de ce RSE, et mis l’accent sur l’accompagnement en organisant des formations, des rendez-vous de questions-réponses, etc. Aujourd’hui, nous continuons à accompagner tel ou tel métier pour qu’il devienne producteur de ses propres informations. Le contenu ainsi auto-produit permet à la communication interne de se consacrer à d’autres missions »

Et de fait, comme le pointent Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault, la plupart des communicant.e.s internes a su s’adapter aux innovations techniques et aux nouveaux outils apportés par la révolution digitale sans trop de difficulté apparente, graduellement et progressivement. Ainsi, si plusieurs des professionnel.le.s interrogés par les deux psychosociologues admettent que leur métier reste « assez artisanal », avec une large latitude laissée à l’initiative et à la créativité, ils.elles disent aussi avoir assimilé les innovations et nouveaux outils « sans disqualification et sans difficulté, au gré d’expérimentations souvent décidées par eux-mêmes et non imposés ». Une adaptation facilitée par leur implication active, dès le départ des projets, dans tous les chantiers de refonte des plateformes Intranet et RSE, dont ils.elles sont en général les chevilles ouvrières.

Parallèllement – et sans qu’il y ait de lien particulier avec le constat précédent – Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault ont aussi relevé cette tendance des communicant.e.s internes à demeurer relativement discrets au sein de leur entreprise. J’évoquais ce dénominateur commun en introduction de mon article : d’après les deux psychosociologues, les communicant.e.s internes se placent en effet le plus souvent « dans une posture de retrait, voire d’effacement volontaire, destinée à mettre davantage en lumière les autres acteurs de l’organisation. Ecouter et donner la parole à ceux qui d’ordinaire ne s’expriment pas. Pour certains, cette attention aux autres pourrait fragiliser leur position dans des organisations qui valorisent l’image de la puissance et de la visibilité. D’autres au contraire considèrent que c’est là un élément nodal du métier, centré sur l’écoute et la médiation, qu’il convient de soutenir et d’affirmer ».

Ainsi, si l’accompagnement des salariés dans des démarches d’employee advocacy incite de plus en plus les communicant.e.s internes à « montrer l’exemple » et à sortir de leur réserve et de leur discrétion habituelle, en étant plus actifs qu’auparavant sur les réseaux sociaux à titre professionnel et personnel, ils.elles ne sont pas encore si nombreux à revendiquer leur expertise de communicant.e.s internes dans leurs profils. Pour ne pas se fermer des portes en terme d’employabilité sans doute, beaucoup continuent en effet à se présenter de manière générique sur les réseaux sociaux comme « communicants » ou « responsables communication », sans faire aucunement mention de leur titre ou de leur fonction exacte.

Des perspectives d’avenir assez réjouissantes… pour un métier à la croisée des chemins, qui doit continuer d’évoluer 

Le dernier volet de la grande étude menée par Afci n’est pas le moins intéressant. Confié aux bons soins de la société Harris Interactive, qui a piloté deux ateliers de co-design réunissant une vingtaine de communicants, de managers et de salariés, ainsi que je le notais ci-dessus, il a permis de faire émerger les grandes pistes et futurs possibles pour le métier de communicant interne, autour de 6 challenges parfaitement résumés dans l’infographie ci-dessous.

Ainsi, si les dimensions d’écoute et de partage du sens devraient continuer de contribuer à cette grande mission qui reste de faciliter la compréhension des enjeux et de la complexité, les communicant.e.s internes sont assez nombreux.euses à déplorer qu’on ne leur laisse plus le temps de le faire et qu’on leur demande de plus en plus de présenter une « version simplifiée et édulcorée du monde »… rejetée massivement par les salariés.

Bien conscients de cette difficulté et des dangers du « stakhanovisme éditorial » dans lequel ils se voient parfois enfermés, les professionnels identifient clairement la réhabilitation du temps long comme une autre de leurs priorités, pour mener à bien leur mission d’accompagnement de la transformation de l’entreprise.

Mais tout aussi à l’aise (ou presque) dans cette 3ème mission qu’est l’animation des différents réseaux de communication au sein de l’entreprise, à l’heure où les communicant.e.s ont perdu le monopole de la production et la diffusion des messages sortants, les communicant.e.s internes se voient aussi à l’avenir être des facilitateurs de la créativité et de l’intelligence collaborative au sein de leur organisation, en développant notamment une alliance et un accompagnement beaucoup plus poussés des managers, notamment les managers de proximité, dont ils se veulent plus proches. Cela tombe bien : ces orientations recoupent complètement les évolutions que je suggérais dans mon article sur le passage de la communication interne à la la communication collaborative ! :-)

Enfin, pour soutenir toutes ces missions et actions, il est important pour les communicant.e.s internes de continuer à exploiter au mieux les opportunités du digital, sans oublier de laisser une vraie place aux instances de partage sur le travail et aux évènements permettant une rencontre IRL des collaborateurs.trices, car le numérique ne solutionne pas tout, évidemment. Cette sixième perspective incite aussi les communicant.e.s internes à se remettre en question, en acceptant la porosité croissante de leurs missions avec celles de la communication externe, qui réclame a minima une meilleure coordination – à défaut d’une fusion pure et simple – des équipes. Un chantier de coordination qu’il faut piloter avec doigté, en identifiant les missions spécifiques à la communication interne et à la communication externe et celles qui auraient naturellement vocation à être partagées.

Pour davantage de précisions et un regard très complémentaire sur ce sujet de l’évolution de la communication interne, je vous incite aussi à lire ou relire cet autre article que j’avais écrit sur le sujet : « 5 défis à relever d’urgence pour améliorer votre communication interne ».

 

 

Notes et légendes :

(1) « 450 Twittos du marketing et de la communication à suivre en 2019 », par Hervé Monier – The BrandNewsBlog – 13 janvier 2019 + Suite et fin :450 Twittos du marketing et de la communication à suivre en 2019, The BrandNewsBlog – 17 janvier 2019

(2) L’Association française de communication interne (Afci) fêtait mardi dernier 25 juin ses 30 ans, en présence de nombreux membres et de personnalités de la communication, à la Porte de Versailles à Paris. L’occasion d’une soirée à la fois festive et riche en animations, très appréciée par les participant.e.s.

Les principaux résultats de la grande étude évoquée dans cet article ont été présentés à cette occasion par Ingrid Maillard, Présidente de l’association et Directrice de la communication du groupe DPD.

(3) Les résultats de la grande étude 2019 de l’Afci, ainsi que tous les livrables produits à cette occasion (rapport de l’étude psycho sociale, rapport de l’étude quantitative, rapport sur les ateliers de co-design + Synthèse de la grande étude) sont consultables directement sur le site de l’Afci.

 

Crédit photos et illustration : 123RF, Afci, The BrandNewsBlog 2019