Qu’on se le dise une fois pour toute : non, les gros logos sur les produits ne rendent pas les marques plus visibles, ni plus désirables aux yeux des consommateurs ! Ce serait même tout le contraire en définitive. Car si « effet de taille » il y a, les résultats d’une étude récente tendent en effet à démontrer que les logos imposants ou omniprésents sont davantage de nature à inquiéter et indisposer les clients et prospects, plutôt qu’à les valoriser et à les conforter dans leur choix.
Et, phénomène nouveau, il se trouve que ces résultats (assez « raccords » avec ce que l’on connaît de l’évolution des perceptions et des attentes des consommateurs occidentaux) sont de plus en plus partagés quels que soient le continent, le marché et le secteur d’activité considérés… Y compris en Chine, où l’on sait les clients davantage en quête de vecteurs de différenciation individuels, au travers de leur consommation de produits de luxe notamment.
Cette tendance à la convergence mondiale des perceptions est une autre conclusion tirée de son étude* par la chercheuse Eunjin Kim et son équipe de la Missouri School of Journalism.
La méthodologie de cette enquête ? Durant plusieurs semaines, les universitaires ont interrogé un panel de plusieurs centaines de consommateurs, en leur demandant d’abord de citer les marques auxquelles ils s’identifiaient le plus. Puis il s’est agi de déterminer leur niveau « d’ATSCI », ou « degré de sensibilité aux indices de niveau social » en fonction de leur culture, leur origine et leur vécu… Enfin on leur a demandé de réagir systématiquement à des visuels de différentes marques (d’entrée de gamme puis de haut de gamme) en prenant bien soin que que les logos soient de tailles variées sur les visuels présentés.
De fait, et contre toute attente, il s’est avéré que les individus à plus fort ATSCI (en résumé, les plus « complexés » dans leur relation à la consommation) étaient aussi ceux qui réagissaient le plus fortement et le plus négativement à l’omniprésence ou à la taille exagérée des logos sur les produits (vêtements de marques haut de gamme en particulier).
Une leçon pour les grandes marques comme Louis Vuitton, Dior & Cie ?
Dans un ouvrage paru fin 2014 aux Editions Wiley Finance**, Erwhan Rambourg, directeur opérationnel de HSBC, n’hésite pas à affirmer que Louis Vuitton est devenue une « marque pour secrétaires » en Chine. Selon les riches chinois qu’il a pu interroger, « Louis Vuitton est devenue bien trop ordinaire. On voit du Vuitton dans tous les restaurants de Pékin ». Et, phénomène confirmé par plusieurs études depuis 2 ans, la clientèle chinoise aisée ou riche s’est progressivement réorientée vers des marques moins accessibles, comme Chanel ou Bottega Veneta.
La faute au célèbre Monogramme LV ? En dehors des considérations marketing, et au-delà du fait que Louis Vuitton pâtit très certainement de sa stratégie de « masstige » (luxe de masse) et d’une contrefaçon intensive, qui fait que ses produits sont aujourd’hui présents partout dans l’Empire du milieu, le monogramme de Louis Vuitton n’est sans doute pas pour rien dans cette relative désaffection de la marque.
Comme le souligne en effet Vincent Bastien, professeur à HEC en stratégie du luxe et fin connaisseur de cette marque***, la situation de Vuitton en Chine n’est pas très différente de celle qu’elle a connu en Europe dans les années 80… A cette époque, les clients voulaient toujours acheter des sacs ou bagages Louis Vuitton, mais ne supportaient plus les monogrammes. Ils se reportèrent donc « naturellement » vers les lignes nouvelles et plus chères comme Epi et Taïga, assurant immédiatement leur succès.
Le réel problème de Louis Vuitton aujourd’hui, selon cet expert, est en définitive la faiblesse de son offre de sacs non monogrammés. Et, au-delà de la banalisation de ses lignes phares et du monogramme, le fait que la marque s’est un peu « endormie sur ses lauriers », puisqu’elle n’a pas lancée depuis un moment d’offre suffisamment créative sur son territoire légitime, la maroquinerie.
Alors, condamnée à devenir une marque pour employés en Chine, Louis Vuitton ? Pour ses perspectives en termes de business, ce ne serait sans doute pas la fin du monde, car la demande de la classe moyenne chinoise offre toujours des perspectives exponentielles.
… Mais si elle veut reconquérir son coeur de cible fortuné, et lui offrir de nouveau une offre suffisamment différenciatrice, il lui appartient de se renouveler au travers de collections innovantes, qui ne capitalisent pas en premier lieu sur son logo ou le monogramme.
Les autres marques de luxe peuvent aussi méditer sur cette étude de la Missouri School of Journalism, car aucune n’est vraiment à l’abri du syndrome Vuitton : répondre au besoin de singularisation des clients ne veut pas dire pour autant faire n’importe quoi… Et dans l’univers du luxe, quoiqu’on en dise, la créativité reste le maître-mot pour durer, au-delà de toutes les stratégies de branding.
Notes et légendes :
* Etude de Eunjin Kim et son équipe de la Missouri School of Journalism, menée fin 2014 et publiée dans le journal Marketing Letters de janvier 2015
** « The Bling Dynasty : why the reign of Chinese luxury shoppers has only begun » (« La dynastie Bling : pourquoi le règne du luxe chinois ne fait que commencer »), par Erwan Rambourg, Editions Wiley Finance 2014
*** Vincent Bastien, professeur à HEC en stratégie du luxe et ex directeur général de Louis Vuitton (extrait de son interview accordée au magazine Stratégies, n°1807 du 26 mars 2015
Crédit photos : Alex Gross, X, DR