Les marques de luxe doivent-elles changer de formule magique ?

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Alors que l’industrie française du luxe et ses fleurons continuent d’afficher une santé insolente et de « surperformer » leur marché (lire à ce propos cette passionnante interview de Bénédicte Sabadie-Faure*), il semblerait a contrario que nos concitoyens soient un peu fâchés en ce moment avec le luxe.

C’est en tout cas ce que semblent démontrer les résultats d’un sondage express, réalisé mi-septembre par l’institut opinionway pour le compte du site gemmyo.com**. Entre autres résultats peu glorieux pour les marques du secteur : 8 Français sur 10 trouveraient leur pubs « ostentatoires » et « bling-bling » ; les deux tiers les jugeraient « trop provocantes » et 48 % d’entre eux estimeraient qu’elles « manquent d’élégance ». Cerise sur le gâteau : 90 % de nos concitoyens seraient également d’accords pour affirmer que « les produits de luxe sont devenus inaccessibles pour la plupart des Français » Bref, de quoi doucher l’enthousiasme des plus florissantes maisons, même si les deux tiers de leurs ventes (au moins) se font à l’international.

S’il convient d’être prudent avec ces résultats, qui semblent un peu « taillés sur mesure » pour servir les intérêts du commanditaire de l’étude (Gemmyo.com propose justement une offre de joaillerie qui se veut « accessible » et « personnalisable »), force est de reconnaître que ces critiques sonnent d’autant plus juste qu’elles ont un air de déjà vu… Et la crise aidant, il semblerait que le phénomène s’amplifie, attestant d’un fossé qui se creuse entre les Français et ces marques, perçues comme de plus en plus lointaines et élitistes.

Est-il pour autant pertinent de parler d’un véritable « désamour des Français pour leurs marques de luxe » comme le fait Pauline Laigneau*** ? Et le temps est-il venu de changer de modèle ? Le BrandNewsBlog pèse ci-dessous le pour et le contre et vous livre son (forcément subjectif) point de vue…

OUI, il est temps de revoir les formules du luxe 

 

Rien de bien nouveau sous le soleil, pourrait-on dire. Les tendances dévoilées par opinionway (sur la base de questions un peu trop fermées et « orientées » à mon goût) ont l’avantage de sembler d’autant plus évidentes qu’elles recoupent un certain nombre d’idées bien ancrées : le caractère froid et impersonnel des marques de luxe, leur dimension ostentatoire, leur prix excessif

Sondage opinionway pour Gemmyo

Plus ennuyeux pour ces marques, leur communication semble être une des plus fortes causes de rejet. Comme je l’évoquais dans un précédent post (« Le luxe déchaîné ou comment les marques françaises de luxe font leur révolution culturelle »), les plus grandes maisons n’ont pas hésité dans ce domaine à entamer une « hybridation » de leur discours, en brisant par exemple un certain nombre de dogmes immémoriaux. Reprenant les codes de la grande consommation et alternant davantage les registres (chic, vulgaire, glamour…), elles ont volontairement cultivé les dissonances, au risque de brouiller leur image et d’opérer parfois en hiatus complet en adoptant des tons différents sur le web et dans leurs autres supports de communication.

Osant des emprunts à la culture populaire et au « vulgaire », de nombreuses marques se sont ainsi illustrées (comme Chanel en choisissant comme ambassadrice l’égérie punk Alice Dellal, Lanvin en misant sur la musique du rappeur Pitbull pour une de ses collections, ou d’autres marques comme Dior en reprenant dans leurs pubs les codes des jeux vidéo)… au point de semer en route un certain nombre de leurs fidèles ?

C’est peut-être une des explications de cet étonnant constat dressé par opinionway : les Français les plus aisés (ceux qui seraient les plus susceptibles d’acheter des produits de luxe) sont aussi ceux qui se montrent les plus critiques vis-à-vis de la communication déployée par les marques (qu’ils sont les premiers à juger ostentatoire, provocante et de mauvais goût). La preuve ultime que les marques de luxe devraient changer leur approche ?

NON, le modèle n’est pas  en cause <= 

 

En même temps, si les nouveaux codes de communication des marques de luxe ne sont pas forcément acceptés par tous leurs clients, opinionway indique bien dans son sondage que les jeunes y sont les plus réceptifs. Et c’est tout à fait normal car ces codes ont été pensés pour eux. Comme l’indiquaient récemment Grégory Casper et Eric Briones dans leur ouvrage « La génération Y et le luxe**** », les Millenials devraient en effet représenter la principale population consommatrice du luxe dès 2018-2010. Et ils sont 83% « à ne pas trouver choquant d’acheter un produit de luxe en période de crise ».

D’ores et déjà positionnées sur cette cible, les marques de luxe (françaises en particulier) sont aussi, conjoncture et opportunités de développement obligent, particulièrement concentrées sur leurs débouchés internationaux. En France, comme le rappelle cet article de Challenges, « la moitié des ventes de biens de luxe vient en effet du tourisme et parmi ces touristes viennent en premier les Chinois (ce qui n’est pas très étonnant car on sait que 40% du budget des Chinois en voyage concerne le shopping) et en deuxième les Russes ». Par ailleurs, nos fleurons nationaux du luxe sont également portés par la consommation des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), davantage que par la consommation hexagonale.

Sans nier le ressenti des Français vis-à-vis des marques de luxe (qui est largement à nuancer, car ils sont plus de trois quarts à reconnaître que ces marques les font encore rêver), on peut dès lors comprendre pourquoi ces marques ne raisonnent pas en fonction du seul prisme des perceptions hexagonales. En prenant en considération la réussite exceptionnelle des plus grands groupes français, qui atteste à elle seule de la pertinence de leur stratégie et de leur modèle, il faut aussi rappeler que le luxe en France génère, toutes entreprises confondues, près de 100 000 emplois directs et quelques 212 milliards d’euros de CA en 2012 ! Une réussite que lui envient les autres secteurs de l’économie.

=> Découvrez ci-dessous la liste des 10 plus grands groupes du luxe mondiaux, d’après le classement « Global Powers of Luxury Goods » 2014 de Deloitte (=> 3 groupes français figurent en bonne position dans ce top ten) :

Infographie Global Powers of Luxury Goods 2014 V finale

=> Les changements ont DEJA COMMENCE

 

Comme je l’expliquais il y a un an, à la suite de la publication de l’excellent essai « Le luxe déchaîné » de Marine Antoni (voir mes précédents posts à ce sujet ici et ), les marques de luxe n’ont pas attendu des résultats de sondages pour commencer leur « révolution culturelle ». De fait, peu de secteurs économiques sont à la fois aussi hétérogènes, de par la diversité de leurs activités et de leur culture, et réactifs aux évolutions des attentes de leurs publics. Poussées par l’émergence de nouvelles typologies de clients et par le développement du luxe de masse, les grandes marques et maisons françaises ont commencé à se « réinventer », soit de façon discrète et relativement « cosmétique », soit de manière plus affichée et systématique

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Pour la plupart, elles l’ont fait en s’affranchissant de 5 grandes règles jusqu’ici sacro-saintes (= 5 dogmes du luxe à la française), que l’on peut résumer de la manière suivante :

  1. Noblesse des objectifs : la marque de luxe doit faire rêver (susciter le désir), réconforter (offrir du plaisir) et surtout produire de la distinction ;
  2. Ton/esthétique irréprochables : la marque de luxe doit respecter scrupuleusement les règles du « bon goût » ;
  3. Gestion monolithique : la marque de luxe doit à la fois refléter une identité forte, distinctive et cohérente (= « unité d’action ») et offrir en tout temps et en tout lieu un visage homogène ;
  4. Respect de ses propres origines : la marque de luxe est souvent très liée à son/sa créatrice et doit par-dessus tout rester fidèle à ses propres codes ;
  5. Distance et inaccessibilité : tout ce qui peut porter atteinte au « rêve » véhiculé par la marque doit être banni.

Cet affranchissement des règles du luxe, que certains ont parfois qualifié de démarche de « premiumisation » s’est jusqu’ici traduit, selon les marques et maisons concernées, par 3 grands types de bouleversements :

  • De plus en plus, les marques se permettent de jouer sur les prix, la rareté et l’accessibilité de leurs produits : comme le joaillier Mauboussin affichant des prix cassés dans les couloirs du métro, Hermès commercialisant sur son site ses accessoires et cravates livrables sous 3 heures à ses clients parisiens, etc.
  • Abandonnant les postures ostentatoires et « statutaires », les marques adoptent la mobilité, l’hybridation et multiplient les gammes et séries limitées, au détriment « du luxe guindé » d’antan.
  • Moins intransigeantes sur les impératifs d’homogénéité de leurs discours, les marques de luxe s’approprient les codes de la grande consommation, alternent les différents registres (chic, vulgaire, glamour…) et cultivent les dissonances. Cela est particulièrement flagrant sur leurs sites web, comptes sociaux et dans leurs opérations digitales (=> cf les nombreux exemples données par l’excellent blog mydigitalluxurygalaxy). Au risque parfois d’une certaine confusion des genres ou d’un hiatus avec le reste de leurs opérations de communication, au demeurant plus élitistes…

On le voit (et les nombreux autres exemples donnés récemment dans le livre « La génération Y et le luxe » le confirment), les marques ont pour la plupart déjà commencé à retravailler et moderniser leur « formule magique ». Saisissant toutes les opportunités de recréer de la différence avec leurs concurrentes premium, quitte à aller les concurrencer sur leur terrain, elles réinventent tous les jours leurs formes d’expression.

Nul inquiétude à se faire donc sur leur avenir et leur pérennité, si nos fleurons du luxe demeurent aussi combatifs et créatifs. Et beaucoup de secteurs seraient bien inspirés de prendre exemple sur cette souplesse et cet art de la remise en question permanente, qui permet au modèle du luxe de perdurer.

Que les marques paraissent « froides », « provocantes » ou « inaccessibles », le constat doit en être relativisé et demanderait d’ailleurs à être confirmé. Car on l’a vu, les différents publics sont loin d’avoir un rapport uniforme au luxe. Par ailleurs, la part de rêve ou cette « inaccessible étoile » qui fait quand même que le luxe reste du luxe aux yeux de ses publics (et des acheteurs potentiels) demeure manifestement préservée. Et c’est bien là l’essentiel… Ce sur quoi misent tous les leaders du secteur pour se renouveler et se développer dans les prochaines années.

 

 

Sources et notes :

* « Pourquoi la France est championne du luxe et continuera à l’être« , par Claire Bouleau, Challenges.fr, le 16 mai 2014 

** gemmyo.com = site de vente de joaillerie en ligne => www.gemmyo.com

*** Pauline Legniau = fondatrice de Gemmyo.com

**** « La génération Y et le luxe », de Grégory casper et Eric Briones (alias Darkplanneur) – Editions Dunod, avril 2014 (découvrir ici l’interview et ma fiche de lecture de ce livre)

 

Le luxe déchaîné, ou comment les marques françaises de luxe font leur révolution culturelle

Poussées par l’émergence d’une nouvelle typologie de clients (les « consommateurs romantiques ») et par le développement du luxe de masse, les grandes marques et « maisons » françaises se réinventent. Elles le font pour la plupart de manière discrète et détournée. Et pour certaines, de façon plus affirmée, en s’affranchissant des « dogmes » et codes qui régissaient jusqu’ici le marketing du luxe (pour retrouver la liste des 5 grands dogmes du luxe à la française, lire ici mon précédent post).

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Les conséquence de ces bouleversements sont de 3 ordres* :

Les marques se permettent de jouer sur les prix, la rareté et l’accessibilité de leurs produits. Le joaillier Mauboussin affiche des prix cassés en 4 x 3 dans les couloirs du métro ; les plus grandes maisons se lancent dans la vente en ligne (une audace impensable il y a encore quelques années, tant le web était considéré avec dédain et méfiance, car trop « grand public »). Hermès, par exemple, commercialise désormais sur son site ses accessoires et cravates, qui sont livrés sous 3 heures à ses clients parisiens. Autre exemple : dans un pop-up store voisin de son flagship des Champs-Elysées, Guerlain propose à ses clients une nouvelle expérience : un accès direct aux produits que l’on peut toucher, sentir, essayer, dans un espace polysensoriel à la déco pop et acidulée, etc.

La mobilité, l’hybridation, le « disparate » prennent la relève du luxe guindé. Abandonnant les registres ostentatoires et « statutaires », les marques épousent les goûts et attentes du consommateur romantique en mélangeant les catégories d’objets, les gammes de prix et les styles. Moins « intemporelles », elles captent l’air du temps en multipliant les sorties de produits et les séries limitées… sans dénaturer leur esprit originel. Dans cette « tension » permanente entre leur patrimoine et le temps court de la mode, l’arrivée d’un nouveau directeur artistique (comme celle de Nicolas Ghesquière chez Louis Vuitton par exemple) constitue évidemment un enjeu de taille. Les stylistes-stars embauchés par les grandes maisons n’ont pas seulement pour mission de réinterpréter les codes de la marque. Ils doivent aussi « l’emmener » vers de nouveaux clients, en modernisant ses références.

Les codes de la grande consommation font irruption dans la communication des marques. Moins intransigeantes sur les impératifs d’homogénéité de leurs discours, les marques de luxe alternent les différents registres (chic, vulgaire, glamour…) et cultivent les dissonances. Cette tendance est nette sur leurs sites web et comptes sociaux, où elles opèrent parfois en hiatus complet avec le reste de leur communication… Sur leur plateforme http://www.chanel-confidential.com et http://www.guerlain-makeup.com, Chanel et Guerlain proposent ainsi à l’internaute une relation connivente, voire intimiste et complice, en décalage avec l’image plutôt froide renvoyée par leurs boutiques et leurs campagnes pub. Les vidéos décalées présentes sur le site d’Hermès illustrent le même mouvement. Dans la pub, les emprunts à la culture populaire et « vulgaire » sont désormais légion. Chanel choisit comme ambassadrice l’égérie punk Alice Dellal pour son sac Boy, Lanvin la musique du rappeur Pitbull pour une de ses collections. Chanel et Dior reprennent avec humour les codes des jeux vidéo dans leurs campagnes Here comes the beauty pack et Dior games… Bref, « l’hybridation » bat son plein.

Vers la fin du modèle français du luxe ?

Libérées de leur « chaînes », les marques françaises intègrent et orchestrent la dissonance au coeur de leur identité, s’insèrent dans un rythme temporel plus soutenu et mettent en scène une multiplicité de facettes. Esthétiquement, elles s’ouvent à de nouveaux registres pour s’en enrichir : comique, arts populaires, jeux sur les corps et les formes… Ce faisant, elles alignent chaque jour un peu plus leur modèle sur celui de certaines marques anglo-saxonnes, comme Burberry.

Faut-il y voir une perte d’influence de notre modèle national ou une conséquence logique de la mondialisation ? Il est trop tôt pour le dire. En s’adaptant aux nouveaux profils de consommateurs et à l’internationalisation, les marques françaises risquent certes de perdre un peu de leur âme. Mais si c’est le prix à payer pour survivre et rester leaders sur les marchés émergents notamment, faut-il s’en offusquer ? Tous les modèles doivent évoluer, surtout ceux qui marchent… avant d’être passés de mode.

* Exemples et illustrations repris de l’ouvrage de Marine Antoni, Le luxe déchaîné – De l’hernanisation des marques de luxe, Editions Le bord de l’eau – 2013

Crédit photo : Louis Vuitton, X, DR

Les 5 dogmes (vacillants) du marketing du luxe

Vous l’avez peut-être remarqué, j’ai un petit faible pour les ouvrages marketing originaux, voire iconoclastes. « La marge est ce qui fait tenir ensemble les pages du livre » a dit un jour Jean-Luc Godard. En ce sens, on trouve souvent plus d’idées et de pistes de réflexions dans les productions d’auteurs originaux et peu connus que dans les best-sellers de la mercatique…

Avec Le luxe déchaîné (édition Le Bord de l’eau 2013), Marine Antoni nous offre une réflexion passionnante sur l’évolution du modèle du luxe « à la française »Son essai, émaillé d’exemples récents, établit un parallèle inattendu et audacieux entre l’effondrement d’un genre littéraire (la tragédie classique au 19ème siècle) et la mutation profonde dans laquelle les marques et le marketing du luxe sont aujourd’hui engagés. Ce faisant, cette ancienne étudiante de khâgne et de l’ESCP nous démontre en quoi les dogmes qui régissaient jusqu’ici ce marketing bien spécifique sont notamment remis en cause par l’émergence d’une nouvelle typologie de consommateurs…

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Le marketing de la marque de luxe : une discipline jusqu’ici très codifiée…

Depuis des années, les marques de luxe ont fait l’objet d’une littérature abondante. Pour la plupart des auteurs, comme Jean-Noël Kapferer et Vincent Bastien (Luxe oblige, 2008), le luxe se caractérise d’abord par un certain nombre de caractères distinctifs comme son prix élevé, l’exceptionnelle qualité des « matériaux » employés et un processus unique de conception-production.

De même que la tragédie classique se conforme à un corpus de règles extrêmement précis (notamment la règle dite des 3 unités*), le marketing du luxe fait lui-même l’objet, dans la littérature spécialisée, d’une codification rigoureuse. Il obéirait notamment à 5 grands axiomes, qui ont quasiment valeur de « dogmes » :

1 / NOBLESSE DES OBJECTIFS : la marque de luxe doit faire rêver (susciter le désir), réconforter (offrir du plaisir) et surtout produire de la distinction ;

2 / TON / « ESTHETIQUE » IRREPROCHABLES : la marque de luxe doit respecter scrupuleusement les règles du bon goût (la célèbre formule de Gabrielle Chanel « le luxe est le contraire de la vulgarité » en est la meilleure expression) ;

3 / GESTION « MONOLITHIQUE » : la marque de luxe doit à la fois refléter une identité forte, distinctive et cohérente (= « unité d’action ») et offrir en tout temps et en tout lieu un visage homogène… « afin que les consommateurs fassent la même expérience de la marque dans le temps et dans l’espace » (= « unité de temps » et « de lieu ») ;

4 / RESPECT DE SES ORIGINES : la marque de luxe est souvent indissociablement liée à son/sa créatrice et doit par-dessus tout rester fidèle à ses propres codes, sans en déroger (faute de quoi elle ne serait plus « audible ») ;

5 / DISTANCE ET INACCESSIBILITE : tout ce qui peut porter atteinte au « rêve » véhiculé par la marque doit être banni (trivialité, références populaires ou vulgaires, codes et registres de la grande consommation…).

… Un marketing bâti par opposition à celui de la grande consommation

Erigé contre les conventions et le goût « vulgaire », le luxe (dans sa conception traditionnelle) constitue pour son consommateur « historique » un moyen d’acquérir une place dans la société et d’affirmer un statut. « Badge social », ou « médaille » selon la terminologie de Kapferer et Bastien, il constitue une « récompense symbolique de la réussite et donc de l’acquisition du pouvoir ».

A ce titre, il est important pour les clients traditionnels du luxe que celui-ci soit visible, soit de façon ostentatoire (importance des logos, des monogrammes ou de styles immédiatement reconnaissables : total look de Chanel…), soit de manière plus subtile, afin d’être reconnu seulement par les membres d’une catégorie sociale.

Dans cette conception du luxe, il est également important que les marques soient perçues comme difficilement « accessibles » au commun des mortels, de par leur prix (élevé) ou tout autre obstacle culturel ou physique. Marine Antoni cite par exemple l’organisation de certaines boutiques (Hermès, Louis Vuitton ou celui de la boutique Christian Dior avenue Montaigne), dont la configuration est étudiée pour ériger un maximum de barrières et de distances entre le produit (idéalisé / désirable / inaccessible) et le client…

Du consommateur « classique » au consommateur « romantique » : de nouvelles attentes vis-à-vis du luxe

Mais cette conception traditionnelle du luxe a aujourd’hui vécu. Sous l’influence des modèles anglo-saxons de démocratisation du luxe (« nouveau luxe », « luxe accessible » ou encore « masstige ») et du fait de l’émergence de nouveaux profils de consommateurs, les marques sont amenées à repenser leur modèle et leur marketing.

La figure du « consommateur romantique », tel que Marine Antoni le décrit, par opposition au « consommateur classique » ou traditionnel du luxe, a des attentes nouvelles. Moins soucieux de statut et de reconnaissance sociale, il/elle souhaite avant tout être reconnu(e) dans son identité et consommer le luxe de manière plus individuelle et hédoniste. Dans cette optique, le luxe devient davantage un moyen d’affirmation et de différenciation de l’individu plutôt qu’un symbole d’appartenance sociale. Les marques sont avant tout choisies sur des critères affectifs et hédoniques, car le consommateur romantique privilégie les dimensions « émotionnelle, expérientielle et psychologisée » du luxe. Plus que les attributs réels et fonctionnels du produit (qualité des matériaux, perfection des finitions…), c’est au monde imaginaire auquel renvoie la marque que le nouveau profil de consommateur s’intéresse…Fidélité à ses valeurs ou à ses choix de consommation, quête de l’authenticité et de l’émotion, goût pour la mode et l’innovation, recherche de singularité : les codes traditionnels sont de plus en plus « ringardisés », remettant en cause les repères immuables des plus grandes maisons de luxe…

Retrouvez la suite dans mon prochain post :

« Le luxe déchaîné ou comment les marques de luxe se réinventent »

* La règle des 3 unités, énoncée par Boileau dans son Art Poétique est considérée comme le fondement narratif de la tragédie : elle dispose « Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli / Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. Pour des raisons de vraisemblance et d’efficacité, la tragédie ne doit dépeindre qu’une intrigue principale, dont la durée n’excède pas vingt-quatre heures et qui se tienne en un lieu unique.

Crédit photo : Le bord de l’eau / TheBrandNewsBlog

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