Les dircom, éternels incompris au sein des organisations ? 5 pistes pour échapper au syndrome « Calimero »

C’est l’avantage d’avoir un blog aujourd’hui bien identifié dans le domaine de la communication : quand il m’arrive de louper une info, ou de ne pas avoir eu le temps de la traiter, mes lecteurs.trices m’interpellent gentiment ou me notifient directement dans leurs publications sur les réseaux sociaux.

C’est ainsi par exemple que Jean-François Clément ou Guillaume Terrien – qu’ils en soient remerciés – m’ont chacun poussé le même article¹ relayant l’excellente étude réalisée par le groupe Cision sur la « place de la communication dans les entreprises », étude pour les besoins de laquelle pas moins de 343 dircom français ont été interviewés récemment².

En lecteur fidèle de mon ami Olivier Cimelière, je vous avouerai que j’avais déjà pu parcourir les résultats très intéressants de cette consultation sur son blog. Et je n’attendais plus qu’une petite pichenette pour m’atteler à la rédaction d’un article vous donnant mon avis et ma propre analyse sur le sujet.

Au-delà des posts de Jean-François et de Guillaume évoquant le « blues » des dircom et les incompréhensions récurrentes avec leur DG, ce déclic me fut donc donné par l’article d’Influencia auquel ils faisaient référence : « Je ne suis pas dircom à tout faire », dont le ton général et les raccourcis à mon avis un peu trop lapidaires me fournirent le prétexte que j’attendais pour entrer dans la danse et essayer de mettre fin à la « complainte du communicant »…

Car nonobstant les constats très pertinents et au demeurant nuancés posés par le groupe Cision sur la place de la communication et le déficit d’écoute dont se plaint une majorité de professionnel.le.s, force est de reconnaître que les résumés exagérément négatifs auxquelles l’étude a ensuite donné lieu ne servent pas forcément la cause des communicant.e.s et que ce petit refrain lancinant du dircom « mal aimé, sous-staffé et sous équipé » ne fait en rien avancer le Schmilblik… et pourrait tout aussi bien être entonné par tous les autres services support des entreprises, en définitive.

Mais de quoi parle donc cette étude Cision et quels en sont sont les principaux enseignements (pour celles et ceux qui ne les auraient pas déjà découverts) ? Pourquoi les communicant.e.s doivent à mon avis se garder d’être excessivement pessimistes pour l’avenir ? Et surtout : comment s’y prendre concrètement pour renforcer encore les liens des communicant.e.s avec leur DG et leurs clients internes, en suscitant davantage d’écoute ?

C’est ce que je vous propose de voir aujourd’hui et jeudi prochain au travers de mes 5 conseils pour échapper au syndrome « Calimero » du communicant : un anti-dépresseur toujours utile pour (re)voir plus souvent le verre plein que vide.

« C’est vraiment trop injuste » : heurs et malheurs (réels et supposés) des communicant.e.s en entreprise

Il ne serait vraiment pas honnête de ma part de moquer ou de caricaturer les états d’âme des professionnels de la communication, quand je les ai si souvent moi-même recueillis, relayés ou éprouvés directement et indirectement.

A cet égard, et sans mentionner la liste complète des articles dans lesquels j’ai pu aborder ce sujet, je citerai volontiers l’excellent ouvrage de Thierry Wellhoff, « Le procès de la communication », qui fait pour moi référence. Dans ce plaidoyer, auquel j’avais consacré ce billet, le président-fondateur de l’agence Wellcom reprenait un à un tous les clichés et toutes les critiques adressés à la communication et aux communicants, pour en démontrer l’exagération ou l’innocuité. Et la liste était longue ! Il y démontrait notamment combien les métiers de dircom et de communicant d’entreprise sont ardus, quand la discipline est encore considérée par bien des patrons comme une science « molle », source de coûts et de surcoûts, plutôt qu’un véritable investissement…

Dans ce milieu de l’entreprise et des organisations, quel.le dircom ne s’est par ailleurs plaint, de manière ponctuelle ou récurrente : 1) du manque d’anticipation des projets de communication par ses différents interlocuteurs ; 2) du fait de ne pas être intégré.e dès l’amont dans des projets stratégiques ; 3) ou bien de voir son expertise ignorée voire concurrencée par des équipes mettant en œuvre leurs propres démarches et supports de communication, sans lui en avoir référé au préalable ni avoir mis aucun communicant dans la boucle ?

Tout en notant de réels progrès quant au statut de la communication en entreprise, qui est de plus en plus perçue comme importante et stratégique (d’après 72% des dircom interrogés), l’étude Cision pointe quant à elle de réels problèmes de confiance de la part des directeurs généraux, dont 51% des dircom ne se sentent pas suffisamment écoutés. 70% des directeurs de la communication jugeant par ailleurs que les consignes de leur service ne sont pas suffisamment appliqués par les collaborateurs de l’entreprise.

Autre point souligné par l’étude Cision, dont je vous incite à aller lire la synthèse détaillée des résultats ici, le décalage entre l’ordre de priorité attribué aux différents objectifs de communication : tandis que DG et dircom s’accordent globalement sur l’importance de rechercher la visibilité et la confiance des parties prenantes (objectifs prioritaires 1 et 2), le 3ème objectif n’est pas partagé, puisque 65% des dircom disent chercher à créer de l’engagement tandis que cet objectif est important pour 25% des DG seulement, qui lui préfèrent la génération de leads (38%) et un objectif de facto beaucoup plus commercial.

Dans les facteurs susceptibles d’expliquer ce déficit d’écoute et ce relatif désalignement sur les objectifs commerciaux, Cision avance deux hypothèses. Respectivement : le fait que les dircom sont encore très rarement présents dans les comités de direction des entreprises (toutes organisations considérées, seuls 37% des dircom y siègent) ; et d’autre part une confusion croissante des missions de la communication avec celles du marketing. 

Autre point souligné : petites et grandes entreprises confondues, c’est davantage le manque de personnel et d’équipements (notamment d’outils innovants) qui est pointé par les dircom dans les causes de démotivation plutôt que la faiblesse de leur budget…

Des sources d’interrogation et des attentes qui font écho aux doutes déjà relevés par des études précédentes…

Pour celles et ceux d’entre vous qui lisent régulièrement ce blog, ces résultats d’étude quantitative dévoilés par Cision ne seront pas sans vous rappeler une autre enquête dont je vous avais parlé dans ces colonnes : en l’occurrence, l’étude qualitative « Nouveaux enjeux des directeurs de la communication » conduite par l’agence Proches Influence et Marque en 2016.

Réalisée sur la base d’entretiens qualitatifs menés auprès de 30 directeurs de la communication de différents secteurs d’activité, cette étude faisait déjà ressortir les grands enjeux de la digitalisation et de maîtrise des contenus dont Cision fait écho ce mois-ci  (voir infographies ci-dessous).

Pointant la complexité et la difficulté de gérer en permanence des missions extrêmement diverses (de la plus stratégique à la plus opérationnelle) en mode « couteau suisse », voire en situation de crise continue, les dircom interrogés se plaignaient déjà de devoir « se battre » pour justifier en permanence leurs actions, dans un contexte de pression budgétaire exacerbée et de reconnaissance aléatoire, une majorité d’entre elles.eux ne siègeant pas dans les comités de direction : cf le « SWOT » du dircom ci-dessous…

5 pistes pour échapper au syndrome « Calimero » et resserrer les liens avec les DG et les autres interlocuteurs des équipes communication dans un climat d’écoute accrue…

Pour ne pas succomber à la morosité ni à la tentation de la complainte perpétuelle (certes confortable mais généralement contre-productive), je vous propose ci-dessous quelques pistes et leviers à explorer, pour celles et ceux d’entre vous qui ne les auraient pas déjà mis en œuvre.

NB : à toutes fins utiles, je tiens à préciser que le besoin s’en fait manifestement davantage ressentir dans les petites et moyennes organisations de moins de 500 salariés que dans les grandes, comme le souligne l’étude Cision, les pourcentages en termes de satisfaction et d’écoute ressentie étant manifestement sensiblement plus positifs dans les grandes entreprises que les plus petites, dans lesquelles les communicant.e.s sont sommés beaucoup plus régulièrement de se justifier et travaillent souvent avec moins de moyens.

>> SUGGESTION N°1 : démontrer la contribution de la communication à la performance, en co-construisant des indicateurs de pilotage (KPI) régulièrement partagés.

S’ils ne représentent assurément pas à eux seuls la solution à tous les maux exprimés par les dircom, des Key Performance Indicators bien définis et partagés régulièrement avec la direction générale et les autres clients internes de l’entreprise me semblent de nature à renforcer significativement la confiance réciproque et la compréhension de notre métier.

Et pourquoi pas – soyons fous – après en avoir d’abord échangé entre communicants, essayer de définir et co-construire ces KPI globaux avec la DG et certains clients internes ? Quel meilleur moyen, en définitive, de s’assurer qu’on regarde bien tous dans la même direction… et d’éviter des divergences sur les objectifs prioritaires comme ceux identifiés dans son étude par Cision ?

Plutôt que de parler de « mesurite » aigüe et de « syndrome du tableau Excel », comme s’en amuse Olivier Cimelière dans son article, il s’agit selon moi de faire le tri entre une foule d’indicateurs plus ou moins utiles déjà suivis par les équipes communication, pour ne remonter que les plus pertinents, voire en co-construire de nouveaux qui répondent vraiment aux besoins de l’entreprise. Et dans ce domaine, trop de KPI tue le KPI, et il s’agit que les dashboards remontés en CODIR ou en COMEX tous les trimestres soient lisibles et signifiants, plutôt de présenter un bulletin de note abscons et exagérément flatteur.

Par expérience, les contributions les plus difficiles à identifier, à définir et remonter régulièrement par les communicants sont souvent les KPI « business », si importants aux yeux des commerciaux et de plus en plus à ceux des directions générales (notamment les fameux « leads » évoqués ci-dessus). Comment calculer précisément le ROI d’un évènement en termes d’acquisition voire de chiffre d’affaires, par exemple, sauf à réaliser un travail de fourmi et à « faire le boulot des commerciaux » comme s’en agacent tant de communicants ? C’est justement pour cette raison qu’il me semble important de co-construire ce type d’indicateurs en amont, pour s’assurer justement de la remonter des informations une fois les indicateurs définis.

Et pour entreprendre un tel travail de fond sur les KPI, je n’en dirai pas davantage, car j’avais déjà consacré un article à ce sujet important, à la suite des travaux menés par l’associations Entreprises & Médias (voir ici mon article à ce sujet). Pour mémoire, je vous en représente ci-dessous l’infographie de synthèse…

SUGGESTION N°2 : expliquer et réexpliquer sans cesse le plan de communication et ses composantes, et en quoi il découle directement du plan stratégique et répond aux grands enjeux de l’entreprise (raison d’être, transformation, objectifs commerciaux…)

De tous temps, le plus difficile, dans la compréhension et la valorisation de nos métiers, au-delà même de l’explication des savoir-faire et des expertises spécifiques qui le composent, a été de faire comprendre en quoi ils s’inscrivaient en droite ligne de la stratégie de l’entreprise, au service de sa raison d’être, de sa mission et de ses objectifs.

Ainsi, prendre inlassablement son bâton de pèlerin pour aller expliquer, les yeux dans les yeux et à chacun de ses interlocuteurs l’essence et le sens d’une plateforme de marque, les mots qui la composent et ce qui en découle pour chacun des acteurs de l’entreprise, mais aussi le total alignement du plan et des actions de communication aux axes stratégiques retenus, n’a jamais été du temps perdu.

Car c’est tout simplement le sens même de la mission du.des communicant.e.s et notre valeur ajoutée qu’il s’agit de faire toucher du doigt. Et si les communicant.e.s n’ont pas attendu que j’écrive ces lignes pour les mettre en pratique et faire la pédagogie de leur action, combien s’y livrent de manière régulière et pour ainsi dire ritualisée, dans le cadre de réunions en petits comités voire bilatérales avec chacun des interlocuteurs ? S’il peut être confortable de faire une présentation lors des grandes messes d’entreprise voire en CODIR, et de faire suivre des présentations par mail, combien en assurent vraiment l’après-vente dans les services et s’assurent de l’adhésion et la compréhension de chacun.e ?

Chaque dématérialisation du process est à mon avis une occasion de confrontation de moins avec la réalité du terrain, avec les remontées souvent pertinentes émanant d’une direction ou des équipes ; une chance de moins d’éclaircir les termes ambigüs que ces cadres n’avaient pas compris sans oser jusqu’ici le dire… Et si tout cela est prodigieusement chronophage, bien sûr, c’est aussi de la compréhension réciproque et l’écoute de demain qu’il s’agit de s’assurer au travers d’une telle pédagogie.

SUGGESTION N°3 : Co-produire davantage encore la communication de l’entreprise, en incitant les dirigeants à prendre davantage la parole et en développant l’employee advocacy auprès des collaborateurs

Dans un contexte de perte de confiance croissante des salariés et des consommateurs vis-à-vis des messages « corporate » édulcorés et des formes de communication « top-down », l’incarnation de la marque par son / ses dirigeants et la communication de « pair à pair » (peer-to-peer) sont de plus en plus plébiscitées.

Ces deux tendances de fond, qui impactent aujourd’hui nos métiers, constituent autant d’opportunités d’impliquer les directions générales mais également l’ensemble de collaborateurs dans la stratégie de communication de leur entreprise. Et fort heureusement, de plus en plus de communicant.e.s l’ont très bien compris et accompagnent désormais les dirigeants dans leur prise de prise de parole sur les réseaux sociaux, ainsi qu’en témoigne la toute récente étude « TOP 100 du leadership digital », à laquelle j’ai consacré un article il y a de cela 15 jours.

En même temps que le développement de l’influence digitale des dirigeants, qui passe nécessairement par une sensibilisation de ceux-ci aux enjeux et spécificités des réseaux sociaux, et par la définition d’une véritable stratégie éditoriale de thought leadership, la mise en œuvre de démarches globales d’employee advocacy représente également une opportunité de sensibiliser les collaborateurs à la politique et aux objectifs de communication de l’entreprise. Elle offre également de multiples occasions de faire évoluer le regard de tous les salariés ambassadeurs sur la mission des communicant.e.s en les associant à la co-production des thématiques et des messages sortants de l’entreprise, comme l’illustrent bien les nombreuses démarches d’advocacy lancées par les organisations ces derniers mois.

Qu’on évoque les démarches participatives de Faurecia, offrant la gestion de son compte Instagram à ses équipes terrain dans le cadre de son initiative « A week in a life of », tandis que son DG Patrice Koller est intégré au programme LinkedIn Influencer, ou bien que l’on parle de la stratégie de communication « bottom-up » de Sanofi, laissant à ses ambassadeurs français la liberté de créer leurs propres actions de communication interne, valorisant par exemple leurs métiers sur ses différents sites, on assiste partout à un lâcher prise bienvenu et à la multiplication de co-productions motivantes pour les collaborateurs et les dirigeants aussi bien que les communicants.

L’implication de chacun dans la communication de l’entreprise et la compréhension des métiers et de l’accompagnement offert par les communicant.e.s ne peuvent que s’en trouver améliorées : il y a donc tout intérêt pour tous à developper de telles approches !

SUGGESTION N°4 : Mettre davantage les mains dans le « cambouis » du marketing et des ventes en développant la recommandation et le social selling

Outre les deux grands objectifs identifiés par l’étude Cision de développement de la visibilité de l’entreprise et de la confiance de ses parties prenantes, les directions de la communication ne peuvent plus guère s’affranchir de ces impératifs de recommandation et de génération de leads auxquels souhaitent ardemment les associer leur direction générale…

Cela tombe bien : avec la mise en place de KPI de plus en plus en plus fins, pour tous les points de contact online avec les clients ou prospects notamment, il devient beaucoup plus simple de mesurer le « ROI » des contenus de la marque et d’associer une mesure de la performance à la mise en place de boutons « call to action ». De même, le développement de l’art de la recommandation et du social selling via les réseaux sociaux dans le cadre des démarches d’employee advocacy, offre des perspectives importantes qu’ont d’ores et déjà su exploiter de nombreuses entreprises anglo-saxonnes. IBM, parmi les plus actives, n’a pas attendu les dernières années pour former ses milliers d’ambassadeurs, les IBMers, aux subtilités du social selling, et affiche en la matière des objectifs ambitieux.

Et que ce soit dans l’évènementiel aussi bien que les relations influenceurs, pour prendre ces autres exemples, des objectifs clairs associés à des indicateurs de mesure de la performance précis peuvent aisément être mis en place, pour juger de l’intérêt et la rentabilité des opérations : il suffit là aussi de se mettre d’accord en amont sur les KPI intéressants avec tous les services susceptibles d’y contribuer. La grande époque des directions de la communication corporate retranchées dans leur tour d’ivoire avec des objectifs entièrement à leur main est donc bien révolue… si tant est qu’elle ait jamais existé ! 

SUGGESTION N°5 : Passer d’une posture de « control-freak » à davantage de lâcher-prise, pour accompagner les différents ambassadeurs et porte parole des messages de l’organisation…

Je n’ai cessé de le dire depuis des années : les missions des dircom et des communicant.e.s ne cessent d’évoluer et de s’enrichir et cette transformation continue – il vaudrait d’ailleurs mieux parler de métamorphose – est loin d’être achevée, si tant est qu’elle s’achève un jour…

Tous les communicant.e.s ou presque ont bien conscience de la chance qu’ils.elles ont de vivre de telles évolutions, même si celles-ci ne sont pas forcément confortables ni agréables à vivre, mais la transformation de la chenille en beau papillon en vaut assurément la chandelle. Dans l’époque « chenille », les communicants et communicantes, recroquevillés sur des éléments de langage étriqués et abscons, s’ingéniaient comme ils.elles le pouvaient à maîtriser le nombre d’émetteurs et les canaux de diffusion. Cette grande époque « Fort Alamo » aujourd’hui révolue, il a fallu ouvrir en grand les portes de la forteresse. Et dans l’époque « papillon », tout en veillant toujours à la cohérence des messages sortants, il s’agit désormais d’accompagner par monts et par vaux les ambassadeurs et autres porte parole de l’entreprise, en les équipant convenablement au préalable quand c’est possible et en ne cessant de leur offrir aide et assistance sur le parcours…

C’est donc bien à une révolution copernicienne de la communication à laquelle on assiste, mais beaucoup de mes confrères et consœurs se sont déjà engagés sur ce chemin, troquant cette posture obsolète de « control-freak » pour la co-production de contenus et de messages et l’accompagnement d’un nombre sans cesse plus important d’émetteurs, auxquels il s’agit de s’associer dès lors que la marque est amenée elle-même à s’exprimer.

 

 

Notes et légendes :

(1) « Je ne suis pas dircom à tout faire », par Cristina Alonso – Influencia, le 19 mars 2019

(2) Etude sur « la place de la communication et des dircom dans les entreprises » réalisée par l’éditeur Cision auprès de 343 directeurs de la communication français, du 14 février 2019 au 8 mars 2019.

A lire aussi : [Etude Cision] : Vis ma vie de dircom… et ce n’est pas si facile ! par Olivier Cimelière – Le Blog du communicant, le 19 mars 2019

 

Crédits photos et illustrations : Pagot, Cision, The BrandNewsBlog 2019, X, DR.

Leadership digital des dirigeant.e.s d’entreprise : de nets progrès, mais « peut encore mieux faire »…

De longue date, je vous ai entretenus sur ce blog de l’importance pour les dirigeant.e.s d’incarner pleinement leur entreprise et leur(s) marques, quitte à en devenir les premiers « storytellers » ¹.

Et de fait, ces dernières années, nous avons assisté à une véritable libération de la parole des patron.ne.s de grands groupes et d’organisations, une sorte de « Printemps du leadership » à la fois bien vu et bienvenu, les capitaines d’industries et autres dirigeant.e.s d’institutions et d’associations hésitant de moins en moins à s’exprimer en dehors des thématiques convenues liées à leur business et à la performance de leur entité.

Cette incarnation vertueuse des entreprises par leur CEOs, plébiscitée par les collaborateurs.trices et par les consommateurs, en attente de davantage d’engagement de la part des marques, a néanmoins mis un certain nombre d’années avant de se traduire sur les réseaux et médias sociaux. Pas toujours à l’aise avec les nouveaux outils du « web 2.0 » ni avec ses codes, certain.e.s ont en effet mis beaucoup de temps à se lancer…

Mais voilà, ça y est : ainsi que le dévoilait il y a quelques jours l’agence Angie+1, en délivrant la deuxième édition de son étude « TOP 100 du leadership digital » ², cette fois il semblerait qu’une majorité de P-DG de grandes entreprises s’y soit mis, avec plus ou moins d’assiduité et de pertinence il est vrai, mais le pas est franchi. Et les exemples de dirigeant.e.s à la stratégie digitale exemplaire, ayant mis en oeuvre une vraie ligne éditoriale tenant compte des atouts et spécificités de chaque plateforme, ne sont plus des cas isolés.

Ainsi, comme vous pourrez le voir ci-dessous, Patrick Pouyanné (Total), Emmanuel Faber (Danone) et Isabelle Kocher (Engie) trustent activement les 3 premières places du classement établi sur la base de 7 critères par l’agence Angie+1. Et des dirigeant.e.s d’entreprises et d’organisations de nombreux autres secteurs d’activité sont également représentés, témoignant d’une vraie prise de conscience de l’importance et des possibilités du leadership digital, en lien avec les stratégies d’employee advocacy des entreprises.

Une bonne occasion de rediscuter de l’importance de l’incarnation des marques par leur dirigeant.e.s et des facteurs clés de succès d’un véritable leadership digital avec François Guillot, directeur associé d’Angie+1 et Mathilde Aubinaud, créatrice de la Saga des audacieux et auteure d’un mémoire de référence sur « la figure du dirigeant à travers sa marque ».

…Et ainsi que vous le verrez, la « raison d’être » est encore une fois au coeur du sujet ce matin sur le BrandNewsBlog, puisque les dirigeant.e.s d’entreprise les plus dynamiques et les plus influents n’hésitent pas à mettre leur compte au service des engagements de leurs entreprises et à appuyer leur leadership sur l’affirmation d’un « purpose », au service de la société toute entière…

Le BrandNewsBlog : François, tout d’abord bravo à vous pour cette deuxième édition de votre étude « Top 100 du leadership digital ». De par le nombre de dirigeants dont vous avez ausculté l’activité, la richesse et la profondeur des critères que vous avez croisés et la masse de publications que vous avez du brasser, on comprend que cela a du représenter un travail considérable ! Pouvez-vous nous en dire plus sur la méthodologie utilisée et les 4 principaux critères retenus pour cette étude ?

François Guillot : Merci Hervé. L’idée de départ de l’étude était de prendre une photo très globale d’un phénomène que l’on perçoit tous mais qui méritait d’être objectivé : la tendance croissante des patrons français à utiliser les réseaux sociaux. Plutôt que de s’arrêter au traditionnel CAC 40 ou de faire une liste de « patrons influents », ce qui aurait sans doute conduit à une sur-représentation des patrons de start-ups, nous avons voulu regarder l’activité des CEOs de grandes entreprises françaises, pour nous intéresser au tissu économique de façon beaucoup plus globale et transversale.

La première étape a donc consisté à réunir notre « corpus » : nous avons cherché du côté du SBF 120, de l’AFEP, des EPIC, des grandes marques… et nous avons mené en parallèle des recherches sur les grandes entreprises en rentrant secteur par secteur, notamment. A la suite de ce travail, nous avons identifié 150 CEOs particulièrement actifs sur les réseaux sociaux (contre 120 l’an dernier).

La deuxième étape de notre travail a consisté à mesurer le leadership digital de ces dirigeant.e.s et nous l’avons réalisé à l’aune de 4 familles de critères : 1) l’audience (= plus je suis suivi, plus j’ai des chances d’élargir le public qui me suit) ; 2) l’activité (= si je ne suis pas actif, je n’exprime pas mon leadership). Par exemple, Xavier Niel, qui est suivi par près de 200 000 comptes sur Twitter mais n’a tweeté que deux fois en 2018, a été sorti du corpus ; 3) l’engagement, un critère classique sur les réseaux sociaux (= cela nous dit quel niveau d’interaction suscite le CEO) ; et enfin 4) l’attractivité, qui a été mesurée à l’aune de l’audience de la page Wikipédia de ces P-DG (quand ils.elles en ont une), et qui est une autre manière de mesurer l’intérêt qui leur est porté.

Le BrandNewsBlog : Dans l’introduction de votre document de synthèse, vous évoquez le travail minutieux de « data crunching » que vous avez du effectuer, « en partie en utilisant des algorithmes, en partie a la mano ». En quoi a consisté ce data crunching ? Et pourquoi avoir choisi d’examiner en priorité Twitter, LinkedIn et Wikipedia, à l’exclusion des autres plateformes sociales et des blogs ? Certains blogs fameux de dirigeants, comme celui de Michel-Edouard Leclerc, soutiennent leur leadership digital : pourquoi ne pas avoir retenu ces canaux ? L’influence digital de MEL n’en a-t-elle pas pâti (il apparaît seulement à la 11ème place de votre classement) ?

François Guillot : Et bien quand je parle de « data crunching » et en ce qui concerne par exemple Twitter, notre équipe spécialisée en data a lancé des scripts qui permettent d’éliminer tous les abonnés « morts », afin de reconstituer une « vraie audience ». En faisant cela, nous avons remarqué que l’audience « morte » sur Twitter pouvait aller de 10 à 75% selon les P-DG étudiés. Nous avons également fait ce travail d’identifier les comptes certifiés et les comptes de journalistes parmi les bases d’abonnés des dirigeant.e.s que nous avons étudié.e.s, et nous les avons en définitive « sur-pondérés », pour donner une note globale d’audience qualifiée dépassant le seul nombre de followers, qui ne veut plus dire grand-chose…

En ce qui concerne les plate-formes analysées, nous avons bien sûr retenu Twitter parce que c’est le lieu du débat public, de l’influence, de l’actu chaude, du live. Nous avons aussi regardé de près LinkedIn parce qu’il permet, à travers la publication d’articles sur LinkedIn Pulse notamment, de développer un véritable point de vue. Et dans ce contexte, le dirigeant est typiquement dans un exercice de prise de hauteur.

L’alliance de ces deux plateformes crée une belle complémentarité et à ce titre, notre classement distingue les patrons qui sont particulièrement présents et actifs sur ces deux réseaux. Concernant Wikipédia, il me semble que la mesure des audiences (et des écarts importants qui existent d’une personnalité à l’autre) est également très révélatrice de leur attractivité respective. C’est à cet égard un critère assez étonnant et fascinant.

En ce qui concerne enfin les blogs et les autres plates-formes sociales, nous avons considéré que leur usage était trop minoritaire et que les inclure serait susceptible de poser d’importants problèmes méthodologiques. Peu de patron.ne.s ont un blog en réalité, et Michel-Edouard Leclerc, l’un des rares à en avoir, y publie les mêmes articles que sur Facebook et Linkedin : nous n’avons donc pas eu l’impression de dévaluer son influence. En fait, le nouveau format de blog aujourd’hui dans le business, c’est LinkedIn. Après, il faut noter qu’il y a également des CEOs présents sur Instagram (Isabelle Kocher, et Alexandre Ricard par exemple) ou Facebook, mais c’est assez minoritaire, et cela a encore peu d’impact pour le moment.

Le BrandNewsBlog : Votre classement 2019 fait ressortir un certain nombre de dirigeants charismatiques, en particulier Patrick Pouyanné (Total, 1er du classement), Emmanuel Faber (Danone, 2ème) et Isabelle Kocher (Engie, 3ème), qui figuraient déjà tous les trois dans votre tiercé de tête en 2018. Les 7 P-DG suivants (cf tableau ci-dessous) sont eux aussi des représentants de grandes entreprises, majoritairement du CAC 40… Est-ce à dire qu’on a aucune chance de viser le haut du classement si on est patron d’une entreprise plus modeste, du SBF 120 et au-delà ? N’y-a-t-il pas pourtant des dirigeants digitalement exemplaires dans ces structures ?

François Guillot : Emmanuel Faber était quatrième l’an dernier (le trio était à l’époque complété par Carlos Ghosn). Les résultats favorisent effectivement des patrons « connus », notamment parce que le critère Wikipédia leur ajoute des points et parce que la célébrité engendre aussi l’audience et l’engagement. C’est plus facile pour un patron déjà présent dans le débat public que pour un inconnu qui part de zéro sur les réseaux sociaux, c’est évident.

Mais je suis bien sûr persuadé que des patrons de structures moins exposées peuvent aussi avoir une excellente communication sur les réseaux sociaux, au service des enjeux de leur entreprise. En dehors du CAC, on a par exemple Alain Dehaze d’Adecco qui est 8ème, Gérald Karsenti de SAP France qui est dixième, Pascal Demurger de la MAIF qui est treizième…

Le BrandNewsBlog : J’ai tout de même noté, dans les 30 premières places, et crédités d’un « score de leadership digital » de plus de 30, la présence de deux dirigeants de grandes écoles : Isabelle Barth d’une part (INSEEC, 12ème) et Loïc Roche (Grenoble Ecole de Management, 26ème). Comment ces dirigeants d’institutions ont-ils réussi à se glisser dans ce classement très orienté grandes entreprises ? De même, quand on examine les résultats détaillés de chaque CEO par plateforme, en fonction de leur activité ou de leur taux d’engagement, on s’aperçoit que les classements peuvent significativement varier (Cf infographies ci-dessous). Est-ce à dire que le trio de tête des leaders digitaux est plutôt bon en moyenne sur toutes les plateformes, sans figurer parmi les premiers sur aucune d’entre elles ? Quels enseignements faut-il en tirer ?

François Guillot : Concernant les Ecoles Supérieures de Commerce, nous nous sommes posé la question et nous avons fait le choix de les inclure. Beaucoup de leurs dirigeant.e.s ont un usage des réseaux sociaux très intéressant, et le classement a d’ailleurs vocation à fournir un benchmark à tous ceux qui se posent la question de la communication digitale des dirigeants. A ce titre, on peut considérer qu’au-delà de l’effectif salarié, une école rassemble aussi des centaines de professeurs experts, donc une surface proche de celle d’une ETI, voire d’une grande entreprise.

Et oui, pour répondre à la question sur les différents classements présents dans notre étude, il est clair que l’addition de 7 critères différents favorise les CEOs qui ont des « bonnes notes » un peu partout, sans avoir de « trou dans leur raquette ». C’est pour ça que l’étude comporte un certain nombre de zooms, critères par critères, qui sont assez révélateurs.

Alexandre Bompard a ainsi l’audience la plus qualifiée sur Twitter, Frédéric Oudéa sur LinkedIn. Dominique Schelcher est le plus actif sur Twitter, Loick Roche sur LinkedIn. Stéphane Richard est celui qui génère le plus d’engagement sur Twitter tandis que c’est Patrick Koller qui en génère le plus sur LinkedIn. Enfin, celui qui est le plus recherché et visité sur Wikipédia est Guillaume Pépy. On ne retrouve donc aucun des top 3 en tête sur un critère en particulier, en effet.

Le BrandNewsBlog : Vous le soulignez, dans cette édition 2019, un des plus puissants leviers du leadership digital – en tous cas un point commun à tous les P-DG en tête de votre classement –  est de porter haut et fort la « cause », la « raison d’être » ou le combat de leur entreprise… A ce titre, en quoi Emmanuel Faber (patron de Danone) et Pascal Demurger (DG de la Maif) vous paraissent-ils tous deux exemplaires ? En une slide de synthèse (cf ci-dessous), vous résumez par ailleurs finement la stratégie éditoriale vertueuse utilisée par les P-DG pour traiter ce thème de la raison d’être sur les réseaux sociaux, en utilisant les spécificités de chaque plateforme : pouvez-vous nous en résumer les points saillants ?

François Guillot : Emmanuel Faber s’est fait un nom et une réputation avec son discours sur la justice sociale à HEC, qui a été vu des millions de fois sur les réseaux sociaux. C’est d’ailleurs très intéressant comme mécanique d’accès à la célébrité, surtout pour un patron (je pense que c’est le premier patron « star du web », d’une certaine façon…). Depuis, il est devenu le pionnier de la réflexion sur la mission des entreprises et il ne parle pas forcément beaucoup, mais chacune de ses prises de parole est forte. Son article sur la justice sociale sur LinkedIn est de ce point de vue très symbolique, il creuse de façon argumentée le discours tenu à HEC, qui jouait davantage sur l’émotion.

Pascal Demurger s’inscrit également dans cette dynamique : loi Pacte, entreprise à mission, lutte contre les inégalités, surconsommation, réchauffement climatique…

On assiste à une éclosion passionnante de dirigeants qui veulent changer le monde, et qui utilisent leur position pour cela. Et ils sont largement suivis, car il existe une forte demande de changement positif et beaucoup de salariés d’entreprises ressentent le besoin de participer à ce changement.

A l’heure où on se demande ce que peuvent vraiment faire les pouvoirs publics, les citoyens ou les consommateurs, et où beaucoup de changements dans nos vies quotidiennes sont impulsés par les entreprises, on peut se légitimement demander si les avancées sociétales et environnementales ne doivent pas être impulsées en premier lieu par ces acteurs économiques. Que des dirigeant.e.s souhaitent faire bouger les lignes dans ces domaines a donc beaucoup de sens !

Le BrandNewsBlog : De nombreuses études, comme le Trust barometer 2019 publié récemment par l’agence Elan Edelman soulignent à quel point les internautes et les citoyens ont tendance à faire davantage confiance aux institutions et représentants qui leur sont proches (à commencer par leur patron d’entreprise) plutôt qu’aux institutions et autorités plus distantes. De même, vous venez de le souligner, il semble qu’il y ait une attente croissante au sein du grand public pour davantage de prises de parole des CEO, sur les sujets sociétaux notamment. En quoi cette incarnation de la parole de l’entreprise par leur P-DG vous paraît-elle particulièrement importante ? Et quelle plateforme vous semble la plus qualitative pour partager cette vision aujourd’hui : vous recommandez beaucoup LinkedIn (utilisée par 70% des patrons) avant même Twitter (pourtant utilisée par 90% d’entre). Pourquoi ? Quels sont les avantages de l’un et de l’autre de ces plateformes pour les dirigeants ?

François Guillot : Vous avez raison, la confiance des publics obéit en effet à des lois de proximité : c’est assez normal de faire confiance à celles et ceux que je connais, donc davantage à ma ou mon P-DG davantage qu’à celui ou celle des autres d’ailleurs. Si, à cette loi naturelle, s’ajoute une proximité créée et soutenue par une bonne communication (= je lis ce patron > je comprends ce qu’il dit > je trouve ça intéressant > je me sens proche), alors il y a beaucoup à gagner pour les dirigeants et pour les entreprises.

De plus, il faut noter qu’il y a toujours eu un intérêt pour la personnalité des patron.ne.s. On le voit depuis longtemps dans la presse business, qui angle généralement ses histoires sur l’action du capitaine d’industrie plutôt que celle de son entreprise. Les réseaux sociaux, en permettant d’être en prise directe avec ces CEOs, satisfont ce besoin.

Après, en ce qui concerne les plates-formes, chacune a ses caractéristiques et ses qualités spécifiques, mais je pense que LinkedIn a longtemps été sous-estimé par les dirigeant.e.s qui ont été davantage attiré.e.s par ce formidable objet médiatique qu’est Twitter. C’est pour cela qu’ils y sont aujourd’hui encore plus nombreux. Mais Twitter recquiert aussi davantage de maturité en communication : il faut potentiellement avoir un avis sur tout, entrer dans une dynamique d’interaction, participer au débat…

LinkedIn a pour lui d’être plus « rassurant », plus safe : on sait où on est, en l’occurrence sur un réseau professionnel plutôt bienveillant. Mais un réseau très puissant également, comme en témoignent les nombres d’abonnés, statistiques d’engagement, etc. Donc je pense que dans la maturation digitale d’un dirigeant, c’est plus facile de commencer par LinkedIn, avant de descendre dans « l’arène » de Twitter…

Le BrandNewsBlog : Si vous soulignez une progression collégiale de l’ensemble des patrons que vous avez suivis en matière de maîtrise digitale (le score de leadership moyen augmentant de 9% par rapport à 2018), plus de la moitié des P-DG de votre classement a une note inférieure à 30, c’est à dire plutôt faible voire médiocre… Et sans trahir de secret, je crois savoir que beaucoup de P-DG, y compris parmi les premiers de votre classement ont tendance à publier rarement eux-mêmes/elles-mêmes, préférant confier la gestion et l’animation de leurs comptes sociaux à leur équipe ou à des agences. Quels sont les avantages et les inconvénients d’une telle délégation ? Et quels conseils donneriez vous aux P-DG ayant encore un score de leadership inférieur à 30 pour mieux faire l’année prochaine ?

François Guillot : La délégation est tout à fait dans l’ordre des choses. Il faudrait en effet être naïf pour croire qu’un.e P-DG, même très investi.e en communication, a les moyens et le temps d’opérer sur tous ses réseaux sociaux lui-même/elle-même.

Certains co-opèrent au fil de leurs inspirations et c’est déjà très bien. Ce qui compte, c’est leur investissement dans la communication, d’avoir quelque chose à dire, le fait de voir leur équipe de communication maîtriser ce sujet, de définir avec elle les orientations, de comprendre ce qui s’y passe… Comprendre également que le monde a changé et que la communication ne se borne pas/plus à faire partir un communiqué de presse quand on croit avoir quelque chose à dire !

On peut avoir l’impression d’enfoncer des portes ouvertes en disant cela, mais il nous appartient en tant que communicant.e.s d’achever de changer le regard des dirigeants sur la communication.

Concernant les notes attribuées à la plupart des dirigeants étudiés, elles sont « mi-figues mi-raisin » en effet. Mon article sur l’étude de l’an dernier s’intitulait « le verre d’eau à moitié plein ». On peut en effet considérer qu’il y a une cinquantaine de CEOs qui disposent d’une réelle stratégie digitale, même imparfaite, alors que les autres sont encore dans l’improvisation ou une phase de découverte…

Ils.elles pourraient souvent faire beaucoup mieux, et les équipes de communication qui les accompagnent sont très souvent frustrées de ne pas faire davantage car elles réalisent parfaitement le potentiel inexploité. Mais le sujet dépasse évidemment la seule problématique des réseaux sociaux : il s’agit de mettre la communication au service du leadership des dirigeant.e.s, d’avoir quelque chose à dire, et d’avoir mûri dans sa relation au numérique…

De ce point de vue, après les geeks, les jeunes et les moins jeunes, les politiques, les marques, les entreprises, les salariés… les patrons sont un peu le dernier maillon de la chaîne à investir les réseaux sociaux… Mais la maturation est en train de se faire. Il y a 15 ans, on avait un seul patron blogueur : Michel-Edouard Leclerc. Aujourd’hui, on en a 150 qui sont actifs sur les médias sociaux.

Et dieu merci, la phase de doute existentiel en mode « Mais que fait-on quand on a des messages négatifs ? », qui était si bloquante chez certain.e.s, semble enfin révolue. On n’entend plus, heureusement, ce genre de remarques. Tant mieux… La transformation est en marche. Donc, le meilleur conseil c’est d’y aller et de ne pas / de ne plus avoir peur !

Le BrandNewsBlog : Parmi les CEO les plus actifs sur Twitter et LinkedIn, c’est à dire celles et ceux ayant le plus fort volume ou la plus haute fréquence de publications, il me semble que beaucoup sont eux-mêmes/elles-mêmes souvent à la manoeuvre sur leurs comptes de réseaux sociaux, au moins une partie du temps  Et qu’ils.elles n’hésitent pas à interagir ou à entrer en conversation avec les autres internautes, ce que font plus rarement les P-DG ayant une activité uniquement pilotée par leurs communicant.e.s… Cette spontanéité n’est-elle pas vertueuse ? Et a contrario, n’existe-t-il pas un risque, au travers de prises de parole de CEO trop formatées et pilotées/planifiées, que cette parole devienne à son tour « aseptisée » et déceptive, même si on compte sur la force des réseaux d’ambassadeurs et l’employee advocacy pour relayer cette parole de dirigeant ?

François Guillot : Si, bien sûr, la spontanéité est vertueuse et l’analyse de celles et ceux qui sont les plus actifs laisse en effet penser qu’ils interviennent et publient régulièrement eux-mêmes. Laurent Vimont de Century 21 en est un exemple vertueux fréquemment cité. On aimerait tendre vers ça mais l’étape de délégation et de communication plus prudente est souvent nécessaire. Il faut en effet voir la maturation comme un process : de l’hostilité à l’acceptation puis à l’envie, du test à la stratégie, du discours officiel à la vision et l’expression personnelle et interactive. On ne devient pas un champion de Twitter en quelques jours : on passe par plusieurs étapes et il y a aussi un « apprentissage de la spontanéité » qui requiert une réflexion sur soi, sur sa communication, et une compréhension des codes de la culture digitale (je ne parle pas des émojis mais d’un état d’esprit : le « ça se tweete ou pas »).

De ce point de vue, beaucoup de communicant.e.s doivent encore apprendre à « lâcher prise » et à encourager la spontanéité… Il ne faut pas perdre de vue que le véritable objectif du communicant, pendant longtemps, était la maîtrise du risque. C’est moins vrai aujourd’hui, mais on est encore en partie dans « l’effet diligence » des réseaux sociaux. C’est à dire le fait d’utiliser une innovation comme celle qui l’a précédé, comme au far west où les premiers wagons de train avaient un look de diligence… Donc sur les réseaux sociaux, certains veulent avant tout pousser des messages « sans risque », comme on le faisait dans l’ancien monde (souvent avec une absence d’impact, mais sur les réseaux sociaux, l’absence d’impact se voit).

Or pour une communication moins aseptisée, on a besoin des vrais gens. L’expression de la marque corporate n’emporte pas tout : elle est souvent très contrainte et tentée par le lissage. Les individus, dont les CEOs font partie, peuvent proposer davantage d’aspérités, et on a tous davantage envie d’être en contact avec des vrais gens plutôt que des entités désincarnées !

Plus généralement, je crois qu’on n’est encore qu’au tout début de l’employee advocacy, au sens prise de parole (pas forcément seulement sur les réseaux sociaux d’ailleurs) du CEO, mais aussi du reste du Comex, des experts, des patrons de régions ou d’entités, des enthousiastes, etc. Peut-être dans un futur proche verra-ton des directions de la communication créer des directions de l’employee advocacy d’ailleurs, au même titre qu’une direction des relations publiques…

Le BrandNewsBlog : Bonjour Mathilde. Vous qui avez travaillé sur l’incarnation de la marque à travers son/ses dirigeants, que vous inspirent les résultats de ce « top 100 du leadership digital » ? Etes-vous notamment surprise de la faible proportion de femmes dans ce classement (elles sont 16 pour 84 hommes cette année, contre 18 pour 82 hommes en 2018, avec 2 femmes seulement parmi les 20 premières places) ? A l’exception notable d’Isabelle Kocher (3ème), cette faible visibilité numérique vous paraît-elle correspondre à la sous-représentation des femmes à la tête des entreprises, ou bien y-a-t’il d’autres facteurs d’explication à votre avis ?

Mathilde Aubinaud : L’écart est manifeste. Et cela persiste dans l’imaginaire collectif. Les représentations et les incarnations du leadership demeurent liées à un univers masculin. Ce sont bien souvent les hommes dirigeants qui s’emparent de la parole dans l’espace médiatique et se font davantage entendre.

Fort heureusement, on perçoit une évolution. Les barrières se lèvent peu à peu, l’autocensure tend à se perdre son importance. Vous évoquez Isabelle Kocher. Celle-ci prend la parole de façon très régulière sur les réseaux sociaux. La DG d’Engie y expose sa vision de la société et des enjeux clés comme la révolution énergétique que nous sommes en train de vivre. Une vision qu’elle entend défendre en tant que dirigeante. Une vision qui dépasse le seul prisme de son industrie. Elle fait d’ailleurs partie du Top 10 des influenceurs LinkedIn de l’année 2018 tout comme Clara Gaymard, qui entend sensibiliser, avec Gonzague de Blignières, à l’importance d’une économie bienveillante avec le MEB initié en 2018.

De plus en plus, les dirigeantes s’emparent des réseaux sociaux et les investissent à un rythme régulier à l’image de Sophie Bellon, citée dans le classement d’Angie +1 et Présidente du conseil d’administration de Sodexo, qui a rejoint Twitter en début d’année. Elle met en lumière la raison d’être du Groupe dès son premier tweet : « At @SodexoGroup, our ambition is to improve #qualityoflife for 1 billion people around the world. »

Le BrandNewsBlog : Dans votre mémoire « De l’audace d’entreprendre. La figure du dirigeant à travers sa marque », vous aviez choisi de faire un zoom sur 4 P-DG charismatiques ayant eux-mêmes construit leur marque de services : Steve Jobs, Richard Branson, Bernard Arnaud et Xavier Niel. Les deux derniers cités sont d’ailleurs absents du classement des leaders digitaux dévoilé par Angie + 1. Est-ce à dire qu’un dirigeant peut avoir une grande aura médiatique (voire un nombre de followers important sur les plateformes où il est présent, comme Xavier Niel), sans être pour autant un leader digital, en tous cas sans être proactif sur les réseaux sociaux et sans stratégie digitale ??

Mathilde Aubinaud : Dans ce mémoire, je souhaitais interroger les liens entre ces figures identifiées du grand public et les marques que celles-ci portent. Leur posture, l’image véhiculée et les enjeux qui se posent.

Leur aura s’affirme, en effet, bien au-delà de leurs secteurs respectifs et cela depuis longtemps. Si l’on met l’accent sur le digital, les prises de parole des dirigeant.e.s ne s’y limitent pas et heureusement. L’enjeu est d’éviter de diluer sa prise de parole en se dispersant. Il est crucial de revenir sur les fondamentaux de la communication. A quels publics souhaitent-ils s’adresser ? Puis vient, ensuite seulement, la question du canal. Celui-ci se doit d’être cohérent avec les publics visés et le message véhiculés. Il s’agit bien entendu d’adapter les supports de prise de parole aux parties prenantes qu’entend viser la marque et de s’y inscrire en cohérence.

Le BrandNewsBlog : Vous faites évidemment partie des experts de la communication qui estiment que l’incarnation de la marque par son/ses dirigeants est un atout pour l’entreprise, notamment en termes de visibilité, de notoriété et d’image. Et dans votre excellent mémoire, vous analysiez notamment le storytelling efficace mis en oeuvre par les patrons les plus charismatiques. A ce titre, vous avez du être sensible à la typologie en 8 profils de leaders (voir infographies ci-dessous) proposée par Angie + 1 dans son analyse : « L’ambassadeur », « Le visionnaire », « Le citoyen »… Est-ce cela correspond aux différents types de storytelling de dirigeant.e.s que vous avez pu relever sur les réseaux sociaux ??

Mathilde Aubinaud : La manière dont le.la dirigeant.e porte et incarne sa marque est en effet cruciale pour l’inscrire dans la durée. Même si notre échelle de temps s’assimile de plus en plus à celle du social media, l’enjeu est bien celui de créer une préférence sur le long terme.

Les profils de leaders proposés par Angie + 1 reflètent bien la diversité des postures sur les réseaux sociaux. Chacun adopte une posture qui lui est propre en fonction de sa personnalité et de l’engagement qu’il entend porter. L’enjeu est bien pour les dirigeant.e.s de quitter une dimension unidirectionnelle afin de s’inscrire dans la conversation, en laissant transparaître leur état d’esprit et leur vision.

Dans la pratique, il faut bien reconnaître que ce n’est pas si souvent le cas. Il s’agit de quitter, en partie, le discours attendu pour faire ressortir leurs traits de personnalité, la manière dont ils portent leurs équipe, dont ils.elles appréhendent la marque. Quand un.e dirigeant.e prend la parole sur les réseaux sociaux, cela se ressent d’emblée et permet de ressérer les liens avec les publics auxquels il.elle entend s’adresser.

Le BrandNewsBlog : Mathide, vous êtes aussi une ardente supportrice des entrepreneurs audacieux et de l’audace en général, comme en témoigne bien votre blog « La Saga des audacieux ». Quels sont justement, parmi les leaders classés dans ce top 100 du leadership numérique, celles et ceux qui vous impressionnent le plus par l’audace de leur prise de parole, ou par la qualité du storytelling qu’ils.elles ont su déployer ? Et pourquoi?

Mathilde Aubinaud : Pour ma part, je retiens notamment les prises de parole de Gérald Karsenti, DG de SAP France et de Laurent Vimont, Président de Century 21. J’admire la manière dont ils appréhendent la construction du leadership, loin des lectures habituelles.

 

Notes et légendes :

(1) « Brand leaders, storytellers, digital evangelists : les nouvelles casquettes des dirigeants de demain », Hervé Monier – The BrandNewsBlog, 14 juin 2016

(2) Accès à la présentation slideshare de synthèse de l’étude « TOP 100 du leadership digital » réalisée par l’agence Angie+1

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, Angie+1, Mathilde Aubinaud, The BrandNewsBlog 2019.

5 défis à relever pour moderniser la communication interne… et l’adapter aux nouveaux enjeux et attentes de ses publics

Trop souvent encore considérée comme le « parent pauvre » des stratégies de communication, la communication interne continue de souffrir, dans beaucoup d’organisations, d’une inadéquation avec les attentes et les besoins de ses publics et d’un sous-investissement chronique au regard de ses enjeux stratégiques.

La faute à qui ? Certainement pas aux professionnels ni à leurs associations de référence, AFCI* en tête, qui n’ont cessé depuis des années de faire la pédagogie de leur métier et de signaler le décalage croissant entre les objectifs ambitieux de transformation affichés par la plupart des dirigeants et la faiblesse des moyens alloués à la communication en entreprise.

Pas plus tard que l’automne passé, l’association Place de la communication pointait d’ailleurs, dans la deuxième édition de son Observatoire¹, une baisse des investissements en communication interne par rapport à 2016. Et parmi les objectifs de communication remontés par ses adhérents, le premier item concernant la communication interne (« Contribuer à l’information et à l’engagement des équipes ») n’est arrivé qu’en cinquième position des objectifs prioritaires des entreprises – essentiellement les plus grandes – laissant entrevoir que la situation est encore moins glorieuse dans les organisations de plus petite taille…

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi un tel décalage et surtout que faire pour y remédier ? C’est ce que je vous propose de voir dans mon article du jour, mais sans omettre aucun des grands défis qui se posent par ailleurs aux expert.e.s de la communication interne : 1) Défi des moyens ; 2) Défi du rythme, de la profusion et du sens; 3) Défi du ton et du langage ; 4) Défi de la pertinence et du « lâcher-prise » ; 5) Défi de la redéfinition du rôle et des missions des communicant.e.s internes.

Longtemps occultées par de faux débats sur la « disparition de la communication interne » et/ou le constat de la porosité croissante entre interne et externe, de plus importantes problématiques se posent en effet aujourd’hui à tous les communicant.e.s sur la place et le rôle de la communication en entreprise, mais aussi sur la meilleure manière de la pratiquer et de la faire évoluer pour que celle-ci accompagne au plus près les besoins des collaborateurs et les enjeux des entreprises : compréhension fine du corps social de l’organisation et des communautés qui le composent, accompagnement du changement et de la « transformation », développement du travail collaboratif, (re)construction du sens commun…

On le voit : les enjeux sont considérables et il appartient à chacun de les aborder avec lucidité et honnêteté pour produire une communication interne plus efficace, authentique et moderne. Rien que ne puissent en définitive réussir les communicant.e.s, à condition d’être eux.elles mêmes convaincu.e.s des efforts et mutations à accomplir et de bénéficier dans cette mutation du soutien indéfectible d’une direction générale réellement impliquée…

Porosité croissante de l’interne et de l’externe et guerres de territoires : non, la communication interne n’est pas « soluble » dans le management transversal de la marque…

Chacun.e de mes lecteurs.trices sait à quel point je suis attaché aux principes d’un management plus transversal de la marque et à la disparition des « silos » : marque corporate, marque employeur et marque(s) commerciales ont trop longtemps été travaillées de manière distincte, alors qu’elles sont les différentes facettes d’une même entité émettrice, l’entreprise, qui a de plus en plus intérêt aujourd’hui à parler d’une seule voix – en tout cas de la manière la plus cohérente possible – à ses différents publics.

Ce constat est d’autant plus vrai aujourd’hui, à l’heure où le digital abolit de plus en plus les frontières et qu’il est demandé aux collaborateurs.trices qui le souhaitent de porter à l’extérieur la parole de l’entreprise, dans le cadre de démarches d’employee advocacy notamment. A l’heure également où chacun semble avoir enfin compris que le.la collaborateur.trice peut également être un.e client.e de l’organisation, actionnaire, et/ou conjoint.e d’une autre de ses parties prenantes…

Pour autant, ainsi que le soulignait l’an dernier Thierry Libaert dans un article des Cahiers de la communication interne de l’AFCI², « S’il est certain que la porosité existe et que le discours de l’entreprise doit être commun à toutes les communications, dans un souci de cohérence, la communication interne conserve toujours ses particularités ». Et la première d’entre elles est de s’adresser à un public bien spécifique – les salariés – sans lequel l’organisation ne peut fonctionner et dont on mesure de plus en plus l’importance dans la réussite de toutes les stratégies aujourd’hui.

A ce public, encore plus informé et exigeant de nos jours que toute autre partie prenante, et qui a appris depuis des décennies à « décoder » les communications descendantes émises par les communicant.e.s et leur direction générale, il est impossible de fournir les mêmes messages « formatés » qu’on adresse aux clients ou aux journalistes… Et si, dans une logique « d’écosystème » et pour des raisons de réduction de coût, il a été souvent envisagé de préparer des contenus rigoureusement identiques et communs à toutes les cibles, la plupart des entreprises qui se sont essayé à cette communication un brin « monolithique » en sont d’ores et déjà revenues ou en reviennent… Car elle est tout simplement aux antipodes de ce qu’attendent leurs collaborateurs et collaboratrices, avides d’explications, de pédagogie, d’authenticité et d’engagement de la part de leur hiérarchie.

De ce point de vue, il est à souligner que les guerres de territoires entre certaines directions (de la communication et des ressources humaines le plus souvent, auxquelles les communicant.e.s internes ont pu être successivement rattaché.e.s), ont sans doute eu pour effet de retarder la prise de conscience de l’importance et de la variété des nouveaux enjeux de communication interne, certaines réorganisations n’ayant eu parfois pour seul objectif que de justifier le rattachement des ressources correspondantes à la dircom ou à la DRH… sans tenir aucunement compte des expertises spécifiques des uns et des autres, ni des besoins de leurs publics internes.

5 défis à relever pour moderniser la communication en entreprise et répondre aux nouveaux besoins de ses publics

A l’aune des enjeux primordiaux que j’ai abordés en introduction et de l’évolution des publics internes et de leurs attentes – on voit notamment cohabiter pour la première fois près de 4 générations différentes au sein de l’entreprise, et cela est tout sauf anodin – il est indispensable de réinventer la communication interne, et de redéfinir ses objectifs, missions et modalités d’action au sein de la plupart des organisations…

A celles et ceux qui n’en seraient pas convaincus, je recommanderai volontiers la (re)lecture d’un article que j’avais déjà consacré il y a deux ans aux nouveaux défis de la communication en entreprise, article dans lequel je faisais abondamment référence au mémoire professionnel de Bernard Gaudin« Réinventer la communication interne à l’ère collaborative »³.

Dans le cadre de ce mémoire particulièrement riche, intéressant et abouti, Bernard Gaudin s’était permis d’adresser un questionnaire sur la communication interne à près de 560 collaborateurs.trices travaillant dans différentes entreprises et d’organisations de toutes tailles, les interrogeant à la fois sur leurs habitudes et pratiques en matière de consommation d’information, mais également sur leur perception de la communication interne et de sa pertinence/son intérêt.

Les résultats de ce questionnaire, recoupés par d’autres études et les remontées de terrain collectées par de nombreux communicants, ne sont pas nécessairement très flatteurs pour les entreprises et pour la communication interne en général, encore jugée trop impersonnelle, désincarnée, éloignée du terrain et excessivement positive dans la plupart des entreprises. Les enseignements de cette étude et autres remontées terrain ont donc naturellement alimenté plusieurs de mes recommandations ci-dessous :

1 – Défi des moyens : doter la communication interne de budgets et de ressources à la hauteur des enjeux et ambitions

Si les budgets et moyens alloués aux directions de la communication varient évidemment grandement d’une entreprise et d’une organisation à l’autre, j’ai souvent – pour ne pas dire toujours – été frappé de la faiblesse des moyens consacrés à la communication interne au sein de la plupart des entreprises.

Entre les organisations – très nombreuses encore – ne disposant pas d’une véritable ligne budgétaire dédiée (hormis pour leurs conventions et principaux évènements internes) et celles où le budget, voire l’ensemble des ressources, sont en quelque sorte la « variable d’ajustement » d’un budget marcom ou RH global – pouvant à ce titre être réduits à la portion congrue ou escamotés en cours d’année – trop rares sont encore les entreprises à « sanctuariser » en début d’année un budget de communication interne proportionné à leurs ambitions et à leurs différents chantiers de transformation.

A cet égard, outre le faible degré de priorité relevé pour les sujets et enjeux de communication interne dans le cadre de son Observatoire de la communication 2018, l’association Place de la communication pointe aussi une baisse des investissements consacrés à tous les supports internes, qu’ils soient traditionnels ou numériques, par rapport à son édition 2016… Et s’interroge : « Dans un contexte où l’intelligence artificielle monte en puissance, où la définition de ce qu’est une entreprise (et le travail) se brouille et où la dernière valeur refuge se situe dans l’humain, ses savoir-faire et son savoir être, le désinvestissement dans la communication interne interpelle. Il paraît pour le moins risqué ».

Et le président de l’association, Vincent Colas, d’enfoncer le clou en pointant le rôle et la responsabilité des dircom et des communicants dans la sensibilisation de leur direction générale, sur ce sujet : « Il est de la responsabilité des communicants de mieux faire comprendre et apprécier ce qui devrait être un enjeu central, un élément de compétitivité et non une préoccupation périphérique […] C’est aux professionnels de la communication de faire comprendre et de promouvoir l’idée que la première responsabilité d’une organisation est de communiquer auprès (et surtout avec) ceux qui la constituent et la font avancer. »

CQFD : on ne saurait mieux exprimer le décalage encore flagrant des ambitions et des moyens alloués dans ce domaine.

2 – Défi du rythme, de la profusion et du sens : privilégier des contenus UTILES plutôt que continus et l’alternance de formats longs et courts ayant un véritable SENS au stakhanovisme éditorial…

Trop de contenus et d’informations aurait-il tendance à tuer l’information ? Dans le domaine de la communication interne comme pour la communication en général, l’infobésité et le « content shock » guettent, assurément. Et nombreux sont les collaborateurs interrogés par Bernard Gaudin à regretter des « communications trop nombreuses, qui nuisent à leur lisibilité ».

A cet égard, chacun a sans doute en tête l’image de ces intranets regorgeant d’informations, où l’on est passé, en l’espace de quelques années, de pages quasiment statiques rarement réactualisées à la mise en avant de dizaines de contenus faiblement hiérarchisés, malgré la présence de carrousels sensés « montrer l’essentiel »… Les verbatim relevés par Bernard Gaudin sont à ce sujet on ne peut plus explicites : « Sans hésiter, le nombre de communications que l’on reçoit : entre les communications du groupe, celle de la direction où l’on travaille et celles de mon département… Sans compter les newsletters des projets transverses, les trucs et astuces… Un vrai problème !!! » ; « Trop d’information tue l’information » ; « J’ai l’impression que les communicants de ma boîte sont évalués au nombre de messages qu’ils envoient ! Cela fait 10 ans que je travaille pour le même groupe, j’ai l’impression d’en recevoir plus chaque année… Je ne lis même plus. »

Et cette tendance, qui parlera évidemment à tous les communicants de grandes et moyennes entreprises qui disposent d’une communication interne structurée, est également relevée par Carole Thomas, dans un tout récent article des Cahiers de la communication interne de l’AFCI** intitulé « C’est comment qu’on freine ?« . Car associée à l’injonction de la vitesse, à la réactivité à tout crin et à la mode des formats courts, la production de contenus internes – comme celle de contenus externes parfois – frise désormais souvent le stakhanovisme éditorial.

Et la directrice de la communication et du marketing digital d’Immobilière 3F de poser d’emblée le débat dans les bons termes, en introduction d’un excellent texte : « A force de faire court, toujours plus court, de faire ‘continu’, nos messages deviennent cacophoniques, fatigants pour nos publics. Les équipes communication s’épuisent à produire des contenus dont il faudrait prendre le temps d’interroger la valeur ajoutée. Comment arrêter cette machine infernale que nous alimentons ? Et si nous décidions de sortir de cette situation schizophrénique en nous appropriant des formats longs, en pensant contenus « utiles » et en réaffirmant notre attachement au temps et à la qualité ? »

Là encore, CQFD. Et si Carole Thomas ne se veut pas dogmatique et reconnaît bien volontiers les vertus des formats courts (qui poussent à éliminer le « gras », à éviter le bavardage et à « angler » les sujets de façon plus serrée, en évitant au passage quelques niveaux de validation inutiles), c’est bien dans une alternance de formats courts et de formats longs qu’elle voit le salut, faisant écho à mon article de fin d’année sur les tendances 2019 du marketing et de la communication, dans lequel je saluais ce sursaut éditorial salvateur et ce retour à la raison. Et la dircom d’Immobilière 3F de saluer le magnifique exemple du film « SNCF au féminin », primé par le jury des Top com 2018 : un documentaire de 52 minutes qui suit la vie de sept femmes appartenant au réseau SNCF au féminin et montrant sans fard la réalité quotidienne de l’entreprise.

Projeté aux personnels de la SNCF dans des salles et lors de moments dédiés, tel qu’il a été tourné, c’est à dire sans filtre, sans coupe ni interviews de responsables ou d’experts pour venir édulcorer les propos des unes et des autres, ce reportage authentique a connu un large succès en interne, au point d’être aujourd’hui montré comme une fierté en externe, lors de présentations dans des entreprises de secteurs variés.

Sans aller nécessairement vers des formats aussi longs, pourtant très adaptés pour retrouver le temps de l’émotion, Carole Thomas en appelle aussi au bon sens de chacun.e et à la quête de sens, en préconisant de penser d’abord les contenus internes en termes d’utilité pour les salariés, plutôt que de vouloir alimenter à tout prix les différents canaux de communication et autres intranets. « Tels des ogres à avaler des contenus, les intranets nous poussent à publier une information à la moindre actualité corporate, qu’elle ait ou non un sens pour les collaborateurs et collaboratrices. Nous postons aussi ‘sous pression’ la news d’une équipe ou d’une direction souhaitant absolument ‘être visible en une’, tout en sachant qu’elle n’intéressera que celle-ci […] Autorisons-nous à produire moins pour produire mieux ! »

On ne peut que souscrire à ces conseils, quitte à faire la promotion en interne comme en externe d’un « slow content » ou d’une « slow communication » permettant de renouer avec la sérénité et de retrouver le chemin de la qualité et de l’utilité éditoriale, au détriment des « snacking contents » internes à faible valeur ajoutée.

3 – Défi du ton et du langage : oser une communication moins « langue de bois », une langue plus authentique et crédible s’affranchissant de la propagande corporate 

Parmi les commentaires relevés par Bernard Gaudin dans le cadre de son enquête sur la perception de la communication interne par les collaborateurs.trices, les plus nombreux concernent assurément le ton et le langage utilisés, jugés excessivement positifs et pour tout dire, presque propagandistes par moment…

Les verbatim illustrant ce biais sont on ne peut plus explicites : « La com’ interne a tendance à être ‘excessivement positive’, au point où elle en devient non crédible, proche de l’outil de propagande. Il faut une communication plus juste (abordant les bonnes ET les mauvaises informations, qui doivent être passées avec la même régularité et clarté auprès au staff). La communication positive est utile, mais le positivisme excessif est une faille dans laquelle il ne faut pas tomber ».

Et les salariés de pointer du doigt, sur la forme comme sur le fond, une communication interne souvent « ripolinée », ayant tendance à repeindre tout en rose, avec un décalage important entre les informations transmises et la réalité vécue par tout un chacun sur le terrain : « Le décalage avec la réalité, les obstacles rencontrés, fait que les employés perdent confiance dans cette communication qu’ils considèrent comme des voeux pieux plus que de réelles informations » ; « Il faudrait rendre la com’ interne moins ‘professionnelle’. Elle est aujourd’hui trop léchée, trop pesée, pas suffisamment naturelle » ; « Plus de sincérité et moins de corporate ; plus de transparence et moins de politique ! ».

Dans son article « C’est comment qu’on freine ? », décidément très lucide, Carole Thomas dépeint les mêmes travers : d’une part, le peu de goût des dirigeants et des communicant.e.s pour explorer ou expliciter les échecs, et ne pas faire uniquement la promotion de « ce qui marche » au sein de l’entreprise ; et d’autre part cet enjeu du langage et de la qualité d’écriture interne, qui mériteraient d’être améliorés d’urgence pour ne pas sombrer ad vitam dans la langue de bois.

Dixit la dircom d’Immobilière 3F :  » L’autre question à se poser concerne la qualité d’écriture au sens large. La volonté de tout ‘positiver’, inhérente à la communication interne, se traduit par un catalogue de titres, de formules et donc de contenus sans surprise, souvent plats, consommés sans plaisir par nos publics : ‘C’est parti pour…’ ; ‘Une initiative remarquable…’ ; ‘Toujours plus innovant…’ ; ‘Des résultats en progrès…’ ; ‘Des produits toujours plus performants…’, ‘Une entreprise socialement engagée…’, ‘Tous ensemble pour…’ Autant de propos le plus souvent éloignés de ce que vivent les équipes confrontées au quotidien aux guerres de silos et autres coupes budgétaires. »

On ne saurait dresser plus clairement le constat. Pour ce qui est remèdes, évidemment, le retour à de meilleures pratiques et à un langage plus authentique n’est pas si facile ! Il requiert à la fois de l’audace de la part des communicant.e.s et une volonté farouche de ne pas retomber dans les ornières de formes langagières désincarnées et éculées. Une réelle conviction, aussi, que les recettes de la communication de « papa » ne peuvent plus fonctionner à l’heure de l’hyper-information des publics internes et que le retour au « parler vrai » passe aussi par la valorisation de la parole sans filtre des collaborateurs.trices, chaque fois que cela est possible.

Un tel renversement nécessite évidemment le soutien des dirigeants – qui pourraient d’ailleurs montrer eux-mêmes l’exemple du parler vrai – en revenant plus régulièrement sur les raisons de tel ou tel échec, s’il y a lieu. Et pour s’assurer qu’on évite au maximum la langue de bois et qu’on chemine toujours vers le parler-vrai, je suggère aussi de passer tous les messages internes importants au filtre du petit « prisme de crédibilité » décrit ci-dessous…

4 – Défi de la pertinence et du lâcher prise : de l’importance de se reconnecter aux besoins des publics internes et de co-produire ensemble la communication du changement 

Au-delà de la langue de bois et du ton/du contenu excessivement positifs des communications, c’est aussi, en définitive, le calendrier et le choix des thématiques de com’ interne auxquels les collaborateurs et collaboratrices demandent à être davantage associés.

Car quels que soient les sujets abordés par cette communication interne encore bien trop descendante, ils.elles ont bien du mal à y reconnaître aujourd’hui leurs propres sujets d’intérêt : « J’ai souvent du mal à m’identifier au messages ‘top level’ que je reçois, je ne vois pas le reflet de ce que je vis au quotidien » ; « Il faudrait une communication interne plus proche, plus tournée vers les préoccupations des salariés » ; « Une communication plus ciblée en fonction du type de collaborateur » ; « Il faut trouver les vrais sujets d’intérêts pour les collaborateurs »…

Bref, si les thématiques et l’agenda de la com’ interne semblent encore trop souvent « à la main » des directions générales, il appartient en définitive aux communicant.e.s de se recentrer aussi sur les besoins de leurs publics, en identifiant les contenus les plus utiles aux différentes communautés qui constituent l’entreprise, quitte à les cibler et les « audiencer » encore davantage, mais aussi en lâchant davantage prise, et en co-produisant avec les collaborateurs.trices la communication du changement et de la transformation de l’entreprise.

Cela passe nécessairement par un repositionnement et une redéfinition du rôle des communicant.e.s internes, à qui il n’est plus demandé seulement d’être de parfaits connaisseurs de la culture d’entreprise et les seuls émetteurs.trices des contenus internes, mais des « générateurs de lien et de sens commun » ainsi que de véritables « coaches » du changement, experts des méthodes collaboratives et à même d’accompagner tous les émetteurs internes de l’entreprise (correspondant.e.s de communication interne, pilotes de communautés, directeurs.trices et responsables d’équipes, ambassadeurs-salariés de l’entreprise…) dans la production de leurs messages.

Nulle raison en effet que les évolutions et mutations observées quant au rôle des dircom et des communicant.e.s externes à l’ère numérique n’affectent pas à leur tour les communicant.e.s internes, dont la mission ne cessera d’être de plus en plus diversifiée et stratégique.

5 – Défi de la redéfinition du rôle et des missions des communicant.e.s internes : loin de disparaître, un métier de plus en plus « multifonctions » et stratégique… et des compétences vitales pour l’entreprise

Dans son mémoire passionnant sur les évolutions de la communication interne (voir ici mon article à ce sujet), Bernard Gaudin retrace avec talent l’histoire de cette fonction encore très jeune, dont les missions n’ont cessé de s’enrichir et de se complexifier au fil des décennies…

Après l’heure de gloire des purs journalistes d’entreprise, les professionnels de la communication interne ont rapidement gagné en responsabilités et en crédibilité au gré de l’évolution des besoins de l’entreprise, dont ils ont sont devenus les meilleurs experts du corps social et les accompagnateurs du changement. A la fois « chefs d’orchestre » des contenus internes, « sociologues » de leur propre organisation, mais aussi « ministres de la culture d’entreprise » et responsable des relations internes, on a dernièrement renforcé leurs prérogatives de « coaches du changement » dans le contexte des grands projets de transformation que j’évoquais en introduction.

L’émergence et le développement sans précédent en entreprise des approches et outils collaboratifs, mais également le net accent mis sur la mobilisation et l’engagement des salariés, dans le cadre des chantiers de transformation ou de démarches d’employee advocacy notamment, augmentent encore les attentes vis-à-vis des communicant.e.s internes, quand celles-ci/ceux-ci ne sont pas aussi engagés dans la gestion des différentes facettes (y compris externes) de la marque employeur.

Interconnecteurs et émulateurs de sens au sein de l’organisation, les communicant.e.s internes sont également (rappelons-le) les premiers dépositaires des valeurs de l’entreprise et parmi les meilleurs ambassadeurs internes de sa mission ou de sa raison d’être…

Avec ces multiples casquettes et face aux grands défis évoqués ci-dessus (amélioration des contenus et du sens, promotion du parler vrai, reconnexion aux attentes et aux centres d’intérêt des salariés…), les communicant.e.s internes sont à nouveau sommé.e.s de réinventer leur métier, de ré-éxaminer et de reprioriser leurs missions pour répondre aux nouvelles attentes de leurs dirigeants et de leurs publics.

Tout comme Bernard Gaudin, si je n’ai aucune certitude sur ce qui composera demain le référentiel de compétences du bon communicant interne, je suis néanmoins convaincu que l’avenir de la fonction réside d’abord dans sa dimension d’accompagnement et dans « l’ingénierie » des démarches collaboratives et de changement au sein de l’entreprise, ainsi que dans la création de lien et de sens au sein de l’entreprise, bien plus que dans le contrôle tatillon de canaux et de contenus internes qui ont vocation à être de plus en plus co-produits et co-gérés en mode user-content.

Avec leurs différents publics et communautés, il appartient donc aux communicants et communicantes d’entreprise de définir les nouvelles approches et nouveaux outils qui feront vraiment basculer l’organisation dans cette ère plus collaborative qui pourra seule garantir l’atteinte des ambitieux objectifs de transformation formulés ici et là, et la production de contenus plus proches des besoins des collaborateurs.trices. A ce titre, je vous renvoie encore une fois vers le brillant mémoire de Bernard Gaudin, qui donne des pistes plus qu’intéressantes à ce sujet.

 

 

 

Notes et légendes :

(1) 2ème édition de l’Observatoire de la Communication réalisée à l’automne 2018 par l’association Place de la communication, premier réseau de communicants au nord de Paris, avec pas moins de 450 adhérents (annonceurs privés et publics, agences et free-lances, écoles…) et dont l’objectif était de décrypter les nouvelles tendances et identifier les enjeux phares des métiers de la communication à l’aube de la nouvelle année à venir. 

(2) Dossier des Cahiers de la communication interne de l’AFCI n°41 de Décembre 2017 : « Communication interne : ce qui est en jeu »

(3) Mémoire professionnel de l’Executive Master Communication de Sciences Po de Bernard Gaudin, promotion Pierre Lévy – octobre 2015 : « Réinventer la communication interne à l’ère collaborative »

* L’AFCI est l’Association Française de référence en Communication Interne. Créée en 1989 et forte de 900 membres aujourd’hui, dont plus de 500 entreprises, elle propose à chacun.e un espace d’échange, de professionnalisation et de rencontres et est notamment éditrice des excellents Cahiers de la communication interne. L’association fêtera le 25 juin prochain ses 30 ans, et j’aurai sans doute l’occasion de vous en reparler.

** « C’est comment qu’on freine ? » par Carole Thomas, Directrice de la communication et du marketing digital d’Immobilière 3F, Les Cahiers de la communication interne de l’AFCI n°43 – Décembre 2018

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, The BrandNewsBlog 2019.