En entreprise encore plus qu’ailleurs : toute personne qui a du pouvoir ne devrait (jamais) en abuser…


« C’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser » nous avertissait dès 1748 le très sage Montesquieu, dans le Tome 1 de son traité « De l’esprit des lois ».

Cette observation, à la résonance hélas universelle, s’appliquerait-elle au gouvernement des entreprises autant qu’à celui de la cité ? Sans revenir spécifiquement aujourd’hui sur ce délit et cette forme d’abus de pouvoir caractérisé que représente souvent le harcèlement sexuel, il semblerait bien que oui, comme tendent à le prouver les travaux récents de nombreux chercheurs…

Et les effets de l’accession au pouvoir (à un poste de management ou de direction par exemple) s’avèrent souvent si délétères, à en croire le psychologue Dacher Keltner¹, qu’ils seraient susceptibles de nuire significativement et durablement à la performance des managers, de leurs équipes et des entreprises de manière générale.

L’éminent professeur de l’université de Californie y voit même un troublant paradoxe : alors que la plupart des études comportementales tendent à prouver que les individus ont plutôt tendance à gagner du pouvoir et à « grimper les échelons hiérarchiques » grâce à leur ouverture d’esprit et à une attitude altruiste (impartialité, capacités collaboratives et empathie supérieures à la moyenne), ces comportements et qualités personnelles tendraient hélas à s’estomper, voire à s’inverser, avec le sentiment de puissance et le fait d’accéder à une situation et une position privilégiées.

Comment combattre ce tropisme [si tropisme il y a] et éviter le symptôme des « chevilles qui enflent » et ses regrettables corollaires ? Quels sont les enjeux de ce « paradoxe du pouvoir » pour les entreprises ? Et quelles leçons tirer de ces recherches pour promouvoir un management plus humble, reconnaissant et empathique ?

…Dans le prolongement de mon article récent sur ces nouveaux leviers d’engagement que sont désormais pour les salariés et les consommateurs la bienveillance et la quête du bien commun, il me semblait intéressant aujourd’hui de poursuivre la réflexion pour éclairer cette fois les enjeux de pouvoir et leurs modalités d’expression/leurs impacts en entreprise. Car une véritable transformation des organisations et la réinvention de nouvelles relations au travail passent aussi, assurément, par une prise de conscience par chaque individu et par les entreprises de ce type de paradoxe, et de ses effets collatéraux.

Le « paradoxe du pouvoir » : une maladie hélas très répandue et méconnue, aux symptômes pourtant reconnaissables et prévisibles

On serait sans doute tenté de prendre à la légère les travaux et constats du professeur Ketltner, si les résultats des études comportementales qu’il a menées dans des milieux socio-professionnels au demeurant très variés (grandes entreprises, équipes de sport professionnel, administrations, universités) n’étaient si convergents et corroborés par les conclusions de dizaines d’études conduites dans le monde entier par ses confrères.

Et que tendent à prouver ces études, me direz-vous ? Et bien non seulement que le pouvoir et ses attributs ont tendance à pervertir le comportement vertueux des individus, à mesure qu’ils s’élèvent socialement et/ou dans la hiérarchie, mais également que cette corruption et ces changements peuvent s’observer de manière étonnamment rapide, dans certains contextes notamment…

Et Dacher Keltner de citer cette expérience du « Macaron glouton » – qui en fera peut-être sourire plus d’un, mais au demeurant révélatrice – durant laquelle des groupes d’individus ont été amenés à travailler de manière collaborative sur un sujet, et à choisir parmi eux un leader (je précise que les individus en question ne se connaissaient pas auparavant). Durant la réunion, on amène une assiette chargée de cookies tout juste sortis du four, avec autant de cookies que de participants + un supplémentaire…

Que croyez-vous qu’il advint ? Alors que les autres membres des groupes refusèrent tous de prendre la dernière friandise, par politesse et pour ne pas en priver leurs collègues, ce fut systématiquement dans chaque groupe celui qui avait été désigné leader qui le mangea et se comporta de la manière la moins correcte, en le dévorant la bouche ouverte et en laissant tomber en général moult miettes…

Pur hasard ? Sur ce sujet autrement plus sérieux et important qu’est l’éthique professionnelle, d’autres études conduites à grande échelle, comme celle menée par une équipe américaine auprès d’employés de 27 pays, tendent hélas à confirmer le postulat formulé par Dacher Keltner. Interrogés sur leurs opinions et attitudes personnelles, ce sont en effet dans une écrasante majorité des cas les salariés les plus riches et les mieux payés qui se sont montrés les plus tolérants vis-à-vis de comportements peu éthiques, et les plus disposés à accepter la fraude, les pots-de-vin ainsi que d’autres pratiques peu recommandables.

D’autres recherches récentes menées par Danny Miller, professeur à HEC Montréal, ont même démontré, de manière assez claire, que les P-DG ayant fait les plus hautes études (et notamment les titulaires de MBA) étaient davantage susceptibles de se livrer à une conduite intéressée et à privilégier leurs propres intérêts (comme l’augmentation de leur rémunération) que les dirigeants ayant réalisé des études moins poussées ou prestigieuses.

Sans tomber dans un manichéisme facile, ni céder à la tentation d’une démagogie moralisatrice « anti-chef »/ »anti-autorité » (car tel n’est évidemment pas son propos ni l’objectif de ses recherches), Dacher Keltner en arrive néanmoins à cette conclusion, suite à ses observations, que « les gens en position de pouvoir dans les entreprises sont trois fois plus susceptibles que ceux des échelons inférieurs d’interrompre leurs collègues, de faire plusieurs choses en même temps pendant les réunions, de ne pas écouter les autres, de hausser le ton ou de tenir des propos perçus par leurs subordonnés ou leurs collègues comme déplacés voire offensants.  » Une dérive à laquelle les jeunes managers et dirigeants seraient encore plus exposés que les cadres expérimentés, car moins prévenus contre ses symptômes et naturellement plus vulnérables – au mieux momentanément – aux effets délétères du paradoxe du pouvoir.

Des dommages collatéraux souvent très préjudiciables et multiformes, pour les équipes et leurs dirigeants comme pour l’entreprise

Les conséquences et dommages collatéraux de tels abus [de pouvoir] ? Ils.elles sont hélas nombreux.ses et multiformes. Les équipes du manager ou du dirigeant, mais également le dirigeant ou le manager lui même, finissant inévitablement par en payer le prix…

A cet égard, Dacher Keltner et ses confrères détectent néanmoins deux impacts principaux et très récurrents :

  1. d’une part, une diminution de l’engagement des équipes, de leur créativité, de leur rigueur et leur performance, les abus de pouvoir ayant tendance à générer de l’anxiété et une démotivation d’autant plus forte qu’elle s’ajoute souvent à un sentiment d’impunité ;
  2. d’autre part, un affaiblissement de l’autorité et de l’influence du dirigeant/du manager lui-même, dont la réputation se retrouve in fine plus ou moins durablement ternie par de tels abus, qu’ils soient perceptibles en interne et/ou à l’extérieur, quand leur écho franchit les frontières de l’entreprise notamment ;

Ainsi, dans un sondage récent mené auprès de managers et d’employés de 17 secteurs d’activité différents, plus de la moitié des sondés ayant rapporté avoir été ou être traités brutalement ou de manière incorrecte au travail ont déclaré qu’ils avaient réagi en réduisant délibérément leurs efforts ou en abaissant volontairement la qualité de leur travail. Un manque à gagner évident et souvent difficile à détecter et contrecarrer, qui se trouve parfois décuplé quand il s’ajoute à une réelle incompétence métier ou des pratiques managériales injustes !

Lucidité et auto-critique : les premiers garde-fous contre les abus de pouvoir

C’est Dacher Keltner lui-même qui le dit, et on peut faire confiance à son bon sens et aux nombreuses recherches que le psychologue a menées sur ce point : « Le pouvoir nous met dans quelque chose de comparable à un état frénétique – nous faisant sentir complets, stimulés, tout-puissants, assoiffés d’ambition et immunisés contre le risque – attitudes qui ouvrent la voie à des actions imprudentes, vulgaires ou contraires à l’éthique […] C’est pourquoi il est si important, dès lors qu’on commence à avoir un rôle de premier plan, d’être attentif aux sentiments qui accompagnent son nouveau pouvoir et à tout changement dans son propre comportement.  »

Pour une telle prise de conscience, nul besoin de l’accompagnement de psychologues ni d’un protocole particulier : la lucidité du manager/dirigeant et sa propre capacité à analyser les situations et à l’auto-critique, tout au long de sa carrière, demeurent les meilleurs vaccins contre le syndrome des « chevilles qui enflent » et ses redoutables effets collatéraux.

Un diagnostic rapide, sous forme de quelques questions simples, peut aussi permettre à tout manager / tout dirigeant de savoir à tout moment où il en est, et de détecter les symptômes naissants ou déjà bien installés du « paradoxe du pouvoir ».

Avez-vous l’habitude d’interrompre souvent vos interlocuteurs ? Regardez-vous votre smartphone quand les autres parlent ? Avez-vous déjà fait une blague ou raconté une anecdote/une histoire qui a embarrassé ou humilié un des membres de votre équipe ? Dites-vous plus souvent que vos collègues ou vos subordonnés des gros mots au bureau ? Vous êtes-vous déjà accordé tout le crédit d’un effort collectif ou du travail d’autrui ? Avez-vous tendance à oublier le nom de certains de vos collègues ? Prenez-vous des risques inhabituels ou que vous n’auriez pas pris par le passé ? Dépensez-vous plus facilement votre argent personnel et/ou celui de l’entreprise ? Etes-vous toujours exemplaire en terme de ponctualité et de comportement durant les réunions ?…

Quels que soient son niveau ou sa fonction, les « questions-alertes » peuvent être nombreuses et faciles à imaginer, mais il revient surtout à chaque dirigeant/manager d’y répondre avec lucidité et sincérité, en se demandant en premier lieu s’il aurait eu le même comportement avant son accession à ses fonctions actuelles/à des fonctions d’autorité.

Si la réponse à plusieurs de ces questions-alertes est positive, cela veut sans doute dire que vous faites désormais un étalage problématique et arrogant de votre pouvoir et qu’il est temps d’y remédier, en revenant à des comportements plus vertueux et davantage d’exemplarité.

Empathie, reconnaissance et générosité : les trois piliers de la bienveillance et d’un leadership plus vertueux…

Pour renouer avec les comportements vertueux qui les ont aidé à gravir les échelons et à accéder à leurs fonctions actuelles, Dacher Keltner recommande aux managers/dirigeants qui abusent de leur pouvoir de se concentrer sur ces trois pratiques essentielles : l’empathie, la reconnaissance et la générosité… dont il a été démontré qu’elles contribuent à installer et nourrir un leadership bienveillant, même dans les contextes et les milieux professionnels les plus difficiles.

J’ai déjà évoqué, dans mon article au sujet de la bienveillance et de la quête du bien commun, la « charte du manager bienveillant » élaborée par le docteur Philippe Rodet, spécialiste du stress au travail et coauteur, avec Yves Desjacques, de l’ouvrage Management bienveillant, publié récemment aux Editions Eyrolles. Pour ceux que cette charte intéresse, en complément des recommandations dont je vais parler ci-dessous, je vous renvoie évidemment à cet article et en particulier à mon infographie de synthèse résumant « les 6 commandements de la charte du manager bienveillant ».

Sur ce sujet de la bienveillance, le principal apport de Dacher Keltner et des chercheurs dont j’ai déjà parlé dans la première partie de mon article ci-dessus, est incontestablement d’avoir démontré scientifiquement, études comportementales à l’appui, la contribution de ces 3 piliers que sont l’empathie, la reconnaissance et la générosité dans la performance des dirigeants et des entreprises qui les mettent en pratique au quotidien dans leur management.

Ainsi, on doit à Anita Wooley, de l’université de Carnegie Mellon, et à Thomas Malone, du MIT, une des meilleurs démonstrations du pouvoir de l’empathie en entreprise. Ces deux chercheurs ont en effet prouvé comment, en envoyant subtilement des signaux de compréhension, d’engagement, d’intérêt et de souci mutuels, des managers rendaient au quotidien leur équipe plus efficace au moment d’aborder des défis ou problèmes analytiques difficiles réclamant le maximum de leur concentration.

Adam Grant, de la Wharton School, a quant a lui démontré comment, comme dans la relation sentimentale unissant un couple, les petites expressions quotidiennes de reconnaissance et de gratitude produisent un effet extrêmement positif et mutuellement valorisant en entreprise. Sans surprise, une de ses études prouve en effet que quand les managers prennent le temps de remercier sincèrement leurs employés, ceux-ci deviennent à la fois plus engagés dans leur travail et plus productifs.

De même, pour illustrer le pouvoir de simples actes de générosité dans la performance des entreprises, il a été démontré par Mike Norton de la Harvard Business School que les dirigeants et organisations qui offrent à leurs collaborateurs l’occasion et les moyens de s’engager dans des actions caritatives ou les encouragent à participer avec eux à des campagnes de dons, voient aussi la satisfaction au travail des employés progresser de manière significative, ainsi que la perception de l’engagement et la fierté d’appartenance à l’entreprise. Ainsi que je l’ai écrit récemment dans les colonnes de ce blog, la quête du bien commun est bel et bien un objectif motivant pour l’ensemble de ce corps social qu’est l’entreprise, même si la première raison d’être des entreprises demeure de « créer de la valeur » comme aime à le rappeler Georges Lewi, expert reconnu du branding.

Plus concrètement, Dacher Keltner recommande aux dirigeants/managers et aux entreprises de se pencher sérieusement sur les bonnes pratiques quotidiennes du management bienveillant, s’appuyant sur ces 3 piliers que sont l’empathie, la reconnaissance et la générosité… Bonnes pratiques dont il propose quelques exemples que j’ai résumés dans le tableau ci-dessous.

Soyons donc lucides, ouvrons nos esprits… et n’hésitons pas à passer à l’action : il n’y a plus qu’à… :)

 

Notes et légendes :

(1) Dacher Keltner  est professeur de psychologie à l’université de Californie, à Berkeley, et directeur fondateur du Greater Good Science Center.

 

Crédit photos et illustrations : 123RF, The BrandNewsBlog 2017, X, DR

 

 

La datadéontologie, nouvelle discipline et vrai levier de différenciation pour les marques ?

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C’est un phénomène qui n’a fait que s’amplifier ces dernières années (et on n’en est sans doute qu’aux prémices) : avec le développement sans précédent des technologies numériques, les quantités de données produites et collectées par les entreprises, l’Etat, les collectivités ou d’autres organisations ont augmenté de manière exponentielle. Et les informations maintenant recueillies par un nombre croissant d’applications et d’objets « intelligents », depuis les moniteurs de fitness jusqu’aux systèmes domotiques en passant par les bracelets connectés viennent encore accroître ces gigantesques flux de données, au point qu’on estime aujourd’hui à 2,5 millions de teraoctets la quantité de data produites quotidiennement dans le monde¹.

Boîte de pandore pour les uns ; véritable « or noir » du 21ème siècle pour les autres, l’exploitation de ces « big data » nourrit à la fois les phantasmes des Cassandre et les espoirs de développement les plus fous au sein des entreprises, dont une grande majorité a commencé depuis un moment à utiliser ces informations, en toute opacité il faut bien le dire, et en tenant la plupart du temps les consommateurs dans l’ignorance quant aux objectifs de la collecte et à la nature des traitements auxquelles elles procèdent…

Mais les mauvaises pratiques souvent constatées dans les domaines de la collecte et du traitement de la data font aussi écho aux dérives de plus en plus fréquentes observables en amont, dans la production et la diffusion des données qui est faite par les entreprises émettrices. Approximations, communications de résultats d’étude basés sur des échantillons non représentatifs, extrapolations hasardeuses de données financières et autres conclusions trompeuses se sont aussi multipliées ces dernières années, entachant de plus en plus fréquemment la fiabilité et la qualité des données transmises et exposant les entreprises à des risques réputationnels de plus en plus importants, surtout à l’heure du « fact-checking » généralisé.

Alors comment normaliser les pratiques et tirer le meilleur parti des big data pour le plus grand profit des citoyens-consommateurs ? Et comment promouvoir des comportements plus déontologiques ?

C’est à ces questions qu’Assaël Adary² a choisi de s’attaquer, dans un ouvrage passionnant et précurseur« Big ou bug data ? Manuel à l’usage des datadéontologues »³, puisque non content de poser les bases d’une nouvelle discipline (la « datadéontologie »), il recommande la création au sein des entreprises d’un nouveau métier : celui de datadéontologue.

Le brandNewsBlog ne pouvait pas passer à côté d’un tel sujet : merci encore à l’auteur d’avoir avoir accepté de répondre à mes questions et demandes d’éclaircissements !

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>> Le BrandNewsBlog Assaël, vous êtes à ma connaissance un des premiers à vous pencher, en France en tout cas, sur ce sujet de la déontologie des données. Pourquoi y consacrer un livre aujourd’hui, après avoir entrepris d’enseigner la datadéontologie dans plusieurs écoles ? S’agit-il d’une démarche ponctuelle ou d’une nouvelle discipline à part entière ? Vous écrivez en introduction que votre ambition est rien moins que de « sauver les données d’elles-mêmes et de leur dérive » : qu’entendez-vous par là ?

Assaël Adary : Cela fait 4 ans environ que j’ai formalisé cette discipline et que j’ai pensé la datadéontologie comme une pratique… Je n’ose encore dire « science », mais j’ai tout de même cette ambition. Le vrai saut dans ma démarche a été comme souvent le passage par l’enseignement. Préparer un cours, des exercices, et surtout écouter les remarques (souvent très pertinentes) des étudiants m’ont permis d’aiguiser encore mes convictions et de faire un bond significatif dans la structuration du sujet. J’ai parallèlement animé un blog [www.datadeontologue.com] qui m’a obligé, comme un sportif, à m’entraîner régulièrement pour produire de courtes analyses sur des data publiques.

Il y a deux ans, une entreprise a accepté de me laisser appliquer mes principes de datadéontologie sur son rapport d’activité. Cette application très concrète a été une étape importante de validation de l’intérêt de mes recommandations. J’ai à cette occasion pu analyser, avec l’oeil et la rigueur du datadéontologue, toutes les allégations chiffrées présentes dans le rapport (hors chiffres purement financiers déjà contrôlés par les Commissaires Aux Comptes de l’entreprise, naturellement). Au final, une trentaines « d’erreurs », qui sont autant de risques réputationnels parfois importants, ont ainsi pu être détectées et corrigées. 

Je suis alors passé à la rédaction de cet ouvrage car je ressentais le besoin de livrer une présentation complète, liant vision théorique et recommandations concrètes sur les pratiques. A ce titre, ce livre est à la fois l’aboutissement de 4 années de « défrichage » mais aussi une ouverture vers une nouvelle séquence pour la datadéontologie. Pour la suite, je souhaiterais en effet enrichir l’approche en échangeant avec d’autres disciplines, en commençant par les statistiques et les sciences dures évidemment, mais également avec des juristes, pour ne citer que ces deux expertises.

La nouveauté de l’approche est liée à mon avis à l’ampleur qu’a pris cette thématique aujourd’hui. Post-vérité, faits alternatifs, critiques souvent fondées des sondages, rôle des objets connectés… Comme le titrait The Economist, nous sommes bel et bien dans un « data déluge » aujourd’hui. A cet égard, le projet porté par la datadéontologie me semble essentiel car il existe un vrai risque que la vérité devienne progressivement une opinion comme les autres : une grave dérive que je refuse catégoriquement ! Il est pour moi tout à fait vital de réhabiliter les données dans leur rôle de rempart contre l’obscurantisme et le relativisme. Pour y parvenir, il faut promouvoir et produire des données plus fiables et plus honnêtes, qui ne soient plus contestables à tout moment par l’opinion. Donc oui et je l’assume : il devient impératif de sauver les data d’elles-mêmes !

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>> Le BrandNewsBlog : Dans la première partie de votre ouvrage, vous décrivez cette évolution, impulsée par Talleyrand et la révolution française, par laquelle notre pays s’est doté d’un système homogène et centralisé de poids et de mesures, puis d’un ensemble de normes techniques qui n’a cessé de se compléter au fil des 19ème et 20ème siècle. On comprend que ce mouvement de standardisation, appliqué dans tous les corps de métiers, a été un préalable au formidable développement économique de l’époque moderne, en contribuant à fiabiliser les données et à installer les conditions de la confiance entre les différents agents économiques. Mais qu’en est-il depuis l’apparition d’Internet : on a l’impression que la standardisation a « un peu de mal à suivre » ?

Assaël Adary : D’abord, vous avez raison : sans mesure, pas de progrès qui tienne en effet. Sans normalisation et sans contrôle des systèmes de mesure, pas de confiance dans les échanges non plus. Si tout d’un coup vous n’avez plus confiance dans la balance d’un des commerçants de votre quartier, il y a de fortes fortes chances que vous « changiez de crèmerie ». Or, cette vague de normalisation et d’homogénéisation a progressivement transformé tous les secteurs économiques… sauf un, qui tel un village gaulois résiste encore à la mesure : le secteur de la communication. Mais il y résiste à ses dépends. Trop souvent en effet les communicants sont encore assimilés par les élites qui gouvernent les grandes entreprises à une joyeuse bande de troubadours et de saltimbanques… Et ce triste constat est, selon moi, le résultat logique de toutes ces décennies durant lesquelles les communicants ont esquivé les démarches d’évaluation de la performance de leur stratégies. L’évaluation, les Key Performance Indicators devraient être les meilleurs amis, les meilleurs alliés des communicants. Mais les professionnels commencent seulement aujourd’hui à en prendre véritablement conscience.

La révolution numérique est arrivée à point nommé, à grand renfort de tambours et trompettes et en laissant entendre ceci au monde des communicants : « Alléluia, je vais vous sauver en vous offrant sur un plateau le ROI que vous attendiez ». Mieux : « Je vous propose un modèle économique fondé sur la performance ». Le digital matérialisait ainsi la fin de l’obligation de moyens et l’avènement de l’obligation de résultats ! Et puis finalement, nous constatons que le ROI promis n’est pas forcément au rendez-vous et qu’il est en définitive beaucoup plus difficile à mesurer que prévu. Pour deux raisons majeures : les plateformes (Youtube, Facebook, Twitter, etc.) maintiennent une forme d’opacité et d’insincérité des data en étant à la fois « juges et parties » ; et le faux est par ailleurs beaucoup trop répandu sur le web (via les nombreuses techniques de manipulation de données, les achats de likes…)

>> Le BrandNewsBlog : Avec l’émergence et le développement des big data, vous évoquez un véritable changement de paradigme. « Volume », « variété », « vitesse » : quelles sont ces 3 spécificités des big data auxquelles vous faites référence et pourquoi bouleversent-elles complètement le paysage de la production de savoir et de la gestion des données ? Quels sont les principaux enjeux et défis à relever par les entreprises et par tous ceux qui collectent et manipulent ces données ?

Assaël Adary : Les big data, encensées par les data-évangélistes, sont en effet portées par les « 3 V ». L’impressionnante quantité de données produites chaque jour (= Volume) ; la Vitesse de production et de propagation de ces données et enfin leur Variété en constituent les principales caractéristiques. Elles peuvent être très structurées ou déstructurées, chiffrées ou verbales… On ajoute d’ailleurs parfois un 4ème « V » : la Valeur, que je connecte impérativement à mon 5ème « V », la Véracité ! Pour moi en effet : pas de création de valeur possible via les data sans une véracité certifiée.

Les algorithmes, les DMP (Data Management Platforms) parviennent plutôt bien et de mieux en mieux à gérer les 3 premiers « V ». Les deux suivants (Valeur et Véracité) nécessitent selon moi l’intervention humaine : les entreprises doivent en effet investir autant dans le 5ème « V » (la Véracité) que dans les 3 premiers pour réussir à créer de la Valeur à partir de leurs données. C’est pour cela que je milite pour la formation et le recrutement d’un datadéontologue pour 50 data scientists… ni plus, ni moins !

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>> Le BrandNewsBlog : A côté des formidables opportunités qu’offrent les big data, la généralisation des pratiques de fact checking, le foisonnement des parties prenantes (toujours plus réactives aux discours et aux informations transmises par l’Etat et les entreprises) et la multiplication des problèmes de sécurité liés à la gestion de grands volumes de données totalement dématérialisées… exposent les organisations à de nouvelles menaces opérationnelles et à d’importants risques réputationnels et d’image. Pour y faire face, vous préconisez pour votre part la création d’une fonction de datadéontologue au sein de chaque entreprise… Quelles en seraient/sont les objectifs et principales missions ?

Assaël Adary : En effet, la question n’est plus de produire des data : elles se produisent aujourd’hui toutes seules ou presque ! La vraie problématique est de savoir ce que nous allons en faire et quelle société (avec les data) nous voulons demain. La mission du datadéontologue est d’agir comme une « membrane active » entre les données et les usages qui en sont faits…

Le datadéontologue doit de facto être « bilingue ». Il doit savoir parler aux utilisateurs des data (responsables RSE, commerciaux, DG, dircom, DRH…) mais également à leurs producteurs. Il intervient par conséquent sur toute la chaîne de valeur des données depuis la définition des hypothèses de travail, les protocoles d’extraction et de traitements, les éventuels redressements ou extrapolations, les analyses, jusqu’aux commentaires et à la communication qui sont produites à partir et autour des data

Il faut en effet comprendre que les entreprises n’ont aujourd’hui plus le choix : elles doivent nécessairement composer avec des ONG ultra-compétentes en matière d’analyse des données et une nouvelle génération de journalistes formés et éprouvés au fact checking… Sans parler des consommateurs et citoyens qui sont eux aussi très vigilants et attentifs aux données. La bataille de la réputation se joue donc aujourd’hui, et se jouera encore davantage demain sur ce champ des big data.

>> Le BrandNewsBlog : Garant de la qualité et la conformité des données (principalement quantitatives) produites par l’entreprise, au regard des standards et des règles qui doivent gouverner leur production et leur diffusion, le datadéontologue est un peu le pendant du « Correspondant Informatique et Libertés » (CIL) introduit et préconisé il y a quelques années par la CNIL, mais avec un rôle élargi à toutes les typologies de données et une réelle capacité de recommandation et d’intervention sur les circuits de production et de diffusion des informations. Qui les entreprises devraient-elles nommer à ce poste ? Quelles sont les compétences/aptitudes à avoir ? S’agit-il d’une fonction à temps complet ou d’une énième mission confiée à un expert des chiffres ou du droit (statisticien, financier, juriste…) ?

Assaël Adary : L’évolution de la posture de la CNIL me semble être de bon augure, car désormais l’institution est davantage dans l’anticipation et la pédagogie plutôt que dans la sanction et la stigmatisation. Les Correspondants Informatiques et Libertés sont d’ailleurs les meilleurs symboles de cette belle évolution, qu’il faut saluer. 

Le datadéontologue doit quant à lui être investi d’un rôle élargi. Il traite de toutes les données, hormis les données financières qui disposent déjà de leur propre « datadéontologue » en la personne du Commissaire Aux Comptes. Le datadéontologue doit disposer de toutes les compétences pour analyser la qualité et la sincérité des données produites et la fiabilité de leur processus de production mais également tout ce qui concerne la communication des données. 

Au regard du rythme de production des data au sein des entreprises, je pense que le métier de datadéontologue mérite bien une mission à temps plein, voire davantage dans le cas de grandes organisations produisant beaucoup de contenus. Se pose-t-on la question du nombre de personnes rattachées aux directions financières ? Dans son rôle de tiers de confiance, qui ne peut être « juge et partie », il est important que le datadéontologue ne soit pas un des producteurs des données ni un des communicants de l’entreprise. De par sa mission, il y aurait même du sens à ce qu’il ne soit pas rattaché à l’organisation et intervienne comme un prestataire, à l’instar des experts comptables qui viennent certifier les comptes…

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>> Le BrandNewsBlog : Vous préconisez dans votre ouvrage un certain nombre de bonnes pratiques à respecter par les organisations pour être plus vertueuses en termes de production et surtout de communication de données chiffrées. « Citer ses sources », « en confronter plusieurs », « bien choisir ses unités de mesure »… Pourriez-vous revenir pour les lecteurs du BrandNewsBlog sur les plus importants de ces « commandements » de la datadéontologie que vous préconisez ?

Assaël Adary : La première et la plus essentielle de ces bonnes pratiques est probablement de copier la méthode des sciences dures, qui posent comme principe de vérité la sentence suivante : « cette conclusion scientifique est vraie tant qu’elle n’est pas fausse » (sous-entendu : tant qu’elle ne peut pas être contredite). Mais pour affirmer cela il faut aussi partager la méthodologie de calcul et les protocoles qui ont conduit à la conclusion… Bref : être dans l’open-data le plus complet et la transparence méthodologique. Dès qu’il y a opacité, il y a suspicion et la suspicion conduit à la perte de confiance dans les données produites et plus encore dans l’émetteur de ces données.

Evidemment, citer de manière très explicite ses sources ou les référentiels utilisés est primordial. Les unités de mesure méritent également une analyse poussée car elles recouvrent toujours une réalité singulière. Prenons un exemple simple : pour comptabiliser « une vue » d’une vidéo sur une plateforme, faut-il considérer le visionnage de la vidéo dans son intégralité, le visionnage d’une partie seulement ou bien le simple fait d’avoir appuyé sur le bouton « play » ?…

Autre conseil, comme un secrétaire de rédaction qui vient corriger les fautes de syntaxe d’un texte, le datadéontologue doit investiguer toutes les communications chiffrées de l’entreprise et recenser tous les mots ou verbes qui comportent une « allégation chiffrée » ou qui se référent à des chiffres sans les citer : les termes « en croissance », « leader », « n°1 » ou « premier » doivent pouvoir être étayés de preuves concrètes et argumentés.

On peut également faire une « faute de chiffre » comme on fait une faute d’orthographe : le datadéontologue est aussi là pour les corriger ou les éviter en relisant les documents avant leur diffusion.

12commandements>> Le BrandNewsBlog : Nous venons d’évoquer largement l’utilisation et la diffusion des big data sous l’angle de la maîtrise des risques qui peuvent leur être associés. Mais évidemment, la collecte et l’exploitation intelligente de ces données peut être non seulement la source de nouveaux business ainsi qu’un vecteur de différenciation non négligeable pour les entreprises… Plusieurs études ont notamment démontré que les consommateurs étaient beaucoup plus enclins à communiquer leurs données personnelles si celles-ci sont utilisées pour améliorer sensiblement les produits et services offerts par les marques, leur simplifier la vie ou leur permettre d’économiser de l’argent, comme le font par exemple le bracelet Magic band de Disney ou le thermostat Nest conçu par Google… Les datadéontologues au sein des entreprises auront-ils vocation à être associés à l’identification de ce type d’opportunités,  pour en mesurer/valider l’intérêt réel pour les consommateurs ?

Assaël Adary : En effet, le datadéontologue devra notamment veiller à ce que les innovations qui produisent des data « utiles » pour le consommateur ne détériorent pas, par ailleurs, un élément de réputation. Rappelons-nous ici le procès évité de justesse par Nike (via une proposition d’entente qui aurait coûté 7 millions de dollars à la marque) concernant son bracelet Nike+ FuelBand. Les consommateurs américains considéraient notamment que les mesures biométriques du dispositif étaient incorrectes, contrairement aux déclarations concernant la capacité du bracelet à quantifier les calories brûlées, le nombre de pas… Cette class-action était à ma connaissance une des premières concernant la Véracité des données, le 5ème « V » pour lequel je milite… Il est clair qu’un datadéontologue au sein de Nike aurait pu anticiper ce risque et éviter le procès à la marque. 

Evidemment, les usages des big data regorgent d’opportunités de business pour les entreprises et elles doivent les saisir dans le respect des règles éthiques, sinon ce sera inévitablement l’effet boomerang comme pour Nike.

>> Le BrandNewsBlog : Une des études les plus complètes menées ces dernières années sur le sujet de l’exploitation des big data est à mon avis celle conduite par Timothy Morey, Theodore Forbath et Allison Schoop, dont les résultats ont été publiés il y a quelques mois par la Harvard Business Review*. Un des enseignements les plus intéressants de cette étude internationale est notamment que les consommateurs, en fonction de leur culture et de leur origine, attribuent à certains types de données plus de valeur qu’à d’autres (les asiatiques, souvent plus « collectivistes », valorisant par exemple beaucoup moins les données concernant leur vie privée que les américains ou les allemands, mais étant très sensibles au vol d’identité par exemple : cf tableau ci-dessous). De même, concernant le type d’entreprises auxquelles les consommateurs font le plus confiance pour gérer leurs données (cf 2ème tableau ci-dessous), de grandes disparités de perception existent entre les médecins prodiguant des soins de base ou les sociétés de financement, jugées les plus dignes de confiance, et les leaders d’internet comme Google et Yahoo (moyennement dignes de confiance), les réseaux sociaux et Facebook en particulier étant jugés comme les moins dignes de confiance. Etes-vous surpris de ces résultats ?

Assaël Adary : C’est ce que le datadéontologue ne cesse de répéter : les grandes plateformes, tout comme les algorithmes, ne sont pas JAMAIS neutres. Les citoyens sont bien conscients de cette « non neutralité », comme le prouvent les résultats d’étude que vous citez, et c’est assurément une bonne chose. C’est notamment pour cela et parce que ces plateformes et les réseaux sociaux peuvent avoir une influence non négligeable sur la formation des opinions dès le plus jeune âge que je milite pour que la datadéontologie soit enseignée de manière très simple dès le collège, à l’âge des premiers usages intensifs du web 2.0. 

Par ailleurs, le rapport aux data est en effet éminemment culturel. Dans le cas du procès aux Etats-Unis du bracelet FuelBand, le reproche des consommateurs américains ne concernait pas tant la protection des données personnelles en effet, que Véracité des données produites… Il est tout à fait probable qu’en Europe le procès aurait davantage porté sur la protection des données personnelles justement. Mais quel que soit le continent et les considérations culturelles, les problématiques concernant les données émergent de plus en plus fortement partout dans le monde, rendant plus que nécessaire le développement d’une véritable datadéontologie.

>> Le BrandNewsBlog : Pour Timothy Morey, Theodore Forbath et Allison Schoop, dont l’étude et les conclusions corroborent totalement vos recommandations déontologiques, les entreprises sont légitimes à exploiter les big data et peuvent en tirer un énorme avantage compétitif à condition de le faire de manière totalement transparente, en expliquant à quelles fins seront utilisées les données collectées, en permettant aux consommateurs d’avoir accès et de modifier à tout moment leurs données personnelles et à condition que le « prix » ou la valeur ajoutée de service offerte en contrepartie aux clients en vaille vraiment la peine. Mais malgré les efforts affichés par un certain nombre de marques, la plupart choisissent encore de collecter et utiliser les données clients sans les en informer. Pourquoi de telles résistances et une attitude aussi peu responsable, à votre avis ?

Assaël Adary : Ainsi que je l’exprime très clairement dès les premières lignes de mon livre, je me range assurément « du côté », c’est à dire en faveur des big data. Pour le dire simplement : je suis résolument « pour » ! Je pense en effet qu’elles peuvent représenter ce nouvel « or noir » de l’économie que vous évoquez en introduction… tant que la confiance entre les acteurs demeure forte. 

La transparence pour le citoyen-consommateur sur les bénéfices que les marques pourront leur offrir en échange des données collectées et sur la simplicité d’accès à leurs données me paraissent en effet des principes essentiels. Et pourquoi pas (des start up y travaillent déjà) offrir aux individus la possibilité de monétiser leurs propres données… et de recevoir des royalties en contrepartie ? Les grandes plateformes que nous avons citées pourraient tout à fait, sans trop entamer leurs profits mais en renforçant au contraire leur crédibilité, redistribuer un tout petit peu du CA qu’elles réalisent à partir de nos données… de la même façon qu’elles rétribuent déjà par ailleurs un certain nombre d’influenceurs et de Youtubers par exemple…

>> Le BrandNewsBlog : On le voit, comme à l’époque de Talleyrand et de la révolution, la question de la confiance (envers les données et envers ceux qui les exploitent) demeure un critère central pour un développement de l’économie et pour les exploitations futures qui seront faites des big data. Google, Facebook et les autres plateformes sociales en ont maintenant bien pris conscience, comme les plateformes d’e-commerce qui avaient parmi les premières compris tout l’enjeu d’une attitude responsable et l’intérêt d’une réelle datadéontologie. Et puisque datadéontologie et intérêts des entreprises semblent converger, peut-être peut-on espérer que les entreprises les plus vertueuses en matière de gestion des données seront également demain les plus rentables. Qu’en pensez-vous ? Partagez-vous cet optimisme au sujet de l’avenir des big data ?

Assaël Adary : En ce qui me concerne, je suis tout à fait convaincu que la confiance est le principal booster de la performance économique. Elle renforce durablement la qualité des relations. Et pour ce qui est des sites e-commerce et des grandes plateformes du web et des réseaux sociaux, malgré leurs efforts, je pense qu’elles ont encore beaucoup à faire pour sortir de cette opacité qui les caractérise en matière de collecte et de traitement des data. Les entreprises doivent absolument pouvoir se réapproprier les données générés par leurs contenus, c’est une question vitale.

D’une manière plus globale, si les acteurs des data ne se mobilisent pas d’eux-mêmes très activement pour s’autoréguler en engageant des démarches profondes en matière d’éthique, je prédis nécessairement la promulgation d’une ou plusieurs lois, aussi puissantes que la loi Sapin de 1993, qui viendront réguler « par le haut » les pratiques… D’ailleurs, cette loi qui avait révolutionné la publicité vient d’être étendue en 2017 à la publicité digitale, en instaurant par exemple une traçabilité dans le suivi et les performances des publicités en ligne lors de campagnes programmatiques, notamment en RTB (real time bidding). Sans être pessimiste, je dirais donc qu’il y a fort à parier qu’une auto-régulation par les acteurs ne soit pas suffisante, ni à la hauteur des enjeux…

 

 

Notes et légendes :

(1) Source : IBM (https://www-01.ibm.com/software/fr/data/bigdata)

(2) Après des études de philosophie et un magistère au Celsa, Assaël Adary a co-fondé en 1995 le cabinet d’études Occurrence, spécialisé dans l’évaluation des actions de communication. Président de l’association des alumni du Celsa, enseignant dans plusieurs écoles et universités dont l’Université Paris-Descartes, la Sorbonne et le Master Communication de Sciences Po, il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la communication et à la responsabilité sociale, dont « Les 100 premiers jours d’un(e) dircom », le « Communicator » (avec Thierry Libaert, Céline Mas et Marie-Hélène Westphalen), « Toute la fonction communication » (avec Thierry Libaert) ou encore « Evaluez vos actions de communication ».

(3) « Big ou bug data ? Manuel à l’usage des datadéontologues » par Assaël Adary – Editions du Palio, février 2017.

* « Données clients : concevoir un système transparent et de confiance », par Timothy Morey, Theodore Forbath et Allison Schoop – Harvard Business Review France, juin-juillet 2016. (NB : Article complet payant sur le site de la Harvard Business Review France)

 

Crédits photos et illustrations : Thomas Gogny pour Stratégies, Assaël Adary, Occurrence, X, DR

Les 7 victimes collatérales du dérapage éthique et réputationnel de Volkswagen

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Oui, je sais : on vous aura rebattu les oreilles toute la semaine avec ce scandale Volkswagen. Et rapportée à l’échelle temporelle des réseaux sociaux, la reconnaissance par le groupe de Wolfsburg de sa responsabilité dans la manipulation de tests d’émission de polluants, cela appartient déjà au même niveau de préhistoire, ou presque, que la naissance de votre grand-mère (avec tout le respect que je lui dois bien sûr).

Néanmoins, NEANMOINS : admettez que pour l’auteur d’un blog dédié au branding et à la communication des marques, il m’était difficile de passer à côté de ce crash majuscule. La faillite éthique et réputationnelle du premier constructeur mondial, figure de proue de l’industrie allemande, a suscité une indignation internationale unanime… et un bel abattement au pays de l’automobile.

En plus des conséquences directes et immédiates pour la marque Volkwagen : crise d’opinion sans précédent aux Etats-Unis puis dans le reste du monde, excuses puis démission du P-DG, provision record de 6,5 milliards d’euros passée dans les comptes, inquiétudes pour la pérennité de l’entreprise… les dégâts collatéraux causés à l’industrie automobile dans son ensemble et au made in Germany (entre autres) sont très substantiels.

Vous ne m’en voudrez donc aucunement j’espère : plutôt que de consacrer une énième analyse à la situation de la marque VW, c’est au dénombrement des victimes collatérales de cette crise et à leur diagnostic vital que j’ai décidé de consacrer ma consultation du jour. En essayant pour chacune de sonder la gravité du mal et les chances de rémission.

Prenez votre blouse et votre stéthoscope, on y va…

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> Victime collatérale n°1 : les autres marques de l’empire Volkwagen

Vous le savez, et cela a été rappelé par tous les médias : le groupe Volkswagen, c’est un peu L’empire de l’automobile contre-attaque, avec ses 593 000 salariés, 203 milliards d’euros de CA et les 12 marques qui le composent : VW, Audi, Porsche, MAN, Skoda, Scania, VW Utilitaires, Seat, Bentley, Ducati, Lamborghini et Bugatti. Le Real Madrid de l’auto en version « galactique », si vous préférez.

Alors que l’on pensait au départ la « triche » limitée à 482 000 véhicules de la marque VW (modèles Golf, Beetle, Jetta et Passat incriminés par l’administration américaine lundi 21/09), les aveux des responsables de Volkswagen, évoquant eux-même dès ce mardi 11 millions de véhicules équipés de logiciels malveillants, ont permis d’établir que des modèles Audi, Seat, et Skoda (et peut-être d’autres) étaient également concernés. Il n’en fallait pas plus pour jeter dans la tourmente toutes les marques grand public du groupe de Wolfsburg.

Gravité et chances de rémission : s’agissant de marques directement entachées par le scandale de la manipulation des tests, nul doute que leur image en pâtira, aux Etats-Unis et en Europe surtout. Mais la marque VW ayant concentré l’essentiel de la visibilité médiatique et des critiques cette semaine, la rémission devrait être plus rapide pour ces marques « soeurs », à condition bien sûr qu’elles ne se fassent plus jamais reprendre par la patrouille sur de tels sujets de tricherie.

> Victime collatérale n°2 : tous les acteurs de l’industrie automobile

Vous aurez observé comme moi ce glissement sémantique dans la presse et les médias  : dès ce mardi, par un phénomène psychologique bien connu qu’on pourrait qualifier de « contagion de la défiance », les experts s’interrogeaient déjà à voix haute sur la sincérité des autres constructeurs automobiles. Comment croire en effet que le petit logiciel installé sur les véhicules de la marque VW n’avait pas d’équivalent chez d’autres constructeurs ?

C’est aussi ce que laissaient entendre la plupart des témoins interrogés par la presse, à commencer par les salariés du groupe Volkswagen, plutôt mécontents que leur employeur paye pour toute une industrie, pas forcément blanche comme neige. « Ca m’étonnerait qu’on en reste avec Volkswagen à être le seul cloué au pilori. On va voir que d’autres constructeurs ont aussi leur part d’ombre » confiait ainsi aux journalistes une employée. Une accusation d’autant plus crédible que tous les industriels, ou presque, admettent « optimiser » le passage de leurs véhicules en test, en surgonflant les pneus par exemple, ce qui permet de moins solliciter le moteur. Résultat, entre les tests réalisés par les constructeurs sur les polluants et « la vraie vie », les émissions d’oxyde d’azote seraient au moins 5 fois plus importantes sur la route que la limite autorisée.

En Bourse, ce sont toutes les valeurs automobiles européennes, ainsi que celles des équipementiers (Faurecia, Valeo, Plastic Omnium…) qui sont allées dans le décor en même temps que Volkwagen, les analystes anticipant des conséquences défavorables pour toute l’industrie, en particulier pour l’avenir du diesel.

Et c’est assurément pour essayer d’éviter le genre d’amalgames que j’évoquais à l’instant que tous les concurrents de Volkswagen se sont empressés dès les premiers jours de la crise de rappeler qu’ils respectaient quant à eux la législation et que leurs véhicules n’étaient pas équipés de dispositifs de manipulation. A l’image des constructeurs français, ils ont immédiatement soutenu les initiatives de leurs gouvernements respectifs d’organiser des tests pour rassurer les consommateurs, comme ceux proposés cette fin de semaine par Ségolène Royal.

Gravité et chances de rémission : bien qu’indirectement concernés, on voit bien que les champions de l’automobile n’en mènent pas large. Ils évoquent tous « un mauvais coup » porté par Volkswagen à l’automobile et redoutent que la pression réglementaire, déjà forte, n’aille en s’accentuant, augmentant leurs coûts et réduisant leurs marges. La convalescence pourrait donc s’avérer douloureuse, quoiqu’il arrive, et se payer très cher.

> Victime collatérale n°3 : la fameuse « Deutsche Qualität » si chère aux marques allemandes

On ne soulignera jamais assez la contribution exceptionnelle de cette notion performative de « Deutsche Qualität » dont profite toutes les marques made in Germany, dans la réussite économique de l’Allemagne.

Concept narratif ultra-performant, au point d’être parodié par de nombreux concurrents étrangers, dans le domaine de l’automobile en particulier, ce récit économique convoque en même temps toutes les bonnes fées qui se sont penchées sur le berceau de l’industrie allemande : un état d’esprit fondé sur la rigueur et le sens du détail, une communication permanente sur l’inclusion de ces valeurs dans les biens et services, valeurs partagées par chaque Allemand individuellement + un souci constant d’innovation, pour garder cette avance qui caractérise les marques allemandes…

La potion qui en découle en terme de perception, dans le monde entier, renvoie indubitablement à des notions de fiabilité, de qualité et de robustesse (trois leviers essentiels de la compétitivité hors coût, qui ont beaucoup aidé l’Allemagne ces dernières années sur le volet export notamment) mais également à des valeurs de transparence, d’honnêteté et de protection de l’environnement… que Volkswagen n’avait pas hésité à mettre largement en avant dans sa publicité, avec cette image du « Clean Diesel » notamment…

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Gravité et chances de rémission : en foulant ainsi au pied son contrat de marque, comme elle vient de le faire en mentant aux autorités américaines et internationales, à ses clients et à ses partenaires (salariés, land de Basse-Saxe…), Volkswagen a sévèrement égratigné ce récit économique de la Deutsche Qualität sur lequel s’appuient toutes les marques allemandes. Et même si les consommateurs ont la mémoire plus courte qu’on ne veut bien le dire, il y aura un avant et un après… Le mardi 22 septembre restera à jamais ce jour où un industriel allemand aura reconnu publiquement avoir failli et trahi à grande échelle cet idéal de fiabilité, de qualité et d’honnêteté qui caractérisait jusqu’ici les productions made in Germany… 

> Victime collatérale n°4 : une certaine « vision » de l’écologie et de la politique RSE => le greenwashing

Alors là, si le lauréat des Prix Pinocchio 2015 du développement durable n’est pas tout trouvé… c’est qu’on n’aura vraiment rien compris. Le célèbre Trophée, créé il y a quelques années par l’association Les Amis de la terre, couronne chaque année, au mois de novembre, les entreprises ayant fait preuve de la mauvaise foi la plus caractérisée dans la défense de l’environnement et celles qui se sont fait piquer « la main dans le sac » pour des pratiques écologiquement douteuses ou répréhensibles.

Et contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les candidats pour ces Pinocchio s’avèrent hélas assez nombreux. Entre les industriels réputés polluants, qui tentent de se racheter une virginité à coup de millions et en jouant sur l’épaisseur de leur rapport Développement Durable et les vrais-faux champions de vertu, prompts à dégainer l’argument écologique pour vendre (comme Volkswagen), difficile de discerner les marques vraiment engagées et méritantes.

A ce titre, j’avoue avoir été souvent étonné par le classement des marques les plus « vertes » établi chaque année par les pourtant très sérieux cabinets Interbrand et Deloitte. Après avoir fait partie du Top 5 de ces « Best Global Green Brands » (4ème en 2012), Volkswagen était encore classé 16ème lors de la dernière édition en 2014 (voir le tableau ci-dessous)… avec pas moins de 10 marques automobiles représentées parmi les 50 entreprises les plus vertueuses (?). Objectivement, et sans remettre en cause l’importance des efforts accomplis par ces industriels, n’est-il pas contre-intuitif et contre-productif de faire ainsi la part belle à des acteurs dont les activités continuent à avoir de tels impacts sur l’environnement ? D’autant, pour faire encore plus la fine bouche, que plusieurs de ces champions ont souvent été épinglés pour leurs écarts (comme Samsung en 2014, 3ème au classement Pinocchio pour les conditions de travail d’une partie de sa main d’oeuvre asiatique…).

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Gravité et chances de rémission : on ne peut pas espérer que le greenwashing disparaisse d’un coup de baguette magique. Des entreprises et des acteurs « indélicats », dans le secteur automobile en particulier, continueront sans doute d’être épinglés pour leurs écarts. Mais il serait tout aussi dangereux, à mon sens, d’accréditer l’idée du « tous pourris ». A côté des marques à la fibre écologique et sociale douteuse, suffisamment d’entreprises s’illustrent au quotidien par leur engagement pour la protection de l’environnement et la défense des intérêts des salariés, pour qu’on leur accorde au moins un peu de crédit. Il en va de la RSE comme du reste : s’il y a des canards boîteux, il serait stupide de généraliser un constat sur la base des mauvais agissements de quelques-uns seulement.

> Victime collatérale n°5 : le diesel, et tous les constructeurs qui le portent encore à bout de bras

C’est un fait, qui a suffisamment été souligné par tous les commentateurs, que l’industrie automobile européenne (pas seulement Volkswagen et les constructeurs allemands, mais les Français aussi, notamment) reste particulièrement engagée et dépendante du marché du diesel. Ce carburant, et les modèles qui vont avec, représentent encore plus de la moitié des ventes de voitures sur notre continent.

Autant dire que ce « Dieselgate », comme on l’a appelé, tombe très mal et représente une très mauvaise nouvelle pour des constructeurs qui ne sont pas encore prêts à une transition massive vers d’autres types de motorisations. Et si le scandale fait évidemment les affaires des écologistes, qui plaident tous depuis longtemps pour une sortie du diesel, la déroute de la voiture écologique et du « diesel propre » éclate comme une bombe au visage des industriels et du gouvernement, qui subventionnerait le diesel à hauteur de 7 milliards d’euros dans notre seul pays, d’après la Secrétaire nationale d’EELV, Emmanuelle Cosse.

Gravité et chances de rémission : touchées, mais pas encore tout à fait coulées en Europe, les perspectives du diesel aux Etats-Unis semblent en tout cas largement compromises. Et si Volkswagen comptait justement sur le « clean diesel » pour accélérer son développement outre-Atlantique, c’est tout l’inverse qui devrait se produire, d’autant que les Américains sont restés largement fidèles aux motorisations essence. Pesant encore 59% des ventes en France (contre 70% avant 2013), le diesel est également en net reflux chez nous. Ce qui amène déjà les analystes, tels Gaëtan Toulemonde chez Deutsche Bank, à parler du « début de la fin du diesel » à l’échelle continentale… Etrangement, cette perspective me réjouit plutôt. Quand on connaît le rôle de la pollution aux particules fines dans la dégradation de la qualité de l’air de nos métropoles et de nos villes, on ne peut s’empêcher de se dire que ce coup dur porté au diesel pourrait accélérer une prise de conscience bienvenue.

> Victime collatérale n°6 : tous les prestataires du groupe Volkswagen, à commencer par le secteur de la communication (et l’agence DDB !) 

Et oui, qu’on se le dise : la frêle embellie des dépenses publicitaires, constatée au 1er semestre de cette année (avec une baisse de 1,6 % seulement des dépenses médias) pourrait bien être largement compromise par ce « Dieselgate » et les mauvaises nouvelles sur le marché de l’automobile.

Douzième annonceur français avec 232,7 millions d’euros bruts investis dans les médias en 2014, Volkswagen aurait déjà fait part de son intention de couper tous ses investissements publicitaires jusqu’à nouvel ordre (information @itele).

Et dans la pratique, le Groupe aurait déjà commencé à faire le ménage dans ses propres publicités (voir à ce sujet cet article), afin que certaines ne soient pas détournés sur les réseaux sociaux notamment. Réputés pour leur qualité créative, les spots et pubs concoctés par l’agence DDB n’ont jamais hésité à jouer avec l’humour et le second degré… offrant ces derniers jours un boulevard aux internautes qui souhaitaient tourner la marque en dérision.

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Gravité et chances de rémission : les dépenses publicitaires étant en général les premières que les annonceurs coupent en cas de crise ou de récession (alors qu’il faudrait parfois les augmenter !) on peut imaginer que les déboires de Volkswagen et du secteur automobile n’annoncent rien de bon pour les agences et les médias. A suivre donc, pour voir exactement ce qu’il en sera.

> Victime collatérale n°7 : les salariés du groupe Volkswagen… et de l’automobile en général ?

Derrière la confiance affichée par les salariés allemands de VW envers leur employeur et en l’avenir de l’entreprise, on pouvait néanmoins deviner les pointes d’inquiétude suscitées par toute cette affaire.

Qu’un fleuron de l’industrie automobile soit ainsi mis sur le devant de la scène n’augurait rien de bon et ce n’est pas le spectre de l’amende record encourue aux Etats-Unis (18 milliards de dollars) qui rassurera les salariés.

En plus de la sanction aux Etats-Unis, Volkswagen encourt en effet de lourds dommages liés aux plaintes collectives déposées depuis cette semaine dans de nombreux pays. Chez JP Morgan, on estimait même que le préjudice total de l’affaire pourrait se monter à 40 milliards de dollars (!)

Un véritable gouffre, d’autant que la situation du groupe VW n’est pas si bonne. Alors qu’il vient de ravir la place de 1er constructeur mondial à Toyota au 1er semestre, la pilule de cette crise pourrait être très dure à avaler pour les salariés si l’entreprise ne redécolle pas…

Gravité et chances de rémission : confrontée à une baisse de ses perspectives aux Etats-Unis et à de réelles menaces concurrentielles partout ailleurs du fait de cette affaire, Volkswagen pourrait payer très cher ses erreurs et en faire in fine payer le prix à ses collaborateurs, en décrétant le cas échéant des plans sociaux… On espère vraiment pour tout le monde qu’on n’en arrivera pas là ;-(

Esprit de Noël : et si on réhabilitait (et on réécrivait) la Nétiquette ?

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Tandis qu’une année s’achève, lourde de conflits et d’actualités souvent dramatiques, une partie du monde s’apprête à fêter Noël. L’occasion pour certains (en tout cas espérons-le) d’observer une pause ou une « trêve » bienvenue, ne serait-ce que quelques jours ou quelques heures. C’est aussi, naturellement, la période des bilans, puis celle des bonnes résolutions…

Pour l’observateur des réseaux et des médias sociaux, 2014 aura été un millésime à la fois dense, passionnant… et inquiétant à maints égards.

Irrespect, intimidation, échanges de noms d’oiseaux, appels au public bashing, à la violence ou à la discrimination, harcèlement, règlements de comptes et autres luttes d’influence savamment orchestrées… ne se sont jamais aussi bien portés dans la « sociosphère ». Reflets, sans doute, des tensions observables par ailleurs au sein de nos sociétés contemporaines. Ainsi, à mesure que tout un chacun s’empare des outils du web 2.0, les différentes plateformes ont été les vecteurs et/ou le théâtre d’affrontements et de manipulations à plus ou moins grande échelle, levant des interrogations accrues sur leur poids dans le déroulement des évènements et sur leur utilisation / détournement à des fins propagandistes, criminelles, voire terroristes.

C’est en dressant récemment ce constat, certes sombre, mais tout aussi réel que la vision idyllique qu’on projette souvent au sujet des réseaux et médias sociaux, que je suis (re)tombé par hasard sur cette bonne vieille charte aujourd’hui désuette : la Nétiquette.

Souvenez-vous, c’était hier…

J’entends d’ici les sarcasmes des esprits acérés : quel rapport entre les mauvaises pratiques, détournements et jeux d’influence que je viens d’évoquer et cette « règle informelle, devenue une charte qui définit les règles de conduite et de politesse recommandées sur les premiers médias de communication mis à disposition par Internet » ¹ ? Et en quoi un « guide de bonnes manières numériques » (même revisité) serait aujourd’hui d’une quelconque utilité face à l’ampleur des enjeux et aux visées d’individus ou de groupes déterminés à imposer leurs vues, pour ne citer que cet exemple ?

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Esprits acérés, vous marquez évidemment un point ;-) Et il ne s’agirait pas de se faire trop d’illusion sur la portée et l’influence d’une charte, aussi pertinente soit-elle. D’autant que ceux d’entre nous qui sommes assez vieux pour avoir connu la préhistoire du World Wide Web, se souviennent sans doute que les différentes tentatives de formalisation d’un « contrat social pour l’Internet » (dont la première remonte à 1995²) suscitèrent d’abord un réel intérêt… avant de sombrer dans l’oubli général. Au point que plus personne aujourd’hui ne se rappelle vraiment de leur contenu et que nul n’a songé à mettre à jour les principes de la Nétiquette depuis, ne serait-ce que pour l’adapter aux nouvelles technologies et aux pratiques du web 2.0. C’est tout dire…

Le Web 2.0 en roue libre et l’éthique en jachère : faut-il jeter l’éponge ?

Seulement voilà, c’est Noël et je reste un incorrigible optimiste. A défaut de prétendre infléchir des tendances sociétales et les déviances les plus lourdes qui en découlent, et au risque de passer pour le « ravi de la crèche » (notez que c’est de saison ;-), je continue de croire dans les vertus de la pédagogie et d’une modération collective sur les réseaux sociaux…

Dès lors, pourquoi ne pas la remettre un peu au goût du jour cette Nétiquette, en s’attaquant à une Nétiquette 2.0 ? Celle-ci aurait au moins le grand mérite de rappeler quelques principes fondamentaux aux socionautes, (même) les plus avertis, ainsi qu’aux néophytes.

S’adresser aux néophytes, à cette nouvelle génération qui découvrait alors Internet, faisait d’ailleurs partie des objectifs des premiers guides et chartes qui furent publiés…

Une Nétiquette 2.0, vingt ans après la première charte rédigée par Sally Hambridge…

Mais par où commencer, me direz-vous ?… Tout simplement par l’existant, à mon avis. C’est à dire par le corpus de règles et de recommandations formulées il y a tout juste 20 ans (octobre 1994) et dont vous retrouverez une traduction ici

A la relecture, on s’aperçoit qu’un certain nombre de ces règles, élaborées pour les tous premiers services disponibles sur le web (courriers électroniques, premiers forums et chats, services d’information aujourd’hui disparus tels que Gopher, Wais, telnet, etc) ont sérieusement vieilli et ne sont plus forcément pertinentes aujourd’hui. Les recommandations très fournies concernant les e-mails, si elles demeurent en partie applicables, correspondent à l’état de l’art de l’époque, tandis que les usages concernant l’échange et les premiers forums sont décrits de manière lapidaire (forcément, les premiers réseaux sociaux ne sont nés que 10 ans plus tard).

On peut néanmoins retenir les grands principes suivants, dont la plupart restent valables :

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… Sur la base de ces recommandations, à chacun d’imaginer quelle pourrait être la formulation idéale pour une Nétiquette 2.0. A mon sens, celle-ci pourrait être beaucoup plus légère que la première version écrite par Sally Hambridge, en énumérant par exemple une dizaine de principes qui constitueraient autant de rappels à l’attention des utilisateurs des réseaux et médias sociaux.

Qu’en dites-vous ? Allez, je me lance… Et que ceux qui se sentent inspirés n’hésitent pas à me faire part de leurs suggestions et commentaires. Arriver jusqu’à dix ne devrait pas être si difficile… ;-)

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Notes et légendes :

(1) Sources Wikipédia : définition et histoire de la Nétiquette, une charte éthique à l’attention de tous les utilisateurs du Net : voir ici l’article à ce sujet

(2) Pour plus d’information à ce sujet, lire ici la première version de Nétiquette, soit le document RFC 1855 rédigé par Sally Hambridge (de chez Intel) pour l’Internet Engineering Task Force et qui fut diffusé en octobre 1995.

 

Crédits photos : 123RF, X, DR, TheBrandNewsBlog 2014

 

8 défis à relever pour remettre le marketing au coeur de l’entreprise

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Sale temps pour les marketeurs ! Si l’on s’en réfère aux résultats de deux études récentes (IBM Global CMO Study 2013 + Enquête Ernst & Young 2014), les professionnels auraient un peu le moral dans les chaussettes…

La faute aux bouleversements qui ont secoué la fonction marketing ces dernières années : inefficacité des stratégies de mass market, atonie des marchés liée aux crises à répétition, mondialisation, imprévisibilité des comportements d’achat, réorganisation des entreprises et transformation digitale accélérée à laquelle ils s’estiment insuffisamment préparés… Sans parler de la réticence croissante des consommateurs vis-à-vis du marketing, dont plusieurs grands esprits ont déjà annoncé la mort.

Comment ne pas sombrer dans la même atonie que les marchés, « transformer les freins d’aujourd’hui en leviers de demain » et profiter des opportunités pour remettre le marketing au coeur des préoccupations et de la stratégie de l’entreprise ? David Naïm, Marc Antoine Schuck, François Laurent et Jean Watin-Augouard nous en livrent les pistes dans le dernier numéro de l’excellente Revue des marques*.

La fonction marketing à la croisée des chemins

Vous êtes marketeur / marketeuse et vous vous sentez démuni(e) face aux bouleversements de votre métier et à l’ampleur de la tache à accomplir ? Manifestement, vous n’êtes pas le/la seul(e)…

Année après année, les enquêtes menés auprès des professionnels du marketing semblent témoigner du décalage croissant entre les objectifs à atteindre et les moyens et connaissances dont ils disposent. Alors que la transformation digitale et une mutation « 2.0 » du marketing semblent inévitables dans la plupart des secteurs d’activité (gestion intégrée des données, notamment issues des médias sociaux ; intégration des nouvelles technologies de traitement et d’analyse…) la réduction des budget et des effectifs, l’inadéquation des outils encore utilisées par la plupart des entreprises mettent à mal les efforts des marketeurs. Au point de les faire sérieusement douter de leur propre stratégie…

graphes

Au-delà du manque de moyens et de l’inadaptation technologique, le malaise découle surtout de la mutation profonde du métier… et des consommateurs. Du fait de la multiplication des sources d’information et du développement du web 2.0, tout le monde sait que les comportements de consommation ont profondément changé.

Mieux informés, plus méfiants et exigeants vis-à-vis des marques, les consommateurs n’ont jamais été aussi difficiles à cerner et leurs attentes évoluent beaucoup plus rapidement que par le passé. Plus ennuyeux : ils semblent être devenus « allergiques » à toute forme de marketing, même (et surtout) déguisée, et fuient les manoeuvres des marques pour nouer une conversation superficielle dont ils n’ont bien souvent que faire.

Noyés sous une masse de données de sources multiples, désemparés par les dégâts collatéraux de l’infobésité sur leurs stratégies (de contenu notamment), les marketeurs nagent en plein doute et ne le cachent plus : « Alors que 79% des responsables marketing interrogés prévoient un accroissement sensible du niveau de complexité dans les prochaines années, ils ne sont que 48% à se déclarer prêts à affronter cette complexité », souligne l’étude IBM Global CMO. Pire, quand on leur demande de citer leurs quatre défis majeurs, ils avancent ceux où ils manquent le plus de préparation : 1) identification des connaissances réellement utiles 2) définition d’une stratégie efficace sur les médias sociaux 3) choix des bons canaux et périphériques 4) réponse aux évolutions démographiques et nouvelles attentes des consommateurs.

Bref : l’heure est grave…

Non, le marketing n’est pas mort !

Moribond le marketing ? C’est (sous forme de provocation) ce que laissait entendre cet article de la Harvard Business Review il y a deux ans, ou le blog Marketing is dead. Au point que l’Adetem, principale association du marketing en France, s’est fendue l’an dernier d’un plaidoyer intitulé Le marketing est mort, vive le marketing !

Evidemment, comme François Laurent le résume d’ailleurs très bien dans son article de la Revue des marques*, ce qui est aujourd’hui rejeté par les consommateurs, c’est d’abord « le marketing de papa » et ses vieilles recettes manipulatoires. La cadence infernale des lancements de produits (jusqu’à 22 nouveaux parfums par mois sur le marché français par exemple) ; « l’hyperbolisme outrancier de la communication publicitaire » ; l’inflation des messages non sollicités, envoyés tous azimuts par des marketeurs-spammeurs zélés ne voyant même pas le problème… ont causé un tort considérable au marketing, en le discréditant peu à peu. Et l’avènement du web 2.0 n’a pas forcément amélioré les choses, un bon nombre d’entreprises et d’agences conservant dans leurs stratégie digitale la même logique et les mêmes objectifs, purement quantitatifs, via-à-vis de leurs prospects / fans / relations / followers…

Or les consommateurs eux-mêmes ont trouvé les moyens désormais, avec le web 2.0, de réagir et rééquilibrer les rapports qu’ils entretenaient avec les marques. Comme le montrent les innombrables exemples d’entreprises piégées sur les réseaux sociaux au jeu de leur double discours ou pris en flagrant délit de « greenwashing« , le seul moyen d’aller de l’avant, et de refonder le marketing, est de tourner d’abord le dos aux méthodes du passé et de s’engager résolument dans un « marketing plus éthique et responsable, respectueux des citoyens et de la planète ».

Exit donc la surproduction des lancements et des messages, la malhonnêteté intellectuelle ou les comportements non-éthiques de certaines marques qui continuent de faire produire leurs modèles les plus populaires dans des conditions de travail déplorables… Le 21ème siècle exige un marketing plus transparent, agile, inventif et intelligent, qui s’attache vraiment à comprendre les gens et à démontrer son empathie…

8 chantiers prioritaires qui replacent les marketeurs au coeur de la performance de l’entreprise…

… A cet égard, les 7 pistes de travail identifiées par David Naïm et Marc-Antoine Schuck, auxquelles j’ai ajouté une huitième recommandation appelant justement à un marketing plus emphatique, sont à mon avis à considérer comme autant de chantiers prioritaires pour repositionner la fonction marketing au coeur de la stratégie et de la performance de l’entreprise.

Si les ressources budgétaires et technologiques (pour apprivoiser notamment les big data) demeurent des préalables essentiels, nul doute que s’attaquer méthodiquement à chacun de ces 8 défis doit permettre de remédier à la crise existentielle que traverse le marketing :

  1. Poursuivre les efforts d’ultra-segmentation et de recentrage client pour proposer des produits, des services et une expérience client toujours plus personnalisés.
  2. Mettre en place une réelle stratégie de données afin d’améliorer l’analyse du ROI et sa dimensions prévisionnelle.
  3. Concevoir une expérience client à 360° aboutie, en favorisant un parcours client enrichi (cohérence de tous les points de contact et mise en place d’un processus de désintermédiation).
  4. Faire évoluer le mix canal (grandes surfaces, hard discount, livraisons à domicile, commerces de proximité, click & collect, etc) tout en conservant un positionnement image et prix cohérent.
  5. Repenser l’articulation entre global et local pour un fonctionnement plus souple et agile.
  6. Privilégier de nouveaux modèles organisationnels améliorant la collaboration interne (avec les fonctions sales, communication, SI, parcours client notamment) et externe (via des plateformes de co-création avec le client).
  7. Identifier, former et intégrer les talents de nouveaux métiers du marketing (community managers, data scientists, etc) pour constituer des équipes plus performantes.
  8. Promouvoir un marketing à la fois plus éthique et responsable, et plus « emphatique » favorisant une intimité dans la durée, c’est à dire respectueuse des clients et des autres parties prenantes et ce, sur l’ensemble du cycle de vie de la relation.

 

Sources :

* La Revue des marques n°86, 2ème trimestre 2014 :

>> « Le marketing est-il mort » (article de François Laurent, Coprésident de l’Adetem) ;

>> « La fonction marketing en mutation » (article de David Naïm, Associé chez EY et responsable des activités de stratégie, marketing et innovation / et Marc-Antoine Schuck, Directeur Associé chez EY, distribution et produits de consommation).

>> « Les métiers du marketing de demain » (article de Jean Watin-Augouard)

 

Iconographie :

>> Illustration : X, TheBrandNewsBlog

>> Graphes : La revue des marques / Etude EY 2014