Après le confinement, quels constats et quelles évolutions managériales, organisationnelles et communicantes pour les dirigeants et les entreprises ?

Ces dernières semaines, les études sur les stratégies de communication déployées durant le confinement par les entreprises et leurs dirigeants se sont multipliées. Et il n’est guère d’agence ou de société d’étude qui ne se soit livrée à sa propre analyse des conséquences à court et moyen termes de la période que nous venons de vivre.

De fait, après un temps de sidération durant lequel les organisations ont peu communiqué, nombreux ont été les dirigeants à reprendre la parole et à s’exprimer dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux au fil des dernières semaines. Il y avait donc amplement matière à analyse, en effet, ne serait-ce que pour décrypter la pertinence, les objectifs et les contenus de ces prises de parole en période de crise.

Parmi ces contributions d’agences et d’instituts – plus ou moins fouillées et intéressantes il faut bien le dire – deux études ont particulièrement retenu mon attention : la nouvelle édition de l’enquête de la société Angie+1¹ sur le « leadership digital des dirigeants », bien enrichie cette année par l’éclairage des prises de parole liée à la crise sanitaire, ainsi qu’une remarquable étude réalisée tout récemment par la société EKNO² auprès d’une centaine de dirigeants d’organisations et d’entreprises de taille différente, embrassant quant à elle l’ensemble des impacts organisationnels, managériaux et stratégiques des semaines et mois de pandémie que nous venons de vivre.

Si tout le monde s’accorde à dire que la sortie de crise et un « retour à la normale » ne sont pas encore pour demain et qu’il est encore trop tôt pour dresser un bilan final, il faut rendre hommage à Jean-Marc Atlan et à ses équipes d’avoir eu l’idée, à ce moment charnière entre confinement et déconfinement, d’aller recueillir le témoignage et le ressenti des dirigeants, ainsi que leurs anticipations et projections pour les mois à venir… Les verbatims recueillis et l’excellente synthèse que nous en livre EKNO³ viennent en quelque sorte compléter et enrichir le « livre de bord de crise » que tout bon communicant devrait prendre soin de documenter et alimenter pour en capitaliser les nombreux enseignements.

Et que nous apprend cette étude d’EKNO, me direz-vous ? Tout d’abord, que les dirigeants ont été eux-mêmes surpris par la capacité d’adaptation, l’agilité et la résilience dont ont fait preuve leurs équipes ces dernières semaines. Que cette formidable capacité de mobilisation et d’innovation est venue à bout, dans l’urgence et sous la contrainte, de freins et de blocages organisationnels et culturels qu’on aurait pu croire impossibles à lever, dans un laps de temps aussi court en tout cas. Ensuite, que la crise a agi comme un puissant accélérateur et un révélateur, en boostant la transformation numérique au sein des entreprises tout en offrant l’expérience à grande échelle du télétravail de masse et de nouvelles pratiques et modalités relationnelles. En remettant aussi le management, l’animation et l’accompagnement de proximité des équipes au centre de la mission des cadres et des dirigeants, pour la plus grande satisfaction des salariés et une performance accrue… Et que tout retour aux pratiques managériales et aux comportements d’avant, dans les prochaines semaines, risqueraient bien de ruiner les efforts et les avancées si chèrement obtenues…

On le mesure à la lecture de ces premiers enseignements (car il y en a bien d’autres, à découvrir ci-dessous) : toute crise est intrinsèquement porteuse de risques et d’opportunités et il appartient en premier lieu aux dirigeants de prendre le temps de tirer toutes les leçons des semaines et mois écoulés pour se projeter le plus intelligemment vers la suite. Celle-ci ne sera assurément pas un retour en arrière mais plutôt un bond en avant, avec une accélération des transformations déjà en cours et des conséquences déjà prévisibles en termes organisationnel et managérial, la volonté d’impulser de nouvelles pratiques et habitudes de travail au sein de l’entreprise et de nouveaux objectifs et modalités de communication.

Jean-Marc Atlan² (fondateur d’EKNO) et François Guillot¹ (Angie +1) ayant accepté de répondre à mes questions, je vous livre ci-dessous la première partie de leur interview, et reviendrai dès jeudi sur les enseignements de l’enquête d’Angie+1 sur le leadership digital des dirigeants…

Bonne lecture à toutes et à tous et merci encore à ces deux brillants communicants pour leur éclairages précieux.

The BrandNewsBlog : Tout d’abord Jean-Marc, félicitations pour votre enquête, particulièrement riche et complète, sur la perception par les dirigeants de la période inédite que nous vivons, et félicitations pour la qualité de la restitution que vous nous en livrez. Au-delà de la fonction de « miroir » de cette restitution pour les dirigeants que vous avez interrogés, il me semble que la grande vertu de cette synthèse est aussi d’objectiver et documenter les évènements que nous vivons, en bonne pratique de gestion de crise. Etait-ce là une de vos ambitions initiales ? Et pouvez-vous nous parler de l’échantillon et la méthodologie retenue pour recueillir ces retours passionnants ?  

Jean-Marc Atlan : Bonjour Hervé et tout d’abord merci à toi de nous donner cette opportunité de partager et mettre en débat les principaux constats de notre recherche. Parmi nos différentes expertises, la communication de crise constitue un pôle important de nos activités et des expériences de nos consultants. Nous savons bien à ce titre que les situations de crise constituent toujours des moments propices pour ausculter les moteurs et les freins des organisations et de leurs équipes.

Or, de ce point de vue, nous sommes entrés mi-mars dans une période complètement inédite de crise et de confinement, que les entreprises, les organisations et leurs dirigeants ont commencé à traverser en apprenant « en marchant », une fois la sidération encaissée. Inédite bien sûr par son ampleur et sa violence, mais inédite également par son universalité, puisqu’elle a affecté toutes les entreprises, collectivités et organisations au même plan et au même moment. C’est naturellement du jamais vu, et cela nous donnait donc une opportunité unique de confronter les expériences et leur vécu, avec l’inertie et la capacité de résilience de chaque organisation, mais aussi les apprentissages individuels et collectifs qui pouvaient se faire jour.

Nous avions donc une triple ambition en nous lançant dans cette introspection collective avec les dirigeants. 1) Capturer sur le vif, d’une part, toutes les caractéristiques de cette expérience et de son vécu par chacun dans un moment unique où tout le monde était, si je puis dire, logé à la même enseigne, même si tous les métiers ne sont naturellement pas impactés au même degré. 2) Organiser d’autre part un partage et un débat autour des enseignements de cette expérience pour des dirigeants manifestement en forte attente de points de repères dans cette période extraordinaire à très faible visibilité. 3) Tracer enfin, même si nous sommes loin d’être sortis de ce séisme et de ses répliques, quelques premières lignes d’horizon pour éclairer non seulement les enjeux de la phase de déconfinement mais aussi les impacts à plus long terme sur le management et la communication des organisations.

L’engouement que nous avons rencontré pour contribuer à notre démarche a fini de nous convaincre de son intérêt, puisque dans un délai pourtant très contraint de 10 jours, du 6 au 17 avril 2020, une centaine de dirigeants et décideurs, issus de 71 entreprises et organisations différentes, a répondu à notre étude en ligne : 33 dirigeants de grands groupes et ETI, 22 dirigeants de PME, ainsi que 41 directeurs ou acteurs des fonctions Communication, Marketing et Ressources Humaines. Cela nous a donné une matière particulièrement riche pour mettre en regard les points de vue de ces dirigeants de tous horizons sectoriels, sachant que nous souhaitions en faire une restitution rapide pour être utiles et, si possibles, inspirants dès le début du déconfinement, qui n’est pas une étape anodine non plus, loin de là.

The BrandNewsBlog : Réalisée il y a quelques semaines, votre étude a le double mérite d’embrasser les grands enseignements des semaines écoulées (de confinement) et de nous projeter sur la suite : le « déconfinement » que nous sommes en train de vivre et la période tant espérée du retour à la normale. A ce sujet, quel est votre sentiment : on a l’impression que si retour à la normale il y a, il sera très progressif et que plus rien ne sera vraiment comme avant, les dirigeants interrogés ayant été très marqués par les semaines et mois écoulés et ayant pour la plupart l’intention d’en capitaliser les enseignements ? 

Jean-Marc Atlan : Pour être tout à fait honnête, à titre personnel, je ne crois absolument pas à un monde d’après, tout au moins pas à celui que beaucoup essaient de nous vendre aujourd’hui, et qui n’est bien souvent qu’un miroir opportuniste de canevas idéologiques issus, justement, du monde d’avant. Cette crise attise, éclaire, accélère voire concrétise en effet de nombreuses évolutions ou ruptures qui étaient déjà en cours, beaucoup plus qu’elle ne dessine un futur éden qui verrait par magie fonctionner toutes les recette radicales ou pire, furieusement datées, ayant échoué jusqu’à maintenant.

La période en revanche, et c’est son côté réjouissant, a l’immense mérite de permettre toutes les expérimentations, même si c’est sous la contrainte, de faire vivre le droit à l’erreur et de challenger tous les tabous organisationnels et culturels. Et, surtout, de mettre les équipes et leurs dirigeants en mouvement, en appétit même ! C’est ce qui me rend particulièrement optimiste pour les semaines et les mois à venir. Car les apprentissages sont nombreux, et, pour certains, surprenants. Toutes les conditions sont donc a priori retenues pour que les organisations, au premier rang desquelles leurs dirigeants, soient en mesure de bien analyser tout ce qui a bien et mal fonctionné avec l’objectif de progresser et de capitaliser sur ce qui a fait ses preuves.

Comme tu l’évoques, c’est d’abord au niveau des dirigeants que l’impulsion et la conviction devront être fortes et résolues. La franchise, la lucidité et la profondeur avec lesquelles la plupart d’entre eux nous ont répondu – on le ressent dans le choix et l’authenticité de leurs mots – laissent peu de doutes sur ce point. Leur envie est là, et d’autant plus présente que leurs équipes ont montré qu’elles étaient au rendez-vous, y compris dans l’urgence et totalement à distance.

Nous avons donc une occasion unique de continuer à faire bouger les cultures de management et de communication des organisations à partir d’un moteur déterminant : la volonté et la capacité de leurs dirigeants à se remettre en cause eux-mêmes dans leurs modes de fonctionnement, professionnels et personnels. Car ne l’oublions surtout pas, tout dirigeants qu’ils soient, les femmes et les hommes à la tête des entreprises et des organisations ont traversé cette épreuve comme tout un chacun, bousculés voire bouleversés dans leurs propres modes d’existence et d’épanouissement. Ils ont et auront donc les mêmes questions existentielles personnelles en sortie de crise quant à l’intérêt et l’utilité de leurs missions et quant aux meilleures façons de les exercer efficacement. Ce sera un puissant catalyseur de changement collectif, au moins pour les meilleurs d’entre eux !

The BrandNewsBlog : Dans votre guide d’entretien, vous avez abordé et ausculté de nombreuses facettes et dimensions de cette crise pour les entreprises : quelles leçons (positives et négatives) les dirigeants tirent des semaines écoulées ? Quelles ont été les bonnes pratiques ? Quelles responsabilités les entreprises et organisations sont prêtes à endosser et quels grands enjeux elles identifient pour la suite ? Quelles évolutions imaginer et quels impacts à plus long terme sur le management, la communication et la façon même d’envisager leur mission et leur rôle sociétal… A ce titre, quels sont les 2 à 3 enseignements majeurs que vous retirez de la matière recueillie auprès des dirigeants ? Quelle serait pour vous la synthèse ultime de cette étude et la lueur d’espoir à retenir, pour les prochains mois qu’on nous présente si sombres ?

Jean-Marc Atlan : Parmi tous les enseignements de cette double expérience de management de crise et de management à distance, il me semble que deux principaux constats émergent et méritent qu’on s’y arrête un instant. Le premier d’entre eux, c’est la formidable capacité des organisations à se remettre en question et s’adapter dans l’urgence, en convoquant la force du collectif et la solidarité de fonctionnement, comme si, d’une certaine façon, la proximité avait défié la distance. Avec, au passage, une efficacité souvent égale ou supérieure à l’ordinaire.

Pour la plupart de nos témoins, cette crise a permis de rendre visibles, peut-être plus clairement et immédiatement que jamais, des évidences souvent dissimulées par les routines du quotidien : l’urgence à agir sans encombre superflue, l’acceptation de nouveaux modes de faire plus agiles, efficaces et épanouissants, la prise de conscience de la vulnérabilité de nos environnements, le sens retrouvé dans nos missions…

De nombreuses barrières ont été levées, et de nombreux obstacles démystifiés – le télétravail et l’usage des outils digitaux notamment…– au service de l’agilité, de l’adaptabilité et de la réinvention… et in fine au service de la performance de l’organisation. C’est ainsi que des barrières psychologiques ou techniques sont tombées du jour au lendemain, révélant, en creux, toutes ces formes d’auto–censure qui paralysent d’ordinaire les hommes et les organisations. Boostées par l’urgence et parfois l’adrénaline, les équipes ont témoigné au quotidien de leur résilience jusque dans les situations les plus complexes. Tout cela nous permet de relativiser et battre en brèche au passage les théories récurrentes sur le prétendu désengagement des salariés français au travail, mais aussi à vivre ou redécouvrir toutes les vertus de la transversalité et du décloisonnement à grande échelle.

Le second constat clé, de l’aveu même de nos interlocuteurs dirigeants, c’est la reconnaissance d’une forme de retour aux sources du management dans leur quotidien, n’ayant pas eu d’autre choix que de se recentrer sur leur mission essentielle : manager des gens plus que de gérer des processus !

En effet, dans un contexte où les repères quotidiens habituels sont bouleversés, la densification des fonctions de management et de communication interne s’est imposée naturellement pour pallier les risques de rupture des process et du dialogue à distance. Et les dirigeants ont du s’y investir, directement et plus que jamais, je dirais même « s’y coller » tant cet exercice a pu être nouveau ou déstabilisant pour certains. Il fallu dégager le temps nécessaire pour cela, faire preuve de remise en question et de créativité pour inventer et promouvoir de nouveaux rituels, donner le sens à l’action collective et revaloriser le rôle de chacun. Car la particularité de ce management à distance, c’est le besoin exacerbé d’écoute et d’attention actives de chacun, avec des situations et des vécus très différents, et l’exigence de rassembler des collectifs fragmentés par des organisations à plusieurs vitesses. Tout cela n’est évidemment pas neutre et a exigé que les dirigeants, comme leurs managers, mobilisent toute leur épaisseur humaine. En cultivant le registre des valeurs relationnelles et émotionnelles qui ne gouvernent pas d’habitude, et qui ont pourtant été tout simplement déterminantes dans la période comme autant de soupapes pour dépasser la complexité et encaisser l’exigence de la situation.

C’est au carrefour de ces deux constats principaux que réside pour moi la synthèse essentielle et le motif d’espoir à retenir pour les semaines et mois à venir. Cette crise a fait bouger bon nombre de curseurs sur des sujets aussi fondamentaux que l’identité et l’autonomie au travail, la performance collective des organisations et les fondamentaux de leadership, de cultures et de pratiques managériales. Avec une démonstration de la formidable capacité des équipes à changer et à se réinventer, pour peu que l’on sache partager pleinement, authentiquement et régulièrement le sens et les enjeux de la transformation, sans se contenter de faire du changement et du mouvement des valeurs cardinales en soi. Cela crée naturellement de vrais appétits pour l’innovation managériale et organisationnelle.

Certains se plaisent à penser, sur ce sujet comme sur d’autres, que le naturel reviendra au galop. C’est oublier la principale leçon de l’épidémie et du confinement, qui nous ont déjà montré que tout était possible, puisque si le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est toujours de volonté pour paraphraser Alain. C’est peut-être inimaginable pour certains, mais qui aurait bien pu imaginer confiner la moitié de l’humanité pendant près de huit semaines ?

The BrandNewsBlog : Première leçon des semaines écoulées, il semble que les enseignements positifs identifiés par les entreprises et leurs dirigeants soient presque aussi nombreux que les failles détectées… et fonctionnent souvent comme l’endroit et l’envers d’une même médaille. Vous avez eu raison à cet égard de les regrouper par couples opposés (> voir le schéma de synthèse ci-dessous) : 1) Formidable agilité et capacité d’adaptation des entreprises sous la contrainte versus Manque d’anticipation et culture insuffisante de la crise et de la gestion des risques ; 2) Force du collectif, mobilisation des collaborateurs et solidarité accrue (toujours sous la contrainte) versus Inadaptation des modèles organisationnels en place, trop hiérarchiques et cloisonnés ; 3) Relations plus proches, authentiques et bienveillantes (entre collègues et vis-à-vis des managers) et revitalisation du management et de la com’ interne versus Limites du travail à distance et exacerbation de certains rapports de force… Pouvez-vous nous présenter les couples les plus marquants et ce que vous en retenez ?

Jean-Marc Atlan : Comme toujours, même si la complexité n’a pas toujours bonne presse, la vérité est pourtant bien dans la nuance. Les oppositions que tu évoques révèlent toute la richesse de l’expérience traversée, et elles sont finalement de deux ordres. Soit elles confrontent deux faces d’une même médaille, soit elles distinguent les bonnes organisations et les bons managers des moins performants.

Pour donner un exemple sur le premier registre, on peut notamment évoquer la question du travail à distance, concrètement mis en exergue dans cette période inédite, avec ses atouts et ses limites. En faisant une précision préalable qui a toute son importance : nous avons vécu l’expérience du télétravail subi et intégral, qui ne doit donc pas être considéré comme du télétravail choisi en situation normale. Cette distinction est capitale si on ne veut pas prendre le risque de faire de mauvais choix demain en mettant sur le même plan des choses qui ne sont pas comparables.

Ceci étant dit, si l’expérience du travail a distance a montré ses vertus sur la qualité des relations ou l’efficacité de certains processus, elle a aussi témoigné de risques importants qu’il faut apprendre à reconnaître et à domestiquer : l’hyperconnexion, la longueur et la densité des journées ou encore la complexité à partager réellement sans le recours au non verbal par exemple. Je pense également à l’extrême difficulté éprouvée par beaucoup à attribuer et respecter des plages de temps à des taches bien définies et bien distinctes.

Sur ce point une tribune récente de l’économiste Pierre Bentata sur le site Atlantico a parfaitement résumé la dualité de cette situation. Il explique ainsi que si l’on a cru que la période de confinement pouvait être en théorie propice à nous concentrer sur l’essentiel, sous couvert d’un apparent ralentissement du temps, les choses n’étaient pas aussi simples : « Piégés entre les quatre murs qui nous servent de domicile, de bureau, de salle de classe, de gymnase et de centre culturel, nous subissons un quotidien sens dessus-dessous, un mélange des genres et des rôles qui n’a que l’apparence d’un ralentissement de temps. En apparence, nous ne courons plus d’un lieu à l’autre, nous ne perdons plus de temps à nous déplacer. Mais c’est que le temps lui-même qui s’efface au profit d’un amalgame de tâches autrefois bien distinctes qui s’enchevêtrent et se chevauchent continuellement. Loin d’offrir l’opportunité d’un recentrage sur l’essentiel, cette situation interdit toute segmentation du quotidien, au point de confondre l’essentiel et le futile, le contraignant et l’optionnel, le travail et le plaisir, dans un brouillard immobile ». Je trouve son propos particulièrement juste et éclairant.

Cette « désegmentation » du temps a en effet été extrêmement déstabilisante pour beaucoup et donne à réfléchir sur l’accompagnement d’un déploiement plus volontariste du télétravail à l’avenir.

The BrandNewsBlog : Vous l’indiquez dans votre restitution, si les dirigeants eux-mêmes ont été souvent surpris par l’ampleur de la mobilisation, de la solidarité, la résilience et la capacité d’adaptation dont ont fait preuve leurs équipes sous la contrainte, en faisant preuve d’une efficacité souvent égale voire supérieure dans ce mode dégradé, des limites et « effets de bords » négatifs se sont aussi fait sentir ces dernières semaines, voire les effets de l’usure et d’une érosion de la motivation dans certaines entreprises… Ainsi passées au tamis de l’urgence, cette crise semble agir comme un révélateur et un amplificateur des faiblesses et dysfonctionnements de beaucoup d’organisations : besoin d’accroître la responsabilisation, l’autonomie et l’agilité des collaborateurs dans des structures moins pyramidales et hiérarchiques, risque de voir se développer des organisations à plusieurs vitesses ou de voir se développer certains rapports de force au sein de l’entreprise… Pouvez-vous nous parler de ces grands défis, comme celui de la « concordance des temps » que vous évoquez ? 

Jean-Marc Atlan : Composer avec la pression du court terme et l’horizon du long terme constitue la gymnastique habituelle de tous les dirigeants. Mais à l’évidence, cette crise consacre une tension encore plus marquée pour eux entre ces deux échelles temporelles en posant plus que jamais ce défi de la concordance des temps. Pourquoi ? Parce que dans ce contexte de visibilité réduite et de fragilité augmentée, les dirigeants doivent faire ce grand écart avec une souplesse et une dextérité inhabituelles. Ils ont en effet face à eux des publics internes et externes qui attendent autant des modalités d’organisation ou de reconnaissance précises pour la semaine à venir, que des projections et de la réassurance pour les années futures dans un contexte économique fragilisé.

À court terme, leur enjeu est ainsi de parvenir à maintenir un cadencement d’activité et de projets, à ressourcer la motivation des équipes, alors même que cette période ressemble, à beaucoup d’égards, à une période d’anesthésie ou de coma économiques. À plus long terme, leur défi est de tracer une perspective crédible et engageante, alors même que la visibilité des marchés et des environnements n’a jamais été aussi faible, et l’exercice de prospective aussi épineux. On le voit et on le devine, l’équation a plus d’inconnues que jamais.

Et ce défi inédit, la plupart des dirigeants doivent le relever en se trouvant face à des collectifs fragmentés par la diversité des situations vécues par chacun (équipes toujours sur site, équipes en télétravail, collaborateurs en chômage partiel ou en congés pour garde d’enfants), pendant le confinement, mais aussi, voire peut-être encore plus, pendant le déconfinement progressif qui s’ouvre.

Chefs d’orchestre ou urgentistes du quotidien, visionnaires ou cartomanciens pour le futur, catalyseurs et rassembleurs dans la continuité, les costumes du dirigeant sont aujourd’hui multiples, et serrés ! Plus prosaïquement, et on l’oublie trop souvent, on retiendra que cette pression n’est pas non plus sans danger pour la santé des plus fragiles ou des plus isolés d’entre eux. C’est une question de santé publique qui ne doit surtout pas être éludée.

The BrandNewsBlog : Je le disais à l’instant, agissant à la fois comme un révélateur du chemin restant à parcourir et un accélérateur de la transformation des entreprises, cette crise semble « faire rupture » et marquer un point de non-retour, en terme de digitalisation et de bouleversement du travail notamment, mais d’abord en terme de posture et d’accompagnement managérial. A l’aune des enseignements de la période écoulée, quels sont les nouveaux rôles attendus des managers et des dirigeants ? Vous soulignez dans votre étude de notables évolutions prévisibles à ce niveau…

Jean-Marc Atlan : Il s’agit d’une confirmation pour certains, peut-être d’une prise de conscience pour d’autres. Les nouveaux modes de travail dans les entreprises pousseront inévitablement le rôle du manager à évoluer, car la situation actuelle ne fait finalement qu’accréditer et accélérer l’urgence de cette nécessaire transformation. Parce que la crise et le confinement en ont souligné à la fois tout l’intérêt et toute la puissance.

Parmi ces évolutions nécessaires expérimentées, on retiendra déjà la capacité des dirigeants et des cadres à se recentrer sur l’essentiel – manager – en s’éloignant des tâches trop directement opérationnelles. Les meilleurs d’entre eux l’ont fait à l’envi pendant cette période, et tout retour en arrière sera d’autant plus compliqué. C’est la priorité à donner le cap, le ton, le chemin à suivre pendant cette période, en décidant ou relayant, avec une capacité à guider en maîtrisant des messages simples et clairs à diffuser à des collaborateurs en mal de repères. En se focalisant, plus qu’à l’accoutumée, sur les véritables priorités. C’est ensuite la capacité à animer en proximité, au quotidien, avec présence, écoute, attention et réassurance. C’est également la capacité à faire confiance, notion au cœur des retours que nous avons collectés sur cette question, avec des dirigeants et des managers moins directement dans le contrôle, et davantage dans la responsabilisation et l’autonomie de leurs équipes.

On retiendra également de l’expérience vécue l’importance du lien de proximité, la distance ayant justifié des moments d’échanges à la fois plus fréquents qu’en période classique, sur des sujets professionnels, mais aussi et surtout sur des registres plus personnels pour prendre toute la mesure de la situation, des enjeux ou des difficultés de chacun. Le télétravail rend en effet plus délicate l’appréhension des signaux faibles et le risque de l’essoufflement et de baisse d’énergie dans la durée. Tout cela concourt à faire évoluer les pratiques de management pour donner encore plus d’attention et d’importance aux questions personnelles et individuelles, un besoin renforcé par la disparité, voire l’iniquité, réelle ou perçue, des différentes situations.

Ces nouvelles formes de travail et de coopération, qui induisent au passage un exercice d’équilibriste entre vie personnelle et professionnelle, distinguent finalement l’essentiel de ce qui l’est moins, avec notamment des réunions mieux préparées et des échanges plus concis. Une profonde remise en question pourrait ainsi se dessiner quant à l’utilité de réunions en présentiel trop nombreuses, et de déplacements fréquents voire lointains qui nuisent, de par le temps perdu et la fatigue induite, à l’engagement comme à la créativité globale, sans parler naturellement des impacts environnementaux. À cet égard, cette période pourrait bien également fixer de nouveaux horizons et de nouvelles priorités pour l’organisation et la nature de l’agenda personnel des dirigeants.

The BrandNewsBlog : Essor inéluctable de la digitalisation, avec l’importance de proposer des parcours « phygitaux » cohérents et sans soudure, apportant aux utilisateurs le meilleur du numérique et de la personnalisation ; généralisation du télétravail et de cadres horaires plus souples… Si la numérisation et le travail à distance ont fait leurs preuves sous la contrainte et face à l’urgence, il semble aussi que les dirigeants aient pu en mesurer aussi les limites ces dernières semaines, et souhaitent continuer à valoriser dans les prochains mois l’humain et l’informel. Quelles nouvelles modalités de travail cela dessine-t’il au sein des entreprises ?

Jean-Marc Atlan : On peut anticiper des évolutions de plusieurs ordres. J’en citerais quatre principales.

En premier lieu, parmi les nouvelles pratiques et routines nées de la période de confinement, la pérennité des points informels est clairement plébiscitée par l’ensemble de nos interlocuteurs. Ces espaces où l’on peut parler « perso » en équipe, où chacun peut s’inquiéter de la santé de l’autre, et veiller à prendre soin de son collègue. Ce même lien informel et humain étant d’ailleurs à cultiver, en interne au sein des équipes, mais aussi en externe avec les partenaires et les clients. C’est tout à fait la dimension humaine et informelle que tu viens d’évoquer.

Les dirigeants expriment ensuite leur volonté de profiter du contexte et du vécu de l’expérience collective traversée pour accélérer la digitalisation de l’organisation, mais, et c’est important à noter ici, dans un registre extrêmement opérationnel et concret. Car les technologies collaboratives sont clairement les grandes gagnantes de la période, et permettent, bien au-delà des grandes incantations habituelles sur le sujet, de valoriser un ensemble de « petits » bénéfices concrets : faire gagner du temps, avec des réunions en visio plus courtes et plus de ponctualité – l’expérience montrant que pour les réunions à distance, les gens ont la discipline d’arriver à l’heure – , cultiver l’esprit collaboratif, voire gommer au passage certaines mauvaises pratiques collectives comme l’obsession du mail.

Par ailleurs, et cela ne fait plus de doutes, l’autonomie et la confiance gagnées pendant cette période, associées à toute l’efficacité qu’elles ont démontrée, vont conduire à la généralisation du télétravail et la souplesse accrue horaires que tu évoquais. La preuve est aujourd’hui faite en effet que le télétravail fonctionne, pour peu que la culture de délégation et l’équipement technique minimum soient au rendez-vous. Il devrait donc être largement développé là où il ne l’est pas, et probablement accentué encore là où il existe déjà. Parallèlement, ce déploiement autorisera une plus grande flexibilité des horaires, pour être plus à l’écoute encore du rythme personnel des collaborateurs, avec l’opportunité d’enrichir l’attractivité de la marque employeur.

Enfin, parmi les évolutions notoires de la période, le besoin pressant de coordination à distance a conduit à une multiplication de la fréquence et de la régularité des points de rencontres et d’échanges sur les projets, courts là encore la plupart du temps, dans une logique d’efficacité et de responsabilisation. Ces points rapides et réguliers sont en effet loués, pour leur capacité à fixer le cap, à rassembler autour d’objectifs, avant de laisser les collaborateurs en autonomie et en responsabilité sur la gestion de leur temps et de l’avancée de leurs projets. Et cette discipline militera plus globalement pour une logique de communication interne plus fréquente, sans être forcément plus dense ou sophistiquée, puisque finalement, la période traversée aura été avant tout celle des choses simples mais efficaces. Cela pourra s’illustrer jusque dans certaines réunions plus institutionnelles qui pourront elles aussi gagner en simplicité et en transversalité.

On le voit, quand les dirigeants tracent des perspectives en valorisant ce qu’il faudra savoir conserver de cette période, se distinguent des choses extrêmement opérationnelles et concrètes, comme une somme de petits pas. J’en viens d’ailleurs à me demander si la vertu principale de cette crise n’est pas tout simplement de remettre le bon sens relationnel au milieu du village managérial.

The BrandNewsBlog : Deuxième chapitre passionnant de votre étude Jean-Marc, vous abordez ensuite avec beaucoup de clarté et de pertinence les enjeux de court terme du déconfinement, tels qu’ils vous ont été restitués par les dirigeants interviewés. Nécessité de prendre acte de l’expérience vécue et de reconnaître l’engagement des collaborateurs ; temps impératif de recueil des ressentis individuels et collectifs pour « digérer » les semaines écoulées ; célébration du plaisir de se retrouver progressivement ensemble ; maintien de la dynamique managériale enclenchée et d’une communication interne renforcée ; capitalisation sur les enseignements et pratiques « agiles » et capacité à repenser les modalités de fonctionnement et les organisations au besoin ; nécessité de ressouder les équipes et de redonner du sens… Outre les enjeux sanitaires de protection des salariés, on voit que les défis du déconfinement sont nombreux : pouvez-vous nous en parler ? 

Jean-Marc Atlan : Comme on pouvait s’y attendre, le déconfinement sera en effet beaucoup plus complexe à gérer et accompagner pour les dirigeants que le confinement. Pourquoi ? Parce que dans cette période, il faudra tout à la fois digérer les huit semaines précédentes d’enfermement, manager la complexité organisationnelle et émotionnelle de la reprise, et commencer déjà à donner quelques perspectives. Le défi n’est pas mince, avec un premier rendez-vous à ne pas rater face à des équipes qui auront des attentes fortes, à la hauteur finalement de la force de l’engagement qu’elles ont consenti pour faire face.

Les dirigeants doivent donc d’abord montrer qu’ils ont apprécié à sa juste valeur l’engagement de chacun. Le confinement a démontré que seule une démarche collective permet de casser la dynamique épidémique, et chacun y aura joué son rôle, en continuant à travailler ou non. Un focus particulier pourra être fait sur les fonctions restées les plus exposées, notamment sur les sites industriels ou les activités en contact avec du public, en rappelant la valeur des métiers de terrain. Mais il faudra toujours garder en tête que personne n’a eu vraiment le choix de son niveau d’activité, et veiller à ne pas dessiner de segmentation trop forte entre les équipes, au risque de créer en creux un sentiment de frustration ou d’injustice. Cette période complexe exigera donc de savoir ressouder le collectif en remobilisant des équipes forcément traversées de questions existentielles sur leur rapport au travail et l’utilité de leurs missions. De ce point de vue, il ne faut surtout pas se tromper de combat : appeler immédiatement à redoubler d’efforts sera inopérant si on ne donne pas à chacun le temps de digérer et de tourner la page, et si le retour d’expérience collectif de cette période hors normes est éludé !

Ensuite, les organisations auront fait l’expérience d’un volume de communication interne souvent exceptionnel, et ces réflexes nouveaux exigeront de ne pas créer de rupture soudaine. Il faudra donc continuer à occuper le terrain et maintenir cette discipline accrue de communication interne. En préservant d’ailleurs le lien direct ou plus fréquent qui a pu se nouer avec le top management, avec toutes les vertus d’une incarnation plus forte.

Par ailleurs, la période de confinement a pesé sur les pratiques, routines et postures managériales, en créant, renforçant ou valorisant de nouveaux points de repères ou valeurs. Qu’il s’agisse de liberté, d’autonomie, de nouveaux espaces de délégation et in fine de confiance, ou encore d’attention à l’autre, de solidarité et de bienveillance, des lignes ont bougé et de nouveaux standards relationnels se sont fait jour. Outre leur efficacité, ces nouveaux repères expérimentés pendant plusieurs semaines constituent un actif auquel personne ne voudra renoncer. Les dirigeants devront donc tout faire pour capitaliser sur ces apprentissages au moment où les processus « normaux » reprendront progressivement leur cours. En se montrant ouverts à repenser si nécessaire les organisations et les modes de travail au regard de l’agilité et de la solidarité acquises.

The BrandNewsBlog : De la réussite de cette période de déconfinement et de reprise progressive de l’activité, sur fond de crise sanitaire et économique mondiale, pourrait bien dépendre le sort et l’avenir de nombreuses entreprises… N’est-ce pas finalement la période la plus délicate à négocier, ce passage du « sprint » à la « course de fond », avec la nécessité d’embarquer et continuer de mobiliser encore plus fortement les collaborateurs, en tenant compte des enseignements positifs et sans générer de frustration ni casser les dynamiques enclenchées ? Une telle période demandera beaucoup de doigté et de méthode, de la part des dirigeants et des communicants, car il faut à la fois tenir compte du passé et offrir une perspective positive et crédible pour les mois et années à venir ?

Jean-Marc Atlan : Je partage complètement ton point de vue, la période de quelques semaines qui s’ouvre sera assurément la plus délicate tant les problématiques seront nombreuses, avec une montée en charge à la fois très progressive et très hétérogène, entre les organisations et en leur sein-même.

Un double enjeu de management se dessine ici. Le premier sera de répondre à une complexité accrue, tant les différents paramètres de présence et de reprise d’activité seront nombreux, multipliant les situations possibles entre les salariés. Le second sera d’expliquer et assumer les choix réalisés par chaque organisation, puisque, depuis le 11 mai, beaucoup plus de choses sont maintenant laissées à la décision et à l’interprétation de chaque entreprise ou institution. Cela change la donne parce que, jusqu’ici, le confinement et ses conséquences pour l’organisation du travail relevaient, pour l’essentiel, de décisions gouvernementales. Désormais chaque entreprise doit analyser, composer et proposer ses solutions, se retrouvant alors en pleine responsabilité face à ses collaborateurs. Cela ne sera pas évidemment pas neutre sur le besoin de pédagogie et d’accompagnement des orientations et décisions prises.

Et dans le registre des transferts de responsabilités, n’oublions surtout pas la question centrale de la santé et de la sécurité au travail qui s’inscrit d’ores et déjà, les sondages le montrent, comme la préoccupation numéro un des salariés. Si cette question était déjà bien prise en compte dans certains secteurs d’activités comme l’industrie, désormais toutes les entreprises et institutions se retrouvent de fait en première ligne sur cette question. Et je pense que ce sera durable. Parce que l’épidémie a remis au premier plan le sentiment de vulnérabilité. Parce que la période de confinement aura consumé certains, obligés de travailler à distance dans des conditions parfois difficiles ou de s’exposer directement au risque de transmission. Parce que d’autres auront perdu des proches sans avoir pu les accompagner. Parce qu’enfin, l’incertitude sanitaire ou économique n’est évidemment jamais favorable à la sérénité. Ceci, nous le voyons déjà, rythmera durablement le quotidien des organisations au travail et la qualité de leur dialogue social.

Mais à très court terme pour la reprise, et même si elle est progressive, les dirigeants doivent surtout apprendre à composer avec cette opposition qui prend forme entre priorité à la santé d’une part, et continuité de l’activité d’autre part. Nous en faisons déjà l’expérience dans les menaces de poursuites à peine voilées ou déjà concrètes, quand la confiance sur les conditions sanitaires de reprise du travail n’est pas partagée ou que ce sujet peut faire office de bon cheval de bataille syndicale comme à Sandouville. Une conflictualisation, voire une judiciarisation, qui ne manqueront pas de compliquer encore la sérénité des décisions comme leur mise en œuvre.

The BrandNewsBlog : Dans cette nouvelle phase, vous insistez plus que jamais sur l’importance de continuer à donner du sens aux collaborateurs et aux clients, en interrogeant au besoin l’identité, le business model et la raison d’être de l’entreprise… Pourquoi est-ce si capital ?

Jean-Marc Atlan : C’est capital, parce qu’il ne fait aucun doute que pour les mois et années à venir, la demande de sens sera plus puissante que jamais. Tout y contribue.

Au plan individuel, parmi les lignes qui auront bougé pendant cette période, les questions personnelles de rapport à la vie et de rapport au travail seront au premier plan. Nouvel équilibre de vie ? Nouveau cadre d’initiative professionnelle ? Nouveaux ressorts de fierté d’appartenance ? En d’autres termes, les conditions de l’engagement de chacun dans l’entreprise, et celles du contrat social proposé par les organisations à leurs collaborateurs sont d’ores et déjà bouleversées. Avec en toile de fond les inquiétudes éprouvées par chaque salarié quant à  l’impact de la crise économique qui s’annonce sur la pérennité de son entreprise et de son emploi.

Ensuite, la violence de cette récession va fragiliser toutes les entreprises, à des degrés divers selon les secteurs, la taille ou la solidité de chacune. Mais qu’il s’agisse de survivre, de compenser ou de redémarrer, aucune mobilisation collective ne pourra faire l’économie d’une analyse précise et partagée de la situation rencontrée et des principaux défis à relever à court terme. Ceci afin de bien baliser le chemin à parcourir et d’actualiser, le cas échéant, les feuilles de route de l’entreprise et de ses projets structurants. Or, l’incertitude sur les perspectives socio-économiques imposera de garder du recul sur les objectifs de trop long terme, et de se concentrer sur des étapes successives de court-terme, avec une stratégie de petits pas bien adaptée à ce type de situations. Face à ce manque de visibilité et à la difficulté à donner des jalons précis à moyen-terme, les dirigeants devront s’appuyer sur les ressorts qui ancrent l’organisation dans le temps long : raison d’être, modèle, métiers, valeurs, c’est par construction le registre de l’identité. Dans les périodes de tempêtes, les racines sont plus déterminantes que jamais, et la sortie de crise va confronter directement les entreprises à leur identité, leur mission et leur ambition.

D’où la nécessité, pour celles qui n’auraient pas encore fait ce travail de formalisation de leur raison d’être, d’engager cette réflexion rapidement. Et l’enjeu, pour celles qui s’en sont déjà dotée, d’être concrètement à la hauteur des engagements pris. Parce que la contribution sociétale des entreprises sera en effet encore plus déterminante et regardée à la loupe. Avec une vision renouvelée, et un cadre de responsabilité citoyenne fortement structuré autour des thématiques de santé, d’éducation et d’environnement. Les entreprises directement actrices de ces secteurs d’activité trouveront ici un levier naturel d’engagement pour leurs équipes tant l’utilité sociale de ces activités va se trouver décuplée. Mais les autres seront tout aussi scrutées sur leurs engagements et leurs impacts, toutes les organisations étant par nature impliquées dans les questions de santé au travail, de protection de l’environnement ou encore de montée en compétences de leurs équipes. Cela ne s’arrêtera pas avec la période de déconfinement, mais ces questions devront être adressées très rapidement pour ne surtout pas laisser penser que le sujet n’est pas pris en main.

The BrandNewsBlog : Troisième partie de votre étude, même s’ils s’avèrent beaucoup plus difficiles à identifier du fait des incertitudes persistantes pour les mois à venir, vous avez essayé de poser les enjeux à plus long terme identifiés par les dirigeants. Vous identifiez à ce niveau deux grands défis : 1) au plan managérial, ancrer les transformations structurelles et culturelles déjà en cours, avec une accélération de la transformation digitale et un changement du rôle des dirigeants, associés à la revalorisation du management de proximité et de la communication interne, notamment ; 2) d’autre part, la nécessité de repenser les écosystèmes de proximité et « communautés de destin autour de l’entreprise », pour en consolider le business model  et le repositionnement stratégique des questions de RSE au coeur même des missions et des métiers… Un programme plus qu’alléchant et pertinent à mon sens ! Pouvez-vous là aussi nous en parler ?

Jean-Marc Atlan : Les crises exacerbent toujours les limites et difficultés des organisations, et celle que nous traversons, va contribuer à remodeler les responsabilités et les pratiques de management à moyen et long termes, en renforçant certaines trajectoires. Car, en même temps qu’elles devront, pour une bonne part d’entre elles, lutter pour leur reprise voire leur survie, les entreprises et les organisations vont subir durablement une double pression. En interne, celle de salariés qui ont fait l’expérience d’autres modalités de travail et d’autonomie et ne voudront pas y renoncer, tout en exigeant des garanties sur leur sécurité. En externe, celle de parties prenantes qui attendront les entreprises au rendez-vous de leurs responsabilités sanitaires, économiques et sociales, quand elles ne les attendront pas tout simplement au tournant, en cherchant à caricaturer et opposer l’économie à la vie. Les crises sanitaires graves nous renvoient par essence à notre condition humaine, à nos vulnérabilités, nos fragilités et nos incertitudes, à nos rapports aux autres, à la société et au monde. Les entreprises seront désormais, et durablement, en première ligne sur ces sujets qui touchent au bien commun. Et dans ce retour à l’essentiel, c’est bien tout leur récit qui va devoir évoluer, en interne comme en externe.

Au plan managérial, l’aplatissement des hiérarchies et la fréquence de prises de parole plus directes des dirigeants deviendront de nouveaux points de référence. Sans changer radicalement leur rôle, la crise aura en effet contribué à les refocaliser sur leur fonction essentielle d’éclaireur, de fédérateur, et sur l’exemplarité de leurs valeurs humaines, notamment d’humilité et d’authenticité. Avec une capacité accrue, sur certains sujets, à dire qu’ils ne savent pas – certains ministres ont donné l’exemple – alors même que le besoin de points de repères ne sera jamais aussi fort. Au plan culturel, les managers de proximité, dont le rôle a été déterminant pendant le confinement, s’imposeront comme un levier essentiel de la confiance et donc de la performance des organisations. Il faudra les préparer, les légitimer et les accompagner pour cela, en valorisant leurs compétences relationnelles et émotionnelles, et cesser peut-être de ne les mobiliser que pour « cascader » – que ce terme est au passage lourd de sens – les mauvaises nouvelles. Enfin, la fonction communication interne, en première ligne dans la gestion de la crise et l’accompagnement à distance, s’affirmera durablement comme une fonction stratégique des organisations.

Au plan des relations avec leurs parties prenantes externes, les dirigeants vont devoir accompagner la double évolution encore plus rapide vers l’entreprise-communauté et l’entreprise-institution. La crise et sa gestion ont révélé aux entreprises une dimension collective déterminante dans leurs écosystèmes de référence, avec leurs partenaires et jusque dans leurs relations avec la puissance publique, qui finance ponctuellement 11 millions de salariés. Cette expérience a permis de mettre le doigt sur des situations d’interdépendance parfois favorables, parfois fragilisantes, et sur l’intérêt de savoir faire vivre une véritable communauté de destin.

Plusieurs dirigeants nous ont indiqué vouloir s’attacher demain à cultiver et valoriser ces liens pour consolider leur business model, quitte dans certains cas à assumer un coût supérieur au titre de la fidélité. Cette prise de conscience de la réalité et des vertus de la solidarité collective va trouver son prolongement dans une nouvelle affirmation de la responsabilité sociétale de l’entreprise-institution. Avec un nécessaire repositionnement stratégique des questions de RSE directement au cœur des missions et des métiers. Et la gestion de ces interfaces et responsabilités nouvelles se déploiera dans un contexte de repositionnement des priorités et d’évolution de l’échelle de certaines valeurs dans la société. L’essentiel demain sera peut-être de moins parler de RSE mais d’en faire beaucoup plus.

The BrandNewsBlog : Vous le rappelez dans votre conclusion Jean-Marc, cette crise est systémique et rebat un grand nombre de cartes pour les entreprises : chaîne  de valeur, gouvernance, management, organisation et modalités de travail, hiérarchie symbolique des métiers, rémunération, reconnaissance, responsabilité citoyenne, com’ interne et externe. Justement, en terme de communication et pour les communicants, quels en sont les enseignements ? Faut-il comprendre que la manière de communiquer sera différente désormais… et que la communication de crise deviendra une des modalités permanente de la communication, notamment ? Quels sont les grands enjeux pour les professionnels de la com’ et du marketing ?

Jean-Marc Atlan : Oui, je pense que les évolutions et enjeux que nous venons de balayer ne manqueront pas de bousculer la fonction communication dans ses engagements et ses pratiques, tout en la mettant encore plus au premier plan dans la stratégie des organisations. Et tu fais très justement remarquer que cela concourt à rapprocher toujours plus les professionnels de la communication que nous sommes vers les bons réflexes et les bonnes pratiques de la communication de crise. Comme si d’exceptionnelle, cette dernière devenait finalement la communication de droit commun, avec notamment deux caractéristiques structurantes, parmi d’autres : la priorité à l’interne d’une part, les vertus de l’authenticité et de la sobriété d’autre part.

S’il en était besoin, la crise et le confinement ont renforcé une prise de conscience essentielle quant au rôle et aux enjeux décisifs de la fonction communication interne dans les entreprises et les organisations. Positionnée à l’avenir comme un véritable actif stratégique, cette fonction va s’enrichir des retours d’expérience post-confinement, avec un double mouvement complémentaire vers plus d’incarnation, d’une part, et de simplicité d’autre part. D’un côté, je l’évoquais précédemment, la communication interne devra tirer le fil de l’implication plus directe des dirigeants dans son déploiement, pour incarner toujours mieux ses messages clés, dans une période qui exigera l’engagement visible des leaders. Elle s’attachera, d’un autre coté, à valoriser une approche plus inclusive en suscitant et en associant plus directement les initiatives des collaborateurs qui ont fait la preuve ces dernières semaines de toute leur capacité de création et de mobilisation spontanées. C’est une dynamique qu’il sera particulièrement important de cultiver à l’avenir pour enrichir la communication interne d’une dimension plus bottom-up, pour partie plus informelle et donc plus authentique.

Au plan de l’expression vers l’externe, on le sait d’expérience, la prudence en matière de communication, sur le fond, la forme ou le timing, doit toujours constituer un réflexe en temps de crise. De ce point de vue, la violence du choc liée à l’épidémie et au confinement, comme la durée du déconfinement et de la récession économique appellent à observer durablement cette discipline. Car l’impact prévisible de cette crise sur l’échelle des valeurs et sur l’extrême sensibilité des différents publics externes exigera un strict respect de quelques règles de bon sens. Au premier rang de celles-ci, on évitera, sur le fond, toute référence trop directe à la crise et sa sémantique. Je suggère de s’intéresser sur ce point au contre-exemple fourni par la dernière campagne de la Banque Postale… On pourra, à l’inverse, privilégier les thématiques de solidarité et d’utilité sociale. Sans jamais chercher pour autant à les instrumentaliser au plan commercial. Sur la forme, les mois et années à venir favoriseront les traitements les plus factuels, les plus sobres et les plus authentiques possibles, en préférant donc la simplicité à l’ultra-sophistication. En ayant le réflexe avant de prendre la parole, pourquoi pas, de revenir toujours aux trois tamis de Socrate. Est-ce que c’est vrai ? Est-ce que c’est utile ? Est-ce que c’est bienveillant ?

The BrandNewsBlog : Au final, qu’est-ce qui devrait le plus changer à l’avenir dans la Société et dans les organisations ? En optimiste, vous voulez croire que cette crise poussera les dirigeants et « remettre à plat leurs références communes pour revisiter les conditions de la confiance », les hommes ayant prouvé en deux mois qu’ils étaient capables de faire ce qu’ils étaient incapables d’imaginer, pour paraphraser René Char. Qu’entendez-vous par ces nouvelles conditions de la confiance ?

Jean-Marc Atlan : C’est bien connu, les entrepreneurs sont d’indécrottables optimistes ! Cette étude nous montre à quel point cette crise sanitaire et déjà économique bouleverse les entreprises et les organisations simultanément dans leur rapport au risque, leur rapport aux autres et leur rapport au temps. En cela, elle peut contribuer à saper directement les conditions de la confiance, matière première de l’économie.

En matière de rapport au risque, et surtout de perception du risque, les dirigeants vont devoir composer avec l’incertitude des contextes, sanitaire, économique, social, concurrentiel, politique. Et ce, face à des publics internes ou externes sensibilisés comme jamais à la vulnérabilité des choses, puisque c’est bien avec ce sentiment nouveau que nous allons vivre pour quelques mois ou années, même si le combat contre le virus était gagné. D’autant que dans leur course à l’attention, il se trouvera toujours quelques médias pour se repaître de ce sentiment de fragilité exacerbé et entretenir, sous couvert de transparence totale et immédiate, les peurs qui captivent et capturent les esprits. La multiplication des aléas, des doutes et des inquiétudes rendra donc durablement plus sensibles non seulement la viabilité des anticipations, mais aussi et surtout les conditions de la confiance. Il faudra donc, plus que jamais, nourrir et protéger le capital relationnel construit avec chacun de ses publics clés.

Concernant justement le rapport aux autres, la solidarité et l’interdépendance vécues pendant la crise vont s’imposer comme de nouvelles focales dans la (re)construction des business models et l’exercice de la confiance. Cette pandémie, en convoquant la responsabilité sanitaire individuelle et collectives, nous rappelle que les gestes barrières, le port de masques, ou encore la vaccination, constituent avant tout une discipline de protection de l’autre. Cela fera donc évoluer profondément les relations aux autres, à la société, au monde, vers plus de prise en compte des valeurs de de partage du bien commun. Les entreprises et les institutions devront s’exercer plus et mieux à cette discipline communautaire renforcée, et assumer toutes leurs responsabilités dans les défis à venir. Dans leur raison d’être, leurs projets, leurs pratiques et leurs modes de communication, et jusque dans un dialogue renouvelé entre initiative privée et puissance publique.

S’agissant enfin du rapport au temps, la gymnastique habituelle des dirigeants entre court, moyen et long terme va accentuer encore le grand écart. D’un côté, ils vont se confronter à la pression d’un quotidien complexifié par les exigences de protection sanitaire et les impacts de la dépression économique. C’est le registre du temps court, le terrain du management par excellence. D’un autre côté, la demande de projection dans l’avenir va s’intensifier, nécessaire pour donner un minimum de perspectives et susciter, là encore, la sacro-sainte confiance. Et ce, au moment-même où le temps des certitudes semble appartenir pour longtemps au passé, rendant l’exercice de la prospective épineux comme jamais. Face à l’incertitude, les fondamentaux d’identité de l’organisation devront jouer parfaitement leur fonction de point de repère. Dans cette navigation à vue et ce grand écart entre le court terme et le temps long qui s’imposent aux dirigeants, nous pensons que c’est peut-être le registre du moyen terme, celui de la stratégie à deux ou trois ans, qui sera le plus challengé et le moins rassembleur. Le pourquoi et le comment seront en effet, au moins temporairement, beaucoup plus crédibles et porteurs que le combien.

Au final, cette crise nous semble surtout éclairer, accélérer voire concrétiser des évolutions ou ruptures déjà en cours, beaucoup plus qu’elle ne les fait naître ou ne dessine un « monde d’après ». Pour autant, cette expérience inédite est très riche d’enseignements et nous avons la responsabilité de bien les analyser et les exploiter. Car, comme le disait Malraux, « vivre c’est transformer en conscience une expérience aussi large que possible ». De ce point de vue, la période nous invite assez fermement à cultiver de nouvelles références communes pour revisiter les conditions d’une nécessaire confiance. Des propos partagés par les dirigeants sollicités, quatre valeurs cardinales reviennent en boucle pour cela : l’autonomie, la solidarité, l’utilité et l’humilité. Il me semble que ces valeurs pourront servir de boussole bien utile aux dirigeants et aux communicants pour les temps troublés à venir.

The BrandNewsBlog : François, avec votre agence Angie+1, vous avez quant à vous reconduit cette année votre grande étude sur le leadership digital des dirigeants, en examinant en particulier la présence en ligne et les prises de parole de plus d’une centaines de dirigeants durant les mois écoulés. Pouvez-vous nous rappeler tout d’abord la méthodologie et les objectifs de cette étude ? Et quels en sont cette année les principaux enseignements ?

François Guillot : Bonjour Hervé. Effectivement, c’est la troisième édition de cette étude qui a vocation à donner un panorama complet des dirigeants les plus performants sur les réseaux sociaux. Quand on a commencé il y a trois ans, on voyait bien que, depuis quelques années maintenant, de plus en plus de grands patrons d’entreprises étaient actifs sur Twitter et sur Linkedin, et d’ailleurs nos clients nous demandaient de plus en plus de les aider à accompagner leurs dirigeants dans ce qui reste une forme récente de communication. Cette tendance, tout le monde la ressentait mais nous avons identifié le besoin de mesurer l’ampleur du phénomène. Un des objectifs que se donne cette étude est donc d’identifier tous les dirigeants (CEO ou Président) de grandes entreprises françaises présents sur les réseaux sociaux.

On ne se limite pas au CAC 40 ou au SBF 120, on cherche à avoir la photo la plus exhaustive possible. Ensuite, l’étude se donne comme objectif de mesurer leur performance. Nous le faisons en combinant des critères d’audience (nombre d’abonnés bien sûr, mais aussi profils de ces abonnés), d’activité (on élimine ceux qui ne publient pas ou presque), d’engagement (est-ce que les posts génèrent de l’engagement), sur Twitter et Linkedin ; et un dernier critère observe le trafic de leur page Wikipédia, ce qui donne un indice de leur célébrité, de l’intérêt qu’on leur porte, de leur présence médiatique.

Sur les tendances : cette année, on voit un peu de « plus » et pas mal de « mieux ». Un peu de « plus », car on avait trouvé 120 dirigeants réunissant nos critères de responsabilité et d’activité sur les réseaux sociaux en année 1, 150 en année 2, et cette année on en a 170. Pas mal de « mieux », au sens ou, d’un point de vue qualitatif, on observe des stratégies plus construites, moins d’occasions ratées. Les profils des dirigeants sont de mieux en mieux intégrés dans la stratégie de communication tout court, alors qu’ils pouvaient vivre à côté dans certains cas… Et cela se voit dans les chiffres. La performance de leurs publications n’arrête pas d’augmenter.

The BrandNewsBlog : Comme dans bien d’autres domaines, il semble que la crise que nous traversons ait joué là aussi  un rôle de révélateur et d’accélérateur en matière de leadership digital et de prises de parole des dirigeants, qui n’ont pas hésité à monter régulièrement au créneau ces derniers mois, au point que le « canal de communication dirigeant » est devenu aujourd’hui aussi important selon vous que le « canal corporate » : pouvez-vous étayer et illustrer pour nous ce constat  ? Est-ce là un des effets ponctuels de la crise ou une tendance durable ? 

François Guillot : Dans les jours qui ont suivi le confinement, une cinquantaine de patrons de notre corpus ont pris la parole sur les réseaux sociaux : tweets, posts et articles Linkedin, beaucoup de vidéos… Et ils ont bien fait car cette crise a donné une chance historique à la communication d’entreprise : celle de se faire entendre, d’avoir une écoute bienveillante. C’est assez rare pour être souligné.

La souplesse, la réactivité, le côté direct et sans filtre des réseaux sociaux est particulièrement adapté pour saisir la gestion de ce type de crise, et dans l’élan de solidarité et de citoyenneté du moment, les publications ont, assez logiquement, connu de très jolis succès.

Vous dites « révélateur » et « accélérateur », je crois que c’est exactement ça. Les situations de crise révèlent l’essentiel. Cette forme de communication a été privilégiée, elle est donc essentielle. Accélérateur, car le canal dirigeant a passé le « stress test » de la crise, ce qui va nécessairement augmenter l’appétence des dirigeants pour les réseaux sociaux…

The BrandNewsBlog : Au-delà du « top 100 » du leadership digital des dirigeants, qui fait ressortir cette année, toute plateformes confondues, un tiercé composé des 3 P-DG suivants : Patrick Pouyanné (Total), Emmanuel Faber (Danone) et Stéphane Richard (Orange), quels sont les faits marquants et nouvelles pratiques du leadership digital qui ont émergé depuis la dernière édition ? J’ai lu que la culture et la maturité digitales des dirigeants avait encore progressé globalement, avec un usage plus qualitatif de la bonne plateforme au bon moment plutôt qu’une recherche à tout crin de l’engagement ou la course aux followers ? On apprend aussi dans votre étude que les dirigeants ont largement utilisé les réseaux sociaux comme un nouveau canal de communication interne : pouvez-vous nous parler de cette nouvelle tendance et en quoi cette porosité interne / externe est-elle pertinente et intéressante pour les dirigeants et les entreprises ? 

François Guillot : Cela fait toujours plaisir d’avoir des abonnés, et cela constitue un indicateur immédiatement compréhensible. Mais je crois effectivement que les dirigeants, ou même plus généralement le marché de la communication, est en train de se débarrasser d’une vieille vision qui consiste à vouloir avant tout « recruter des followers ». Et qui, in fine, donnait surtout des complexes à tout le monde…

Une stratégie sur les réseaux sociaux, c’est moins « un tweet par jour » que le bon message au bon moment. Et on n’a pas besoin d’avoir beaucoup d’abonnés pour passer le bon message au bon moment. Cette façon de voir des réseaux sociaux est pour moi fondamentale et on voit effectivement que les patrons ne sont pas, dans leur majorité, dans le « toujours plus » : les patrons du top 10 publient, en moyenne, environ un tweet tous les deux jours et un article Linkedin tous les deux mois.

Les réseaux sociaux comme canal de com interne, c’est un autre sujet mais pas moins intéressant. C’est une question qu’on nous pose de plus en plus, notamment avec l’explosion de Linkedin. On se rend bien compte que pour parler à l’interne, Linkedin est un canal privilégié. Les salariés y sont nombreux, ils y suivent leur entreprise, leurs dirigeants : faut-il en faire un outil de com interne ? Alors oui, on a vu pendant la crise du Covid-19 plusieurs patrons se servir de Linkedin pour publier des messages internes : lettres aux collaborateurs (Alexandre Bompard chez Carrefour, Michel Mathieu chez LCL, Sophie Boissard de Korian, Olivier Klein de la BRED…), messages de remerciements… Bien sûr, ces messages internes deviennent visibles à l’externe. Mais c’est aussi l’intérêt de la démarche. C’est en partie de la com interne, mais c’est aussi une manière d’utiliser l’interne pour se valoriser à l’externe.

The BrandNewsBlog : Dans la crise que nous traversons, les dirigeants n’ont pas hésité à prendre très tôt la parole dans les médias dits traditionnels (presse, TV, radio) mais également sur les réseaux sociaux, comme Twitter et LinkedIn. De quelle manière et pour dire quoi ? Et quels sont les bonnes pratiques et les exemples de communication les plus efficaces que vous ayez relevé ?

François Guillot :  Les deux tiers environ des publications des dirigeants étaient des messages directs de réponse à la crise. Il s’est agi, souvent simultanément, de remercier les salariés mobilisés, rassurer quant aux mesures prises pour la santé et la sécurité des collaborateurs et des clients, informer sur la continuité de service et faire connaître des initiatives solidaires. Le tiers restant est composé de sujets propres à certains entreprises (Stéphane Richard : comment Orange utilise la data ; dans la pharma, le fait de faire le point sur la recherche médicale…) ou plus personnels Carlo Purassanta de Microsoft qui raconte une journée en télétravail…), et des messages adressés à l’interne évoqués plus haut.

Les bonnes pratiques, c’est toujours un peu subjectif. Les publications qui ont le mieux marché avaient un côté « scoop » et « good news » : Maxime Saada qui annonce le passage de Canal+ en clair, Stéphane Richard qui annonce le paiement comptant des factures des fournisseurs d’Orange… Avec une bonne nouvelle, on fait un carton. Avec une vidéo faite maison, on est certainement plus authentique. Ce n’est plus une question de format, d’expression ou même d’angle. C’est une question de contenu, de faire savoir.

The BrandNewsBlog : Outre le choix des sujets et des messages, avec cette nouvelle tendance à diffuser à l’externe de messages conçus pour l’interne et les collaborateurs notamment, vous indiquez l’importance du timing ou du tempo des prises de parole sur les médias sociaux. Pourquoi est-il si important pour les dirigeants de s’exprimer « ni trop tôt, ni trop tard » et quel doit être selon vous le déclencheur de prise de parole efficace et pertinente ?

François Guillot : Si on prend l’exemple des entreprises, institutions ou filières qui ont donné des masques, il y a eu une prime de visibilité très claire aux premiers à l’annoncer. Plus d’entreprises l’annonçaient, et quels que soit le nombre de masques, moins la communication avait de l’impact. Il faut donc être en capacité de communiquer vite, sans chercher à être exhaustif. Certaines entreprises n’ont pas voulu bouger avant d’avoir défini, vérifié, validé, partagé leurs positions… Mais au bout de trois semaines de confinement, elles semblaient davantage autistes que soucieuses de bien faire.

A l’inverse, certains dirigeants ont été peut-être un peu vite sur l’après. Le monde du travail de l’après, l’environnement dans l’après… Il faut que les conditions de l’écoute soient réunies. C’est sans doute un bon coup de communication que d’être le premier à parler de l’après. Mais ça ne marche pas si personne n’a encore commencé à se poser la question de l’après. Cette question du bon tempo est donc très subtile, et il n’y a pas, je crois, d’autre règle que de bien savoir « sentir » les choses.

The BrandNewsBlog : Sur le fond, quels ont été les sujets les plus abordés par les dirigeants durant cette crise et les plus « bankables » ? Il semble que malgré les dons et démonstrations de solidarité dont ont fait preuve beaucoup d’entreprises – que les dirigeants aient décidé de les relayer personnellement ou non – ces contributions aient souvent été rendues inaudibles par les polémiques et débats autour de la distribution des dividendes aux actionnaires ou la question de la baisse ponctuelle de la rémunération des dirigeants. Quelles leçons les P-DG et les entreprises doivent-ils en tirer, selon vous ?

François Guillot : Il y a toujours des polémiques, et il y en a eu deux principales : les dividendes, et c’est Vivendi qui y a été me semble-t-il le plus exposé, et la distribution des fruits de la recherche. Mais dans l’ensemble, je crois à l’inverse que les contributions positives ont été visibles et appréciées comme jamais. Comme je le disais plus haut il me semble que les entreprises ont pu bénéficier d’une attention à un niveau qui a constitué une chance historique pour elles. Certaines auront vraiment « marqué des points ».

De ce que je vois, un quart des grandes entreprises ont été surexposées (dans le CAC : Sanofi, Danone, Vivendi, Air Liquide, LVMH, Accor, Pernod Ricard, Carrefour et Total) ; la moitié ont été exposées au même niveau que d’habitude ; un quart l’ont été plutôt moins.

The BrandNewsBlog : Sur la forme et le ton des prises de parole, l’agence APCO Worldwide Paris relève dans son étude consacrée à la « communication des dirigeants du CAC 40  au temps du coronavirus » l’importance de la sincérité et l’authenticité manifestés par les dirigeants, les actes l’emportant souvent sur la parole et de nombreux patrons ayant par exemple choisi de ne pas commenter les gestes de solidarité et engagements de leur entreprise, malgré une forte implication personnelle (comme Bernard Arnault ou Alexandre Ricard par exemple). A contrario, d’autres P-DG comme Michel-Edouard Leclerc ou Alexandre Bompard se sont beaucoup mis en avant durant cette crise, ainsi que d’autres dirigeants de la grande distribution. Quelle était pour chacun la meilleure stratégie ?

François Guillot : Question de cohérence avant tout. Bernard Arnault est très rare en communication, il n’est pas sur les réseaux sociaux, peu dans la presse… Rien d’étonnant donc à ce qu’il ne vienne pas commenter les actions de solidarité de l’entreprise. Et puis, il attirerait tellement de haters… Le groupe LVMH lui-même a aussi été assez discret sur ses initiatives autour du gel. Dans un veine encore plus radicale, la Banque de France n’a même pas fait savoir qu’elle avait fait un important don de masques à l’AP-HP. A certains moments, il ne s’agit pas de se faire de la pub mais d’agir. On peut faire savoir, on peut aussi juste « faire ». Dans ce cas, certains diront que c’est dommage, d’autres que c’est tout à leur honneur. Question de point de vue.

Michel-Edouard Leclerc est, lui, toujours très présent en communication, et depuis longtemps. Rien d’étonnant là non plus. Alexandre Bompard choisit ses moments. Là, c’était un moment fort, son entreprise était l’une des plus exposées, il a « réactivé » ses réseaux sociaux qui, à certains moments, dorment, et l’a fait à bon escient.

La meilleure stratégie n’est pas l’absence, la rareté, le choix des temps forts ou l’omniprésence. La meilleure stratégie, c’est la cohérence. Après, personnellement, je crois assez aux changements de rythme dans la communication. Il ne faut pas lasser les publics.

The BrandNewsBlog : Dans la crise actuelle, APCO Worldwide Paris conseille aux dirigeants de faire preuve de pédagogie, d’humilité et de leadership dans leurs prises de parole dans les médias, à l’image de ce qu’ont su faire Stéphane Richard, Sébastien Bazin, Emmanuel Faber ou Frédéric Oudéa, mais aussi de savoir assumer une prise de distance avec le ton et la posture de leur entreprise pour gagner en authenticité et en proximité avec leur audience : ce conseil est-il encore plus pertinent sur les réseaux sociaux, selon vous François ?

François Guillot : Je pense que ce conseil de posture et de complémentarité avec la communication de l’entreprise est typiquement un des résultats de l’influence des réseaux sociaux sur la manière de pratiquer la communication corporate. En favorisant une communication plus ouverte, plus incarnée, moins « coincée », en montrant très clairement ce qui marche et ce qui ne marche pas, les réseaux sociaux ont une influence sur le style de la communication dans son ensemble. C’est toute la communication corporate qui se « socialemédifie », ou en tout cas qui emprunte des codes à ce qui fonctionne sur les réseaux sociaux.

Et donc oui, la communication du dirigeant sur les réseaux sociaux, ce n’est pas la communication officielle de l’entreprise. Le dirigeant engage un point de vue, une opinion, une analyse. La marque corporate aura toujours du mal à se le permettre. La complémentarité est évidente et importante.

The BrandNewsBlog : Au final, ne pas communiquer si on n’a rien à annoncer ou à dire, choisir le bon timing et le bon canal pour s’exprimer, être clair et savoir reconnaître qu’on ne sait pas tout… mais aussi et surtout travailler sa présence à moyen et long termes pour se bâtir de véritables communautés d’ambassadeurs et d’alliés semblent être des précautions et principes de communication plus que jamais applicables aux réseaux sociaux ? Quelles autres recommandations donneriez-vous pour un leadership digital efficace et pérenne ?

François Guillot : On peut effectivement se dire que, pour les dirigeants qui se sont engagés dans cette voie depuis un moment, le bénéfice d’une présence active sur les réseaux sociaux a été évident pendant la crise. On en revient à la notion de « révélateur » que vous évoquiez tout à l’heure : ils ont construit des communautés, tiré des enseignements de leurs prises de parole, et donc non seulement ils étaient prêts au moment-clé, mais ils savaient faire.

Pendant ce temps, dans les entreprises où les dirigeants n’étaient pas actifs sur les réseaux sociaux, on s’en voulait de ne pas bénéficier de ces canaux si précieux. Idem pour l’employee advocacy, d’ailleurs… Pour affronter la crise, il faut avoir une machine qui tourne, des structures en place. Malgré la rapidité, l’instantanéité, ça ne peut pas s’improviser.

Pour finir, les conseils que vous citez sont les bons, mais j’insisterais aussi sur le fait d’emmagasiner de l’expérience et de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Le leadership digital, ce n’est pas que celui d’un dirigeant, c’est aussi celui de son comex, des experts, des managers. Qui, tous, peuvent avoir autant d’impact que l’entreprise elle-même… Chacun est un média en puissance et la communication de l’entreprise, c’est aussi celle de ses femmes et de ses hommes.

Notes et légendes :

(1) François Guillot est directeur associé d’Angie+1, agence du groupe Angie.

Vous pouvez vous procurer directement sur le site de l’agence une synthèse de l’étude « Top 100 du Leadership digital 2020 », dont nous parlons dans cet article.

(2) Jean-Marc Atlan, est le fondateur de l’agence EKNO.

(3) Une synthèse de la très riche étude d’EKNO est consultable sur le site de l’agence : je vous invite à la découvrir sans attendre !

 

Crédit photos et illustration : 123RF, The BrandNewsBlog 2020, X, DR

Entre digitalisation, banalisation et nouveaux usages : l’industrie du luxe à la croisée des chemins…

D’ici quelques jours, avec la publication de l’édition de printemps de son étude mondiale sur le secteur du luxe, le cabinet Bain & Company devrait confirmer les tendances très positives qu’il avait commencé à relever au mois de septembre dernier¹…

Oui : après une année 2017 qui aura vu le marché mondial du luxe renouer avec la croissance et progresser de 5% en valeur (pour atteindre 1 160 milliards d’euros au total²), la reprise tant attendue du marché, si longue à se dessiner suite à des années de marasme, devrait en effet se confirmer, redonnant le sourire à tous les acteurs de l’industrie.

Dès la fin 2017, il faut dire que ce baromètre de la santé du secteur que représente le Luxury Trend Report³, publié par l’Ifop et le magazine Stratégies, pronostiquait déjà une nette amélioration de la situation économique des marchés du luxe, 75% des 277 experts interrogés se disant « optimistes » ou « très optimistes » sur les perspectives du secteur en 2018 (soit une progression de 23% par rapport à leurs projections pour 2017).

Eut égard à la contribution non négligeable du secteur du luxe à la croissance mondiale et aux positions extrêmement avantageuse qu’y occupent les plus grands groupes français, avec leur portefeuille de marques prestigieuses, on ne peut évidemment que saluer un tel redressement, bien boosté par le regain de vigueur des consommateurs chinois et asiatiques il faut le dire, mais également par les très bonnes dispositions de la plupart des grands pays traditionnels du luxe (Japon, Etats-Unis, France, Emirats-Arables Unis, Singapour, Royaume Uni, Honk-Kong…), de nouveau très dynamiques dans leurs achats de produits et services.

Mais faut-il pour autant pavoiser de cette santé retrouvée, et que cache cette reprise en relatif trompe-l’œil ? Derrière les statistiques flatteuses, continuent de subsister des disparités réelles entre les métiers et les diverses activités du luxe. Et le secteur – que l’on aurait grand tort de considérer comme homogène – a beaucoup changé ces dernières années, d’importantes évolutions des usages se faisant jour, tandis que la concurrence du premium est devenue beaucoup plus tangible et qu’une relative « banalisation » guette aujourd’hui les grandes marques, de plus en plus challengées par de nouvelles concurrentes malgré leurs importants efforts de digitalisation et de transformation…

Ainsi, entre digitalisation à marche forcée, personnalisation accrue de l’offre et accélération du rythme des lancements et autres sorties de collections, l’industrie du luxe ne serait-elle pas en train de perdre de son âme et cette part de mystère qui en a fait la rareté ? Et comment concilier disruption, innovation et préservation de la désirabilité des marques de luxe aux yeux des consommateurs, de moins en moins attachés aux valeurs de distinction sociale et à la possession des produits, à l’heure où la valeur d’usage et l’expérience offerte aux consommateurs tendent de plus en plus à s’imposer comme critères de choix et modalités principales de relation avec les marques ?

Tandis que les jeunes générations se détournent de plus en plus du « luxe de papa » et plébiscitent ces nouveaux acteurs qui savent au quotidien leur apporter cette valeur ajoutée expérientielle et relationnelle, on évoquera dans la suite et fin de cet article tout l’intérêt de réinventer les marques de luxe pour les adapter aux besoins évolutifs des nouvelles générations de consommateurs, sans renier pour autant leur identité ni les sacro-saintes notions de rareté et d’exclusivité, constitutives du luxe.

En attendant la suite de cet article à paraître samedi matin, bonne revue de ces nouveaux enjeux marketing et communication. Ceux-ci sont d’autant plus passionnants que par bien des aspects, l’univers du luxe cristallise à lui seul tous les nouveaux enjeux du branding, et la plupart des contraintes et opportunités offertes par des marchés à la fois matures, internationalisés et hautement sensibles aux évolutions macro-économiques et aux nouvelles tendances de consommation.

Une reprise boostée par les marchés asiatiques et un optimisme retrouvé chez les professionnels du luxe

Il suffit de se référer aux infographies ci-dessous issues de l’étude Luxury Trend Report 2017 pour le constater : sur les différents marchés du luxe, il semble bien que la reprise pointe enfin le bout de son nez !

Et le regain de dynamisme des consommateurs asiatiques, en particulier des consommateurs chinois sur leur marché domestique (deuxième marché mondial du luxe voire le premier en valeur), n’y est évidemment pas pour rien.

Après des années de récession, dans la foulée notamment des lois anticorruption de 2012 (qui avaient été adoptées par l’Empire du milieu pour juguler les pratiques les plus douteuses comme les échanges de petits cadeaux entre officiels) et une sévère correction sur les marchés de l’horlogerie et des spiritueux en particulier, ces marchés et tout le secteur sont repartis à la hausse en 2017, comme en témoignent les bons résultats affichés en Chine par les plus grands groupes internationaux du luxe. Et fin 2017, les professionnels étaient 42% à imaginer que le marché chinois repartirait encore à la hausse en 2018, une anticipation bien plus positive que les années précédentes.

Outre la Chine, le Japon et les autres grands pays asiatiques ont également été mieux orientés en 2017, et cette tendance devrait se poursuivre en 2018, comme ne manquera sans doute pas de le confirmer la prochaine édition de l’étude Bain & Company, à paraître début juin.

« Certains marchés comme la Chine se portent beaucoup mieux. Le retour à une Asie dynamique est crucial pour le luxe », commente Stéphane Truchi, président de l’Ifop, co-auteur avec le magazine Stratégies de l’étude Luxury Trend report 2017.

« Mais le bloc des pays traditionnels du luxe est lui aussi en très bonne santé », ajoute-t’il, avant de noter, parmi les marchés du luxe considérés comme « stratégiques », que le continent africain apparaît pour la première fois dans les propos des professionnels interrogés, certes loin derrière la Chine, les Etats-Unis ou le Japon, mais avec 16% de citations tout de même, illustrant bien les nouvelles opportunités dont ce rebond du marché du luxe est également porteur.

Un ciel certes plus dégagé, mais de nouveaux défis et de nouvelles menaces…

C’est sans doute un des principaux mérites de cette étude Luxury Trend Report publiée en décembre dernier : à côté des bonnes nouvelles et de l’embellie annoncée, elle n’esquive pas les « sujets qui fâchent ».

Après avoir mis plusieurs années à sortir de cette phase de récession dont nous venons de parler et dont nous commençons à peine à nous remettre, l’industrie du luxe s’est efforcée de rattraper son retard dans un certains nombre de domaines cruciaux, à commencer par la digitalisation et l’expérience client.

Mais si la plupart des grandes marques on enfin fait le nécessaire dans ces domaines, de nouveaux défis, pas moins importants d’après les professionnels interrogés, se font jour. Et le premier est incontestablement le relatif manque d’appétence des jeunes générations pour le luxe, en tout cas pour le luxe tel qu’on le connaît aujourd’hui, qui menace de peser sur les perspectives de de croissance du secteur si celui-ci n’y remédie pas.

Autre menaces potentielles identifiées par les professionnels : la trop grande exigence de rentabilité à court terme, qui semble être hélas un dénominateur commun à de nombreux acteurs (41% de citation), la trop forte accélération des lancements et des collections (38% de mentions), mais également aujourd’hui la concurrence de plus en plus féroce des marques premium (comme Sandro ou Tara Jarmon, entre autres) qui taillent désormais des croupières aux maisons de luxe les plus prestigieuses et les plus anciennes.

De nouveaux usages et de nouvelles attentes portés par les millenials…  

Beaucoup a déjà été dit au sujet des millenials. Et dans un précédent billet (à découvrir ou redécouvrir ici), j’avais notamment décrit leurs attitudes et attentes accrues vis-à-vis des marques.

Pour l’industrie du luxe, les millenials font en quelque sorte figure « d’épouvantails ». Unanimement dépeints comme des générations clés, détenant entre leurs mains l’avenir du secteur (de par leur pouvoir d’achat et leur poids démographique), ils sont à la fois perçus comme source d’opportunités et de menaces par des marques traditionnelles souvent déroutées par leurs pratiques.

Plus forcément prêtes à débourser les sommes folles que leur réclament les plus grandes marques, de plus en plus « déconnectées » dans leurs politiques tarifaires, et plus que jamais porteuses de ce grand changement de paradigme que représente la primauté de l’usage sur la possession, les générations Y et Z démontrent une réelle appétence pour le luxe, mais ne sont plus disposées à en acquérir les produits et services aux prix les plus forts.

A ce titre, les nouvelles générations sont au coeur du succès fulgurant des marchés de la location et de la vente d’articles de luxe d’occasion, sur lesquels prospèrent des sites spécialisés tels que Rent the runway, Girl Meets Dress, Chic by choice, Armarium, Panoply City ou Instant Luxe.

Dixit Rebecca Robins, global director chez Interbrand et co-auteure de l’ouvrage Meta-luxury, « Désormais, on est davantage attirés par l’accès à un bien que par son acquisition. Il suffit de constater ce qui se passe dans le secteur de la musique ou de la vidéo. Les biens culturels que nous avions l’habitude d’acheter et d’accumuler sont désormais disponibles à la demande sur Spotify et Netflix. D’est dans cette nouvelle économie que les marques doivent désormais évoluer […] Dans cette époque du Moi, on veut s’approprier les produits à la mode immédiatement et non dans un an. Le statut découle de la façon dont nous sommes perçus et la question de savoir si nos possessions ont fait l’objet d’un leasing ou d’un achat est quasiment insignifiante. »

Ainsi, « les vêtements loués apportent de la valeur lorsqu’ils sont postés en ligne ou partagés dans les stories sur Instagram ou Snapchat », confirme Rebecca Robins… La primauté de l’usage et de l’expérience vécue avec le produit ou le service plutôt que la satisfaction de la possession et de l’identification sociale et statutaire que représente l’acte d’achat : en résumé, une véritable disruption !

Mais il serait réducteur d’imputer la responsabilité de ce changement de paradigme à la seule fantaisie des millenials. Car l’attitude des marques de luxe, souvent isolées dans leur tour d’ivoire, n’est pas pour rien dans ces évolutions, ainsi que le confirme Emmanuelle Brizay, co-fondatrice du site Panoply. Outre le fait que les sites de location et d’achat de vêtements et accessoires répondent à un réel besoin, car les études confirment par exemple qu’on porte un vêtement 7 fois seulement en moyenne, « l’inflation des prix, considérables ces 20 dernières années, se double d’un autre phénomène : on parle de fast fashion pour Zara et H&M, mais la mode elle aussi multiplie les collections, entre pré-automne-hiver et pré-printemps-été, collection Croisière, etc. Le luxe a ainsi perdu de sa durabilité et tout le monde n’a pas envie de dépenser 2 500 euros pour un bomber brodé Saint-Laurent […] On n’investit plus des milliers d’euros pour une pièce fashion qui n’est pas intemporelle… »

… Et auxquels les nouveaux acteurs du luxe répondent souvent mieux que les marques traditionnelles

Dans ces espaces de l’usage et de la primeur de l’expérience client, laissés en partie vacants par les plus grandes marques, de nouveaux acteurs ont eu l’intelligence de s’insinuer… ou de faire une entrée fracassante.

C’est le cas pour toutes ces Indie brands de l’univers de la cosmétique dont j’avais déjà parlé dans cet article. De Glossier, créée par la blogueuse beauté Emily Weiss à Fenty Beauty, lancée avec succès par la chanteuse Rihanna, en passant par Kat von D ou Huda Beauty, ces nouvelles marques des stars de l’influence, à mi-chemin entre marché du luxe et premium sont pour ainsi dire « nativement digitales », mettant en avant une communication léchée conçue pour les réseaux sociaux et en particulier Instagram, où leurs fondatrices comptaient déjà des centaines de milliers ou des millions d’abonnés avant de créer leur marque.

Ainsi, que ces nouvelles marques soient pour ainsi dire des pure players du digital, bâties en quelques mois sur l’influence de leurs fondatrices, ou bien au contraire des marques de niche plus « multicanales », privilégiant le retail et une approche plus personnalisée et artisanale (comme les marques Codage, Sézanne, Everlane ou Maison Martin Morel), ces nouveaux acteurs ont tous en commun une approche disruptive et plus personnalisée du luxe.

Outre la transparence, la traçabilité et l’authenticité de leurs produits, qui en constituent le dénominateur commun, « ce qui réunit également ces nouvelles marques, c’est la collaboration, voire la co-création avec le client » observe Emmanuelle Rigaud-Lacresse, directrice du master Luxury in management de Neoma Business School. « Ces nouvelles marques challengers travaillent en général en réseau et mettent le client au centre de leur développement produit. Les groupes de luxe, au fonctionnement plus classique, sont obligées de se poser des questions. »

Entre digitalisation tous azimuts et primauté de l’expérience client : un nouveau terrain de jeu pour les marques de luxe

Après avoir accusé des années de retard et s’y être mis, pour certaines, avec beaucoup de réticences, les grandes marques de luxe ont mené leur révolution digitale tous azimuts et se sont engagées dans une nouvelle relation avec leurs clients, ainsi que le confirme Déborah Marino, directrice du planning stratégique chez Publicis 133 : « L’industrie a eu un peu de retard au démarrage sur le digital, elle l’a utilisé comme un outil de spectacle mais étonnamment très peu pour connaître ses clients. Après avoir essayé d’être sur tous les points d’interaction – Instagram, Facebook, Twitter, influenceurs – les marques sont à nouveau en quête de cohérence et de storytelling. Depuis deux ans, on constate beaucoup de compétitions sur des plateformes de marque, moins sur des communications pour épater la galerie ».

Outre les Indie brands, dont on vient de parler, de nombreuses nouvelles marques se sont lancées en exploitant ce créneau de l’expérience haut de gamme ou d’exception, partagée ou « augmentée » grâce au digital, auprès de communautés de happy few en quête d’une nouvelle relation au luxe.

Ainsi The collectionist, le « Airbnb des riches », organise pour ses clients des vacances sur mesure dans des propriétés d’exception. Premium conciergerie offre quant à lui des services de conciergerie haut de gamme à une clientèle exigeante, tandis que Culture secrets permet de participer à des rencontres privilégiées avec des artistes, toujours dans cette optique d’expérience exclusive et unique offerte à un nouveau profil de clientèle.

« L’idée de l’entre soi, du secret, de l’expérience en silence devient ainsi une vraie tendance du luxe » souligne Delphine D., directrice de l’agence Brand image.

4 pistes pour rendre de nouveau le luxe désirable…

Mais après s’être immergées parfois complètement dans la technologie et dans une expérience client augmentée par le tout digital, sur les traces de marques précurseures dans ce domaine, comme Burberry, le risque demeure de galvauder l’idée même de luxe et la part de rêve qui lui est attachée.

En sombrant dans une certaine forme de standardisation, par des contenus stéréotypés ou l’alignement des boutiques en rang d’oignons dans des espaces dépersonnalisés (voir cet article intéressant de Christophe Rolland à ce sujet), et en se laissant gagner de surcroît par les vertiges de la fast fashion… un certain nombre de grandes marques tendent à se banaliser, décevant à la fois leur clientèle traditionnelle et rebutant les consommateurs les plus jeunes.

Cherchant à déterminer comment le secteur du luxe pourrait renouveler son discours à l’heure de la standardisation et des technologies omniprésentes, l’agence de design Brand union s’est employée à imaginer comment redonner cette part d’intrigue et de mystère qui en fait l’essence même, convaincue « que le désir naît nécessairement d’une distance à l’objet ».

Et voici ci-dessous les 4 pistes abordées dans son étude « Le luxe a besoin d’imagination »:

1 – Jouer sur la notion de futur et son mystère

Après avoir largement communiqué sur les notions de temps, d’héritage et de transmission, quelle meilleure idée que de jouer la carte des futurs possibles et de redonner place à l’imaginaire ?

Du cognac Rémy Martin, réalisant un film que les spectateurs ne pourront pas voir avant 2115, à la maison Veuve Cliquot, immergeant 350 de ses bouteilles à 43 mètres de profondeur, dans le but scientifique de les déguster dans 40 ans, la notion de futur est propice à un storytelling riche redonnant leur caractère exclusif aux marques de luxe.

2 – Capitaliser sur la surprise de la synesthésie ou l’association de plusieurs sens

Imaginer une odeur à partir d’une couleur, modifier le goût d’un breuvage au fil d’un spectacle son et lumière… L’association des sens est porteuse de surprises et d’imaginaire, comme l’a bien compris Caran d’Ache, associant le parfum subtil du bois du Tibet à la douceur de ses crayons ou bien encore Martin Margiela, créant des fragrances associées à des lieux bien spécifiques.

3 – Surfer sur les charmes de l’insaisissable instant

Les marques de luxe ont compris depuis un moment l’intérêt de travailler sur les notions d’éphémères et d’instants exceptionnels : la création de séries limitées et de pop up stores jouent évidemment sur ce ressort déjà connu.

Enrichissant encore ce thème, l’agence de voyage Black Tomato joue la surprise de l’inattendu et des moments sur mesure en proposant à ses clients de planter une tente 5 étoiles à l’endroit où ils le souhaitent partout dans le monde (désert, jungle…) pour une expérience à la fois unique et marquante.

4 – Se laisser emporter par la poésie des souvenirs inutiles

Les souvenirs nous offrent matière inépuisable à rêverie, avec des voyages aux pays de notre enfance ou des premières amours, comme le souligne l’agence Brand union. S’attacher à convoquer la poésie surannée de la madeleine de Proust, comme les œuvres d’art ont le pouvoir de le faire, permet de créer une expérience inoubliable et personnalisée.

C’est la démarche de l’artiste Quentin Carnaille, imaginant The last watch, une montre qui ne donne pas l’heure – comme pour arrêter e temps – ou bien la marque Hermès en créant un porte galet à l’utilité toute relative…

 

…A côté des promesses technologiques et des expériences digitales certes étonnantes mais virtuelles, quoi de plus intelligent en effet que de redonner sa part de rêve et de mystère à l’univers du luxe, tout simplement ?

 

 

 

Notes et légendes :

(1) 16ème édition de l’étude sur le marché mondial des biens personnels de luxe, publiée par le cabinet Bain & Company le 25 octobre 2017.

(2) 1 160 milliards d’euros = valeur totale du marché mondial du luxe en 2017, incluant les produits et les expériences de luxe ; 262 milliards d’euros = valeur (record) du marché mondial des biens personnels de luxe estimée en 2017 également. 

(3) Luxury Trend Report 2017 : étude publiée par l’Ifop et le magazine Stratégies en novembre 2017, sur la base d’interviews de 277 professionnels du secteur du luxe.

 

Crédits photos et illustrations : The BrandNewsBlog 2018, X, DR.

Authenticité, transparence, engagement… : les nouvelles attentes des millenials vis-à-vis des marques

Objets de toutes les attentions et toutes les convoitises, les millenials sont aujourd’hui sondés, scrutés, auscultés sous toutes les coutures et décryptés par des dizaines d’instituts et une infinité de marques, plus empressées les unes que les autres de comprendre comment elles.ils fonctionnent et de connaître leur moindre désir.

Génération fascinante et mystérieuse à la fois, sujette à nombreux fantasmes (et tant de généralisations hâtives et de stéréotypes), les 18-38 ans représenteront en effet sous peu plus de 50% de la population active mondiale (d’ici 2020) et pas moins de 75% en 2025 !

Bataillons aux profils hétérogènes, ils pèsent déjà d’un poids prépondérant dans les achats de biens de grande consommation et davantage encore dans les perspectives de développement de certains pans d’activité. 85% de la croissance du secteur du luxe leur serait notamment imputable, d’après une étude récente réalisée par Bain & Company¹. Et il n’est pas une entreprise qui n’ait déjà réfléchi, ou ne soit en train de réfléchir à toutes les adaptations fonctionnelles et managériales à mettre en oeuvre pour s’adapter à cette nouvelle population de salariés hyperconnectés et exigeants…

Mais quelles sont exactement les croyances, valeurs et attentes communes à une classe d’âge aussi large ? Et quelles sont les conséquences pour les organisations, les marques, mais aussi les marketeurs et communicants dans leur activité ? Comment séduire et impliquer durablement ces millenials ? Sur la base de quel nouveau « contrat relationnel » et avec quels modèles d’entreprises et de marques ?

Ce sont là quelques-unes des questions passionnantes auxquelles répond l’excellente Revue des marques, en consacrant son premier numéro de l’année 2018 aux relations Marques – Millenials. Un numéro auquel de nombreux experts et instituts d’étude ont apporté leur contribution, cassant au passage quelques mythes et idées reçues et nous livrant un portrait nuancé et inpirant de ces générations qui commencent à bousculer largement les schémas classiques de la consommation et du monde du travail.

En quête de sens et de repères, mais aussi de transparence et d’authenticité, il se murmure en effet que 25% à peine des marques qui existent aujourd’hui trouveraient grâce aux yeux des millenials, les 75% restant leur apportant si peu de valeur qu’elles seraient selon elles.eux destinées à disparaître ! De quoi s’interroger sérieusement sur certaines pratiques… et justifier mon article du jour, dans lequel je vous propose non seulement un résumé des enseignements de la Revue, mais également un condensé de mes convictions personnelles en matière de branding et de communication. Puisque les millenials nous amènent à remiser une fois pour toute le « marketing de papa » au grenier (ou à la cave), elles.ils nous poussent aussi à déployer des trésors de créativité et d’intelligence pour les intéresser et les satisfaire… Une bonne nouvelle pour tous les néo-marketeurs et les néo-communicants !

Les Millenials : une population aux profils et comportements objectivement hétérogènes, mais aux croyances et valeurs relativement partagées…

Comme le rappellent la plupart des intervenants sollicités par la Revue des marques, une des premières erreurs à ne pas commettre au sujet des millenials serait de les considérer comme une population parfaitement homogène, aux profils et comportements communs et bien déterminés.

Car au-delà de la définition purement statistique de cette population, qui regroupe toutes les personnes nées entre 1980 et 2000 (ayant donc aujourd’hui de 18 à 38 ans), quel rapport entre un lycéen ou une jeune étudiante et une personne adulte de plus de 30 ans, potentiellement père ou mère de famille et disposant d’une première voire de plusieurs expériences professionnelles ?

Objets de généralisations hâtives et de stéréotypes tenaces, la perception des millenials a d’ailleurs tendance à varier grandement en fonction du point de vue de celle ou celui qui les décrit : souvent dépeints comme « jeunes », « feignants », « enfants gâtés », « rois du zapping » et « technophiles » par les « X » et les générations plus anciennes, ils se perçoivent évidemment eux-mêmes de manière beaucoup plus favorable, comme « jeunes » et plutôt « technophiles » en effet, mais aussi « innovants », « bohème » et bien plus « cool » que leurs aînés, comme nous le révélait dès 2012 cette étude de référence du Boston Consulting Group : « The Millenial Consumer – Debunking Stereotypes », par Christine Barton, Jeff Fromm et Chris Egan.

De fait, à défaut de profils et de comportements homogènes identifiables sur une population aussi large, en réalité composée de différentes tranches d’âge et de sous-segments, comme ceux proposés ci-dessous par le BCG², il paraît en revanche beaucoup plus approprié et pertinent de parler de qualités communes, d’attitudes, de croyances et de valeurs partagées, comme celles relevées étude après étude par une majorité d’instituts, qui pointent d’abord une aisance évidente avec les technologies numériques (ce n’est pas pour rien qu’on parle de « digital natives ») et un usage beaucoup plus fréquent que leurs aînés des réseaux sociaux modernes (Instagram, Facebook, WhatsApp et Snapchat surtout). Cette aisance avec le digital et cette vie « augmentée » par le web 2.0 et les liens communautaires – en tout cas en Occident – incitent naturellement les millenials à partager davantage et beaucoup plus rapidement que leurs aînés avis, commentaires, réflexions et autres moments de vie, soit publiquement soit en mode « privé », et à se montrer beaucoup plus réactifs à la moindre actualité. L’accessibilité, l’instantanéité et l’universalité de l’information venant sans conteste amplifier cette hyper-réactivité.

Mais enquête après enquête, quels que soient les continents et les pays étudiés, les experts pointent aussi d’autres qualités partagées, attentes et valeurs communes : au-delà de l’information voire la surinformation dont les millenials disposent, une exigence encore plus forte que les générations précédentes vis-à-vis des marques, une capacité pour ainsi dire « innée » à décrypter et à décoder la moindre campagne marketing et les « éléments de langage » de la communication, mais également un réel souci pour la protection de l’environnement, pour les sujets sociétaux et pour l’emploi, ainsi que la préservation de leur santé…

Au-delà des stéréotypes, des millenials beaucoup plus « classiques » et ancrés dans le réel qu’on ne le dit, à la fois marqués par les contraintes économiques… et bien décidés à changer le monde !

Pascale Hébel, Directrice du pôle Consommation et Entreprise du Crédoc et Stéphanie Marty, Directrice du développement client de l’institut Research Now, nous apportent au travers de deux articles de la Revue des marques des éclairages précieux et complémentaires sur ces populations de « Y » et « Z », qui composent la cohorte des millenials.

Ainsi, sur la base d’une étude prospective menée récemment sur les comportements alimentaires de demain et sur les principales tendances de consommation, il apparaît que ces deux populations de millenials ne se comportent pas si différemment des générations précédentes. « Il n’ y a pas d’inversion de tendance constatée dans la manière de consommer. L’évolution des modes de vie se poursuit, nous dit ainsi Pascale Hébel, comme en témoigne le contenu de leurs assiettes. Les jeunes mangent par exemple moins de viande, beaucoup moins de produits bruts, de fruits et de légumes et, a contrario, plus de sandwichs ou de sodas ».

Mais, très influencée par la conjoncture économique et en l’occurrence par la crise de 2007 (qui aura duré pas moins de 10 ans !), cette génération entre ou est déjà entrée dans le monde du travail en étant moins bien payée que les générations précédentes au même âge, malgré un niveau de diplôme globalement supérieur, comme cela s’était déjà passé en 1973 ou en 1993… « Cela crée des inégalités entre les générations, particulièrement en France où l’on constate le plus gros écart de revenu entre les moins de 30 ans et les autres. »

Ces difficultés économiques et ce marché du travail que les millenials subissent, avec le plus fort taux de chômage jamais atteint chez les moins de 25 ans, « impacte non seulement le pouvoir d’achat de cette génération, mais crée également un rapport au monde qui l’encourage à développer d’autres façons de vivre » indique encore Pascale Hébel, soulignant que les Y et les Z partent plus tôt de chez leurs parents que leurs aînés, du fait d’une relation à la famille beaucoup plus distendue chez ces enfants de divorcés. Rien d’étonnant, dès lors, que la valeur d’usage soit en train de supplanter auprès de cette génération la valeur de possession… Si les plateformes d’achat en seconde main, de prêt, de partage et d’échange de compétences ont été aussi plébiscitées par les millenials, avec le succès de start-up comme BlaBlaCar ou Flexdrive, la contrainte économique n’y est évidemment par pour rien.

Et si, chez les 16-21 ans, les préoccupations quotidiennes semblent évidemment différentes de leurs aînés « Y », leurs principales inquiétudes portant sur des problèmes de smartphone, d’accès au réseau ou bien encore la crainte du piratage de leurs comptes sur les différents réseaux sociaux, les millenials de la génération « Z » n’en conservent pas moins un lien étroit avec le réel, comme le confirme Stéphanie Marty d’après les résultats d’une grande étude internationale menée auprès de cette cible spécifique…

« Bien que baignant dans un univers digitalisé, les représentants de la génération Z ne se coupent pas du monde réel… confirme la directrice du développement de Research Now. Leurs amis ne sont pas virtuels : à 78%, ils préfèrent les voir en personne plutôt que de leur parler sur WhatsApp ou Snapchat […] De même, les points de contact avec les marques ne sont pas que virtuels : l’achat en magasin reste une expérience sensorielle appréciée et préférée (67%), même s’il s’agit d’une tendance plus féminine que masculine (72% versus 62%).

Marqués par le même contexte de crise que les « Y » et les mêmes incertitudes concernant leur futur emploi, les « Z », au pouvoir d’achat encore plus limité, se montrent particulièrement raisonnables et réalistes et aspirent à un schéma de vie somme toute très classique. Au-delà de leurs soucis quotidiens de connexion, la première de leur inquiétude est en effet la peur de ne pas pouvoir payer leurs factures et, faute de moyens sans doute, une large majorité des Z affirme préférer rester chez elle (à regarder des séries en l’occurrence) plutôt que de sortir. Les prix et le souci de faire des économies en étant a priori la première raison, quel que soit le pays considéré. De même, les 16-21 ans affirment souhaiter avant tout fonder une famille (32%) qu’ils imaginent avec enfants (44%) et seraient prêt à travailler tout autant dans une entreprise établie (34%) que dans une société qu’ils auraient créé eux-mêmes (28%).

« Y » comme « Z », les millenials aspirent aussi, de manière très affirmée, à changer le monde, avec pour commencer une meilleure prise en compte de l’environnement et de leur santé, comme le confirme sans ambiguïté Pascale Hébel. « L’environnement apparaissait déjà dans nos précédentes études et se développait avec le temps. Mais la génération que nous appelons « nomade » se démarque par un intérêt nettement supérieur pour l’écologie. C’est une mutation majeure chez les plus jeunes, qui ont grandi sous l’ère du Grenelle de l’environnement de 2007. Depuis 10 ans, on ne leur parle plus que de cela, dès les programmes scolaires, si bien que c’est devenu pour eux un prérequis qui va modifier profondément leur relation à de nombreux éléments. Avec l’environnement, la préocuppation nutritionnelle et l’inquiétude pour le capital santé – même à cet âge – s’imposent. »

Transparence, naturalité, authenticité et engagement : ce que les millenials attendent des marques…

Bien que recouvrant des populations ou segments de population hétérogènes, comme on vient de le voir, les millenials expriment pourtant, d’étude en étude, des croyances et valeurs communes et des attentes assez largement partagées.

Plutôt que de vous en proposer une longue énumération, j’ai résumé ci-dessous en une illustration les principales attentes identifiées par les différents experts et instituts cités par la Revue des marques, sous forme d’un nuage de mots-clés…

Dans un article de la Revue au titre explicite (« Génération #NoBullshit »), la fondatrice de l’institut Trend Sourcing, Pascale Brousse, s’arrête en particulier sur trois tendances/attentes des millenials qui selon elle vont changer durablement les produits, les mentalités et la consommation : 1) le degré d’exigence, 2) la quête de sens et 3) La soif de transparence.

S’il est souvent répété ici et là – et ce furent sans conteste les plus nombreux commentaires suite à la parution de la première partie de cet article – que les attentes des millenials tendent en définitive à être les mêmes que celles des autres générations (et c’est relativement normal puisqu’ils.elles sont en définitive les précurseurs d’attitudes et de comportements qu’adoptent ensuite les autres classes d’âge : en ce sens, nous sommes toutes et tous des « millenials » potentiels ), les « Y » et les « Z » se distinguent par la vigueur de leurs attentes et de leur volonté de changement.

Plus exigeants encore que les générations précédentes, ils.elles sont comme je l’indiquais en introduction des champions du décodage marketing, comme le soulignaient il y a déjà quelques années Grégory Casper et Eric Briones dans leur ouvrage « La génération Y et le luxe ». Allergiques aux éléments de langage et aux vieilles ficelles du marketing et de la communication « de papa », ce sont toutes et tous des « enfants de pub » habitués à décrypter depuis leur plus jeunes âges les codes et artifices d’une communication souvent trop bavarde et bonimenteuse, alors qu’ils.elles sont souvent hyperinformés et connaissent déjà parfaitement les forces et faiblesses des produits…

En attente de qualité, de durabilité et d’une valeur d’usage encore supérieure vis-à-vis des produits et services qu’ils achètent, ils.elles sont en effet en quête de sens et se tournent naturellement vers des marques aux partis pris forts répondant à un véritable brand purpose. « Leurs caractéristiques ? nous dit Pascale Brousse, une vraie reason-why et pas de bla-bla marketing. Les millenials, ou comme mentionné dans le titre de mon article la génération #NoBullshit, en ont plus qu’assez des discours éculés et sonnant faux des marques. Ils se tournent vers celles qui racontent une histoire vraie avec du coeur et du sens, qui ouvrent le dialogue avec leurs fondateurs et leur réseau : l’humain, les personnes avant la marque. C’est le passage du product centric marketing  au human centric marketing. Le sens prime le produit. »

Et au-delà de cette quête de sens, les Y et les Z expriment aussi et surtout une soif de transparence, qui va bien au-delà de ce que l’on avait connu jusque-là. Car en adeptes du fact-checking et du tracking, ils exigent de plus en plus de savoir où le produit a été fabriqué, par qui et dans quelles conditions. Non seulement le bien-être des salariés et des sous-traitants sont et seront de plus en plus scrutés, mais les millenials figurent aussi parmi les premiers utilisateurs d’applications telles que Clean Beauty, qui permet de vérifier si son produit d’hygiène-beauté est exempt de substances indésirables. Fans de conscious cosmetic, de clean food et autres green products, ils.elles sont les premiers clients de start-up telles que Think Dirty, qui imagine dès aujourd’hui les objets connectés qui nous permettront demain de tout scanner en rayon et de tout savoir sur n’importe quel produit, substance ou matériau. « Etant donné que 25% des consommateurs américains de 18 à 38 ans prennent déjà le temps de scanner les codes produit figurant sur les packaging, il semble pertinent d’imaginer que d’ici peu, nous serons tous équipés d’appareils portatifs miniatures ou d’applications permettant de faire nos choix de consommation de manière éclairée » ajoute à ce sujet Pascale Brousse. Une évolution des comportements clairement impulsée par les millenials.

Premiers témoins (et aujourd’hui acteurs) de ces bouleversements, les dircom sont progressivement passés d’un statut d’émetteurs, garants de tous les messages de l’organisation à celui de « facilitateurs connecteurs » et de chefs d’orchestre, à l’écoute et au service de tous les interlocuteurs susceptibles de prendre la parole au nom de l’entreprise.

Comment les entreprises et les marques peuvent-elles s’adapter à ces attentes des millenials ? Trois axes structurants sont à privilégier…

Respectivement directrice générale et directrice générale adjointe de Sorgem Advance, Maria di Giovanni et Céline Grégoire nous livrent trois pistes à suivre d’urgence par toute marque soucieuse de répondre aux attentes de ces nouvelles générations de consommateurs que sont les Y et les Z…

1) Premier axe de travail : « densifier le sens » de sa marque

Partant du constat que les marques qui réussissent le mieux auprès des millenials sont celles qui présentent un positionnement « très cohésif, recentré, voire radical et jouant la carte d’une forte densité sémantique et culturelle », comme les fameuses marques indies du make up, développées par des influenceuses ou de petites équipes et souvent concentrées sur un segment bien défini : rouge à lèvres, vernis ou blushs (ex : MUG, Color Pop…), ou bien des marques au positionnement très fort et « bordé » comme Innocent ou encore Red Bull, Maria di Giovanni et Céline Grégoire conseillent aux marques de densifier leur « reason why » à un double niveau. D’une part, en travaillant sur le sens que la marque propose aux consommateurs : plus la promesse et la proposition de valeur seront fortes et claires, plus les consommateurs pourront aisément s’y reconnaître et s’engager et le sens apparaîtra évident. Et d’autre part, en travaillant sur le sens de la marque vis-à-vis de la société, c’est à dire ce que fait la marque pour la planète, la société et l’emploi.

A ce titre, les conseils des deux dirigeantes de Sorgem Advance rejoignent complètement mes analyses et préconisations personnelles, régulièrement exprimées sur ce blog, notamment dans cet article que vous aviez plébiscité il y a quelques mois : « Nouveaux leviers d’engagement : et si on misait sur la bienveillance et la quête du bien commun ? ». De fait, les marques qui réussissent aujourd’hui le mieux sont effet celles qui savent démontrer qu’elles contribuent aujourd’hui à l’intérêt général, ce fameux « bien commun », en développant, en complément de leur offre de valeur principale, une véritable utilité sociale.

2) Deuxième axe de travail : toucher la cible en s’intégrant dans sa culture au travers d’insights pertinents

Si les marques de l’hospitality ont si bien réussi ces dernières années, comme Airbnb, c’est qu’elles ont su capter au bon moment et finement le changement de culture et d’attentes des millenials en matière de vacances et de dépaysement.  En renouvelant complètement l’expérience du voyage, en proposant de vivre les pays de l’intérieur et en adaptant leur sens et leur offre à cette nouvelle culture émergente, ces marques se sont construites sur les bons insights culturels, qui touchent le plus les générations des Y et des Z. Comme les souligne à juste titre Maria di Giovanni et Céline Grégoire, « c’est plus facile bien sûr quand la marque se construit directement sur la culture de la cible ». Mais cela n’empêche pas des marques plus anciennes, comme Moët et Chandon, d’avoir su parfaitement saisir les nouveaux codes culturels de la fête des millenials, en surfant avec bonheur sur l’expérience du « now » et des moments de partage plus spontanés, libres et moins formels que par le passé.

Ainsi, pour les deux dirigeantes, « les insights culturels sont devenus tout aussi importants que les insights consommateurs ». Toucher la personne dans sa culture ET le consommateur dans son quotidien est devenu primordial ».

3) Troisième axe de travail : proposer une expérience personnalisée et rechercher la conversation, pour entretenir une relation toujours plus riche et resserrée avec les millenials

Le succès des marques auprès des millenials repose aussi sur une personnalisation de la relation et de l’expérience offerte à chacun.e, car ils.elles aspirent évidemment à être considérés personnellement, rapidement et avec pertinence. Converser avec sa communauté et savoir faire participer les Y et les Z à l’univers de sa marque sont par ailleurs devenus les autres facteurs clés de succès pour toutes ces nouvelles marques indépendantes ou « de niche » qui affichent aujourd’hui des taux de croissance insolent, au point que Maria di Giovanni et Céline Grégoire n’hésitent pas à le conseiller à toute entreprise…

« La conversation est un puissant antidote à la fin annoncée des marques. Une de ses vertus est de permettre aux interlocuteurs d’évoluer en même temps qu’elle se construit. Si les marques considèrent avec empathie l’esprit critique des millenials, voire l’intègrent dans leur stratégie, elles ont un bel avenir devant elles » […] « Au-delà de la communication digitale, cette vague technologique (IA, outils conversationnels) propulse les marques dans un courant qui va les conduire à entretenir des relations toujours plus directe et resserrées avec les consommateurs, en délivrant des expériences multiples. Les marques qui seront considérées par les millenials seront celles qui conversent avec empathie et sincérité : échangent, interrogent, stimulent, défient, étonnent… et acceptent en retour les remerciements, les recommandations, les pratiques d’influences, mais aussi les critiques et les suggestions. »

Ultime recommandation / axe de travail proposé subsidiairement par Maria di Giovanni et Céline Grégoire : faire évoluer la conception du « premium », pour toutes les entreprises et marques rattachées au domaine du luxe notamment.  Dans cette perspective, il est important de noter que le « premium » ne revêt plus la même signification pour les Y et les Z que les générations passées. Tandis que la conception du premium fondée sur des arguments purement économiques et une dynamique de statut social a en effet tendance à perdre beaucoup de terrain auprès de cette classe d’âge, c’est le besoin d’expérience enrichie et distinctive, porteur d’une différenciation individuelle et communautaire qui est aujourd’hui le plus valorisé par les millenials et symbole de luxe ultime à leurs yeux.

Cette notion d’exclusivité, d’expérience valorisante fournissant l’opportunité d’afficher ostensiblement ses priorités, ses valeurs et sa culture consacre une nouvelle vision du premium, dont les marques de luxe doivent impérativement prendre conscience pour ne pas faire fausse route. Là encore, il s’agit d’affirmer les atouts d’une marque aux partis pris forts et clairs, car le prix n’est plus nécessairement une donnée d’entrée et il est possible à toute marque de se positionner désormais comme pretium dès lors qu’elle pousse l’affinité culturelle au bout se sa logique.

Et Maria di Giovanni et Céline Grégoire de conclure positivement sur ces différents défis : « Notre conviction est que les millenials ne constituent nullement un péril pour les marques, mais dessinent une nouvelle ère, où les acteurs du marketing devront davantage que par le passé se remettre en question. »

Et au sein des organisations, comment gérer cette nouvelle population des millenials ?

Equilibre vie privée-vie professionnelle, quête accrue de sens (à leur action et dans la mission de l’entreprise), modes de travail plus collaboratifs, management moins hiérarchique et plus ressource, opportunités d’engagement (dans le cadre de l’entreprise et au-delà, pour l’intérêt général)… Angelica Mleczko, consultante en bien-être au travail liste pour la Revue des marques les nouvelles attentes des générations Y et Z, en soulignant cette circonstance exceptionnelle que 4 générations différentes cohabitent aujourd’hui dans le monde du travail.

De fait, beaucoup de défis à relever sont dès lors intergénérationnels, mais les enjeux de la révolution numérique, qui bouleversent profondément les marchés, les métiers et le paysage de l’entreprise, incite aussi les organisations à se transformer en profondeur et à repenser leurs organisations et leurs modes de travail et de collaboration.

« Densification du sens » et pédagogie autour de la mission de l’entreprise, « libération » du travail pour le rendre plus flexible en journée et adapter les temps de travail et de télétravail, acculturation des équipes au numérique et à l’innovation, développement du coworking et lutte contre les silos, accompagnement au changement et redéfinition du rôle des managers… les solutions et initiatives sont légion.

Mais comme je le soulignais déjà dans cet article, c’est aussi l’esprit général et les objectifs qui président à cette transformation interne qui doivent être les bons… et cohérents. Il ne s’agit pas de « surfer » sur les attentes de l’une ou l’autre des générations au travail, pour redorer sa marque employeur, en étant en totale contradiction avec la réalité des expériences vécues par le salarié sur le terrain. Là encore, il s’agit d’écouter les millenials, en effet, mais aussi de proposer un sens et une mission crédibles, conformes à la culture de l’entreprise.

Et demain, tous millenials ?

On le voit : les attentes des millenials sont certes spécifiques, pour un certain nombre d’entre elles, mais comme le soulignent – à raison – plusieurs observateurs avertis, les différents experts et analystes seraient bien inspirés de rester humbles et prudents car il demeure en partie illusoire de prétendre définir rigoureusement et étroitement cette génération, tant ses attentes tendent de plus en plus à s’imposer comme de nouveaux standards pour l’ensemble des générations qui les ont précédé. En particulier pour les individus qui en partagent déjà les croyances et les modes de vie : citadins occidentaux hyperconnectés, en quête de transparence et d’une nouvelle relation vis-à-vis des marques…

Dixit Christophe Chaptal de Chanteloup, Directeur général de CC&A et président de l’APCI, qui dispose d’un avis tranché sur la question : « Vouloir définir et cadrer les millenials est une erreur. Cette génération est très diverse, et on peut en définitive se considérer millenial à 50 ans. Ce n’est pas tant une question d’âge que de mentalité. Si on n’a jamais eu accès à l’information aussi vite et aussi complètement, il n’y a pas pour autant de millenial type. »

Bref : sur ces questions de génération, comme toujours, force est de constater que le débat reste ouvert ! ;-)

 

 

Notes et légendes :

 

(1) Etude réalisée par Bain & Company, Le Monde – 26 octobre 2017

(2) Etude du Boston Consulting Group : « The Millenial Consumer – Debunking Stereotypes », par Christine Barton, Jeff Fromm et Chris Egan – 2012

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, La Revue des marques, The BrandNewsBlog, X, DR.

Lost in #TransfoNum ? Quand les marques (et les agences) balbutient leur transformation digitale…

labyrinth_of_the_night_by_alterlier-d7859s3Cette fois-ci, on allait voir ce qu’on allait voir… Après nous avoir tympanisés avec toutes ces histoires d’ubérisation et de business models disruptifs en 2015, les consultants et autres experts bien informés nous avaient tous prédit, ou presque, que 2016 serait (enfin) la grande année de la transformation numérique des entreprises… C’était certain et même garanti sur facture, souvenez-vous. D’ailleurs : pas un hebdomadaire économique ou marketing qui ne se soit fendu, en décembre ou en janvier, d’un article ou d’un dossier à ce sujet, tellement les enjeux étaient importants et la prise de conscience, inéluctable.

Plus nuancé (et lucide, sans doute), le magazine Stratégies consacrait lui aussi un de ses premiers articles de l’année aux conséquences de la transformation numérique de l’économie¹ sur les marques, mais en faisant surtout écho des nombreuses difficultés et retards pointés par l’institut Limelight Consulting dans son dernier Baromètre des métiers de la communication².

Plutôt en ligne avec ce constat mitigé, les résultats de la dernière édition de l’Observatoire Social de l’Entreprise, réalisé par Ipsos et le CESI, en partenariat avec le Figaro³, achèveront peut-être de doucher l’enthousiasme des commentateurs les plus prompts à s’enflammer. De fait, quand la transformation digitale n’est pas assimilée à un vulgaire « phénomène de mode » (par 47 % des chefs d’entreprise interrogés), 38 % des dirigeants et 21 % des salariés la considèrent encore comme secondaire et 13 % seulement des patrons interrogés y voient un sujet stratégique ! Une incompréhension et un manque d’intérêt sensiblement plus marqués dans les plus petites entreprises que dans les grandes, mais dont l’ampleur ne manque pas de surprendre dans tous les cas.

Pour en avoir le cœur net et juger plus précisément de la #TransfoNum des marques et des agences dans notre pays, je vous propose aujourd’hui de revenir sur les principaux résultats de ces deux études (Ipsos-CESI et Limelight consulting) et d’en confronter les enseignements. Puisque l’heure de la prise de conscience a sonné pour les dirigeants comme les salariés, autant commencer par un diagnostic lucide des principaux freins à surmonter et, à l’aune des étude que je viens de citer, j’en distingue déjà trois…

Premier frein au changement : une prise de conscience très hétérogène de la nécessité et de l’intérêt même de la transformation digitale…

Les digital evangelist et autres apôtres de la transformation numérique des entreprises en seront pour leur frais. D’après les deux études Ipsos-CESI et Limelight consulting, non seulement le sujet de la « transition » digitale est encore loin de passionner uniformément tous les patrons et les salariés d’entreprise, mais, au sein même des organisations, des pans d’activité et des champs de compétences entiers semblent encore résister à tout effort de digitalisation et à toute réflexion sur le sujet.

De fortes disparités entre les entreprises. Premier critère de différenciation, relevé en l’occurrence par IPSOS et le CESI dans leur Observatoire : la taille des entreprisesLes dirigeants des entreprises de plus de 250 salariés sont ainsi 69% à estimer que la #TransfoNum est un sujet « stratégique » ou « essentiel », contre seulement 29% dans les entreprises de 1 à 9 salariés. De même, 70% des patrons d’entreprises de plus de 250 salariés pensent que la transformation digitale représente une opportunité pour leur organisation, contre seulement 28% des dirigeants d’entreprises de 1 à 9 salariés. Et dans ces organismes (1 à 9 salariés), les chefs d’entreprise sont encore convaincus à 50% (soit un patron sur deux !) que cette transition digitale est un pur « phénomène de mode », une proportion là aussi bien supérieure à ce qui s’observe dans les entreprises de plus de 250 salariés. 85% des patrons d’organisations de plus de 500 salariés estimant par exemple que le digital « révolutionne les modalités de fonctionnement de leur entreprise » (voir les tableaux ci-dessous).

Capture d’écran 2016-05-11 à 05.02.23

Capture d’écran 2016-05-11 à 05.03.35

Capture d’écran 2016-05-11 à 05.04.19

Autre critère de différenciation, relevé cette fois par Limelight consulting dans son Baromètre des métiers de la communication publié fin 2015 : la pression concurrentielle exercée sur le marché considéré. En fonction de cette pression concurrentielle et de la maturité digitale de leur secteur, les entreprises se subdivisent en 3 groupes d’après les auteurs de l’étude : 1) d’une part, les entreprises qui ont déjà connu une rupture technologique importante sous la contrainte de la concurrence ou d’un marché en mutation. C’est souvent le propre des entreprises technologiques, pour lesquelles la transformation digitale est déjà bien engagée ; 2) d’autre part, les entreprises qui ont pris conscience d’elles mêmes de la nécessité de « digitaliser » leur activité et se sont engagées dans une transformation numérique certes tardive mais significative, comme L’Oréal par exemple ; 3) enfin, les entreprises qui n’ont pas encore connu la crise et dont le business model est le moins impacté par les ruptures technologiques : celles-ci sont souvent les plus en retard dans leur #TransfoNum, car aucune contrainte ne les incite objectivement à changer ni à innover…

A noter que même au sein des entreprises les plus dynamiques et les plus digitalisées, dont on peut constater qu’elles ont mis en place de réelles initiatives et avancé dans leur transformation, rares sont celles dont les dirigeants ou les salariés revendiquent avoir réussi leur #TransfoNum. Tout le monde est conscient « d’être sur le chemin » et d’avoir encore beaucoup à faire. Et dans les faits, des pans entiers d’activité et de nombreux chantiers y restent le plus souvent à lancer, comme le souligne très judicieusement Amaury Laurentin, directeur général associé de Limelight consulting. En effet, « peu d’entreprises aujourd’hui ont encore appréhendé ce que signifie être une entreprise digitalisée en termes de management, de leadership ou de contrat social. Pour la plupart, le digital est un plan stratégique, mais n’est pas ‘le’ plan stratégique »

Deuxième frein au changement : un déficit de vision stratégique et une transformation numérique encore faiblement coordonnée

Au-delà des questions de perception, sur lesquelles on voit que beaucoup de chemin reste à faire, hélas, dans beaucoup d’entreprises, la question des moyens et du « par où commencer » demeure également un des premiers chausse-trappe de la transformation.

Il faut dire que confronté à la variété des enjeux du numérique : adaptation des business models et des méthodes de travail, formation et mise à niveau des collaborateurs, recrutement de nouvelles compétences digitales, traitement et exploitation de la data, amélioration de l’expérience client, dématérialisation des circuits et flux de gestion, digitalisation de la communication, de la production et la diffusion de contenus, intégration des réseaux sociaux dans le fonctionnement de l’entreprise (entre autres)… de nombreux dirigeants s’estiment eux-mêmes « dépassés ». D’autant que l’enjeu et les objectifs semblent parfois hors de portée, puisqu’il s’agit en définitive de « concilier les attentes et comportements d’un consommateur agile et volage avec une culture d’entreprise souvent très conservatrice et des organisations internes toujours en silos » comme le résume judicieusement Amaury Laurentin.

Une minorité d’entreprises emploient des CDO. Dans ce contexte, les entreprises qui ont mis en place de véritables moyens et une organisation dédiée à la transformation s’avèrent encore minoritaires. Exemple : 38% seulement des organisations, tous secteurs confondus, reconnaissent aujourd’hui avoir nommé un Chief Digital Officer (CDO) pour piloter leurs démarches. Quand ils existent (le plus souvent dans les secteurs de la grande consommation, de la banque-assurance et de l’industrie-BTP en l’occurrence), ces CDO sont les plus souvent rattachés à une direction marketing (dans 39% des cas), parfois à la direction générale directement (dans 35% des cas) et plus rarement (dans 24% des cas tout de même) à des directions de la communication, malgré la vision et la portée très transversale des missions de ces dernières.

587062

Troisième frein au changement : des agences et partenaires souvent à la traîne ?

Tandis que la demande d’un véritable accompagnement n’a jamais été aussi forte de la part des entreprises, la réponse des agences de communication et autres cabinets conseils ne semble pas encore à la hauteur des attentes, si l’on en croit les résultats du Baromètre des métiers de la communication publiés par Limelight consulting…

Souvent confrontées elles-mêmes à ces problématiques de transformation digitale qu’elles sont sensées maîtriser pour le compte de leurs clients, « les agences restent souvent très classiques dans leur mode de fonctionnement » résume notamment Amaury Laurentin.

Alors que les enjeux de la transformation digitale, notamment en interne, sont parfois très sensibles au sein des entreprises (comme chez Air France, par exemple), on attend tout des agences sauf de se comporter en « généralistes et donneuses de leçons numériques » vis-à-vis de leurs clients. De fait, comme le pointe là encore Amaury Laurentin, « on n’a pas besoin de généralistes de la transformation mais d’acteurs ayant des méthodes pour aborder la transformation », ce qui est bien différent.

Moins crédibles en terme d’accompagnement global que les consultants, qui n’ont pas quant à eux l’enjeu du « faire », les agences de com’ et autres structures conseil auto-proclamées, présentent encore trop souvent des offres « complexes », « floues » et « jargonneuses » voire « pensées en dehors de la réalité des besoins » si l’on en croit les dirigeants et chefs de projets interrogés par Limelight consulting. « Aujourd’hui, les entreprises demandent en effet à être rassurées quant aux modes opératoires qui leur sont proposés, à leur efficacité et à la méthode mise en place, et si possible avec une approche contextualisée selon leurs besoins, voire sur-mesure » ajoute encore Amaury Laurentin.

Et c’est bien là que semble résider la principale zone de progrès pour la plupart des agences, même si certaines marques mentionnées par les annonceurs semblent ressortir du lot, comme Publicis, Marcel, Fred&Farid ou bien encore BETC, jugées à la fois plus attractives et surtout plus innovantes que leurs consoeurs selon cette étude…

Bref : on le voit, derrière les indéniables réussites de ces locomotives de la #TransfoNum que sont par exemple Burberry, Sephora ou Disney (toujours citées par les consultants ;), il reste pour la plupart des entreprises beaucoup de pain sur la planche et parfois même un véritable déclic à opérer pour que la prise de conscience débouche sur du concret, ce qui passe nécessairement et en premier lieu par une mobilisation sans faille de leurs dirigeants.

 

 

Notes et légendes :

(1) « 2016, année de la transformation » par Alain Delcayre, magazine Stratégies n°1841 – 7 janvier 2016

(2) Baromètre des métiers de la communication publié par l’institut Limelight consulting en décembre 2015 : cette étude s’appuie sur plus de 1 450 interviews d’annonceurs, avec une phase qualitative de 32 entretiens menée de juin à septembre 2015, suivie d’une phase quantitative durant laquelle ont été collectées les réponses de 1 444 personnes représentant 776 entreprises françaises.

(3) Baromètre Social des Entreprises réalisée par IPSOS et le CESI, en partenariat avec le Figaro : cette étude traite de la situation des entreprises, du moral des dirigeants et des employés, mais aussi de l’avancement et des perceptions concernant la transformation digitale. Elle a été menée auprès de 1 000 salariés du secteur privé et de 404 chefs d’entreprises au premier trimestre 2016 et les résultats en ont été publiés ce lundi 9 mai.

=> Pour plus de détail sur cette étude, voir ici le résumé des résultats ainsi que la présentation de synthèse réalisée par IPSOS, le CESI et le Figaro.

 

Crédit photos et illustrations : Deviant Art, IPSOS, Limelight consulting, X, DR

Ce que les digital natives attendent d’abord des marques…

… ce ne sont pas de nouvelles expériences numériques, plus ou moins gratifiantes. Ni des contenus de marque léchés. Encore moins des valeurs ou une éthique irréprochables. Non, au risque de décevoir les professionnels de la pub’ et du marketing, cela n’entre manifestement pas (encore ?) dans leurs priorités…

love_hate_shirt_by_juice_box_love

D’après deux études récentes réalisées par Opinion Way pour Melty Group* et par BVA pour LH2**, il semblerait en effet que les représentants des générations dites « Y » et « Z » aient des attentes beaucoup plus concrètes et prosaïques.

Enquête Opinion Way : quand la marque = le produit pour les jeunes

Ainsi, si les digital natives reconnaissent aimer certaines marques plus que d’autres, c’est 1) pour leur(s) produit(s) ; 2) pour le service proposé ; 3) le prix et 4) pour la qualité de la relation client, nous révèle Opinion Way… Des fondamentaux plutôt basiques au regard des efforts entrepris par certaines marques et des trésors d’attention déployés vis-à-vis de leurs clients et fans.

D’ailleurs, « quand on leur parle de marque, les jeunes pensent avant tout à l’aspect produit, à quelque chose de concret », confirme Rodolphe Pelosse, directeur général adjoint de Melty. Pour se faire accepter, il ne suffit plus pour les digital natives d’acheter telle ou telle marque, « il faut aimer le téléphone ou les chaussures de sa communauté. Ce n’est plus Nike qu’on aime, mais le modèle Nike Blazer ou le Nike Air » ajoute Patrice Duchemin, sociologue de la consommation.

De fait, quelle que soit la tranche d’âge considérée (15-17 ans, 18-24 ans ou 25-30 ans), les jeunes se montrent très pragmatiques et lucides par rapport aux marques. S’ils attachent aussi peu d’importance aux valeurs et à l’éthique, c’est que « cette génération sait très bien que l’éthique peut être utilisée par les marques à des fins marketing » décrypte Thierry Mathé, chargé d’étude et de recherche sur la consommation au Crédoc. Même chose pour le recours à des égéries en publicité, dont le ressort est de moins en moins apprécié par les digital natives.

Une génération allergique aux vieilles ficelles du marketing, en quête d’authenticité 

En définitive, les digital natives se montrent de plus en plus allergiques aux formes traditionnelles du marketing et aux marques qui s’efforcent de les séduire à tout prix, en parlant « djeuns » ou en les arrosant de messages « creux ». « Les marques ne doivent pas imposer leur univers, mais laisser les jeunes choisir » conseille vivement le sociologue Patrice Duchemin. Faute de quoi elles peuvent rapidement se retrouver « déréférencées » et ce type de mise à l’écart symbolique peut s’avérer durable et très préjudiciable pour leur business.

Le sondage LH2-BVA réalisé récemment auprès de la population des 13-19 ans va dans le même sens. Soulignant le fait qu’une majorité de filles et de garçons dans cette tranche d’âge se sentent « incompris », il met l’accent sur ces 3 valeurs clés qui fonctionnent le mieux chez les jeunes : la tradition et la vérité (idéalisées par les digital natives) ainsi que l’authenticité, garante à leur yeux d’intégrité et d’efficacité.

Les marques les mieux perçues sont intègres et se rattachent de préférence à une forme de tradition (même « techno »)

Qu’on partage ou non leur avis, voici d’ailleurs ci-dessous la liste des 5 marques dont les jeunes se sentent le plus proches, celles qui incarnent le plus à leur yeux les valeurs citées ci-dessus :

artikel_digital_natives3

Médias et sources d’information : le « miroir grossissant » des digital natives

En ce qui concerne la confiance accordée aux différentes sources d’information, les générations X et Y réagissent globalement comme leurs aînés, en privilégiant le bouche à oreille et la recommandation d’un proche aux médias traditionnels et aux nouveaux médias, mais de manière encore plus marquée que les générations précédentes…

Lucides au sujet d’Internet, les 11-19 ans ne sont que par exemple que 13 % à lui accorder leur confiance (!), contre 64% à écouter l’avis de leurs parents, de leurs professeurs ou à se fier à leurs ouvrages (étude LH2-BVA 2014).

Quant à l’appréciation des médias (online ou offline) dans le cadre de campagnes de communication ou de publicité, les digital natives en ont là aussi une perception assez différente de ce que l’on imagine. Sur un axe « confiance » / « modernité » (voir le graphe ci-dessous réalisé par Opinion Way pour Melty), les médias qui sont cités comme les plus dignes de confiance ne sont pas forcément ceux que l’on croit…

Ainsi, 1) le cinéma, 2) la radio ou 3) l’affichage récoltent le plus de suffrages des 15-30 ans, même si les web-séries ou les réseaux sociaux apparaissent évidemment plus modernes. On notera tout de même le faible crédit accordé justement aux réseaux sociaux, campagnes mails, pubs sur Internet ou sur mobiles… Emmanuelle Fernoux-Coutenet, de l’agence Junium avertit à ce sujet les annonceurs et les marques : « il ne suffit pas d’utiliser un média jeune, comme Facebook, pour être aimé » (…) car « c‘est avant tout le discours et le contenu qui font que les jeunes adhèrent ou pas« . Gare à ceux, par conséquent, qui seraient tentés de privilégier la forme sur le fond. Gare aussi aux réseaux sociaux, qui, comme Facebook, ont accordé une place de plus en plus intrusive aux marques : on sait que les jeunes s’en détournent de plus en plus au profit de réseaux plus intimes et immédiats, comme Snapchat par exemple.

… Quand on vous dit que ces jeunes-là savent ce qu’ils veulent et sont redoutablement lucides. Avis aux marques qui voudront relever le défi, car il y encore beaucoup à faire ;-).

opinion

 

Sources :

* Article « Parlez-vous correctement le jeune » ? Magazine Stratégies du 22/05/2014 

** Article « Les ados… ces incompris » d’Amelle Nebia, Marketing Magazine, avril 2014

1er graphe / infographie : TheBrandNewsBlog

2ème Graphe : étude Melty/Opinion Way 2014

%d blogueurs aiment cette page :