Lost in #TransfoNum ? Quand les marques (et les agences) balbutient leur transformation digitale…

labyrinth_of_the_night_by_alterlier-d7859s3Cette fois-ci, on allait voir ce qu’on allait voir… Après nous avoir tympanisés avec toutes ces histoires d’ubérisation et de business models disruptifs en 2015, les consultants et autres experts bien informés nous avaient tous prédit, ou presque, que 2016 serait (enfin) la grande année de la transformation numérique des entreprises… C’était certain et même garanti sur facture, souvenez-vous. D’ailleurs : pas un hebdomadaire économique ou marketing qui ne se soit fendu, en décembre ou en janvier, d’un article ou d’un dossier à ce sujet, tellement les enjeux étaient importants et la prise de conscience, inéluctable.

Plus nuancé (et lucide, sans doute), le magazine Stratégies consacrait lui aussi un de ses premiers articles de l’année aux conséquences de la transformation numérique de l’économie¹ sur les marques, mais en faisant surtout écho des nombreuses difficultés et retards pointés par l’institut Limelight Consulting dans son dernier Baromètre des métiers de la communication².

Plutôt en ligne avec ce constat mitigé, les résultats de la dernière édition de l’Observatoire Social de l’Entreprise, réalisé par Ipsos et le CESI, en partenariat avec le Figaro³, achèveront peut-être de doucher l’enthousiasme des commentateurs les plus prompts à s’enflammer. De fait, quand la transformation digitale n’est pas assimilée à un vulgaire « phénomène de mode » (par 47 % des chefs d’entreprise interrogés), 38 % des dirigeants et 21 % des salariés la considèrent encore comme secondaire et 13 % seulement des patrons interrogés y voient un sujet stratégique ! Une incompréhension et un manque d’intérêt sensiblement plus marqués dans les plus petites entreprises que dans les grandes, mais dont l’ampleur ne manque pas de surprendre dans tous les cas.

Pour en avoir le cœur net et juger plus précisément de la #TransfoNum des marques et des agences dans notre pays, je vous propose aujourd’hui de revenir sur les principaux résultats de ces deux études (Ipsos-CESI et Limelight consulting) et d’en confronter les enseignements. Puisque l’heure de la prise de conscience a sonné pour les dirigeants comme les salariés, autant commencer par un diagnostic lucide des principaux freins à surmonter et, à l’aune des étude que je viens de citer, j’en distingue déjà trois…

Premier frein au changement : une prise de conscience très hétérogène de la nécessité et de l’intérêt même de la transformation digitale…

Les digital evangelist et autres apôtres de la transformation numérique des entreprises en seront pour leur frais. D’après les deux études Ipsos-CESI et Limelight consulting, non seulement le sujet de la « transition » digitale est encore loin de passionner uniformément tous les patrons et les salariés d’entreprise, mais, au sein même des organisations, des pans d’activité et des champs de compétences entiers semblent encore résister à tout effort de digitalisation et à toute réflexion sur le sujet.

De fortes disparités entre les entreprises. Premier critère de différenciation, relevé en l’occurrence par IPSOS et le CESI dans leur Observatoire : la taille des entreprisesLes dirigeants des entreprises de plus de 250 salariés sont ainsi 69% à estimer que la #TransfoNum est un sujet « stratégique » ou « essentiel », contre seulement 29% dans les entreprises de 1 à 9 salariés. De même, 70% des patrons d’entreprises de plus de 250 salariés pensent que la transformation digitale représente une opportunité pour leur organisation, contre seulement 28% des dirigeants d’entreprises de 1 à 9 salariés. Et dans ces organismes (1 à 9 salariés), les chefs d’entreprise sont encore convaincus à 50% (soit un patron sur deux !) que cette transition digitale est un pur « phénomène de mode », une proportion là aussi bien supérieure à ce qui s’observe dans les entreprises de plus de 250 salariés. 85% des patrons d’organisations de plus de 500 salariés estimant par exemple que le digital « révolutionne les modalités de fonctionnement de leur entreprise » (voir les tableaux ci-dessous).

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Autre critère de différenciation, relevé cette fois par Limelight consulting dans son Baromètre des métiers de la communication publié fin 2015 : la pression concurrentielle exercée sur le marché considéré. En fonction de cette pression concurrentielle et de la maturité digitale de leur secteur, les entreprises se subdivisent en 3 groupes d’après les auteurs de l’étude : 1) d’une part, les entreprises qui ont déjà connu une rupture technologique importante sous la contrainte de la concurrence ou d’un marché en mutation. C’est souvent le propre des entreprises technologiques, pour lesquelles la transformation digitale est déjà bien engagée ; 2) d’autre part, les entreprises qui ont pris conscience d’elles mêmes de la nécessité de « digitaliser » leur activité et se sont engagées dans une transformation numérique certes tardive mais significative, comme L’Oréal par exemple ; 3) enfin, les entreprises qui n’ont pas encore connu la crise et dont le business model est le moins impacté par les ruptures technologiques : celles-ci sont souvent les plus en retard dans leur #TransfoNum, car aucune contrainte ne les incite objectivement à changer ni à innover…

A noter que même au sein des entreprises les plus dynamiques et les plus digitalisées, dont on peut constater qu’elles ont mis en place de réelles initiatives et avancé dans leur transformation, rares sont celles dont les dirigeants ou les salariés revendiquent avoir réussi leur #TransfoNum. Tout le monde est conscient « d’être sur le chemin » et d’avoir encore beaucoup à faire. Et dans les faits, des pans entiers d’activité et de nombreux chantiers y restent le plus souvent à lancer, comme le souligne très judicieusement Amaury Laurentin, directeur général associé de Limelight consulting. En effet, « peu d’entreprises aujourd’hui ont encore appréhendé ce que signifie être une entreprise digitalisée en termes de management, de leadership ou de contrat social. Pour la plupart, le digital est un plan stratégique, mais n’est pas ‘le’ plan stratégique »

Deuxième frein au changement : un déficit de vision stratégique et une transformation numérique encore faiblement coordonnée

Au-delà des questions de perception, sur lesquelles on voit que beaucoup de chemin reste à faire, hélas, dans beaucoup d’entreprises, la question des moyens et du « par où commencer » demeure également un des premiers chausse-trappe de la transformation.

Il faut dire que confronté à la variété des enjeux du numérique : adaptation des business models et des méthodes de travail, formation et mise à niveau des collaborateurs, recrutement de nouvelles compétences digitales, traitement et exploitation de la data, amélioration de l’expérience client, dématérialisation des circuits et flux de gestion, digitalisation de la communication, de la production et la diffusion de contenus, intégration des réseaux sociaux dans le fonctionnement de l’entreprise (entre autres)… de nombreux dirigeants s’estiment eux-mêmes « dépassés ». D’autant que l’enjeu et les objectifs semblent parfois hors de portée, puisqu’il s’agit en définitive de « concilier les attentes et comportements d’un consommateur agile et volage avec une culture d’entreprise souvent très conservatrice et des organisations internes toujours en silos » comme le résume judicieusement Amaury Laurentin.

Une minorité d’entreprises emploient des CDO. Dans ce contexte, les entreprises qui ont mis en place de véritables moyens et une organisation dédiée à la transformation s’avèrent encore minoritaires. Exemple : 38% seulement des organisations, tous secteurs confondus, reconnaissent aujourd’hui avoir nommé un Chief Digital Officer (CDO) pour piloter leurs démarches. Quand ils existent (le plus souvent dans les secteurs de la grande consommation, de la banque-assurance et de l’industrie-BTP en l’occurrence), ces CDO sont les plus souvent rattachés à une direction marketing (dans 39% des cas), parfois à la direction générale directement (dans 35% des cas) et plus rarement (dans 24% des cas tout de même) à des directions de la communication, malgré la vision et la portée très transversale des missions de ces dernières.

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Troisième frein au changement : des agences et partenaires souvent à la traîne ?

Tandis que la demande d’un véritable accompagnement n’a jamais été aussi forte de la part des entreprises, la réponse des agences de communication et autres cabinets conseils ne semble pas encore à la hauteur des attentes, si l’on en croit les résultats du Baromètre des métiers de la communication publiés par Limelight consulting…

Souvent confrontées elles-mêmes à ces problématiques de transformation digitale qu’elles sont sensées maîtriser pour le compte de leurs clients, « les agences restent souvent très classiques dans leur mode de fonctionnement » résume notamment Amaury Laurentin.

Alors que les enjeux de la transformation digitale, notamment en interne, sont parfois très sensibles au sein des entreprises (comme chez Air France, par exemple), on attend tout des agences sauf de se comporter en « généralistes et donneuses de leçons numériques » vis-à-vis de leurs clients. De fait, comme le pointe là encore Amaury Laurentin, « on n’a pas besoin de généralistes de la transformation mais d’acteurs ayant des méthodes pour aborder la transformation », ce qui est bien différent.

Moins crédibles en terme d’accompagnement global que les consultants, qui n’ont pas quant à eux l’enjeu du « faire », les agences de com’ et autres structures conseil auto-proclamées, présentent encore trop souvent des offres « complexes », « floues » et « jargonneuses » voire « pensées en dehors de la réalité des besoins » si l’on en croit les dirigeants et chefs de projets interrogés par Limelight consulting. « Aujourd’hui, les entreprises demandent en effet à être rassurées quant aux modes opératoires qui leur sont proposés, à leur efficacité et à la méthode mise en place, et si possible avec une approche contextualisée selon leurs besoins, voire sur-mesure » ajoute encore Amaury Laurentin.

Et c’est bien là que semble résider la principale zone de progrès pour la plupart des agences, même si certaines marques mentionnées par les annonceurs semblent ressortir du lot, comme Publicis, Marcel, Fred&Farid ou bien encore BETC, jugées à la fois plus attractives et surtout plus innovantes que leurs consoeurs selon cette étude…

Bref : on le voit, derrière les indéniables réussites de ces locomotives de la #TransfoNum que sont par exemple Burberry, Sephora ou Disney (toujours citées par les consultants ;), il reste pour la plupart des entreprises beaucoup de pain sur la planche et parfois même un véritable déclic à opérer pour que la prise de conscience débouche sur du concret, ce qui passe nécessairement et en premier lieu par une mobilisation sans faille de leurs dirigeants.

 

 

Notes et légendes :

(1) « 2016, année de la transformation » par Alain Delcayre, magazine Stratégies n°1841 – 7 janvier 2016

(2) Baromètre des métiers de la communication publié par l’institut Limelight consulting en décembre 2015 : cette étude s’appuie sur plus de 1 450 interviews d’annonceurs, avec une phase qualitative de 32 entretiens menée de juin à septembre 2015, suivie d’une phase quantitative durant laquelle ont été collectées les réponses de 1 444 personnes représentant 776 entreprises françaises.

(3) Baromètre Social des Entreprises réalisée par IPSOS et le CESI, en partenariat avec le Figaro : cette étude traite de la situation des entreprises, du moral des dirigeants et des employés, mais aussi de l’avancement et des perceptions concernant la transformation digitale. Elle a été menée auprès de 1 000 salariés du secteur privé et de 404 chefs d’entreprises au premier trimestre 2016 et les résultats en ont été publiés ce lundi 9 mai.

=> Pour plus de détail sur cette étude, voir ici le résumé des résultats ainsi que la présentation de synthèse réalisée par IPSOS, le CESI et le Figaro.

 

Crédit photos et illustrations : Deviant Art, IPSOS, Limelight consulting, X, DR

Education : la communication et l’enseignement des grandes écoles et universités en pleine transformation

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Il y a 15 jours, je vous faisais part dans un précédent article de quelques conseils concernant le branding des établissements d’enseignement supérieur. De fait, comme je le rappelais alors, cela fait une vingtaine d’années que la plupart des grandes écoles et universités ont véritablement commencé à capitaliser sur leur(s) marque(s) et à la/les valoriser dans le cadre de leurs stratégies de développement.

Mais, à bien y regarder, au-delà des considérations touchant les marques et le branding, l’évolution de la communication et du marketing des établissements a été plus impressionnante et plus rapide encore. En l’espace d’une décennie, et même du dernier lustre, l’enseignement supérieur s’est engagé résolument, quoiqu’avec des disparités et à des rythmes différents ici ou là bien sûr, dans un vaste mouvement de transformation, dont on aperçoit encore que les prémices.

Mobilisées par une concurrence soutenue et la globalisation du marché de l’éducation, les grandes écoles de management ne se sont pas seulement lancées dans de grands chantiers de fusion et des plans de développement international ambitieux. Elles ont aussi commencé à faire leur révolution numérique, rapidement suivies dans ce domaine par les écoles d’ingénieur puis les universités.

Et c’est tout sauf un hasard, si, parmi les principaux chantiers d’innovation identifiés récemment par les directrices et directeurs communication, tous types d’établissements confondus, plus de la moitié sont liés au digital : gestion de la transformation numérique, intégration des évolutions pédagogiques liées aux MOOCS et au e-learning, digitalisation de la promotion, renforcement des formations au digital dans les programmes… entre autres¹.

Pour aborder ces sujets passionnants, je me suis naturellement tourné vers ces experts reconnus que sont Jean-Michel Blanquer (Directeur général du groupe ESSEC), Frank Dormont (Directeur communication d’Audencia et pilote de la communication de l’alliance Centrale-Audencia-ensa Nantes) et Claire Laval-Jocteur (Directrice de la communication de l’université Pierre et Marie Curie et Présidente de l’Association des responsables communication de l’enseignement supérieur).

Merci encore à eux pour leur disponibilité et la richesse de nos échanges !

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The BrandNewsBlog : Tout d’abord Jean-Michel, au regard du contexte que j’évoquais à l’instant (concurrence accrue des établissements aux plans national et international, mondialisation de l’éducation…), quelle vous semble être la place de l’enseignement supérieur français dans ce marché de plus en plus globalisé qu’est devenue l’éducation ? Est-il vrai, comme le rappellent les médias à chaque publication d’un nouveau classement international, que nous souffrons encore de la comparaison aux institutions anglo-saxonnes, voire de la concurrence de puissances éducatives émergentes ? La France a-t-elle un rôle à jouer sur le grand marché éducatif de demain et à quelles conditions ? 

Jean-Michel Blanquer : Il est exact que la concurrence et la compétition sont les réalités  que connaissent aujourd’hui tous les établissements d’enseignement supérieur. C’est assez normal en réalité. Le mot même d’université suggère la notion d’universalité. Ce sont des institutions de savoir qui, par définition, sont en prise avec la science, donc l’universel. Mais elles doivent aussi articuler cet universel avec le particulier, c’est-à-dire le(s) territoire(s) où elles se trouvent. La mondialisation accentue cette réalité. Elle favorise la circulation des professeurs et des étudiants qui était déjà une réalité au Moyen-âge. Simplement, cette compétition est aussi une coopération, c’est pourquoi l’on parle parfois de « coopétition ». Car l’esprit de l’université, c’est aussi le rapprochement des savoirs et des hommes. C’est la nécessité de surcroît de s’associer pour faire avancer la recherche ou faire circuler les étudiants.

Un article de revue scientifique est ainsi souvent signé de chercheurs d’institutions différentes. Deux grandes écoles ou universités à travers le monde peuvent être en compétition dans un contexte et s’associer dans un autre. C’est donc un mode de concurrence assez particulier, un peu différent de celui des entreprises, d’autant plus que la plupart des grands acteurs de l’enseignement supérieur peuvent avoir des objectifs de nature économique mais sont à but non lucratif. Leur raison d’être n’est pas de réaliser un profit.

Dans ce contexte d’internationalisation accrue, la France a de multiples atouts. Je les ai exposés dans un article récent publié sur LinkedIn. Elle a une forte tradition d’accueil des étudiants étrangers. Elle a l’esprit pionnier en se plaçant en quatrième position des pays créant des campus à l’étranger. Elle a des points forts scientifiques qui sont des leviers d’avenir, à commencer par les mathématiques. Nos positions dans les classements en management et en ingéniérie sont très bonnes. Or, il s’agit de domaines clés pour l’économie du futur. Il y a aussi tous les atouts de la « French tech ». Enfin , nos sciences humaines et sociales restent rayonnantes même si nous avons perdu un peu de terrain en la matière. La francophonie, loin d’être quelque chose de marginal, est un atout considérable pour l’avenir. Et ne nous empêche pas d’être actifs dans les zones non francophones.

Si nous savons traiter nos faiblesses, par ailleurs bien réelles, comme la paupérisation d’une partie de l’université, la piètre qualité de la plupart de nos campus, nous pouvons être un acteur majeur de ce domaine clé pour le XXIème siècle.

The BrandNewsBlog : À l’heure où la différenciation semble être devenue le leitmotiv ultime pour la plupart des acteurs et des institutions, quelles sont selon vous les tendances de ce marché les plus porteuses pour les établissements français, grandes écoles et universités confondues ? Notre enseignement a-t-il une spécificité, voire une valeur ajoutée unique à faire valoir et défendre ? Et quels peuvent être le rôle et le poids du branding et de la communication dans cet objectif de différenciation ?

Jean-Michel Blanquer : Il y a un savoir faire français en matière d’enseignement supérieur que l’on ne sait pas suffisamment valoriser. Je pense en particulier à la relation théorie-pratique (le « learning by doing » recherché par toutes les institutions du monde). L’apprentissage dans l’enseignement supérieur a été inventé il y a vingt ans en France (à l’ESSEC d’ailleurs !). Il s’est généralisé et il a des vertus exceptionnelles que l’on retrouve peu ailleurs : financement des études, expérience, insertion, etc.

De façon plus générale, la pédagogie des grandes écoles françaises et des universités est un vecteur d’innovation important. Nous sommes connus pour notre cartésianisme. Nous le sommes aussi pour notre créativité. Mais cela doit être bien mis en valeur par les pouvoirs publics. Je pense que le travail de Campus France va dans le bon sens pour cela…

Il faudrait aussi une présence digitale beaucoup plus forte des institutions françaises et l’on pourrait imaginer une stratégie collective dans ce sens.

A l’ESSEC, nous avons pris ce virage fortement. Nous avons été classés récemment par exemple première école de management en Europe (ex æquo avec la Said Business School d’Oxford) de par notre influence sur twitter.

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The BrandNewsBlog : Je l’évoquais il y a 15 jours (voir ici mon précédent article à ce sujet), la plupart des écoles et universités semblent aujourd’hui avoir compris l’importance du branding et d’une stratégie de marque dans l’affirmation de leur identité et de leurs atouts. Préalable à toute communication réussie, la définition d’une plateforme de marque est une étape à la fois éclairante et essentielle de ce travail. Claire, vous qui avez justement mené une telle réflexion il y a 5 ans pour l’Université Pierre-et-Marie Curie, pourriez-vous nous dire en quoi elle a consisté et quels bénéfices cela vous a apporté ? 

Claire Laval-Jocteur : L’idée de cette plateforme de marque était d’explorer l’image, la perception et le ressenti de l’UPMC auprès de sa communauté et notamment auprès de toutes les personnes en charge de son orientation stratégique, pour construire une image de l’UPMC unifiée et conforme à sa « nature » et à ses modes de fonctionnement.

Cette plateforme a finalement permis de bien asseoir l’identité de l’université et de construire sa posture d’aujourd’hui et de demain pour une communication, non pas « hors sol », mais pleinement enracinée. Concrètement, le travail a été réalisé autour de 3 axes :

–  les racines  et les potentiels de  l’UPMC : depuis les projections jusqu’à la mémoire de l’université, quels étaient  les piliers de son histoire et ses sources de légitimité ?

– la mission de l’UPMC : quelle était la raison d’être de cette entité, comment fédérait-elle ses membres ?

les spécificités et différences de l’UPMC : quelles étaient les ressources uniques, inaliénables et non copiables de l’université, dans sa démarche, sa nature, ses projets, etc ? Quelles étaient ses valeurs ? Et le fameux esprit UPMC, en quoi consistait-il ?

Ces questions et cette méthodologie ont constitué pour nous un fondement précieux pour bâtir dans un second temps la stratégie de communication de l’université, créer les messages-clés et déterminer la signature la plus adaptée à l’identité de l’université. En l’occurrence, la plus ambitieuse, celle qui représentait le mieux nos missions fut : « Créateurs de futurs »…

The BrandNewsBlog : Entre une université de province solidement implantée dans son écosystème local, une école d’ingénieurs au rayonnement national et une grande école de management multi-campus à la notoriété mondiale, on imagine bien que le travail quotidien et les moyens des communicants ne sont pas exactement les mêmes… Néanmoins, eût égard au statut particulier des établissements et aux missions qui les différencient d’autres types d’organisations (entreprises, administrations…), pourriez-vous nous rappeler quels sont les enjeux de communication communs à tout établissement ? Et quelles sont les spécificités du métier de communicant dans l’enseignement supérieur ?

Claire Laval-Jocteur : A l’Arces², nous menons un Observatoire des métiers de la communication depuis 10 ans maintenant. Voici quelques-uns des enseignements… Tout d’abord, pour ce qui est du profil type, on peut rappeler que le communicant dans l’enseignement supérieur est d’abord une communicante  (83 % sont des femmes) de 40 ans qui exerce (à 81%) des fonctions de communication depuis plus de 6 ans. Ce sont des professionnels de plus en plus formés à la communication, avec des niveaux de diplôme de plus en plus élevés (88% ont un bac +4/5), y compris quand on compare avec les collectivités ou les entreprises.

Le communicant de l’enseignement supérieur travaille sur 3 axes :

  • Il construit et développe l’image de son établissement : 89%
  • Il est chargé de fédérer sa communauté et créer du sentiment d’appartenance : 65%
  • Enfin, il doit permettre de recruter les meilleurs étudiants : 59%

La dernière enquête menée en 2015, a fait ressortir plusieurs phénomènes :

– la montée en puissance du digital : à tous les niveaux du quotidien, il a révolutionné nos métiers et les outils de communication (sans pour autant faire disparaître les outils classiques !). A ce titre, 87% des personnes interrogées, quelle que soit leur fonction, déclarent consacrer entre 1 et 10 heures par semaine aux réseaux sociaux de leur établissement.

– la fonction communication est de plus en plus intégrée dans les établissements : il y a une prise de conscience  que cette fonction est stratégique : dans 80% des cas, elle fait partie intégrante de la stratégie de l’établissement. Quand on demande aux communicants s’ils font partie du comité de direction, ils répondent oui à 56 %… soit une progression de 10 points en 10 ans.

enfin, le poids des rankings, qui deviennent un objectif prioritaire des établissements, et constituent la 5ème priorité des communicants, avant même la relation avec les diplômés ou la recherche de financement.

Frank Dormont : J’ajoute, à mon humble avis, que le métier de Dircom de l’enseignement supérieur est bien plus compliqué que celui de dircom d’une entreprise du CAC 40, car les cibles internes et externes sont multiples et le calibrage des messages n’en est que plus complexe… et passionnant (venant du monde de l’entreprise, je mesure ce « gap » tous les jours !).

Je parlerai surtout, quant à moi, de l’évolution des services de communication, car la complexité de notre métier de communicants exige un travail d’équipe.

En effet, nos écoles deviennent devenant de véritables médias, la direction de la communication s’impose désormais comme une direction stratégique qui participe à la définition et à la mise en œuvre de la stratégie globale de nos institutions, afin de mettre en cohérence le positionnement, l’identité de marque, les messages et les cibles au service d’une communauté de parties prenantes et du grand public. Véritable colonne vertébrale de la stratégie de développement de nos écoles, la communication doit coller à l’image perçue par nos  « clients » et parties prenantes, tout en conservant un temps d’avance.

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Direction transverse, support de toutes les autres directions mais également des programmes, la communication est dorénavant structurée et pilotée par des experts aguerris, tant pour l’externe que pour l’interne. Je tiens à ce propos à souligner que l’interne reste, particulièrement dans l’environnement de l’enseignement supérieur, un atout fondamental pour la communication via le partage des valeurs communes qui permet aux personnels et aux enseignants chercheurs de devenir de véritables ambassadeurs de la marque. Notre mission est de les informer et de les mobiliser pour les rendre fiers d’appartenir à l’institution qui les emploie. C’est un prérequis à l’innovation.

Le marché de l’enseignement supérieur subit actuellement une profonde mutation au niveau local, national et international. En effet,  nous sommes aujourd’hui devenus de véritables entreprises, avec leurs clients – les étudiants – dans un secteur très concurrentiel. Le dernier classement SIGEM, la baisse considérable des subventions publiques et la réforme de la taxe d’apprentissage ne font que renforcer ces tendances, nous imposant d’être à la fois REACTIFS, AGILES, COHERENTS et PERTINENTS, tout en innovant sans cesse.

Dans ce contexte, la politique de marque mise en œuvre dans nos établissements, fondée sur une identité forte, sur nos valeurs et sur l’offre de formation, est le prérequis à toutes les actions que nous menons et un puissant levier de différenciation et de développement. Nous sommes en effet emportés dans la course de la mondialisation avec quasiment 40 années de retard par rapport aux écoles et universités étrangères telles que Wharton, Harvard ou le MIT et cependant nous devons absolument continuer à faire rayonner nos territoires locaux d’appartenance.

Ainsi, lorsque nous commercialisons un programme sous notre marque, nous devenons le véritable levier stratégique de la différenciation et du développement de nos institutions. Dans un contexte de concurrence de plus en plus exacerbé, la montée en puissance des services de la communication dans les écoles, l’évolution nécessaire des budgets et du nombre de personnes employées, nous permettent – une fois encore – d’augmenter la visibilité et l’attractivité de nos établissements afin de recruter davantage de bons étudiants mais également d’attirer les meilleurs enseignants-chercheurs dans chaque domaine d’expertise.

Nous continuons d’utiliser les outils habituels de la communication : Internet, les salons, les forums et les journées portes ouvertes (qui reprennent de la vigueur), les relations presse, les brochures, les mailings et le référencement sur la toile… mais nous avons pris conscience de l’importance des réseaux des alumni, devenus de véritables formidables atouts de communication et de croissance. Ils constituent le cœur de ces communautés d’écoles en plein développement et les garants de l’excellence de nos institutions.

The BrandNewsBlog : Dans un passionnant Livre blanc publié récemment au sujet de la communication des établissements¹, les intervenants insistent notamment sur la grande multiplicité des cibles à adresser (parents, étudiants, alumni, partenaires, entreprises…) et sur la complexité du brand management quand il s’agit de promouvoir plusieurs marques à la fois. Vous mêmes, Franck, êtes à la fois directeur de la communication d’Audencia et pilote de la communication d’une alliance d’écoles³. Pourriez-vous nous en dire davantage sur cette contrainte de communication que représente la gestion multi-marque ? Et en quoi, le cas échéant, le digital l’accentue / l’atténue ?

Frank Dormont : l’Ensa Nantes, Centrale Nantes et Audencia Business School n’ont pas les mêmes objetifs en matière de communication. Le calibrage de nos messages et les outils déployés sont totalement différents. Cependant, dans le cadre de l’hybridation des compétences, pour préparer nos étudiants aux métiers de demain – dont 60 % n’existent pas aujourd’hui – nous nous devons de faire émerger, ensemble, des axes de communication totalement différenciateurs.

Au travers de la communication de l’Alliance, nous nous efforçons de développer une nouvelle façon de travailler, à la fois informative et fondée sur la substance de nos trois entités. Dans son identité visuelle, l’Alliance reprend les trois logos des écoles pour créer une fluidité dans une communication où chacun s’approprie des outils partagés. Parce qu’Audencia possède une plus grande maturité et y dédie des moyens plus importants, c’est notre direction de la communication qui pilote l’ensemble, en coopération et en totale transparence avec les deux autres Dircom.

Ainsi, l’Alliance vient cosigner des actions communes comme notre incubateur. Nous avons inclus beaucoup de contenus dans l’Alliance, sans « brutaliser » aucune des marques, en préférant mettre en avant un bloc signature plutôt qu’une marque porte-drapeau créée ex-nihilo et qui aurait, dans un premier temps, pu égarer les publics. Les sites Internet et Intranet de l’Alliance mettent en avant nos valeurs et réalisations. Demain, un candidat sera d’abord attiré par les parcours communs que l’Alliance permet de développer et par son rayonnement. Pour autant, cela n’enlève rien à l’ADN des institutions dont les marques écoles sont très fortes.

Les candidats savent ce que le groupe Audencia et l’Alliance peuvent leur apporter et choisissent le programme qui leur convient le mieux. Le programme Grande École d’Audencia Business School reste bien entendu le programme « phare » pour Audencia, comme le diplôme d’ingénieur ou d’architecte le sont pour nos deux partenaires. SciencesCom et l’EAC proposent aujourd’hui des bachelors / cycles master estampillés Audencia Group. Ceux qui y postulent sont attirés par le rayonnement de l’établissement, la qualité des parcours de formation autant que par les publications qui permettent de prouver la valeur de l’institution. Et je ne m’interdis pas, dans un avenir (très) proche, de rassembler nos écoles Audencia Group sous une seule et même marque ombrelle Audencia Business School, afin de leur faire bénéficier de la puissance de la marque Audencia.

The BrandNewsBlog : En tant que dircoms de chacun de vos établissements, vous avez assisté, Claire et Frank, à l’avènement de cette fameuse « révolution numérique » qui a touché en premier lieu ou presque le secteur de la communication. Quelles sont selon vous les grandes caractéristiques de cette révolution et leurs conséquences, en termes d’usages et de comportements, de la part de chacune des parties prenantes de vos établissements ? Quels sont les évolutions qui en découlent dans vos métiers et vos pratiques de communicants ?

Claire Laval-Jocteur : La transformation digitale touche tout le monde et à une vitesse incroyable. Cela induit des changements de paradigmes de différentes natures pour nous communicants : cela modifie l’approche managériale de nos équipes et le rapport avec nos publics ; cela impacte nos processus de production éditoriale, car il convient  de nourrir en permanence nos cibles en proposant des contenus qualitatifs. On « pushe » l’information vers nos publics et non plus l’inverse. Enfin, nous devons appréhender de nouveaux outils/médias très très rapidement. Le temps est accéléré, on se doit d’être réactifs, ce qui n’est pas sans poser des difficultés dans des structures universitaires où le rapport au temps est plus long et où les circuits de validation peuvent être parfois complexes.

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La transmission des savoirs, le recrutement d’étudiants, l’attractivité des écoles et des universités passe de plus en plus par le digital… et l’ensemble de nos communautés doit être formé et s’en emparer. C’est un nouveau rapport au monde et à autrui.

Frank Dormont : De fait, on constate que le web 2.0 a en quelque sorte « sanctifié » la communication naturelle et l’on mesure depuis une petite dizaine d’années l’importance croissante de la communication digitale en termes d’appui et de complémentarité. Cette communication digitale prend en compte l’ensemble des modes d’expression interactifs depuis la communication naturelle jusqu’à l’innovation physico-numérique. La communication doit dorénavant gérer tous les points de contacts de la marque off-line comme online et préparer l’avenir face à la montée des pure players et à l’« ubérisation », qui guette chacun de nos établissements.

Dans ce monde où le virtuel et le réel se confondent, où les pratiques, les habitudes et le rapport de chacun au travail sont révolutionnés, nous devenons de véritables créateurs de contenus (brand content) dans une culture de l’interaction, du partage et de la prise de parole. Les équipes des services communication sont les acteurs de ce changement de paradigme et doivent sans cesse penser multicanal, concevoir des contenus adaptés et diversifiés, basés sur des preuves. Nous devons « promouvoir » nos programmes, sans les survendre, tout en restant les garants de la stabilité des messages et de la réputation de nos établissements.

Les nouvelles expertises que nous développons, soit dans le modèle « brand newsroom » (logique média/canal/contenus), soit dans le modèle plus traditionnel et transverse de « guichet de communication» (logique servicielle de fonction support aux directions de l’entité), doivent nous permettre d’évoluer rapidement vers un modèle basé sur la gestion des « priorités parties prenantes » (modèle d’influence orienté vers les cibles de nos institutions). Nous devrons nous organiser par public cible, définir une stratégie par sujet et désigner un expert par thématique, même si nous tendons souvent vers un modèle mixte qui agrège plus ou moins l’ensemble des trois modèles décrits ci-dessus. Il s’agit là de concilier la tradition et les conventions, tout en préservant la valeur des accréditations et des classements, bien que la légitimité de certains reste discutable tant par la méthodologie adoptée que par l’impact  de l’engagement personnel de celui ou celle qui les pilote.

En tant que dircom, nous sommes souvent les instigateurs des évolutions numériques et de l’innovation et nous avons la charge et la mission d’accompagner tous les collaborateurs vers ce degré de maturité physico-numérique. En procédant ainsi, nous continuerons de développer une forte création de valeur au sein de nos institutions.

The BrandNewsBlog : Lancements et animation de blogs, développement d’une présence active sur les réseaux sociaux « grands publics » et professionnels, recours de plus en plus récurrent à la vidéo, refonte éditoriale et technique des sites web, pour mettre en avant les contenus et s’adapter aux contraintes de la navigation mobile (responsive design)… la « digitalisation » de la com’ est allée bon train dans l’enseignement supérieur, exigeant sans cesse davantage de moyens et de ressources (que n’ont pas toujours les établissements). Quels sont les principaux enjeux de ces investissements et comment y répondez-vous, en termes d’organisation et de répartition des tâches au sein de vos services ?

Frank Dormont : Comme toute la société, et encore plus rapidement face à un public plus jeune, la communication des établissements d’enseignement supérieur devient de plus en plus digitale et le rôle du « dircom » s’en trouve totalement bouleversé. Pour conduire le changement, c’est donc le plus souvent sur la direction de la communication que s’appuient les écoles.

Les investissements sont importants car au-delà du digital, les réseaux sociaux ont sans contexte représenté le plus grand bouleversement de ces dernières années sur le front de la communication, en donnant à tout instant la parole à tous. Et particulièrement aux plus jeunes ! Les réseaux sociaux ont changé la donne et sont aujourd’hui le meilleur vecteur pour parler aux étudiants, notamment aux ingénieurs. C’est pour cette raison qu’Audencia a fait le choix depuis 3 ans de développer un véritable pôle DIGITAL au sein de son service de communication.

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En qualité d’institut de formation, nous avons tout d’abord commencé par former les 280 salariés du Groupe au digital. Pour que « tout le monde soit plus agile » et que chacun utilise les outils digitaux, mieux vaut bien les y préparer. Depuis, ceux qui twittent pensent bien à le faire avec le @Audencia et le #Audencia.

Mais gérer + de 100 contributeurs actifs n’a rien de facile. Cela nous est arrivé de demander à un contributeur d’enlever un tweet qui était prématuré. Car qui dit réseaux sociaux, dit aussi instantanéité et réactivité. Une saute d’humeur peut se transformer en crise et il faut savoir réagir très vite face à des étudiants aguerris qui savent communiquer dans l’instant et n’ont pas peur d’interpeller les responsables présents sur Twitter ou ailleurs. J’insiste sur la nécessité de « réassurer » et de « remettre dans le cadre » : en effet, alumni et étudiants s’autogèrent plutôt bien sur les réseaux et ils sont capables de rétablir les choses à leur juste valeur si nécessaire, car ils sont fiers de leur école. Mais comme tout process de communication, il y a des règles et un process à respecter néanmoins.

Mon responsable digital, Emmanuel Pierson,  est entouré d’une équipe de trois personnes et emploie un community manager à plein temps depuis plus de deux ans. Aujourd’hui, nous souhaitons aller plus loin et solliciter davantage d’engagement de toute la structure, depuis les étudiants jusqu’aux alumni, pour assurer notre présence constante sur les réseaux sociaux.

Claire Laval-Jocteur : Comme je l’ai évoqué plus haut, toutes nos équipes doivent être formées et s’emparer de ces nouveaux outils. A l’UPMC, nous venons de recruter un animateur de communautés digitales, pour donner une cohérence, former, canalyser, veiller… car ces outils et leur utilisation doivent s’inscrire dans une réelle stratégie, avec une ligne éditoriale précise, suivie, engagée : que veut-on dire, à qui et quand ? Sur quel ton, et par quel réseau ? 

Le temps de la communication verticale devient obsolète. Le message conçu et diffusé à un moment précis pour un public précis, devient de plus en plus compliqué à maîtriser. C’est toute l’organisation et la stratégie de communication qui doivent s’adapter : les directeurs de communication font face à des publics qui savent – ou qui peuvent en savoir – plus qu’eux en un instant.

The BrandNewsBlog : Disposant de sa propre école de communication (Sciences Com) et actionnaire d’une télé locale (Télé Nantes), qu’il héberge dans ses locaux, Audencia Group est assez précurseur dans l’intégration média-contenus et bénéficie d’une véritable force de frappe en matière vidéo notamment. Comment utilisez vous ce média spécifique et comment exploitez-vous par ailleurs les ressources relativement importantes dont vous disposez pour la communication ? Les résultats sont-ils probants, en termes de visibilité et d’attractivité, pour capter notamment de bons étudiants et les meilleurs enseignants chercheurs ?

Frank Dormont : Effectivement, Audencia est le seul groupe de l’ESR actionnaire d’une télévision et membre de droit du CA. Nous venons d’ailleurs de nous associer avec la CCI Nantes St-Nazaire et Télénantes pour porter le projet super innovant du Médiacampus. L’ambition est de créer un lieu unique et fédérateur au sein du Quartier de la création à Nantes, qui regroupera un établissement d’enseignement supérieur (SciencesCom d’Audencia Group), un média (Télénantes télé et radio) et un plateau tertiaire.

L’ouverture du Médiacampus est prévue au printemps 2017.  Ce sera un point unique en France et en Europe de convergence dans les domaines de la culture et de la création  ! Ce projet a pour ambition de devenir un lieu emblématique et fédérateur, rassemblant plusieurs acteurs de l’économie, de la communication et des médias.

L’une des premières réalisations concrètes sera la création d’un partenariat avec d’autres établissements d’enseignement supérieur et de recherche, dont l’Université de Nantes, d’un laboratoire de recherche incitant à l’innovation et à la collaboration entre les différents acteurs de la profession (formation, information, journalisme, études, publicité, communication, télécoms…).

Le Médiacampus sera situé au cœur du Quartier de la création de l’île de Nantes, site en pleine mutation et forte recomposition urbaine. À la croisée d’une politique culturelle volontariste menée depuis 20 ans et d’un projet urbain ambitieux sur l’île de Nantes, le Quartier de la création fait émerger un pôle d’excellence dans le domaine des industries culturelles et créatives.

Le bâtiment rejoindra ainsi l’ensemble des projets architecturaux qui ont donné un nouveau souffle et un nouveau visage au patrimoine industriel de l’île de Nantes : l’École Nationale Supérieure d’Architecture, la Galerie des machines, la Fabrique, le Centre commercial Beaulieu, l’École des Beaux-Arts, etc. Véritable carrefour de formation et d’échanges, le Médiacampus vise à intégrer des acteurs variés autour d’un socle composé de SciencesCom et de Télénantes.

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Les professionnels en devenir que sont les étudiants de SciencesCom pourront s’exercer à leur futur métier dans des conditions exceptionnelles, tandis que Télénantes bénéficiera du regard neuf de la nouvelle génération. Cette coopération est également source de création de nouveaux objets médiatiques pour la pédagogie. Ainsi, apprentissage, partage, expérimentation, recherche, incubation, figurent au cœur de cette collaboration jusqu’alors unique entre une école et une télévision.

The BrandNewsBlog : Mobilisation des étudiants et des alumni autour des valeurs, des projets et de la marque de l’établissement, recrutement et fidélisation (notamment via les réseaux sociaux) de relais susceptibles de faire sa promotion à l’étranger, incitation des partenaires et des anciens à participer aux campagnes de fundraising… la notoriété d’un établissement, le dynamisme de ses réseaux d’anciens et la richesse de sa fondation constituent en quelque sorte le triptyque de sa réussite. Dans cette optique, quelle est votre stratégie et quelles actions menez-vous pour inciter vos étudiants, alumni et partenaires à devenir de véritables ambassadeurs de vos établissements ? 

Claire Laval-Jocteur : La question des alumni est très récente à l’université, depuis la création des Fondations. Récemment, nous avons mené une campagne de crowdfunding qui a très bien marché et nous avons bien sûr utilisé les réseaux sociaux entre autres. La mobilisation a été très forte car le sujet était parfaitement connecté au réel, aux enjeux sociétaux et que la personne qui a porté cette opération est un chercheur charismatique, véritable ambassadeur des recherches sur le climat menées au cœur de l’établissement. La communication autour du projet a joué un rôle crucial, tout comme les réseaux.

Frank Dormont : Un établissement reconnu, une association d’anciens dynamique, une riche fondation engagée, tel est aujourd’hui le triptyque de la réussite d’un établissement d’enseignement supérieur. La gestion des associations d’anciens et des fondations, toutes deux plus ou moins indépendantes de l’établissement d’enseignement supérieur dont elles sont l’émanation, fait aujourd’hui partie des enjeux de communication majeurs.

La richesse d’une école, c’est avant tout, en effet, son réseau d’alumni. Et comme le dit si bien la présidente des alumni Audencia, Estelle Marie, « Audencia Alumni joue un rôle capital de ‘service client’ qui, bien rempli, nous garantit les meilleurs ambassadeurs au monde pour défendre et faire rayonner notre école ».

En effet, depuis 2014, le déploiement des communautés de bénévoles impliqués par région, pays, club, programme, promotion, entreprise est en vitesse de croisière. Force de proposition et initiateur de projets, ce réseau étendu et mobilisé permet le rayonnement mondial de l’école. À titre d’exemple, notre Volunteer Academy,  dispositif d’animation des bénévoles, les accompagne au moyen d’une lettre d’information bimensuelle et d’évènements dédiés.

Il est vrai que les anciens diplômés se sentent un peu propriétaires de la marque de l’établissement qui les a formés. Pour les établissements d’enseignement supérieur, c’est à la fois une chance formidable de posséder un réseau puissant de professionnels (surtout quand ils ont bien réussi !), réseau qui a tout intérêt à promouvoir sa marque école. Mais cela peut représenter également un frein, quand il faut faire évoluer la stratégie – donc la communication – et que les alumni n’y adhèrent pas… Dans tous les cas, il faut travailler cette relation singulière et coopérer en étant totalement transparents.

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Si, aux États-Unis, la recette qui amène tout naturellement les alumni au fund raising est bien connue, il s’agit d’un réflexe beaucoup moins naturel et encore peu répandu en France. Pour développer ce fund raising, Audencia en a fait un axe de son plan stratégique (Audencia 2020). Il est vrai que le montant des dons collectés par les fondations d’X et HEC a de quoi faire rêver toutes les institutions d’enseignement supérieur. Surtout si elles imaginent un jour pouvoir se comparer aux grandes institutions américaines, comme Stanford qui, pour la première fois en 2012, a dépassé le milliard d’euros de dons ! Mais force est de constater que la générosité des anciens, hormis les deux grands exemples cités précédemment, est encore loin d’être équivalente en France.

Dans tous les cas, les associations d’alumni constituent de véritables « communautés » d’anciens qui se mobilisent autour de valeurs communes et, souvent, de la volonté affichée de rendre aux plus jeunes une partie de la réussite qu’ils doivent à leur école. Les anciens d’HEC, par exemple, sont très mobilisés par la délivrance de bourses, qui couvrent intégralement les frais de scolarité des plus modestes.

Cette réussite dans l’implication des anciens est aussi le fruit d’un travail de sensibilisation et de communication, que nous avons entrepris de mettre en place à Audencia avec le pôle Alumni.

The BrandNewsBlog : Vis-à-vis de vos différents publics, les chercheurs et professeurs de vos établissements s’avèrent souvent eux aussi de bons, voire les meilleurs ambassadeurs de vos marques. Comment les encouragez-vous à prendre la parole ou les accompagnez-vous, notamment sur les réseaux sociaux ? Leur participation se fait-elle de manière spontanée ou faut-il l’encourager / l’encadrer ?

Frank Dormont : Les professeurs et les chercheurs sont les moteurs de l’innovation pédagogique et ce principe est d’ailleurs profondément ancré dans l’ADN d’Audencia. Il nous revient la mission de leur donner de la visibilité et de faciliter l’accès à ces ressources d’information. C’est notamment dans cette optique que nous encourageons, formons et aidons nos chercheurs à divulguer et vulgariser leurs travaux de recherche, illustrant ainsi mon propos liminaire qui fait d’Audencia dorénavant un véritable média.

Nous avons également créé les cahiers de la recherche et de l’innovation en format digital et papier, à destination de nos publics cibles et de nos parties prenantes.

Claire Laval-Jocteur : En ce qui nous concerne, nous venons de recruter un animateur de communautés digitales. Tout est à faire ! La tâche est passionnante ! Sa mission va donc consister à créer et fédérer les communautés (étudiants, personnels, alumni…) sur les réseaux sociaux et les différentes plateformes : en organisant de manière cohérente et articulée l’animation des réseaux UPMC (Facebook, Twitter, YouTube, LinkedIn, Instagram…), en impulsant et coordonnant, avec rigueur, l’ensemble des informations des directions et services de l’UPMC, pour les mettre à disposition sur les supports existants ou à venir.

The BrandNewsBlog : A l’heure de la mondialisation de l’éducation et de cette concurrence internationale exacerbée que j’évoquais en introduction, on sait l’importance des classements sur l’image et la réputation des écoles. En particulier des classements internationaux (rankings du Financial Times pour les business schools, classement de Shanghai pour les universités et écoles d’ingénieur…). Comment travaillez-vous à l’amélioration de ces classements et quels sont les autres leviers et indicateurs à surveiller en termes de réputation ? J’ai notamment découvert avec effarement que certaines écoles incitaient, voire alimentaient leurs étudiants pour créer des bad buzz et déstabiliser leur concurrentes… Ces pratiques sont-elles monnaie courante ?

Jean-Michel Blanquer : Les classements sont importants dans le monde d’aujourd’hui, pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur, car ils sont un facteur d’émulation et ils créent des éléments de comparaison accessibles à tous. Pour le pire, car ils peuvent être vecteurs de standardisation voire d’artificialisation.

J’ai intégré la question des classements dans ma stratégie pour l’ESSEC en prenant en compte les critères les plus importants qui me semblaient pertinents pour l’école (par exemple, en matière de publication ou d’internationalisation) et en les intégrant dans les objectifs précis de notre stratégie. De cette manière, nous ne les vivons pas comme une contrainte ex post mais comme un stimulant ex ante. Au total, cela nous permet de bien vivre avec, dans un esprit de fair play.

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Les pratiques de concurrence déloyale que vous évoquez sont inacceptables et devraient être sanctionnées quand elles existent. Elles sont évidemment impensables dans mon établissement… Ceux qui pratiquent cela se disqualifient et sont en dehors de l’esprit académique selon moi. Ceci étant, je ne crois pas que ce soit « monnaie courante ». Dans le domaine académique comme en sport, le « fair play » est en effet la meilleure stratégie et la meilleure philosophie.

Frank Dormont : Les seuls ranking fiables, avec une méthodologie irréprochable, sont à mon avis le classement du Financial Times et le classement SIGEM, dans lequel Audencia est reconnue comme la sixième école de management française depuis plus de 15 ans. Pour les autres classements, la stratégie n’est souvent pas prise en ligne de compte. Par exemple, Audencia n’a pas fusionné et donc reste relativement petite par rapport à ses consœurs. C’est un choix qui nous pénalise dans les classements (en termes de taille, de budget, de nombre d’étudiants…). Pour l’international, nous n’avons pas vocation à emmener des centaines de jeunes sur un lieu dédié à l’étranger. Nous préférons le sur mesure, mais nous déployons des campus à l’international pour former les jeunes asiatiques en Asie et prochainement les jeunes africains en Afrique… Mais tout cela n’entre pas en ligne de compte dans les critères des classements.

Notre Alliance, fondée sur l’hybridation des compétences, qui est la stratégie gagnante pour former les jeunes de demain aux futurs métiers, ne rentre pas non plus dans les critères des classements car c’est nouveau pour la France (alors que le MIT existe depuis des dizaines d’années aux USA)…

Dans une optique d’amélioration continue, nous venons de mettre en place une task force afin de conserver notre place dans les classements. Et bien évidemment nous surveillons par une veille active sur les réseaux sociaux et par une revue de presse journalière (depuis trois ans) tout ce qui se dit et se fait sur le marché de l’ESR.

En ce qui concerne la concurrence, il est hélas notoire que certaines écoles, plutôt que de proposer de vraies innovation et de viser le long terme, mandatent des étudiants ou des entrepreneurs pour créer du bad buzz sur la toile ; d’autres vont jusqu’à fournir à des tiers des éléments de langage agressifs et surtout non fondés,  qui sont colportés notamment lors de la périodes des admissibilités… Ces agissements sont fort dommageables pour toute la filière et c’est oublier que c’est ensemble que les écoles de la CGE seront plus fortes face à la mondialisation. J’ai d’ailleurs proposé la mise en place d’une charte d’éthique entre les écoles du haut du tableau, pour lutter contre ce genre de phénomènes.

The BrandNewsBlog : Bien sûr, la transformation digitale des établissements ne le limite pas à la communication. Le contenu des programmes, les enseignements et l’organisation même des grandes écoles et universités sont fortement  impacts par les nouvelles technologies : développement des MOOCS, dématérialisation de l’éducation, formation des étudiants, des enseignants et des personnels administratifs… Quels sont les principaux enjeux et quelles initiatives marquantes mettez-vous en place à l’ESSEC pour y répondre, Jean-Michel ? 

Jean-Michel Blanquer : Nous avons développé ce que nous avons appelé la « bibliothèque du XXIème siècle », également baptisée « knowledge center ». Depuis qu’il y a des institutions académiques dans le monde, la bibliothèque est l’institution centrale, en tant que matrice de connaissance et lieu de consultation. Cela doit rester le cas aujourd’hui en tenant compte des révolutions digitales qui viennent ajouter des possibilités et des fonctions à ce lieu central. C’est ainsi que notre knowledge lab est devenu une véritable « fabrique à MOOCS », car nous avons des processus et un équipement qui permet de développer efficacement des films de grande qualité. Nos étudiants doivent aussi être formés aux enjeux des révolutions digitales : enseignement en ligne, 3D, réseaux sociaux, big data, etc.

Nous avons pris plusieurs initiatives dans ce sens notamment dans le cadre de notre chaire « digital analytics » avec Accenture.

Nous avons aussi fait évoluer certains processus pédagogiques. Par exemple, avec « Imagine ton cours », nous rapprochons recherche et enseignement : des professeurs viennent exposer leurs recherches devant les étudiants. Ceux-ci réagissent par petits groupes en formulant les idées et désirs de cours que cela suscite chez eux. Les professeurs viennent ensuite écouter cela et élaborent des projets de cours correspondant à ces attentes. Les étudiants votent ensuite pour ces projets. Les projets retenus deviennent ainsi des cours de l’Essec, présentiels ou en ligne.

C’est un exemple parmi d’autres d’évolutions qui accroissent l’implication des étudiants dans les enjeux de développement de leurs savoirs et de construction de leur avenir.

The BrandNewsBlog : Dans ce raz-de-marée et ce changement de paradigme que représente la révolution numérique, y-a-t’il un réel risque d’ubérisation du modèle éducatif traditionnel tel que nous le connaissons ? Capitaliser sur la marque des établissements et une stratégie de marque cohérente et offensive n’est-il pas d’autant plus important dans un tel contexte ?

Jean-Michel Blanquer : Nous allons assister (nous y sommes déjà !) à une transformation mais pas à une disparition des universités. Je ne crois pas du tout à cette disparition car je pense, tout au contraire, que plus il y a digitalisation plus on a besoin de lieux physiques pour l’échange et la vie collective.  A l’ESSEC, notre marque de fabrique c’est « l’esprit pionnier », car nous associons les principes d’innovation aux valeurs de l’humanisme. Ceci est compris et intégré profondément par nos étudiants et par tous ceux qui veulent nous rejoindre dans le monde. Je pense que l’université sera dans le futur, plus que jamais, l’institution centrale de la vie politique, économique et sociale. Dans un monde de plus en plus technologique, c’est elle qui peut permettre de réaliser l’objectif difficile de le rendre quand même de plus en plus humain.

 

 

Notes et légendes :

(1) Source : Livre blanc « La communication dans les établissements d’enseignement supérieur » réalisé par Audencia, en partenariat avec le pôle communication et la Conférence des Grandes Ecoles.

(2) l’ARCES est l’Association des Responsables de Communication de l’Enseignement Supérieur. Comptant près de 500 adhérents, cette association créée en 1985 rassemble la grande majorité des responsables de communication des grandes écoles et universités, selon la répartition suivante : 40% d’universités, 38% d’écoles d’ingénieurs, 7% d’écoles de commerce et 15% d’autres établissements de l’enseignement supérieur + 14 membres associés. 

(3) L’Alliance est l’association constituée par les trois grandes écoles de Nantes : Ecole Centrale de Nantes, Ensa Nantes et Audencia Business School dans le but principal de promouvoir l’enseignement supérieur, la formation et la recherche proposés par ces trois établissements et de gérer des synergies et projets de développement communs.

 

Crédits photos et illustrations : ESSEC, UPMC, Audencia, Laurent Ardhuin, 123RF, TheBrandNewsBlog, X, DR, 

 

 

 

Quelle organisation pour les services com’ à l’heure de la transformation digitale ?

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En voilà une intéressante question ! Et qui turlupine tant de directrices et de directeurs communication en ce moment…

Il faut dire – et cela ne vous aura pas échappé – que la fonction com’ est en pleine mutation depuis la révolution numérique et le développement du web 2.0. Et il ne se passe pas une semaine sans qu’on lise ici ou là quelque brillant article résumant les nouveaux défis auxquels sont confrontés les communicants (voir ci-dessous¹ ma sélection 2015 des must read sur le sujet).

Petit rafraîchissement de mémoire pour ceux à qui cela aurait échappé : d’une posture conventionnelle d’émetteurs et de « contrôleurs » des messages de l’entreprise, les pros de la com’ ont vu leur rôle évoluer pour devenir à la fois intégrateurs de compétences, chefs d’orchestre, conseillers image de leurs dirigeants et de leurs clients internes, vigies et généraux ès-réputation et stratégies d’influence, experts en accompagnement de la transformation digitale… entre autres.

Une montée en responsabilités et en grade qui s’est accompagnée pour beaucoup de dircom (mais pas tous/toutes) d’une accession aux organes de direction de leur entreprise, tandis que les questions de coordination des talents et d’organisation de la com’ sont devenues cruciales. Comment en effet, à budgets com’ constants voire inférieurs, imaginer des organigrammes et des modes de fonctionnement efficients pour répondre aux nouveaux enjeux des entreprises ? Comment en particulier faire face à la multiplication des publics en leur adressant les bons contenus ? Avec quel moyen toucher les parties prenantes, les engager, susciter et pérenniser la conversation, etc ?

Entre brand newsroom, guichets de com’ et PPP (priorité parties prenantes), le BrandNewsBlog vous présente aujourd’hui les principaux schémas organisationnels imaginés par les entreprises pour répondre à ces nouveaux défis, assortis pour chacun de leurs avantages et leurs limites. Comme toujours, on notera que la réalité de beaucoup d’entreprises est « hybride ». Une majorité d’organisations reste en effet fidèle à des modèles mixtes d’organisation de leur service com’, encore tiraillées qu’elles sont entre ses différentes missions et la nature éminemment variée des objectifs à atteindre².

La question de l’organisation : un enjeu central pour les directions de la com’ 2.0

Quel que soit le bout par lequel on prend la transformation digitale des organisations, force est de reconnaître que la direction de la communication est une des plus impactées par les changements à mettre en œuvre, quand il ne lui revient pas directement de les orchestrer.

« Historiquement, le directeur de la communication était celui qui maîtrisait, en la contrôlant, la communication de l’entreprise en tant qu’émetteur vers ses cibles institutionnelles » rappelait encore récemment Eric Maillard, directeur général d’Ogilvy PR. Or, ce rôle a été en grande partie bouleversé par le développement du digital. « Non pas que celui-ci ait changé la nature du travail des dircom – qui est d’entrer en conversation auprès de différentes communautés pour les convaincre, sur le mode du dialogue et de l’interaction – mais il a accéléré le temps et donné plus de puissance aux messages et aux réactions ».

Ainsi, une nouvelle réalité connectée s’est progressivement imposée aux communicants : ceux-ci ne sont plus les propriétaires exclusifs de la communication externe (ni de la communication interne d’ailleurs), deux tiers des contenus concernant l’entreprise étant désormais produites par des personnes externes aux directions des entreprises (à commencer par les salariés eux -mêmes).

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Dans ce changement de paradigme, la capacité à penser multicanal, à concevoir des contenus diversifiés et engageants pour des publics de plus en plus variés, à nouer la conversation avec les différentes parties prenantes de l’organisation… devient déterminante. Et il revient désormais aux communicants la triple responsabilité de rester garants d’une certaine stabilité des messages, mais également de veiller à la réputation à moyen et long termes, tout en étant suffisamment agiles pour gérer les crises, les opportunités et les impératifs du temps court.

Vigies ès problématiques de réputation, intégrateurs des expertises en place (médias, RP, community management…) et d’expertises nouvelles (gestion du changement, data analyse…), chefs d’orchestre des prises de parole de l’entreprise, éclaireurs, aiguillons, têtes chercheuses… Il devient de plus en plus pressant pour les communicants d’adapter leur organisation et leurs modes de fonctionnement, quand ils en ont la possibilité et que leur direction leur en laisse la latitude. Ne serait-ce que pour acter l’intégration de ces nouvelles expertises évoquées à l’instant, et pour pouvoir répondre efficacement aux différents publics et à leurs besoins.

Entre newsroom, guichets de com’ et priorité parties prenantes : les solutions imaginées par les dircoms pour répondre aux défis de la transformation digitale

Témoins privilégiés de ce changement de paradigme et de la prise de conscience des nouveaux enjeux par les dircom, les membres de l’association Communication & Entreprise se sont attachés il y a quelques mois à analyser les schémas organisationnels mis en place par les entreprises.

Comme l’indique le titre de leur étude (« Comment se retrouver dans la jungle des organisations des directions de la communication ? »), ils se sont d’abord heurtés à des modèles très disparates en apparence, avant d’identifier 4 grands modèles d’organisation qui répondent aux nouveaux enjeux de la com’.

En voici résumées les principales caractéristiques (sachant que je me suis permis de rebaptiser ces différents modèles pour en faciliter la mémorisation et la compréhension, toutes mes excuses pour cette petite liberté aux auteurs de l’étude) :

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1) Dans le modèle « brand newsroom », qui répond à une logique média canal/contenus, la com’ interne et la com’ externe sont souvent fusionnées en un seul et unique « hub » de contenus. Celui est en général organisé en deux pôles distincts : la production des contenus et leurs différentes déclinaisons (en termes de format et de cibles) d’une part ; la gestion de la diffusion et la maîtrise des canaux d’autre part. Le tout étant coordonné par un « rédacteur en chef de newsroom », lui même assisté de chefs de rubrique transversaux, en fonction des thématiques abordées par l’entreprise.

De grands groupes ont adopté cette organisation, tels Danone (le précurseur en France de la brand newsroom, dès 2002) mais également Total, RATP, Crédit Agricole ou EDF depuis lors.

2) Dans le modèle « guichets de com », la com’ est en revanche envisagée comme une fonction support au service des différents métiers de l’entreprise. Les communicants sont en général recrutés pour leur expertise dans un métier donné (financiers, ingénieurs, experts de la RSE et de l’ISR…) et non pour leur transversalité ou leurs compétences en communication institutionnelle et de crise notamment. Les différents directions de l’entreprise passent commandent à leur communicants attitrés et le directeur de la communication devient le chef d’orchestre de l’ensemble et le seul garant de la cohérence globale des contenus et de messages.

Campé dans l’opérationnel, ce modèle d’organisation se développe en général en période de crise, car il est synonyme pour les communicants de légitimité et de satisfaction accrues auprès des clients internes, souvent au détriment d’une vision d’ensemble de la fonction communication. Il est notamment prédominant dans les secteurs industriels et dans les organisations matricielles.

3) Pour ce qui du schéma et de la logique « priorité parties prenantes », cette option est en germe dans un certain nombre de services communication « matures », comme Air France, qui dispose à la fois d’une brand newsroom et d’attachés de presse par thématique, mais également SNCF Réseau (ex RFF) ou Areva. Cette organisation par public cible suppose à la fois une excellente écoute et veille de la part des équipes communication. Elle implique également la définition de stratégies par sujet, avec un expert désigné pour chacune des thématiques clés identifiées.

Man at the Blackboard with Questionmarks

4) Les modes d’organisation hydrides. Dans la réalité, ainsi qu’on l’explique plus haut dans cet article, les 3 schémas d’organisation précédemment mentionnés sont souvent combinés les uns aux autres, pour répondre à l’équation unique propre à chaque entreprise.

Davantage soucieux de transversalité et « de casser les silos » dans leur approche et leurs pratiques professionnelles, les dircom’ traduisent ces évolutions dans des organisations à la fois plus ouvertes et « agiles », de manière souvent très pragmatique.

A vous de jouer !

Et vous dans tout ça, me direz-vous ? Quelle organisation idéale adopter pour accompagner la transformation digitale de votre entreprise ?

Comme on vient de le voir, il n’y a pas nécessairement de « recette miracle », mais un croisement des approches citées ci-dessus avec les besoins et les moyens de votre structure peut aider à trouver des compromis acceptables.

Si la période est au collaboratif et au travail en mode projet entre départements, un « silo »tout récent semble sur le point de tomber… Comme chez Orange, où la directrice de la communication (Béatrice Mandine) vient de réorganiser son service en absorbant la direction de la communication digitale, il semble qu’un nombre croissant d’entreprises ait compris l’intérêt de rapatrier les compétences digitales au sein des départements communication ou marketing. La fin d’un schisme en quelque sorte et le début de la vraie transformation digitale de l’entreprise, car comment diffuser la culture numérique en l’enfermant dans une tour d’ivoire ?

Si les directions digitales continuent d’exister indépendamment d’autres services dans bien des organisations, il ne semble plus que ce schéma soit une priorité. Et le/la dircom’, en partenariat la DSI, est de plus en plus sollicité(e) pour reprendre en main et intégrer ces compétences, dans le spectre de plus en plus large et transversal de ses responsabilités…

 

 

Notes et légendes :

(1) Ma liste de must read sur la transformation de la fonction communication au sein des entreprises :

>> « Les 5 points clés de la transformation de la direction de la communication », par Xuoan D, La Réclame.fr – mai 2015

>> « Dircoms et communication digitale : officiellement, tout va bien. Dans les faits, ça reste encore à démontrer ! » par Olivier Cimelière, Le blog du communicant – 11 avril 2015

>> « Etude sur la communication digitale des entreprises du CAC 40 : mutants ou transformers ? » par Wiztopic, 8 avril 2015

>> « Les dircom gagnent en influence » par Cathy Leitus, magazine Stratégies n°1820 – 25 juin 2015

(2) Billet inspiré des deux sources suivantes : article « L’organisation en question » de Cathy Leitus, magazine Stratégies n°1820 – 25 juin 2015 + Etude « Comment se retrouver dans la jungle des organisations des directions de la communication ? » par l’association Communication & Entreprise – 2014

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, TheBrandNewsBlog 2015

Transformation digitale : et si on raisonnait en termes de continuité plutôt que de rupture ?

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C’est en train de devenir un des « clichés » du moment : dans l’imagerie véhiculée par les médias et par un certain nombre d’experts, la transformation numérique serait nécessairement synonyme de rupture et de changement brutal de paradigme, pour toute organisation.

Il suffit d’ailleurs de penser aux bouleversements introduits par Amazon ou Uber pour être pris de vertige ou de bouffées d’angoisses, en imaginant les conséquences que pourrait occasionner sur son propre marché l’irruption soudaine d’acteurs aussi disruptifs. Au point que « l’ubérisation » est devenue un nom commun… et un épouvantail que l’on agite sous le nez des techno-sceptiques et autres organisations supposément rétives à l’innovation.

Qu’on ne se méprenne pas sur le titre de mon billet du jour : loin de moi l’idée de nier l’ampleur ou la rapidité des bouleversements qui guettent de plus en plus d’acteurs et de secteurs d’activité, du fait des dernières évolutions numériques. L’essor du digital modifie en profondeur les pratiques et habitudes de consommation, la rapport de chacun au travail et à l’entreprise, les modes de communication… entre autres. Mais réaliser que, pour les consommateurs et tout individu, les mondes réels et virtuels ne font désormais plus qu’un + comprendre que la création d’une application mobile ou la modification d’un site doivent s’inscrire dans une réflexion plus globale sur les expériences physique et numérique offertes par la marque à ses différents publics, sont devenus des pré-requis indispensables.

Cette vision transversale incite à reconsidérer les évolutions à effectuer, non pas seulement dans le domaine du digital mais à tous les points de contacts offline et online avec les publics de la marque, dans une logique de continuité et d’amélioration permanente de la relation client… Une optique encore plus ambitieuse (et surtout plus opérationnelle) que la transformation numérique stricto sensu.

Evaluer l’environnement de son entreprise et le degré de maturité physico-numérique de son secteur

Qu’on se le dise, l’innovation aujourd’hui n’est pas seulement digitale, elle doit être hybride, cohérente et donc physico-numérique. Ce sont les consommateurs eux-même qui le disent et le réclament. De ce point de vue, il est particulièrement intéressant pour toute entreprise désireuse d’accompagner l’évolution de ses publics de commencer par évaluer son environnement et en particulier le degré de transformation physico-numérique de son secteur.

Dans un article récent, consacré justement au « cocktail physico-numérique » ¹, Darrell Rigby² fait état de l’étude que lui et plusieurs de ses collègues du cabinet Bain & Company ont mené auprès de plus de 300 entreprises internationales de 20 secteurs d’activité. Les résultats en sont édifiants (voir le graphique ci-dessous). On constate en effet que si les changements ont déjà été importants dans les secteurs des médias et des technologies de l’information, la construction, le secteur minier, le pétrole et le gaz et les services publics semblent beaucoup plus en retard. A contrario, les secteurs qui devraient être les plus impactés par la transformation physico-numérique dans les prochains mois devraient être ceux de la banque, des assurances, du transport aérien et de l’automobile. 

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Privilégier les petits pas au « big bang » et la continuité des expériences à la rupture numérique…

Encore une fois : il serait très présomptueux de ma part de prétendre deviner les impacts des mutations en cours, secteur par secteur, et d’en tirer conseils et avis définitifs. On sait ce que toute transformation réclame d’anticipation, d’accompagnement organisationnel et humain… et d’humilité. Qui plus est, peu d’organisations peuvent se targuer aujourd’hui d’avoir abouti (et réussi) leur mutation physico-digitale.

Néanmoins, s’il découle de l’évaluation environnementale et des tableaux ci-dessus que votre secteur est susceptible de connaître très prochainement de profonds bouleversements, un « plan de bataille » est sans doute à préparer d’urgence. Et celui-ci commence probablement par le renforcement en interne voire le recrutement de compétences externes taillées pour relever un tel défi…

Mais les centaines de cas rencontrés par les équipes du cabinet Bain le prouvent : il est rare que des transformations conduites dans l’urgence et à marche forcée par des entreprises fondamentalement mal préparées conduisent au succès… Pire, et c’est une déviance observée dans de nombreuses organisations : l’imminence d’un bouleversement digital (supposé) conduit souvent les dirigeants à faire la même erreur : investir de manière massive dans des activités numériques indépendantes, au détriment des business existants, dans lesquels ils sous-investissent ou arrêtent d’investir. Cette mésaventure est notamment arrivé au groupe Sears Holdings, dont l’analyse de la transformation réalisée par ses dirigeants les a poussés à surinvestir dans de nouvelles activités en ligne, tandis qu’ils délaissaient volontairement leur réseau de magasins physiques, pourtant rentables. Tandis que ses activités e-commerce explosaient, Sears a vu s’effondrer ses ventes en magasin… et sa performance financière et boursière de 75 % !

Beaucoup plus nombreuses qu’on ne le pense sont en effet les entreprises, qui, après avoir « exploité jusqu’à la moelle leurs activités existantes tout en misant sur des start-up numériques indépendantes sans réels avantages compétitifs finissent en général par se débarasser d’actifs matériels qu’il avait fallu des décennies pour constituer, dilapidant ainsi des millions voire des milliards de richesse bien réelle. » ¹

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Les avantages des stratégies reposant sur la fusion physico-numérique

Outre le fait que les clients ont changé et qu’ils mélangent désormais monde physique et sphère numérique de manière si étroite qu’ils ne conçoivent pas que les marques ne fassent pas de même, la mise en œuvre de stratégies physico-numériques recèle de nombreux avantages pour les entreprises.

Le premier avantage (et pas le moindre) est de rassurer les équipes de management en place et tous les collaborateurs sur le fait que les business historiques ne seront ni abandonnés, ni bradés, mais au contraire revalorisés et portés par la transformation physique et digitale. Le spectre des destructions massives d’emploi et autres dommages collatéraux de la rupture pour la rupture peut ainsi être évité. A condition évidemment d’engager assez tôt la mutation physico-numérique.

C’est ce qu’a parfaitement réussi à faire la Commonwealth Bank of Australia (52 000 employés dans 10 pays), dont l’activité périclitait sérieusement il y a de cela une dizaine d’années. Affichant les pires résultats du monde bancaire en termes de satisfaction client, CBA perdait de plus en plus de parts de marché vis-à-vis de ses concurrents traditionnels et vis-à-vis des pure players de la banque en ligne. A son arrivée en 2005, le nouveau P-DG a choisi de miser sur le service, avec l’objectif ambitieux de passer de la dernière place à la première de son secteur sur cet item de la satisfaction client. Pour ce faire, tous les systèmes informatiques furent d’abord remis à niveau, pour permettre aux personnels des agences de faire leur métier correctement et de pouvoir répondre avec réactivité aux demandes qui leur étaient faites.

Cet effort sans précédent, qui coûta à l’entreprise plus d’un milliard de dollars australiens sur 6 ans, fut accompagné d’une succession impressionnante d’innovations physico-numériques conçues pour faciliter la vie des clients. Trois nouveaux services furent lancés, dont une application immobilière qui reconnaît les photos des propriétés et aide les clients à déterminer leur capacité d’emprûnt ; une application facilitant les paiements par smartphone ; une autre permettant de remplir en ligne des demandes de prêt de manière sécurisée… pour la plus grande satisfaction des utilisateurs de ces nouveaux services. CBA est non seulement arrivée à la première place en termes de service client, mais s’est ainsi constituée de nouveaux avantages compétitifs par rapport à ses concurrentes…

Disney, Nike : ces autres exemples d’intégrations physico-numérique réussies

… Car c’est en effet le deuxième avantage de la transformation physico-numérique : elle est beaucoup moins duplicable par les concurrents que l’innovation digitale stricto-sensu. Copier des plateformes technologiques + la culture orientée clients et l’organisation qui va avec est en effet beaucoup plus difficile que de mettre à disposition la Xième application mobile qui ne sert à rien et dont l’utilisateur pourra rapidement de passer.

De ce point de vue, la mutation physico-digitale engagée par Nike depuis une quinzaine d’années est un autre exemple de réussite assez remarquable. Entreprise profondément ancrée dans le monde physique jusqu’au début de ce siècle, Nike a réellement commencé sa transformation en 1999 avec son programme NIKEiD de personnalisation produits. Pour tout client qui le souhaitait, il devenait en effet possible via le site Nike.com de customiser certains modèles en choisissant leurs couleurs de base + une touche de couleur différenciatrice.

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Nike n’a cessé d’introduire par la suite d’autres innovations physico-numériques, dont l’application de running Nike+ et le bracelet Nike+ Fuelband restent les meilleurs exemples. Grâce à ces produits innovants, qui enregistrent les indicateurs et données personnelles de leurs clients, tout en permettant le partage de ces données de santé ou sportives sur les réseaux sociaux, Nike a pris un temps d’avance important sur ses concurrents, en se dotant qui plus est d’un outil de connaissance clients irremplaçable. Le « sport digital » est d’ailleurs devenu le 1er axe de développement de la marque et devrait s’intégrer à de nombreux autres produits de fabrication Nike.

Même type de démarche physico-digitale chez Disney, où des efforts considérables ont été entrepris pour améliorer sensiblement l’expérience vécue par les utilisateurs des parcs. Pour créer une expérience « plus personnelle, plus immersive et plus transparente pour ses clients », pour pouvoir recueillir et exploiter les données en temps réel sur leur comportement, Disney n’a pas hésité à investir plus d’1 milliard de dollars depuis 2009 dans un projet de grande envergure baptisé « Next Generation Experience », qui a mobilisé jusqu’à 1 000 collaborateurs du groupe.

Leur première réalisation, le système unique MyMagic+ combine innovations physiques et numériques : un nouveau site Internet et une application facilitant la planification des vacances (MyDisney Experience), une application permettant de réserver en ligne des attractions, des rencontres avec des personnages ou des places pour les spectacles. Quant au bracelet MagicBands, grâce à une puce RFID, il permet de prendre en charge billets, clé de chambre et autres formalités de confirmation ou de règlement des prestations commandées.

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3ème avantage : une forte création de valeur

Ainsi, en apportant à toutes les parties prenantes « le meilleur des deux mondes » physique et numérique, la transformation physico-digitale permet aux marques d’identifier les contiguïtés qui renforcent leur activité de base et dégagent de nouvelles sources de revenus.

L’identification des talents et la création d’équipes transverses : clés de réussite de la mutation ?

Les questions d’organisation et de gestion des talents sont sans doute celles sur lesquelles les différences se manifestent le plus fortement entre le scénario de la rupture digitale et celui de la transformation physico-numérique.

De fait, une fois posé le diagnostic d’une rupture digitale, la plupart des marques ont tendance à séparer leurs activités digitales révolutionnaires de leurs activités traditionnelles. Cette scission a le mérite de permettre aux entreprises et groupes qui l’opèrent d’attirer beaucoup plus facilement des innovateurs et des programmeurs talentueux, qu’il s’agira d’isoler le plus possible des autres entités, en les installant à San Francisco, Cambridge, Tel Aviv ou Hyderabad par exemple.

Ce choix organisationnel et humain a le grand mérite de ne pas « polluer » les nouvelles équipes disruptives avec les contraintes et barrières qui « plombent » la réflexion des autres collaborateurs de l’entreprise. Mais elle créé parfois des « Etats dans l’Etat » comme l’ont remarqué à de nombreuses occasions les consultants de Bain & Company… Et des entités innovantes qui peuvent se positionner en « ennemies » des activités historiques de l’entreprise. La nature humaine étant ce qu’elle est, il en découle souvent une lutte à mort entre les dirigeants des départements disruptifs et les dirigeants des activités traditionnelles, pour attirer l’attention de la direction ou capter des ressources financières. Et si cette émulation peut être positive au démarrage d’une activité disruptive, elle s’avère souvent mortifère à moyen terme, d’autant qu’elle est synonyme de démotivation et d’immobilisme pour les équipes « coeur de métier » aussi bien que pour les dirigeants des entreprises, qui sentent moins l’impérative nécessité de se former aux innovations numériques quand les activités disruptives sont séparées.

A contrario, l’organisation et la gestion des ressources humaines qu’implique une transformation physico-digitale suppose l’association ou la participation d’un grand nombre de départements des activités « coeur de métier ». Si la nomination d’un directeur digital et le recrutement en externe de compétences numériques s’avère souvent indispensable en début de démarche, celle-ci repose avant tout sur la constitution d’une équipe d’experts complémentaires, mélangeant digital natives et digital immigrants issus des différents métiers de l’entreprise.

C’est l’approche retenue par Angela Ahrendts quand elle a repris les rênes de Burberry en 2006, qui était alors une icône vieillissante du luxe britannique. Rapidement après son arrivée, la nouvelle dirigeante n’a pas hésité à recruter une toute nouvelle équipe marketing, dont la plupart des membres avaient moins de 25 ans. A côté de l’équipe de direction resserrée qu’elle a constituée avec le directeur de la création Christopher Bailey et le directeur de la technologie John Douglas, elle a surtout instauré un « conseil stratégique de l’innovation » et y a fait entrer ceux qu’elle considérait  comme les dirigeants les plus jeunes et les plus visionnaires de l’entreprises.

Cette impulsion donnée au coeur des activités de Burberry a contribué à un nouvel esprit et au lancement de nombreuses innovations physico-digitales qui ont fait le renouveau de la marque, aujourd’hui une tête de proue du luxe digital et un bel exemple de transformation numérique réussie.

 

 

Notes et légendes :

(1) « Le cocktail physico-numérique », par Darrell Rigby, Harvard Business Review / juin-juillet 2015

(2) Darrell Rigby est associé au sein du cabinet Bain & Company à Boston et en dirige le pôle distribution monde.  Avec plusieurs collègues de Bain, il a notamment étudié des centaines d’exemples d’entreprises du monde entier pour comprendre comment celles-ci appréhendaient les changements auxquels elles font face sur leur marché et leur façon de mettre en œuvre la transformation physico-numérique de leur offre et de leur organisation.

 

Crédits photo et illustration : Erik Johansson (photos), Bain & Company (graphique), TheBrandNewsBlog 2015

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