Portrait du/de la dircom d’aujourd’hui : une fonction de plus en plus stratégique et des missions de plus en plus larges…

Il faut rendre hommage aux journalistes et à la direction de la rédaction des Echos Executives, pour nous proposer comme ils le font désormais chaque été une passionnante série de portraits de communicant.e.s.

Après avoir mis à l’honneur l’an dernier 8 « néo-communicants¹ » dans le cadre d’un cycle éditorial dédié, ce sont cet été pas moins de 20 directeurs et directrices de la communication qui étaient invités à s’exprimer. Le produit de ces témoignages, collectés et valorisés avec talent par la journaliste Camille Marchais, a été dévoilé il y a quelques semaines, entre la mi-juillet et la mi-août, sous le titre « Etre Dircom aujourd’hui² ».

Et je tiens à remercier Les Echos de m’avoir associé à cette initiative, en publiant à cette occasion mon interview parmi celles de mes excellents confrères et consœurs Stéphane Fort, Béatrice Mandine, Frédéric Fougerat, Marie-Christine Lanne, Christophe Robin, Diane Salt, Pierre Auberger, Emmanuelle Wargon, Gilles Galinier, Ana Busto, Dimitri Hommel, Coryne Nicq, Olivier Cavil, Nathalie Lahm, Laurent Obadia, Cécile Canet-Teil, Patrice Bégay, Fabienne de Brébisson et Alexandra van Weddingen.

Chacune de ces interviews valant vraiment le détour, je ne peux que vous inciter à aller les découvrir directement sur le site des Echos (voir le lien en pied de page). Mais, au-delà du portrait chinois dessiné de manière impressionniste par la superposition de ces 20 témoignages individuels, il me semblait également intéressant de vous en proposer aujourd’hui une synthèse.

Bonne nouvelle : si, sur les 5 questions posées à chaque interviewé par Camille Marchais, les réponses diffèrent et s’avèrent parfois foisonnantes (notamment sur le rôle et les missions du.de la dircom), illustrant bien la montée en puissance de la fonction ces dernières années et son caractère de plus en plus stratégique, il se dégage néanmoins de grandes lignes de force et un certain nombre de consensus, que je vous propose de découvrir ci-dessous…

Ainsi, que les uns et les autres se considèrent à la fois comme des « vigies » et des « chefs d’orchestre » de la communication de leur entreprise, mais également comme des conseillers, des storytellers ou des « connecteurs en chef » au service des différentes parties prenantes, ils.elles sont unanimes sur l’importance des bouleversements de fond apportés à leur métier par la révolution numérique. Et ils.elles s’accordent volontiers, comme vous le verrez, sur le profil et les qualités à posséder pour devenir communicant.e… à défaut d’avoir trouvé la recette miracle pour lutter contre l’infobésité et l’érosion continue de l’attention de leurs publics.

S’inscrivant dans la droite ligne des billets de blog que j’ai déjà consacrés à l’évolution du métier de dircom (à découvrir ou redécouvrir notamment ici et ici) et en parfait écho avec les interviews croisées de professionnels que j’ai moi-même réalisées³, cette nouvelle synthèse ne manquera pas d’alimenter votre réflexion j’en suis sûr. Et finira je l’espère de convaincre les plus sceptiques que la communication est bien un vrai métier… Et un métier de plus en plus complexe, de surcroît !

Bonne lecture à tous et merci encore à Camille Marchais et aux professionnels mentionnés dans cet article pour leurs lumières sur ces sujets et leur louable effort de pédagogie pour mieux faire connaître nos métiers.

5 questions posées et un premier consensus sur les compétences et qualités à posséder pour devenir dircom…

Camille Marchais avait posé 5 questions à ses interviewés : 1) une première sur l’impact de la transformation numérique sur le métier de communicant ; 2) une seconde sur la/les recettes pour combattre l’infobésité et gagner la « bataille de l’attention » ; 3) une question sur le(s) rôle(s) et casquettes des dircom ; 4) une question sur la contribution de la communication au chiffre d’affaires et au business de l’entreprise ; 5) enfin, une question sur la formation idéale pour devenir dircom (>> voir les libellés exacts de son questionnaire ci-dessous*).

A la dernière de ces questions, concernant la formation et les compétences à posséder, un relatif consensus se dégage d’emblée : si certains des interviewés mentionnent quelques écoles bien déterminées (Celsa et Sciences-Po en premier lieu) ou des filières spécifiques comme les écoles de commerce, c’est surtout pour le niveau de culture générale que celles-ci peuvent apporter aux étudiants qu’ils les mentionnent. Car ils.elles sont a contrario une majorité à souligner qu’il n’y pas vraiment de formation ni de profil type pour devenir communicant, a fortiori dircom… voire que la meilleure formation est encore l’expérience ou « l’école de la vie ».

En effet, pour ces professionnels reconnus, qui officient aujourd’hui dans des entreprises de taille et de secteurs variés, allant de la PME « monomarque » à la multinationale gérant des portefeuilles de marques très conséquents, les « hard skills » à posséder sont en réalité peu nombreuses mais indispensables. Il s’agit en premier lieu de savoir écrire (excellence rédactionnelle), mais également de savoir argumenter et convaincre, comme le confirme Béatrice Mandine, directrice exécutive en charge de la communication et de la marque chez Orange : « Lorsqu’on fait de la communication, on parle toujours d’acheminer un message d’un émetteur à un récepteur. La perception apportée à ce message dépend, la plupart du temps, de la façon dont il est formulé. D’où l’importance d’être doté de cette compétence rare : savoir écrire, argumenter et convaincre ».

Si Pierre Auberger (directeur de la communication du groupe Bouygues) évoque par ailleurs le bon niveau de culture économique à posséder pour gérer la communication de sociétés cotées : « Les grandes écoles de commerce ont l’avantage de former des cadres dotés d’une solide culture générale, familiers du monde économique, possédant des compétences en finances et en marketing, ce qui est indispensable quand on gère la communication et les marques d’une société cotée », la totalité des interviewés insiste surtout sur les qualités humaines et autres « soft skills » qui ne s’acquièrent pas dans des écoles mais sur le terrain.

Ainsi l’ouverture d’esprit, la curiosité, la capacité d’écoute des autres et de l’environnement (national et international), l’agilité et la flexibilité, un minimum (idéalement un maximum) de créativité, un bon esprit d’analyse et de synthèse sont fortement recommandés… De même, les dircom plébiscitent le « bon sens », une qualité précieuse pour arriver à gérer une complexité de plus en plus évidente et des contextes incertains. « La communication est avant tout un métier de bon sens et d’intuition, où la diversité des profils fait souvent la richesse de la valeur ajoutée apportée. Curiosité, grande réactivité, adaptabilité et bienveillance sont autant de qualités nécessaires pour être à l’écoute de ses audiences, soient-elles internes ou externes, et participer au rayonnement d’une entreprise » confirme ainsi Alexandra van Weddingen, directrice de la communication corporate du groupe Galeries Lafayette.

S’ils sont plusieurs à souligner l’importance d’une expérience en communication de crise, voire dans le domaine des relations médias, une bonne maîtrise du digital semble également indispensable. Et un passage préalable par des fonctions opérationnelles au sein de l’entreprise peut également être un plus, comme le souligne encore Pierre Auberger, à la fois pour mieux connaître le business et se forger une expérience de management solide : « Je recommande également si possible un passage de quelques années dans une fonction opérationnelle afin de renforcer sa connaissance du business et surtout de pouvoir se former à une vraie expérience de management. C’est une compétence clef quand on dirige des équipes de communication nombreuses et souvent internationales ».

Une révolution digitale largement intégrée par les dircom désormais, qui se refusent néanmoins à basculer dans le « tout-digital » et militent pour la complémentarité des outils et canaux…

A l’image de Pierre Auberger (encore lui) décidément le plus radical quand il glisse à Camille Marchais cette délicieuse punchline : « Un dircom non digitalisé est à terme un dircom ubérisé », les 20 dircom interrogés par Les Echos Executives démontrent avoir bien compris l’impact du digital sur leurs parties prenantes et leur métier.

Si, comme Stéphane Fort (directeur de la communication de Dassault Aviation) et Dimitri Hommel (directeur de la communication de l’agence 79), Frédéric Fougerat (directeur de la communication et du marketing de Foncia) se refuse à opposer le tweet au communiqué de presse, car le premier n’a pas vocation à remplacer le second (« Le tweet alerte, interpelle, propose un lien vers un communiqué de presse, mais il ne le remplace pas. Son nombre limité de caractères requiert un travail de synthèse rédactionnelle avancée pour lui donner le maximum d’impact, mais le contenu développé du communiqué de presse ne peut pas toujours se résumer en 280 signes »), la plupart des outils et plateformes digitales s’avère en réalité complémentaire aux canaux et outils « traditionnels ».

Ainsi, les nouvelles applications « constituent le plus souvent une entrée vers de nouvelles plates-formes qui – au-delà de l’intranet – informent en temps réel, partagent de la documentation, permettent des échanges… » nous dit Frédéric Fougerat, et le tweet a cette vertu qu’il « permet aussi de mesurer très vite l’audience et l’impact d’un message. Et ainsi d’en tirer rapidement les enseignements pour améliorer notre communication » ajoute Stéphane Fort : une fonctionnalité particulièrement utile et de plus en plus exploitée par les entreprises et les organisations.

Chacun a bien conscience du changement de paysage : « Immédiateté, course au buzz, information en continu ont largement contribué à déformer l’accès à l’information. Positivement dans le sens où cela permet un accès du plus grand nombre à l’information et induit une certaine démocratisation : chacun devenant média. Mais aussi de manière plus discutable quant à la crédibilité et la légitimité, voire la véracité de certaines informations » nous dit Béatrice Mandine.

« La dimension digitale a provoqué, à mes yeux, au moins deux différences fondamentales par rapport au passé : l’introduction du temps réel dans l’entreprise et la porosité totale entre l’interne et l’externe. Il faut en permanence écouter ce qui se dit sur la Toile et être prêt à interagir avec les publics de l’entreprise, qu’ils soient clients ou collaborateurs » confirme quant à elle Marie-Christine Lanne, directrice de la communication, de l’influence et des engagements sociétaux de Generali France.

Ces bouleversements, bien perçus et analysés depuis des années par les dircom, sont à la fois porteurs de risques et de menaces, mais aussi de belles opportunités dans l’exercice de leur métier : « Avec la montée en puissance des contenus instantanés grâce aux réseaux sociaux comme Twitter et de la consommation permanente propulsée par le mobile, l’attention des consommateurs en est diminuée. La principale conséquence reste que la portée et l’impact de nos communications individuelles diminuent. Il faut donc être très stratégique, connaître ses audiences et les leaders d’opinion afin qu’une information ait un impact et capte l’attention », souligne avec justesse Diane Salt, directrice marque et communication du groupe Sodexo.

Et Ana Busto, directrice de la communication et de la marque d’Engie de renchérir : « Le rythme des médias sociaux comme des médias d’information en continu nous impose de faire vivre l’information institutionnelle de façon différente dans la forme et le fond. Cette révolution change profondément les règles de conception et de fabrication des contenus, qui doivent être plus nombreux, plus réactifs, et moins rigides. C’est un vrai challenge ! » Dixit Coryne Nicq, directrice de la communication en temps partagé et ex dircom de la Cegid : « La possibilité d’affiner un message intuitu personae et, pour chaque partie prenante, celle d’interpeller les marques, l’instantanéité de l’action et des feedbacks sont des évolutions majeures. A contrario, la multiplicité des canaux de communication et la contraction du temps font que chacun reçoit trop d’informations sans pouvoir les traiter cognitivement ».

Pas vraiment de remède miracle pour lutter contre l’infobésité et remporter la « bataille de l’attention », mais une combinaison de leviers intéressants entre ciblage, créativité, authenticité et émotion…

De cette révolution numérique dont les dircom décrivent les multiples impacts, le premier d’entre eux est assurément la baisse de la portée et l’impact des communications individuelles, ainsi que vient de le décrire Diane Salt. L’attention des consommateurs se trouve mécaniquement diminuée par la surabondance de contenus instantanés et d’informations diffusés en continu par les médias et les marques…

Alors bien sûr, pas avares de bonnes intentions, ils.elles sont plusieurs à évoquer la nécessité de privilégier la qualité à la quantité en produisant des contenus de manière plus ciblée et sélective. Il est ainsi possible d’améliorer les choses « par la spirale vertueuse que représentent le contenu et la qualité de celui-ci, en évitant soigneusement toute surenchère dans un monde d’information continue, voire de « fake news ». Il vaut mieux communiquer peu et de manière sélective plutôt que de saturer la bande passante, préconise ainsi Christophe RobinEt devenir une référence sur son ou ses sujets est la clé ». Stéphane Fort ne dit pas autre chose : « Pour obtenir l’attention, il nous faut éviter d’être bavard. Notre principal objectif est de privilégier la qualité de l’information. Et de lutter contre quelques fausses infos qui peuvent être diffusées sur nous ».

La forme des messages, leur parfaite adaptation aux canaux et aux cibles, mais également, in fine, la sincérité, l’authenticité et la transparence sont d’autres pistes à privilégier pour remporter cette bataille de l’attention, d’après Emmanuelle Wargon, Senior Vice-President et directrice des affaires publiques, de la communication et de l’intégration RSE au sein du groupe Danone. « Notre défi au quotidien consiste à déployer en continu une communication à la fois très diversifiée dans la forme et très cohérente dans le fond. Comme tous les autres acteurs, notre communication est de plus en plus multicanale, avec des contenus de plus en plus adaptés à chacun des canaux pour capter l’attention […] Pour émerger, il me semble primordial d’avoir des messages beaucoup plus courts, percutants, des contenus très visuels et variés dans la forme […] A mes yeux c’est la sincérité, l’authenticité et l’humilité qui feront la différence. Aujourd’hui, les gens sont sursollicités et se sentent parfois noyés, fatigués par le rythme frénétique de l’info 24h/24 7j/7, lassés par les fake news qui enflamment régulièrement la toile et créent de la défiance… Dans ce monde encombré, notre défi est de réussir à transmettre notre passion et nos convictions parce que notre sincérité fait la différence. Pour atteindre cet objectif nous devons faire preuve de pédagogie, de transparence, avec une qualité d’information irréprochable », détaille ainsi par le menu la dircom du groupe agro-alimentaire.

…Une recette partagée en tous points par Pierre Auberger : « Je pense pour ma part que nous devons adapter notre discours aux nouveaux outils digitaux en cherchant à être synthétiques et impactant. Il ne faut pas surcommuniquer sur les réseaux sociaux car trop d’info tue l’info. L’utilisation de formats courts de vidéos permet de capter l’attention, de faire de la pédagogie et de faire passer des messages forts, y compris en communication financière. Donnons du sens, du fond et de l’authenticité à nos messages. Adaptons également plus que jamais la forme et le format de ces messages aux parties prenantes auxquelles on s’adresse »

Etre plus créatif et original, changer de registre en n’hésitant pas à capitaliser sur l’émotion peuvent également constituer des pistes intéressantes, d’après Nathalie Lahmi, directrice marque et communication d’Allianz France, Ana Busto, Gilles Galinier (directeur de la communication externe d’Arkema) ou Coryne Nicq : « Pour émerger, il nous faut être originaux avec des partis pris forts, tout en restant authentiques et cohérents avec nos valeurs de marque. Il est également urgent d’intégrer les méthodes de ciblage marketing pour communiquer des messages adaptés en fonction de nos cibles et de leurs attentes » (Nathalie Lahmi) ; « Il faut produire des contenus exclusifs, intéressants et/ou émouvants et/ou drôles. Il faut aussi s’assurer que le fond comme la tonalité des contenus proposés sont en phase avec les communautés qui sont visées sur le digital. Une marque a toutes les raisons d’intéresser les gens si elle construit de bons et beaux récits, avec une vraie transparence, une exigence de qualité et un rythme qui maintienne sa relation avec ses publics » (Ana Busto) ; « Les marques doivent être incarnées, porter des projets clairs et affirmer leur culture et leur ADN. Les marques doivent exister, parler vrai, donner du sens, apporter de la consistance et de l’émotion » (Gilles Galinier) ; « Le futur de la communication est de savoir revenir à ses fondamentaux : avoir une vision stratégique globale du marché, savoir détecter les bons canaux d’information et toucher émotionnellement les personnes pour les motiver, les faire adhérer […] Notre métier est de créer du lien émotionnel entre les personnes et entre elles et les marques, de créer et faire grandir la conversation pour engager les communautés online et offline. Dans ce contexte, il nous appartient de raconter des histoires, vraies et justes. » (Coryne Nicq)

On le voit : plutôt qu’en un remède miracle, les dircom’ s’en remettent à leurs fondamentaux et croient en une combinaison de leviers éprouvés et de précautions de base pour lutter efficacement contre l’infobésité et les fake news.

Une contribution évidente de la communication au business et à la croissance de l’entreprise, mais à démontrer et mesurer jour après jour, à l’aide de KPI pertinents notamment…

Si les dircoms interrogés par Camille Marchais ont le plus souvent des pratiques voisines et des visions convergentes sur une majorité de sujets, il serait trompeur de laisser croire qu’ils exercent tous de la même manière et sont confrontés aux mêmes enjeux. En fonction de leur secteur d’activité, de la taille de leur entreprise, de leur positionnement et leur rattachement hiérarchique, on comprend bien que leurs missions sont plus ou moins directement reliées au business et à l’activité quotidienne des équipes commerciales notamment.

Néanmoins, que leurs missions soient plus « institutionnelles » ou mixtes, entre communication dite « corporate » et communication de marque/commerciale, les dircom et leurs équipes contribuent au moins à deux niveaux au business et à la croissance de l’entreprise : 1) d’une part, indirectement, en construisant une/des marques fortes et veillant à préserver son image / sa réputation ; 2) d’autre part, en constituant un appui opérationnel efficace aux forces de ventes par une combinaison d’outils de promotion des offres et des dispositifs d’activation de la / des marques à la fois pertinents et différenciateurs.

Ainsi que le rappelle à juste titre et très pédagogiquement Olivier Cavil, directeur de la communication de Pernod Ricard : « Par définition, la communication de marque rentre dans la sphère du marketing et a pour vocation de créer des points de contact avec le consommateur pour influencer sa décision d’achat. Elle participe, par essence, aux ventes et donc à la croissance top-line… La communication corporate sert quant à elle la vision de l’entreprise. Elle va jouer sur la réputation d’une entreprise sur le long terme. Les deux champs sont de plus en plus liés. Jamais les consommateurs n’ont d’ailleurs été aussi sensibles à ce dernier paramètre [la réputation] dans leur décision d’achat ».

Dixit Laurent Obadia, directeur de la communication de Veolia Eau, et Cécile Canet-Teil, directrice de la communication du groupe Solvay : « La direction de la communication est la garante de l’image de marque et de la réputation d’un groupe. Or le succès économique d’une entreprise est aussi intrinsèquement lié à sa bonne image. L’image de marque est aujourd’hui bien plus qu’un simple nom ou logo : elle incarne l’entreprise » (Laurent Obadia) ; « Une marque corporate forte sert, par définition, les enjeux du business. Donc plus la communication développe les attributs positifs de l’entreprise, plus elle sert les intérêts du business, mécaniquement. Et les communicants deviennent de plus en plus des business partner car le client utilise de plus en plus le site web et les réseaux sociaux de l’entreprise notammment, ce qui en fait des points de passage obligés de communication business, notamment pour l’e-commerce » (Cécile Canet-Teil).

Véritables « sésames » pour être considéré.e comme un.e véritable business partner au sein de l’entreprise, la proximité du dircom avec les métiers et les équipes commerciales de l’entreprise, et la mise en oeuvre de véritables indicateurs de performance liés aux actions de communication, sont évidemment primordiales. Et de ce point de vue, le digital donne assurément de nouvelles armes et de nouveaux arguments aux communicants pour s’imposer, comme le souligne encore Nathalie Lahmi : « La direction de la communication doit être extrêmement proche des métiers pour être informée au plus tôt des ambitions et feuilles de route de chacun et valoriser au mieux les différentes initiatives, offres et services […] La gestion des leviers dits de « performance » sur le digital, y compris sur les réseaux sociaux, permet aussi, via la data, de mieux comprendre le poids des actions de communication dans l’évolution du chiffre d’affaires ».

Et votre serviteur de confirmer : « Les directions de la communication peuvent contribuer au moins de deux manières au développement du chiffre d’affaires. D’une part, en augmentant la visibilité et la « part de voix » de l’entreprise, pour ancrer la marque dans l’esprit des consommateurs et susciter une véritable préférence au moment de l’achat. D’autre part, en conseillant les équipes commerciales et marketing et en accompagnant le déploiement de toutes les nouvelles offres, pour que celles-ci trouvent le plus rapidement leur place sur le marché. La question de la réactivité des équipes com’, leur capacité à contribuer à l’acquisition rapide de parts de marché et à évaluer en permanence le ROI de leurs actions par le suivi de KPI adaptés constituent à mon avis les principaux facteurs clés de succès de cette communication commerciale » (Hervé Monier).

A la fois « vigies », « chefs d’orchestres », « storytellers », conseillers et « connecteurs en chef » au sein de l’entreprise… : le rôle des dircom ne cesse de s’élargir et ses missions de se diversifier, lui conférant une dimension de plus en plus stratégique 

S’il est un sujet sur lequel les dircom sont presque intarissables, pour le coup, c’est bien cet élargissement de leur rôle et de leurs missions, qui n’ont cessé de se diversifier au fil des années. Champions de la veille, coordinateurs en chef et/ou accompagnateurs des messages émis par l’entreprise et ses ambassadeurs internes, « game changers » (car de plus en plus impliqués dans les différents chantiers de transformation de leur entreprise), les dircom sont pour ainsi dire « au four et au moulin », la tête dans les étoiles de la stratégie… et les mains dans le cambouis de l’opérationnel, en gardiens vigilants de la cohérence, de l’image et la réputation de leur organisation. Un rôle polyvalent et de plus en plus stratégique qu’ils.elles ont résumé chacun.e avec leurs mots auprès de Camille Marchais…

Pour une majorité des professionnels interrogés en effet, le dircom est à la fois « vigie » et « chef d’orchestre »… et souvent bien davantage. Comme le résume Pierre Auberger, il.elle est bien entendu « une vigie ou un veilleur afin de détecter les signaux faibles annonciateurs d’une crise. Il doit savoir digérer l’information, lui donner du sens et la relier à d’autres pour informer au mieux la direction générale et les managers. Mais il est avant tout un chef d’orchestre s’essayant à exécuter avec ses collaborateurs et ses parties prenantes une symphonie plutôt qu’une cacophonie ». Protecteur de la réputation de l’entreprise, ainsi que le rappelle très justement Emmanuelle Wargon, il.elle est aussi « un porte-voix qui doit convaincre, partager, expliquer, motiver, embarquer […] et c’est une de ses missions prioritaires que de contribuer à donner du sens et créer de la fierté » pour les collaborateurs et les autres parties prenantes .

Au-delà de l’image plébiscitée du chef d’orchestre, « qui dirige de nombreux instruments afin de jouer une seule et même mélodie, à l’unisson […] travaillant avec toutes les fonctions de l’entreprise et animant parfois de larges réseaux de communicants à l’international » (Emmanuelle Wargon), il.elle joue souvent le rôle de médiateur et de « connecteur en chef » comme le dit Marie-Christine Lanne, car « il doit favoriser la compréhension et l’appropriation de la stratégie de l’entreprise par les managers et les salariés en collaborant activement avec la DRH […] et doit aussi contribuer à connecter l’entreprise avec ses publics : partenaires, distributeurs, fournisseurs, clients, etc. dans la dimension digitale comme dans la vraie vie ».

Garant de la cohérence de la marque et des messages sortant de l’entreprise, « il est à la fois stratège, tacticien et exécutant […] leader et dirigeant, et en même temps au service de toutes les communautés et ambassadeurs de sa structure et de sa marque employeur. » (Christophe Robin).

Capitaine, « donnant le cap, la vision et la stratégie de com’, en lien étroit avec celle de l’entreprise… » comme le souligne quant à lui Patrice Bégay, membre du comité exécutif et directeur de la communication de Bpi France, il est à la fois « radar » et « pilote » pour Stéphane Fort, qui n’hésite pas à filer la métaphore aéronautique : « Le dircom est d’abord, selon moi, un radar, qui doit repérer les tendances, les bonnes pratiques et les signaux faibles. C’est ensuite un pilote, qui établit un plan de vol avec une destination et des étapes clairement définies et comprises de chacun des membres de son équipe. Il doit aussi être réactif et s’adapter aux changements d’environnements, même brutaux sans perdre de vue le cap fixé ».

Super « détecteur de tendances, de talents et d’opportunités », comme le glisse Fabienne de Brébisson, directrice de la communication de Valeo, c’est également un manager bien sûr, qui doit savoir déléguer et « manager des équipes et expertises très diverses mais souvent très complémentaires ».

On pourrait continuer ce portrait chinois un certain temps et allonger la liste des comparaisons et des métaphores : celles-ci témoignent suffisamment de l’enrichissement des missions des directrices et directeurs de communication, appelés également aujourd’hui à impulser et accompagner la transformation des entreprises et à intervenir parfois comme des urgentistes au chevet de l’entreprise, quand celle-ci est frappée par une crise ou un bad buzz : « Vigies, chefs d’orchestre, rédacteurs en chef de la newsroom de l’entreprise… et premiers secouristes en cas de crise : les dircom sont un peu tout cela à la fois aujourd’hui ! La tête dans les étoiles de la stratégie et les mains bien souvent dans le cambouis, ils.elles doivent à la fois savoir garder le cap qu’ils.elles se sont fixé tout en s’adaptant en permanence, tels des caméléons, aux évolutions d’un environnement de plus en plus incertain » (Hervé Monier).

 

>> Découvrez ici mon interview dans le cadre de ce dossier spécial « Etre dircom aujourd’hui » des Echos Executives

 

 

Notes et légendes :

(1) 8 experts de la communication avaient été interviewés en 2017 par Les Echos Executives dans le cadre de leur série d’été « Les néo-communicants » : Frédéric Fougerat, Marie Coudié, Laurent Riéra, Valentine Bissuel, Valérie Perruchot Garcia, Delphine Buchotte, Coryne Nicq, Caroline Guillaumin.

(2) Série de 20 interviews « Etre dircom aujourd’hui », réalisée et publiée par Camille Marchais, avec les témoignages de votre serviteur + Stéphane Fort, Béatrice Mandine, Frédéric Fougerat, Marie-Christine Lanne, Christophe Robin, Diane Salt, Pierre Auberger, Emmanuelle Wargon, Gilles Galinier, Ana Busto, Dimitri Hommel, Coryne Nicq, Olivier Cavil, Nathalie Lahm, Laurent Obadia, Cécile Canet-Teil, Patrice Bégay, Fabienne de Brébisson et Alexandra van Weddingen. 

(2) « Quels enjeux pour les dircom et leurs équipes en 2018 », par Hervé Monier, avec les témoignages de Julien Villeret et Anne-Sophie Sibout.

« Quels enjeux pour les dircom et leurs équipes en 2017 », par Hervé Monier, avec les témoignages de Béatrice Mandine et Benoît Cornu.

* Liste des questions posées à chaque dircom par Camille Marchais : 

  1. Le tweet semble remplacer le communiqué de presse et l’application mobile les intranets… Avec quelles conséquences dans le quotidien de votre métier ?
  2. Comment entendez-vous gagner la bataille de l’attention dans un monde d’infobésité ?
  3. Quel est le rôle du dircom aujourd’hui : une vigie ? Un chef d’orchestre ? Autre ?
  4. Le dircom, un business partner ? En quoi et comment la direction de la communication contribue-t-elle à développer le chiffre d’affaires de l’entreprise ?
  5. In fine, quelle est la formation idéale pour devenir directeur ou directrice de la communication ?

 

Crédits photos et illustrations : Web2Day, Géraldine Aresteanu, The BrandNewsBlog 2018, X, DR.

 

Dix ans d’avance : les fulgurances sémantiques et communicantes de Jeanne Bordeau…

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Livre-évènement. Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance de rencontrer Jeanne Bordeau, à l’occasion de son exposition artistique sur les 1 000 mots qui ont marqué l’année écoulée¹.

Comme beaucoup d’autres avant moi, j’ai évidemment été frappé par le charisme et l’intelligence de cette grande passionnée du langage. Mais presque autant, je l’avoue, par sa simplicité, sa gentillesse et cette qualité d’écoute qu’elle partage manifestement avec chacun des membres de son équipe. Il faut dire qu’à l’Institut de la qualité de l’expression², qu’elle a créé, tout commence par une attention extrême portée à l’interlocuteur. Et les réponses qui vous sont fournies, toujours éclairantes, le sont en des termes choisis, aussi précis, pertinents et signifiants que chacun des mots et chacune des touches de couleurs que « Jane B » vient apporter à ses tableaux³.

Autant dire que j’attendais avec impatience la sortie du dixième ouvrage* de celle que je considère aujourd’hui comme l’une des personnalités les plus visionnaires de la communication et du branding… 

Fidèle lectrice du BrandNewsBlog, Jeanne Bordeau n’a pas manqué de m’adresser en avant-première quelques-uns des chapitres de son nouvel opus, dédiés en particulier à l’écriture digitale et au nouveau langage des marques.

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Pour cette exclusivité et pour l’interview qu’elle a bien voulu m’accorder, je tiens ici à la remercier chaleureusement, ainsi que sa collaboratrice, la très efficace et non moins brillante Joyce Cohen.

The BrandNewsBlog : Tout d’abord Jeanne, félicitations pour ce passionnant ouvrage « Le langage, l’entreprise et le digital », qui devrait rapidement devenir un « must-read » pour les professionnels du marketing, de la communication et leurs dirigeants ! Pour sa publication, vous avez choisi de participer dans quelques jours à un talk show animé par le journaliste Patrick Roger. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce lancement évènementiel, et pourquoi ce dixième opus vous tenait tant à coeur ?

Jeanne Bordeau : C’est un livre réalisé sous forme d’entretiens. Il est naturel qu’il soit présenté de cette manière. Ce talk show avec Patrick Roger, directeur de rédactions, est une manière de dire : « dans cette mutation profonde du langage de l’entreprise, je n’ai pas de réponses gravées dans le marbre. Mais je suis prête à aiguiser votre regard, et à répondre à toutes vos questions ». 

Pourquoi ce livre me tient à cœur ? Il défend une thèse : le savoir dire vient de l’intérieur. Il défend aussi l’idée que le brand content n’embrasse pas tout le langage de l’entreprise. Iconoclaste et engagé, il appelle les dirigeants, communicants et collaborateurs à une prise de conscience : le web a suscité une révolution du langage. Il vit une métamorphose. Pourtant, il reste un capital largement ignoré et mal compris des entreprises…

The BrandNewsBlog : La rédaction d’un tel livre, synthèse des recherches sur le langage menées depuis des années par votre Institut, ainsi que de vos collaborations avec de nombreuses entreprises françaises et internationales, n’était sans doute pas un exercice facile. Vous relevez pourtant le défi avec brio, en expliquant d’abord comment, au-delà du changement de paradigme technologique qu’elle représente, la révolution numérique s’accompagne d’une transformation profonde du langage et d’une révolution de l’écriture. Avec l’essor du digital, qu’est-ce qui a le plus changé dans notre manière de nous exprimer, et pourquoi ?

Jeanne Bordeau : Je voudrais d’abord casser un cliché. On n’a jamais autant écrit, parlé et échangé qu’aujourd’hui. Jamais, l’homme n’a autant rédigé de courriels, de textos, de messages instantanés, de tweets, de statuts Facebook, d’échanges sur les forums… Le numérique ne tue par l’écrit, il le transforme, le brasse, le fait circuler. L’écriture est en mouvement.

Le langage se raccourcit, se condense ou passe du design verbal au storytelling… Certes, chez les jeunes, il est parfois phonétique et la syntaxe paraît hasardeuse. Mais ils parlent moins et écrivent plus. Ces mouvements sont sains, ils réveillent la langue. Et une langue doit bouger avec son temps.

Du côté de l’entreprise, le discours se désankylose. Exit distance et posture d’autorité, l’écriture digitale est naturelle, vive, efficace, démonstratrice, e-mouvante. Alors qu’elle avait tendance à parler tout haut toute seule, la marque s’adresse à vous, elle vous interpelle. Elle est sociale et collaborative : l’écriture vit, respire, tend vers l’autre et devient relationnelle.

Grâce aux réseaux sociaux : une histoire commune s’écrit. C’est le cas bien sûr des love brands comme Nutella, Club Med, Starbucks ou Coca-Cola, mais c’est aussi le cas des grands industriels tels que EDF, Total, Technip ou Saint-Gobain. Lorsque, sur Twitter, EDF vous invite à vivre une expérience à 360º dans une centrale thermique, dans une langue incitative et qui cherche à capter votre attention : c’est un vrai changement de paradigme. On n’est plus dans le top-down, mais dans un rapport human to human, qui séduit les consommateurs et renforce de manière inédite leur lien avec la marque.

L’écriture digitale participe aussi de ces phénomènes d’époques que sont l’«expérience» et l’«émotion». Entre fabrique de l’émotion et plateforme collaborative, sur le web, l’écriture est sensible, mouvante et e-mouvante, parfois immersive. L’écriture digitale crée un écosystème de marque où le produit n’est plus le héros, mais le consommateur. Il est touché au cœur. Par le verbe, Nike, AirBnb, Deezer ou Xbox vous enserrent dans un mecosystem : « Stand up. Be Counted ». « Belong anywhere ». « Discover Music you’ll love ». « Jump in »… L’écriture digitale vous sollicite, vous chavire.

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The BrandNewsBlog : En observatrice privilégiée de nos usages numériques et véritable styliste du langage, vous décryptez les caractéristiques de cette langue nouvelle, enrichie par Internet. Et vous définissez dans le livre les 12 critères qui caractérisent aujourd’hui l’écriture digitale, sur le fond et la forme. « Sociale et collaborative », « mouvante et émouvante », « immersive », « synchronisée » (entre autres), l’écriture 2.0 est selon vous plus « coagulée, créative, efficace et visuelle » que jamais et tend à accrocher à la fois l’oeil, le coeur et la raison. Vous évoquez également – j’ai beaucoup aimé ces expressions – une écriture « augmentée », mais aussi « courte et sloguée ». Que voulez-vous dire par là ?

Jeanne Bordeau : Pourquoi augmentée ? Parce qu’en temps réel, elle agrège monde réel et données virtuelles ; elle est la conjugaison et la photographie d’un environnement en trois dimensions : son, texte et image.

Augmentée aussi parce que sa force d’irrigation lui confère tout à coup une forme d’ubiquité. Une nanoseconde et l’information circule de la social room de marque à votre appli, l’écriture devient GPS, l’écriture devient curseur. C’est le cas lors des attentats de Bruxelles, ce fut le cas le 13 novembre dernier. Par le tweet, par le post, l’écrit acquiert une force virale aussi forte que la parole.

Pourquoi sloguée ? Le court est un phénomène d’époque, parce qu’on parle une langue efficace, qui incarne l’action. On écrit comme on vit. Dans une époque mobile, toujours en continu, il faut répondre vite, en accéléré, être réactif et surtout efficace. Face à l’autre, pas de formalisme, il faut aller dans la chair de l’information, que ce soit pour créer une conversation ou engager le client à l’action (menu, mobile, bornes commerciales). On évoque ainsi le mobile mind shift.

A l’ère du mobile first et mobile only, chaque clic et les mots qui s’ensuivent doivent être une performance linguistique de 140 caractères. Dépourvus de toute contextualisation, il faut condenser son propos sans l’appauvrir, raccourcir son message à l’extrême pour faire durer l’attention. A la manière d’un slogan, il faut le « designer » pour lui donner une vraie force de frappe, décider d’une formule qui fédère, qui convoque la raison et l’émotion. Capable de solliciter et de pousser à l’action, l’écriture est « sloguée » ! C’est le cas lorsque Mac Donald’s twitte : « Let’s always choose lovin’ » ou quand Cartier interpelle ses followers avec : « Say I do with #Cartier. »

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The BrandNewsBlog : Exemple de forme non verbale venue ponctuer l’écriture ces dernières années, les émoticônes sont d’abord arrivés via les réseaux sociaux, avant d’investir tous les formats digitaux. Plutôt qu’un appauvrissement du langage, vous ne manquez pas de souligner qu’ils sont en réalité le plus souvent utilisés par les personnes qui maîtrisent le mieux la langue française… En quoi sont-ils si intéressants et enrichissent-ils les champs d’expression de l’écriture digitale ?

Jeanne Bordeau : Les émoticônes sont utilisés pour simuler l’oral, enrichir le message et renforcer l’expressivité d’un message. L’écriture acquiert de nouvelles dimensions et s’enrichit de la force de l’image. En poser dans un message, c’est comme sourire en parlant. Cela confère un dessin à la pensée. Ils n’appauvrissent pas la langue à condition d’être conscient que parfois, ils normalisent les émotions en cinquante feelings universels… Cette classification normative peut-être parfois réductrice.

The BrandNewsBlog : Des formats courts aux formats longs, vous expliquez aussi, dans votre chapitre sur l’écriture digitale, comment le numérique a véritablement « réveillé le récit ». Marié au digital et désormais multidimensionnel, vous soulignez combien le storytelling est devenu « un outil redoutable pour séduire et fidéliser » les communautés. Pouvez-vous à ce sujet nous donner quelques exemples de storytelling 2.0 particulièrement réussis ?

Jeanne Bordeau : Porteur d’émotions et de belles histoires, créatrice de liens, l’expression numérique possède toutes les qualités pour voguer vers la narration. Et le numérique a en effet « réveillé le récit ». Réévoqué en 2006 par le livre de Christian Salmon, le storytelling est plus que jamais dans l’air du temps : par sa fonction sociale – il transmet les codes de conduite au sein d’une communauté – et par sa fonction culturelle – il transmet un patrimoine et irrigue un univers sensible. Ainsi, on peut dire que le storytelling :

  • réconcilie les dimensions rationnelle et sensible de la langue,
  • crée un fil conducteur, une visée, un ordonnancement,
  • provoque l’attention, fait vivre une intrigue au travers de personnages,
  • fait référence à des stéréotypes qui rassurent et facilitent la compréhension,
  • se fonde sur le partage et l’écoute,
  • installe une atmosphère sensible et de l’émotion,
  • entraîne construction et durée.

Narrée, visuelle, sonore, l’écriture de l’entreprise prend vie. L’image lui a conféré une puissance cinétique. Par des dialogues, par le recours au script, par sa capacité de transporter les internautes dans des univers visuels analogiques, le numérique ré-exacerbe la force d’éloquence de l’entreprise.

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Chez Club Med, le site Happy Life partage ses chroniques du bonheur et laisse la plume aux GMs, aux blogueurs et à ses clients. Le client coécrit l’histoire de l’entreprise. Dans son style, Chipotle crée un univers construit remarquable. Lorsqu’il s’agit de storytelling, j’aime citer également Burberry, Patagonia et Bobbi Brown qui relèvent le pari de créer une maïeutique forte entre collaborateurs et clients. Et vous devez le savoir, le travail mené par Ubisoft est un modèle de storytelling transmédia : la marque crée un univers si matricé que l’internaute, exalté, n’a plus envie de le quitter.

The BrandNewsBlog : Entre écriture de l’immersion, de l’émotion, mais aussi de la pédagogie, du temps réel et/ou de la preuve ; entre formats courts et formats longs… vous venez de citer quelques exemples de marques qui ont parfaitement saisi toutes les évolutions du langage et les utilisent efficacement. Vous citez aussi dans votre ouvrage la langue stylisée et puissante de Nike, le langage humoristique et optimiste d’Oasis, ou  bien des « mécosystèmes » intelligents comme celui de Ioma… En quoi cette marque de cosmétique est-elle une référence à vos yeux ?

Jeanne Bordeau : Dans la jungle des applis beauté, Ioma à moi démontre avec brio ce qu’est « la cosmétique par la preuve ». Ioma possède un lexique fondé sur la technologie et l’innovation. Des verbes expriment l’identité de la marque : «offrir», «protéger», «renouveler», «stimuler». Des tournures créatives donnent le ton : «mon skin code», «my collagen renew». De la relation ultra-ciblée comme «mon soin visage personnalisé» ou «démarrer my coach» est créée. Enfin, les notices des produits sont axées sur le diagnostic personnalisé et le résultat. Ioma associe ainsi univers scientifique et vie cosmétique de l’utilisatrice.

En trois mots, sur des écrans de 5 pouces, Ioma à moi conjugue personnalisation, créativité et technologie : c’est un modèle de design verbal. Atmosphère confidentielle, ambiance feutrée en noir et blanc, on est littéralement plongé dans l’univers graphique, high tech et sémantique de Ioma. Le texte dialogue avec l’image, les mots sont simples, ils sont justes, il signent la marque : « Welcome in… la cosmétique du futur ! »

The BrandNewsBlog : Dans cette quête que vous avez menée auprès de tant d’organisations, pour identifier ce qui les rend chacune singulières et pour produire avec elles un langage qui leur ressemble, vous insistez beaucoup sur l’écoute des collaborateurs. Car pour vous, « le mieux dire vient de l’intérieur » et la légitimité de la marque passe nécessairement par la mobilisation de l’interne et un discours d’authenticité. Quels sont les avantages de partir ainsi du ressenti des collaborateurs ? Et a contrario, quels risques à ne pas le faire ? Vous proposez incidemment de renverser la vision « top-down » de l’entreprise… Mais concrètement : comment vous y prenez-vous sur le terrain avec vos clients et quelles marques y réussissent vraiment ?

Jeanne Bordeau : Par « ce mieux dire vient de l’intérieur », je veux souligner qu’une entreprise ne peut communiquer et se raconter de façon authentique qu’en partant de ses hommes, de leurs savoir-faire et de leurs petits exploits du quotidien.

Ce n’est pas une utopie de penser cela. Après 20 ans de voyages au cœur de l’entreprise, j’ai pu me rendre compte combien la source première de l’entreprise est à rechercher dans son patrimoine humain, son histoire en mouvement, ses sédimentations, ses pépites et grandes victoires. Bien sûr, il faut écouter et décrypter à part égale le client.

Lorsque nous avons eu à comprendre les métiers de Mumm, nous nous sommes rendus en Champagne. Nous avons parlé avec les gens de métier – des vignerons, des ouvriers de vigne, des œnologues. Ils nous ont fait partager leur passion, leurs sens de l’excellence, leurs gestes et savoir-faire à travers des témoignages vivants, émaillés d’expressions spécifiques. Aucun storyteller n’aurait pu imaginer des anecdotes telles que celles que nous avons recueillies là-bas. Aucun storyteller n’aurait pu mieux incarner les valeurs d’excellence, de confiance et d’éthique de la Maison.

Nul besoin alors d’invoquer une brand culture ! Cette différence que les marques tentent d’imposer, contenus après contenus, réside, entres autres, et c’est naturel, dans le récit de ses savoir-faire. On revient ainsi à l’essentiel : ceux qui font l’entreprise possèdent les meilleurs arguments pour la raconter. N’est-ce pas ce que Chanel tente de faire en créant son lexique illustré ?

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The BrandNewsBlog : A vous lire et vous entendre, on pourrait dire, en parodiant une publicité bien connue, que « ce que la marque fait à l’intérieur, se voit directement et nécessairement à l’extérieur »… Est-bien cela ?

Jeanne Bordeau : Le numérique a libéré la parole des personnes sources. Pour tenir ses promesses vis-à-vis de ses clients, il faut qu’elles se fondent effectivement sur la réalité interne de l’entreprise. Comment prétendre être une marque chaleureuse s’il n’existe en interne aucun esprit d’équipe ?

Cela implique de repenser le management traditionnel. Il ne s’agit pas d’imposer d’en haut une vision fantasmée de la vérité de l’entreprise, mais au contraire de nourrir le discours de la marque de tout ce qui la rend spécifique. Chaque moment du discours de l’entreprise s’appuie alors sur des expériences. Bien sûr, on peut toujours faire semblant d’être ce que l’on n’est pas, mais est-ce souhaitable pour les collaborateurs ? Est-ce durable ? Le client s’y laisse-t-il tromper à l’heure de la transparence ?

Certainement pas. On l’a vu lors de la crise Didier Lombard chez France Telecom, on l’a vu plus récemment chez Amazon ou Abercrombie. L’ère du fact-checking est née. Tout se sait. Les propos de l’entreprise sont passés au détecteur de mensonge.

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The BrandNewsBlog : Comme vous l’aviez déjà fait par le passé, notamment dans « Storytelling et contenu de marque », vous ne manquez pas de louer l’efficacité du brand content, un mode d’expression d’autant plus efficace qu’il s’immerge dans les lois narratives et permet de se connecter directement à l’émotion des consommateurs. Mais, réserve importante et sur laquelle je vous rejoins, vous déplorez aussi cette tendance à le considérer aujourd’hui comme le mode d’expression unique de la marque. Au final, cette succession décousue « d’histoires artificielles à la facture souvent parfaite » serait-elle devenue un « cache-misère » de l’expression de la marque ?

Jeanne Bordeau : C’est certain : le contenu de marque n’est pas l’unique moyen de communication de la marque. Il y a la parole du président, la parole éthique et responsable, la relation client…

Le Web crée un champ de discours infini. Puisqu’on écrit en continu, une vraie stratégie de langage est nécessaire, qui relie tous vos champs d’expression afin qu’ils ne s’entrechoquent pas. Pour l’entreprise, pour la marque, créer un contenu ludique ou créatif, c’est du branding de l’instant ; c’est utile, mais quelquefois la distraction immédiate n’est pas l’important. Il faut penser un planning stratégique en langage dans la durée. Répartir et équilibrer la variété des messages.

L’écriture et les textess ont été pris en otage par des communautés créatives externes qui font parfois de la « créa » pour la « créa », et non pour servir l’expertise de l’entreprise et ses offres. Il s’agit d’être au service de l’offre de l’entreprise de ses métiers, de ses collaborateurs, de ses clients. Créer l’aura d’une marque repose aussi sur de la vraisemblance. N’est-il pas temps d’ailleurs de préférer le customer content ? N’est-il pas temps d’opter pour des contenus qui présentent une vraie valeur ajoutée pour le client ? Les contenus captent parfois l’attention de l’internaute de manière remarquable. Mais ils ne sont qu’une première étape de la relation de l’entreprise avec son client…

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The BrandNewsBlog : Dans votre cinquième chapitre, vous constatez notamment la disparition progressive de la communication corporate et la raréfaction de la parole présidentielle en entreprise. Alors qu’ils auraient tant à gagner à devenir en quelque sorte les « éditorialistes » de leur marque et à en incarner les prises de position et la vision, pourquoi cette timidité excessive des P-DG et comment redonner du souffle à la parole « institutionnelle » de l’entreprise ?

Jeanne Bordeau : La parole institutionnelle et corporate du président était une parole d’autorité, top-down : c’est un mode de discours vieilli. Le président doit rester un des acteurs principaux du film de l’entreprise et de la marque, mais il doit se mêler aux autres acteurs. Le président doit échanger avec ses publics internes et externes : youtube, tchats, tweets…

Le président est le chef d’orchestre de son entreprise, il est le garant de son harmonie. Dans une entreprise entrée en conversation, le chef d’entreprise parle plus, il doit posséder et incarner une ligne éditoriale, connaître son style, être le premier porte-parole de la cohérence du discours de son groupe.

Le président n’est pas timide mais il monologue. La conversation signifie précisément le dialogue. Désormais, il parle à un humain, à un collaborateur incarné, à un client présent et non plus à un public indistinct, de façon déconnectée, du haut de messages conceptuels amidonnés.

Le président orchestre la parole, donne le laTesla parle Elon Musk ; et Michelin s’appuie sur l’ampleur, la modernité et la finesse de la parole de Jean- Dominique Senard pour incarner l’audace de la marque. Bien sûr, la marque peut formuler des traits de personnalité qu’elle souhaite atteindre, mais ces traits doivent être en accord avec les valeurs et la vision contée par le président et le Comex. Polyphonie mais pas cacophonie.

The BrandNewsBlog : Progressivement, tandis que les entreprises semblent avoir enfin compris que pour s’inscrire dans la durée, elles devaient posséder une vision sociale et une mission sociétale, vous soulignez à juste titre que leur identité corporate tend à se recomposer autour du « green branding » et du développement durable. Pour autant, si leur action dans ces domaines devient de plus en plus concrète et tangible, les discours RSE demeurent quant à eux stéréotypés, souvent trop généraux et désincarnés. Comment échapper à ces travers ?

Jeanne Bordeau : Le corporate se recompose en effet sous l’impulsion du green branding et de la RSE. De plus en plus, les marques s’expriment par une attitude responsable avec un vrai regard sur le développement durable. Et je pense effectivement que les marques ont désormais compris qu’elles devaient posséder cette vision sociale et une mission sociétale. C’est une nouvelle façon de parler de soi et de poser son identité.

C’est d’ailleurs dans cette direction que se tournent désormais les déclarations d’intention et les baselines des entreprises – tel Danone qui souhaite « apporter le bien-être par l’alimentation au plus grand nombre ». C’est une heure de vérité et de succès. La RSE n’est plus exportée dans un lieu où l’entreprise se donne bonne conscience. Elle est désormais dans chaque acte du collaborateur et dans chaque geste de l’entreprise vers ses publics. C’est là sa juste place.

Oui, les entreprises qui cherchent à posséder une identité reliée à un but authentique savent que leurs clients aiment connaître leurs choix sociaux et sociétaux. La parole du président devra donc gagner en émotion, se vivifier, s’ancrer dans les racines d’une implication durable et responsable sur lesquels les clients se sentent un droit de surveillance et de vérification.

Les seules agences de notation n’y suffiront plus. Le citoyen consommateur affranchi, le collaborateur libéré par la transparence, attendront du Président une parole engagée, variée, vraie, imagée.

Pour échapper aux discours stéréotypés et calqués d’un rapport RSE à l’autre, le discours de l’entreprise doit être nourri de preuves. La marque doit décrire et incarner ses choix éthiques, internes et responsables. Tous ces messages sont désilotés et consultables. Tous ces langages, toutes ces prises de parole doivent posséder cohérence, ligne éditoriale et singularité. Les chartes sémantiques que nous avons créées harmonisent et caractérisent les discours pluriels de l’entreprise pour les rendre singuliers, convergents et distinctifs. La charte sémantique est en quelque sorte la partition musicale de l’entreprise.

The BrandNewsBlog : Bon exemple de ces fulgurances et formules-chocs toujours pertinentes dont vous gratifiez régulièrement le lecteur dans « Le langage, l’entreprise et le digital », vous intitulez votre cinquième chapitre « Les champs disloqués du langage de l’entreprise ». Pourquoi ce titre et à quelles discontinuités faites-vous là référence ? Comment, en définitive, redonner de la cohérences aux diverses expressions de la marque ?

Jeanne Bordeau : Si créatifs soient-ils, les messages « patchwork » et juxtaposés ne construisent pas de cohérence dans l’esprit du consommateur. Aussi, la multiplication exponentielle de contenus entraîne-t-elle un phénomène de saturation qui érode l’attractivité de la marque, son pouvoir de séduction et de fidélisation.

Dans ce maelstrom de changements, les entreprises se diluent et leurs propos estompent la colonne vertébrale de leurs pensées. Nos équipes sont appelées pour nourrir le sens revendiqué, créer un fil conducteur et des contenus porteurs de la spécificité de l’entreprise. Posséder cette expertise nécessite, aussi, transmission et donc création d’écoles de langage interne.

Dans cette guerre du langage, dans cette course à la créativité, nous avons imaginé un bureau de style, l’Institut de la qualité de l’expression, précisément pour aider les entreprises à organiser leur stratégie éditoriale, à imaginer une chaine éditoriale cohérente, a redonner un sens à la multiplicité des messages : du customer content à l’interne, de la parole RSE au contenu de marque ludique.

Média et forum à la fois, plus que jamais, l’entreprise doit savoir qui elle est et pourquoi elle écrit et parle. Ainsi pourra-t-elle commencer à diversifier ses messages sans se disperser. Il faut qu’une entreprise et une marque sachent raconter un univers de façon élargie sans pour autant être excentrique, c’est-à-dire hors de leur centre ; une marque doit exacerber son identité pour être unique et elle-même. Et se distinguer, ce n’est pas être extravagant ni toujours être dans la disruption.

Aujourd’hui, mettre en langage l’entreprise, la mettre en récit, c’est savoir utiliser chaque outil et média social, chaque social room pour qu’une grande histoire collective s’orchestre. C’est penser l’écosystème de messages comme un corps tenu par un fil d’Ariane. Une vraie pensée. C’est cela, le digital maîtrisé : orchestrer ses contenus pour raconter une histoire pertinente et fonder une expérience sincère et séduisante.

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The BrandNewsBlog : En grande pionnière de nos métiers, jamais en panne d’inspiration et de vision, vous rêvez déjà d’une nouvelle organisation du marché de la communication et de la chaîne de production éditoriale, avec le mariage des big data et du langage qui donnerait naissance au « language quality data »… Ainsi, conjuguer votre patrimoine linguistique avec une agence conseil en data analytics ne serait pas pour vous déplaire. Et dans cette nouvelle odyssée de la langue, les compétences littéraires les plus pointues et la matière grise seront particulièrement recherchées, à vous entendre. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces prochains défis que vous aimeriez relever ?

Jeanne Bordeau : Adrien Diaconu, chief logistics technology officer de Rakuten Europe est très clair à ce sujet : « le défi, c’est d’utiliser le smart data sans perdre de vue qu’il sert avant tout à l’hyper-personnalisation des écrits clients. Il faudra, dans ce champ virtuel, sophistiqué, matricé, que le mot relation continue de faire vivre une expérience humaine ». De la technempathie en somme. C’est-à-dire associer le sensible, la relation, l’humain et la psychologie à cette machine pavée d’algorithmes complexes et toujours plus puissants qu’est le numérique.

On voit déjà des contenus prototypisés se créer dans les entreprises. L’hyper-modélisation, les gabarits, la systématisation mutilent la relation de la marque avec ses clients. On revient parfois presque au temps où la marque déployait un discours désincarné et aseptisé.

Les créateurs de bibliothèques de contenus se trompent. On ne reconfigure pas, on n’automatise pas la langue. Dans l’entreprise et sur un marché, une langue vit, respire, relie. Elle est plus que jamais le capital majeur de votre relation avec le client. Le défi sera de la maîtriser sans la castrer, sans l’anesthésier.

Le language quality data, c’est cet art d’écrire et de parler à la hauteur de la sophistication des données collectées sur le client. Pour Alex Pentland, professeur au Massachusetts Institute of Technology et auteur du très prémonitoire Social Physics « L’objectif des data sera d’alimenter, à terme, le social plutôt que de le circonscrire. » 

C’est une odyssée de la langue : du big data au language quality data, dans les newsrooms ou social rooms d’entreprise, dans les ateliers de rédaction de la marque, s’annonce une nouvelle organisation du marché de la communication, une nouvelle conception de la chaîne de production éditoriale. C’est effectivement un pari inédit pour les linguistes : vivre un face à face avec les data scientist et associer, à parts égales, analyse, méthode et ciblage, acuité, création réfléchie et sensibilité ! A ce sujet, notre offre est un des modèles, mais il y en aura très vite bien d’autres. Le besoin est là…

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Notes et légendes : 

(1) Exposition sur les « 1 000 mots qui ont marqué 2015 » en 10 thématiques et autant de tableaux… du 21 au 24 janvier 2016

(2) C’est en 2004 que Jeanne Bordeau a fondé l’Institut de la qualité de l’expression, véritable « bureau de style » en langage, afin d’aider les entreprises à mettre en accord leurs messages avec leur identité et leurs valeurs. Pour cela, elle a crée un certains nombre de concepts inédits et de méthodologies, comme le diagnostic sémantique, la matrice argumentaire, la charte sémantique, la signature sémantique, un observatoire de la lettre ou encore un baromètre de mesure de la qualité de l’écrit. Toutes ces méthodes ont été déposées à l’INPI.

(3) Successivement critique littéraire, lobbyiste, directrice d’une maison d’édition, puis chef d’entreprise et capteuse de tendances, Jeanne Bordeau est aussi une artiste accomplie. Ses tableaux, qu’elle signe sous le pseudonyme de Jane B, sont aujourd’hui reconnus pour leur qualité et leur valeur artistique aussi bien que linguistique.

* « Le langage, l’entreprise et le digital » de Jeanne Bordeau – Edition Nuvis, avril 2016

 

Iconographie : Institut de la qualité de l’expression, Editions Nuvis, TheBrandNewsBlog 2016.

 

Education : la communication et l’enseignement des grandes écoles et universités en pleine transformation

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Il y a 15 jours, je vous faisais part dans un précédent article de quelques conseils concernant le branding des établissements d’enseignement supérieur. De fait, comme je le rappelais alors, cela fait une vingtaine d’années que la plupart des grandes écoles et universités ont véritablement commencé à capitaliser sur leur(s) marque(s) et à la/les valoriser dans le cadre de leurs stratégies de développement.

Mais, à bien y regarder, au-delà des considérations touchant les marques et le branding, l’évolution de la communication et du marketing des établissements a été plus impressionnante et plus rapide encore. En l’espace d’une décennie, et même du dernier lustre, l’enseignement supérieur s’est engagé résolument, quoiqu’avec des disparités et à des rythmes différents ici ou là bien sûr, dans un vaste mouvement de transformation, dont on aperçoit encore que les prémices.

Mobilisées par une concurrence soutenue et la globalisation du marché de l’éducation, les grandes écoles de management ne se sont pas seulement lancées dans de grands chantiers de fusion et des plans de développement international ambitieux. Elles ont aussi commencé à faire leur révolution numérique, rapidement suivies dans ce domaine par les écoles d’ingénieur puis les universités.

Et c’est tout sauf un hasard, si, parmi les principaux chantiers d’innovation identifiés récemment par les directrices et directeurs communication, tous types d’établissements confondus, plus de la moitié sont liés au digital : gestion de la transformation numérique, intégration des évolutions pédagogiques liées aux MOOCS et au e-learning, digitalisation de la promotion, renforcement des formations au digital dans les programmes… entre autres¹.

Pour aborder ces sujets passionnants, je me suis naturellement tourné vers ces experts reconnus que sont Jean-Michel Blanquer (Directeur général du groupe ESSEC), Frank Dormont (Directeur communication d’Audencia et pilote de la communication de l’alliance Centrale-Audencia-ensa Nantes) et Claire Laval-Jocteur (Directrice de la communication de l’université Pierre et Marie Curie et Présidente de l’Association des responsables communication de l’enseignement supérieur).

Merci encore à eux pour leur disponibilité et la richesse de nos échanges !

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The BrandNewsBlog : Tout d’abord Jean-Michel, au regard du contexte que j’évoquais à l’instant (concurrence accrue des établissements aux plans national et international, mondialisation de l’éducation…), quelle vous semble être la place de l’enseignement supérieur français dans ce marché de plus en plus globalisé qu’est devenue l’éducation ? Est-il vrai, comme le rappellent les médias à chaque publication d’un nouveau classement international, que nous souffrons encore de la comparaison aux institutions anglo-saxonnes, voire de la concurrence de puissances éducatives émergentes ? La France a-t-elle un rôle à jouer sur le grand marché éducatif de demain et à quelles conditions ? 

Jean-Michel Blanquer : Il est exact que la concurrence et la compétition sont les réalités  que connaissent aujourd’hui tous les établissements d’enseignement supérieur. C’est assez normal en réalité. Le mot même d’université suggère la notion d’universalité. Ce sont des institutions de savoir qui, par définition, sont en prise avec la science, donc l’universel. Mais elles doivent aussi articuler cet universel avec le particulier, c’est-à-dire le(s) territoire(s) où elles se trouvent. La mondialisation accentue cette réalité. Elle favorise la circulation des professeurs et des étudiants qui était déjà une réalité au Moyen-âge. Simplement, cette compétition est aussi une coopération, c’est pourquoi l’on parle parfois de « coopétition ». Car l’esprit de l’université, c’est aussi le rapprochement des savoirs et des hommes. C’est la nécessité de surcroît de s’associer pour faire avancer la recherche ou faire circuler les étudiants.

Un article de revue scientifique est ainsi souvent signé de chercheurs d’institutions différentes. Deux grandes écoles ou universités à travers le monde peuvent être en compétition dans un contexte et s’associer dans un autre. C’est donc un mode de concurrence assez particulier, un peu différent de celui des entreprises, d’autant plus que la plupart des grands acteurs de l’enseignement supérieur peuvent avoir des objectifs de nature économique mais sont à but non lucratif. Leur raison d’être n’est pas de réaliser un profit.

Dans ce contexte d’internationalisation accrue, la France a de multiples atouts. Je les ai exposés dans un article récent publié sur LinkedIn. Elle a une forte tradition d’accueil des étudiants étrangers. Elle a l’esprit pionnier en se plaçant en quatrième position des pays créant des campus à l’étranger. Elle a des points forts scientifiques qui sont des leviers d’avenir, à commencer par les mathématiques. Nos positions dans les classements en management et en ingéniérie sont très bonnes. Or, il s’agit de domaines clés pour l’économie du futur. Il y a aussi tous les atouts de la « French tech ». Enfin , nos sciences humaines et sociales restent rayonnantes même si nous avons perdu un peu de terrain en la matière. La francophonie, loin d’être quelque chose de marginal, est un atout considérable pour l’avenir. Et ne nous empêche pas d’être actifs dans les zones non francophones.

Si nous savons traiter nos faiblesses, par ailleurs bien réelles, comme la paupérisation d’une partie de l’université, la piètre qualité de la plupart de nos campus, nous pouvons être un acteur majeur de ce domaine clé pour le XXIème siècle.

The BrandNewsBlog : À l’heure où la différenciation semble être devenue le leitmotiv ultime pour la plupart des acteurs et des institutions, quelles sont selon vous les tendances de ce marché les plus porteuses pour les établissements français, grandes écoles et universités confondues ? Notre enseignement a-t-il une spécificité, voire une valeur ajoutée unique à faire valoir et défendre ? Et quels peuvent être le rôle et le poids du branding et de la communication dans cet objectif de différenciation ?

Jean-Michel Blanquer : Il y a un savoir faire français en matière d’enseignement supérieur que l’on ne sait pas suffisamment valoriser. Je pense en particulier à la relation théorie-pratique (le « learning by doing » recherché par toutes les institutions du monde). L’apprentissage dans l’enseignement supérieur a été inventé il y a vingt ans en France (à l’ESSEC d’ailleurs !). Il s’est généralisé et il a des vertus exceptionnelles que l’on retrouve peu ailleurs : financement des études, expérience, insertion, etc.

De façon plus générale, la pédagogie des grandes écoles françaises et des universités est un vecteur d’innovation important. Nous sommes connus pour notre cartésianisme. Nous le sommes aussi pour notre créativité. Mais cela doit être bien mis en valeur par les pouvoirs publics. Je pense que le travail de Campus France va dans le bon sens pour cela…

Il faudrait aussi une présence digitale beaucoup plus forte des institutions françaises et l’on pourrait imaginer une stratégie collective dans ce sens.

A l’ESSEC, nous avons pris ce virage fortement. Nous avons été classés récemment par exemple première école de management en Europe (ex æquo avec la Said Business School d’Oxford) de par notre influence sur twitter.

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The BrandNewsBlog : Je l’évoquais il y a 15 jours (voir ici mon précédent article à ce sujet), la plupart des écoles et universités semblent aujourd’hui avoir compris l’importance du branding et d’une stratégie de marque dans l’affirmation de leur identité et de leurs atouts. Préalable à toute communication réussie, la définition d’une plateforme de marque est une étape à la fois éclairante et essentielle de ce travail. Claire, vous qui avez justement mené une telle réflexion il y a 5 ans pour l’Université Pierre-et-Marie Curie, pourriez-vous nous dire en quoi elle a consisté et quels bénéfices cela vous a apporté ? 

Claire Laval-Jocteur : L’idée de cette plateforme de marque était d’explorer l’image, la perception et le ressenti de l’UPMC auprès de sa communauté et notamment auprès de toutes les personnes en charge de son orientation stratégique, pour construire une image de l’UPMC unifiée et conforme à sa « nature » et à ses modes de fonctionnement.

Cette plateforme a finalement permis de bien asseoir l’identité de l’université et de construire sa posture d’aujourd’hui et de demain pour une communication, non pas « hors sol », mais pleinement enracinée. Concrètement, le travail a été réalisé autour de 3 axes :

–  les racines  et les potentiels de  l’UPMC : depuis les projections jusqu’à la mémoire de l’université, quels étaient  les piliers de son histoire et ses sources de légitimité ?

– la mission de l’UPMC : quelle était la raison d’être de cette entité, comment fédérait-elle ses membres ?

les spécificités et différences de l’UPMC : quelles étaient les ressources uniques, inaliénables et non copiables de l’université, dans sa démarche, sa nature, ses projets, etc ? Quelles étaient ses valeurs ? Et le fameux esprit UPMC, en quoi consistait-il ?

Ces questions et cette méthodologie ont constitué pour nous un fondement précieux pour bâtir dans un second temps la stratégie de communication de l’université, créer les messages-clés et déterminer la signature la plus adaptée à l’identité de l’université. En l’occurrence, la plus ambitieuse, celle qui représentait le mieux nos missions fut : « Créateurs de futurs »…

The BrandNewsBlog : Entre une université de province solidement implantée dans son écosystème local, une école d’ingénieurs au rayonnement national et une grande école de management multi-campus à la notoriété mondiale, on imagine bien que le travail quotidien et les moyens des communicants ne sont pas exactement les mêmes… Néanmoins, eût égard au statut particulier des établissements et aux missions qui les différencient d’autres types d’organisations (entreprises, administrations…), pourriez-vous nous rappeler quels sont les enjeux de communication communs à tout établissement ? Et quelles sont les spécificités du métier de communicant dans l’enseignement supérieur ?

Claire Laval-Jocteur : A l’Arces², nous menons un Observatoire des métiers de la communication depuis 10 ans maintenant. Voici quelques-uns des enseignements… Tout d’abord, pour ce qui est du profil type, on peut rappeler que le communicant dans l’enseignement supérieur est d’abord une communicante  (83 % sont des femmes) de 40 ans qui exerce (à 81%) des fonctions de communication depuis plus de 6 ans. Ce sont des professionnels de plus en plus formés à la communication, avec des niveaux de diplôme de plus en plus élevés (88% ont un bac +4/5), y compris quand on compare avec les collectivités ou les entreprises.

Le communicant de l’enseignement supérieur travaille sur 3 axes :

  • Il construit et développe l’image de son établissement : 89%
  • Il est chargé de fédérer sa communauté et créer du sentiment d’appartenance : 65%
  • Enfin, il doit permettre de recruter les meilleurs étudiants : 59%

La dernière enquête menée en 2015, a fait ressortir plusieurs phénomènes :

– la montée en puissance du digital : à tous les niveaux du quotidien, il a révolutionné nos métiers et les outils de communication (sans pour autant faire disparaître les outils classiques !). A ce titre, 87% des personnes interrogées, quelle que soit leur fonction, déclarent consacrer entre 1 et 10 heures par semaine aux réseaux sociaux de leur établissement.

– la fonction communication est de plus en plus intégrée dans les établissements : il y a une prise de conscience  que cette fonction est stratégique : dans 80% des cas, elle fait partie intégrante de la stratégie de l’établissement. Quand on demande aux communicants s’ils font partie du comité de direction, ils répondent oui à 56 %… soit une progression de 10 points en 10 ans.

enfin, le poids des rankings, qui deviennent un objectif prioritaire des établissements, et constituent la 5ème priorité des communicants, avant même la relation avec les diplômés ou la recherche de financement.

Frank Dormont : J’ajoute, à mon humble avis, que le métier de Dircom de l’enseignement supérieur est bien plus compliqué que celui de dircom d’une entreprise du CAC 40, car les cibles internes et externes sont multiples et le calibrage des messages n’en est que plus complexe… et passionnant (venant du monde de l’entreprise, je mesure ce « gap » tous les jours !).

Je parlerai surtout, quant à moi, de l’évolution des services de communication, car la complexité de notre métier de communicants exige un travail d’équipe.

En effet, nos écoles deviennent devenant de véritables médias, la direction de la communication s’impose désormais comme une direction stratégique qui participe à la définition et à la mise en œuvre de la stratégie globale de nos institutions, afin de mettre en cohérence le positionnement, l’identité de marque, les messages et les cibles au service d’une communauté de parties prenantes et du grand public. Véritable colonne vertébrale de la stratégie de développement de nos écoles, la communication doit coller à l’image perçue par nos  « clients » et parties prenantes, tout en conservant un temps d’avance.

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Direction transverse, support de toutes les autres directions mais également des programmes, la communication est dorénavant structurée et pilotée par des experts aguerris, tant pour l’externe que pour l’interne. Je tiens à ce propos à souligner que l’interne reste, particulièrement dans l’environnement de l’enseignement supérieur, un atout fondamental pour la communication via le partage des valeurs communes qui permet aux personnels et aux enseignants chercheurs de devenir de véritables ambassadeurs de la marque. Notre mission est de les informer et de les mobiliser pour les rendre fiers d’appartenir à l’institution qui les emploie. C’est un prérequis à l’innovation.

Le marché de l’enseignement supérieur subit actuellement une profonde mutation au niveau local, national et international. En effet,  nous sommes aujourd’hui devenus de véritables entreprises, avec leurs clients – les étudiants – dans un secteur très concurrentiel. Le dernier classement SIGEM, la baisse considérable des subventions publiques et la réforme de la taxe d’apprentissage ne font que renforcer ces tendances, nous imposant d’être à la fois REACTIFS, AGILES, COHERENTS et PERTINENTS, tout en innovant sans cesse.

Dans ce contexte, la politique de marque mise en œuvre dans nos établissements, fondée sur une identité forte, sur nos valeurs et sur l’offre de formation, est le prérequis à toutes les actions que nous menons et un puissant levier de différenciation et de développement. Nous sommes en effet emportés dans la course de la mondialisation avec quasiment 40 années de retard par rapport aux écoles et universités étrangères telles que Wharton, Harvard ou le MIT et cependant nous devons absolument continuer à faire rayonner nos territoires locaux d’appartenance.

Ainsi, lorsque nous commercialisons un programme sous notre marque, nous devenons le véritable levier stratégique de la différenciation et du développement de nos institutions. Dans un contexte de concurrence de plus en plus exacerbé, la montée en puissance des services de la communication dans les écoles, l’évolution nécessaire des budgets et du nombre de personnes employées, nous permettent – une fois encore – d’augmenter la visibilité et l’attractivité de nos établissements afin de recruter davantage de bons étudiants mais également d’attirer les meilleurs enseignants-chercheurs dans chaque domaine d’expertise.

Nous continuons d’utiliser les outils habituels de la communication : Internet, les salons, les forums et les journées portes ouvertes (qui reprennent de la vigueur), les relations presse, les brochures, les mailings et le référencement sur la toile… mais nous avons pris conscience de l’importance des réseaux des alumni, devenus de véritables formidables atouts de communication et de croissance. Ils constituent le cœur de ces communautés d’écoles en plein développement et les garants de l’excellence de nos institutions.

The BrandNewsBlog : Dans un passionnant Livre blanc publié récemment au sujet de la communication des établissements¹, les intervenants insistent notamment sur la grande multiplicité des cibles à adresser (parents, étudiants, alumni, partenaires, entreprises…) et sur la complexité du brand management quand il s’agit de promouvoir plusieurs marques à la fois. Vous mêmes, Franck, êtes à la fois directeur de la communication d’Audencia et pilote de la communication d’une alliance d’écoles³. Pourriez-vous nous en dire davantage sur cette contrainte de communication que représente la gestion multi-marque ? Et en quoi, le cas échéant, le digital l’accentue / l’atténue ?

Frank Dormont : l’Ensa Nantes, Centrale Nantes et Audencia Business School n’ont pas les mêmes objetifs en matière de communication. Le calibrage de nos messages et les outils déployés sont totalement différents. Cependant, dans le cadre de l’hybridation des compétences, pour préparer nos étudiants aux métiers de demain – dont 60 % n’existent pas aujourd’hui – nous nous devons de faire émerger, ensemble, des axes de communication totalement différenciateurs.

Au travers de la communication de l’Alliance, nous nous efforçons de développer une nouvelle façon de travailler, à la fois informative et fondée sur la substance de nos trois entités. Dans son identité visuelle, l’Alliance reprend les trois logos des écoles pour créer une fluidité dans une communication où chacun s’approprie des outils partagés. Parce qu’Audencia possède une plus grande maturité et y dédie des moyens plus importants, c’est notre direction de la communication qui pilote l’ensemble, en coopération et en totale transparence avec les deux autres Dircom.

Ainsi, l’Alliance vient cosigner des actions communes comme notre incubateur. Nous avons inclus beaucoup de contenus dans l’Alliance, sans « brutaliser » aucune des marques, en préférant mettre en avant un bloc signature plutôt qu’une marque porte-drapeau créée ex-nihilo et qui aurait, dans un premier temps, pu égarer les publics. Les sites Internet et Intranet de l’Alliance mettent en avant nos valeurs et réalisations. Demain, un candidat sera d’abord attiré par les parcours communs que l’Alliance permet de développer et par son rayonnement. Pour autant, cela n’enlève rien à l’ADN des institutions dont les marques écoles sont très fortes.

Les candidats savent ce que le groupe Audencia et l’Alliance peuvent leur apporter et choisissent le programme qui leur convient le mieux. Le programme Grande École d’Audencia Business School reste bien entendu le programme « phare » pour Audencia, comme le diplôme d’ingénieur ou d’architecte le sont pour nos deux partenaires. SciencesCom et l’EAC proposent aujourd’hui des bachelors / cycles master estampillés Audencia Group. Ceux qui y postulent sont attirés par le rayonnement de l’établissement, la qualité des parcours de formation autant que par les publications qui permettent de prouver la valeur de l’institution. Et je ne m’interdis pas, dans un avenir (très) proche, de rassembler nos écoles Audencia Group sous une seule et même marque ombrelle Audencia Business School, afin de leur faire bénéficier de la puissance de la marque Audencia.

The BrandNewsBlog : En tant que dircoms de chacun de vos établissements, vous avez assisté, Claire et Frank, à l’avènement de cette fameuse « révolution numérique » qui a touché en premier lieu ou presque le secteur de la communication. Quelles sont selon vous les grandes caractéristiques de cette révolution et leurs conséquences, en termes d’usages et de comportements, de la part de chacune des parties prenantes de vos établissements ? Quels sont les évolutions qui en découlent dans vos métiers et vos pratiques de communicants ?

Claire Laval-Jocteur : La transformation digitale touche tout le monde et à une vitesse incroyable. Cela induit des changements de paradigmes de différentes natures pour nous communicants : cela modifie l’approche managériale de nos équipes et le rapport avec nos publics ; cela impacte nos processus de production éditoriale, car il convient  de nourrir en permanence nos cibles en proposant des contenus qualitatifs. On « pushe » l’information vers nos publics et non plus l’inverse. Enfin, nous devons appréhender de nouveaux outils/médias très très rapidement. Le temps est accéléré, on se doit d’être réactifs, ce qui n’est pas sans poser des difficultés dans des structures universitaires où le rapport au temps est plus long et où les circuits de validation peuvent être parfois complexes.

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La transmission des savoirs, le recrutement d’étudiants, l’attractivité des écoles et des universités passe de plus en plus par le digital… et l’ensemble de nos communautés doit être formé et s’en emparer. C’est un nouveau rapport au monde et à autrui.

Frank Dormont : De fait, on constate que le web 2.0 a en quelque sorte « sanctifié » la communication naturelle et l’on mesure depuis une petite dizaine d’années l’importance croissante de la communication digitale en termes d’appui et de complémentarité. Cette communication digitale prend en compte l’ensemble des modes d’expression interactifs depuis la communication naturelle jusqu’à l’innovation physico-numérique. La communication doit dorénavant gérer tous les points de contacts de la marque off-line comme online et préparer l’avenir face à la montée des pure players et à l’« ubérisation », qui guette chacun de nos établissements.

Dans ce monde où le virtuel et le réel se confondent, où les pratiques, les habitudes et le rapport de chacun au travail sont révolutionnés, nous devenons de véritables créateurs de contenus (brand content) dans une culture de l’interaction, du partage et de la prise de parole. Les équipes des services communication sont les acteurs de ce changement de paradigme et doivent sans cesse penser multicanal, concevoir des contenus adaptés et diversifiés, basés sur des preuves. Nous devons « promouvoir » nos programmes, sans les survendre, tout en restant les garants de la stabilité des messages et de la réputation de nos établissements.

Les nouvelles expertises que nous développons, soit dans le modèle « brand newsroom » (logique média/canal/contenus), soit dans le modèle plus traditionnel et transverse de « guichet de communication» (logique servicielle de fonction support aux directions de l’entité), doivent nous permettre d’évoluer rapidement vers un modèle basé sur la gestion des « priorités parties prenantes » (modèle d’influence orienté vers les cibles de nos institutions). Nous devrons nous organiser par public cible, définir une stratégie par sujet et désigner un expert par thématique, même si nous tendons souvent vers un modèle mixte qui agrège plus ou moins l’ensemble des trois modèles décrits ci-dessus. Il s’agit là de concilier la tradition et les conventions, tout en préservant la valeur des accréditations et des classements, bien que la légitimité de certains reste discutable tant par la méthodologie adoptée que par l’impact  de l’engagement personnel de celui ou celle qui les pilote.

En tant que dircom, nous sommes souvent les instigateurs des évolutions numériques et de l’innovation et nous avons la charge et la mission d’accompagner tous les collaborateurs vers ce degré de maturité physico-numérique. En procédant ainsi, nous continuerons de développer une forte création de valeur au sein de nos institutions.

The BrandNewsBlog : Lancements et animation de blogs, développement d’une présence active sur les réseaux sociaux « grands publics » et professionnels, recours de plus en plus récurrent à la vidéo, refonte éditoriale et technique des sites web, pour mettre en avant les contenus et s’adapter aux contraintes de la navigation mobile (responsive design)… la « digitalisation » de la com’ est allée bon train dans l’enseignement supérieur, exigeant sans cesse davantage de moyens et de ressources (que n’ont pas toujours les établissements). Quels sont les principaux enjeux de ces investissements et comment y répondez-vous, en termes d’organisation et de répartition des tâches au sein de vos services ?

Frank Dormont : Comme toute la société, et encore plus rapidement face à un public plus jeune, la communication des établissements d’enseignement supérieur devient de plus en plus digitale et le rôle du « dircom » s’en trouve totalement bouleversé. Pour conduire le changement, c’est donc le plus souvent sur la direction de la communication que s’appuient les écoles.

Les investissements sont importants car au-delà du digital, les réseaux sociaux ont sans contexte représenté le plus grand bouleversement de ces dernières années sur le front de la communication, en donnant à tout instant la parole à tous. Et particulièrement aux plus jeunes ! Les réseaux sociaux ont changé la donne et sont aujourd’hui le meilleur vecteur pour parler aux étudiants, notamment aux ingénieurs. C’est pour cette raison qu’Audencia a fait le choix depuis 3 ans de développer un véritable pôle DIGITAL au sein de son service de communication.

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En qualité d’institut de formation, nous avons tout d’abord commencé par former les 280 salariés du Groupe au digital. Pour que « tout le monde soit plus agile » et que chacun utilise les outils digitaux, mieux vaut bien les y préparer. Depuis, ceux qui twittent pensent bien à le faire avec le @Audencia et le #Audencia.

Mais gérer + de 100 contributeurs actifs n’a rien de facile. Cela nous est arrivé de demander à un contributeur d’enlever un tweet qui était prématuré. Car qui dit réseaux sociaux, dit aussi instantanéité et réactivité. Une saute d’humeur peut se transformer en crise et il faut savoir réagir très vite face à des étudiants aguerris qui savent communiquer dans l’instant et n’ont pas peur d’interpeller les responsables présents sur Twitter ou ailleurs. J’insiste sur la nécessité de « réassurer » et de « remettre dans le cadre » : en effet, alumni et étudiants s’autogèrent plutôt bien sur les réseaux et ils sont capables de rétablir les choses à leur juste valeur si nécessaire, car ils sont fiers de leur école. Mais comme tout process de communication, il y a des règles et un process à respecter néanmoins.

Mon responsable digital, Emmanuel Pierson,  est entouré d’une équipe de trois personnes et emploie un community manager à plein temps depuis plus de deux ans. Aujourd’hui, nous souhaitons aller plus loin et solliciter davantage d’engagement de toute la structure, depuis les étudiants jusqu’aux alumni, pour assurer notre présence constante sur les réseaux sociaux.

Claire Laval-Jocteur : Comme je l’ai évoqué plus haut, toutes nos équipes doivent être formées et s’emparer de ces nouveaux outils. A l’UPMC, nous venons de recruter un animateur de communautés digitales, pour donner une cohérence, former, canalyser, veiller… car ces outils et leur utilisation doivent s’inscrire dans une réelle stratégie, avec une ligne éditoriale précise, suivie, engagée : que veut-on dire, à qui et quand ? Sur quel ton, et par quel réseau ? 

Le temps de la communication verticale devient obsolète. Le message conçu et diffusé à un moment précis pour un public précis, devient de plus en plus compliqué à maîtriser. C’est toute l’organisation et la stratégie de communication qui doivent s’adapter : les directeurs de communication font face à des publics qui savent – ou qui peuvent en savoir – plus qu’eux en un instant.

The BrandNewsBlog : Disposant de sa propre école de communication (Sciences Com) et actionnaire d’une télé locale (Télé Nantes), qu’il héberge dans ses locaux, Audencia Group est assez précurseur dans l’intégration média-contenus et bénéficie d’une véritable force de frappe en matière vidéo notamment. Comment utilisez vous ce média spécifique et comment exploitez-vous par ailleurs les ressources relativement importantes dont vous disposez pour la communication ? Les résultats sont-ils probants, en termes de visibilité et d’attractivité, pour capter notamment de bons étudiants et les meilleurs enseignants chercheurs ?

Frank Dormont : Effectivement, Audencia est le seul groupe de l’ESR actionnaire d’une télévision et membre de droit du CA. Nous venons d’ailleurs de nous associer avec la CCI Nantes St-Nazaire et Télénantes pour porter le projet super innovant du Médiacampus. L’ambition est de créer un lieu unique et fédérateur au sein du Quartier de la création à Nantes, qui regroupera un établissement d’enseignement supérieur (SciencesCom d’Audencia Group), un média (Télénantes télé et radio) et un plateau tertiaire.

L’ouverture du Médiacampus est prévue au printemps 2017.  Ce sera un point unique en France et en Europe de convergence dans les domaines de la culture et de la création  ! Ce projet a pour ambition de devenir un lieu emblématique et fédérateur, rassemblant plusieurs acteurs de l’économie, de la communication et des médias.

L’une des premières réalisations concrètes sera la création d’un partenariat avec d’autres établissements d’enseignement supérieur et de recherche, dont l’Université de Nantes, d’un laboratoire de recherche incitant à l’innovation et à la collaboration entre les différents acteurs de la profession (formation, information, journalisme, études, publicité, communication, télécoms…).

Le Médiacampus sera situé au cœur du Quartier de la création de l’île de Nantes, site en pleine mutation et forte recomposition urbaine. À la croisée d’une politique culturelle volontariste menée depuis 20 ans et d’un projet urbain ambitieux sur l’île de Nantes, le Quartier de la création fait émerger un pôle d’excellence dans le domaine des industries culturelles et créatives.

Le bâtiment rejoindra ainsi l’ensemble des projets architecturaux qui ont donné un nouveau souffle et un nouveau visage au patrimoine industriel de l’île de Nantes : l’École Nationale Supérieure d’Architecture, la Galerie des machines, la Fabrique, le Centre commercial Beaulieu, l’École des Beaux-Arts, etc. Véritable carrefour de formation et d’échanges, le Médiacampus vise à intégrer des acteurs variés autour d’un socle composé de SciencesCom et de Télénantes.

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Les professionnels en devenir que sont les étudiants de SciencesCom pourront s’exercer à leur futur métier dans des conditions exceptionnelles, tandis que Télénantes bénéficiera du regard neuf de la nouvelle génération. Cette coopération est également source de création de nouveaux objets médiatiques pour la pédagogie. Ainsi, apprentissage, partage, expérimentation, recherche, incubation, figurent au cœur de cette collaboration jusqu’alors unique entre une école et une télévision.

The BrandNewsBlog : Mobilisation des étudiants et des alumni autour des valeurs, des projets et de la marque de l’établissement, recrutement et fidélisation (notamment via les réseaux sociaux) de relais susceptibles de faire sa promotion à l’étranger, incitation des partenaires et des anciens à participer aux campagnes de fundraising… la notoriété d’un établissement, le dynamisme de ses réseaux d’anciens et la richesse de sa fondation constituent en quelque sorte le triptyque de sa réussite. Dans cette optique, quelle est votre stratégie et quelles actions menez-vous pour inciter vos étudiants, alumni et partenaires à devenir de véritables ambassadeurs de vos établissements ? 

Claire Laval-Jocteur : La question des alumni est très récente à l’université, depuis la création des Fondations. Récemment, nous avons mené une campagne de crowdfunding qui a très bien marché et nous avons bien sûr utilisé les réseaux sociaux entre autres. La mobilisation a été très forte car le sujet était parfaitement connecté au réel, aux enjeux sociétaux et que la personne qui a porté cette opération est un chercheur charismatique, véritable ambassadeur des recherches sur le climat menées au cœur de l’établissement. La communication autour du projet a joué un rôle crucial, tout comme les réseaux.

Frank Dormont : Un établissement reconnu, une association d’anciens dynamique, une riche fondation engagée, tel est aujourd’hui le triptyque de la réussite d’un établissement d’enseignement supérieur. La gestion des associations d’anciens et des fondations, toutes deux plus ou moins indépendantes de l’établissement d’enseignement supérieur dont elles sont l’émanation, fait aujourd’hui partie des enjeux de communication majeurs.

La richesse d’une école, c’est avant tout, en effet, son réseau d’alumni. Et comme le dit si bien la présidente des alumni Audencia, Estelle Marie, « Audencia Alumni joue un rôle capital de ‘service client’ qui, bien rempli, nous garantit les meilleurs ambassadeurs au monde pour défendre et faire rayonner notre école ».

En effet, depuis 2014, le déploiement des communautés de bénévoles impliqués par région, pays, club, programme, promotion, entreprise est en vitesse de croisière. Force de proposition et initiateur de projets, ce réseau étendu et mobilisé permet le rayonnement mondial de l’école. À titre d’exemple, notre Volunteer Academy,  dispositif d’animation des bénévoles, les accompagne au moyen d’une lettre d’information bimensuelle et d’évènements dédiés.

Il est vrai que les anciens diplômés se sentent un peu propriétaires de la marque de l’établissement qui les a formés. Pour les établissements d’enseignement supérieur, c’est à la fois une chance formidable de posséder un réseau puissant de professionnels (surtout quand ils ont bien réussi !), réseau qui a tout intérêt à promouvoir sa marque école. Mais cela peut représenter également un frein, quand il faut faire évoluer la stratégie – donc la communication – et que les alumni n’y adhèrent pas… Dans tous les cas, il faut travailler cette relation singulière et coopérer en étant totalement transparents.

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Si, aux États-Unis, la recette qui amène tout naturellement les alumni au fund raising est bien connue, il s’agit d’un réflexe beaucoup moins naturel et encore peu répandu en France. Pour développer ce fund raising, Audencia en a fait un axe de son plan stratégique (Audencia 2020). Il est vrai que le montant des dons collectés par les fondations d’X et HEC a de quoi faire rêver toutes les institutions d’enseignement supérieur. Surtout si elles imaginent un jour pouvoir se comparer aux grandes institutions américaines, comme Stanford qui, pour la première fois en 2012, a dépassé le milliard d’euros de dons ! Mais force est de constater que la générosité des anciens, hormis les deux grands exemples cités précédemment, est encore loin d’être équivalente en France.

Dans tous les cas, les associations d’alumni constituent de véritables « communautés » d’anciens qui se mobilisent autour de valeurs communes et, souvent, de la volonté affichée de rendre aux plus jeunes une partie de la réussite qu’ils doivent à leur école. Les anciens d’HEC, par exemple, sont très mobilisés par la délivrance de bourses, qui couvrent intégralement les frais de scolarité des plus modestes.

Cette réussite dans l’implication des anciens est aussi le fruit d’un travail de sensibilisation et de communication, que nous avons entrepris de mettre en place à Audencia avec le pôle Alumni.

The BrandNewsBlog : Vis-à-vis de vos différents publics, les chercheurs et professeurs de vos établissements s’avèrent souvent eux aussi de bons, voire les meilleurs ambassadeurs de vos marques. Comment les encouragez-vous à prendre la parole ou les accompagnez-vous, notamment sur les réseaux sociaux ? Leur participation se fait-elle de manière spontanée ou faut-il l’encourager / l’encadrer ?

Frank Dormont : Les professeurs et les chercheurs sont les moteurs de l’innovation pédagogique et ce principe est d’ailleurs profondément ancré dans l’ADN d’Audencia. Il nous revient la mission de leur donner de la visibilité et de faciliter l’accès à ces ressources d’information. C’est notamment dans cette optique que nous encourageons, formons et aidons nos chercheurs à divulguer et vulgariser leurs travaux de recherche, illustrant ainsi mon propos liminaire qui fait d’Audencia dorénavant un véritable média.

Nous avons également créé les cahiers de la recherche et de l’innovation en format digital et papier, à destination de nos publics cibles et de nos parties prenantes.

Claire Laval-Jocteur : En ce qui nous concerne, nous venons de recruter un animateur de communautés digitales. Tout est à faire ! La tâche est passionnante ! Sa mission va donc consister à créer et fédérer les communautés (étudiants, personnels, alumni…) sur les réseaux sociaux et les différentes plateformes : en organisant de manière cohérente et articulée l’animation des réseaux UPMC (Facebook, Twitter, YouTube, LinkedIn, Instagram…), en impulsant et coordonnant, avec rigueur, l’ensemble des informations des directions et services de l’UPMC, pour les mettre à disposition sur les supports existants ou à venir.

The BrandNewsBlog : A l’heure de la mondialisation de l’éducation et de cette concurrence internationale exacerbée que j’évoquais en introduction, on sait l’importance des classements sur l’image et la réputation des écoles. En particulier des classements internationaux (rankings du Financial Times pour les business schools, classement de Shanghai pour les universités et écoles d’ingénieur…). Comment travaillez-vous à l’amélioration de ces classements et quels sont les autres leviers et indicateurs à surveiller en termes de réputation ? J’ai notamment découvert avec effarement que certaines écoles incitaient, voire alimentaient leurs étudiants pour créer des bad buzz et déstabiliser leur concurrentes… Ces pratiques sont-elles monnaie courante ?

Jean-Michel Blanquer : Les classements sont importants dans le monde d’aujourd’hui, pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur, car ils sont un facteur d’émulation et ils créent des éléments de comparaison accessibles à tous. Pour le pire, car ils peuvent être vecteurs de standardisation voire d’artificialisation.

J’ai intégré la question des classements dans ma stratégie pour l’ESSEC en prenant en compte les critères les plus importants qui me semblaient pertinents pour l’école (par exemple, en matière de publication ou d’internationalisation) et en les intégrant dans les objectifs précis de notre stratégie. De cette manière, nous ne les vivons pas comme une contrainte ex post mais comme un stimulant ex ante. Au total, cela nous permet de bien vivre avec, dans un esprit de fair play.

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Les pratiques de concurrence déloyale que vous évoquez sont inacceptables et devraient être sanctionnées quand elles existent. Elles sont évidemment impensables dans mon établissement… Ceux qui pratiquent cela se disqualifient et sont en dehors de l’esprit académique selon moi. Ceci étant, je ne crois pas que ce soit « monnaie courante ». Dans le domaine académique comme en sport, le « fair play » est en effet la meilleure stratégie et la meilleure philosophie.

Frank Dormont : Les seuls ranking fiables, avec une méthodologie irréprochable, sont à mon avis le classement du Financial Times et le classement SIGEM, dans lequel Audencia est reconnue comme la sixième école de management française depuis plus de 15 ans. Pour les autres classements, la stratégie n’est souvent pas prise en ligne de compte. Par exemple, Audencia n’a pas fusionné et donc reste relativement petite par rapport à ses consœurs. C’est un choix qui nous pénalise dans les classements (en termes de taille, de budget, de nombre d’étudiants…). Pour l’international, nous n’avons pas vocation à emmener des centaines de jeunes sur un lieu dédié à l’étranger. Nous préférons le sur mesure, mais nous déployons des campus à l’international pour former les jeunes asiatiques en Asie et prochainement les jeunes africains en Afrique… Mais tout cela n’entre pas en ligne de compte dans les critères des classements.

Notre Alliance, fondée sur l’hybridation des compétences, qui est la stratégie gagnante pour former les jeunes de demain aux futurs métiers, ne rentre pas non plus dans les critères des classements car c’est nouveau pour la France (alors que le MIT existe depuis des dizaines d’années aux USA)…

Dans une optique d’amélioration continue, nous venons de mettre en place une task force afin de conserver notre place dans les classements. Et bien évidemment nous surveillons par une veille active sur les réseaux sociaux et par une revue de presse journalière (depuis trois ans) tout ce qui se dit et se fait sur le marché de l’ESR.

En ce qui concerne la concurrence, il est hélas notoire que certaines écoles, plutôt que de proposer de vraies innovation et de viser le long terme, mandatent des étudiants ou des entrepreneurs pour créer du bad buzz sur la toile ; d’autres vont jusqu’à fournir à des tiers des éléments de langage agressifs et surtout non fondés,  qui sont colportés notamment lors de la périodes des admissibilités… Ces agissements sont fort dommageables pour toute la filière et c’est oublier que c’est ensemble que les écoles de la CGE seront plus fortes face à la mondialisation. J’ai d’ailleurs proposé la mise en place d’une charte d’éthique entre les écoles du haut du tableau, pour lutter contre ce genre de phénomènes.

The BrandNewsBlog : Bien sûr, la transformation digitale des établissements ne le limite pas à la communication. Le contenu des programmes, les enseignements et l’organisation même des grandes écoles et universités sont fortement  impacts par les nouvelles technologies : développement des MOOCS, dématérialisation de l’éducation, formation des étudiants, des enseignants et des personnels administratifs… Quels sont les principaux enjeux et quelles initiatives marquantes mettez-vous en place à l’ESSEC pour y répondre, Jean-Michel ? 

Jean-Michel Blanquer : Nous avons développé ce que nous avons appelé la « bibliothèque du XXIème siècle », également baptisée « knowledge center ». Depuis qu’il y a des institutions académiques dans le monde, la bibliothèque est l’institution centrale, en tant que matrice de connaissance et lieu de consultation. Cela doit rester le cas aujourd’hui en tenant compte des révolutions digitales qui viennent ajouter des possibilités et des fonctions à ce lieu central. C’est ainsi que notre knowledge lab est devenu une véritable « fabrique à MOOCS », car nous avons des processus et un équipement qui permet de développer efficacement des films de grande qualité. Nos étudiants doivent aussi être formés aux enjeux des révolutions digitales : enseignement en ligne, 3D, réseaux sociaux, big data, etc.

Nous avons pris plusieurs initiatives dans ce sens notamment dans le cadre de notre chaire « digital analytics » avec Accenture.

Nous avons aussi fait évoluer certains processus pédagogiques. Par exemple, avec « Imagine ton cours », nous rapprochons recherche et enseignement : des professeurs viennent exposer leurs recherches devant les étudiants. Ceux-ci réagissent par petits groupes en formulant les idées et désirs de cours que cela suscite chez eux. Les professeurs viennent ensuite écouter cela et élaborent des projets de cours correspondant à ces attentes. Les étudiants votent ensuite pour ces projets. Les projets retenus deviennent ainsi des cours de l’Essec, présentiels ou en ligne.

C’est un exemple parmi d’autres d’évolutions qui accroissent l’implication des étudiants dans les enjeux de développement de leurs savoirs et de construction de leur avenir.

The BrandNewsBlog : Dans ce raz-de-marée et ce changement de paradigme que représente la révolution numérique, y-a-t’il un réel risque d’ubérisation du modèle éducatif traditionnel tel que nous le connaissons ? Capitaliser sur la marque des établissements et une stratégie de marque cohérente et offensive n’est-il pas d’autant plus important dans un tel contexte ?

Jean-Michel Blanquer : Nous allons assister (nous y sommes déjà !) à une transformation mais pas à une disparition des universités. Je ne crois pas du tout à cette disparition car je pense, tout au contraire, que plus il y a digitalisation plus on a besoin de lieux physiques pour l’échange et la vie collective.  A l’ESSEC, notre marque de fabrique c’est « l’esprit pionnier », car nous associons les principes d’innovation aux valeurs de l’humanisme. Ceci est compris et intégré profondément par nos étudiants et par tous ceux qui veulent nous rejoindre dans le monde. Je pense que l’université sera dans le futur, plus que jamais, l’institution centrale de la vie politique, économique et sociale. Dans un monde de plus en plus technologique, c’est elle qui peut permettre de réaliser l’objectif difficile de le rendre quand même de plus en plus humain.

 

 

Notes et légendes :

(1) Source : Livre blanc « La communication dans les établissements d’enseignement supérieur » réalisé par Audencia, en partenariat avec le pôle communication et la Conférence des Grandes Ecoles.

(2) l’ARCES est l’Association des Responsables de Communication de l’Enseignement Supérieur. Comptant près de 500 adhérents, cette association créée en 1985 rassemble la grande majorité des responsables de communication des grandes écoles et universités, selon la répartition suivante : 40% d’universités, 38% d’écoles d’ingénieurs, 7% d’écoles de commerce et 15% d’autres établissements de l’enseignement supérieur + 14 membres associés. 

(3) L’Alliance est l’association constituée par les trois grandes écoles de Nantes : Ecole Centrale de Nantes, Ensa Nantes et Audencia Business School dans le but principal de promouvoir l’enseignement supérieur, la formation et la recherche proposés par ces trois établissements et de gérer des synergies et projets de développement communs.

 

Crédits photos et illustrations : ESSEC, UPMC, Audencia, Laurent Ardhuin, 123RF, TheBrandNewsBlog, X, DR, 

 

 

 

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