Entre digitalisation, banalisation et nouveaux usages : l’industrie du luxe à la croisée des chemins…

D’ici quelques jours, avec la publication de l’édition de printemps de son étude mondiale sur le secteur du luxe, le cabinet Bain & Company devrait confirmer les tendances très positives qu’il avait commencé à relever au mois de septembre dernier¹…

Oui : après une année 2017 qui aura vu le marché mondial du luxe renouer avec la croissance et progresser de 5% en valeur (pour atteindre 1 160 milliards d’euros au total²), la reprise tant attendue du marché, si longue à se dessiner suite à des années de marasme, devrait en effet se confirmer, redonnant le sourire à tous les acteurs de l’industrie.

Dès la fin 2017, il faut dire que ce baromètre de la santé du secteur que représente le Luxury Trend Report³, publié par l’Ifop et le magazine Stratégies, pronostiquait déjà une nette amélioration de la situation économique des marchés du luxe, 75% des 277 experts interrogés se disant « optimistes » ou « très optimistes » sur les perspectives du secteur en 2018 (soit une progression de 23% par rapport à leurs projections pour 2017).

Eut égard à la contribution non négligeable du secteur du luxe à la croissance mondiale et aux positions extrêmement avantageuse qu’y occupent les plus grands groupes français, avec leur portefeuille de marques prestigieuses, on ne peut évidemment que saluer un tel redressement, bien boosté par le regain de vigueur des consommateurs chinois et asiatiques il faut le dire, mais également par les très bonnes dispositions de la plupart des grands pays traditionnels du luxe (Japon, Etats-Unis, France, Emirats-Arables Unis, Singapour, Royaume Uni, Honk-Kong…), de nouveau très dynamiques dans leurs achats de produits et services.

Mais faut-il pour autant pavoiser de cette santé retrouvée, et que cache cette reprise en relatif trompe-l’œil ? Derrière les statistiques flatteuses, continuent de subsister des disparités réelles entre les métiers et les diverses activités du luxe. Et le secteur – que l’on aurait grand tort de considérer comme homogène – a beaucoup changé ces dernières années, d’importantes évolutions des usages se faisant jour, tandis que la concurrence du premium est devenue beaucoup plus tangible et qu’une relative « banalisation » guette aujourd’hui les grandes marques, de plus en plus challengées par de nouvelles concurrentes malgré leurs importants efforts de digitalisation et de transformation…

Ainsi, entre digitalisation à marche forcée, personnalisation accrue de l’offre et accélération du rythme des lancements et autres sorties de collections, l’industrie du luxe ne serait-elle pas en train de perdre de son âme et cette part de mystère qui en a fait la rareté ? Et comment concilier disruption, innovation et préservation de la désirabilité des marques de luxe aux yeux des consommateurs, de moins en moins attachés aux valeurs de distinction sociale et à la possession des produits, à l’heure où la valeur d’usage et l’expérience offerte aux consommateurs tendent de plus en plus à s’imposer comme critères de choix et modalités principales de relation avec les marques ?

Tandis que les jeunes générations se détournent de plus en plus du « luxe de papa » et plébiscitent ces nouveaux acteurs qui savent au quotidien leur apporter cette valeur ajoutée expérientielle et relationnelle, on évoquera dans la suite et fin de cet article tout l’intérêt de réinventer les marques de luxe pour les adapter aux besoins évolutifs des nouvelles générations de consommateurs, sans renier pour autant leur identité ni les sacro-saintes notions de rareté et d’exclusivité, constitutives du luxe.

En attendant la suite de cet article à paraître samedi matin, bonne revue de ces nouveaux enjeux marketing et communication. Ceux-ci sont d’autant plus passionnants que par bien des aspects, l’univers du luxe cristallise à lui seul tous les nouveaux enjeux du branding, et la plupart des contraintes et opportunités offertes par des marchés à la fois matures, internationalisés et hautement sensibles aux évolutions macro-économiques et aux nouvelles tendances de consommation.

Une reprise boostée par les marchés asiatiques et un optimisme retrouvé chez les professionnels du luxe

Il suffit de se référer aux infographies ci-dessous issues de l’étude Luxury Trend Report 2017 pour le constater : sur les différents marchés du luxe, il semble bien que la reprise pointe enfin le bout de son nez !

Et le regain de dynamisme des consommateurs asiatiques, en particulier des consommateurs chinois sur leur marché domestique (deuxième marché mondial du luxe voire le premier en valeur), n’y est évidemment pas pour rien.

Après des années de récession, dans la foulée notamment des lois anticorruption de 2012 (qui avaient été adoptées par l’Empire du milieu pour juguler les pratiques les plus douteuses comme les échanges de petits cadeaux entre officiels) et une sévère correction sur les marchés de l’horlogerie et des spiritueux en particulier, ces marchés et tout le secteur sont repartis à la hausse en 2017, comme en témoignent les bons résultats affichés en Chine par les plus grands groupes internationaux du luxe. Et fin 2017, les professionnels étaient 42% à imaginer que le marché chinois repartirait encore à la hausse en 2018, une anticipation bien plus positive que les années précédentes.

Outre la Chine, le Japon et les autres grands pays asiatiques ont également été mieux orientés en 2017, et cette tendance devrait se poursuivre en 2018, comme ne manquera sans doute pas de le confirmer la prochaine édition de l’étude Bain & Company, à paraître début juin.

« Certains marchés comme la Chine se portent beaucoup mieux. Le retour à une Asie dynamique est crucial pour le luxe », commente Stéphane Truchi, président de l’Ifop, co-auteur avec le magazine Stratégies de l’étude Luxury Trend report 2017.

« Mais le bloc des pays traditionnels du luxe est lui aussi en très bonne santé », ajoute-t’il, avant de noter, parmi les marchés du luxe considérés comme « stratégiques », que le continent africain apparaît pour la première fois dans les propos des professionnels interrogés, certes loin derrière la Chine, les Etats-Unis ou le Japon, mais avec 16% de citations tout de même, illustrant bien les nouvelles opportunités dont ce rebond du marché du luxe est également porteur.

Un ciel certes plus dégagé, mais de nouveaux défis et de nouvelles menaces…

C’est sans doute un des principaux mérites de cette étude Luxury Trend Report publiée en décembre dernier : à côté des bonnes nouvelles et de l’embellie annoncée, elle n’esquive pas les « sujets qui fâchent ».

Après avoir mis plusieurs années à sortir de cette phase de récession dont nous venons de parler et dont nous commençons à peine à nous remettre, l’industrie du luxe s’est efforcée de rattraper son retard dans un certains nombre de domaines cruciaux, à commencer par la digitalisation et l’expérience client.

Mais si la plupart des grandes marques on enfin fait le nécessaire dans ces domaines, de nouveaux défis, pas moins importants d’après les professionnels interrogés, se font jour. Et le premier est incontestablement le relatif manque d’appétence des jeunes générations pour le luxe, en tout cas pour le luxe tel qu’on le connaît aujourd’hui, qui menace de peser sur les perspectives de de croissance du secteur si celui-ci n’y remédie pas.

Autre menaces potentielles identifiées par les professionnels : la trop grande exigence de rentabilité à court terme, qui semble être hélas un dénominateur commun à de nombreux acteurs (41% de citation), la trop forte accélération des lancements et des collections (38% de mentions), mais également aujourd’hui la concurrence de plus en plus féroce des marques premium (comme Sandro ou Tara Jarmon, entre autres) qui taillent désormais des croupières aux maisons de luxe les plus prestigieuses et les plus anciennes.

De nouveaux usages et de nouvelles attentes portés par les millenials…  

Beaucoup a déjà été dit au sujet des millenials. Et dans un précédent billet (à découvrir ou redécouvrir ici), j’avais notamment décrit leurs attitudes et attentes accrues vis-à-vis des marques.

Pour l’industrie du luxe, les millenials font en quelque sorte figure « d’épouvantails ». Unanimement dépeints comme des générations clés, détenant entre leurs mains l’avenir du secteur (de par leur pouvoir d’achat et leur poids démographique), ils sont à la fois perçus comme source d’opportunités et de menaces par des marques traditionnelles souvent déroutées par leurs pratiques.

Plus forcément prêtes à débourser les sommes folles que leur réclament les plus grandes marques, de plus en plus « déconnectées » dans leurs politiques tarifaires, et plus que jamais porteuses de ce grand changement de paradigme que représente la primauté de l’usage sur la possession, les générations Y et Z démontrent une réelle appétence pour le luxe, mais ne sont plus disposées à en acquérir les produits et services aux prix les plus forts.

A ce titre, les nouvelles générations sont au coeur du succès fulgurant des marchés de la location et de la vente d’articles de luxe d’occasion, sur lesquels prospèrent des sites spécialisés tels que Rent the runway, Girl Meets Dress, Chic by choice, Armarium, Panoply City ou Instant Luxe.

Dixit Rebecca Robins, global director chez Interbrand et co-auteure de l’ouvrage Meta-luxury, « Désormais, on est davantage attirés par l’accès à un bien que par son acquisition. Il suffit de constater ce qui se passe dans le secteur de la musique ou de la vidéo. Les biens culturels que nous avions l’habitude d’acheter et d’accumuler sont désormais disponibles à la demande sur Spotify et Netflix. D’est dans cette nouvelle économie que les marques doivent désormais évoluer […] Dans cette époque du Moi, on veut s’approprier les produits à la mode immédiatement et non dans un an. Le statut découle de la façon dont nous sommes perçus et la question de savoir si nos possessions ont fait l’objet d’un leasing ou d’un achat est quasiment insignifiante. »

Ainsi, « les vêtements loués apportent de la valeur lorsqu’ils sont postés en ligne ou partagés dans les stories sur Instagram ou Snapchat », confirme Rebecca Robins… La primauté de l’usage et de l’expérience vécue avec le produit ou le service plutôt que la satisfaction de la possession et de l’identification sociale et statutaire que représente l’acte d’achat : en résumé, une véritable disruption !

Mais il serait réducteur d’imputer la responsabilité de ce changement de paradigme à la seule fantaisie des millenials. Car l’attitude des marques de luxe, souvent isolées dans leur tour d’ivoire, n’est pas pour rien dans ces évolutions, ainsi que le confirme Emmanuelle Brizay, co-fondatrice du site Panoply. Outre le fait que les sites de location et d’achat de vêtements et accessoires répondent à un réel besoin, car les études confirment par exemple qu’on porte un vêtement 7 fois seulement en moyenne, « l’inflation des prix, considérables ces 20 dernières années, se double d’un autre phénomène : on parle de fast fashion pour Zara et H&M, mais la mode elle aussi multiplie les collections, entre pré-automne-hiver et pré-printemps-été, collection Croisière, etc. Le luxe a ainsi perdu de sa durabilité et tout le monde n’a pas envie de dépenser 2 500 euros pour un bomber brodé Saint-Laurent […] On n’investit plus des milliers d’euros pour une pièce fashion qui n’est pas intemporelle… »

… Et auxquels les nouveaux acteurs du luxe répondent souvent mieux que les marques traditionnelles

Dans ces espaces de l’usage et de la primeur de l’expérience client, laissés en partie vacants par les plus grandes marques, de nouveaux acteurs ont eu l’intelligence de s’insinuer… ou de faire une entrée fracassante.

C’est le cas pour toutes ces Indie brands de l’univers de la cosmétique dont j’avais déjà parlé dans cet article. De Glossier, créée par la blogueuse beauté Emily Weiss à Fenty Beauty, lancée avec succès par la chanteuse Rihanna, en passant par Kat von D ou Huda Beauty, ces nouvelles marques des stars de l’influence, à mi-chemin entre marché du luxe et premium sont pour ainsi dire « nativement digitales », mettant en avant une communication léchée conçue pour les réseaux sociaux et en particulier Instagram, où leurs fondatrices comptaient déjà des centaines de milliers ou des millions d’abonnés avant de créer leur marque.

Ainsi, que ces nouvelles marques soient pour ainsi dire des pure players du digital, bâties en quelques mois sur l’influence de leurs fondatrices, ou bien au contraire des marques de niche plus « multicanales », privilégiant le retail et une approche plus personnalisée et artisanale (comme les marques Codage, Sézanne, Everlane ou Maison Martin Morel), ces nouveaux acteurs ont tous en commun une approche disruptive et plus personnalisée du luxe.

Outre la transparence, la traçabilité et l’authenticité de leurs produits, qui en constituent le dénominateur commun, « ce qui réunit également ces nouvelles marques, c’est la collaboration, voire la co-création avec le client » observe Emmanuelle Rigaud-Lacresse, directrice du master Luxury in management de Neoma Business School. « Ces nouvelles marques challengers travaillent en général en réseau et mettent le client au centre de leur développement produit. Les groupes de luxe, au fonctionnement plus classique, sont obligées de se poser des questions. »

Entre digitalisation tous azimuts et primauté de l’expérience client : un nouveau terrain de jeu pour les marques de luxe

Après avoir accusé des années de retard et s’y être mis, pour certaines, avec beaucoup de réticences, les grandes marques de luxe ont mené leur révolution digitale tous azimuts et se sont engagées dans une nouvelle relation avec leurs clients, ainsi que le confirme Déborah Marino, directrice du planning stratégique chez Publicis 133 : « L’industrie a eu un peu de retard au démarrage sur le digital, elle l’a utilisé comme un outil de spectacle mais étonnamment très peu pour connaître ses clients. Après avoir essayé d’être sur tous les points d’interaction – Instagram, Facebook, Twitter, influenceurs – les marques sont à nouveau en quête de cohérence et de storytelling. Depuis deux ans, on constate beaucoup de compétitions sur des plateformes de marque, moins sur des communications pour épater la galerie ».

Outre les Indie brands, dont on vient de parler, de nombreuses nouvelles marques se sont lancées en exploitant ce créneau de l’expérience haut de gamme ou d’exception, partagée ou « augmentée » grâce au digital, auprès de communautés de happy few en quête d’une nouvelle relation au luxe.

Ainsi The collectionist, le « Airbnb des riches », organise pour ses clients des vacances sur mesure dans des propriétés d’exception. Premium conciergerie offre quant à lui des services de conciergerie haut de gamme à une clientèle exigeante, tandis que Culture secrets permet de participer à des rencontres privilégiées avec des artistes, toujours dans cette optique d’expérience exclusive et unique offerte à un nouveau profil de clientèle.

« L’idée de l’entre soi, du secret, de l’expérience en silence devient ainsi une vraie tendance du luxe » souligne Delphine D., directrice de l’agence Brand image.

4 pistes pour rendre de nouveau le luxe désirable…

Mais après s’être immergées parfois complètement dans la technologie et dans une expérience client augmentée par le tout digital, sur les traces de marques précurseures dans ce domaine, comme Burberry, le risque demeure de galvauder l’idée même de luxe et la part de rêve qui lui est attachée.

En sombrant dans une certaine forme de standardisation, par des contenus stéréotypés ou l’alignement des boutiques en rang d’oignons dans des espaces dépersonnalisés (voir cet article intéressant de Christophe Rolland à ce sujet), et en se laissant gagner de surcroît par les vertiges de la fast fashion… un certain nombre de grandes marques tendent à se banaliser, décevant à la fois leur clientèle traditionnelle et rebutant les consommateurs les plus jeunes.

Cherchant à déterminer comment le secteur du luxe pourrait renouveler son discours à l’heure de la standardisation et des technologies omniprésentes, l’agence de design Brand union s’est employée à imaginer comment redonner cette part d’intrigue et de mystère qui en fait l’essence même, convaincue « que le désir naît nécessairement d’une distance à l’objet ».

Et voici ci-dessous les 4 pistes abordées dans son étude « Le luxe a besoin d’imagination »:

1 – Jouer sur la notion de futur et son mystère

Après avoir largement communiqué sur les notions de temps, d’héritage et de transmission, quelle meilleure idée que de jouer la carte des futurs possibles et de redonner place à l’imaginaire ?

Du cognac Rémy Martin, réalisant un film que les spectateurs ne pourront pas voir avant 2115, à la maison Veuve Cliquot, immergeant 350 de ses bouteilles à 43 mètres de profondeur, dans le but scientifique de les déguster dans 40 ans, la notion de futur est propice à un storytelling riche redonnant leur caractère exclusif aux marques de luxe.

2 – Capitaliser sur la surprise de la synesthésie ou l’association de plusieurs sens

Imaginer une odeur à partir d’une couleur, modifier le goût d’un breuvage au fil d’un spectacle son et lumière… L’association des sens est porteuse de surprises et d’imaginaire, comme l’a bien compris Caran d’Ache, associant le parfum subtil du bois du Tibet à la douceur de ses crayons ou bien encore Martin Margiela, créant des fragrances associées à des lieux bien spécifiques.

3 – Surfer sur les charmes de l’insaisissable instant

Les marques de luxe ont compris depuis un moment l’intérêt de travailler sur les notions d’éphémères et d’instants exceptionnels : la création de séries limitées et de pop up stores jouent évidemment sur ce ressort déjà connu.

Enrichissant encore ce thème, l’agence de voyage Black Tomato joue la surprise de l’inattendu et des moments sur mesure en proposant à ses clients de planter une tente 5 étoiles à l’endroit où ils le souhaitent partout dans le monde (désert, jungle…) pour une expérience à la fois unique et marquante.

4 – Se laisser emporter par la poésie des souvenirs inutiles

Les souvenirs nous offrent matière inépuisable à rêverie, avec des voyages aux pays de notre enfance ou des premières amours, comme le souligne l’agence Brand union. S’attacher à convoquer la poésie surannée de la madeleine de Proust, comme les œuvres d’art ont le pouvoir de le faire, permet de créer une expérience inoubliable et personnalisée.

C’est la démarche de l’artiste Quentin Carnaille, imaginant The last watch, une montre qui ne donne pas l’heure – comme pour arrêter e temps – ou bien la marque Hermès en créant un porte galet à l’utilité toute relative…

 

…A côté des promesses technologiques et des expériences digitales certes étonnantes mais virtuelles, quoi de plus intelligent en effet que de redonner sa part de rêve et de mystère à l’univers du luxe, tout simplement ?

 

 

 

Notes et légendes :

(1) 16ème édition de l’étude sur le marché mondial des biens personnels de luxe, publiée par le cabinet Bain & Company le 25 octobre 2017.

(2) 1 160 milliards d’euros = valeur totale du marché mondial du luxe en 2017, incluant les produits et les expériences de luxe ; 262 milliards d’euros = valeur (record) du marché mondial des biens personnels de luxe estimée en 2017 également. 

(3) Luxury Trend Report 2017 : étude publiée par l’Ifop et le magazine Stratégies en novembre 2017, sur la base d’interviews de 277 professionnels du secteur du luxe.

 

Crédits photos et illustrations : The BrandNewsBlog 2018, X, DR.

3 pistes pour réinventer la com’ corporate et surmonter la défiance des publics…

comcorp3C’est peut-être une évidence pour vous, mais la communication corporate des entreprises ne se porte pas bien… Victime de la défiance affichée des Français vis-à-vis de leurs élites et des institutions, ses messages apparaissent brouillés et la perception des dirigeants, P-DG et autres porte-parole des organisations n’est guère plus brillante que celle des hommes politiques.

D’après les résultats d’une étude récente, menée par Ipsos pour l’agence Comfluence¹, 9 % seulement de nos concitoyens accorderaient du crédit aux dirigeants de grandes entreprises, contre 4 à 6 % de confiance accordée à nos politiciens. A contrario, la parole des associations de consommateurs affiche encore une crédibilité très robuste, avec 77 % d’adhésion de la part des personnes interrogées. Et, à y regarder de plus près, une majorité de Français reconnaît tout de même les efforts des entreprises en termes d’écoute et de réactivité sur le plan de la relation client (56%) ou bien en matière d’innovation, par exemple (71%). La preuve que tout n’est pas perdu et que la communication peut continuer à être audible sur certains sujets, en particulier quand les prises de parole sont sincères, transparentes et s’appuient sur un discours de preuve ?

…C’est ce que nous allons voir dans mon article du jour, à la lumière des enseignements de cette étude Comfluence/Ipsos dont je viens de parler, mais également des résultats d’une autre étude récente sur l’utilité des entreprises, menée par l’Ifop pour Terre de Sienne².

Au final et à l’aune de ces résultats d’enquêtes, je vous proposerai 3 pistes pour réinventer cette communication corporate que certains disent exsangue, lui redonner du souffle et en restaurer la légitimité. A chaque communicant(e) de tenir ensuite compte de ces recommandations et des attentes des publics pour améliorer ses pratiques : cela devient manifestement urgent.

Des Français de plus en plus méfiants vis-à-vis des discours des entreprises, mais en attente de transparence et d’authenticité

Désenchantés et de plus en plus sceptiques vis-à-vis de leurs élites, nos concitoyens, à l’image des consommateurs du monde entier en définitive, ne sont pas à une contradiction près… Un des grands mérites de l’étude Comfluence/Ipsos est sans doute de mettre à jour ces contradictions, dont toutes les entreprises et les services communication doivent néanmoins prendre la mesure pour tenter d’y répondre.

Ainsi, tandis que le taux de confiance vis-à-vis de la communication des entreprises et de leurs dirigeants reste inférieur à 10%, une large majorité des Français (de 60 à 72% selon les catégories considérées) se déclarent néanmoins intéressée et même en demande de prises de parole des grands patrons sur les sujets de l’innovation, de la relation client ou des actions citoyennes de l’entreprise. De même, nos concitoyens sont une majorité (50 à 66%) à plébisciter les prises de parole de dirigeants sur des sujets d’intérêt général tels que la situation économique et sociale du pays, les pistes de réforme du marché du travail ou les besoins et attentes de leurs salariés, pour ne citer que ces sujets.

Pour autant, gare aux « faux-pas ». Comme ne manque pas de le préciser Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos France : « la parole des entrepreneurs est attendue lorsqu’elle est positive et inspirante, mais rejetée dès lors qu’elle est critique ou engagée politiquement ».

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Avis donc à ces (rares) patrons friands d’exposition médiatique : on ne s’attend nullement à ce qu’ils se comportent en tribuns et prennent la place du personnel politique, car leur légitimité, aux yeux du grand public, est ailleurs. Et ce sont d’abord la sincérité et la transparence, doublées d’une véritable authenticité, qui leur sont demandées.

Autre exemple de contradiction assez flagrante, à l’heure où nos concitoyens déclarent tenir de plus en plus compte des discours environnementaux et sociaux des entreprises dans leurs décisions d’achat : deux tiers d’entre eux (66%) n’ont pas la moindre idée des entreprises réellement engagées dans des démarches RSE et à peine 6% sont à même de citer ne serait-ce qu’un exemple d’entreprise ayant mis en place une action responsable ! De même, 18 % seulement de nos concitoyens se donneraient la peine de rechercher de manière proactive des informations sur les politiques mises en place par les entreprises dans ces domaines… De quoi douter sérieusement de la sincérité de leur préoccupation environnementale et de l’efficacité des discours RSE des entreprises, dont la plupart demeurent largement inaudibles… « Si les Français semblent assez sensibles à l’éthique et au développement durable, il se pourrait bien que cette préoccupation ne soit en définitive qu’une posture », conclue cyniquement sur le sujet Vincent Lamkin, cofondateur de l’agence Comfluence.

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Rien de véritablement étonnant, en réalité, si l’on se prend à considérer le degré d’intérêt de nos compatriotes pour l’actualité économique en général, et celle des entreprises en particulier. 42% des Français ne sont pas intéressés par l’économie et 60% jugent l’information économique incompréhensible. Et ils sont une toute petite minorité à suivre l’actualité des marques sur les différents médias : 18% via la presse print ou web, 10% via des newsletters de marques et 8% sur les sites web des entreprises, à peine. Des taux qui corroborent les niveaux d’engagement (plutôt faibles) recueillis par les marques sur les réseaux sociaux, les entreprises recherchant trop rarement au goût des consommateurs une véritable interaction avec eux.

L’utilité des marques: Plus Petit Commun Dénominateur de l’intérêt des consommateurs ?

De fait, il faut parfois avoir le coeur bien accroché quand on est marketeur ou communicant, à la lecture des résultats de cette enquête Comfluence/Ipsos, qui ne donne pas vraiment de pistes pour améliorer cette communication corporate en souffrance…

A contrario, les résultats de l’étude Ifop/Terre de Sienne sur le concept d’utilité de marque tendraient plutôt à nous redonner un peu de baume au coeur.

Pour les Français, est en effet considérée comme « utile » toute entreprise et toute marque qui, non contentes d’oeuvrer pour la satisfaction directe de leurs clients, jouent un rôle d’utilité publique et contribuent à la défense de l’intérêt général au travers de leur politique sociale et environnementale notamment.

L’utilité « directe » par rapport aux clients est appréciée de manière « multidimensionnelle » : non seulement il est attendu des marques qu’elles proposent des produits innovants (par 60 % des consommateurs), mais elles doivent leur faire gagner de l’argent (45% des consommateurs), leur procurer du plaisir ou du bien-être (37%), mais également les protéger des risques (33%) et leur faire gagner du temps (25%).

Et à l’aune de cette perception (certes très subjective) de l’utilité et de  « l’intérêt général », ce sont 3 entreprises publiques qui trustent le haut du classement des entreprises, en étant citées par plus de 9 consommateurs sur 10 : La Poste, SNCF et EDF. Un témoignage fort de l’attachement des Français pour leurs ex services publics, même si l’image globale de ces 3 groupes souffre tout de même d’un relatif désenchantement, comme le pointe Jean-François le Rochais, président-fondateur de Terre de Sienne, car « ils restent très reconnus pour leur utilité, dans le sens où ils ne perdent pas de vue l’intérêt général et n’oublient pas de faire du bien ».

Dans le TOP 20 des entreprises perçues comme utiles par nos concitoyens, viennent ensuite des marques jouissant également d’une meilleure image globale, à savoir Michelin, Leroy Merlin et Peugeot, dont la côte d’amour reste élevée dans le coeur des Français et qui sont réputées veiller à leurs impacts économique, social et environnemental. On trouve ensuite d’autres industriels réputés (9 entreprises sur les 20 premières du classement) comme Renault, Airbus, Saint Gobain ou Sanofi, mais également les grandes marques de distribution bien sûr (E. Leclerc, Carrefour) pour leur lutte contre les prix chers. Mais ces marques de la « vieille économie » sont désormais complétées, en bonne place, par ces champions du web et des télécoms que sont respectivement Le Bon Coin, Blablacar et Free, tous trois perçus comme offrant une forte utilité et incarnant un nouveau modèle de transparence et d’authenticité (voir le classement ci-dessous).

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Point commun à ces marques, aux missions et à l’image a priori très différentes, qui figurent en haut du classement des marques les plus utiles : en dehors de leur forte notoriété et leur « proximité » du client final, toutes répondent à ces besoins quotidiens et essentiels de nos concitoyens que sont le fait de se loger, se nourrir ou se déplacer. Elles ont donc une utilité immédiate. Par opposition, les médias (avec France Télévision puis TF1), les banques (avec des groupes mutualistes et coopératifs en premier lieu : Crédit Agricole et Crédit Mutuel bien devant BNP Paribas et Société Générale) ou les marques de tourisme et loisirs (FNAC, Allocine, Club Med) se retrouvent plutôt classées en deuxième partie de classement, leur contribution à l’intérêt général semblant moins évidente à nos concitoyens.

Là encore : une grande claque… et une leçon d’humilité pour ces marques qui investissement massivement dans la publicité ou une communication RSE dont les consommateurs ne mesurent guère la réalité et ne voient pas l’intérêt direct pour eux…

Réinventer la communication corporate : les 3 pistes à creuser…

Evidemment, quand le mal est aussi profond, il serait naïf de penser sortir de l’ornière dans laquelle la communication corporate est tombée par quelques vains artifices.

Des prises de parole incontrôlées, l’investissement dans de nouveaux canaux de communication, voire une surenchère dans la communication sur la politique RSE des entreprises sont aux antipodes de ce qui est attendu et demandé par les consommateurs.

En revanche 1) choisir plus scrupuleusement les occasions et les thématiques d’intervention et incarner davantage la parole corporate, en prenant davantage de risques ; 2) travailler sur la qualité du langage de l’entreprise et son adéquation aux valeurs et à l’identité fondamentale de la marque ;  3) exprimer une mission forte et la partager avec ses différents publics, en veillant à la cohérence des discours… constituent bien les trois premières pistes à creuser, à mon sens.

En voici résumés ci-dessous les grands enjeux, les moyens d’action et voies d’amélioration :

1) Choisir plus scrupuleusement les occasions et les thématiques d’intervention et incarner davantage la parole corporate, en prenant davantage de risques

Pour ceux d’entre vous qui lisent régulièrement le BrandNewsBlog, voici un sujet que j’avais déjà abordé un détail dans cet article : « Les nouvelles casquettes des dirigeants de demain ». En effet, en matière de prise de parole et d’attentes des différents publics (interne et externes), c’est bien au P-DG ou au « grand patron » de l’organisation que revient en premier lieu le devoir d’incarner la vision et la mission de la marque, d’en expliquer la stratégie et les ambitions. Si, ainsi que je l’écrivais alors, une majorité d’entre eux reste encore excessivement prudente, voire frileuse à s’exprimer sur d’autres sujets que les résultats de l’entreprise dans le cadre bien balisé de la communication financière, il est pourtant de la responsabilité première du chef de porter le sens de l’entreprise. Car « plus que jamais, sa parole incarne la cohérence de l’écosystème complexe d’une entreprise devenue média [•••] Au coeur du numérique et grâce au texte et à l’image, [le chef] doit devenir le narrateur, le storyteller le plus souple et le plus ample de son image et son groupe » affirmait d’ailleurs Jeanne Bordeau en début d’année, dans son ouvrage Le langage, l’entreprise et le digital³.

De fait, comme le rappelait Denis Gancel, suite à l’étude consacrée par l’agence W aux « nouveaux langages des patrons du CAC 40 à l’heure du digital »*, pour ceux des dirigeants qui ont compris l’importance de s’exprimer davantage et d’incarner la stratégie de leur organisation vis-à-vis de leurs différents publics, ils n’hésitent plus désormais à se projeter eux-même dans leurs discours et dans le récit de leur marque, en utilisant le « je ». Qu’on évoque les figures de l’hyperactif Stéphane Richard, président d’Orange, de Frédéric Oudéa (Société Générale), de Jean Pascal Tricoire (Schneider Electric) ou bien d’Alexandre Ricard (Pernod Ricard), ces P-DG deviennent réellement auteurs de leur marque. Et quand ils s’expriment, en dehors des sujets financiers bien sûr, il le font justement sur ces thématiques plébiscitées par l’opinion dont j’ai parlé ci-dessous : l’innovation en premier lieu, l’environnement économique ou des problématiques plus sociétales (création d’entreprise, formation, entrepreneuriat, action de l’Etat…), comme le font également régulièrement Xavier Niel (Free), Jacques-Antoine Grangeon (Vente privée) ou encore Frédéric Mazzella (BlaBlaCar).

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Ces prises de parole et cette incarnation ont bien quelques conditions de réussite : la sincérité des prises de parole, « l’authenticité » et la transparence, loin des discours préfabriqués et millimétrés de la com’ corporate d’antan.

2) Travailler sur la qualité du langage de l’entreprise et son adéquation aux valeurs et à l’identité fondamentale de la marque

L’amélioration de la qualité du langage des entreprises est un combat quotidien, auquel se consacre Jeanne Bordeau et son Institut de la qualité de l’expression depuis des années (pardon à mes lecteurs de citer si souvent l’Institut, mais il se trouve que nous partageons justement ce même combat, capital à mes yeux !).

Encore une fois, pour ceux qui lisent régulièrement ce blog, j’avais également abordé ce sujet en détail, dans cet article : Le langage, « parent pauvre » de la communication d’entreprise ? Le propos de ce billet, certes un peu polémique (mais comment ne pas l’être en l’occurrence ?) était justement de souligner le peu de moyen et surtout le peu de temps consacré par les entreprises à la réflexion et à l’amélioration de leur expression écrite et orale… qui sont pourtant (ou devraient être) les premières ressources de la communication de toute organisation.

De fait, le résultat le plus fragrant de ce manque d’intérêt et d’investissement de la part des entreprises a été pendant des années « l’aplatissement du langage », la paupérisation de l’expression et la généralisation d’un « conformisme langagier » dont on trouve les traces dans la plupart des discours corporate des organisations. Ainsi (ultime contradiction à l’heure du web 2.0), tandis que « les champs des savoirs s’élargissent de façon exponentielle, le langage des entreprises a été le plus souvent réduit à la portion congrue de transmetteur minimum ! Un langage pauvre, étroit… pour transporter la richesse des idées d’une époque en perpétuel bouleversement ».

Pour éviter cet écueil, revivifier les discours et réinventer la communication corporate, je suggérais alors 6 pistes d’amélioration, en mettant d’abord l’accent sur la dimension interne et le travail de fond qui consiste à « puiser dans le patrimoine, l’histoire et le langage réel de la marque, dont la force et l’authenticité valent cent fois les dialectes ronronnants et sclérosés des discours corporate » pour produire une expression et des messages neufs et authentiques. Car ainsi que le répète inlassablement Jeanne Bordeau, « le mieux dire vient de l’intérieur » et « une entreprise ne peut communiquer et se raconter de façon authentique qu’en partant de ceux qui la font vivre au quotidien ».

Voici donc, pour mémoire, ces 6 pistes d’amélioration que j’évoquais alors dans mon article :

  1. Mesurer le chemin à parcourir et allouer un véritable « budget langage » aux directions communication.  
  2. Partir des hommes et femmes de l’entreprise, de leurs savoir-faire pour « mettre en récit » les métiers de l’entreprise…  
  3. …tout en écoutant et en décryptant, à part égale, les clients. 
  4. Se doter des bons outils, les plus pertinents au regard des objectifs et contraintes de l’entreprise (charte sémantique, language book, planning stratégique…).
  5. Diversifier au maximum les registres et modes d’expression de la marque, pour promouvoir un langage d’entreprise plus riche.
  6. Privilégier la qualité à la quantité, rester authentique et penser son écosystème de messages « comme un corps tenu par un fil d’ariane ».

Le détail de ces recommandations peut être consulté ici.

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3) Exprimer une mission forte et la partager avec ses différents publics, en veillant à la cohérence des discours…

J’ai déjà souligné sur ce blog, à plusieurs reprises (notamment ici), le bénéfice indéniable que pouvait conférer à la marque le fait de se donner une grande mission, qui irrigue toutes les prises de position, engagements et actions de la marque, pour devenir progressivement une partie de son « ADN ».

Le Groupe UnileverDanone ou encore les peintures Dulux ont par exemple relevé ce défi (pas si facile qu’il y paraît car la mission doit traduire à la fois l’identité profonde et l’ambition sociétale de la marque), mais cette mission « irrigue » et porte désormais leurs marques au quotidien.

Une autre dimension importante qui doit contribuer au renouvellement et à la pérennité des discours et de la communication corporate de l’entreprise est bien évidemment la cohérence des prises de parole et des messages.

Tandis que les canaux de communication et les occasions de prise de parole se sont multipliés à l’infini, veiller de manière proactive à cette cohérence, tout en respectant le positionnement et l’authenticité de la marque, est absolument fondamental.

En ce sens, les enjeux combinés de qualité et de cohérence de l’expression deviennent des dimensions tout à fait stratégiques pour l’entreprise. Plus que jamais en effet, l’orchestration des contenus, la coordination des prises de parole et la constitution d’un écosystème de messages homogènes, sous-tendu par une vraie pensée, deviennent des clés de réussite, dont les dirigeants, tout autant que les directeurs et directrices de communication des entreprises, sont les premiers garants.

Car c’est bien cela, ce que Jeanne Bordeau se permet d’appeler le « digital maîtrisé » (et la communication corporate maîtrisée, par la même occasion) : « penser son écosystème de messages comme un corps tenu par un fil d’Ariane » et « orchestrer ses contenus pour raconter une histoire pertinente et fonder une expérience sincère et séduisante ».

Car toujours et en tout lieu, la dilution (infobésité) et la dislocation du langage (manque de cohérence) guettent, premières fossoyeuses des discours institutionnels de l’entreprise ! A chacun donc, d’appliquer avec exigence les 3 conseils que je viens d’énumérer pour revitaliser et réinventer une communication corporate crédible et audible…

3pistes

 

 

Notes et légendes :

(1) Etude Confluence / Ipsos sur la communication des entreprises – Août 2016

(2) Classement des entreprises les plus utiles réalisé par l’Ifop pour Terre de Sienne – Eté 2016

(3) Le langage, l’entreprise et le digital, de Jeanne Bordeau – Editions Nuvis, avril 2016.

* Etude « Le langage des dirigeants du CAC 40 à l’heure du digital » réalisée en mai 2016 par Synomia pour le compte de l’agence W.

 

Crédit photos et infographies : 123RF, X, DR

Les Français se lassent-ils des réseaux sociaux ?

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Simple « tassement » conjoncturel ou nouvelle étape ? Les résultats de l’Observatoire des réseaux sociaux 2013*, publiés récemment par l’Ifop, s’avèrent détonnants et devraient susciter de nombreux commentaires…

Dans la restitution de son enquête, l’institut d’étude confirme en effet un retournement de tendance, avec un ralentissement de la pénétration de ces réseaux parmi les internautes français, mais également (entre autres) une baisse de l’activité et de l’engagement des utilisateurs, les comportements « passifs » se généralisant. Des résultats à nuancer, certes, par profil d’utilisateur et par réseau, mais dont les entreprises et les marques devront nécessairement tenir compte.

1/ Notoriété, inscription, fréquence de connexion : les grands indicateurs continuent de progresser mais avec des « dynamiques » très différentes en fonction des réseaux

L’Ifop ne manque pas de le rappeler en préambule de son étude : les réseaux sociaux ont, en l’espace de 10 ans, bouleversé très profondément les modes de communication aussi bien dans la sphère personnelle que dans le domaine professionnel. Incontournables aujourd’hui, et, pour certains d’entre eux, déjà en voie « d’institutionnalisation », leur popularité a continué de croître en 2013, ainsi que leur nombre d’inscrits, mais de manière contrastée en fonction des plateformes.

Ainsi, les taux de notoriété des 3 plus grandes réseaux, Facebook, YouTube et Twitter avoisinent les 95% et continuent de s’améliorer légèrement. Parmi les « suiveurs », Instagram (+ 32%), LinkedIn (+ 14%) ou Deezer (+ 9%) sont ceux dont la popularité a le plus augmenté. En terme d’inscription, Facebook (+ 9%), Google+ (+ 8%), Twitter et Linkedin (+ 5%) sont les plateformes qui ont le plus progressé en 2013. Mais sur la base combinée des inscriptions et de la fréquence de connexion, 3 types de réseaux aux dynamiques contrastées se distinguent nettement. Les sites leaders (Facebook suivi de YouTube et Google+) distancent des challengers en forte croissance (Twitter, Instagram, Dailymotion…) tandis que certains réseaux deviennent des « sites fantômes » (forts taux d’inscription mais fréquence de connexion faible) :

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2/ Temps consacré aux réseaux sociaux, degrés d’exposition et d’engagement : les premiers signes de lassitude de la part des internautes ?

Les plus grands fans des réseaux sociaux ne manqueront pas de le souligner : dans son étude, l’Ifop n’a a priori pas intégré tous les réseaux émergents, ces plateformes étant encore relativement « confidentielles » et peu connues du grand public français. Néanmoins, sur la base des 56 réseaux étudiés, le constat paraît accablant : les internautes montrent de premiers signes de lassitude vis-à-vis des réseaux sociaux et y passent de moins en moins de temps à échanger et à interagir…

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Comme on peut le voir dans le graphe ci-dessus, les discussions sur les réseaux, la publication de contenus et le partage d’informations concernant des marques sont en recul, au profit d’activités plus passives comme la consultation et la veille.

Les personnes n’étant inscrites sur aucun réseau social (soit 14 % de l’échantillon étudié) déclarent par ailleurs à 95 % ne pas avoir l’intention de s’inscrire dans les prochains mois. Pour la plupart, les 3 principaux freins évoqués à une éventuelle inscription sont : 1/ la volonté de préserver leur vie privée (64 %), 2/ le fait qu’ils n’en éprouvent pas le besoin ou n’en voient pas l’utilité (51 %), 3/ « la perte de temps que les réseaux représentent » (27 %)… La pénétration des réseaux auprès de ces cibles est donc loin d’être acquise.

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3/ Institutionnalisation et monétisation à outrance : les deux principales menaces à moyen terme

Bien sûr, les réseaux sociaux ne vont pas disparaître. Je dirais même qu’ils n’ont jamais été aussi puissants et valorisés, n’en déplaise à certains Cassandre. En dépit des sombres prédictions annonçant régulièrement le déclin de Facebook (voir ici un article récent à ce sujet), le réseau des réseaux continue de se développer. Il dispose d’une audience si large et de tels moyens qu’on peut raisonnablement parier sur sa longévité et sa résilience. Mais comme le soulignent un certain nombre d’experts, les premiers dangers intrinsèques qui guettent les grands réseaux résident tout de même dans leur institutionnalisation, et cette priorité absolue donnée à la monétisation, qui les rend moins sympathiques à une partie de leurs utilisateurs. Avec leur succès et leur introduction en Bourse, Facebook et Twitter ont sans perdu beaucoup de sex appeal pour les jeunes, qui sont davantage en recherche de plateformes plus générationnelles et différenciatrices, telles que Snapchat, qui connaît une progression fulgurante (d’où son offre de rachat par Facebook).

On voit aussi, dans l’enquête menée par l’Ifop, combien la protection de la vie privée et des données personnelles paraît importante aux internautes. Or, cette dimension est souvent battue en brèche par les plus grandes plateformes, dans leur souhait de monétiser leur audience et les données dont elles disposent.

En résumé, il est encore beaucoup trop tôt pour parler, de manière globale, d’un désamour vis-à-vis des réseaux sociaux. Si les grands plateformes ne se remettent pas en question, on peut supposer que d’autres émergeront, qui seront susceptibles de passionner à nouveau les internautes et de ranimer la flamme de leur engagement… Car une fois encore, l’étude de l’Ifop le confirme, les réseaux sociaux ont bien pris une place majeure parmi les canaux de communication, que plus personne ne leur conteste.

Pour aller plus loin :

=> Consulter ici la synthèse des résultats de l’Observatoire des réseaux sociaux 2013 de l’Ifop

*NB : l’enquête réalisée par l’Ifop dans le cadre de cet Observatoire a été menée du 21 au 28 novembre dernier, auprès d’un échantillon de 2 004 internautes, représentatifs de la population internaute âgée de 18 ans et plus. 56 réseaux ou médias sociaux ont été étudiés, dont 4 sites nouvellement testés : Skype, Vine, Pearltrees et Line.

(Crédit photo et sources : Ifop pour les graphes, X, DR)

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