Longtemps considérée comme une discipline de purs spécialistes et pilotée par les directions financières et de petites équipes dédiées, la communication financière s’est pour ainsi dire contentée de répondre aux contraintes légales ou réglementaires édictées par les instances et autorités de régulation françaises et européennes.
Mais depuis une vingtaine d’années, avec la financiarisation croissante du monde économique, l’internationalisation des échanges et une exigence accrue de rentabilité de la part des investisseurs, conjuguées aux effets de la révolution numérique et au développement des réseaux sociaux, cette communication essentiellement technique à dominante juridique et financière a pris une nouvelle importance… et une nouvelle dimension.
Désormais considérée comme un atout économique et institutionnel et une matière stratégique au service du développement et de la réputation de l’entreprise, portée directement par leurs dirigeants dont les prises de parole sont devenues de plus en plus en plus récurrentes et financières, la communication financière a aussi du se mettre au rythme des réseaux sociaux et répondre aux exigences d’une information accrue, qu’elle soit réglementée, périodique ou permanente.
Confrontés à la mondialisation des marchés boursiers et à la concurrence de dizaines de milliers de sociétés cotées, les expert.e.s de la communication financière doivent à la fois affuter une véritable démarche marketing pour promouvoir leur entreprise et son offre d’actions ou de titres, mais également tenir compte de ces évolutions importantes : porosité des publics et des communications de l’entreprise (porteuses d’opportunités et de risques accrus), accélération sans précédent du rythme des communications, poids des nouvelles normes comptables et réglementaires, importance croissante des éléments extra-financiers (RSE, ISR ou ESG), attente accru de proximité et de réactivité de la part des investisseurs…
Comment tenir compte de ces contraintes et nouvelles exigences pour continuer de produire une communication financière efficace, réactive, homogène et cohérente avec l’ensemble des autres communications et prises de parole de l’entreprise/de la marque ?
C’est ce que je vous propose de voir avec Jean-Yves léger¹, grand expert du sujet et auteur de l’excellent ouvrage « La communication financière », paru récemment aux Editions Pearson², et qui est ce matin l’invité de marque du BrandNewsBlog.
Dans son livre, et pour répondre notamment à cette porosité croissante des publics et des communications dont je viens de parler et à l’exigence renforcée de cohérence dans les messages sortants de l’entreprise, Jean-Yves Léger milite notamment pour la fin des « silos » et une intégration progressive de la communication financière aux directions de la communication des entreprises. Je ne peux qu’applaudir et abonder en ce sens, pour un management toujours plus transversal de la communication et des différentes facettes de la marque… Même si cette intégration paraît encore lointaine à l’heure où nous écrivons ces lignes : elle est en tout cas fortement souhaitable !
Merci encore à Jean-Yves Léger pour sa disponibilité et ses précieux éclairages et bonne lecture à toutes et tous !
Le BrandNewsBlog : Bonjour Jean-Yves, bravo à vous pour cet ouvrage très réussi. Pour commencer, pourriez-vous nous rappeler la différence entre information financière, relations investisseurs, publicité financière et communication financière ? Quels sont leurs objectifs respectifs ? Et quels sont les principaux enjeux de la communication financière, en définitive ?
Jean-Yves Léger : L’information financière, c’est la matière première, essentiellement comptable et financière, de la communication financière. Les relations investisseurs, en particulier avec les institutionnels, et la publicité financière, diffusée en presse écrite, sont des moyens de la communication financière.
Quant à la communication financière, c’est la transmission des messages financiers et institutionnels vers les actionnaires et les investisseurs mais aussi vers des publics de plus en plus larges au moyen de supports et de techniques traditionnels ou plus récents, adaptés à chaque public. L’ambition de toute communication financière est simple : donner confiance dans l’entreprise pour que les actionnaires actuels le restent, que les investisseurs deviennent actionnaires et que les publics divers aient une image positive de l’entreprise.
Le BrandNewsBlog : Vous le soulignez d’emblée dans votre introduction, la communication financière relève à la fois d’une obligation, puisque elle est très réglementée pour les entreprises cotées, mais également d’une stratégie volontariste et du marketing, dans la mesure où il s’agit aussi de faciliter le développement de l’entreprise en lui procurant des fonds propres à moindre coût. Quels sont les principaux moyens de ce marketing financier et comment « vend-on » ce produit particulier qu’est l’action d’une entreprise ?
Jean-Yves Léger : Concrètement, l’offre, c’est-à-dire l’entreprise, l’action, le titre, que l’entreprise soit cotée ou pas, doit convaincre la demande, en particulier l’actionnaire actuel et l’investisseur futur, de son intérêt et de sa valeur, non seulement financière mais aussi corporate.
Nous sommes dans un monde de concurrence. Il convient de se souvenir qu’il y a près de 52 000 sociétés cotées dans le monde… La démarche de communication financière doit donc être organisée et structurée, doit être portée par le top management, en particulier le Président-Directeur Général, et doit s’établir dans la durée. Le discours pour « vendre » une action est de même nature que celui pour « vendre » n’importe quel produit : il s’agit de démontrer l’intérêt, l’utilité, la crédibilité, la solidité et la pérennité de l’entreprise en premier lieu.
Le BrandNewsBlog : Dans votre ouvrage, vous plaidez à plusieurs reprises pour une intégration accrue de la communication financière aux directions de la communication, du fait notamment de la porosité croissante des communications et des publics de l’entreprise, et de la nécessaire cohérence à installer dans ses messages sortants. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Ne s’agit-il pas d’un vœux pieux, à l’heure où la plupart des directions de la communication financière restent bien distinctes des services com’ ?
Jean-Yves Léger : Le numérique, Internet et les réseaux ont installé une réalité majeure dans le quotidien des entreprises : la porosité ; porosité entre les communications et porosité entre les publics.
Aujourd’hui, tous les publics ont accès en même temps à la même information. La cohérence dans le contenu et dans le temps est donc essentielle. D’où l’idée d’une structure globale pour communiquer… Malgré ces constats, les entreprises continuent d’être organisées comme avant : en silos.
Les dirigeants, qui ont souvent le mot « numérique » à la bouche, n’ont pas intégré ou pas encore voulu cette nouvelle réalité dans l’organisation de la communication de leur structure. Ils ne veulent pas modifier les équilibres internes de leur organisation alors qu’ils le font sans problème dans d’autres domaines. Je constate aussi avec regret que les responsables de communication sont rarement présents dans les comités de direction contrairement aux directeurs financiers. Aujourd’hui, vous avez raison : mon approche est probablement en avance sur son temps. Mais je suis persuadé que les choses vont bouger, par la force des choses.
Le BrandNewsBlog : Justement Jean-Yves, de manière plus globale, quelles ont été les principales évolutions de la communication financières ces dernières années ?
Jean-Yves Léger : La principale évolution, pour ne pas dire révolution, c’est bien sûr la place prise par le numérique comme support de communication et comme moyen de dialogue avec les divers publics concernés.
Mais il y aussi le poids croissant de l’extra-financier, en particulier le poids des marques, dans la valorisation des sociétés. Enfin, dans ce domaine comme dans la vie quotidienne, on constate une multiplication des contraintes réglementaires en matière d’information, pour les sociétés cotées ou pas, réglementations d’origine européenne la plupart du temps.
Le BrandNewsBlog : Développement des obligations légales ou réglementaires, porosité croissante des messages financiers avec les autres communications de l’entreprise, porosité croissante des publics comme nous le disions plus haut, accélération des échanges et immédiateté de l’information, risques accrus (vous évoquez notamment la manipulation sur l’action Vinci en 2016*), quels sont en particulier les impacts de la révolution digitale et des réseaux sociaux sur la communication financière ?
Jean-Yves Léger : J’ai l’habitude de résumer ces évolutions et ces impacts de la révolution digitale autour de cinq mots clés : 1) porosité, 2) égalité, 3) rapidité, 4) exhaustivité et 5) risques, cinq mots qui traduisent, selon moi, la réalité nouvelle permise par Internet et les réseaux sociaux…
- La communication financière d’aujourd’hui s’adresse à des publics variés (actionnaires, investisseurs, analystes financiers, journalistes, salariés, grand public), de manière globale, simultanément. Il y a porosité entre les publics (actionnaires, salariés, clients et tous les autres), mais aussi porosité entre les communications (interne, externe, financière, commerciale).
- Égalité d’accès à l’information, égalité dans la connaissance de l’information : il n’y a plus de filtre car l’accès à l’information est libre pour tout le monde, pour l’interne comme pour l’externe.
- Rapidité qui fait qu’on est passé de « l’étalon jour » à « l’étalon seconde » : c’est le règne de l’immédiateté avec un volume de communication très amplifié.
- Exhaustivité car tous les publics ont accès à tout avec des supports qui se sont multipliés (papier, relationnel et bien sûr numérique) et des territoires de communication qui se sont accrus (développement durable, extra-financier, facteurs de risques, rémunérations des dirigeants,…).
- Risques de désinformation via les réseaux sociaux, risques de fausses informations (cf affaire Vinci en novembre 2016), risques de piratage de l’information et même risques d’intrusion dans les communications avant diffusion comme aux Etats-Unis en septembre 2017.
Le numérique représente donc une nouvelle donne qui permet une relation permanente et plus ciblée de l’entreprise avec le marché. C’est la fin de la communication descendante au profit de la communication interactive. Internet, c’est le moyen majeur du cybermarketing financier. Tout cela tend bien à prouver, me semble-t-il, que les frontières entre les communications tendent à s’estomper.
Le BrandNewsBlog : Pour rebondir sur ma question précédente, comment concilier temps long de l’information réglementée et périodique et temps court des réseaux ? Donner la bonne information au bon moment, avec le maximum de transparence (mais pas une transparence totale non plus) n’est-il pas justement tout l’enjeu de ce que le régulateur appelle « l’information financière permanente » à fournir par les entreprises ? Comment éviter à cet égard de déclencher une crise, par manque ou a contrario par excès de transparence ?
Jean-Yves Léger : La situation que je viens d’évoquer tend à montrer que le numérique conduit à une réalité nouvelle : l’information permanente est de plus en plus la norme.
Elle peut être déclenchée par l’entreprise ou par des acteurs extérieurs, bienveillants ou malveillants, comme l’ont montré les exemples rappelés précédemment. Cela induit deux exigences pour l’entreprise : une organisation interne solide et claire et surtout une grande cohérence dans les discours. C’est pour cela que je plaide pour une organisation globale de la communication avec pilotage concentré. C’est ce que j’ai eu la chance de pratiquer chez BSN/Danone et chez LVMH, bien avant l’arrivée du numérique d’ailleurs…
Le BrandNewsBlog : La communication financière cible directement ou indirectement un grand nombre de publics. Vous listez 3 grandes familles dans votre livre : 1) les publics décideurs d’investissement (actionnaires, investisseurs, salariés) ; 2) les publics prescripteurs (analystes financiers, journalistes, auditeurs, agences de notation…) ; 3) Les publics « périphériques » (pouvoirs publics, clients, concurrents, organismes de tutelle…). Quels sont les principaux besoins de ces 3 familles ? Est-il réaliste de les adresser toutes, avec une communication et des messages financiers spécifiques ?
Jean-Yves Léger : Il est exact que les publics mentionnés peuvent avoir des attentes spécifiques. Globalement :
- Les investisseurs institutionnels et les analystes financiers sont intéressés par la stratégie, les résultats, les perspectives de croissance ;
- Les actionnaires institutionnels et particuliers sont intéressés par les résultats, le dividende, la création de valeur ;
- Les analystes se concentrent quant à eux sur les données chiffrées, les facteurs de risques, la qualité du résultat, et les investisseurs non institutionnels sur la gouvernance et le management ;
- Enfin les journalistes attendent plutôt des informations sur l’actualité, les hommes, les résultats et les perspectives.
…La classification de ces besoins est bien sûr un peu théorique.
La réalité, aujourd’hui, c’est que le site Internet de l’entreprise, cotée ou pas cotée, est la source majeure d’une information unifiée, accessible à tous les publics. Certes, certaines communications, interne par exemple, peuvent être déclinées, mais le communiqué relatif aux résultats, par exemple, peut être lu par tous les publics.
Le BrandNewsBlog : Comme vous l’expliquez largement, les investisseurs et les publics de la communication financière des sociétés cotées en France sont aujourd’hui éminemment internationaux. Pour autant, on reste toujours surpris du faible appétit des Français pour les valeurs mobilières et de leur préférence pour une épargne peu risquée et faiblement rémunératrice. De même, vous ne manquez pas de soulignez l’atrophie de la Bourse de Paris, dont le nombre de sociétés cotées a baissé d’un tiers entre 1970 et 2018… Comment expliquer ces deux phénomènes, certes distincts ? L’actionnaire individuel demeure-t-il une cible vraiment importante pour les communicant.e.s, quand on considère le poids désormais prépondérant des investisseurs institutionnels ?
Jean-Yves Léger : Les épargnants français n’ont jamais eu, à la différence des épargnants américains ou anglais, un intérêt particulier pour le produit action, probablement pour des raisons historiques et compte tenu de notre système de retraite.
L’absence de fonds de pension a souvent été évoquée. Mais il ne faut pas oublier l’importance de l’assurance-vie qui fait que les particuliers investissent indirectement en actions.
En 1978, il y avait 1,3 million d’actionnaires particuliers en France ; en 2018, ce chiffre est seulement de 3,9 millions, soit moins de 6% de la population. Cause ou résultat de cette situation, on constate l’atrophie de la bourse de Paris. Il y avait 1 300 sociétés cotées en 1970, 1 185 sociétés en 2000 et 866 fin 2018.
Les facteurs explicatifs de cette situation sont divers : peu d’introductions en Bourse depuis de nombreuses années, des retraits de la cote, des fusions et des absorptions, etc… Autre phénomène qui a beaucoup contribué au développement de la communication financière : l’arrivée au milieu des années 80 des investisseurs étrangers, investisseurs institutionnels en particulier, qui pratiquaient les relations investisseurs sur leurs marchés locaux. Le poids relatif des actionnaires individuels a donc reculé en effet…
Le BrandNewsBlog : Au sein de ce vaste public que représentent les actionnaires individuels, vous soulignez notamment que les « millenials » ont des comportements d’investissement plus que prudents… et restent à conquérir. D’après une étude récente Actionaria/Air Liquide, ces populations épargneraient et investiraient essentiellement dans des produits financiers sans risque et peu rémunérateurs. Et quand ils investissent dans des actions d’entreprises, ils se montrent particulièrement vigilants à l’impact environnemental et social positif de celles-ci. Pourquoi une telle réserve de ces nouvelles générations ? Cela préfigure-t’il un mouvement de fond vers des investissements et une communication financière socialement responsables ? Comment en tenir compte ?
Jean-Yves Léger : Même si les générations nées entre fin 1970 et début 1990 ont conscience qu’elles devront préparer elles-mêmes leurs retraites, l’investissement en actions n’est pas perçu comme la solution principale alors que toutes les études montrent que, sur longue période, le placement en actions est plus rémunérateur que les obligations, l’immobilier ou l’or…
Toutefois, l’intérêt pour les placements à vocation environnemental ou social semble réel pour ces générations, même si le placement en Bourse ne semble pas leur priorité, car ils lui préfèrent le financement participatif notamment. Mais l’information développée par les sociétés vers cette cible modifiera peut-être cette situation… Quoiqu’il en soit, l’intérêt pour l’extra-financier est bien une réalité croissante.
Le BrandNewsBlog : Les relations investisseurs ont pris une importance aujourd’hui majeure, au sein de la plupart des entreprises cotées. Quelle est exactement leur rôle dans la panoplie de moyens du communicant ? Et pourquoi sont-elles devenues un vecteur essentiel voir le vecteur premier de la communication financière ces dernières années ?
Jean-Yves Léger : L’arrivée en France, au milieu des années 80, des investisseurs étrangers, investisseurs institutionnels en particulier, qui pratiquaient les relations investisseurs sur leurs marchés locaux a beaucoup contribué au développement de la communication financière.
Depuis une trentaine d’années, il y a eu une évolution majeure dans la structure d’actionnariat des sociétés françaises : la part croissante prise par les actionnaires institutionnels dans l’actionnariat des sociétés, des investisseurs de plus en plus non-résidents et dont l’horizon d’investissement est de plus en plus court.
Cette tendance est d’ailleurs largement encouragée par beaucoup de sociétés cotées qui abandonnent progressivement l’actionnariat individuel national au profit d’un actionnariat institutionnel largement non-résident. Le poids relatif des actionnaires individuels a donc reculé.
Ce qu’on appelle les relations investisseurs, en fait les relations avec les investisseurs institutionnels, ont donc pris une part correspondante au poids de ces investisseurs dans le capital des sociétés cotées. Dans cette communication vers les institutionnels, les sociétés cotées ont une démarche double : une relation directe avec les investisseurs, ce qu’on appelle les relations investisseurs, et une relation directe avec les analystes financiers qui sont des prescripteurs, des intermédiaires, entre l’entreprise et les investisseurs.
Le BrandNewsBlog : Parmi les investisseurs institutionnels, qui font donc l’objet de plus en plus d’attention de la part des entreprises, certains font évidemment l’objet d’une vigilance particulière. Les fonds « activistes », qui sont susceptibles d’avoir des objectifs très court-termistes et ont une communication très agressive envers les entreprises qu’ils « ciblent » ont beaucoup fait parler d’eux ces dix dernières années… Comment les gèrent-on en terme de communication / de relation investisseur ? Et quel conseil principal donneriez-vous à une entreprise ciblée par leurs attaques ?
Jean-Yves Léger : Parmi les investisseurs institutionnels, on constate en effet le poids grandissant des hedge funds, des fonds activistes dont l’horizon de placement est encore plus court que la moyenne et dont la volonté de peser sur la gestion est affirmée.
Ces fonds activistes prennent des participations faibles mais comme le disait le journal Les Echos en août 2017 : « Ce qu’il y a de pratique avec les fonds activistes américains en Europe, c’est qu’ils peuvent faire les gros titres en deux coups de cuillères à pot ». Ces fonds savent très bien communiquer et faire parler d’eux. Mais la politique à développer par la société visée est différente selon la typologie d’actionnariat.
L’actionnariat peut être dispersé ou bien avec trois ou quatre actionnaires de référence ou bien encore avec un actionnaire majoritaire. Dans tous les cas, la société a un impératif : donner confiance à ses actionnaires. Elle doit montrer le succès de la stratégie développée, la qualité des résultats, la vision à moyen/long terme et, si c’est le cas, la qualité du parcours boursier. C’est le fondement de la stratégie de communication qui doit être développée pendant la crise mais surtout avant la crise. Et en cas d’attaque, il faut que les grands actionnaires institutionnels ou familiaux expriment leur soutien au management en place. Pour contrer cette attaque, l’entreprise doit utiliser divers moyens : conférence téléphonique, contacts personnalisés avec les investisseurs et la presse spécialisée et bien sûr communication interne.
Le BrandNewsBlog : Parmi les moyens et canaux à disposition des communicant.e.s pour s’adresser à leurs différents publics, quels sont les plus adaptés aux nouvelles contraintes que nous venons de citer ? Le communiqué de presse demeure-t-il toujours incontournable, notamment en matière d’information périodique ? Et quid de la publicité financière ? Son rôle ne tend-il pas à se restreindre du fait de toutes les autres sources et canaux d’information disponibles ? Et quelles évolutions du côté du sacro-saint rapport annuel / document de référence ? Paradoxalement, on note que le fameux rapport RSE, qui était devenu un deuxième rapport annuel, n’est plus obligatoire, non plus que l’information périodique trimestrielle ?
Jean-Yves Léger : Un point à préciser : selon moi, il ne faut plus employer les termes « communiqué de presse ». Aujourd’hui, une société publie un communiqué qui va être accessible à tous les publics, externes comme internes. La presse n’est qu’une cible parmi d’autres. Le communiqué, par son contenu (résultats, opérations financières, acquisitions/cessions, nominations) reste aujourd’hui le premier acte de communication d’une société, en particulier cotée. En effet, une information doit être mise à la disposition de tous les publics en même temps. Le communiqué sur le site Internet est donc le premier acte de communication depuis l’arrivée du numérique.
La publicité financière a été longtemps un moyen important de la communication financière. Cette situation a changé. Aujourd’hui, le rythme et la taille des encarts publicitaires a beaucoup diminué depuis le début des années 2000, et malgré l’obligation mentionnée dans la Directive Transparence, les entreprises privilégient leur site Internet.
En matière d’édition financière, les dernières évolutions réglementaires ont renforcé les obligations de publication : en matière extra-financière, les entreprises vont devoir publier une déclaration de performance extra-financière (DPEF) qui remplace le rapport RSE ; plus globalement, le document de référence est remplacé depuis juillet 2019 par le document d’enregistrement universel qui obligera les entreprises à être plus précises sur l’explication de leur stratégie, leur information extra-financière et les facteurs de risque. Au sujet des risques, l’entreprise devra décrire les facteurs de risques : risques significatifs au vu de leur activité avec un nombre limité de catégories, hiérarchisation au sein de chaque catégorie par ordre de matérialité et de survenance. Cela signifie que l’entreprise devra informer sur ses vrais risques et ne pas faire un inventaire à la Prévert comme c’était parfois le cas.
Le BrandNewsBlog : Dans votre ouvrage, vous vous intéressez évidemment essentiellement à la communication financière des sociétés cotées, qui doivent répondre à toutes les exigences légales et réglementaires en matière d’information financière. Mais quid de la communication financière des ETI, PME ou des autres structures qui doivent aussi s’adresser à des financiers ou à leurs investisseurs ? Quels conseils – également applicable aux sociétés cotées – leur donneriez vous pour réussir une bonne communication financière ?
Jean-Yves Léger : Il me semble que ce qui vaut pour les sociétés cotées vaut pour les sociétés non cotées qui doivent communiquer avec leurs banquiers, leurs actionnaires, leurs fournisseurs, et bien sûr leurs salariés, toutes cibles nécessitant un discours corporate et financier. La seule différence concerne l’exposition aux réactions du marché. Pas de risque de « coups de torchon » boursier qui peut déstabiliser l’entreprise. Et puis, il arrive que les sociétés non cotées se dirigent vers la bourse. Donc autant s’y préparer…
Le BrandNewsBlog : Vous citez dans votre livre les classements réputationnels d’entreprises établis à la volée par vos étudiants, qui font toutes et tous ressortir les mêmes noms d’entreprises, que ce soit en tête ou en fin de classement. Qu’en est-il en matière de communication financière ? Les groupes et entreprises ayant la meilleure image sont-ils également les plus appréciés des publics financiers ? Quels bons élèves voudriez-vous distinguer, parmi les entreprises qui proposent la meilleure com’ financière, ou ont su le mieux répondre à une crise ?
Jean-Yves Léger : Je ne souhaite pas entrer trop dans ce jeu des récompenses. Mais vous me le demandez… Il est exact que les étudiants de niveau Master 2 ou les professionnels en MBA, que je croise régulièrement, convergent dans leurs appréciations en matière d’image d’entreprises.
Les grands groupes, en général cotés, dans le luxe, les cosmétiques, l’alimentaire, mais aussi les GAFA avec quelques nuances, rallient les suffrages. La plupart des groupes bancaires, des groupes d’audit, des groupes pétroliers, français ou étrangers, et certaines entreprises publiques ont, au contraire, une image négative.
Je constate que les enquêtes faites auprès des actionnaires individuels conduisent aux mêmes résultats. LVMH, L’Oréal ou Air Liquide sont les entreprises préférées. J’ajoute à cette liste BNP Paribas qui a une politique active vers les actionnaires. Mais d’autres groupes pourraient figurer dans cette liste.
Le BrandNewsBlog : En conclusion Jean-Yves, vous soutenez que la communication financière devient de plus en plus le fondement de la communication des entreprises. Qu’entendez-vous par là ? Faites-vous référence au rôle de plus en plus stratégique de la communication financière, dont le leadership et la prise de parole a été préempté ces dernières années par les dirigeants d’entreprise, au détriment des directeurs financiers ? Cette prééminence de la communication financière que vous appelez de vos voeux ne porte-t-elle pas le risque d’un certain court-termisme, certains dirigeants état susceptibles de se concentrer sur des échéances courtes ou moyennes au détriment d’une vision de long terme ?
Jean-Yves Léger : Un constat s’impose : la prise de parole des grands chefs d’entreprises du CAC 40 porte essentiellement sur la stratégie, les résultats, l’avenir, c’est-à-dire concrètement sur les territoires de la communication financière.
J’ai été frappé de constater, au moment de la longue crise des « gilets jaunes », le silence de la plupart des dirigeants des entreprises, en particulier cotées. Même s’il y a eu quelques rares exceptions. J’ai eu la chance de travailler aux côtés d’Antoine Riboud qui, lui, n’hésitait pas à prendre des positions sur les problèmes de société.
Dans le même temps, je l’ai précisé plus haut, le jugement privilégié des entreprises au travers de leurs résultats financiers a renforcé l’importance de la composante financière de la communication. C’est en cela que la communication financière constitue, pour beaucoup de sociétés, le fondement de la communication, largement exprimée par le président et le directeur financier.
Je ne l’appelle pas de mes vœux : je traduis une réalité. Mais je crois que le développement de la communication extra-financière comme évoqué largement, que les exigences sur l’information relative aux risques encourus par l’entreprise dans son activité vont probablement contribuer à faire communiquer l’entreprise sur d’autres thèmes que les résultats et les ratios financiers. Temps long et temps court doivent se retrouver dans la communication de l’entreprise. Au conseil d’administration et au top management le temps long ; aux opérationnels mais aussi au top management le temps court, dans le monde d’aujourd’hui où l’étalon temps est de plus en plus court. C’est le rôle de la communication financière de faire alterner, dans le discours et dans ses supports, temps long et temps court…
Notes et légendes :
(1) Consultant en communication et enseignant, Jean-Yves LEGER a été analyste financier, directeur de la communication de BSN/Danone et de LVMH, et partner d’Euro-RSCG C&O/Havas Paris. Il enseigne dans plusieurs écoles de commerce et de communication (ESCP Europe, NEOMA Business School, Institut de Haute Finance, CELSA, etc.)
(2) « La communication financière », par Jean-Yves Léger, Editions Pearson – Juin 2019
Crédit photos et illustration : 123RF, Jean-Yves Léger, éditions Pearson, The BrandNewsBlog 2019
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