Le phénomène est impressionnant : d’après une étude réalisée fin 2015 par l’agence Noir sur blanc, pas moins de 80 % des écoles de commerce ont fait évoluer leur marque ces 15 dernières années. Et, bien qu’on ne dispose pas de statistiques aussi précises à leur sujet, les écoles d’ingénieur et les universités ne sont pas en reste. Une grande partie d’entre elles ont également vu leur nom changer ces dernières années, ainsi que leur identité graphique.
Que ces changements soient consécutifs à des fusions d’établissements, donnant lieu à la création de nouvelles marques (comme Kedge, Skema ou encore Neoma¹), qu’ils soient liés au rapprochement d’universités ou à l’apparition de nouvelles entités comme les Comue (Communautés d’universités et d’établissements), ou bien qu’ils répondent plus généralement au besoin de plus en plus vital de se différencier et d’émerger au plan national et international, le constat est frappant : le branding est devenu en quelques années une discipline stratégique pour tous les établissements d’enseignement supérieur.
Pourtant, il y a 20 ans, assimiler une grande école ou une faculté à une marque aurait presque fait scandale. Et, à l’exception notable de Sciences Po, déjà engagée dans de telles réflexions par son directeur de l’époque, Richard Descoings, peu d’établissements s’étaient encore intéressés à leur(s) marque(s) et à leur évolution.
Depuis, les démarches de re-branding se sont multipliées de manière exponentielle, avec plus ou moins d’à-propos et parfois un certain conformisme. Entre les établissements qui se contentent d’accoler à leur nom la dénomination « business school » ou « écoles de management » (comme 44 % des écoles de commerce) et ceux qui s’engagent dans des réflexions plus lourdes dans le cadre de fusions ou de méga-fusions d’écoles, les impacts et efforts à mener ne sont évidemment pas comparables. Même si les facteurs de réussite restent en définitive les mêmes, comme on va le voir ci-dessous… 1) Bien définir sa marque et son territoire de marque, en repartant de l’histoire de l’établissement, sa singularité culturelle et ses atouts et 2) Ne jamais oublier d’associer les parties prenantes aux différentes étapes (étudiants, alumni, professeurs-chercheurs, partenaires institutionnels et entreprises…) constituent en effet à mes yeux deux préalables indispensables…
Sur ce sujet passionnant du branding des écoles et universités, j’ai eu l’occasion il y a quelques mois d’être interviewé par Olivier Rollot, Directeur exécutif du pôle communication d’Headway, dans le cadre du Livre blanc « La communication dans les établissements d’enseignement supérieur » réalisé en partenariat avec Audencia et la Conférence des Grandes Ecoles.
Je me permets de reproduire cette interview ci-dessous, en incitant tous ceux que ces sujets intéressent à aller également consulter le livre blanc en question, dont vous trouverez le lien en pied d’article².
Olivier Rollot : Pour une grande école ou une université, à quoi cela sert d’avoir une marque ?
Hervé Monier : Quels que soient l’organisation et le secteur d’activité considérés, une marque est un signe, verbal le plus souvent, qui peut être traduit graphiquement par un logo et accompagné d’une signature, qui va représenter cette organisation dans ses différentes dimensions : culturelle, historique, humaine, mais qui va aussi traduire ses projets, ses valeurs et son ambition. Sur le plan symbolique, et cela vaut bien sûr pour une grande école aussi bien qu’une université, la marque doit aussi représenter « l’étendard » autour duquel toutes les énergies devront être fédérées (étudiants et anciens élèves, personnels administratifs, enseignants et intervenants, entreprises et institutions partenaires, etc) pour que chacun en devienne ensuite l’ambassadeur.
Créer une marque ou la développer, pour une grande école ou une université, c’est donc à la fois affirmer son identité, sa culture et ses valeurs spécifiques, mais aussi mettre en avant ses atouts, susceptibles d’attirer de nouveaux étudiants, français ou étrangers, ou bien des intervenants prestigieux par exemple. La marque est également un symbole que l’on peut utiliser pour recueillir des fonds, ou bien négocier une fusion avec d’autres établissements en étant en position de force, du fait d’une notoriété élevée.
Olivier Rollot : Que faut-il pour qu’une telle marque existe et que sa culture de marque soit progressivement reconnue ?
Hervé Monier : D’abord, il faut une légitimité et une véritable cohérence historique et/ou économique pour créer une nouvelle marque. Puis lui laisser du temps et disposer a minima d’une certaine stabilité, pour que la marque ait le temps d’être appropriée par les différents acteurs et soit progressivement reconnue.
Tout le contraire hélas, de ce que l’on observe avec l’accélération de certains mouvements de fusions entre établissements, n’ayant parfois rien en commun entre eux : ni histoire, ni projets, ni vision partagée. Dans de tels cas, à plus forte raison si des résultats concrets sont attendus à très court terme, la création ex nihilo d’une marque d’enseignement supérieure risque fort d’apparaître comme un gadget marketing aux yeux de ses différents publics.
J’ajouterai cette exigence nouvelle, qui devrait également présider à la création d’une marque d’école, quel qu’en soient le contexte et les objectifs : ne pas oublier d’associer les parties prenantes au processus de réflexion puis créatif. Combien de marques, hélas, sont dévoilées en même temps à la presse, aux étudiants, au corps enseignant et aux partenaires, alors que les individus concernés exigent de plus en plus aujourd’hui d’être associés à de telles démarches. Une université et une école ont en effet tout à gagner à consulter leurs différents publics en amont et les associer en aval lors du lancement et de la promotion d’une nouvelle marque notamment.
Olivier Rollot : Comment réussir un changement de marques dans le cadre d’une fusion et comment gérer la profusion des marques au sein de certaines écoles ?
Hervé Monier : Les deux questions appellent des réponses différentes bien sûr : si la marque d’une école ressort nettement par rapport à une autre, dans un contexte de fusion, il peut être intéressant de conserver la plus forte et de capitaliser sur cette marque existante, à la notoriété établie, quel que soit par ailleurs le contexte « politique » de la fusion.
A contrario, si les marques sont de force égale et moyennement connues, la création d’un nouveau nom peut évidemment être la bonne solution, mais cela coûte cher : il faut dès lors prévoir un budget de lancement puis de développement adapté, sur plusieurs années. Et le plan de communication autour de la nouvelle marque s’avère souvent aussi important que la marque elle-même.
A ce sujet, je ne saurai trop conseiller 3 précautions de base : 1/ étudier en amont les attentes et les besoins des différents publics (notamment étudiants étrangers, intervenants…) et tester leur perception vis-à-vis de la nouvelle marque ; 2/ Ne pas hésiter à faire appel à des conseils externes si on n’y connaît rien en matière de branding ; 3/ s’appuyer sur l’influence des alliés et des ambassadeurs naturels des écoles : à commencer par les étudiants bien sûr, qui sont les moins rétifs aux changements, mais également les anciens élèves, qui ont essaimé et doivent être convaincus du bien-fondé d’une nouvelle marque. Pour les associer à la communication autour de la marque, mieux vaut naturellement les avoir informés voire associés en amont, tant que faire se peut.
Pour ce qui est de la profusion des marques, il est évidemment souhaitable de créer une hiérarchie bien établie entre la marque de l’école (la « marque ombrelle » en quelque sorte) et les marques-filles ou labels (comme les différents cycles de formations) qui doivent faire l’objet d’une communication, mais à un niveau moins institutionnel notamment. A ce propos, définir une architecture de marques cohérente et la poser sur papier, en fonction de la stratégie de l’école, peut s’avérer un exercice éclairant et conduire à recentrer les efforts de l’école sur quelques marques seulement. Car ne l’oublions pas, la gestion du multimarque coûte cher et la profusion est souvent synonyme de confusion pour les publics externes…
Olivier Rollot : Comment ressortir dans un environnement hyperconcurrentiel, quand on n’est pas une des écoles les plus connues ?
Hervé Monier : A la différence d’une campagne publicitaire ponctuelle dont les résultats sont immédiats, la construction d’une marque d’école peut prendre des années voire des décennies. Le long-terme prime sur les « coups » et stratégies purement opportunistes.
Pour qu’une marque ressorte, dans un univers hyper-concurrentiel, on peut certes la « propulser » avec de gros budgets marketing, mais il faut surtout que la marque apparaisse comme « sincère » et reflète vraiment la culture et les valeurs de l’école et de ses parties prenantes. Cela transparaît à travers la communication de l’école bien sûr, mais aussi ses structures, ses processus RH, l’accueil des étudiants ou des professeurs.
On ne saurait se différencier et ressortir du « bruit concurrentiel » des marques d’enseignement supérieur sans travailler l’authenticité de sa propre marque et l’expérience de marque offerte à chacune des personnes en contacts avec l’école, à un moment ou un autre.
Notes et légendes :
(1) KEDGE Business School est l’école de commerce créée en 2013 grâce à la fusion de Bordeaux Ecole de Management et Euromed Management ; SKEMA Business School est l’école de commerce issue de la fusion entre le groupe ESC Lille et le CERAM Business School en 2009 ; NEOMA Business School est l’école de commerce née de la fusion de Reims Management School avec Rouen Business School en 2013.
(2) Interview « Point de vue », extraite du Livre blanc « La communication dans les établissements d’enseignement supérieur » réalisé par Audencia, le cabinet Headway et la Conférence des Grandes Ecoles.
Crédit photos : Kedge, Essec, Audencia, TheBrandNewsBlog