Naming : 4 conseils à suivre et 8 pièges à éviter quand on renomme sa marque…

Vous l’aurez sans doute constaté : ces derniers mois ont été particulièrement riches en termes de changements d’identité de grandes entreprises et autres opérations de rebranding.

Que ces changements soient consécutifs à des créations de nouvelles marques, dans le cadre de spin-off¹ notamment, à des rapprochements d’entités ou à d’autres tournants stratégiques (accompagnés le cas échéant de la disparition de marques connues²), ils se traduisent en règle générale par la création de nouveaux noms ou par le regroupement de différentes marques sous une bannière et un nom uniques.

Dans les exemples les plus récents, on citera notamment la transformation de la marque Bongrain en Savencia, la mutation du Nouvel Obs en L’Obs, la disparition de Générale des Eaux au profit de Veolia Environnement, le lancement d’ENGIE, nouveau visage de GDF SUEZ ou encore le probable escamotage de la marque UMP au profit des Républicains (si tant est que ce nouveau nom soit validé par les militants du parti)…

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Quels que soient le contexte, la nature et le périmètre des changements opérés, ce type de révolution au sein d’une entreprise est toujours délicat à mener et à réussir. Et toute démarche de naming requiert en particulier de solides études amont + la mise en musique d’une vision stratégique poussée avec volontarisme par les dirigeants + une coordination parfaite en termes d’éxécution : dans la mise en œuvre et le déploiement de la/des nouvelle identité(s) retenues.

C’est notamment sur ces points que revenait récemment Delphine Le Goff pour le magazine Stratégies³. Je me suis permis d’extrapoler ses recommandations pour vous livrer ci-dessous ma liste des 4 conseils à suivre et des 8 pièges à éviter dans le cadre d’une refonte de marque…

>> 4 conseils pour réussir son changement de marque

1 – En amont : bien définir les objectifs et le cadre du changement d’identité souhaité. La recommandation peut paraître triviale, mais on ne change pas de nom sur un coup de tête, ni sur un coup de dés. Tout rebranding doit être motivé par des enjeux stratégiques de l’entreprise et répondre à une problématique clairement identifiée.

Les diagnostics établis sur la base d’études qualitatives et/ou quantitatives auprès des différentes parties prenantes de l’entreprise sont vivement recommandés à ce stade. De même qu’une analyse financière complète de la valeur de la/des marque(s) en portefeuille, ainsi qu’une évaluation des risques liés à la disparition de certaines marques, si cette disparition est envisagée.

Pour ce qui est de la problématique centrale de l’entreprise et de chacune de ses marques, celle gagnera à être posée et formulée de la manière la plus directe et la plus explicite. Pour Bongrain, par exemple, les tests effectués auprès des consommateurs ont démontré que le nom évoquait davantage un groupe céréalier franco-français, plutôt qu’un leader mondial des produits laitiers… Un changement de nom s’imposait de manière logique, pour refléter la mission et l’évolution de l’entreprise…

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2 – Se méfier des effets de mode

C’est un fait avéré : le naming n’échappe pas aux effets de mode. Alors que les marques auraient intérêt à s’inscrire dans un temps long et à demeurer relativement intemporelles, beaucoup d’agences (et de décideurs) ont tendance à privilégier des sonorités à la mode…

Ainsi, qu’on le veuille ou non, le son [u], tellement prisé aux débuts de la Nétéconomie, notamment parce qu’il est universel et se prononce de la même manière partout dans le monde (Yahoo, Kelkoo, Ooshop, Wanadoo…) semble de plus en plus « passé de mode » et connoté « années 90 et 2000 ».

De même, l’utilisation du son [k] et de la lettre « r » en fin de mot (sans « e » avant) a été très prisée ces dernières années, par les entreprises techno en particulier : Flickr, Grindr

L’ellipse semble en effet à la mode : « Nombre de marques utilisent le ‘q’ sans ‘u’, comme la plateforme de streaming Qobuz, ou les vêtements Uniqlo… Une manière d’attirer l’attention sur une anomalie orthographique » analyse Marcel Botton, président-fondateur de l’agence Nomen.

… Un calcul souvent risqué, car tout ce qui est la la mode se démode, rappellent avec bon sens la plupart des experts.

3 – Multiplier les propositions et les passer aux cribles juridique et linguistique. Tous les experts s’accordent sur ce point : les principales contraintes qui pèsent sur la création d’un nouveau nom sont essentiellement juridiques. Car c’est bien connu : pour trouver un nom qui ne soit pas déjà déposé (à plus forte raison si l’ambition de la marque est internationale), « il s’agit d’examiner des centaines voire des milliers de noms » et d’étudier méthodiquement les dépôts qui ont pu être faits antérieurement aux quatre coins du monde.

Outre les éventuels dépôts antérieurs, il est aussi vivement conseillé de s’assurer de la facilité de prononciation du/des noms retenus dans les différents pays et que ce/ces nouveau(x) nom(s) ne revêtent, ici ou là, un sens grotesque ou ordurier. Comme le confirment en effet les chercheurs Marc Fetscherin, Ilan Alon, Romie Littrel et Allan Chan*, il ne se passe pas de semaine sans qu’une entreprise cherche à s’implanter sur un nouveau marché géographique avec un nom malencontreux…

Les cas d’école restés tristement célèbres demeurent ceux de Mazda, qui avait choisi de commercialiser son minivan « Laputa » en Amérique Latine sans en changer le nom… Or « Laputa » veut évidemment dire « prostituée » en espagnol. Devant le tollé suscité auprès des consommateurs locaux, les concessionnaires avaient fini à l’époque par avoir gain de cause et à faire changer le nom du modèle pour le marché sud-américain. La marque Clairol est aussi restée célèbre, pour avoir fait un bide en Allemagne avec son fer à friser Mist Stick… « Mist » en argot signifiant outre-rhin « fumier », ce qui n’est évidemment pas du meilleur goût ni très politically correct.

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C’est d’ailleurs en Chine, où sont utilisés des milliers de caractères, chacun ayant plusieurs sens et se prononçant différemment selon les régions, que la barrière de la langue est la plus forte. Pour les groupes internationaux, la tentation est forte de conserver leur nom en le traduisant tout simplement phonétiquement… Cette mésaventure était arrivée à Coca-Cola à son arrivée dans l’Empire du milieu… Jusqu’à ce que le groupe américain réalise que sa traduction phonétique signifiait en fait « jument de cire aplatie » en Chinois, une jolie incongruité…

4 – Impliquer les parties prenantes de l’entreprise dans le changement de nom. Quel projet ou démarche un tant soit peu stratégique peut encore s’offrir le luxe (ou l’inconscience) d’ignorer ses parties prenantes, à commencer par les collaborateurs, les clients de l’entreprise, les adhérents ou les militants d’un mouvement politique, etc ??

Pour avoir essayé d’imposer en interne le nouveau nom « Les Républicains », Nicolas Sarkozy a déclenché une belle polémique au sein de l’UMP et en dehors, bien alimentée il est vrai par ses rivaux politiques mais également par un certain nombre de militants, pas vraiment convaincus par le nouveau nom… Résultat : le patron de l’UMP a du faire machine arrière et s’engager sur un vote interne, pour se prononcer sur le nom du parti.

Cette anecdote prouve à elle seule à quel point il est important d’informer, mobiliser et convaincre en premier lieu les publics internes, pour que le nouveau nom retenu séduise rapidement chacun, au sein de l’organisation et en dehors.

« C’est bien simple : si on ne montre nos propositions qu’en fin de processus, elles vont susciter du rejet » tranche Marcel Botton sur un ton catégorique. Les salariés doivent nécessairement être impliqués aux grandes étapes « et le nouveau nom gagne à être dévoilé de manière évènementielle, avec idéalement un côté ‘big bang’, assorti d’une communication publique dans les 24 heures pour éviter les fuites ».

En dehors du partage et d’une mobilisation maximum, point de salut donc. C’est pourquoi la mobilisation volontariste des dirigeants et la coordination irréprochables du déploiement de la marque sont si importants…

>> Les 8 pièges à éviter lors d’une création de nom…

En guise de synthèse, je vous propose une petite infographie « maison », résumant justement les préconisations de professionnels et les faux-pas qu’il est préférable d’éviter dans ce type de démarche…

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Notes et légendes :

(1) Spin-off : opération par laquelle une société cherche à se distinguer de sa maison-mère et prend son envol

(2) En choisissant le 11 mars dernier d’adopter le même nom pour toutes ses activités dans le monde, le numéro 2 mondial de l’environnement Suez Environnement a pris la délicate décision de faire disparaître du même coup les 40 marques nationales ou locales, souvent très connues sur leur marché, dont il disposait dans son portefeuille. C’est ainsi que Degrémont, Sita, Agbar ou encore Ondéo ont cédé la place à une seule et unique marque mondiale déjà employée par le Groupe et bénéficiant d’une bonne notoriété.

(3) « Renommer sa marque » par Delphine Le Goff, Stratégies n° 1811, 23 avril 2015

* « En Chine, attention à votre nom de marque » par Marc Fetscherin, Ilan Alon, Romie Littrel et Allan Chan – Harvard Business Review, avril-mai 2014

 

Crédits photos : ENGIE, Savencia Fromage & Dairy, X, DR

 

Les partis politiques sont-ils devenus des marques comme les autres ?

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Alors que se profile dès ce dimanche le premier tour des élections départementales, le BrandNewsBlog s’intéresse aujourd’hui au marketing politique, avec cette question : les partis et les hommes politiques seraient-ils en passe de devenir (voire déjà devenus) des marques comme les autres ?

Pour en avoir le cœur net, et sans entrer en aucune manière dans le débat partisan, j’ai décidé d’interroger à ce sujet deux éminents experts dans leur domaine respectif. D’une part, un créateur de marques internationalement reconnu : Marcel Botton, Président-Directeur général du groupe Nomen*. Et d’autre part, Thomas Guénolé, politologue et enseignant, auteur de plusieurs ouvrages dont le Petit guide du mensonge en politique**.

Merci encore à eux pour leurs éclairages complémentaires et pour nos échanges sur cette question passionnante et controversée dans notre pays (il faut dire que l’usage du terme «marketing» en politique hérisse encore plus d’un puriste. Autant dire que la notion de «branding» politique est loin de faire l’unanimité).

Du coup, à chacun d’apporter sa réponse à la question posée en préambule, à la lumière des échanges ci-dessous… Et en attendant, tous aux urnes ce dimanche ! (… pour voter pour votre « marque politique » préférée, bien sûr ;-)

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Le BrandNewsBlog : Bien que l’importance et l’apport des démarches marketing soit aujourd’hui de plus en plus manifestes et reconnus en politique, certains experts (comme Franck Gintran : voir ici) estiment encore que le marketing politique n’existe pas et qu’il s’agit d’une dangereuse métaphore « n’ayant d’autre utilité que de simplifier le métier plus complexe de la communication politique ». Qu’en pensez-vous ? Est-il abusif ou justifié de parler de « marketing » politique ?

Thomas Guénolé : Le marketing, c’est une méthodologie de gestion de la compétitivité des marques d’une société ou d’une organisation, avec l’idée de fidéliser les clients derrière ces marques. Parler de «marketing politique» n’est donc pas qu’une métaphore, et ce n’est pas non plus une analogie simplificatrice. Simplement, si l’on admet la théorie économique de la démocratie du politologue Anthony Downs, ce qui est mon cas, alors, le marché électoral existe, caractérisé par une offre, une demande et des marques. Dès lors, oui, le marketing politique existe. Du reste, dans les pays où les campagnes électorales sont financées abondamment par de l’argent privé, comme aux Etats-Unis, ce marché est assumé comme tel et l’expression «marketing politique» est d’usage courant.

Marcel Botton : La notion même de «marketing» en général est un ensemble de savoirs et de pratiques relevant des sciences «molles» dans lesquelles beaucoup  d’assertions ne peuvent  être ni démontrées ni «falsifiées». Dans ce contexte, parler de marketing politique n’est pas illégitime, en s’appuyant notamment sur l’indéniable convergence des outils : sondages, études qualitatives, logos, slogans, réseaux sociaux, etc. Le marketing, c’est le propre des marques, et l’essence des marques, c’est la concurrence, la compétition. C’est aussi l’essence de la politique, en tout cas dans le monde démocratique. Il y a aussi des différences entre le monde commercial et le monde politique. Nous les verrons plus loin.

Le BrandNewsBlog : En France, il semble en tout cas qu’on ait beaucoup de mal à accepter l’idée que les partis et leur candidats puissent se vendre « comme comme des petits pains » et reprennent à leurs comptes toutes les méthodes du marketing appliquées par exemple en grande consommation… Pourtant, sur le terrain, à l’occasion des campagnes électorales en particulier, la tendance n’est-elle pas de recourir systématiquement à toutes les techniques du marketing, y compris les plus avancées (comme l’utilisation de plus en plus courante et massive des médias et réseaux sociaux) ? Quelles sont à ce sujet les dernières tendances et pratiques les plus en pointe ?

Thomas Guénolé : Pour ma part, je constate en effet que toutes les méthodes du marketing sont utilisées, à des degrés divers, en politique. Par exemple, décider quel type d’électorat on vise, c’est du marketing stratégique, et définir comment on singularise son offre dans la concurrence en cours, c’est du marketing opérationnel. Bref, les hommes et les formations politiques ne se vendent pas si différemment des petits pains… Simplement, au lieu d’acheter avec de l’argent, le consommateur achète avec une voix.

Marcel Botton : Dès que de nouvelles techniques de marketing apparaissent, elles sont reprises par les marketeurs politiques. Exemples : techniques de qualifications de fichiers par les prénoms, optimisation de référencement de sites, suivi et maîtrise de l’e-réputation, gestion de crise, customer relation management (CRM), etc.

Le BrandNewsBlog : Dans un ouvrage qui fait référence sur le sujet*, Philippe Villemus n’hésitait pas à écrire que, comme pour le marketing commercial «le marketing politique consiste à construire son offre (programme et candidat), compte tenu de la demande (les électeurs), du jeu des autres (les candidats et partis) et des moyens dont on dispose dans un cadre idéologique choisi» ? Cette définition, qui paraît encore à certains très osée et met plutôt mal à l’aise le milieu politique, vous paraît-elle pertinente ? Le rebranding du Front National en «Mouvement Bleu Marine» lors des élections présidentielles de 2012 n’est-il pas un exemple de cette adaptation du discours et de «l’offre» au contexte d’une campagne… et aux attentes de nouveaux électeurs potentiels ?

Thomas Guénolé : Je souscris à la description faite par Philippe Villemus. Quant à l’exemple du rebranding du FN, c’est celui que j’utilise dans le chapitre de mon Petit guide du mensonge en politique consacré à cette technique. J’aurais donc mauvaise grâce à me dédire…

Marcel Botton : La réponse est complexe. Il est rare qu’une marque commerciale ait d’autre objectif que de l’emporter sur ses concurrents. C’est aussi le cas le plus fréquent en politique, mais il y a des exceptions… Certains mouvements politiques peuvent avoir une autre stratégie, inconsciente, ce que l’on a parfois appelé ironiquement de « machine à perdre », ou consciente. Il arrive aussi, et c’est l’honneur de la politique au sens le plus noble, que les convictions l’emportent sur le désir de gagner. Dans ce cas, il n’y a plus de marketing politique.

Le BrandNewsBlog : On sait l’importance du débat et des questions sémantiques en politique. A ce sujet, quand des formations rencontrent des difficultés (cf les « affaires » de 2014) et que leur crédibilité est entachée, un des premiers réflexes des responsables est d’évoquer un changement de nom du parti ou du syndicat concerné. L’histoire des noms des formations politiques (cf illustration ci-dessous) semble d’ailleurs riche de tels rebondissements et soubresauts. Ces «manœuvres» de naming peuvent-elles être pertinentes… et efficaces ?

Thomas Guénolé : J’ai également traité ce sujet dans le chapitre consacré au rebranding de mon Petit guide du mensonge en politique. Le changement de marque d’une offre politique peut traduire plusieurs motivations : la fusion-acquisition entre deux partis pour en créer un nouveau, par exemple RPR et DL qui créent l’UMP ; un changement de positionnement de l’offre, par exemple l’UDF qui devient le MoDem ; le besoin d’effacer le souvenir négatif associé à la marque, par exemple le RPR qui sur la fin faisait penser surtout aux affaires ; etc. Pour être franc, je ne pense pas que le rebranding en soi soit efficace. Je dirais plutôt qu’il contribue à une stratégie de changement d’offre, à la condition que cette stratégie soit globale : changement des visages qui portent l’offre, changement du discours, changement des propositions électorales. Là, le changement de nom peut être utile. Mais en soi, il ne résout rien : le passage du RPR à l’UMP l’illustre assez bien.

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Marcel Botton : J’ai remarqué que certains mouvements politiques changent plus aisément de nom que les sociétés commerciales ne le font, en particulier en France. Pourquoi ? Probablement est-il dans le destin des partis politiques de décevoir leurs électeurs, dans une société ou de fortes inerties et la multiplication des détenteurs de pouvoir rendent les changements promis difficiles… Dès lors les marques politiques en pâtissent, elles s’usent, et trop abimées, deviennent jetables !

Le BrandNewsBlog : Plus encore que le marketing appliqué en politique, il semble que la notion de «marque politique» fasse particulièrement débat. Pourtant, d’après vos ouvrages respectifs (Les hommes politiques sont des marques comme les autres* et le Petit guide du mensonge en politique, il semble bien que cette notion de marque soit également pertinente dans ce domaine. En quoi les formations politiques peuvent-elles être assimilées à des marques ?

Thomas Guénolé : Une marque, c’est l’ensemble des signes utilisés pour distinguer les biens et services que propose l’offreur. Cette définition s’applique de toute évidence au nom, au sigle, au logo et aux emblèmes divers d’un parti. Même chose pour l’image de marque, d’ailleurs.

Marcel Botton : Même besoin de notoriété et d’attractivité, mêmes outils marketing, même combat concurrentiel, les partis et a fortiori les hommes politiques sont des marques. Le personal branding (NDLR : stratégie de marque personnelle) des personnages politiques prend d’ailleurs souvent le pas sur l’image des partis. Marine Le Pen incarne son parti, tout autant que George Clooney incarne Nespresso…

Le BrandNewsBlog : A contrario, en quoi les marques politiques se différencient-elles le cas échéant des autres marques, notamment commerciales ? Et quelles sont à votre avis les limites du branding en politique?

Thomas Guénolé : Comme je vous le disais à l’instant, mon analyse sur ce point rejoint celle du politologue Anthony Downs dans sa théorie économique de la démocratie. À partir du moment où vous y souscrivez, il n’y a pas de différence fondamentale entre les marques politiques et les marques commerciales en général. Seules les modalités d’achat de l’offre varient : votre voix dans un cas, votre argent dans l’autre.

Marcel Botton : On a vu les similitudes entre marques commerciales et marques politiques, elles sont nombreuses et puissantes. Il reste néanmoins des différences… Ainsi, par exemple, si un produit ou un service ne vous plaît pas, vous ne l’achetez pas. Mais si un homme ou une femme politique ne vous plaît pas et que vous votez contre ou vous abstenez, vous pouvez avoir à le (la) subir quand même ! Autre exemple de différence, si un personnage politique recueille 49% des voix dans un scrutin majoritaire, il est battu totalement. Si une marque commerciale recueille 49% de part de marché, elle vit fort bien, une élection proportionnelle en quelque sorte…

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Le BrandNewsBlog : Et demain, à votre avis, le marketing et le branding des hommes et des formations politiques peuvent-ils cesser d’être des tabous dans notre pays ? Y-a-t-il sur ce point des différences culturelles insurmontables entre pays anglo-saxons (comme les Etats-Unis, qui semblent davantage assumer ces démarches) et les pays latins par exemple ou bien notre conception de la promotion de l’action politique est-elle appelée à évoluer ?

Thomas Guénolé : Il y a trois grandes limites. La première, c’est la très mauvaise réputation des communicants qui se mêlent de politique : comme ils viennent souvent de la publicité, ils ont tendance, faute d’aptitude à imaginer un contenu d’offre, à transformer leurs clients en emballages séduisants mais vides. La deuxième, c’est la relative hypocrisie dominante en France sur ce sujet : quand vous expliquez que la vie politique est un marché avec une offre, une demande, des marques, un marketing, et ainsi de suite, il y a toujours quelqu’un pour objecter que c’est sale et contraire aux valeurs de la Cité de raisonner ainsi. Et la troisième, c’est bien sûr le sous-financement terrifiant du marché politique en France…

Marcel Botton : Dans les pays anglo-saxons, l’argent est un symbole de la réussite. En France et dans les pays latins, à dominante catholique, il est soupçonné d’être d’être signe d’arrogance, voire de corruption. Or, le marketing, c’est de l’argent. D’où une suspicion tenace contre le marketing politique. Cela ne pourra évoluer que très lentement.

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Notes et légendes : 

* Président-Directeur Général de Nomen, un groupe international spécialisé dans la création de noms de marques pour les organisations, Marcel Botton est avec son entreprise le créateur de marques aussi connues que Safran, Skyteam, Thalès, Vinci, Vivendi, Wanadoo, Pôle emploi, Clio ou Vélib’. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les marques, dont Les hommes politiques sont des marques comme les autres (Editions du Moment, 2008).

** Politologue, enseignant et conseiller politique, Thomas Guénolé enseigne la politique comparée à HEC Paris et les enjeux politiques à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2). Il est également chroniqueur ou consultant politique pour de nombreux médias et Président de VOX POLITICA, cabinet de conseil en communication à fort contenu. Il est l’auteur du Petit guide du mensonge en politique (Editions First, 2014).

 

Pour aller plus loin :  

Sur ce sujet spécifique des marques politiques, je ne peux que recommander chaudement l’ouvrage de Nicolas Baygert : Le réenchantement du politique par la consommation – Propriétés communicationnelles et socio-sémiotiques des marques politiques (voir ici). Publié dans la foulée de son excellente thèse de doctorat, soutenue en septembre 2014, Nicolas Baygert y décrit et y analyse la mutation « de nature réifiante » de l’homme politique en marque et « l’avènement des marques communicantes dans le champ politique ». Je retiendrai en particulier cette phrase, qui résume le postulat de base et répond également à la première question que je posais ci-dessous à Thomas Guénolé et Marcel Botton : « La notion de ‘marque politique’ ne constitue aucunement une métaphore accommodante mais plus exactement, la résultante du basculement d’un modèle de mass-médias vers un modèle consumériste de la communication politique (Scammel, 2007) ».

 

Crédit photos et infographies : TheBrandNewsBlog, Libération, X, DR

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