Du statut d’éclaireur à celui de suiveur : les dircom sont-ils aujourd’hui à la traîne de la transformation numérique ?

Vous le savez : cela fait des années que je m’intéresse aux évolutions des métiers de la communication et du marketing et que je rends compte, sur ce blog, des impacts de la révolution numérique sur nos pratiques quotidiennes.

Ayant eu la chance de vivre et d’impulser la transformation numérique à la tête d’équipes particulièrement agiles et d’interviewer régulièrement des dircom tous aussi passionnés que moi par ce sujet, j’ai toujours été assez admiratif de la capacité d’adaptation des communicants face à l’émergence de nouvelles technologies et de nouveaux usages. Et je n’ai jamais hésiter à affirmer leur/notre exemplarité dans ce domaine et la légitimité des dircom à accompagner cette mutation, aux avants-postes de la transformation globale de leurs organisations.

Pour autant, les dircom et leurs équipes sont-ils toujours en avance de phase en matière de #TransfoNum ? A l’heure de l’IA, de la blockchain, des big data et du web sémantique, font-ils à tout le moins figure d’éclaireurs au sein des entreprises, comme cela a été le cas aux premières heures du web puis lors de l’émergence du web 2.0 ?

Sans revenir sur le chemin accompli ces dernières années, plusieurs études et rapports récents vont sans doute refroidir l’enthousiasme des plus auto-satisfaits, car non seulement reste-t-il beaucoup à faire pour exploiter toutes les opportunités du web social, mais il semble bien que les communicants soient en train de passer à côté des prochaines révolutions technos : notamment celle du web², centré sur l’exploitation des données et celle du web 3.0, centré sur la connaissance…

Un avertissement déjà formulé en filigrane il y a quelques mois par l’éditeur Cision, à l’issue d’une enquête menée auprès de 380 directeurs de la communication¹, et relayé tout dernièrement par l’expert en transformation Alan Calloc’h².

Auteur d’un excellent mémoire sur les « Nouveaux enjeux du dircom à l’ère de la transformation digitale et de l’intelligence artificielle », dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur lors de sa soutenance au Celsa, ce passionné de communication et de numérique revient dans ses travaux sur 25 années d’évolution des métiers de la communication et dresse un constat sans appel : après s’être plutôt bien illustrés dans les premiers temps de la révolution numérique, les dircom et communicants seraient « à la traîne » face aux défis à venir. Et auraient perdu en influence et en crédibilité dans l’accompagnement des changements occasionnés au sein de leur entreprise par la transformation numérique, étant de plus en plus concurrencés sur ces sujets par d’autres directions et des expertises digitales plus poussées.

Comment en est-on arrivé là ? Et quelles sont précisément les nouvelles technologies et problématiques sur lesquelles les communicants n’ont pas suffisamment su se positionner ? Comment continuer de répondre aux enjeux de la révolution numérique tout en capitalisant sur les fondamentaux de nos métiers ? Et comment demeurer crédibles et en avance de phase, pour des dircom de plus en plus challengés par les directeurs digitaux ou des experts du marketing digital notamment ?

C’est ce que je vous propose d’aborder dans mon article du jour. En remerciant encore Alan Calloc’h pour la confiance qu’il a bien voulu m’accorder, pour son point de vue et ses éclairages passionnants sur les conséquences et défis de cette révolution numérique, qui représente bien une transformation permanente au sein des entreprises et non un simple « tournant », même si des progrès importants ont déjà été accomplis, y compris ces derniers mois avec une forte accélération de la digitalisation durant la crise sanitaire.

Des dircom plutôt satisfaits de leur maturité numérique et des compétences digitales de leurs équipes…

Les directeurs et directrices de la communication auraient-ils tendance à se voir un peu trop « beaux-digitaux » ? S’il est toujours risqué de tirer des conclusions générales, tant le degré d’appétence et de maturité numériques varie d’une entreprise à l’autre et surtout d’un dircom à un autre, l’étude de l’éditeur Cision « Comment les dircom perçoivent-ils la transformation digitale ? », réalisée à l’automne 2019, a le grand mérite de fournir de premières réponses et nous présente un panorama finalement assez nuancé de la digitalisation des services com’.

Tandis que 86% des 380 dircom interrogés par Cision perçoivent la transformation digitale comme une évolution nécessaire ou une évidence (cf infographie ci-dessous), ils sont tout de même 63% à estimer que leur service est « plutôt en avance », voire « très en avance » sur le sujet par rapport aux autres directions de l’entreprise… et 19% seulement à estimer être « en retard » ou « très en retard ».

Une perception somme toute assez flatteuse, étant entendu que la « transformation digitale » reste pour beaucoup un terme assez fourre-tout, de même que « l’intelligence artificielle » par exemple, perçue par les dircom de manière très positive… alors que bien peu y ont aujourd’hui recours, ainsi que nous le verrons plus loin, et qu’un nombre encore limité de communicants est aujourd’hui en mesure de définir précisément ce que recouvre cette notion d’IA et quels usages pourraient vraiment en être faits au sein de leur structure.

Plus lucides sans doute quand il s’agit de parler de données, les dircom sont 87% à estimer que la data n’est pas utilisée de manière suffisamment approfondie au sein de leur service (cf infographie ci-dessous), la mesure de la performance de leurs actions de communication et la personnalisation des contenus en fonction des cibles étant les deux usages prioritaires identifiés  par ces professionnels.

De même, dans l’étude Cision, les directrices et directeurs de la communication sont pas moins de 72% à affirmer que leur département n’est pas suffisamment équipé pour conduire sa transformation digitale, une lacune dont 43% des communicants interrogés imputent la responsabilité à leur direction générale, pas assez volontariste dans ce domaine à leur goût, 64% des dircom pointant également un budget insuffisant et 66% un déficit de formation… L’appétence des équipes communication pour la transformation digitale n’étant pas en cause selon eux, puisque seul un petit nombre de managers et de collaborateurs seraient réticents aux mutations en cours.

Conscients de leur manque d’outils pour mener à bien tous les chantiers de la transformation digitale, les communicants sont moins de 30% à avoir accès aux solutions de CRM, quand il en existe au sein de leur entreprise (un point bloquant pour relier l’efficacité de leurs actions aux variations du chiffre d’affaires). Et seuls 8% des départements communication seraient équipés de logiciels d’influence, 15% de chatbots, tandis que les outils de social media management du type Hootsuite et les outils de veille et de social media listening seraient heureusement plus répandus…

Si les solutions d’accompagnement de l’employee advocacy (comme Sociabble) ne sont pas abordées dans l’étude Cision, on peut constater en revanche une nette progression de leur usage depuis 2 ans, parmi les entreprises ayant mis en œuvre des démarches dédiées au développement et à la gestion de leurs communautés d’ambassadeurs.

Un point positif qui ne contrebalance que faiblement le constat de sous-équipement numérique de la plupart des directions de la communication.

En ce qui concerne enfin les canaux et typologies de supports utilisés par les communicants pour diffuser leurs contenus, ceux-ci seraient aujourd’hui « digitalisés » à 65%, tandis que les outils et actions de communication non dématérialisées/non dématérialisables tendraient à représenter une portion de plus en plus congrue du brand content, ainsi que le démontrent les infographies ci-dessous. A noter que parmi les canaux digitaux, seul le blog d’entreprise tomberait progressivement en désuétude, les podcasts et autres outils du « live » étant au contraire promis à un bel avenir, de même que les contenus vidéos de manière générale (longs ou courts) hébergés sur les chaînes des entreprises.

Dircom et transformation numérique : un « décrochage » progressif, malgré la digitalisation de la fonction ces dernières années ?

Evidemment plus exhaustif et critique dans le cadre de son mémoire que ne peuvent l’être les différentes études menées sur la transformation numérique des services communication, Alan Calloc’h fait quant à lui le constat d’un retard progressif dans l’appropriation des technologies par les dircom et leurs équipes.

Et le décrochage, si tant est que l’on puisse utiliser ce terme, lui le situe historiquement dans le passage du web 2.0 au web² et au web 3.0, tels que décrits ci-dessous dans le schéma de Dion Hinchcliffe, avec de premiers retards constatés ici et là dès l’émergence du web 2.0, dans la prise en compte de certains des impacts du web social, avec une appropriation plus ou moins avancée parmi les entreprises de la révolution du brand content, des nouveaux formats d’écritures et codes du storytelling digital, ou bien en matière de gestion des User Generated Contents, faute de stratégies de co-création bien définies et réellement formalisées au sein de la plupart des entreprises…

Ainsi, dans son analyse très intéressante des évolutions de la communication et du métier de dircom, Alan Calloc’h rappelle à juste titre que notre secteur a été le premier impacté par la numérisation des organisations. Durant les années 90, avec l’émergence du web 1.0 ou web de publication centré sur les documents et alors que le site web et l’email sont les nouveaux services plébiscités par le grand public, les dircom et leurs équipes sont en effet en première ligne de la transformation numérique des entreprises. Ils élaborent les premiers sites internet et intranet et gardent le contrôle sur l’information, en considérant simplement le web comme un nouvel outil, qui ne remet nullement en cause la stratégie de prise de parole de leur organisation.

A partir de 2004, avec l’apparition des premières plateformes sociales et interfaces de programmation, puis l’essor des réseaux sociaux, naît le web 2.0 ou web social centré sur les utilisateurs et leur offrant la possibilité d’interagir (développement d’interfaces riches et de nouveaux usages de partage et de conversation). Durant cette phase, qui voit les organisations accélérer l’intégration stratégique du web, les dircom et communicants restent mobilisés, intègrent les nouvelles technologies et nouveaux codes, tout en comprenant que leur métier va en être profondément bouleversé. Ils constatent en effet qu’ils perdent de plus en plus le contrôle sur l’information, à mesure que les internautes s’expriment davantage, échangent entre eux et se mettent à interpeller les marques.

Mais avec le web², tandis que les communicants en sont encore à gérer tant bien que mal les impacts du tsunami 2.0, la donnée prend le pouvoir et vient de nouveau bousculer le périmètre métier des communicants. « En manque d’expérience, de culture technologique et marketing face à cette nouvelle vague, le dircom se voit dépossédé de certains projet, au bénéfice des directeurs marketing et des nouveaux directeurs digitaux, disposant d’un niveau d’expertise bien plus poussé et d’une vision transversale de la transformation numérique’.

Alors que nous entrons désormais progressivement dans l’ère du web 3.0 dit « sémantique », où les machines comprennent et sont en capacité d’utiliser de manière autonome les données qu’elles hébergent, la perte de repère est encore plus complète pour les communicants, qui tardent à mettre à jour leur logiciel et à adapter leurs pratiques, faute de formation et d’une compréhension fine des nouveaux enjeux. En témoigne le corpus d’annonce de recrutement ainsi que les nombreuses fiches de poste récentes étudiées par Alan Calloc’h : dans la plupart des cas, les enjeux liés au digital y sont traités traités à la marge (ou pas du tout), comme si la révolution numérique était achevée et déjà totalement intégrée par l’écosystème de la communication.

Dixit le consultant en transformation numérique : « Nous avons été surpris de constater que 60% des annonces étudiées (tous secteurs et tout type de structure confondus) n’intègrent peu ou pas d’enjeux liés au digital, ni au titre de la transformation de l’organisation, ni au titre de la dimension ‘outil’. Par ailleurs, concernant les fiches descriptives du métier de directeur de la communication, 86% des structures du panel étudié n’intègrent pas de sémantique spécifique sur le thème de la transformation digitale. » 

Sans même entrer dans le détail des technologies et les notions d’intelligence artificielle, de blockchain ou de data, dont la mention est là aussi absente de la quasi-totalité des annonces et descriptifs, cette conception pour le moins « figée » de nos métiers interpelle et vient donner de l’eau au moulin d’Olivier Lefèvre, consultant du groupe Onepoint cité par Alan Calloc’h, qui ne peut lui aussi que relever le décalage :

« Le secteur de la communication est le premier à avoir été impacté par la numérisation au sein de l’organisation. Un temps en première ligne de la transformation digitale, le directeur de la communication est aujourd’hui moins impliqué. Il est pourtant celui qui a installé les outils web, créé les premiers sites (internet et intranet), mis en place des cellules dédiées au web… Et pourtant, il ne semble plus être un moteur de la transformation […] L’écosystème a évolué plus vite que lui »

Nouveaux formats et nouvelles écritures du storytelling digital, modélisation de la chaîne éditoriale, stratégies de co-création… : tous les impacts et enjeux du web 2.0 sont encore très inégalement pris en compte

Dans la première partie de son mémoire, « Disruptions à l’ère des réseaux sociaux et du mobile », Alan Calloc’h recense de manière précise et exhaustive les différents défis auxquels les dircom dont confrontés à l’ère du web 2.0, en précisant que la plupart ont été intégrés, au moins dans les discours, comme en témoignent les interviews de dircom qu’ils ne manquent pas de citer.

Immédiateté des réseaux sociaux, fake news, défiance croissance des citoyens face aux institutions et aux discours corporate, inflation de contenus, « infobésité » et diminution de l’attention des publics… réclament une transparence accrue, de la sincérité et la démonstration de véritables valeurs de l’entreprises, incarnées de préférence par ses salariés, ses dirigeants ou des ambassadeurs crédibles.

De fait, à l’heure du web social, « ce sont les valeurs de respect, d’honnêteté, d’écoute et de générosité qui forment le socle durable de relations numériques de confiance… » rappelle Alan Calloc’h et les communicants sont appelés à communiquer différemment, en investissant certes les différentes plateformes sociales et en s’appropriant les nouveaux outils, mais en intégrant également à leur narration le destinataire de leurs messages.

Dans cette nouvelle ère où les marques sont invitées à exprimer leur identité et une vision forte, articulée aux nouveaux besoins de leurs parties prenantes et de la société, il appartient aux entreprises et aux communicants de démontrer sans langue de bois la réalité de leurs engagements, de respecter le « contrat de confiance » avec leurs clients et parties prenantes en nourrissant un vrai dialogue, une vraie conversation avec eux sur les réseaux sociaux notamment. Les contenus produits doivent être efficaces et engageants, et respecter les nouveaux codes et formats de l’écriture digitale (contenus riches, « langage augmenté » utilisant toute la palette des nouvelles ressources numériques : émojis, mêmes, sons et images), alterner formats longs et courts dans le cadre d’un storytelling digital pensé et efficace, soutenu par de véritables schémas narratifs (les lecteurs assidus de ce blog retrouveront là des conseils maintes fois évoqués sur ce blog, ainsi que l’écho des recommandations de l’experte du langage Jeanne Bordeau).

Mais de facto, comme le souligne Alan Calloc’h et malgré de réels progrès accomplis par beaucoup d’organisations, c’est souvent dans l’appropriation de ces nouveaux codes d’écriture et dans le déploiement ce se storytelling digital, voire dans l’organisation et la modélisation même de la chaîne éditoriale sensée suivre cette stratégie éditoriale et en produire les contenus que le bât blesse.

Encore très « silotée » (entre directions de la communication, du marketing, voire les départements commerciaux), la production de contenus, trop souvent disparates, échoue à atteindre son objectif de cohérence et à adresser la multiplicité des points de contact avec les bons messages, dans le bon timing. Et si des « newsrooms » ont été bien mises en place ici et là, dont le dircom est rarement le rédacteur en chef en définitive, il est bien rare que tous les producteurs de contenus et tous les experts des canaux digitaux et offline y aient été intégrés, pour gérer cette chaîne éditoriale complète allant de la production à leur diffusion, en passant par l’indispensable monitoring de leur performance. Et tous les experts du web social sont loin d’y être systématiquement associés.

Outre le faible degré de modélisation de la chaîne éditoriale au sein de la plupart des entreprises, le manque de ressources et d’expertises dédiées ainsi que d’outils pour saisir complètement toutes les opportunités du web 2.0, les communicants seraient encore assez en retard en matière de co-création de contenus et de gestion des user generated content, ainsi que le rappelle également Alan Calloc’h.

De fait, si la capacité à faire participer les consommateurs, les clients fidèles et les consommateurs à leur storytelling de marque est une des forces d’entreprises exemplaires comme Innocent, Red Bull ou Go Pro pour ne citer que les plus connues, bien des entreprises considèrent encore la co-création et le « storymaking » comme des gros mots… quand la signification même de ce dernier terme ne leur échappe pas complètement.

Il y aurait donc encore beaucoup à faire pour que toutes les entreprises et tous les communicants puissent se targuer d’exploiter complètement toutes les opportunités du web social, nous glisse en filigrane Alan Calloc’h.

Blockchain, big data, VR et IA : des nouvelles technologies encore mal maîtrisées et très peu appliquées par les communicants et les dircom

Si le web 2.0, les réseaux sociaux et le mobile ont bouleversé le quotidien du dircom, sans que celui-ci sache encore en exploiter toutes les opportunités, une autre révolution peut-être plus impactante encore pour les organisations se prépare depuis des années : celle de la captation, de l’enrichissement et du traitement de la donnée sous toutes ses formes.

Capable de capter, traiter et exploiter une masse sans cesse plus importante de données, la technologie associant big data et tracking comportemental à la puissance de calcul accrue de l’informatique offre des possibilités quasi illimitées et permet aux entreprises de comprendre, mieux cibler et anticiper. « Couplées avec les techniques d’intelligence artificielle, de l’automatisation et de la vérification des informations via la blockchain, les données autorisent les direction marketing et communication à atteindre le graal : adresser le bon contenu, à la bonne personne et au bon moment. » 

Et Alan Calloc’h de présenter dans le détail, dans son mémoire, les opportunités offertes par le tracking comportemental et la masse exponentielle de data consolidées par les GAFAM, Google et Facebook en tête, ainsi que l’importance de la 5 G, du cloud et des objets connectés dans la convergence des systèmes informatiques et le croisement de ces milliards de données qui ne demandent qu’à être analysées et utilisées.

Las, les entreprises et les services marketing et com’ disposent encore très rarement des outils et des compétences leur permettant une telle exploitation, quand ce n’est pas la gouvernance elle même du sujet au sein de l’entreprise qui pose problème. Dixit Béatrice Mathurin, directrice communication du groupe Chantelle : « La mutation du métier est lié à la data et aux multiples sources de collecte de données. Face à cette problématique, on a l’impression que personne ne dirige. On accumule les chiffres avec une volonté de les faire parler, afin d’aller chercher toujours plus de ROI », mais sans mettre en oeuvre au bon endroit les expertises adéquates pour une exploitation efficace, faute de concertation et d’une véritable prise de conscience des enjeux.

De même, la blockchain, technologie de stockage et de transmission d’information sécurisée fonctionnant sans organe central de contrôle, offre des perspectives plus qu’intéressantes pour les dircom et leurs équipes : 1) possibilité de lutter contre la désinformation et les fake news, en certifiant et garantissant la fiabilité d’informations et de publications (communiqués de presse, communications financières…) ; 2) authentification et gestion de la relation avec les influenceurs sur la base d’indicateurs partagés de ROI ; 3) assainissement du marché de la publicité en ligne grâce aux capacités de structuration et de sécurisation de la blockchain ; 4) meilleure gestion de la relation client et de l’employee advocacy, grâce au partage directement consenti par les contacts et les ambassadeurs de leurs données personnelles… Mais là encore, hormis le 1er item concernant la certification des informations, déjà utilisé par quelques grands groupes, les expérimentation des dircom et de l’écosystème de la communication demeurent pour l’instant embryonnaires.

Et que dire de l’intelligence artificielle, si souvent et confusément évoquée qu’on ne sait plus exactement ce qu’elle recouvre ? Dans son mémoire, Alan Calloc’h y consacre un longue partie et remet les « vaches au milieu du pré », en citant 5 champs à explorer méticuleusement par les dircom et leurs équipes : 1) l’amélioration des dispositifs de veille, d’écoute et de collecte des données, grâce aux technologies d’exploration intelligente ou de « smart crawling », à la vérification et l’analyse des informations ; 2) la production de contenus courts et structurés, comme des dépêches ou brèves, ou l’identification de contenus existants grâce à la reconnaissance de textes ou d’images ; 3) La personnalisation et la diffusion de contenus, avec une analyse en temps réel des retours et interaction des publics ou des communautés destinataires des messages ; 4) les agents conversationnels ou chatbots, dont Alan Calloc’h signale qu’ils pourraient être aussi intéressants en communication interne qu’en communication externe ; enfin 5) La reconnaissance et la recherches vocales avec les opportunités infinies offerts par les assistants virtuels, dont je vous avais déjà parlé dans cet article.

On le voit : ce ne sont pas les sujets et les chantiers d’innovation qui manquent, d’autant que je n’ai parlé ni de réalité virtuelle ou augmentée, ni des ressources de la communication live, ni des apports tangibles des sciences cognitives dans le développement d’expériences utilisateurs plus satisfaisantes et gratifiantes, pour ne citer que ces autres champs d’amélioration et d’investigation…

Comment les dircoms et leurs équipes peuvent-ils combler leur retard et quelle posture adopter face aux flux continu d’innovations et à la #TranfoNum permanente ?

Sur ces points, les recommandations d’Alan Calloc’h et des experts de Cision se rejoignent.

S’il n’est pas attendu des dircom et des communicants qu’ils abandonnent leurs missions « régaliennes », l’information des publics, la promotion de l’image et des valeurs de la marque au travers d’une narration et de contenus incarnés, reflétant l’identité et la vision de l’entreprise, la gestion de la réputation et la mise en cohérence des discours sortants, l’animation de leurs communautés d’ambassadeurs et de porte-parole… on attend néanmoins d’eux qu’il investissent complètement les opportunités du web conversationnel et de la co-création, qui sont à leur portée, et s’emparent des nouveaux codes et bonnes pratiques du storytelling digital, en revoyant au besoin l’organisation et à modélisation de leur chaîne éditoriale, pour faire tomber les silos au sein de leurs propres équipes.

Et au-delà de la question des budgets et des moyens, qui est certes cruciale pour envisager la suite et faire face aux enjeux du web² et du web 3.0 dont nous venons de parler, au-delà même de la question des outils qui ne sont pas du tout à la hauteur des ambitions, il est aussi urgent que les dircom s’approprient tous les enjeux des révolutions à venir, en se formant en permanence et en formant leurs équipes aux technologies émergentes. C’est loin d’être suffisamment et si souvent le cas dans toutes les entreprises, certains pensant – à tort – être suffisamment en avance ou voir fait le tour des principaux enjeux.

A cet égard, si les dircom n’ont pas nécessairement vocation à devenir eux-mêmes des experts opérationnels du digital, beaucoup gagneraient assurément à s’inspirer de l’exemple de Béatrice Mathurin, dircom du groupe Chantelle, qui a poussé jusqu’au bout la réflexion sur l’évolution de ses propres compétences en choisissant, après 15 ans d’expérience, de réaliser un 3ème cycle spécialisé en marketing digital. A défaut d’avoir elle-même exercé chacun des nouveaux métiers du numérique, si utiles aux services communication, elle dispose sans doute aujourd’hui d’une bien meilleure connaissance et compréhension des enjeux… et des axes de progression de ses équipes pour passer du web social à celui de la connaissance : un défi majeur pour tout communicant.

 

 

 

 

Notes et légendes :

(1) Etude « Comment les dircom perçoivent la transformation digitale ? » réalisée entre juillet et septembre 2019 auprès de 380 directrices et directeurs de la communication en France, par Cyndie Bettant, Directrice Communication & Influence de Cision.

(2) Passionné par le numérique et la communication, Alan Calloch est aujourd’hui coach, consultant et formateur, spécialisé dans l’accompagnement des entreprises à la transformation digitale.

Il a réalisé son mémoire sur les « Nouveaux enjeux du dircom à l’ère de la transformation digitale et de l’intelligence artificielle » dans le cadre de son master de Communication des entreprises et des institutions réalisé en formation continue au Celsa, sous la responsabilité de la Professeure Nicole d’Almeida.

 

Crédit photos et illustrations : 123RF, Cision, The BrandNewsBlog 2020, X, DR

Affirmer une « raison d’être » : un bon point pour les marques, mais qui ne suffit pas à leur donner du sens…

Je l’avais souligné l’an dernier déjà¹: s’attaquer au concept de « sens », ce mot-valise de plus en plus galvaudé à force d’être mis à toutes les sauces, requiert une indéniable audace… et beaucoup de rigueur méthodologique.

Cela tombe bien car ni l’agence Wellcom, ni l’Institut Viavoice ne sont dépourvus de ces qualités. Et en lançant à l’automne 2018 le premier « Observatoire Wellcom du sens », Thierry Wellhoff² et François Miquet-Marty³ avaient eu le mérite d’entrer dans toute la complexité du sujet, en dépliant une à une les différentes dimensions du « sens » et en les rapportant à la perception et aux attentes de plus de 1 000 Français, qu’ils étaient allés interroger pour recueillir leurs aspirations et leurs attentes dans ce domaine.

De cette première édition de l’Observatoire du sens, j’avais tiré cet article dans lequel je m’efforçais notamment de démystifier et décrypter les notions de « quête de sens », de missions « porteuses de sens » et autres injonctions à « donner du sens » aux collaborateurs pour les mobiliser et les engager davantage dans les projets de l’entreprise.

Heureusement pour nous et pour l’intérêt du sujet, Wellcom et Viavoice ont eu de la suite dans les idées en renouvelant dès cette année l’exercice et en dévoilant il y a 10 jours les résultats de leurs « Observatoire du sens 2019″…

D’où il ressort cette fois que 56% des Français attachent de l’importance à la notion de sens et qu’1 Français sur 3 attend des marques qu’elles « changent le monde », tandis que les préoccupations environnementales sont devenues centrales et viennent bouleverser les perceptions et les attentes de chacun.

Autre enseignement majeur : la prégnance réaffirmée, parmi nos concitoyens, de ces 4 valeurs très pragmatiques qui « donnent du sens aux entreprises » que sont la qualité, la confiance, la proximité et l’utilité à l’économie (création d’emploi). Des aspirations fondamentales qui demeurent prioritaires par rapport à toute autre promesse de la part des entreprises, car avant de s’engager pour jouer un rôle dans l’évolution de la société ou en faveur de l’environnement, il reste d’abord attendu des marques qu’elles expriment clairement leur histoire et leur identité et se concentrent sur leur utilité première et les responsabilités liées à celle-ci (qualité des produits/services, qualité de la relation et de l’expérience offerte aux clients…).

Nonobstant, si les acceptions du « sens » valorisées par les citoyens-consommateurs restent assez prosaïques et majoritairement concentrées autour du « sens inhérent » et de la signification première de la marque, on observe néanmoins une évolution dans la typologie en 4 familles de consommateurs établie par Wellcom et Viavoice l’an dernier, les consommateurs « engagés » et « enracinés » (ceux accordant davantage d’importance aux engagements sociétaux) progressant de 4% au détriment des consommateurs « sceptiques » et « libéraux » (voir à ce sujet l’infographie de synthèse ci-dessous).

Ainsi, bon an mal an, les acceptions symboliques et projectives du « sens » et autres ambitions sociétales désormais traduites par la « raison d’être » des entreprises ont incontestablement progressé, mais comme on le verra ci-après, la « raison d’être » à elle seule ne suffit pas à donner du sens aux marques, les autres dimensions plébiscitées par les citoyens-consommateurs (cohérence, proximité, pragmatisme-utilité et discours de preuve) restant déterminantes.

Pour revenir sur ces enseignements et les autres conclusions de cet Observatoire du sens 2019, mais aussi répondre à ces questions fondamentales : Qu’est-ce que le sens ? Qu’est-ce qu’une entreprise ou une marque qui a du sens ? Et comment donner ou redonner du sens à une marque en le co-construisant avec chacune de ses parties prenantes, Thierry Wellhoff a bien voulu ce matin répondre à mes questions…

Qu’il en soit ici remercié et bonne lecture à toutes et tous de cette interview très riche et pleine de bon sens ! :-)

Le BrandNewsBlog : Bonjour Thierry. Bravo à vous pour ce deuxième Observatoire Wellcom du sens et pour votre conférence de jeudi, durant laquelle vous en avez dévoilé les résultats. Pourriez-vous nous rappeler dans quels buts vous avez créé cet Observatoire ? Et quel est l’intérêt de le reconduire d’année en année ? Quelles évolutions souhaitiez-vous plus particulièrement mesurer pour cette nouvelle édition ? 

Thierry Wellhoff : La démarche dès l’origine partait du constat d’une utilisation de plus en plus fréquente du mot « sens » dans la vie de tous les jours comme dans l’entreprise et en particulier lorsqu’il s’agit de communication, qu’elle soit interne ou externe, corporate ou marketing.

« Créer du sens », « donner du sens », « produire du sens », quand ce n’est pas « faire sens ». Mais qu’est-ce au juste que le sens ? Et qu’est-ce que le sens pour une entreprise ? Pour une marque ? Il aurait été surprenant que nous mettions tous la même chose sous ce vocable de sens. Nous avons donc souhaité aller plus loin et explorer ce domaine propre à créer de la confusion et qui risquait de générer plus de déceptions qu’autre chose. Les travaux menés sont le fait d’études documentaires, d’entretiens qualitatifs avec des dirigeants d’entreprise et directeurs ou responsables de la communication et d’une étude quantitative que l’on réalise avec l’institut Viavoice et que l’on a positionné comme un observatoire car nous souhaitions dès l’origine évaluer et analyser les évolutions de la perception de cette notion de sens.

Nous avons cette année souhaité aller encore plus loin pour mieux appréhender ce qui fait sens auprès des Français, analyser plus précisément les déterminants du sens et enfin étudier sous cet angle une cinquantaine de grandes marques et de marques dites “engagées”.

Le BrandNewsBlog : Un de mes premiers sujets d’étonnement de l’an dernier, en découvrant les résultats de votre Observatoire, était la proportion tout juste majoritaire de Français pour lesquels « donner du sens à ce que l’on fait et à la vie » est important (56% en 2019, comme en 2018). De même, et c’est d’ailleurs le titre de votre communiqué de presse, vous indiquez qu’1 Français sur 3 (seulement) attend des marques qu’elles changent le monde… Est-ce à dire que les autres se fichent royalement des notions de sens et de l’engagement des marques ? Et si tel est le cas, quelles autres dimensions privilégient-ils dans leur relation au monde et aux entreprises ?

Thierry Wellhoff : On peut comprendre ce pourcentage de différentes manières. Pour ma part je trouve ces 56% plutôt rassurants. Le concept de sens n’est pas forcément compréhensible pour tous et pourtant la majorité des Français considèrent que donner un sens à ce que l’on fait et à la vie en général est de plus en plus important. Cela principalement pour les jeunes et les cadres, et ce besoin de sens est lié à des aspirations tant individuelles que collectives. Il est toutefois intéressant de noter que 17% estiment que le besoin de sens est de moins en moins important. C’est un territoire qui reste de ce point de vue à investiguer.

Mais pour répondre à votre interrogation sur ceux qui ne font pas partie des « engagés », si l’on écarte les 22 % de « sceptiques », ce sont tout de même 78% qui expriment des attentes vis-à-vis des marques qui vont au-delà de leur simple utilité. Et un tiers des français qui attendent des marques un engagement justifie amplement la mobilisation des états-Majors des entreprises sur le sujet.

Le BrandNewsBlog : Ainsi que je l’indiquais en introduction, le « sens » et la « quête de sens » sont aujourd’hui devenus des concepts-valises, à la fois omniprésents dans les médias et la littérature, et de plus en plus galvaudés. A cet égard, un des grands mérites de vos études 2018 et 2019 est de montrer que cette notion de sens est en réalité beaucoup plus complexe et polysémique qu’il y paraît. Car derrière cette fameuse « quête de sens » dont tout le monde parle, les Français que vous avez interrogés évoquent des priorités de natures très différentes. Est-il malgré tout possible de dégager un plus « petit dénominateur commun », ou une définition universelle du sens ?

Thierry Wellhoff : D’un point de vue général, les aspirations auxquelles renvoie le besoin de sens se déploient à deux niveaux :

  1. Collectif d’abord, avec l’idée d’une préservation des “acquis” rendant essentielle la “transmission des valeurs, d’un savoir-faire”, mais aussi celle d’une “protection” de son cercle intime en étant “utile à sa famille, ses amis” par exemple.
  2. Personnel ensuite, via un désir d’émancipation personnelle comme la capacité à “être libre, autonome, vivre comme on le souhaite” ou encore à “améliorer son niveau de vie et ses conditions de vie”, et “se réaliser soi-même”.

Autre enseignement majeur de ce deuxième Observatoire du sens : les enjeux écologiques s’installent très fortement dans l’opinion publique. En cela, la “préservation de l’environnement” apparaît comme un élément fondamental de ce besoin de sens actuel.

Le BrandNewsBlog : Nous évoquions à l’instant la polysémie de la notion de sens et l’hétérogénéité des visions qui s’y rattachent, en fonction des centres d’intérêt, des valeurs et des aspirations de chaque individu. Pouvez-vous en donner des exemples ? Tandis que pour certains Français, le sens relève d’une dimension collective comme le rapport à autrui, la transmission de valeurs ou la préservation de l’environnement, ce qui « fait sens » pour d’autres relève davantage de priorités individuelles, voire privées : la famille, le fait de se sentir libre ou se réaliser… Quelles sont donc les grandes lignes de clivage ou les principaux déterminants du sens ?

Thierry Wellhoff : Les différentes approches du sens s’observent notamment au regard des différentes craintes et des enjeux d’avenir définis par les Français et qui s’expriment également sur les échelles collectives et personnelles.

À l’échelle collective où, comme évoqué précédemment, ce sont les problèmes environnementaux qui représentent la principale menace pour l’avenir, selon 78 % des Français. A l’échelle personnelle par ailleurs, où la capacité de pouvoir vivre comme on le souhaite sans se préoccuper du regard des autres demeure un enjeu fondamental pour 71 % des Français et plus particulièrement pour les 18-24 ans (78 %).

L’approche liée à l’amélioration des conditions de vie semble néanmoins davantage prioritaire pour les catégories populaires. Pour les populations les plus aisées, les aspirations prioritaires seront d’avantage prospectives, abstraites, comme par exemple la capacité à se “réaliser soi-même”.

Le BrandNewsBlog : Pour illustrer cette pluralité du rapport au sens, vous avez eu la bonne idée de travailler sur une typologie qui fait ressortir quatre grandes familles de consommateurs. Pouvez-vous nous les présenter ? Consommateurs « engagés », « enracinés », « sceptiques » ou « libéraux » : quelles sont leurs attentes et aspirations respectives ? Qu’est-ce qui fait sens pour chacune de ces familles ? Et quelles évolutions avez-vous relevées dans cette typologie entre 2018 et 2019 : il semble que les « engagés » et les « enracinés » aient le vent en poupe… Pourquoi ?

Thierry Wellhoff : Oui, on peut en effet distinguer 4 grandes familles…

  1. Regroupant 33 % de l’échantillon global, le groupe des « engagés » est composé d’une population plutôt senior et aisée et une population de jeunes urbains, ce public valorise le collectif et a tendance à conférer aux marques et aux entreprises un rôle dans le changement et l’amélioration de la société.
  2. Le groupe des « enracinés », qui représente un français sur 4 est plutôt composé des catégories moins aisées de la population. Pour autant, ils partagent une même aspiration avec le public des engagés : le respect de l’environnement. Ce qui les distingue est leur vision de la société puisqu’ils perçoivent, plus que les autres, la mondialisation comme une menace pour les cultures et les identités.  Ils accordent par conséquent une grande importance au “terroir”, au “patrimoine et aux traditions”.
  3. Avec un score de 22 %, le groupe des « sceptiques » apparaît moins important que l’an passé (- 4 %). Contrairement aux deux premiers groupes, très peu de valeurs sont mises en avant, pour soi-même ou pour la société. Par conséquent, ils n’attribuent pas aux marques un rôle prépondérant dans le changement de la société, leur conférant surtout un rôle pratique et concret pour leurs clients : leur offrir des biens et des services dont ils retireront une utilité directe.
  4. Pour le groupe des « libéraux », en régression également de 4 points, c’est l’importance de l’accomplissement personnel qui domine, à travers des valeurs fondamentales que sont la liberté, la responsabilité et l’effort. Pour ce public, qui représente 21% de l’échantillon, une marque qui a du sens est une marque qui œuvre à l’utilité économique, notamment en créant des emplois. Finalement, pour les “libéraux”, l’utilité sociétale d’une marque passe par la capacité qu’elle offre à ses clients de réaliser ses objectifs, d’accéder à plus de bien-être ou encore d’améliorer leur niveau de vie.

Au total, par rapport aux familles déjà identifiées en 2018, deux sont donc en nette progression : les « Engagés » et les « Enracinés ». Une évolution qui confirme la progression de l’intérêt du sens sur les notions d’engagement sociétal et environnemental.

Le BrandNewsBlog : Dans une matrice synthétique et didactique illustrant votre « typologie des consommateurs selon leur compréhension du sens », vous avez eu la bonne idée d’ajouter des exemples de marques qui incarnent le mieux les aspirations de chaque famille (voir ci-dessus). Si Twitter, Facebook ou Uber incarnent la priorité donnée à l’expérience clients ; MAIF, Biocoop ou Nature et découverte illustrent plutôt une priorité éthique notamment. Mais quid des marques situées aux intersections de cette matrice (Apple, Blablacar, Samsung, Décathlon ou Leclerc par exemple) : leur « sens » est-il moins évident ou bien est-ce au contraire bon signe, car elles répondent à de multiples aspirations ?

Thierry Wellhoff : On ne peut pas apporter une réponse univoque. Comme souvent en termes de marketing ou de communication, la seule bonne réponse est « cela dépend ». Et cela dépend ici du type de marque et de son positionnement… Bien évidemment plus une marque peut apporter une réponse qui satisfera le plus grand nombre, plus ses chances de séduire ou de fidéliser seront grandes. C’est effectivement le cas des grandes marques que vous avez citées comme Apple ou Blablacar. Néanmoins pour Apple, cette marque est plus proche des deux familles « sceptiques » et « libéraux » et plus éloignée des publics « engagés » qui donnent une priorité à l’éthique et à l’environnement ou même des « enracinés », qui voient la mondialisation avant tout comme une menace.

Mais si une marque souhaite au contraire se faire connaître, choisir et apprécier pour des qualités « clivantes », elle sera ravie de se conforter sur tel ou tel type de famille de public qui pourra se reconnaître dans son combat et faire même œuvre de prosélytisme. Nos travaux nous permettent d’identifier la proximité d’une marque avec ces familles et d’en évaluer selon les cas leur potentiel de développement.

Le BrandNewsBlog : Nouveauté 2019, vous avez proposé au panel de votre étude de noter les marques sur ces trois dimensions du sens que sont la Signification, l’Inspiration et la Relation (voir tableau ci-dessous). La synthèse des résultats, qui fait ressortir les 3 marques les mieux notées par secteur, est à la fois intéressante et un brin déconcertante… car les scores « d’attribution » ne semblent pas extraordinaires. Pour ne citer que l’exemple de la MAIF, une des marques les plus engagées sociétalement, 45% seulement des personnes interrogées reconnaissent qu’elle « œuvre pour le bien de la société »… et 30 % qu’elle est « proche des clients ». De même, les scores des autres marques (à part Décathlon) sont rarement supérieurs à 50% : est-ce à dire qu’elle mènent tous leurs efforts en vain ou que leur « sens » est loin d’être suffisamment perçu ?

Thierry Wellhoff : Il convient d’abord de noter que dans les trois dimensions du sens, 10 déterminants ont été identifiés et que seuls 3 d’entre eux, certes néanmoins assez représentatifs des 3 dimensions mais donc incomplets, sont publiés dans le document de synthèse.

Pour répondre à votre interrogation sur les scores obtenus, les notions de sens sont tout de même assez récentes et ce type d’engagement demande du temps pour que le public le connaisse, le comprenne et l’intègre. Pour ma part, je trouve donc les scores tout à fait satisfaisants, y compris pour la Maif dont l’engagement remonte à une dizaine d’année seulement.

Le BrandNewsBlog : Je le disais, ce qui me paraît très intéressant dans votre approche, c’est que vous avez voulu embrasser la question du sens de manière globale et sans a priori, pour en finir avec les « flous artistiques » qui règnent autour de cette notion. A ce titre, un des enseignements majeurs confirmés par votre étude, me semble être la dimension très concrète des aspirations des Français, qui attendent des marques des engagements tangibles : qualité des produits et services, confiance, proximité, utilité… bien avant les grandes promesses des entreprises sur leurs engagements sociétaux. N’est-ce pas une leçon d’humilité pour les marques, que cette perception très prosaïque du sens, mise en avant une majorité de consommateurs ?

Thierry Wellhoff : Ce n’est certes pas une leçon d’humilité mais plutôt un rappel des fondamentaux. On attend d’une marque, avant tout, qu’elle remplisse ce que j’appellerais la « mission première ». A savoir, ce pourquoi on l’achète.

On peut préférer telle ou telle marque pour une raison ou une autre mais quoiqu’il arrive, il faut qu’elle remplisse sa part du contrat. Cela ne veut donc pas dire que ses efforts, par exemple dans le domaine environnemental, sont inutiles mais qu’ils le seraient si ce pourquoi on l’achète ne remplit pas ses fonctions premières.

Cela dit également autre chose : le fait que le sens ne se limite pas à une vision future ou même à une raison d’être même si ce concept connait une forte popularité. Le sens est une suite d’éléments qui partent de l’ancrage d’une marque (son histoire et son identité), sa mission première, sa vision du futur, son contrat social pour arriver au lien et à la proximité qu’elle entretient avec ses différents publics.

Le BrandNewsBlog : Pour rebondir sur ma question précédente, il a été beaucoup question ces derniers mois « d’entreprises à mission » et de « raison d’être » des entreprises… Dans la foulée de grandes annonces en Europe et aux Etats-Unis, de très nombreux groupes et marques ont réfléchi sur leur raison d’être, voire proclamé un nouveau « purpose » sociétal et ambitieux à leur activité… Si l’on en croit les enseignements de votre étude, on comprend que ce type de démarches ne répond qu’à une des dimensions attendues par les consommateurs : plutôt les publics « engagés » et CSP + d’ailleurs (majoritairement seniors ou jeunes). Ce faisant, les entreprises « à raison d’être » ne courent-elles pas le risque d’en faire trop sur leur engagements sociétaux et d’oublier les dimensions plus tangibles du sens, tout aussi importantes pour les consommateurs (proximité, qualité de la relation…) ?

Thierry Wellhoff : Vous avez tout à fait raison d’évoquer ce point. Comme nous l’avons vu au point précédent, il ne suffit pas de définir une raison d’être pour donner du sens à sa marque. Les deux maîtres-mots sont la cohérence et la proximité.

D’abord, la raison d’être doit être cohérente avec l’identité et l’histoire de la marque. On a ainsi vu des marques telles que Gillette avec le spot « The best man can get », ou Pepsi, dans la campagne Live for Now qui tentait de s’approprier le mouvement de lutte sociale Black Lives Matter, rencontrer des difficultés dans des communications sur des engagements qui n’étaient pas jugés légitimes par leurs publics.

Ensuite, la notion de « proximité » est à comprendre à la fois comme proximité géographique qui donne des gages de sens à la distribution et en terme de proximité psychologique. Ce dernier point nous permet notamment d’étudier la proximité des marques avec les 4 familles que nous avons citées il y a un instant.

Le BrandNewsBlog : Si les Français que vous avez interrogés attendent d’abord d’une marque qui a du sens qu’elle assume ses responsabilités (vis-à-vis de ses clients, de ses salariés et de la société environnante) tout en se montrant proche de ses publics… S’ils valorisent autant les dimensions concrètes et tangibles de la notion de sens, cela veut-il dire pour autant que les marques doivent se concentrer uniquement sur un discours « de preuves » et la démonstration de leur sens au détriment de messages plus aspirationnels et visionnaires ? 

Thierry Wellhoff : Si l’on voulait faire une formule, on pourrait dire qu’il en va du sens comme de l’amour, « il n’y a pas de sens mais seulement des preuves de sens »…

Mais en fait, dans le sens comme dans l’amour, les preuves ne suffisent pas. Il faut aussi trouver une inspiration qui vous fait découvrir la réalité sous un nouveau jour. L’analogie que je fais avec l’amour n’est pas gratuite. Car pour une marque il s’agit tout autant de séduction, d’attraction, que de fidélisation et de satisfaction. Le public d’une marque est aussi exigeant si ce n’est davantage dans la relation qu’il entretient avec une marque que celle qu’il a dans le cadre d’une relation amoureuse.

Le BrandNewsBlog : Vous l’avez évidemment perçu et souligné dans les résultats de cette étude, l’urgence climatique et les grands défis qu’elle représente transcendent aujourd’hui les perceptions de toutes les familles de consommateurs, puisqu’une très large majorité d’entre eux se sent concernée… Est-ce que cette préoccupation va peser encore davantage à l’avenir dans la perception des marques ? Et à rebours de ce que nous disions à l’instant, faire progresser l’attente d’engagement de la part des marques de manière significative ?

Thierry Wellhoff : Les profondes mutations dont nous prenons désormais conscience ont atteint les états-majors des entreprises. Sous la pression des mutations sociales, les équipes de direction opèrent aujourd’hui une prise de conscience majeure sur le sens même de leur modèle d’affaires. On ne parle aujourd’hui plus seulement de performance économique et d’innovation. Ainsi, la responsabilité sociétale s’est invitée au niveau des axes stratégiques majeurs.

Au cœur de l’été, on a pu ainsi voir 32 géants mondiaux de la mode et du luxe (Adidas, Chanel, Versace…) qui lancent une “coalition pour réduire leur impact environnemental”. Entendre 34 grands groupes fédérés autour du PDG de Danone Emmanuel Faber vouloir “faire progresser les droits humains à tous les stades de leurs chaînes de valeur”. Voir aussi Unilever envisager de céder des marques ultra-rentables (les glaces Magnum, les nouilles instantanées Noodle…) qui ne seraient plus en ligne avec ses valeurs en matière de développement durable. Observer enfin 181 dirigeants de grands groupes américains (Apple, Amazon ou encore Goldman Sachs) qui signent une “Déclaration sur la raison d’être de l’entreprise”, assurant que la mission des sociétés ne doit plus se limiter à générer des profits mais prendre en compte toutes les parties prenantes : investisseurs, employés, communautés, fournisseurs et clients, mais aussi l’environnement…

François-Henri Pinault ne s’y est pas trompé. Le patron du groupe Kering estime qu’une nouvelle génération de dirigeants, ayant pris conscience des enjeux environnementaux et sociaux, est en train de faire bouger le monde de l’entreprise.

Le BrandNewsBlog : Pour résumer ce que que devrait être idéalement le sens d’une marque, vous utilisiez l’an dernier cette définition-programme : « le sens pour une marque, c’est au delà se son sens inhérent (signification), une histoire, une narration vers un sens symbolique ou sublimé connecté aux attentes sociétales (inspiration) qui sera activé (activation) dans sa communication et sa relation avec ses différents publics. » Assumez-vous toujours cette formule magique du sens durable et partagé ? Et qu’est-qui pèche le plus souvent à cet égard au sein des entreprises ? Pour les marques sociétalement engagées que vous avez étudiées, vous évoquez un problème de lisibilité de leur mission et de leur raison d’être, et donc un problème de storytelling… Pouvez-nous nous en parler ? Cet enjeu d’explication et de narration sur le sens, est-ce cela que les marques réussissent le moins bien ?

Thierry Wellhoff : S’il s’agit d’une formule, celle-ci n’a rien de magique mais est au contraire emplie simplement de « bon sens »…

Les trois dimensions du sens : signification, inspiration et relation, montrent que la polysémie du mot ne doit pas masquer mais plutôt valoriser sa richesse et son potentiel pour la stratégie de l’entreprise. Le sens précède la stratégie, qui n’en constitue en fait que le moyen.

Cette appréhension du sens conduit à porter un regard à la fois critique et constructif sur les marques. Critique parce qu’il permet de mieux comprendre ce pourquoi elles progressent et ce qui peut les freiner dans leur évolution. Constructif car nous pouvons ainsi établir ce qui peut faire défaut à leur développement. Il faut bien comprendre que le sens se construit… et détermine l’avenir.

Un focus sur les marques qui ont fait de leur engagement le cœur même de leur activité nous livre deux enseignements majeurs : 1) Les marques dites “engagées” pâtissent, pour certaines, surtout d’un manque de notoriété ou, pourrait-on dire, de lisibilité dans leur mission première mais également dans la raison d’être qu’elles portent et qu’elles promeuvent. Une marque engagée qui fait sens doit donc être connue et comprise pour pouvoir être reconnue.

2) Les analyses confortent l’importance du rôle de la “relation” dans le sens accordé aux marques et aux entreprises, relation qui s’installe comme un prérequis à la raison d’être et à la responsabilité sociale.

 

 

Notes et légendes :

(1) « Et si la quête de sens en entreprise était d’abord affaire de bon sens… et de coconstruction », le BrandNewsBlog – 23 septembre 2018

(2) Thierry Wellhoff est Président de l’agence de communication Wellcom

(3) François Miquet-Marty est Président de l’institut Viavoice

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, Agence Wellcom, The BrandNewsBlog 2019, X, DR

Et si la « quête de sens » en entreprise était d’abord affaire de bon sens… et de co-construction ?

Signe des temps ? On ne peut plus aujourd’hui ouvrir un livre ou une revue de management sans tomber à tout bout de champ sur ces notions de « quête de sens », de missions « porteuses de sens » et autres injonctions à « donner du sens » aux collaborateurs pour les mobiliser et les engager davantage dans les projets de l’entreprise…

Comme un talisman au pouvoir surpuissant ou une formule magique, la notion de « sens » est invoquée par les uns et les autres (parfois en dépit du bon sens) quand tous les arguments rationnels et leviers de motivation dits « traditionnels » semblent marquer le pas et faire du surplace… Jusque dans le dernier ouvrage iconoclaste de Nicolas Bouzou et de Julia de Funès¹, où les deux auteurs pourfendent allègrement les concepts à la mode de « bonheur au travail » et de « plaisir au travail », mais n’en finissent par pour autant avec cet impérieux besoin des individus et des collaborateurs de se voir « donner du sens » par leur direction ou/et par leurs managers.

Dans ce champ sémantique porteur et particulièrement riche, une pléthore de consultants et autres agences « au service du sens » s’est d’ailleurs engouffrée ces dernières années, sans qu’on comprenne toujours exactement la nature des services proposés derrière cette alléchante promesse.

Il fallait donc une indéniable audace (et beaucoup de rigueur méthodologique) pour oser s’attaquer à ce mot galvaudé et à ce concept-valise de « sens », comme l’ont fait l’agence Wellcom et l’institut ViaVoice, en dévoilant cette semaine les résultats de leur premier « Observatoire Wellcom du sens » ! Une contribution à la fois passionnante et sensée, qui a le grand mérite de « remettre les pendules à l’heure » et d’entrer dans toute la complexité de cette notion, en dépliant une à une les différentes dimensions du « sens » et en les rapportant à la perception et aux attentes de plus de 1 000 Français, qu’ils sont allés interroger pour recueillir leurs aspirations…

D’où il ressort, au-delà du constat que plus de 6 Français sur 10 attachent de l’importance à la notion de sens, que ces aspirations sont loin d’être uniformes, les préoccupations des uns étant d’ordre plutôt collectif (publics « engagés » et « enracinés » notamment) tandis que les autres se montrent plus concernés par des préoccupations d’ordre individuel ou privé (publics « libéraux » et « sceptiques ») : à voir à ce sujet l’intéressante typologie des consommateurs en fonction de leur compréhension du sens, telle que posée ci-dessous par Wellcom et Viavoice.

Autre enseignement de cette étude : la prégnance, parmi les Français, de ces 3 valeurs qui « donnent du sens aux entreprises » que sont la qualité, le savoir-faire et le respect, auxquelles il faut manifestement ajouter le sens des responsabilités (vis-à-vis des parties prenantes) et la proximité, car une marque ou une entreprise qui a du sens doit selon eux commencer par leur être proche au quotidien…

On le voit : tantôt très prosaïques et concentrées autour du « sens inhérent » ou de la signification d’une mission, d’une marque ou d’une entreprise, les acceptions du sens peuvent aussi être plus symboliques et projectives, en recoupant la vision et l’objectif d’une organisation… mais doivent en tout cas rester connectées aux attentes sociétales de leurs différents publics, selon les auteurs de l’Observatoire.

Volontiers pédagogues – et très inspirants – ces derniers n’hésitent pas à répondre dans leur rapport aux grandes questions que chacun se pose : Qu’est-ce que le sens ? Qu’est-ce qu’une entreprise ou une marque qui a du sens ? Et au-delà du « sens inné », pourquoi et comment redonner du sens à une marque en le co-construisant avec chacune de ses parties prenantes ?

Ainsi que vous le verrez, c’est à ces ambitieuses questions que répond le rapport du premier Observatoire Wellcom du sens, que je ne peux que vous incitez à lire et relire (voir le lien en pied de page²). Il pose aussi, en dernier lieu, cette définition imparable qui pourra servir de guide à chacun : « Le sens pour une marque, c’est, au-delà de son sens inhérent (signification), une histoire, une narration vers un sens symbolique ou sublimé connecté aux attentes sociétales (inspiration), qui sera activé (activation) dans sa communication et sa relation avec ses différents publics. »

Pour nous en dire un peu plus et revenir sur les conclusions de leur Observatoire, Thierry Wellhoff (Président de l’agence Wellcom) et François Miquet-Marty (Président de Viavoice) ont accepté de répondre en exclusivité à mes questions… Qu’ils en soient remerciés !

Le BrandNewsBlog : Tout d’abord, Thierry et François, bravo à vous pour ce premier Observatoire Wellcom du sens et pour votre conférence organisée mardi dernier à la maison de la radio, durant laquelle vous en avez dévoilé les résultats. Comment l’idée vous est-elle venue de créer cet Observatoire et quels en sont les objectifs ? Comptez-vous le reconduire de manière régulière, et si oui, à quelle périodicité et sous quelle forme ?

Thierry Wellhoff : « Créer ou produire du sens, donner du sens, faire sens … » Que cela soit sur les sujets d’entreprise, de management, de marques, de communication interne ou externe, nous utilisons tous régulièrement le mot sens. Mais il nous est apparu qu’il serait surprenant et sans doute illusoire de penser que nous comprenons tous la même chose dans la notion de sens. Or si le sens est si souvent invoqué c’est qu’il nous semble être la clé des grands enjeux à la fois des marques et des entreprises mais également de notre époque. Les entreprises l’ont bien compris, pour elles‑mêmes comme pour leurs marques.

Car pour se faire apprécier, elles doivent se faire comprendre. Tant pour attirer et retenir leurs talents que pour commercialiser leurs produits ou leurs services auprès de leurs clients. Ceux-ci comme ceux-là ne se laissent plus appâter ni même berner par des discours superficiels et racoleurs. Salariés ou clients veulent certes bien, dans un premier temps, se laisser séduire mais veulent désormais et rapidement du concret. C’est‑à‑dire des preuves tangibles de la capacité des entreprises à tenir ce qu’elles promettent. Ce qui « fera sens » et ce n’est, finalement, que du « bon sens ».

Nous avons donc souhaité approfondir cette notion de sens à la fois par des recherches documentaires et des entretiens avec différentes professions mais aussi en interrogeant le grand public sur ses attitudes au regard du sens. Cela nous a conduits à lancer cet Observatoire du sens avec l’institut ViaVoice… Les résultats, j’espère que vous en serez d’accord, sont vraiment intéressants. Sens est un mot-valise, un concept qui demande à être éclairé et compris.

Nous avons également souhaité approfondir le sujet avec des experts et des dirigeants d’entreprise et de communication que nous avons invités à partager avec nous leurs réflexions sur ce sujet. Et ces réflexions, croyez-moi, sont très riches, nous avons d’ores et déjà imaginé des développements futurs pour cet Observatoire. Donc la réponse est oui, et bien qu’il n’y ait pas à date de calendrier définitif, il y aura une suite.

François Miquet-Marty : Ce qui justifie fondamentalement cet Observatoire est le fait que le sens soit de moins en moins « donné » dans notre société actuelle… Les interrogations croissantes sur le besoin de « sens » des salariés au travail ou des millenials renvoient fondamentalement à un monde où le déclin des idéologies et de la religion catholique pour la France sapent le caractère « naturel » des sens qui étaient associés à ces visions globalisantes. D’où une question de plus en plus centrale du sens dans nos sociétés, qui appelle à être construit en permanence, et prouvé.

Le BrandNewsBlog : Pour vous taquiner un peu, vous avez choisi d’insister dans le titre de votre communiqué de presse sur le fait que « 6 Français sur 10 attendent d’une marque qu’elle ait du sens ! ». Cette proportion n’est pas très impressionnante, en définitive. Est-ce à dire que 4 Français sur 10 se fichent royalement que les marques aient du sens ou non ? Et si tel est le cas, quelles autres dimensions privilégient-ils dans leurs relations aux entreprises ?

Thierry Wellhoff : Approcher la notion de sens n’est pas une mince affaire. Le sens est mot polysémique et un concept abstrait qui peut lui-même revêtir de nombreuses acceptions (près de quatorze pages dans le dictionnaire encyclopédique et culturel Le Robert publié sous la direction d’Alain Rey). Cette étude a donc demandé un travail d’approche beaucoup plus fin qu’une simple enquête d’opinions… Mais il fallait aussi être à même de sortir des chiffres « nets » qui donnent une idée de la prégnance de ce concept dans l’esprit des Français.

Si le sujet concerne la plupart d’entre nous, tout le monde n’adhère pas nécessairement à l’idée de sens pour les marques et d’autres n’en sont pas nécessairement conscients. Soixante pour cent tout de même, cela nous a semblé finalement plutôt fort pour une notion aussi abstraite.

François Miquet-Marty : Rigoureusement, un quart des Français ont une relation très pragmatique avec les marques, où la quête de sens est moins prioritaire. Cela signifie que l’enjeu du sens est moins prioritaire pour eux, ils sont moins attachés que les autres à des valeurs essentielles pour la plupart, ils sont plus sceptiques envers les marques. Ils sont plus indifférents ou plus distants, et probablement plus difficiles à mobiliser. Sur le champ de bataille du sens, ils dessinent une « nouvelle frontière » pour les marques.

Le BrandNewsBlog : Vous venez de le dire – et c’est à mon avis le premier grand mérite de votre étude – la notion de sens est en réalité beaucoup plus complexe et polysémique qu’il y paraît. Et derrière cette fameuse « quête de sens » dont tout le monde parle, les Français que vous avez interrogés évoquent des priorités de natures différentes. Tandis que pour certains, le sens relève d’une dimension collective comme le rapport à l’autre, la transmission de valeurs ou la préservation de l’environnement, ce qui « fait sens » pour d’autres relève davantage de priorités individuelles voire privées : la famille, le fait de se sentir libre ou se réaliser… Pouvez-vous nous expliquer cette polysémie et l’illustrer par quelques exemples ?

Thierry Wellhoff : C’est effectivement un des grands enseignements de cette étude. Le sens ne signifie pas la même chose pour tout le monde. Nous en avions l’intuition et le mérite de cette étude est de le démontrer et de l’objectiver. la notion de « sens » ne renvoie ni aux mêmes idées ni aux mêmes valeurs selon que l’on y attache des aspirations collectives (être utile à la société) ou personnelles (trouver sa place et sa vocation dans la société), des objectifs économiques, sociaux ou environnementaux.

Une typologie nous a ainsi permis de dégager quatre groupes ou quatre familles distinctes de consommateurs, selon leur rapport à cette notion. Le premier groupe, issu de cette typologie, est celui des publics « engagés » : s’ils ne sont pas les seuls à accorder de l’importance à leurs modes de vie et de consommation, ce sont sans doute les plus convaincus et les plus actifs. Leurs priorités sont collectives et sociétales, en lien avec l’environnement, l’éthique, la valorisation du collectif dans leur vie quotidienne.

Le second groupe est celui des publics « enracinés » : particulièrement sensibles aux enjeux environnementaux, au même titre que les « engagés », ils ne partagent pas toutefois la même vision de société, ni les mêmes modes de vie. Plus présents dans les petites villes et parmi les catégories populaires que les autres groupes, ces publics se montrent particulièrement attachés au patrimoine et aux identités locales.

Le troisième groupe rassemble des publics plus « libéraux » au sens où ceux-ci vont valoriser d’abord la liberté et l’autonomie, c’est-à-dire le fait de réaliser ses propres objectifs personnels ou professionnels plutôt que des ambitions collectives. Leur quête de sens est donc davantage tournée vers un accomplissement personnel qu’envers la société.

Enfin, le dernier groupe rassemble des publics « sceptiques » étant donné que leur quête de sens est moins forte, ou plus distanciée que les autres. Ainsi, ils accordent en moyenne beaucoup moins d’attributs ou de priorités à la notion de sens, et se montrent moins prompts à mettre en avant des valeurs personnelles ou collectives. Sans être nihilistes, leur scepticisme les pousse à se méfier des concepts et à leur préférer l’expérience client, plus concrète et plus vérifiable à leurs yeux.

François Miquet-Marty : La distinction entre le sens pour ses proches et le sens pour la société est essentielle, car elle structure l’ensemble des réponses. Pour autant elle est bien une distinction, et pas une opposition. Car ce qui prévaut de manière commune est souvent l’idée selon laquelle chacun, quel qu’il soit, peut influer sur le monde, jouer un rôle pour améliorer le monde. Et cette influence peut se déployer au service de ses proches, tout comme dans le cadre d’une organisation plus large, formelle ou informelle, au service de l’intérêt général.

Le BrandNewsBlog : Ce qui me semble très intéressant dans votre approche méthodologique et dans vos conclusions, c’est que vous avez justement voulu embrasser la question du sens de manière globale, pour en finir avec le « flou artistique » qui règne autour de cette notion. Ainsi, en questionnant les Français sur ce qui fait sens pour eux, vous soulignez l’importance des questions de perception… Où l’on s’aperçoit que le sens perçu et « attendu » par les différents publics peut s’avérer très éloigné du sens énoncé par certaines entreprises, qui se définissent parfois une mission sociétale élevée… mais pour ainsi dire « déconnectée » des besoins de leurs publics ou de la réalité… Pourquoi de tels écarts ?

Thierry Wellhoff : Chez Wellcom, nous nous intéressons depuis plus de quinze ans maintenant à ce qui donne plus de force, plus de profondeur et donc de pérennité à la communication. Nous avons ainsi été amenés notamment à mener des travaux en France et à l’international sur les valeurs de marques et les valeurs corporate. Nous y avons fait les mêmes constats sur les écarts entre les valeurs personnelles et les valeurs des entreprises.

Mais au fond, quoi de plus normal ? Ce qui fait sens pour moi ne peut pas être la même chose de ce qui fait sens pour une entreprise. Ce qu’il convient de rechercher n’est pas la similitude mais la convergence sur tel ou tel points entre une marque et ses publics qui eux-mêmes n’ont pas, selon leur famille d’intérêt, les mêmes préoccupations. Ce qu’il sera intéressant d’étudier, et c’est ce que nous avons commencé à faire pour nos clients, c’est l’adéquation entre le sens d’une marque et la sensibilité à ce sens pour ses publics.

François Miquet-Marty : Cet écart est essentiel et peut être très préjudiciable, Il peut concerner des entreprises qui ont défini « leur sens » de manière univoque, et l’on diffusé de manière descendante sans échanges, consultations, sollicitations des parties prenantes. Un sens pour être compris doit être partagé. Et cela impose un dialogue, sous quelque forme que ce soit, avec les parties prenantes de manière à coconstruire ce sens avec elles.

Le BrandNewsBlog : De plus en plus prosaïques ces dernières années, vous soulignez que les consommateurs plébiscitent « la qualité », « le savoir-faire » et « le respect » comme points forts essentiels donnant du sens aux entreprises… Les Français que vous avez interrogés estiment aussi qu’une marque qui a du sens est d’abord une marque qui assume ses responsabilités (vis-à-vis de ses clients, de ses salariés et de la société environnante), tout en se montrant proche de ses publics… Voilà une approche extrêmement concrète et tangible de la notion de sens : les entreprises et les marques doivent-elles pour autant en finir avec les promesses et discours visionnaires, pour se concentrer uniquement sur un discours « de preuves » et la démonstration de leur sens ?

Thierry Wellhoff : En aucun cas il convient de basculer d’un idéal potentiellement déconnecté à un pragmatisme qui risquerait fort d’être sans avenir. Mais cette étude remet les choses à leur place.

S’il convient pour une marque comme Michelin de faciliter la route plutôt que de simplement vendre des pneus ou au Club méditerranée de donner du bonheur plutôt que d’offrir de simples solutions de vacances, ce que veut d’abord le public c’est qu’une marque fasse le job ! Des pneus performants et de qualité comme des chambres où la douche fonctionne bien…

Cela nous a conduits, pour appréhender le sens, à différencier ce que nous appelons la mission première – qui avec l’identité de marque constitue la brique de signification – de la mission « sublimée » qui fait partie de ce que nous avons désigné par l’inspiration. Les deux sont complémentaires et privilégier l’une plutôt que l’autre condamne à être trop les pieds sur terre ou trop dans les nuages. En clair, il faut être pragmatique tout en visant la lune. L’étude démontre d’ailleurs que la proximité, qu’elle soit géographique ou relationnelle, est une brique essentielle du sens. Celui-ci ne prend corps que s’il se construit et s’entretient entre la marque et ce qu’elle va laisser dans l’esprit du public. C’est la troisième brique ou, si vous préférez, le troisième étage du sens. Et cela induit nécessairement de veiller à être très cohérent entre ce que l’on promet et ce que l’on fait, et à être très vigilant sur les preuves du sens. On pourrait détourner la fameuse citation sur l’amour : « il n’y a pas de sens, il n’y a que des preuves de sens ».

François Miquet-Marty : Pour compléter les explications données par Thierry, il me semble que cette aspiration en effet polymorphe au sens, à la fois sociétale et personnelle, repose sur deux registres communs très profonds : le premier est celui de l’ancrage : le sens est un « ancrage » dans une part d’authenticité, et donc de qualité du travail bien fait, de savoir-faire ; le second est celui de la vertu : le sens est accompli s’il gouverne des actions moralement appréciées par celui qui les mène. Et cela plaide également pour le fait de privilégier la qualité et le savoir-faire.

Ancrage et vertu sont deux repères cardinaux qui caractérisent le sens aux yeux de beaucoup. Cela ne signifie pas que les entreprises doivent répudier l’idée de mission, de « purpose », bien au contraire, cela signifie que le « sens » est différent de cette mission ou de ce purpose, et qu’il est nécessaire de rechercher un alignement permanent (une cohérence) entre respect d’un travail bien fait, fidèle aux valeurs de l’entreprise, les aspirations des salariés et clients, et les missions que l’entreprise s’assigne. C’est alors que peut s’affirmer un sens mobilisateur.

Le BrandNewsBlog : Parmi les 4 familles distinctes de consommateurs que vous venez d’évoquer, en fonction de leur rapport à la notion de sens (les publics « engagés » aux exigences collectives et sociétales élevées ; les « enracinés », plus attachés à la protection du patrimoine et de leurs identités locales ; les « libéraux » plus orientés sur des notions d’accomplissement individuel et enfin les « sceptiques », méfiants quant aux valeurs et au sens et davantage intéressés par l’expérience client), quelle est du coup la famille la plus importante et/ou la plus « influente » dans la population française ? Est-ce que cette typologie peut être amenée à évoluer avec le temps ? Et dans les différents publics des entreprises, j’imagine que cette proportion peut grandement varier et qu’il faut en tenir compte ?

Thierry Wellhoff : Bien que ces 4 familles soient à peu près équitablement réparties entre les Français, on peut néanmoins dégager leur ordre d’importance. La famille la plus représentée est celle des publics engagés (29%) soit 3 français sur 10, viennent ensuite les publics sceptiques et les publics libéraux (respectivement 26 et 25%) et enfin les publics enracinés qui représentent 20% des Français, soir un sur cinq. Bien évidemment, il sera intéressant de suivre les évolutions dans le temps de ces familles. Et il y a fort à parier que l’on assiste à une progression des publics engagés… Ce sont des points qu’il sera sans doute également utile de valider au sein même des entreprises et dans la communication de leur(s) marque(s).

François Miquet-Marty : Cette typologie que nous avons définie est essentielle parce qu’elle alerte à la fois sur les risques d’un discours qui serait trop simplificateur, homogène, mais également sur la nécessité de fédérer largement en agrégeant des publics aux aspirations et visions distinctes. Il faut avoir conscience de la réalité de cette diversité pour mieux construire, plus assurément et plus durablement, le sens de sa marque.

Ensuite, en effet, vous avez raison, chaque maque a un centre de gravité qui se rapproche de l’un de ces quatre groupes, plutôt que des autres. Tout le travail à faire sur la marque consiste alors à avoir conscience du point de départ qui est le sien, du groupe qu’elle parvient à mobiliser, tout en ayant conscience du profil des autres groupes, afin de pouvoir envisager des stratégies de conquête efficaces…

Le BrandNewsBlog : Comme vous le soulignez à juste titre, le « sens » n’est pas uniquement une notion figée, qui renvoie à la réalité objective d’un individu ou d’une organisation. Il comporte aussi une dimension subjective, symbolique et projective qui est celle du « sens » comme intention ou direction, voulue par la personne ou par l’entreprise… Ainsi, ce qui n’a pas forcément de sens aujourd’hui peut en avoir demain car le sens, « par sa profondeur conceptuelle et sa capacité à faire entrer en résonance l’émetteur et le récepteur d’un message donne le pouvoir d’agir et d’accomplir » dites-vous dans votre rapport d’étude. En résumé, le sens peut aussi se construire et déterminer l’avenir… Mais pour une organisation qui partirait de 0, par où faut-il commencer ? Et comment éviter les pièges, les chausse-trappes et autres « contre-sens » les plus courants ? 

Thierry Wellhoff : Je répondrais d’abord en tentant d’éclaircir le besoin de sens que nous ressentons tous. A quoi est-il dû ? Pourquoi ce besoin de sens est-il si présent tant dans nos vies individuelles que dans notre vie sociale et professionnelle ?

Yuval Noah Harari dans son livre Homo Deus qui a rencontré un très grand succès en France comme à l’international, apporte une réponse intéressante. Les progrès scientifiques et techniques conduits par notre légitime volonté de pouvoir (nous nourrir, vivre plus vieux, nous mouvoir et même aller sur d’autres planètes), nous ont dans le même élan, fait comprendre que les grands maux (la famine, les épidémies…) qui autrefois n’étaient explicables que par l’intervention divine, avaient en fait des explications très rationnelles. Ces nouveaux pouvoirs, issus d’une meilleure compréhension du monde, nous ont néanmoins, par la même occasion, progressivement éloignés de la plupart de nos croyances et par là même, de la raison profonde de nos actions. En un mot, de ce qui leur donnait un sens. Il nous appartient donc d’en trouver un. Les marques qui sont devenues les icônes modernes se doivent nécessairement pour conserver leur statut, de se construire un sens. Comme disait Lewis Caroll par l’entremise d’Alice : « Si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? ».

Il s’agit donc de créer ou construire le sens. Par où commencer ? En s’interrogeant et sur les trois dimensions du sens signification, inspiration et activation, elles-mêmes subdivisées en cinq étapes. Wellcom a construit un « auto diagnostic du sens » qui est en fait, très modestement, un simple test permet de se poser les bonnes questions et de s’auto-évaluer avant d’aller éventuellement plus loin. Il est accessible ici.

François Miquet-Marty : En effet le sens est une construction, et une construction permanente. Ici réside peut-être le piège principal : considérer que « le travail est fait », que l’entreprise et sa marque ont bien défini le sens qu’elles proclament et que leur est attribué, et qu’elles peuvent se consacrer à un autre enjeu. En réalité, et d’autant plus en raison de la fluidité actuelles des marchés et des sociétés, le sens est une notion à adapter en permanence, et dont il faut en permanence vérifier les fondements. Dans une société où le sens n’est plus acquis, celui des entreprises et de marques l’est encore moins. C’est exigeant, mais c’est exaltant et très prometteur.

Le BrandNewsBlog : A l’intention des dirigeants d’entreprises et des responsables des marques, vous listez 3 dimensions complémentaires qu’il faut impérativement mobiliser de concert pour produire durablement du sens au sein d’un collectif : tout d’abord 1) la « signification » ou le sens explicite véhiculé par l’individu ou la marque (qui reflète son identité de manière objective ) ; 2) « l’inspiration », qui correspond au sens implicite ou « sublimé » : c’est la direction à prendre en quelque sorte ; et enfin 3) « l’activation » ou le sens partagé au sein du collectif : car c’est seulement, dites-vous, en recueillant l’adhésion du public et en racontant une histoire commune et co-construite que le sens peut réellement prendre forme… La mise en oeuvre coordonnée de ces trois dimensions ne relève-t’elle pas néanmoins de la gageure ? Et au travers de cette approche certes holistique mais complexe, ne craignez-vous pas de décourager les décideurs les plus motivés à produire du sens ?

Thierry Wellhoff : Les 3 dimensions que nous avons identifiées se développent effectivement en cinq différentes dimensions mais il convient de souligner que la plupart d’entre elles préexistent dans l’entreprise et/ou dans l’esprit de l’entrepreneur. Il s’agit de les identifier ou parfois de les créer et surtout de leur donner une consistance et une cohérence. Cela peut paraître ardu et cela l’est parfois, mais ce peut être extrêmement positif, au-delà de la communication, pour la pérennité de la marque.

Dans la première dimension que nous avons appelé la signification, il y a d’abord l’ancrage c’est-à-dire l’histoire et l’identité et la mission première, ce pourquoi basiquement on existe et les responsabilités qui lui sont attachées, ensuite, dans la dimension d’inspiration, la mission sublimée qui exprime cette mission sous la forme de ce que l’on pourrait appeler une « élévation » à la fois plus générale, plus profonde et plus généreuse et la responsabilité sociétale qui inclue bien évidemment les responsabilités sociales et environnementales. Enfin, la dimension d’activation concerne la communication dont surtout la relation que la marque entretient avec ses différents publics comme bien-sûr ses collaborateurs, ses clients, ses actionnaires, ses différentes parties prenantes et la société dans son ensemble. Car le sens se construit dans l’imaginaire des publics au milieu desquels évolue la marque. On peut presque parler de co-construction.

François Miquet-Marty : Cette analyse n’est pas complexe mais permet au contraire d’avoir une lecture simple d’une réalité souvent considérée comme confuse ou incertaine. En mettant des mots sur la pluralité des distinctions du sens, cette tripartition permet de mieux comprendre pour mieux agir. Souvent, une partie de ces acceptions du sens sont déjà réalisées. Il faut en avoir conscience pour être à même d’emmener sa marque plus loin sur la voie du sens, et donc de fédérer plus largement les publics.

Le BrandNewsBlog : Vous résumez votre propos et vos recommandations en une formule admirable, en indiquant que « le sens pour une marque, c’est au delà se son sens inhérent (signification), une histoire, une narration vers un sens symbolique ou sublimé connecté aux attentes sociétales (inspiration) qui sera activé (activation) dans sa communication et sa relation avec ses différents publics. » Pouvez-vous nous expliquer cette formule magique du sens durable et partagé ? Et quelles sont à votre avis les entreprises et les marques qui ont le mieux réussi dans cet exercice ? Quelles sont en résumé les champions mondiaux du sens et pourquoi ? Leur recette est-elle reproductible, même au sein d’entreprises beaucoup moins « désirables », aux activités controversées (armement…) ?

Thierry Wellhoff : L’Observatoire du sens remet les choses en perspective. On ne peut pas limiter le sens à ce qui est juste, bon et beau à une période donnée mais à un ensemble de dimensions que nous avons tenté de résumer dans la formule que vous citez. L’étude qui a été menée va bien au-delà de ce qui a été publié et d’autres questions ont été abordées pour cerner les attitudes des Français sur la question du sens. Cela a permis de mettre en exergue la valorisation importante de notions comme la responsabilité dans la mission première et la proximité. Cela explique les très bons résultats des marques de distribution qui peuvent paraître étonnantes au premier abord mais qui révèlent l’importance de ces items.

Le BrandNewsBlog : Au final, pourquoi ce besoin permanent et de plus en plus irrépressible de sens dans notre monde contemporain, dans les sphères privées comme professionnelles ? Le sens serait-il pour nos concitoyens le dernier rempart contre l’angoisse et les peurs réveillées par un environnement de plus en plus incertain ? Et demain, la proportion d’individus exigeant que la marque ait du sens / fasse sens peut-elle encore progresser, et cette attente devenir une norme sociétale quasi- incontournable ?

Thierry Wellhoff : Nous l’avons évoqué un peu plus haut. Les hommes des sociétés, occidentales en tout cas, en ayant trouvé des explications à la plupart des grands maux et en ayant réussi à les combattre et les réduire n’ont plus la nécessité d’une explication divine. Restent les questions fondamentales qui nous concernent tous. D’abord intimement : pourquoi suis-je là ? A quoi sert ma vie ? Quel est le sens de ma vie ? Puis socialement et professionnellement : pourquoi ai-je choisi ce travail ? Cette entreprise ? Qu’est-ce qui fait sens pour moi ? Et en conséquence pourquoi acheter telle ou telle marque ? La vie qui n’a pas de sens est un non-sens, il en va de même pour les entreprises et leurs marques.

L’Observatoire du sens étudiera régulièrement les évolutions des perceptions, des attitudes et des comportements qu’elles induisent dans ce domaine. On peut sans doute parier que la demande de sens va progresser rapidement.

François Miquet-Marty : Le besoin actuel de sens, qui peut nourrir les marques, est fondamental, et pas uniquement parce qu’il répond au besoin historique évoqué plus haut.

Foncièrement, ce qui compte est autant l’idée de pouvoir générer du sens, que l’absence de sens. Autrement dit, nous vivons une époque de mutations profondes, où désormais beaucoup se disent qu’ils peuvent contribuer à forger le monde de demain, et investissent également les entreprises de cette mission. Donc cela autorise un réinvestissement perpétuel du sens, qui constitue aussi un chemin d’amélioration de sa vie.

Ensuite, il existe une résonance frappante entre le sens, qui est une quête d’ancrage et de vertu, telle que nous l’avons indiquée plus haut, et les marques, qui sont précisément elles-mêmes une volonté d’ancrage et de vertu. La similitude est frappante, et dessine un avenir solide pour un rapprochement entre les sens et les marques : les marques seront peut-être, demain, l’instance la plus à même pour générer du sens dans un monde en proie aux fluidités, aux infidélités, aux incertitudes.

 

 

Notes et légendes

(1) La comédie (in)humaine, par Nicolas Bouzou et Julia de Funès – Editions de l’Observatoire, septembre 2018

(2) Pour accéder aux résultats détaillés du premier Observatoire Wellcom du sens, en voici le rapport de synthèse.

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, Agence Wellcom, The BrandNewsBlog 2018, X, DR

 

 

 

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