Les idées reçues sur la communication… enfin débunkées !

C’est un petit livre fort utile, dont je ne peux que recommander la lecture à toutes celles et ceux qui s’intéressent à la communication, et plus particulièrement à celles et ceux qui s’en font souvent les détracteurs…

Depuis toujours, la communication et les communicants ont fait l’objet de nombreuses critiques et de soupçons. On les accuse encore régulièrement, dans les médias et dans l’arène politique notamment, de superficialité et/ou de chercher à manipuler l’opinion, quand l’intégrité et l’expertise des professionnels de la com’ ne sont pas carrément moquées et remises en question, offrant ainsi à la vindicte populaire un bouc émissaire facile.

Dans les entreprises et les organisations, malgré tous les efforts des communicants et des associations qui les représentent, les stéréotypes et idées reçues continent hélas de circuler bon train, comme l’avait déjà pointé le communicant Thierry Wellhoff dans son ouvrage ‘Le procès de la communication’ ¹.

C’est à ce serpent de mer que Frédéric Fougerat* a voulu à son tour s’attaquer, en publiant récemment C’est de la com ! 60 idées reçues’ ², dont l’ambition est à la fois de recenser les stéréotypes et clichés les plus répandus sur nos métiers… et de leur tordre le cou une bonne fois pour toute.

Dans son ouvrage, percutant et synthétique, il passe ainsi en revue la plupart de ces stéréotypes, par grande thématique, depuis « la communication c’est facile », « tout le monde peut en faire » jusqu’aux clichés touchant l’intelligence artificielle, en passant par « La communication, ça ne génère pas de business », tout en y répondant avec intelligence et humour.

Dans l’interview de ce jour, que Frédéric a bien voulu m’accorder, nous revenons donc sur ces grandes idées reçues de la com’, leurs origines et les meilleures réponses à y apporter. En résumé, on sulfate et on « débunke » joyeusement, non sans inviter les professionnels à cette prise de conscience : c’est à eux-mêmes qu’il revient en premier lieu de faire la pédagogie de leur métier, dans leurs organisations et auprès de leurs proches, et de se transformer en ambassadeurs-militants, pour en finir définitivement avec les stéréotypes !

Le BrandNewsBlog : Bonjour Frédéric, après vos précédents ouvrages « Un dircom n’est pas un démocrate », « La Com est métier », « Le Dico de la Com » et « Anthologie de la Com »³ notamment, vous vous attaquez cette fois aux (nombreuses) idées reçues sur la communication. Pourquoi ce sujet vous tenait-il à cœur ?

Frédéric Fougerat : C’est un coup de gueule qui est à l’origine de ce neuvième livre. Je pensais avoir dit tout ce que je pouvais vouloir dire pour valoriser, promouvoir, défendre la communication. Et je n’imaginais plus entreprendre un nouvel ouvrage. Mais un jour, devant un JT, en entendant un journaliste anéantir sans le moindre argument, un projet par un « C’EST DE LA COM ! », je me suis dit, d’une part c’est très paresseux, car il n’y avait aucun argument derrière le propos, mais uniquement une formule qui discréditait par principe une idée ou une proposition. D’autre part, qu’avec cette formule facile et paresseuse, c’était à chaque fois l’ensemble des métiers de la communication qui était disqualifié. Comme si, ceux qui savent nous trouver quand ils en ont besoin, pouvaient se permettre de nous mépriser le temps d’un effet médiatique. J’ai alors décidé de lister les pires clichés qui existaient sur la communication.

Le BrandNewsBlog : Vous avez identifié dans ce livre pas moins de 60 clichés et idées reçues sur la communication… Et je pense que vous auriez pu aller jusqu’à 80 ou 100 sans difficulté, tant nous sommes habitués à voir la communication décriée, à tout le moins incomprise. Pourquoi les métiers de la communication et l’expertise des communicants sont-ils si souvent mis en cause, bien plus souvent que l’expertise des financiers, juristes et autres DRH dont personne ne conteste le savoir-faire ?

Frédéric Fougerat : Au départ, la couverture du livre annonçait 50 idées reçues. Mais j’ai vite été dépassé. Nous nous sommes arrêtés avec mon éditeur Bréal Studyrama, pour valider la couverture du livre, à 60. Mais au final, il y en a dix de plus en bonus, auxquelles il faut rajouter 13 sous-entendus. En réalité, c’est sans fin…

Maintenant, pourquoi la communication est-elle victime de cette situation que ne rencontrent pas, ou plus rarement, les autres fonctions dans l’entreprise ? Peut-être parce que c’est une des plus récentes et des moins connues. Cela peut aller ensemble. Certainement aussi parce que la communication est très éloignée des formations et des préoccupations premières des dirigeants, sans oublier que nos métiers évoluent en permanence et à grande vitesse. Donc il faut suivre. Enfin, beaucoup ne voient la Com que par le prisme de l’outil, ce qui se voit à la fin. Et ils en oublient tout le travail de réflexion, de stratégie, de construction, d’illustration, de production, de promotion… tout en confondant, aussi, avoir un avis et avoir des compétences. Comme si ces dernières tombaient du ciel quand on les convoque.

Le BrandNewsBlog : Vous avez confié les préfaces de votre ouvrage à trois experts de la communication publique et politique (Prisca Thévenot, Gaspard Gantzer et Franck Louvrier), qui chacun propose son explication au désamour du grand public pour les communicants. Si tant est qu’on puisse comparer leur métier (la communication politique) aux autres disciplines de la communication, diriez-vous comme Franck Louvrier que « la reconnaissance de notre profession doit passer par la démonstration permanente de son utilité » ? Et comment transformer cette injonction en opportunité ?

Frédéric Fougerat : C’était une dinguerie d’avoir trois signatures majeures de la communication politique et publique pour trois préfaces. Une première pour mon éditeur.

Il y a à ce sujet la vérité et la post-rationalisation. La vérité, c’est que j’ai imprudemment sollicité en même temps les trois, en espérant qu’un d’eux accepterait de signer la préface. Mais les trois ont répondu immédiatement oui… La post-rationalisation, c’est que cela permet de rester neutre, grâce à trois nuances de positionnement politique, qui ne marquent pas l’ouvrage d’une tendance. Ce livre, comme les précédents est évidemment professionnel et n’a pas d’orientation politicienne. Ce n’est en rien l’objet. Cela permet aussi de montrer que loin de se limiter à la communication politique ou publique, c’est l’image première que peut avoir le public de nos métiers. Ce qui est évidemment très réducteur.

Quant à l’injonction de Franck Louvrier « La reconnaissance de notre métier doit passer par la démonstration permanente de son utilité », c’est hélas une triste réalité pour beaucoup de communicants. Devoir justifier de nos compétences après avoir été recrutés. Normalement c’est l’inverse !

Le BrandNewsBlog : Sans « spoiler » les 60 idées reçues que vous traitez dans votre ouvrage, je vous propose d’aborder celles qui reviennent le plus souvent dans la bouche des détracteurs de la communication. Il y a d’abord cette idée que la com’ serait « facile », que tout le monde ou presque peut en faire ou donner son avis… En somme que ce ne serait pas un véritable métier. Je sais qu’on touche là à un de vos mantras : la Com est (évidemment) un véritable métier… Que conseillez-vous aux communicants de répondre sur ce point ?

Frédéric Fougerat : Malheureusement, je n’ai pas trouvé la formule magique qui permettrait de mettre fin à tout jamais à cette situation…

J’invite donc les communicants à faire preuve le plus possible d’autorité professionnelle dans leur travail et dans leur posture. Je ne parle pas d’autoritarisme, mais bien d’autorité. Je leur conseille aussi de veiller à ne pas se piéger eux-mêmes. Celui ou celle qui passerait son temps à demander l’avis à tout le monde sur son travail, ne doit pas s’étonner ensuite qu’on lui donne.

Qu’est-ce qui dépend de votre autorité ? Qu’est-ce qui dépend de l’autorité de votre hiérarchie ? Il faut veiller à respecter soi-même sa position avant de demander aux autres de le faire. Je ne dis pas que c’est facile. Mais je suis certain que c’est le seul moyen de tenir sa place. Et bien veiller à toujours positionner la Com comme une fonction stratégique qui produit de l’intelligence, et non comme un service support qui fabrique des outils.

Enfin, l’idéal pour une équipe Com, et le meilleur service que puisse rendre un dirigeant à son équipe Com, c’est évidemment de la respecter et de la faire respecter par les autres fonctions de l’entreprise, comme ne pas laisser la Com être un sujet défouloir en fin de comité de direction.

Le BrandNewsBlog : Deuxième famille de clichés, souvent associée à la première : la com’ serait un métier « gadget, plutôt fun et amusant et qui ne réclame pas forcément beaucoup de travail ». Un métier où l’on passe son temps à déguster « champagne et petits fours », entre deux brainstormings créatifs… En quoi cette vision éculée de la com’ est-elle particulièrement pernicieuse et réductrice ? Et là encore, que répondre aux détracteurs de la com’ ?  

Frédéric Fougerat : Un des moyens de lutter contre cette vision de la Com gadget, est de savoir faire la Com de la Com. Trop souvent, nous oublions de faire notre propre promo, en consacrant toute notre énergie à nos missions. C’est une erreur.

J’ai toujours dit à mes équipes qu’il fallait savoir équilibrer entre le travail de plomberie (essentiel, technique, mais qui ne se voit pas) et le travail visible (pas toujours essentiel, mais marquant). Dans le cas contraire, on donne le sentiment de ne pas bosser.

Par ailleurs, il faut aussi utiliser et partager les indicateurs, de plus en plus nombreux à notre disposition, qui permettent de valoriser notre travail : le ton positif des retombées presse, plus important que le nombre d’articles, l’évolution du taux de notoriété de la marque, plus important que de savoir si on aime ou pas une couleur plutôt qu’une autre, l’engagement sur les réseaux sociaux, plus important que le seul nombre d’abonnés… La liste est interminable. Plus c’est technique, moins c’est appréciable (dans le sens critiquable). Plus nous pouvons valoriser notre expertise, plus elle sera reconnue.

Le BrandNewsBlog : Troisième grande idée reçue : quand on fait de la com’, il faudrait nécessairement faire « joli ». Et toute production de communication, qu’on parle d’un visuel, d’une campagne ou d’une affiche, devrait impérativement être esthétique, voire « classe » ou « sexy »… En quoi ce type d’injonctions et de qualificatifs est-il à la fois déplacé et « hors-sujet » pour les communicant.e.s ? Et comment le faire comprendre (intelligemment) à des clients internes de son organisation ?

Frédéric Fougerat : La réponse est simple. Encore faut-il parvenir à la faire comprendre. On ne communique pas pour faire plaisir ni pour se faire plaisir. Et les notions de joli, sexy, fun, ou autres sont totalement subjectives. On communique pour répondre à une intention et servir un objectif, dans le cadre d’une stratégie.

Donc face à un « j’aime pas », on peut par exemple engager un dialogue pour demander en quoi le travail jugé ne répond-il pas à l’intention initiale (qu’il faut rappeler) ? En quoi ne sert-il pas l’objectif et la stratégie ? C’est un des moyens de réaliser que la réaction est affective et personnelle, et qu’elle n’a pas lieu d’être pour une réalisation professionnelle, qui n’est pas faite pour nous toucher, mais pour toucher la cible à laquelle elle est destinée.

Le BrandNewsBlog : Quatrième type de cliché répandu, vous évoquez cette idée reçue selon laquelle la communication se résumerait à la production à flux tendus d’outils de communication et de contenus (le « petit » communiqué de presse, la « petite » brochure, le « petit » post Linkedin…). En quoi cette instrumentalisation et ces terminologies péjoratives, si ancrées dans nos quotidiens, sont-elles révélatrices et très réductrices du rôle des communicants ?

Frédéric Fougerat : Ici encore, il y a plusieurs façons d’imaginer ce qu’il y a derrière cette sémantique. Le qualificatif « petit » peut autant signifier une incompréhension de la réalité du travail demandé pour produire un petit logo, une petite affiche, une petite vidéo… que trahir l’idée que notre travail n’aurait pas de valeur et qu’il ne demande pas grand effort.

Certains communicants affichent dans leurs bureaux des punchlines du type : « Il n’y a rien de petit en communication ». Cette forme d’avertissement a ses vertus.

À cela, il est bon de rappeler à nos interlocuteurs internes dans une organisation, que la Com n’est pas un guichet libre-service où chacun vient commander et retirer ses outils ou supports de Com. Le rôle de la communication est de s’approprier un sujet, un besoin, pour réfléchir à comment (éventuellement) le traduire en action de communication.

Il appartient in-fine à la Com de déterminer les meilleurs canaux de communication, en fonction de nombreux de critères. Certainement pas en fonction d’un « J’ai besoin d’un petit visuel », «  d’un petit communiqué de presse », « d’une petite vidéo »…

Le BrandNewsBlog : Cinquième lieu commun, qui recoupe également plusieurs clichés et idées reçues que vous évoquez dans votre ouvrage, la notion de « talent inné » (oratoire ou écrit) qui serait suffisant pour bien communiquer, sans qu’il y ait besoin de travailler. Vous évoquez notamment, en communication de crise, ces dirigeants qui pensent que l’essentiel est de bien parler, d’être charismatique, voire « de savoir improviser »… En quoi ce type de préjugés est-il si nocif et contre-productif ?

Frédéric Fougerat : Le dirigeant qui aime prendre la parole en public, ou qui simplement est à l’aise dans l’exercice, peut représenter un danger, voire être l’ennemi de sa propre communication de crise.

La capacité de s’exprimer, n’est pas nécessairement une capacité de communiquer. En communication, notamment de crise, il faut construire une stratégie, construire un discours où chaque mot peut avoir son importance. Il faut contrôler sa parole et ne laisser place à aucune spontanéité.

Le porte-parole en situation de crise, dirigeant, expert, communicant peut donner le sentiment de parler avec son cœur, notamment pour faire preuve d’empathie face à des victimes. En réalité, il parle avant tout avec son cerveau. L’émotion pourra prendre une grande place dans un discours… mais savoir gérer ses émotions est une compétence clé en Com de crise, qui doit rester une communication maîtrisée, au grand risque de venir alimenter la crise.

Le BrandNewsBlog : Sixième famille de clichés répandus, vous luttez contre cette idée que les communications dites d’expertise (la communication financière par exemple, ou bien la communication de recrutement et la fameuse « marque employeur », la communication RH et interne…) devraient être rattachées aux directions support correspondantes : la direction financière pour la com’, la DRH pour la com’ interne, de recrutement ou la marque employeur… En quoi est-ce pour vous une erreur ? Vous soulignez notamment, au sujet de la marque employeur, qu’il n’existe en réalité qu’une seule marque, celle de l’entreprise…

Frédéric Fougerat : Effectivement, la cohérence est une des forces de la communication. La communication doit donc être portée par une vision et une seule. Si les fonctions communication sont éclatées entre différents services, c’est mort pour la cohérence. J’ai même vu des communications se contredire ou se cannibaliser, faute de coordination et surtout de vision unique.

Quant aux velléités de certains à vouloir piloter une partie de la communication, souvent pour avoir leur communication, c’est avant tout une faute de gouvernance et de management. On ne laissera pas chaque service mener sa stratégie financière ou RH en autonomie. Pourquoi faire une exception avec la communication ? Sauf à croire que tout le monde peut faire de la Com ! Parce que les compétences tomberaient du ciel ? Non. C’est FAUX !

Le BrandNewsBlog : Septième type de clichés répandu, là encore assez transversal aux différentes disciplines de la communication, vous évoquez le fait qu’une tactique jusqu’au boutiste de « bruit » / de buzz (en communication politique notamment), ou bien de surproduction de contenus et de saturation des canaux (la multiplication des communiqués de presse par exemple) ne peut tenir lieu de stratégie soutenable et durable. Pourquoi cela ? C’est un enseignement que les dirigeants politiques et d’entreprise ont souvent du mal à entendre me semble-t-il ?

Frédéric Fougerat : Avec cette question, on entre dans certaines nuances qui existent entre communication politique ou publique, avec le reste du monde de la communication. Je schématise, mais cela y ressemble.

Le temps n’est pas le même en communication politique et en communication publique par rapport au reste de la Com. En communication politique, le temps est celui de l’immédiateté médiatique et des réseaux sociaux. Celui de la communication publique est souvent le temps du mandat et des élections. Cela pousse à être dans l’effet d’annonce plus que dans l’annonce des faits. Ce qu’un ministre met en place, c’est un de ses successeurs qui l’inaugurera. Donc la tentation est grande de chercher le bénéfice immédiat en matière de communication. Les fonctions politiques et publiques existent aussi de plus en plus par la lumière et le bruit médiatique. Il faut exister coûte que coûte. Le reste de la communication, dans son immense diversité utilise quand même d’autres leviers, même si personne n’est à l’abris de certains excès.

Le BrandNewsBlog : Huitième type de cliché, la confusion commune entre impératif de transparence et intérêt de l’entreprise. Vous soulignez notamment le fait qu’en communication de crise, il peut être légitime et justifié de se taire… ou bien de ne pas être systématiquement transparent. De même, vous conseillez aux dirigeants de préférer le silence au bruit et à la communication s’ils n’ont rien à dire. Pourriez-vous expliquer en quoi cela est important, et la différence entre impératif de transparence et communication dans l’intérêt de l’entreprise ?

Frédéric Fougerat : Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui, plus que jamais, en communication, et notamment en communication de crise, il ne faut jamais mentir. Mais, on n’est pas obligé non plus de tout dire. Il ne s’agit pas ici de jouer sur les mots, mais de rappeler que notre rôle est de choisir ce qu’on souhaite mettre en lumière, et que rien nous oblige de tout mettre en avant.

Quant à la stratégie (possible) du silence. Elle est rarement recommandée. Il n’est pas pour autant raisonnable de l’écarter par principe. Toute situation est singulière. Toute communication de crise doit s’étudier au cas par cas, en fonction d’un contexte, de parties prenantes, du bruit médiatique existant ou possible… Donc se dire qu’il est impératif de communiquer, au risque d’alimenter la crise, serait une erreur. Évidemment, l’option de se taire doit être une stratégie et non une démission, une décision qui comme toute stratégie peut évoluer pour accompagner la crise dans ses propres évolutions.

Le BrandNewsBlog : On le voit au travers de votre ouvrage Frédéric, et vous n’êtes pas le seul communicant à nous prévenir à ce sujet, en communication, il convient de se défier de la politique des « coups ». Et le fameux « coup de com’ » dites-vous, ne devrait jamais tenir lieu de stratégie à une organisation… Pour autant, un communicant ou un dirigeant doivent-ils systématiquement s’interdire de réaliser un « coup de com‘ », s’il en a l’opportunité ? Et comme le bon et le mauvais chasseur, faut-il considérer qu’il y a des bons coups et d’autres moins ?

Frédéric Fougerat : Pour être précis, je ne condamne certainement pas les coups de Com. Il y en a même d’excellents. Et c’est délicieux quand c’est le cas. Le talent du communicant est aussi, ou notamment, de savoir saisir ou rebondir sur des opportunités qui peuvent amener à des coups. Encore faut-il le faire… avec talent ! Il y a trop de coups de Com médiocres qui disparaissent à la même vitesse que l’effet produit. C’est ce que j’appelle la Com faciale facile. On croit avoir fait un bon coup, alors qu’on a fait de la merde…

Je pense surtout que le coup de Com ne peut être qu’un épiphénomène. Le DirCom doit privilégier une communication puissante, responsable, et à impact durable. Pour moi, l’IMPACT est le nouveau POURQUOI du communicant. C’est bien à l’impact créé qu’il faut apprécier la qualité du travail du communicant, et non à des coups éphémères.

Le BrandNewsBlog : Au travers des nombreuses idées reçues que vous traitez dans l’ouvrage, on s’aperçoit que la communication et les communicants sont souvent ravalés au rang de boucs émissaires par les médias et par les politiques. Pour beaucoup, et vous n’évoquez pas cette autre idée reçue dans votre ouvrage, cela est souvent lié au fait que la communication est perçue comme systématiquement mensongère et/ou manipulatoire. Que répondez-vous à cette critique Frédéric ? Cette accusation de manipulation, n’est-elle pas en partie liées à la confusion entre communication politique (souvent polémique) et communication d’entreprise ?

Frédéric Fougerat : Vous noterez que lorsque la communication d’un homme ou d’une femme politique est excellente, la personne affirmera ne pas avoir de communicants à ses côtés. Qui peut y croire ? À l’inverse, après un mauvais débat, un couac, un mauvais discours… c’est toujours un communicant qui sera pointé du doigt. L’animal politique fuyant ses responsabilités. Ses erreurs sont celles de collaborateurs ou collaboratrices évidemment médiocres.

C’est aussi ce qui participe à nuire à l’image de la communication en général. Puisqu’on en parle essentiellement quand elle est mauvaise, et généralement liée au monde politique, donc supposée douteuse voire malhonnête. Que du négatif. Ici les politiques, comme les journalistes, que les raccourcis ne gênent pas, ont leur part de responsabilité. Ils participent à sacrifier toute une profession, par une pensée qu’ils résument en une formule : C’est de la Com !

Le BrandNewsBlog : Tout nouveau préjugé sur la communication, dont nous n’avons pas encore parlé Frédéric, il y aurait cette idée que l’expertise des communicant.e.s va prochainement être remplacée par l’IA, et que les métiers de la com’ pourraient bien disparaître complètement. Vous n’en croyez rien. Pourquoi ? Et si tant est qu’il y ait des expertises qui demeureront purement humaines, lesquelles seront-elles ?

Frédéric Fougerat : Je pense qu’il ne faut ni avoir peur de l’IA, ni se méprendre sur les bouleversements qui existent et qui vont se poursuivre. L’IA va évidemment, et c’est déjà le cas, transformer, bousculer, réformer nos métiers. Et aussi nous obliger, d’une certaine façon, à réinventer notre profession.

Mais n’était-ce pas déjà le cas, depuis 40 ans, avec l’arrivée de la PAO, de l’informatique, de la téléphonie mobile puis des smartphones, de l’information continue, d’internet, des réseaux sociaux…

Oui, et peut-être plus que d’autres nous devons et devrons nous adapter. Oui des métiers vont être fragilisés. Mais d’autres vont se renforcer ou apparaître. Oui, les valeurs vont changer quand une expertise va sembler être remplaçable par une application. Je reste néanmoins certain, que l’IA aura toujours besoin d’intelligence réelle pour performer. Celui ou celle qui saura être accompagné par l’IA dans ses missions, sera plus performant, plus complet, plus puissant, à la condition de disposer d’une très forte culture générale, parfois d’une véritable expertise, pour tirer le meilleur de l’IA. Ce qui n’empêchera jamais un novice de pouvoir, parfois, faire parfaitement illusion. Mais n’était-ce pas déjà le cas avant l’IA ?

Le BrandNewsBlog : En guise de conclusion de l’ouvrage, Frédéric, vous réaffirmez avec chaleur que la communication est un (vrai) métier, qui exige des compétences, du talent et de l’expérience et redites que la plupart des professionnels pratique son métier avec « responsabilité, éthique et élégance, avec intelligence, créativité et singularité ». Pour autant, vous exhortez vraiment les communicant.e.s à se faire davantage pédagogues de leurs métiers, et à faire la communication de la communication. En quoi cela est-il si important ?

Frédéric Fougerat : Oui, la communication est victime de beaucoup de clichés qu’il faut combattre. Mais nous ne pouvons pas trouver notre confort dans la plainte et la soumission. Il nous appartient donc d’être des militants de notre profession. Quand on a la chance de faire un métier passion, qui ouvre tant d’opportunités, qui mêle autant de compétences, qui offre de telles variétés de parcours, d’évolutions, de rencontres… il est aussi de notre responsabilité d’expliquer, valoriser, promouvoir ce métier.

Je ne dis pas qu’une direction de la communication doit se transformer en service de formation continue pour les autres directions de l’entreprise. Ce n’est pas sa mission, et elle ne remplirait plus sa mission.

Je souhaite uniquement recommander à chacun et chacune de pouvoir trouver son équilibre entre savoir dire non quand c’est nécessaire, ce qui donne aussi plus de valeur au oui, expliquer ses positions sans tomber dans la justification, être toujours plus exigeant avec soi-même, avec la langue, avec le sens… faire preuve de l’autorité nécessaire pour être respecté professionnellement, tout en restant à l’écoute et en observation du monde qui nous entoure et que nous servons. Avec un objectif principal : bien rappeler ou faire comprendre à nos équipes en premier, et à nos parties prenantes, que la communication est une fonction stratégique qui produit de l’intelligence, et non un service support qui fabrique des outils. Ce qui permettra, peut-être, de mieux comprendre, que « la nana de la Com » et « le mec des réseaux sociaux », ont un nom, des compétences et responsabilités professionnelles, et qu’ils méritent le même respect que les autres collaborateurs et collaboratrices de l’entreprise.

 

Légendes et commentaires :

* Frédéric Fougerat : Président de Tenkan Paris, agence conseil en communication de crise, image et réputation de personnalités sensibles, il accompagne depuis près de 40 ans des dirigeants d’exécutifs publics et privés et a notamment dirigé des campagnes électorales et la communication de collectivités publiques en France durant 15 ans et la communication de grands groupes internationaux pendant plus de 20 ans (SBF 120, LBO…). Membre des Boards de l’agence Cogiteurs, et du nouveau réseau social professionnel Hello Masters, il siège par ailleurs aux comités de mission de l’agence Sport Market et du groupe Dentsu, et à la commission communication de La ligue contre le cancer.
Auteur de 9 ouvrages sur la communication et le management, lu dans plus de 25 pays, Frédéric a été classé classé en 2021, n°1 du top 100 des décideurs de la communication les plus influents en France par le magazine Forbes.

(1) Découvrez ici mon article sur le livre de Thierry Wellhoff, Le procès de la communication

(2) « C’est de la com ! 60 idées reçues » par Frédéric Fougerat – Editions Bréal by Studyrama, 2025

(3) « Un dircom n’est pas un démocrate » aux Editions Bréal, 2020

« La Com est métier » aux Editions Bréal, 2021

« Le Dico de la Com » aux Editions Studyrama, 2021

« Anthologie de la Com » aux Editions Bréal by Studyrama, 2024

 

La communication interne, un métier stratégique en pleine extension de ses champs d’intervention et de compétence

Je n’aurais pu rêver meilleure manière de reprendre le fil de ce blog, dédié aux marques, au branding et à la communication, qu’en remettant aujourd’hui à l’honneur une discipline qui m’est chère et dont j’ai régulièrement parlé ici : la communication interne.

Il y a quelques mois, l’association de référence des professionnels du secteur, l’Afci*, publiait une importante mise à jour de son référentiel métier, le référentiel de compétences des communicant.e.s internes**

L’aboutissement d’un important travail collaboratif et l’occasion de revenir, dans le détail, sur les principales missions, activités et savoir-faire déployés aujourd’hui par les communicant.e.s d’entreprise, mais aussi sur les connaissances et savoir-être requis pour exercer au mieux leurs missions.

Pour en parler et dessiner « en creux » les grandes évolutions du métier de communicant.e interne ainsi que les nouveaux enjeux auxquels sont confrontés les professionnels, j’ai eu la chance de pouvoir échanger avec trois membres éminents de l’Afci : Fabienne Ravassard1, Conseil en communication et dynamiques d’entreprise (Baïrlaa) ; Jean-Marie Charpentier2, Consultant en communication et auteur de référence dans le domaine de la communication interne et Guillaume Aper3, expert en communication et ex Directeur communication adjoint de JCDecaux .

Avec ces trois experts, nous revenons notamment aujourd’hui sur la méthodologie très collaborative qui a présidé à l’élaboration de ce référentiel métier ; sur ses ambitions et objectifs ; sur ce qui constitue en quelque sorte la « moelle épinière » du métier de communicant.e interne et sur les raisons du déficit de légitimité encore éprouvé aujourd’hui par de trop nombreux professionnels…

En attendant la publication de la deuxième partie de cette interview mardi prochain, qu’il me soit permis de remercier encore nos 3 intervenants du jour, pour la qualité de leurs réponses et de leurs éclairage, et de vous souhaiter à tous une très bonne connexion ou reconnexion avec le BrandNewsBlog.

Le BrandNewsBlog : Bonjour Fabienne, Jean-Marie, Guillaume. Bravo à vous et à l’Afci pour la publication de ce référentiel de compétences, très pédagogique et complet. A qui s’adresse ce document en priorité ? Et quels en sont les objectifs ?

Jean-Marie Charpentier : Ce référentiel s’adresse d’abord et avant tout aux communicants et à tous les consultants qui interviennent dans le champ de la communication interne. Mais il cible aussi les directions de la communication au sens large et les directions des ressources humaines, notamment la fonction recrutement qui peut être particulièrement intéressée pour mieux comprendre ce qu’est ce métier et ainsi mieux recruter. D’après les premiers retours que nous avons eus, ce référentiel a aussi été très bien accueilli par les enseignants et les étudiants en communication.

Sa genèse s’inscrit dans le cadre de deux grands chantiers lancés en 2024 par l’Afci : d’une part la refonte du premier référentiel de compétences de la fonction communication interne, qui datait de 2004, et d’autre part la production de récits de métiers, que nous avons choisi de publier l’été dernier sous la forme d’un ouvrage dédié à la parole des communicants sur leur travail. Deux approches complémentaires pour donner à voir ce qu’est aujourd’hui le métier de communicant interne : comment il se situe, comment il se transforme, quels en sont les enjeux et ce qu’en disent les professionnels eux-mêmes. Avec l’objectif que tout cela soit le plus incarné et vivant possible.

Au fond, à travers ces deux documents, l’Afci revient sur l’identité professionnelle des communicants internes, remet en perspective leurs pratiques et a aussi pour ambition de redonner de la force et de la visibilité à celles et ceux qui, au quotidien, exercent cette mission avec beaucoup d’engagement et souvent de passion.

Le BrandNewsBlog : Vous le soulignez, un premier référentiel avait été publié par l’Afci en 2004. En termes de méthodologie, comment avez-vous travaillé sur cette nouvelle version ? A-t-il été facile de dégager une vision commune du métier parmi les participants et membres de l’Association ? Et globalement, les compétences fondamentales attendues en 2024 ont-elles beaucoup évolué par rapport à celles identifiées en 2004 ?

Guillaume Aper : Même si je n’ai pas participé à l’élaboration du premier référentiel de 2004, il faut d’abord repréciser que le travail qui avait été fait à l’époque était essentiellement tourné vers la fonction ressources humaines, pour affirmer et positionner le métier de la communication interne auprès des personnes en charge du recrutement et de la gestion de carrières notamment… L’Afci avait alors travaillé en petit comité, au travers d’une série d’entretiens qui avaient été menés puis synthétisés par un consultant. Pour élaborer la nouvelle version du référentiel, nous avons voulu procéder de façon tout à fait différente et profiter de la force de notre collectif de professionnels au sein de l’association.

Fabienne Ravassard : Oui, dans cette optique, on est partis assez vite sur l’idée de constituer un groupe de travail et nous avons rapidement pu composer un groupe dynamique et représentatif de professionnelles issues d’entreprises et d’institutions de taille et de secteurs très différents, aux niveaux d’ancienneté variés. Nous les avons rassemblées lors d’une première journée d’atelier, en repartant d’emblée de la base existante de 2004, et en les faisant réagir et échanger en modalités d’intelligence collective sur les principales missions des communicants internes. Cela a permis de déboucher assez rapidement sur 5 grandes missions essentielles, auxquelles le groupe de travail a rattaché à chaque fois 3 ou 4 activités. Soit au final 5 missions et 16 grandes activités principales qui ont pu être définies et auxquelles nous avons associé progressivement les savoir-faire correspondants.

Il n’a pas été difficile de dégager cette ‘vision commune’ du métier dont vous parlez. C’est là toute la magie et la puissance de l’intelligence d’un collectif. A partir de ce travail fondateur, plusieurs autres séances de travail ont eu lieu, avec Jean-Marie, Guillaume et d’autres participants membres de l’Afci pour aboutir au référentiel actuel, qui a été soumis en relecture au groupe de l’atelier initial.

Nous nous sommes rendu compte que les grandes missions et l’essentiel du métier tel que décrit en 2004 n’avaient pas fondamentalement changé. Ce sont plutôt les activités rattachées et les savoir-faire associés qui ont évolué, et surtout la façon dont les professionnels envisagent et construisent les liens à l’intérieur de leur entreprise.

Le BrandNewsBlog : Vous le souligniez récemment Fabienne et Guillaume, dans une intéressante tribune*** et vous aussi Jean-Marie, dans un article pour la Harvard Business Review****, la communication interne reste, malgré sa professionnalisation, une fonction en quête de légitimité. A quoi ce déficit de légitimité est-il dû selon vous ?

Jean-Marie Charpentier : Je dirais d’abord qu’il y a toujours eu une certaine tension entre deux dimensions : d’une part, la production et la diffusion de contenus, qui est une mission classique des communicants internes ; d’autre part, la capacité à faire du lien, à établir des relations au sein de l’entreprise.

Longtemps, on a conçu ce métier comme relevant avant tout, voire uniquement, des outils et de la seule diffusion. Or, dans les moments critiques, dans les moments intenses de transformation ou de crise, c’est beaucoup plus sur la relation que se joue la communication interne. On l’a bien vu durant la pandémie de Covid-19 : c’est sur le plan des relations que la communication interne a été le plus efficace et le plus utile, en permettant à l’entreprise de tenir, de maintenir des collectifs, de faire corps dans les difficultés.

Or, malgré ce momentum et la professionnalisation accrue des communicants internes, on a un peu l’impression que post Covid, ce sont les logiques de marque et de communication externe qui ont un peu partout repris le dessus, au détriment de la communication interne, qui s’intéresse d’abord à l’entreprise, à ses métiers et aux collectifs de travail. Cela a un peu remis sous le radar la communication interne, qui a été renvoyée à son statut de ‘fonction support’ et de ‘gestionnaire des tuyaux’, alors qu’un rééquilibrage entre ce qui relève de la marque et ce qui relève de l’entreprise est nécessaire. La marque et l’entreprise, ce n’est pas exactement la même chose.

Plusieurs autres facteurs peuvent aussi expliquer ce déficit de légitimité ressenti par les communicants internes : un positionnement parfois fragile dû à un manque d’affirmation de la fonction ou bien à un rattachement incertain (tantôt à la Communication, à la DRH, tantôt à la DG voire aux directions de la transfo…). Et puis, il y aussi le fait que les communicants internes sont des professionnels qui travaillent souvent « à bas bruit », et ne sont pas du genre à se mettre en avant, étant de tempérament assez discret.

Fabienne Ravassard : Sur cet aspect du manque d’affirmation de la fonction, il faut souligner que les communicants internes sont le plus souvent des communicantes, qui œuvrent avec conviction de manière discrète, privilégiant l’efficacité aux effets de manche. J’identifie aussi deux autres causes à ce déficit de légitimité de la fonction communication interne, en plus des facteurs dont vient de parler Jean-Marie. D’une part, les équipes de communication interne sont de plus en plus challengées en interne par d’autres directions. Il arrive en effet de plus en plus souvent que les équipes com’ interne se retrouvent écartées de grands sujets voire ‘uberisées’ par des directeurs ou chefs de projets qui maîtrisent les outils pour générer une newsletter ou un canal de com’, savent faire eux-mêmes une vidéo ou utiliser un réseau social d’entreprise. Il se crée ainsi une concurrence interne des équipes transfo, marketing ou informatique sur un certain nombre de sujets dont la communication interne aurait toute légitimité à s’emparer.

D’autre part, par sa nature transversale et son approche collaborative des sujets, la communication interne se trouve aussi écartée car elle apporte de la hauteur et donc une forme de complexité, ce qui n’est pas toujours du goût de certaines directions, peu désireuses de les associer. La com’ interne est par essence même un métier transversal, nourri de la collaboration dans l’entreprise. Or on le sait, collaborer n’est pas toujours bien accepté, même entre équipes qui se connaissent.

Guillaume Aper : J’ajouterai que pendant la pandémie de Covid-19, la communication interne a aussi connu un momentum grâce à sa connaissance des publics internes de l’entreprise et à sa capacité d’écoute. Les directions générales et directions opérationnelles se sont beaucoup nourri des retours terrains des communicants internes, pour mieux gérer la crise. Après cette période, on est en effet repartis davantage dans des logiques de production de contenus, peut-être un peu au détriment de l’écoute et de la mise en relation des publics internes. Or il appartient aux communicants internes de continuer d’aller à la rencontre des métiers et des différents publics internes, pour continuer à alimenter les directeurs communication et directions générales de remontées terrain et de signaux faibles. C’est un positionnement qui ne peut que renforcer la légitimité de la fonction et renforcer le binôme com’ interne – dircom au sein des entreprises.

Le BrandNewsBlog : Pour contextualiser pour nos lecteurs la publication de ce référentiel, pourriez-vous nous rappeler qui exerce aujourd’hui le métier de communicant interne en entreprise ? Y-a-t-il des profils types qui se dégagent, et des spécificités de formation ou de parcours par rapport aux autres communicants ? Vous souligniez notamment Fabienne que la fonction est très féminisée. Quel est aujourd’hui son degré de professionnalisation ? Est-il homogène au sein des entreprises ?

Guillaume Aper : Pour les 30 ans de l’Afci, en 2019, nous avions justement mené une étude à ce sujet. Il en était ressorti, d’abord, que la profession est largement féminisée : 83% des professionnels qui l’exercent étant des femmes. L’âge moyen des communicant.e.s internes était à l’époque de 40 ans, avec une sur-représentation des entreprises du secteur privé, même s’il semblerait que le nombre de communicant.e.s internes dans la sphère publique a augmenté depuis l’étude

Nous avions eu la surprise de constater aussi à l’époque que près de la moitié des communicant.e.s internes travaillait dans des PME-PMI, ETI ou entreprises de moins de 2000 salariés, la fonction n’étant donc pas l’apanage des grandes organisations.

Et plus globalement, nous avions pu voir que les équipes communication interne sont le plus souvent de petite taille, avec beaucoup de binômes et de personnes seules en poste. J’ajoute qu’il était aussi apparu qu’une fraction non négligeable des communicant.e.s internes ne venaient pas d’écoles ou de filières communication, raison pour laquelle l’Afci a étoffé depuis 5-6 ans son offre de formation, pour permettre aux plus néophytes de se former aux fondamentaux du métier, formations que nous avons complétées progressivement par des modules plus pointus, sur la posture du communicant interne par exemple, sur la communication du changement et des transformations, ou bien encore sur la communication managériale.

Ces formations ont eu beaucoup de succès car elles permettent à chacun de renforcer son expertise et sa crédibilité en interne, y compris pour les communicants qui n’ont jamais fait de communication interne auparavant et qui se rendent souvent compte, après quelques mois d’exercice, des compétences et missions bien spécifiques attachées à la communication interne.

Le BrandNewsBlog : Dans ce réferentiel publié par l’Afci, les contributeurs reviennent sur les missions fondamentales, les activités et savoir-faire, les connaissances et savoir-être attendus des communicants internes. Pour résumer ce « métier à part entière, et à part », pourriez-vous nous dire quel en est pour vous l’ADN, la ‘substantifique moëlle’ ?

Jean-Marie Charpentier : La substantifique moëlle de ce métier, c’est selon moi la relation. La relation avec le haut de l’entreprise (en l’occurrence les dirigeants) ; mais aussi la relation avec le terrain (les managers de proximité, les salariés…). Comme vous le verrez en découvrant le référentiel, tout ou presque (que ce soit dans les missions, les savoir-faire, les connaissances, les savoir être…) tourne autour de cette capacité à nouer une relation, à faciliter le lien, à organiser l’échange. C’est bien pour cela qu’il importe de ne pas limiter le métier de communicant.e interne à la production et à la diffusion des contenus, même si cela fait aussi partie du travail et de la relation avec les différents publics de l’entreprise.

Les récits de métier que nous avons pu recueillir donnent très concrètement à voir, sous différents angles, cet enjeu de la relation au cœur du métier. D’où, pour les communicant.e.s l’importance de bien connaître, de bien comprendre pour agir. Connaître, comprendre les acteurs, les métiers, les collectifs. Connaître, comprendre également de quoi est fait le travail. Connaître, comprendre les attentes des différents publics. Une communicante d’un grand distributeur nous rappelait dans les récits de métier que « Comprendre, c’est le verbe le plus important en communication interne. »

J’ajouterais autre chose encore à propos de la relation comme substantifique moelle du métier : nous vivons en ce moment une véritable transition dans les entreprises, dans la société. Et cette transition, qu’elle soit économique, sociale ou écologique, nous impose d’aller au-delà de l’approche purement fonctionnelle de l’entreprise, réduite à l’administration des choses, à la gestion des flux ou des réseaux. La transition vers une entreprise plus relationnelle, plus « robuste » pour reprendre le terme d’un livre que l’Afci a primé récemment, c’est davantage d’interactions, de liens, d’expressions partagées. Et dans ce domaine, les communicants internes ont une place essentielle.

Fabienne Ravassard : Oui, ainsi que l’indique Jean-Marie, pour ne pas paraphraser les 5 grandes missions du communicant interne que vous retrouverez ci-dessous, le cœur du métier n’est plus uniquement de produire et de diffuser des messages, mais vraiment, comme nous l’avons écrit dans notre tribune, de faire vivre un collectif et même le ‘récit collectif’ qui l’accompagne. Plus que jamais, la mission première du communicant interne, c’est de réunir, de créer les conditions d’une bonne compréhension de l’entreprise, d’une véritable pédagogie et du dialogue. Et comme tout métier de communication, il s’agit aussi de veiller à la notion de cohérence des discours, c’est à dire au bon alignement entre la parole et les actes, afin que les salariés puissent constater qu’il n’y a pas de dissonance entre ce qu’on leur dit et leur vécu, entre le verbe des dirigeants et ce qu’ils voient en action, sur le terrain.  Dans le cœur d’expertise du communicant interne, on retrouve également cette notion d’intelligence collective. Non pas qu’il revienne systématiquement au communicant interne d’animer lui-même des dispositifs d’intelligence collective, mais on lui demande a minima de pouvoir faire des recommandations sur le sujet, d’être en capacité de piloter des dispositifs en faisant par exemple intervenir un facilitateur ou des consultants spécialisés en intelligence collective.

Dans le même ordre d’idée, les dimensions plus invisibles du métier que sont la capacité d’analyse, l’écoute active, la capacité à se mettre dans une posture de conseil et à anticiper, y compris en termes de ressources, sont de plus en plus attendues en termes de compétence et de savoir-être, afin de faire face aux défis de transformation et de communication au sein de l’entreprise.

Le BrandNewsBlog : Dans votre tribune pour le magazine Stratégies, Fabienne et Guillaume, vous mettez en avant deux compétences clés des communicants internes. D’une part, au-delà de la production de contenus et de la diffusion de messages, la capacité à « faire vivre un récit collectif » au sein de l’entreprise. D’autre part, la capacité à créer les conditions de compréhension de ce récit et à mettre en cohérence discours et actes. En quoi ces deux compétences vous semblent-elles primordiales ? Et en quoi ce récit collectif permet de mieux accompagner les transformations au sein de l’entreprise ?

Fabienne Ravassard : Oui, cette notion de récit collectif et sa compréhension, son appropriation par les différents publics de l’entreprise nous ont paru d’autant plus importantes que nous traversons comme nous l’avons déjà dit une période intense de transformations et de grands changements, et qu’il est nécessaire de les accompagner au mieux au sein de l’entreprise. Qu’on ait à faire à un projet de réorganisation, de rachat ou au lancement d’une nouvelle stratégie, la construction d’un récit collectif permet de faire face au changement et à l’incertitude, de redonner du sens aux collaborateurs, à condition bien sûr que ce récit ne soit pas descendant et qu’il soit co-construit avec les équipes, et incarné.

Bâtir ce récit collectif, c’est en définitive se donner la possibilité de rassembler, autour d’un message commun, cohérent et fédérateur, en créant de l’alignement entre les différentes parties prenantes internes qui sont mobilisées sur les changements et les transformations.

J’ai travaillé récemment pour une structure qui, dans le cadre de la refondation de sa stratégie de communication interne, avait dressé le constat que des cultures très disparates coexistaient sur ses différents sites et pouvaient « s’entrechoquer ». Au moment de mener à bien un gros projet interne, les dirigeants ont ressenti que cette diversité de culture(s), qui avait pu faire jusque-là la richesse de l’entreprise, pourrait cette fois constituer un frein au projet et une source d’incompréhensions. Avec les communicants internes, nous sommes donc allés dialoguer directement avec les collaborateurs des différents sites, dans le cadre de focus groupes, pour interroger cette notion de culture d’entreprise et déterminer ensemble quels étaient les « plus petits communs dénominateurs » de la culture commune, sans galvauder les différences existantes. Ce travail de fond a permis aux communicants internes de clarifier un récit collectif fédérateur, nuancé, qui fait in fine la part belle aux points forts partagés, tout en valorisant la richesse des singularités de l’entreprise.

Ce type de travail, s’il est bien réalisé, et s’il est accompagné par les communicants internes dans sa diffusion, permet à la fois de créer du lien et de rendre aussi beaucoup plus intelligibles les grands changements qui peuvent venir impacter les collaborateurs.

Ce savoir-faire de narration se déploie aussi dans la capacité à rendre plus concrète, incarnée, percutante et efficace, une nouvelle stratégie d’entreprise dont la formulation initiale serait trop absconse ou éloignée du quotidien des collaborateurs. En traduisant cette stratégie sous forme d’un récit beaucoup plus pragmatique, au travers d’exemples concrets et de situations vécues et portées par les collaborateurs, ou en simplifiant la formulation et en co-construisant le récit correspondant avec des managers, on peut rapidement en faire quelque chose de beaucoup plus efficace, appropriable et connecté au travail et à la réalité quotidienne de l’entreprise.

Le BrandNewsBlog : La connaissance des publics et des métiers de l’entreprise, l’écoute et la traduction des attentes des collaborateurs, la capacité à détecter les signaux faibles… demeurent au cœur de la mission des communicants internes. A quel savoir-faire spécifique ces compétences font-elles appel ? Et quels sont en définitive les principaux savoir-être attendus des communicants internes ?

Jean-Marie Charpentier : La capacité d’écoute est à la base du métier et lui assigne une posture d’humilité : être d’abord celui ou celle qui écoute les autres. Encore une fois, le média et le message ne doivent pas être premiers. C’est l’écoute qui fonde l’approche du communicant interne. Et on peut bien sûr écouter de multiples façons (directe ou indirecte, formelle ou informelle, via des rencontres ou des outils tels que les sondages). Dans tous les cas, il y a un pré-requis, c’est le contact avec le terrain et la proximité. A l’heure des réseaux sociaux ou de l’IA, voire du télétravail, on peut facilement se déconnecter du terrain. Or, le communicant interne ne doit jamais le quitter. C’est sa véritable raison d’être. Sur le terrain, dans les contacts directs, on capte les petites choses, ce que l’anthropologue de la communication Yves Winkin appelle les « petits riens », des petits riens qui peuvent en réalité s’avérer des pépites.

En termes de savoir-être, les différentes compétences attendues des communicant.e.s internes renvoient à des capacités de perception et d’expression (ouverture, curiosité, écoute active, empathie, synthèse…), mais aussi aux capacités à développer du lien, du sens, ainsi qu’à cette capacité d’écoute qu’on vient d’évoquer.

Les savoir-faire opérationnels et stratégiques, comme être en capacité de conseiller le management, savoir élaborer et faire circuler l’information, viennent ensuite.

En matière de communication interne, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, la charrue de l’info avant les bœufs de l’écoute et de la relation, si j’ose dire. N’oublions jamais que c’est eux qui tirent et donnent au métier son sens.

Guillaume Aper : Pour compléter le propos de Jean-Marie sur l’écoute, l’aptitude à détecter et à remonter les signaux faibles fait appel à cette capacité d’écoute informelle dont j’ai déjà parlé, qui requiert de bien connaître les gens, de savoir se constituer un réseau d’interlocuteurs internes auprès desquels on peut facilement passer quelques coups de fil pour savoir comment sont perçus telle ou telle décision ou tel sujet épineux. Une nouveauté est ressortie dans la nouvelle édition de notre référentiel de compétences : la capacité à savoir dresser une véritable cartographie des publics internes, à l’instar d’une photo satellite dont on peut ensuite se servir régulièrement et qu’on peut actualiser. Cette cartographie, qui a été évoquée par de nombreux professionnels, peut s’avérer particulièrement utile et démontre la connaissance fine de l’entreprise par les communicant.e.s internes.

Savoir naviguer en permanence entre la direction de l’entreprise, les managers et les équipes terrain sur site, dans des usines ou sur des chaînes de production, requiert aussi une réelle capacité à se mettre à la portée de différents publics, une vraie plasticité intellectuelle et une curiosité insatiable. Cela implique aussi, à mon sens, d’avoir le goût de l’interation et de la communication directe avec les gens, donc de l’empathie.

Le BrandNewsBlog : La communication managériale, en particulier – qui reste parfois un sujet d’insatisfaction des dirigeants – n’empiète-t-elle pas sur la mission d’animation des managers ? Et quelles sont finalement les limites à la communication interne, dans l’animation des métiers et des différentes communautés professionnelles ? N’y-a-t-il pas un risque de dilution des messages et du récit collectif dont nous parlions à l’instant, quand la communication interne devient trop spécifique ? Et quel est son rôle dans l’accompagnement du management ou des collectifs de travail ?

Fabienne Ravassard : Vous abordez là un vaste sujet… et plusieurs questions en une. Pour parler spécifiquement de la communication managériale, Guillaume le dit souvent : c’est l’un des sujets les plus complexes à appréhender pour les communicant.e.s internes et pour leurs dirigeants. Parce que pour aboutir à une communication managériale vraiment efficace, il faudrait en réalité pouvoir aligner les planètes, « avoir à sa main » des sujets aussi différents que la formation des managers et le style managérial, qui relèvent plutôt de la DRH ; connaître sur le bout des doigts la culture et l’histoire de l’entreprise, et savoir ce qui est attendu des managers et de la communication managériale également. Voilà pourquoi, pour avoir une communication managériale efficace, de même que pour avoir une communication interne efficace, la première chose à faire devrait être à mon sens de définir collégialement, avec les dirigeants, ce qu’on en attend et quels en sont les objectifs… quitte à se revoir régulièrement pour revenir sur ces objectifs et ajuster au gré des besoins.

En terme de communication managériale, est-ce qu’on attend d’un manager qu’il soit juste capable de s’exprimer correctement auprès de ses équipes et de relayer de temps en temps les messages importants transmis par sa direction ? Ou bien lui demande-t-on d’être un ambassadeur, capable de porter la stratégie et les décisions de l’entreprise auprès de ses équipes ?

Dans l’idéal, et dans les organisations les plus matures selon nous, une communication managériale efficace implique d’autoriser le manager à faire des pas de côté, pour expliquer avec ses propres mots la stratégie de l’entreprise, transposer de manière autonome et pédagogique cette stratégie pour que son équipe la comprenne et se l’approprie. C’est à mon sens le degré le plus abouti d’une communication managériale réussie, mais cela implique un haut niveau de confiance des dirigeants dans leurs managers, et un accompagnement de la part des équipes communication pour que les managers se sentent à l’aise.

Beaucoup trop de dirigeants attendent encore des managers qu’ils « cascadent » à la virgule près des éléments de langage pré-mâchés, pas toujours adaptés à la réalité du terrain. Et nombreux sont aussi les managers à avoir besoin d’être accompagnés et rassurés à ce niveau, de peur de faire un faux-pas ou d’être piégés par une question pertinente posée par leurs collaborateurs.

Car l’idée c’est aussi cela : plutôt qu’une communication descendante, faire de la communication managériale un espace d’échange et d’interactions où les collaborateurs se sentent libres de poser leurs questions, quitte à ce que le manager revienne auprès d’eux plus tard, avec une réponse élaborée avec les communicants ou les dirigeants de l’entreprise.

Il en va de même pour l’animation des métiers auprès des différentes communautés professionnelles. La réussite dans ces domaines passe également par la confiance a priori et le fait d’accompagner les ambassadeurs internes à devenir des acteurs de la communication interne de l’entreprise, plus que de simples relais.

Guillaume Aper : Pour les communicant.e.s internes, les points que Fabienne vient de relever impliquent qu’ils se retrouvent dans une position et une posture de conseil auprès des managers et des autres ambassadeurs de la communication interne. Charge à eux de co-construire avec les managers et les ambassadeurs internes des plans de communication et des dispositifs qui soient adaptés à leur besoins et aux enjeux, tout en les formant et les sensibilisant aux grands enjeux de la communication et en les accompagnant au besoin, comme des coaches, dans leurs prises de parole. Cela peut passer par la préparation commune d’éléments de langage, le regard critique sur des discours préparés par les managers, l’acculturation des managers aux méthode de l’intelligence collective, pour créer les conditions d’un véritable échange au sein de leurs équipes ou bien tester des messages, par exemple.

Au-delà de ses propres contenus et des canaux de communication qu’il anime, il appartient au communicant interne de faire en sorte que d’autres que lui (managers, réseau de correspondants internes, ambassadeurs) portent et amplifient le récit collectif de l’entreprise, tout en maintenant une cohérence des messages et des discours. Cela passe en effet par de la co-construction du récit, la constitution de réseaux et de communautés à même de porter et incarner les messages auprès de leurs équipes.

Le BrandNewsBlog : Elaborer et faire circuler l’information au sein de l’entreprise ; faire vivre la culture d’entreprise ainsi que les dynamiques collectives, font partie des missions ‘régaliennes’ des communicants internes. En quoi l’essor de l’intelligence artificielle et la multiplication des canaux de communication offrent de nouvelles opportunités et perspectives aux professionnels dans ces domaines. Et a contrario, comment les communicants internes gèrent-ils le risque d’infobésité et la prolifération des canaux, contenus et dispositifs numériques à laquelle on a assisté ces dernières années ?

Guillaume Aper : Sur ces sujets de l’élaboration et la diffusion des contenus de communication interne, un des grands enseignements qui est ressorti de la nouvelle édition du référentiel (par rapport à celui de 2004), c’est certes que les technologies ont beaucoup évolué et que la communication s’est largement digitalisée, mais c’est surtout que les contenus de communication interne ne sont plus produits exclusivement par les communicants et qu’ils proviennent maintenant d’une multitude de canaux et d’émetteurs (réseaux sociaux d’entreprises, Intranets métiers, newsletters et outils de chat, etc.

A cet égard, et face à cette masse de plus en plus importante de « User Generated Content », qui peuvent aujourd’hui représenter bien plus de la moitié des contenus de communication internes diffusée, les communicants internes doivent être garants de la cohérence et se positionner en « aiguilleurs du ciel » de l’ensemble des contenus émis. A eux de faire remonter tel ou tel contenu, de dire quel avion reste en l’air, quel avion décolle et lequel atterrit. C’est une mission qui combine étroitement coordination, modération et curation, qui n’existait évidemment pas il y a encore quelques années de cela.

Aux communicants internes de superviser ce qui sort, se tenir au courant, assurer la cohérence parmi la multitude de canaux digitaux et de contenus produits dans l’entreprise.

Pour se faire, il me semble que les outils d’intelligence artificielle peuvent justement être d’une aide précieuse, en aidant les communicants à remonter et faire le tri parmi tous les contenus publiés dans l’entreprise.

Plus encore que la production de contenus hyper ciblés et personnalisés, il me semble que le premier apport de l’IA pourrait résider dans cette mission de tri, grâce à des outils tels que Perplexity ou des métamoteurs de recherche, qui auraient / auront pour vocation de simplifier la curation des contenus internes qui incombe aujourd’hui aux communicant.e.s internes.

Car avec la démultiplication des canaux et la facilité que l’IA permet dans la production de contenus et de supports de communication, il y a en effet un vrai risque d’embouteillage et d’infobésité interne, et qu’on n’arrive tout simplement plus à retrouver les bonnes informations quand on les recherche. Or on sait que le temps d’attention de nos lecteurs / des collaborateurs, est de plus en plus limité. Il nous revient dont de nous y adapter pour produire plus efficacement et parcimonieusement des contenus, mais aussi et surtout adresser les bons contenus internes aux bonnes personnes et d’adopter ce qui est déjà une demande dans nombre d’organisations : la sobrieté éditoriale.

Le BrandNewsBlog : Nous parlions à l’instant de reconnaissance et de quête de légitimité de la part des professionnels de la communication interne. Cette légitimité n’a jamais été aussi forte, le rappeliez-vous Jean-Marie, qu’en temps de crise, durant la pandémie de Covid-19… Quelles sont d’après vous les pistes pour étendre cette reconnaissance, désormais établie dans les domaines de la communication de crise et l’accompagnement du changement, à toutes les autres missions et compétences des communicants interne ? Et comment faire pour qu’ils soient considérés par leurs dirigeants comme des « partenaires de pensée et d’action » ainsi que vous l’appelez de vos vœux ?

Jean-Marie Charpentier : C’est certain, l’expérience de la pandémie de Covid-19 a été refondatrice pour de nombreux communicant.e.s internes. Ils nous l’ont dit. Il a fallu tenir le cap dans un moment critique et ils ont su se montrer particulièrement utiles grâce aux relations entretenues avec les dirigeants, les managers et les salariés, pour assurer une continuité de service. Leur pouvoir d’agir, émanant de leur bonne connaissance du terrain, s’est trouvé accru dans les cellules de crise, dans le contact avec les managers et leurs équipes.

Développer ce pouvoir d’agir, accroître les leviers d’action pour les communicant.e.s internes, cela passe par le fait de nouer des alliances. Le communicant interne ne travaille jamais seul. Il est ou doit être en partenariat tantôt avec les dirigeants, tantôt avec le DRH, tantôt avec les managers de proximité et les métiers.

Un exemple parmi d’autre de ce pouvoir d’agir : trop souvent encore, on vient voir le communicant interne pour lui demander des slides, une vidéo, un podcast… Or, le vrai pouvoir d’agir du communicant commence par questionner le besoin (pourquoi communiquer, à qui, pour quels besoins ?). Cette capacité à remonter à la source du besoin conduit parfois à remettre en question le média initialement choisi et à co-construire avec son interlocuteur-partenaire une offre de communication et des dispositifs pertinents. C’est la meilleure façon de pratiquer la communication interne à mon sens.

Fabienne Ravassard : Pour asseoir leur légitimité, être reconnus comme des « partenaires de pensée et d’action », les communicant.e.s internes peuvent aussi cultiver leur lien avec le/la dircom, ainsi que le soulignait tout à l’heure Guillaume.

Constituer un binôme efficace, en alimentant le dircom de remontées terrain, de signaux faibles, en l’éclairant sur un certain de nombres de sujets comme la façon dont sont perçues les décisions des dirigeants ou la stratégie d’entreprise, me paraissent des axes de travail et de reconnaissance intéressants. Cela suppose encore une fois de s’entendre, avec le dircom dans un premier temps, puis avec les dirigeants, sur ce qu’on attend exactement de la communication interne, et quels en sont les objectifs. A partir de là, on peut déterminer les plans et moyens à mettre en œuvre pour être à la hauteur des ambitions affirmées.

Développer le travail d’écoute et rester en permanence en prise avec les différentes communautés et les différents publics de l’entreprise demeurent des impératifs, et aussi peut-être pour les communicant.e.s internes, s’agit-il de forcer un peu leur nature pour communiquer davantage sur ce qu’ils font et faire mieux connaître l’étendue de leur « offre de service ».

Cela suppose aussi de renforcer leur assertivité et de développer leur connaissance des  sujets stratégiques, en mettant de côté leur discrétion pour s’imposer progressivement dans les différents comités projets et autres instances de coordination, au sein desquelles ils ne sont pas systématiquement conviés habituellement. Passer pour ainsi dire en permanence et avec facilité du sol bétonné des ateliers d’usine aux couloirs feutrés des étages de direction, en sachant à chaque fois quel langage on y parle, pour mieux les relier.

Le BrandNewsBlog : Chefs d’orchestre du récit de l’entreprise, interfaces au service des collectifs de travail, passeurs, médiateur et tisseurs de cohésion entre les différents métiers, les hiérarchies et les communautés professionnelles… Vous dites, Jean-Marie, que les communicants internes sont passés d’une pure « communication de transmission » à une véritable gestion des relations au sein de l’entreprise. Quels sont les grands défis qui en découlent ? Et globalement Fabienne, Guillaume et Jean-Marie, quels sont les prochains défis à relever par les communicants internes pour asseoir encore davantage leur rôle stratégique ?

Jean-Marie Charpentier : Selon moi, il y a quelques grands défis à relever pour les communicants internes : d’abord, continuer de faire face aux multiples crises qui touchent les entreprises (nous sommes à bien des égards dans une situation de « permacrise ») et préparer en interne les nécessaires transitions pour y faire face.

Ensuite, et on en a déjà parlé les uns et les autres, tout faire pour conserver le lien avec le terrain. Fabienne vient d’évoquer le fait du passer avec facilité du béton des usines aux couloirs feutrés des directions… Dans les faits, il y a mille sollicitations pour s’éloigner progressivement du terrain. Le solutionnisme technologique, avec l’IA notamment, peut être un piège comme le fut le cas à une autre époque avec le « tout numérique », et peut inciter les communicants à rester dans leur tour d’ivoire. Tout ne relève pas de la technologie. On a besoin d’un usage raisonné de l’IA, pour ne pas finir par travailler « en chambre ».

Autre défi en lien avec le terrain : être en prise, encore plus qu’hier, avec les questions du travail (les conditions de travail, les espaces de travail, la place du télétravail, etc.). Des évolutions comme la généralisation du télétravail ces dernières années bouleversent durablement les pratiques et la communication dans l’entreprise.

J’ajouterais enfin : irriguer la communication interne et externe par des récits de vie, des récits de métier, pour que celle-ci soit toujours crédible et incarnée. La forme du récit, c’est ce qui permet tout à la fois de capter le réel et d’aller vers l’imaginaire. Il y a toute une communication dans le travail et sur le travail à mettre ou à remettre au jour. Les communicants internes doivent s’en saisir. N’oublions pas, comme le disait Jeanne Bordeau, que « le savoir dire vient de l’intérieur ».

Guillaume Aper : Jean-Marie et Fabienne viennent d’évoquer le fait de passer avec aisance du terrain aux étages de direction. A cet égard, le défi pour les communicants internes est aussi, parfois, d’être perçus comme davantage « business oriented », de s’intéresser réellement à la marche des affaires et aux évolutions des métiers de leur entreprise, pour demeurer crédibles et ne pas se retrouver au ban des comités projets et autres instances de décision.

Dans le contexte de permacrise et de transformation permanente que vient d’évoquer Jean-Marie, il faut aussi que les communicant.e.s internes travaillent en dynamique sur la culture d’entreprise, pour adapter en permanence le récit collectif de l’entreprise et que celui-ci continue de coller aux réalités de terrain. Il en va de l’engagement des collaborateurs, car la culture, et un récit collectif clair et crédibles, créent les conditions de l’engagement.

Les deux derniers défis que je perçois, on en a parlé également un peu plus tôt, ce serait que la communication interne grandisse et pourquoi pas grossisse, en investissant de nouveaux champs ou de nouvelles missions. Cela suppose d’abord un rééquilibrage des moyens et des ressources avec la communication externe, en tout cas un moins grand déséquilibre. Et la communication interne, dont les champs sont déjà vastes, pourrait ainsi investir de nouveau champs que sont par exemple, l’adaptation des collaborateurs aux grandes évolutions sociologiques et macro-économiques.

Pour aborder des sujets et débats de société, vulgariser de grandes questions économiques, géopolitiques, sociétales ou scientifiques, presque dans un esprit de d’outillage culturel et citoyen des collaborateurs, pour les préparer aux grands changements du monde et de leur environnement, la communication interne a à mon avis un rôle à jouer dans cette zone encore peu investie entre communication et formation.

Le BrandNewsBlog : Un dernier mot sur l’ouvrage « A mots ouverts », publié par l’Afci en même temps que le référentiel de compétences. Il est sous-titré : « Tout ce que je veux vous dire sur mon métier, la communication interne » et présente 20 témoignages de professionnels sous la forme de 20 récits justement. Pourquoi avoir publié cet ouvrage à part ?

Jean-Marie Charpentier : Nous venons de parler il y a un instant de l’importance de l’incarnation des récits d’entreprise et des récits émanant des métiers. L’Afci a souhaité que des communicants internes racontent leur travail au quotidien. De ces témoignages recueillis par une petite équipe au sein de l’association, il a été tiré des « récits de métiers », qui restituent sans filtre la voix des communicants. L’objectif : parler du métier, révéler ce que signifie travailler pour celles et ceux qui font métier de communiquer au sein des organisations, en entrant de plain-pied dans leur quotidien. Et surtout, passer par la parole de ces professionnels. Leur offrir l’opportunité de parler de leur travail, dire « je », raconter le concret de leur activité, ses rites, ses rituels, exprimer leur façon de tenir leur rôle et de (bien) faire ce métier, souligner tout ce qui va, en ne cachant pas ce qui bloque ou résiste. Et puis, se situer en tant que communicant dans une équipe, dans son rapport aux dirigeants, aux managers, aux salariés. L’Afci a voulu publier cette parole, très riche, sous la forme d’un livre, qui vient compléter et en quelque sorte faire écho au référentiel métier. Cette mise en mots du métier par ceux et celles qui l’exercent est une première pour l’association et je dois dire que nous en sommes assez fiers.

 

 

Légendes et commentaires :

* Afci : Association française de communication interne

** Découvrez ici en libre accès le référentiel de compétences des communicant.e.s internes publié en janvier 2025 par l’Afci 

*** Communicant interne : un métier à part entière, un métier à part, par Guillaume Aper et Fabienne Ravassard, Stratégies, 19 septembre 2025

**** La communication interne, un métier en tension entre professionnalisation et légitimation, par Jean-Charpentier et Vincent Brulois, Harvard Business review France, 24 sepetmbre 2025

(1) Fabienne Ravassard : Adhérente de l’Afci. Conseil en communication et dynamiques d’entreprise au sein du cabinet Baïrlaa.

(2) Jean-Marie Charpentier : Administrateur de l’Afci. Consultant en communication et auteur de référence dans le domaine de la communication interne.

(3) Guillaume Aper : Administrateur de l’Afci. Expert en communication et ex Directeur communication adjoint de JCDecaux.

Marketeurs et communicants : pour une année 2022 sous de meilleurs cieux !

coronavirus-les-scientifiques-appellent-les-couples-a-porter-des-masques-lorsquils-font-lamour-1-1200x628S’il est permis d’adresser ses voeux jusqu’au 31 janvier au soir, c’est dans la toute dernière ligne droite et un peu « avant le dernier coup de gong » que je me permets de vous adresser les miens, en vous souhaitant à toutes et tous une année 2022 aussi communicante qu’inspirante!

Après 7 années ininterrompues d’articles de fond, de billets d’humeur et d’interviews et une longue pause éditoriale de près de 7 mois, me voici « de retour aux manettes » du BrandNewsBlog, bien décidé à reprendre cette chronique du marketing et de la communication que j’ai commencé à pas de loup un soir d’août 2013…

Depuis le printemps dernier, la transformation de nos métiers, dont j’ai été à la fois acteur et témoin, n’a cessé de s’accélérer. Nul doute que celle-ci alimentera de prochains articles du BrandNewsBlog et les analyses des professionnels que je partagerai avec gourmandise ici avec vous, que ce soit pendant et après Omicron… mais aussi avant, pendant et après les prochaines élections.

En espérant que les mois qui viennent soient pour chacun et chacune d’entre vous porteurs de nouveaux projets et de belles promesses, autant personnelles que professionnelles… je vous donne rendez-vous pour de nouvelles inspirations marketing-com’ dès les prochaines semaines !

Hervé Monier

Crédits photo : HealthShots, The BrandNewsBlog 2022.

Trouver le bon équilibre entre objectifs business et engagement sociétal : le grand défi de 2021 pour les agences et les annonceurs


Dans la série d’articles #GoodMood, #GoodMove par laquelle j’ai décidé de débuter l’année 2021, j’ai déjà abordé il y a 15 jours le rôle moteur de la communication et des communicant.e.s dans la relance économique.

De fait, après une année 2020 marquée par la crise sanitaire et durant laquelle nous avons du faire preuve de beaucoup de créativité, d’agilité et de réactivité (sous la contrainte des évènements le plus souvent), une nouvelle séquence semble s’ouvrir avec la perspective d’une sortie progressive de la Covid-19, et l’horizon encore évanescent d’un « retour à la normale ».

Comment aborder cette nouvelle séquence, en tirant toutes les leçons des mois écoulés ? Comment se remettre en ordre de marche, pour saisir toutes les opportunités de la reprise et servir au mieux les objectifs business de nos organisations, sans négliger les 3 enjeux toujours d’actualité pour les communicant.e.s : information des publics, renforcement du lien avec les parties prenantes, démonstration de l’utilité de nos marques ? 

Voici quelques-uns des sujets que je vous propose d’évoquer avec mes deux interlocuteurs du jour, Marion Darrieutort¹ et Assaël Adary², personnalités reconnues du marketing et de la communication et fins connaisseurs de l’écosystème médias-agences-annonceurs.

Qu’ils soient ici remerciés de leurs précieux éclairages, et de la sincérité et la franchise avec laquelle ils ont bien voulu répondre à mes questions, en acceptant de revenir sur les mois écoulés et de nous livrer tous les enseignements qu’ils en ont tirés.

…Fin du modèle « traditionnel » d’agence, besoin accru d’écoute et d’études pour anticiper les évolutions les plus fines des attitudes et attentes des collaborateurs et des consommateurs, nouvelle posture de conseil et nouvelles pratiques communicantes : plus que jamais, les professionnel.le.s sont invité.e.s à reprogrammer leur logiciel marketing-com pour répondre aux enjeux du moment… et trouver notamment le bon équilibre entre objectifs business, soutien de la stratégie et mise en exergue de l’engagement sociétal de leurs organisations respectives.

Une équation passionnante, et de beaux défis à relever dans les prochains mois, ainsi que nous l’expliquent de concert Marion et Assaël, dans une interview croisée en deux parties (>> suite et fin de nos échanges à découvrir jeudi prochain).

Bonne fin de week-end et bonne lecture à toutes et tous !


Le BrandNewsBlog : Bonjour Marion, bonjour Assaël. Il y a 15 jours, je consacrais mon dernier article à la thématique de « la communication, moteur de la relance économique », dans la foulée d’une conférence dédiée organisée par l’association COM-MEDIA. Malgré le contexte encore incertain et cette crise sanitaire qui s’éternise, pensez-vous également que la communication puisse/va contribuer à la reprise tant espérée de l’économie ? Et si oui, dans quelle mesure, et à quelles conditions ?

Marion Darrieutort : Effectivement, à l’heure où on va commencer à voir la lumière au bout du tunnel, à penser au « back to normal », à réfléchir aux conditions de la reprise et du redressement, j’ai le sentiment que notre profession sortira grandie de cette crise, si on contribue activement à soutenir l’effort de relance.

Comment ? En trouvant le bon équilibre entre le business et l’engagement sociétal. Au début de la crise, en 2020, les marques et les entreprises ont fait d’importants efforts en matière de responsabilité sociétale. Elles se sont engagées pour apporter des solutions aux maux de la crise, en déployant des programmes de soutien à ceux qui en avaient besoin. La crise a eu cette vertu, d’accélérer le mouvement des marques engagées.

En 2021, j’ose croire que cela va continuer. Mais il ne faut pas se contenter d’une approche trop idéaliste en mode « Dans le monde d’après, on veut aider à changer le monde… ». Car on ne va pas se mentir, les mots d’ordre de cette année vont d’abord être « business » et « création de valeur ».

La casse sociale annoncée, quand les aides du gouvernement vont s’assécher, sera immense et c’est là où la communication doit agir : aider à relancer la consommation, convaincre les Français de consacrer une partie de leur épargne à des achats dont l’économie a besoin, faire changer des comportements.

La vocation première des marques et des entreprises est en effet de vendre, de créer de la valeur. Il faut l’assumer, le revendiquer même. Il faut revenir à ces origines là sans pour autant renier tout l’élan sociétal que la crise a généré.

Assaël Adary : Je suis d’accord. Pour ma part, je milite depuis 25 ans pour « désinhiber » la fonction communication en matière de contribution au business. Car oui, affirmons-le sans hésitation, cette fonction, en construisant et en protégeant la réputation d’une entreprise, contribue au business.

On peut facilement clore le débat en citant l’étude réalisée par Deloitte pour l’AACC, l’UDA et l’Udecam de 2017 – il faudra d’ailleurs après cette crise penser à produire de nouvelles données sur notre secteur – dont la conclusion était sans appel : un euro investi en communication génère en moyenne 7,85 euros de PIB et en comparaison la France est le pays dans lequel les investissements en communication sont les plus rentables.

Mais il est plus pertinent de se questionner sur le « pourquoi » et pas seulement sur le « combien ». Pourquoi la communication est-elle un des principaux leviers de la relance économique ?

Il n’est pas possible d’envisager une relation transactionnelle sans, à sa base, la confiance entre les deux acteurs de la transaction : le vendeur et l’acheteur. La communication crée les conditions de possibilité d’une reprise économique en reliant les agents économiques que sont les entreprises, les marques, les produits et les consommateurs.

Rappelons-nous que l’échange des biens, c’est-à-dire le marché, nécessite au préalable un échange d’informations. De même faut-il partager des informations, « communiquer », pour produire collectivement un bien. La question des échanges d’information, de la communication, est au centre de l’économie et du marché.

La communication, y compris la communication corporate, constitue bien de l’avant-vente, le terreau plus ou moins fertile sans lequel rien ne pousse.

Par ailleurs, dans les 5 années qui viennent, la communication aura pour mission de proposer une nouvelle narration pour l’économie française. Quel imaginaire voulons-nous partager ? En premier lieu, quel imaginaire de consommation ? Et c’est là que nous, les professionnels de la communication, serons face à ces choix cruciaux !

Il y aura une relance, c’est une certitude, il y aura un rebond. On ne sait pas encore exactement la forme de la courbe, en « V », en « U », en « W », mais elle sera là. La question collective qui se pose à notre secteur sera : « Quelle relance voulons-nous ? ». Dans un premier temps, avant d’envisager le pourcentage de croissance, il nous faut qualifier la relance souhaitée et y travailler…

On a beaucoup entendu que le brief du siècle serait celui de la vaccination, je pense profondément que le brief du siècle est celui du plan de relance (plus de 100 milliards).

Il faudra de la confiance, de l’optimisme, croire que demain est meilleur qu’aujourd’hui, ce qui n’est pas évident au regard du mur de la défiance et du pessimisme français.

Mais pour être le principal ressort de la reprise, encore faut-il que notre secteur soit fort et lui-même en capacité de rebondir. Avons-nous encore les muscles pour épauler le reste de l’économie ?

N’oublions surtout pas que la communication est aussi un secteur économique, que les agences sont des entreprises, le plus souvent des TPE/PME, que notre tissu est composé de très nombreux freelance en hyper précarité en ce moment… Serons-nous capables de nous soulever nous-mêmes avant de porter le reste des industries ?

Notre secteur pèse dans l’économie française. EY a calculé que 46,2 milliards d’euros ont été investis par les entreprises en France dans leurs actions de communication en 2015 et rappelons qu’une large part de cet argent atterrit dans les médias qui en ont un besoin vital.

46,2 milliards, c’est 2,1% du PIB de la France, davantage que les investissements en R&D. Et enfin, n’oublions jamais que le secteur de la communication c’est aussi 700 000 emplois soit deux fois plus que l’aéronautique dont on parle tant. Et combien demain ?

Pour terminer sur un secteur qui m’est cher et que je vois se débattre avec panache pour exister encore demain, il faut évoquer l’événementiel. En France, pays de grands salons (Maison & Objet, Le Bourget, Le Mondial de l’automobile, etc.), qui génèrent des milliards de retombées pour les entreprises, la relance aura besoin des agences événementielles, fortes, créatives, diverses. Or on l’a vu récemment avec le bilan très mitigé de la dernière édition du CES Las Vegas, 100% digitalisé : rien ne remplace vraiment la rencontre physique. Comme au théâtre, unité de lieu, unité de temps, cela crée une dynamique inégalable.

Je propose d’ailleurs que le mois de septembre 2021 dure 70 jours pour permettre de planifier deux fois plus d’événements en présentiel :-)

Le BrandNewsBlog : Cette année 2020 a été particulièrement difficile, non seulement pour les professionnels de santé et les « premiers de corvée » mobilisés sur le terrain, mais également pour des pans entiers de l’activité économique (hôtellerie, commerce, restauration, culture…). Et les communicant.e.s, en agence comme chez l’annonceur, n’ont pas été épargnés comme vous venez de le souligner… Comment avez-vous vécu personnellement cette année de crise, dans vos structures respectives, et quelles leçons en tirez-vous ?

Assaël Adary : Occurrence produit des études qui permettent aux directeurs de la communication de se repérer dans le brouillard, de trouver la bonne trajectoire pour toucher les cibles, pour peser les investissements et arbitrer en période de frugalité.

Cette mission, ce rôle de GPS pour les communicants, nous permet de traverser cette crise avec confiance. La période actuelle étant incertaine, l’enjeu pour les Dircoms et les COMEX est de parvenir à décider dans l’incertitude. Pour cela, ils investissent moins dans l’action mais un peu plus dans le décryptage (avant l’action) et dans la mesure de la performance (après l’action) : le fameux « moins mais mieux ». Chaque action de communication doit être mesurée, évaluée pour maximiser ses effets. Il en va de même en matière de communication interne. Le corps social des entreprises a été mis à rude épreuve, la ligne managériale a vécu un véritable traumatisme. Prendre le pouls, mesurer l’état des forces a généré de nombreuses missions pour Occurrence…

Nous sommes donc peu impactés pour le moment. Je le dis sans fanfaronner et avec humilité car l’année 2021 sera le véritable juge de paix… Cette crise demande à nos organisations de courir un marathon, pas un sprint ni même un 5 000 mètres.

Néanmoins, cette crise vient nous questionner sur notre utilité comme toutes les entreprises de tous les secteurs. Sommes-nous suffisamment essentiels pour être conservés dans les budgets des directeurs de la communication ? Réponse dans un an.

Marion Darrieutort : Nos métiers de la communication ont été effectivement impactés. Mais à regarder la situation du personnel soignant, des personnes travaillant dans les Ehpad, et tous ceux qu’on appelle les métiers de première ligne, cela m’amène à relativiser notre propre situation…

A titre personnel, la situation de 2020 a généré chez moi une immense introspection sur la façon dont j’avais envie de travailler, dont j’avais envie d’exercer mon métier, dont j’avais envie d’accompagner mes clients. Car très vite, j’ai eu la certitude qu’il y aurait pour moi un « avant » et un « après Covid-19 » à titre professionnel, car j’avais fondamentalement besoin de nouveauté, d’une bascule, d’une réinvention pour m’inscrire dans une situation qui est prévue pour durer.

Et puis surtout, cette crise a excité et titillé mon instinct d’entrepreneure. Je pensais être « guérie » de l’entrepreneuriat, mais non ! C’est comme un virus (un bon !) qui ne vous quitte pas. Donc 2020 m’a donné l’envie de RE-entreprendre, pour me remettre en risque, pour sortir de ma zone de confort, pour inventer mon futur professionnel, pour me consacrer uniquement à ce que j’aime faire…

C’est ainsi qu’en fin d’année, The Arcane a vu le jour. Un cabinet de conseil en gouvernance et en influence né au cœur de la crise et qui compte aujourd’hui 12 collaborateurs trois mois après son lancement, tous animés d’une réelle audace, d’un esprit de conquête impressionnant, d’une « niaque » entrepreneuriale. Je leur ai transmis mon virus et, ensemble, je sens que l’on peut déplacer des montagnes.

Le BrandNewsBlog : Outre le secteur de l’évènementiel, lourdement sinistré, et ceux de l’impression et du marketing direct, 2020 a aussi été une annus horribilis pour les agences de pub et de com’. Celles-ci ont été plus questionnées que jamais, dans leur modèle et leurs pratiques, avec notamment ces affaires de harcèlement dévoilées par le compte @BalanceTonAgency. Le refus d’une partie de la profession d’envisager toute régulation supplémentaire de la publicité, même au nom de la protection de l’environnement a également été pointé du doigt… Faut-il y voir uniquement les effets de la crise ou bien la fin d’une époque ? Le modèle traditionnel d’agence a-t-il vécu ?

Marion Darrieutort : Une fois encore, c’est vrai que notre filière n’a pas été épargnée cette année, entre la crise sanitaire, la crise économique, la crise de sens, les remises en cause sur nos pratiques et la dénonciation de notre empreinte supposée négative sur la société…

Tout arrive « en même temps ». Pour nous comme pour d’autres. Comme n’importe quel secteur, nous sommes aussi questionnés sur notre impact sociétal. Comme n’importe quel secteur, il ne s’agit plus simplement de corriger nos « externalités négatives », via une politique RSE normalisante… Comme n’importe quel secteur, nous devons réfléchir à la façon dont nous pouvons avoir un impact positif sur la société et l’économie. Et c’est une opportunité unique de nous réinventer pour retrouver un nouveau souffle.

Mais c’est certain, c’est difficile et cela prend du temps car les pratiques, les modèles, les habitudes, les mentalités sont ancrés depuis très longtemps, et il existe une vraie résistance au changement. Mais la profession a pris acte de ces interpellations et est en train de prendre à bras le corps ce qui doit être un progrès positif pour nos métiers. Les plus jeunes ont raison et doivent continuer de nous interpeller, nous challenger, nous questionner, car ils nous offren une chance immense d’évoluer et de nous adapter.

Assaël Adary : Revendiquer que la communication est un secteur utile, utile à la société, oblige à s’interroger sur nos propres pratiques, à faire notre propre introspection. Et cette thérapie, cette séance collective chez le psy, nous la vivons à dire vrai depuis au moins cinq ans…

Que l’on évoque la question des harcèlements, du respect des diversités, de la compatibilité entre nos métiers et la transition écologique, notre secteur est violemment questionné sur sa responsabilité sociétale. Selon moi, ces sujets ne sont pas isolés. Ils convergent, ils viennent en un faisceau unique éclairer le côté obscur de nos pratiques, de nos comportements et viennent violemment heurter notre raison d’être.

Cette situation est grave pour au moins deux raisons majeures : notre secteur risque de voir ses pratiques être drastiquement régulées. L’opinion puis la Loi peuvent nous interdire de faire ce que nous faisons de la manière dont nous le faisons, le fameux « licence to operate ». La deuxième raison est l’attractivité de notre secteur… Faire venir et conserver les talents devient très compliqué dans un secteur pointé du doigt. Perdre le respect de ses partis-prenantes équivaut à un bannissement qui peut constituer le début d’un cercle infernal : moins de talents, moins de qualité, moins de reconnaissance, moins de ressources, donc moins de moyens pour engager et conserver nos talents.

En revanche, je n’y vois pas de fatalité ni même une toxicité systémique. Non, notre secteur n’est pas dans sa globalité pourri, gangréné, sans foi ni loi, sans conscience humaniste.

Dans les différentes associations dans lesquelles je suis engagé, autant je milite pour que collectivement on soulève le tapis, que l’on se confronte à la réalité et surtout que l’on solutionne un par un nos dysfonctionnements, autant je ne plaide pas pour « renverser la table »… Pour proposer une grille de lecture sur les solutions, il faut en effet selon moi découper le sujet en trois chapitres : la loi, la déontologie et l’éthique.

La loi s’intéresse de plus en plus à notre secteur et nous attendons la loi de la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili : quelle sera l’ampleur de la nouvelle régulation ? Parfois, il faut le dire, notre secteur est une cible facile. Il est plus simple d’interdire la publicité en faveur d’un secteur polluant par exemple plutôt que d’interdire ou de restreindre l’activité du secteur en question. Néanmoins, il faut lire le rapport piloté par Thierry Libaert et Géraud Guibert, pour lequel j’ai eu l’honneur d’être auditionné : « Publicité et transition écologique », et prendre connaissance des 23 propositions formulées.

La loi n’intervient souvent que lorsqu’un secteur ne parvient pas à s’auto-réguler. On se souvient du séisme de la loi Sapin en 1993 ou plus récemment du RGPD.

Sur le plan de la déontologie, je crois que notre secteur est bien armé, et même trop. Nous avons beaucoup de chartes, trop de chartes. Or nous ne sommes pas un « ordre » comme les médecins ou les experts-comptables, la déontologie sans possibilité de condamner ceux qui ne la respectent pas est vaine. Elle perd tout son sens et son poids. Evidemment, il y a l’ARPP qui abat un gros travail. L’ARPP qui œuvre pour un secteur publicitaire loyal, véridique et sain devrait, pourrait faire encore davantage en intégrant TOUTES les formes de communication et pas uniquement la publicité.

Il faut nous organiser sur le front de nos pratiques, remettre l’utilité sociétale au centre de notre jeu. Proposer pour chaque problème ou chaque nuisance que nous occasionnons des solutions, des compensations et si possible évidemment en amont des résolutions pour les éradiquer durablement. Par exemple, citons l’initiative depuis deux ans de la ligne d’écoute 100% dédiée au harcèlement moral et sexuel dans le secteur de la communication, une initiative de Com-Ent à laquelle plusieurs associations se sont associées. Rappelons le numéro : 0800 100 334 !

Enfin, arrêtons-nous sur l’éthique. L’éthique parle à chaque individu. Elle revient à questionner l’intime de chaque communicant. Pourquoi fais-tu ce que tu fais ? Dans quelques semaines, Com-Ent va lancer une initiative sur l’éthique du communicant, une démarche novatrice qui sera relayée par de nombreuses écoles et associations.

Pour prendre de la hauteur, l’enjeu pour notre profession dans sa globalité, aux bornes de nos métiers, est quel imaginaire collectif nous souhaitons propager pour notre société ? La consommation comme chemin du bonheur ? La sobriété heureuse de Pierre Rabhi ? Une vision équilibrée, raisonnable ? En cohérence avec notre choix collectif, nous attirerons les talents de demain.

Le BrandNewsBlog : En quittant fin 2020 la direction d’une agence reconnue, et en décidant de créer cette nouvelle structure (le cabinet The Arcane), vous dites Marion avoir fait le choix de la réinvention, pour profiter pleinement des opportunités de la période de transformation que nous vivons. En quoi est-il si important de savoir quitter sa zone de confort et de faire le choix de l’audace, en période de crise ? N’est-ce pas justement pour tourner le dos au modèle traditionnel d’agence, dont nous venons de parler, que vous avez choisi un modèle hybride, entre cabinet de conseil et agence de com’ ?

Marion Darrieutort : Tourner le dos, pas forcément, car il ne s’agit pas non plus de renier l’essentiel de cette vie professionnelle qui m’a permis d’écrire, avec mes équipes, de vrais succès avec ELAN, en mode entrepreneure, puis avec Elan Edelman, en mode intrapreneure.

En revanche, je crois fondamentalement que le modèle traditionnel d’agence rencontre des limites en effet. Le modèle de développement fondé sur le volume est-il vraiment tenable ?

A mes yeux, cette course à la croissance, aux ratios financiers, au +X% à chaque fiscal year n’est pas tenable : elle implique forcément des sacrifices pour les collaborateurs, qui finissent par vivre une perte de sens, par ressentir une pression du delivery qui peut amener à ne plus aimer leur métier…

Et les clients le ressentent, se plaignent… tout en entretenant parfois eux-mêmes cette course infernale… La question est donc de voir comment on peut être plus dans un modèle de valeur. Je cherche la bonne recette ! Cela serait un modèle composé du mode cabinet de conseil pour sa rentabilité, du mode agence pour sa capacité d’idéation, et du mode de coopérative pour l’attention portée au capital humain. Bref, c’est une quête qu’on va en effet essayer de mener chez Arcane.

Le BrandNewsBlog : Et pour vous Assaël, en ce qui concerne les études en marketing et en communication, quelle est la tendance en ce début 2021 ? Les entreprises et les institutions maintiennent-elles leurs budgets et continuent-elles d’investir ? Et si oui, sur quels types de sujet ? Quelles sont leurs préoccupations après plus d’une année de crise ?

Assaël Adary : Le secteur a été impacté assez frontalement et assez durement. Un de nos leaders, BVA, par exemple, est passé par une phase de faillite avant de rebondir, ce qui est une bonne chose pour notre secteur. Néanmoins, la tendance est plutôt positive : les annonceurs investissent moins dans leurs actions mais davantage dans leur monitoring.

C’est le fameux « Mieux vaut moins, mais mieux » prononcé par Lénine en 1923.

Mais les annonceurs comprennent que ce n’est pas en pleine tempête qu’il faut abandonner son sextant, son GPS, bref tout ce qui permet à un Dircom de naviguer sans trop de dégâts.

Trois sujets sont en haut des préoccupations :

  • La prise de pouls du corps social. L’interne devient ou redevient le centre des attentions et c’est une très bonne chose. Nous enchaînons les mesures sur l’état du climat interne, l’état psychologique des collaborateurs (la QVP et les RPS). En premier lieu, celle du management intermédiaire, qui semble être la strate la plus déboussolée par la situation.
  • La mesure de la réputation. Notamment pour les entreprises ayant posé une raison d’être avant la crise, qui aujourd’hui se questionnent sur la perception par leurs parties-prenantes de la réalité de cette singularité. La crise constitue un véritable test des raisons d’être.
  • Enfin, les études d’opinion, assez classiques. Les entreprises doivent aujourd’hui réinitialiser toutes leurs données sur les besoins, les attentes de leurs publics. Chaque secteur est touché, bousculé, car le regard des consommateurs/citoyens change (durablement ? On ne le saura que plus tard). Les entreprises doivent rebâtir une grande partie de leur base de connaissance de leurs publics.

Le BrandNewsBlog : Nous en échangions tous les deux en fin d’année dernière Marion, malgré (ou à cause de) la crise sanitaire, les communicant.e.s ont su se réinventer et innover, en adaptant leurs organisations et leurs modes de fonctionnement, en produisant de nouveaux formats et contenus créatifs à « ISO budget », en accélérant encore la digitalisation et la dématérialisation, en informant de manière sobre et factuelle et en trouvant les bons canaux de com’, en apportant du sens, du lien et du « care ». N’est-ce pas encourageant pour l’avenir de la filière com’ ? Quels sont encore les progrès et à accomplir, et quelles limites au « tout-digital » dans nos métiers ?

Marion Darrieutort : J’ai en effet été bluffée par la façon dont la profession, toutes disciplines de communication confondues, s’est saisie de la crise pour innover et inventer, alors même que les contraintes financières et opérationnelles sont vraiment complexes.

Les services et agences évènementielles se sont convertis à marche forcée aux formats digitaux, en devenant des maisons de production, créant des contenus de qualité. Le social media s’est mis en mode « social selling », avec beaucoup de résultat.

La communication interne a joué avec succès la carte de l’employee advocacy… Donc oui, c’est encourageant. Il n’y aura pas de retour en arrière, et le digital restera majeur. Mais les marques et les entreprises vont avoir besoin de préparer l’après, le « back to normal »… Il y aura une envie de retrouvailles que les agences événementielles vont pouvoir adresser. Il y aura aussi une rationalisation du recours aux influenceurs, car on a pu en constater les excès. Et il y aura l’émergence d’une « nouvelle publicité » dont on commence seulement à voir émerger les contours.

Assaël Adary : Attention au tout digital, nous en voyons les limites actuellement : la saturation. Par ailleurs, tant que le digital n’est pas pleinement engagé dans une démarche de réduction de son empreinte carbone, il n’est pas du tout synonyme d’engagement écologique. Digitaliser des campagnes plutôt que de faire du print génère plus d’impact pour la planète (cf. les données de l’ADEME, par exemple le document La face cachée du digital).

Sur ce sujet, il faut regarder les contenus de Digital For The Planet, une association que soutient Occurrence.

Enfin, n’oublions pas qu’en France, 20% environ de nos citoyens ont un accès très compliqué aux interface digitales, c’est ce que l’ex-ministre Mounir Mahjoubi appelait « l’illectronisme »… Donc « care » et digital ne sont également pas synonymes. Il en va de même pour la communication interne. La digitalisation des dispositifs de communication conduit très souvent à couper des pans entiers de collaborateurs qui se retrouvent sans un accès simple à l’information. Nous le constatons dans nos études : les journaux envoyés au domicile bénéficient de taux de lecture de plus de 80% alors qu’une newsletter interne est performante quand elle parvient à être ouverte par 30% des collaborateurs.

Mais il ne s’agit pas de renier l’apport digital. L’affirmation que je défends est la suivante : le care, le sens, la créativité doivent être au service de la performance de la communication ; c’est-à-dire au service du récepteur, de l’audience, des publics. Le premier enjeu pour un communicant est de se soucier, de considérer son ou ses publics et de produire des contenus dans les formats qui permettent le plus large accès, qui maximisent son attention et qui génèrent de la crédibilité.

Le BrandNewsBlog : Pour en avoir discuté avec l’un et l’autre à plusieurs reprises en 2020, vous soulignez que la crise a donné une épaisseur stratégique et une reconnaissance inédite aux marketeurs.euses et aux communicant.e.s en entreprise. Mais pour développer encore cette reconnaissance, vous insistez sur le fait que les professionnels doivent se mettre encore davantage au service du business, et développer leur ancrage stratégique et sociétal. Pourriez-vous expliciter ces points ? En quoi et comment renforcer encore la dimension commerciale et business ?

Assaël Adary : Simon Sinek, le fameux créateur du « Start with Why », a parfaitement défini le sujet. Les consommateurs n’achètent pas « ce » que vous fabriquez, ni même « comment » vous le fabriquez mais ils achètent le « pourquoi » vous le fabriquez. Ce qui distingue la réussite insolente d’Apple et sa rentabilité face à d’autres groupes de la tech, c’est qu’ils vendent leur raison d’être directement dans leur produit, et cela sans changer de cap depuis l’iconique campagne de 1984 pour le 1er Macintosh.

La raison d’être se confond avec la raison de faire et la raison d’avoir : tout en un.

L’entreprise fait ce que lui dicte sa raison d’être, ni plus ni moins. Elle rend visible, palpable sa raison d’être dans ses produits. Et le consommateur veut posséder une partie de cette raison d’être même si ce n’est que dans une paire d’AirPods. Et tout cela avec une marge colossale car la marque est si puissante qu’elle génère ce que les financiers anglosaxons appellent le Goodwill : une sur-valeur, la valeur de la marque. Les consommateurs sont prêts à payer plus cher pour « avoir » une partie de cette raison d’être, je dirais même pour « en être ».

La marque est donc bien un énorme booster du business et plus encore de la rentabilité ! Elle accélère les ventes et maximise les profits. La marque est le principal actif d’une entreprise. La marque représente bien souvent plus de 60% de la valeur d’une entreprise.

Quand Kering (à l’époque PPR) rachète le groupe PUMA, la valorisation et in fine le chèque représentent le double de la somme des actifs matériels. Pourquoi ? Car la marque vaut autant à elle seule que tous les actifs matériels réunis.

Et qui protège, fait fructifier cet actif au-dessus de tous les autres ? Les communicants et les marketeurs ! Je propose donc que tous les communicants revendiquent une prime indexée sur la valeur immatérielle de la marque de leur entreprise :) C’est dans la marque que vient se révéler la vérité du business et la véritable adéquation sociétale de l’entreprise. Le pilotage de la réputation est l’affaire des communicants, ils sont donc au cœur du business.

Marion Darrieutort : Nous les communicants devons revendiquer que la communication est une fonction stratégique de la gestion d’une entreprise.

Nous ne sommes pas que les experts des « bons tuyaux » (site web, presse, réseaux sociaux…). Notre métier apporte une vraie valeur ajoutée aux enjeux de compétitivité. Donc nous devons être invités à la table des comités exécutifs pour éclairer les discussions qui portent sur les évolutions business de l’entreprise.

Nous sommes capables de plugger du « software » à du « hardware » car nous avons une réelle compréhension des mutations sociétales, nous sommes capables de capter des signaux faibles qui vont impacter l’avenir d’une entreprise et nous sommes en lien avec de nombreuses parties prenantes.

La communication comme fonction stratégique est en train de s’installer, on peut s’en réjouir. Notamment quand on voit les communicant.e.s prendre des fonctions davantage business (directeurs de business units), des fonctions transversales (direction de l’innovation, directeur de l’éthique), ou encore des fonctions de pilotage managérial (secrétaire général).

Le BrandNewsBlog : Je viens de mentionner l’importance du « care » et de développer l’ancrage sociétal des entreprises et des marques, qui n’ont cessé en 2020 de chercher à démontrer leur utilité… Comment les communicant.e.s peuvent-ils y contribuer ? Et comment concilier les objectifs business de relance ou de reconquête, que nous venons d’évoquer et ce souci accru de l’environnement et de l’engagement sociétal : les deux objectifs sont-ils réellement compatibles ? Et si oui à quelles conditions ?

Marion Darrieutort : 2020 a vu l’émergence de nombreuses marques et entreprises qui ont décidé de s’engager pour apporter une contribution à la résolution de la crise.

Certains y ont vu de l’opportunisme. Moi, j’y vois de la sincérité, en tout cas j’ai envie d’y croire et de toutes façons, ça fait du bien à tout le monde !

Les marques et les entreprises entrent de plain-pied avec cette crise dans l’ère de l’engagement. Et je pense que l’engagement est un vrai levier de la résilience. S’engager, cela permet d’oublier un traumatisme, d’avancer, de construire, de tourner une page. Alors oui, il faut concilier tout cela avec les enjeux de performance et les impératifs business. C’est tout le challenge. Mais je pense que nous sommes dans une époque où c’est le sens de l’histoire que les engagements sociétaux soient des leviers de performance financière et extra-financière.

Assaël Adary : C’est la question qui est frontalement posée à notre secteur, et il serait trop facile de dire qu’elle n’est posée qu’à la publicité. Comment concilier la transition écologique et nos activités de communication ? Et au-delà du cataclysme du climat qui demeure la mère de tous les combats, comment les concilier avec toutes les autres batailles sociétales : la diversité, l’égalité des chances, la précarité, etc. ?

La communication doit s’attaquer à cet Himalaya par deux faces.

Le premier chemin est très opérationnel, plus simple, mais il va demander des efforts réels. Il s’agit de changer fortement nos pratiques, notre manière de faire. En premier lieu, intégrer l’éco-socio conception dans 100% de nos réalisations. En matière de print, d’événementiel ou dans le digital, plus aucune production sans ces deux enjeux d’éco-socio conception !

J’associe socio- à éco- pour ne jamais oublier que la fin du monde et la fin du mois sont des questions indissociables …Faire un support qui génère 0 émission de carbone est formidable mais si pour le produire vous payez vos freelances à 200 jours fin de mois en les plaçant en situation de précarité, vous n’êtes clairement pas socialement engagés !

Le deuxième chemin, beaucoup plus transformatif, presque politique et plus idéologique, consiste pour la communication à modifier son logiciel de fonctionnement et à proposer à la société un nouvel imaginaire du bonheur. Aujourd’hui, bonheur rime avec croissance, accumulation, consommation et soyons honnêtes, la communication, pas seule certes, a fabriqué cet imaginaire depuis des décennies.

Serons-nous capables de construire et de propager un autre imaginaire ? Une agence sera-t-elle en capacité économique de refuser un client qui ne correspondrait pas à cet enjeu ? Un Dircom sera-t-il capable d’avoir assez d’influence pour infléchir certains messages ou contenus dans ce sens ?

Plus notre secteur sera fort et légitime, plus nous pourrons peser dans cette transformation durable.

Le BrandNewsBlog : Dans la dernière édition du Communicator Assaël, vous consacrez une place toute particulière à la communication responsable. Quels en sont les principes ? En quoi est-elle si importante et liée également aux engagements environnementaux et sociétaux des entreprises ?

Assaël Adary : La communication responsable n’est pas un concept nouveau, j’avais déjà introduit cette notion dans le Communicator 8 et je milite pour ce sujet depuis 2010, notamment au sein de Com-Ent via l’application de la norme ISO 26000 aux métiers de la communication.

Sous l’impulsion de plusieurs associations professionnelles, nous avons créé cette boîte à outil. Elle existe depuis 2012 mais comme cela est expliqué dans cet article, elle est trop peu utilisée.

Bonne nouvelle néanmoins, cette pratique prend beaucoup d’ampleur depuis quelques années. Consécration, l’ADEME vient de publier (janvier 2020) un guide de 200 pages dédiées au sujet !

Concrètement, comment résumer la communication responsable ?

Elle repose sur trois piliers :

  • L’honnêteté des contenus : leur véracité (et oui les communicants doivent aussi être des fact-checkers, nous ne sommes pas que de tuyaux) ; leur authenticité ; leur intégrité (la dimension éthique et morale), par exemple la non-propagation des stéréotypes.
  • L’éco-socio conception de nos actions… donc pas uniquement la dimension écologique mais aussi sociale, comment nous payons nos fournisseurs, organisons nos appels d’offre, comment nous intégrons dans nos arbitrages les choix et les normes RSE
  • L’écoute des parties prenantes dans les processus de création et de production des contenus de communication.

Il s’agit ni plus ni moins de poser les bases de l’utilité de la fonction communication. Avant de soutenir l’utilité des marques, de persuader les publics de la réalité de la raison d’être des entreprises, la communication doit déjà démontrer et amplifier sa propre utilité !

La communication responsable est certainement le nouveau logiciel de fonctionnement de nos métiers, celui qui nous permettra de repenser nos pratiques pour plus d’utilité sociétale et certainement aussi celui qui nous permettra de rendre plus attractifs nos métiers pour les jeunes générations !

Le BrandNewsBlog : 1) Continuer à informer, 2) maintenir le lien avec les différents publics et les parties prenantes, 3) Démontrer l’utilité de sa/ses marques sont les 3 priorités les plus cités par les communicant.e.s pour 2021. Et pour se faire, se montrer à la fois « agiles » et « frugaux », « malins » et « responsables », tout en se mettant davantage encore au service du business et de la stratégie sont les pistes qui font consensus. Etes-vous d’accord sur ces leviers de résilience pour 2021 ? Auriez-vous d’autres conseils à donner aux communicant.e.s et marketeurs.euses pour les mois à venir ?

Assaël Adary : Pour plagier Pierre Rabhi, il va nous falloir inventer de nouvelles pratiques dans le cadre d’une sobriété heureuse. Nous entrons pour au moins pour 12 ou 24 mois dans une forme de frugalité des moyens, c’est une certitude.

Pour moi, la résilience passera surtout par l’efficience ! Il va falloir questionner chaque investissement en communication au travers de son « rendement », de sa performance, performance qui n’est pas qu’économique, elle peut être sociétale !

« Performance » va devenir le suffixe de tous les autres qualificatifs : malin ET performant, responsable ET performant.

J’y vois une véritable opportunité pour les communicants de reprendre la main sur leur stratégie : mieux arbitrer, mieux allouer des ressources en baisse, jouer pleinement son rôle d’expert et de conseil, être en capacité de dire « non » à certaines injonctions, etc.

Bref, nous sommes peut-être à l’aube d’une fonction communication plus mature, encore plus experte, plus responsable, plus reconnue et légitime. Et si cette crise produit ces effets, elle n’aura pas été totalement vaine…

Marion Darrieutort : Tous ces leviers sont très pertinents. Et c’est déjà un beau programme !

J’ajouterais peut-être le fait d’oser sortir des clous, de faire le pas de côté, d’accepter parfois d’être dans une logique de « coups » pour être un peu moins dans le tout scolaire, processé, planifié…

Car dans les périodes de crise, tout bouge : les lignes, les positions, les postures… Et il faut surveiller ces mouvements car il y a parfois des places à prendre dans les petits espaces qui se libèrent.

 

 

Notes et légendes :

(1) Marion Darrieutort, fondatrice du cabinet ELAN, puis Présidente de l’agence ELAN Edelman, a récemment créé fin 2020 le cabinet The Arcane. Ardente avocate, depuis des années, de l’engagement sociétal des entreprises et des marques et passionnée par les questions de raison d’être et de brand purpose, elle est également co-présidente de l’association Entreprise & Progrès.

(2) Assaël Adary, personnalité également bien connue des communicant.e.s, est Président du cabinet Occurrence ; Secrétaire général de l’association de communicant.e.s Com-Ent ; Président des Alumni du Celsa ; auteur de nombreux ouvrages de référence sur la communication et co-auteur du célèbre Communicator, dont il a supervisé plusieurs éditions (dernière édition en date : Communicator 9).

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, Marion Darrieutort, Assaël Adary, The BrandNewsBlog 2021, X, DR.

Marketeurs et communicants : 7 bonnes résolutions pour 2021 !

Après plusieurs longues semaines de trêve éditoriale sur le BrandNewsBlog (rien de tel qu’une bonne « digital detox » hivernale pour démarrer la nouvelle année avec appétit), je ne pouvais évidemment reprendre la souris sans vous présenter mes meilleurs voeux pour 2021…

Tout au long de l’année 2020, nous avons tous expérimenté – et parfois durement éprouvé – une crise sanitaire inédite, dont nous commençons seulement à entrevoir l’issue, avec l’arrivée des premières doses de vaccins et la perspective d’une future immunité collective contre les différentes variantes de la Covid-19.

Qui l’eût cru ? A part quelques austères Cassandre, bien peu d’entre nous auraient pu imaginer en janvier de l’an dernier que cette pandémie dure plus d’un an, et nous plonge au passage dans un marasme sans précédent. Et bien peu également, pour être plus optimiste, auraient parié au deuxième trimestre 2020 sur la mise au point et la livraison aussi rapides de l’antidote sensé enrayer les progrès du virus.

Pour les marketeurs.euses et communicant.e.s que nous sommes, comme pour bien d’autres professionnels, l’année fut rude et presque constamment « sous tension », au gré des vagues successives de la pandémie et des épisodes de confinement et de déconfinement… Et si un certain nombre d’entreprises ont été particulièrement touchées, au point de mettre durablement leur activité à l’arrêt et leur personnel en chômage partiel, d’autres ont au contraire du se réinventer dans l’urgence, s’organiser et communiquer pour assurer l’approvisionnement de leurs clients ou faire face à de nouveaux besoins.

« Tendue » donc, en « mode crise permanente », mais également « intense », « hyper productive », « créative » et « psychologiquement épuisante », aux dires des marketeurs et des communicants que j’ai pu interroger durant toute cette période, 2020 aura aussi participé, qu’on se le dise, à la revalorisation de la dimension stratégique de la communication, à commencer évidemment par la communication interne.

Sans cesse aux avant-postes, pour « informer, maintenir le lien avec leurs publics, mais aussi démontrer l’utilité de leur organisation et de leur marque… », les professionnels de la com’ et du marketing ont en effet fait preuve d’audace et d’agilité comme jamais, réinventant leur métier sous la contrainte et s’appropriant de nouveaux outils, osant aussi de nouvelles modalités de travail et de collaboration…

Et pour 2021, me direz-vous ? A quoi s’attendre ? Quels nouveaux enjeux, quelles tendances… et comment communiquer efficacement ?

Vous l’aurez deviné, c’est à ces sujets que j’entends bien consacrer mes articles dans les prochaines semaines. Mais en attendant, conformément à une tradition qui m’est chère sur ce blog, je ne saurai commencer l’année sans vous proposer ci-dessous quelques bonnes résolutions marketing-com’ de mon crû… A découvrir en deux temps, ce dimanche et jeudi prochain, pour alimenter vos propres réflexions, éveiller votre curiosité ou vous accompagner en ce début d’année, au choix !

Bonne lecture donc, et du fond du coeur, tous mes vœux aux marketeurs.euses, aux communicant.e.s et à tous mes lecteurs.trices, pour une année 2021 à la fois créative, innovante et plus sereine. Et que l’inspiration vous accompagne et nous aide collectivement à répondre aux enjeux de ce nouveau millésime !

>> BONNE RESOLUTION N°1 : le présentiel et la proximité tu chériras, dès que tu le pourras…

« Cultiver le lien », « maintenir le lien », « renforcer la relation » avec les collaborateurs, les clients et les autres parties prenantes, tout en étant parfois ensemble et le plus souvent à distance… Comme un leitmotiv entêtant, les entreprises et les communicant.e.s auront tout fait en 2020 pour conserver la connexion la plus vivace possible avec celles et ceux qui leurs étaient les plus chers.

Et qu’on le veuille ou non, cet objectif a minima du b.a.ba communicant demeurera encore un des enjeux essentiels de l’année 2021, tant que perdureront les contraintes sanitaires avec lesquelles nous composons déjà depuis des mois…

Oh certes, obligation et accélération de la transformation numérique aidant, nous avons pu surmonter certaines de ces contraintes en un temps record, de manière parfois assez remarquable. Et su exploiter au maximum les outils de visioconférence et autres nouvelles modalités de travail collaboratif, pour ne citer que ces exemples.

Mais ainsi que l’exprimait encore récemment Gilles Fichteberg, cofondateur et directeur de la création de l’agence Rosapark¹, il subsiste encore moult activités, y compris de communication, qui ne peuvent s’exercer de manière satisfaisante à distance, par les seuls canaux numériques. Partir humer l’air du temps ; écouter la vibration de l’époque quand rien ne vibre plus ; aller à la découverte d’une expo ; brainstormer efficacement ; cultiver le pas de côté et la disruption, ou bien l’art de la rencontre imprévue et de l’échange inopiné ; mobiliser et engager une équipe, des collaborateurs ; partager autour d’une stratégie…

La période que nous vivons aura certainement eu le mérite de faire émerger durablement de nouveaux standards, de nouvelles pratiques et outils, mais sans doute aussi n’en apprécieront nous que mieux, une fois la crise sanitaire passée, les opportunités du présentiel, l’utilité des échanges physiques, l’attrait de la rencontre in situ. 

Et je gage pour ma part que les dirigeants d’entreprise, les commerciaux, communicants et marketeurs sauront aussi soutenir la filière évènementielle, si durement touchée en 2020, dès lors que les salons et autres évènements professionnels pourront de nouveau être organisés sans risque…

Il en va certes de l’avenir d’un secteur entier, de l’emploi de dizaines de milliers de professionnels et de métiers dans lesquels la France a souvent excellé, mais aussi d’un levier de communication et d’engagement toujours précieux pour les entreprises, ne l’oublions pas !

Et si le digital a fait d’énorme progrès ces dernières années, sur le terrain même de la relation clients/utilisateurs, grâce à l’UX, aux technologies immersives et à l’intelligence artificielle notamment, n’oublions pas les bienfaits d’un regard connivent, le pouvoir de la rencontre et l’émulation collective qui manquent aujourd’hui si cruellement à nos étudiants privés d’amphi… pour ne citer qu’eux.

>> BONNE RESOLUTION N°2 : la culture tu n’oublieras pas, quelle que soit sa forme

Oh certes, grâce aux confinements successifs partout dans le monde, les plateformes de streaming ont fait un carton en 2020… et continueront assurément de progresser en 2021.

Netflix se targuait ainsi, aux dernières nouvelles, d’avoir gagné 25 millions de nouveaux abonnés au premier semestre (+ 15 millions au premier trimestre, + 10 millions au second), atteignant à fin septembre le chiffre faramineux de 195 millions d’abonnés. Et gageons qu’avec la seconde vague de l’épidémie, l’entreprise californienne aura dépassé au dernier trimestre les 200 millions d’abonnés payants.

Tirant lui aussi son épingle du jeu, le monde du livre a su faire bonne figure, malgré une année en dents de scie. Privés de sortie durant le premier confinement, 29% des Français auraient lu davantage de livres et près de 20% en auraient acheté plus que d’habitude, une tendance confirmée dès la réouverture des librairies puis soutenue au deuxième semestre, grâce au « click and collect » notamment et au boom des liseuses électroniques.

Mais que dire du cinéma, des musées, du théâtre, de l’opéra et du spectacle vivant en général, frappés de plein fouet, comme l’hôtellerie-restauration par des couvre-feux mortifères ? Des pans entiers de la culture sont aujourd’hui menacés, et attendent également notre soutien, après avoir déployé des trésors d’imagination et d’innovation pour rester accessibles et offrir le cas échéant une expérience en ligne à leurs publics, comme ont si bien su le faire un certain nombre de musées et de compagnies théâtrales, notamment.

Mais quid de la réouverture des cinémas, des hauts lieux de la gastronomie, et de ces autres lieux de vie et de divertissement populaires que sont les cafés, bars et boîtes de nuit ? Si je ne suis guère inquiet pour les terrasses où l’on aura toujours plaisir à se retrouver, il est plus que probable que de nombreux lieux et institutions du jour et de la nuit ne rouvrent jamais leurs portes, comme une Atlantide à jamais engloutie par la Covid-19 et la désertion des publics, prompts à trouver de nouvelles distractions.

Alors là aussi, de grâce, dès qu’ils rouvriront, volons au secours de ceux de ces lieux et institutions que nous préférons : ils auront bien besoin de nous ! Et aux dircoms et entreprises mécènes qui me lisent : sachons nous souvenir que culture et communication sont étroitement liées, et que la première ne peut souvent prospérer sans le soutien actif de la seconde et l’appui éclairé des entreprises… Il en va de pans entiers de notre patrimoine !

>> BONNE RESOLUTION N°3 : des fake news et des faux prophètes tu te défieras…

Pardon d’être plus grave que les années précédentes, dans ces premières bonnes résolutions 2021. Il se trouve qu’outre l’apparition de contraintes inédites, 2020 nous aura aussi apporté, à grande échelle, la confirmation de tendances de fond et d’un certain nombre de déviances, dont nous avions déjà constaté l’émergence, mais dont nous avons pu mesurer cette année tous les effets délétères et les dangers.

Théories du complot, fake news, instrumentalisation de l’information à des fins militantes ou politiques, manœuvres de déstabilisation : jamais autant qu’en 2020 les faits et chiffres n’auront été tordus et malmenés, au gré des intérêts et croyances des uns et des autres.

Dans ce contexte, « dire le vrai » de la manière la plus neutre et la plus factuelle, ou bien rétablir tout simplement la vérité, quand les fake news circulent 6 fois plus rapidement et plus loin que les vraies², relève tout simplement de la gageure… et devient à mon sens un des points d’attention critiques – je dirais même une co-responsabilité citoyenne – des journalistes et des communicant.e.s.

Comme beaucoup d’entre-vous en effet, j’ai notamment été frappé fin 2020 par le succès fulgurant du film complotiste « Hold-up », dont les ressort émotionnels ont été largement décryptés depuis sa sortie (notamment dans ce bon article du journal L’Echo). Surfant sur l’angoisse bien légitime générée par la pandémie de Covid-19, mais également sur l’incertitude et les informations contradictoires concernant le virus, l’incurie et les erreurs des gouvernements ainsi que les nombreux désaccords et controverses au sein de la communauté scientifique, les théories conspirationnistes et autres discours antivaccins ont prospéré sans réel contrepoint, ni contradicteurs réellement audibles, ainsi que l’analysait récemment Olivier Cimelière, dans ces deux articles successifs : « Pourquoi la communication reste le meilleur vaccin antivax » et « Crise du Covid-19 : la communication sanitaire est une clé de voute essentielle… mais pas improvisée ».

Hélas, trois fois hélas, par leurs désaccords et leurs incertitudes (certes compréhensibles), mais aussi du fait de guerres intestines et de quelques conflits d’ego, les représentants de la sphère scientifique et médicale furent loin d’être exemplaires…

Et, pour ne citer que lui, on ne peut être qu’être étonné de l’indulgence voire du soutien inconditionnel affiché encore aujourd’hui envers le professeur Raoult – aux affirmations pourtant maintes fois contredites par les faits – par ceux-là mêmes qui se montrèrent et se montrent toujours les plus intransigeants envers les erreurs (certes nombreuses ;) des autorités.

Comme quoi, être catalogué « anti-système » vaut tous les diplômes et tous les certificats de vertu, aux yeux de celles et ceux qui recherchent davantage dans les infos la confirmation de leurs propres opinions que la manifestation de la vérité en tout cas ;-)

>> BONNE RESOLUTION N°4 : Sur les mots et les maux de l’année 2020 tu te retourneras…

« Covid-19 », « pandémie », « virus », « confinement », « couvre-feu », « distanciation », « tests », « masques », « soignants », « hydroxychloroquine », « vaccins »… Evidemment, dans son génial palmarès des mots de l’année écoulée, dont je ne manque jamais de faire écho sur ce blog³, l’experte du langage Jeanne Bordeau a ménagé une large place au lexique issu de la crise sanitaire.

Dans cette année qui n’aura ressemblé à nulle autre autre, c’est en effet à une véritable avalanche de mots, et à l’irruption de milliers de mots nouveaux, qu’on a assisté dans notre vocabulaire et dans les médias, témoignant du caractère exceptionnel et de l’intensité d’une crise sans précédent.

Profondément impactées, parfois sens dessus-dessous, les sphères économique, politique et sociale, n’auront pas échappé à ce tsunami  lexical, lourd de l’incertitude, des tensions et des angoisses de l’époque. Ainsi, à côté des termes vedettes « plan de relance », « télétravail » ou « visioconférence », notre économie en berne aura été maladroitement divisée entre « activités essentielles » et « non  essentielles », tandis que la violence s’insinuait dans les champs sociétal et politique, avec la montée des « violences conjugales », la dénonciation des « violences policières » mais également des « casseurs » et des « black-blocks ».

La « haine en ligne », « l’insécurité » et « l’ensauvagement » auront été souvent évoqués, avec la résurgence des attentats à l’automne et de l’hydre du « terrorisme » et du « radicalisme », tandis que les « fake news » et autres « théories du complot » auront été omniprésentes, comme je le faisais remarquer dans la bonne résolution précédente.

Plus encourageants et agréables à l’oreille, les termes « verdir », « reverdir », « réparer », « vélo » et le néologisme « vélorution » témoignent quant à eux de la prise de conscience écologique de nos concitoyens, dans une année également placée sous le sceau de la « solidarité », des « élans solidaires », de « l’anti-racisme » et du mouvement Black Lives Matter…

On ne saurait aborder au mieux 2021 sans se replonger dans cette rétrospective lexicale 2020 particulièrement riche de sens, à réécouter avec bonheur dans l’interview ci-dessous, donnée par Jeanne Bordeau à Sud Radio…

>> BONNE RESOLUTION N°5 : L’esprit d’innovation et la volonté d’entreprendre tu conserveras

Lors de la dernière conférence « Tendances Communication », organisée fin novembre par l’institut Comundi et animée par votre serviteur*, nous avions eu la bonne idée de convier Marion Darrieutort, ex présidente de l’agence Elan Edelman et récente fondatrice du cabinet de conseil en communication The Arcane, pour notre keynote d’ouverture.

Invitée à s’exprimer sur l’année 2020, que j’ai qualifié d’emblée « d’année charnière », mais également sur les perspectives de l’année 2021 pour la filière marketing-com’, Marion nous insuffla à tous une grande bouffée d’énergie et d’optimisme. Nous démontrant d’abord en quoi la crise sanitaire et ses contraintes ont agi en quelque sorte comme un « wake-up call » salutaire pour notre filière, mise en demeure d’innover et se transformer pour faire face aux nouveaux enjeux, elle souligna les réussites et les progrès évidents accomplis ces derniers mois par les marketeurs.euses et communicant.e.s, qui ont su informer utilement leurs publics, trouver les canaux les plus adaptés voire de nouveaux outils, multiplier les formats pertinents, et apporter du sens tout en consolidant les liens dont je parlais en introduction…

Marion nous exhorta ensuite à l’audace et à la prise de risque, dont elle a elle-même su faire preuve en fin d’année 2020, en quittant une situation confortable et une agence reconnue, pour repartir de zéro et relever de nouveaux défis. Une décision et un choix personnels, certes, mais également dictés par ce qui lui est apparu comme un impératif au fil des mois et de la crise sanitaire : la nécessité de se réinventer, d’accompagner la transformation de nos métiers en en saisissant toutes les opportunités.

A ce titre, Marion insista sur l’importance de tirer tous les enseignements des mois écoulés : être plus que jamais à l’écoute d’un monde incertain ; demeurer agiles et frugaux, au besoin, pour rester connectés en temps réels aux besoins du business ; développer de nouvelles pratiques, plus vertueuses et éthiques ; et affirmer cette épaisseur et cet ancrage stratégiques de nos métiers, qui nous ont été reconnus plus que jamais pendant la crise, mais que nous devons conforter. Car c’est bien là que se trouve le salut de nos métiers : dans l’innovation et l’anticipation des grandes transformations de notre environnement et des besoins de nos publics.

>> BONNE RESOLUTION N°6 : A la découverte de nouveaux communicant.e.s et marketeurs.euses, mais également de nouvelles sources d’inspiration tu partiras

A défaut de pouvoir circuler complètement librement, de pouvoir nous réunir et d’échanger aussi souvent que nous le voudrions entre professionnels, garder le lien entre pairs et avec différentes sources d’inspiration demeure plus que jamais essentiel.

Comme je le fais chaque début d’année, je ne manquerai pas cette année encore de vous recommander la lecture de mes blogs préférés en communication et en marketing. Le blog du communicant d’Olivier Cimelière, Superception de Christophe Lachnitt (Superception) ou encore L’idée qui tue de Nicolas Bordas restent évidemment des références incontournables de qualité et de pertinence pour nos métiers.

Dans des thématiques et registres un peu différents, j’avais également mentionné l’an dernier La Saga des Audacieux de Mathilde Aubinaud, Mediaculture de Cyrille Franck, Le sens du client de Thierry Spencer ou encore l’excellent Management & RSE de Martin Richer, que je vous recommande de nouveau. Sans oublier les très bons blogs collectifs Les éclaireurs de la com’, We are com ou bien Siècle digital, pour ne citer que ce dernier dans les domaines du numérique et de la tech.

A ces précieuses ressources, on se doit d’ajouter quelques podcasts de référence : Superception, le rendez-vous bimensuel proposé par l’excellent Christophe Lachnitt en complément de ses articles de blog. Tous les podcasts disponibles à ce jour sont accessibles depuis cette page, et écoutables également sur toutes les grandes plateformes (Deezer, Spotify, iTunes, Overcast, Soundcloud…).

Sur le même concept d’interview d’un invité du marketing, de la com’, mais également d’entrepreneurs ou de patrons de la RSE, l’agence Bababam et Alice Vachet ont en 2019 lancé l’Empreinte, « un podcast qui s’intéresse à la révolution du sens » et se propose d’étudier comment les marques s’engagent et donnent du sens à leurs actions, en se montrant plus soucieuses que jamais de leur impact sur la société environnante… Toutes les interviews qui composent cette série, dont celles d’Eric Lemaire, de Frédéric Fougerat ou de Pierre Auberger sont accessibles sur cette page.

Enfin, pour achever ce tour d’horizon très parcellaire des podcasts marketing-com’, mais également tech et numérique, je citerai volontiers les émissions « Culture numérique » et « Futurs au pluriel » proposées par l’équipe de Siècle digital (> liens d’abonnement sur cette page) ; mais également les podcasts très réussis de Pierre-Philippe Cormeraie, Chief Digital Evangelist du groupe BPCE, sur les thème de la transformation digitale, de la com’ et du marketing notamment, à retrouver en live tous les matins à 7 heures 30 sur Twitter pour #BonjourPPC et une fois par semaine sur LinkedIn pour le #BrownBagLunchLive : un rendez-vous à ne pas manquer tous les lundi à 12 heures 30 !

Enfin, à celles et ceux qui rechercheraient des comptes référents de la communication et du marketing sur Twitter, je vous renvoie vers les listes de comptes que je n’ai pas manqué de proposer chaque début d’année sur ce blog, et dont la dernière édition en date est accessible ici : « 500 Twittos du marketing et de la communication à suivre en 2020 ».

Après 7 années consécutives d’actualisation et d’enrichissement ce cette shortlist qui n’en était plus vraiment une, j’ai annoncé l’an dernier que je ne produirai pas de nouvelle édition, en tout cas certainement pas cette année. Mais si vous faites partie des comptes mentionnés et que vous apercevez une erreur à corriger (compte supprimé, changement de nom ou de pseudo, changement de catégorie…), n’hésitez pas à me la signaler. Je m’efforcerai de la corriger dans les meilleurs délais dans l’article mis en lien ci-dessus.

>> BONNE RESOLUTION N°7 : Le BrandNewsBlog tu continueras de suivre en 2021 ;-) !

Bien que je n’ai pas publié très régulièrement ces derniers mois et que j’ai quelque peu disparu de la blogosphère au mois de décembre, je compte bien continuer à vous informer et à vous intéresser, avec de nouveaux sujets, en 2021.

Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, vous ne m’en voudrez pas de mentionner mon blog après les précieuses ressources que je viens de citer dans ma 6ème bonne résolution :)

Au programme des prochaines semaines et mois : un article sur l’évolution et les enjeux de la communication en 2021, des interviews bien sûr, un post approfondi sur l’univers du luxe… Je ne vous en dit pas plus : tout cela sera à découvrir très prochainement sur votre blog branding et communication !

Tous mes voeux encore à toutes et tous, et à très vite !

 

Notes et légendes :

(1) Gilles Fichteberg, co-fondateur de l’agence Rosapark, dans le cadre de son intervention « Crise sanitaire : une période qui nous pousse à être créatif ? » (Conférence d’actualité Tendances Communication du 24 novembre 2020)

(2) Etude 2017 du Medialab du MIT, menée par Sinan Aral, Deb Roy, Soroush Vosoghi, sur la base d’un corpus de 126 000 histoires partagées 4,5 millions de fois entre 2004 et 2017 sur les réseaux sociaux.

(3) Fresque des 1 000 mots de l’année 2020 – Rétrospective lexicale et artistique : une exposition exceptionnelle présentée par Jeanne Bordeau, le 14 janvier 2021 au campus Molitor.

* Conférence d’actualité « Tendances Communication » 2020, organisée par Comundi le 24 novembre 2020.

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