Les Français de plus en plus défiants, individualistes et hédonistes ?

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La dernière édition du Baromètre TNS Sofres des valeurs des Français, dont les résultats étaient repris et commentés cette semaine par la Revue des marques, est particulièrement instructive¹. Pour mémoire, le célèbre institut décrypte tous les deux ans l’évolution de la société française sur la base des notes attribuées par plus de 5 500 Français à quelques 210 mots et concepts clés.

Cette méthodologie originale, qui permet in fine de dresser une cartographie dynamique des valeurs auxquelles les Français sont le plus attachés (avec une indication des valeurs qui montent et de celles qui régressent), a le grand avantage de mettre l’accent sur des mouvements sociétaux de fond. A ce titre, les enseignements de ce baromètre sont toujours utiles et éclairants, pour les marketers et les communicants en particulier.

Et cette année, tout en s’inscrivant dans la continuité des éditions précédentes, marque néanmoins une inflexion importante dans la manière dont les Français appréhendent leur environnement… Perte des repères, développement du sentiment de risque, défiance généralisée vis-à-vis des formes d’autorité, individualisme exacerbé et désengagement des structures collectives, hédonisme et sur-expression de soi… figurent parmi les tendances « lourdes » qui ne manqueront pas d’influencer la consommation en 2015 et au-delà, ainsi que la manière dont les entreprises et les marques seront perçues.

Le BrandNewsBlog vous propose aujourd’hui de revenir sur ces enseignements, en vous livrant une synthèse de ces grandes tendances à l’oeuvre dans la société française, telles qu’identifiées par TNS Sofres…

1 – Une défiance généralisée vis-à-vis de toutes les formes d’autorité et vis-à-vis des structures traditionnelles

Ce sentiment de défiance vis-à-vis des formes d’autorité traditionnelles n’est ni un phénomène nouveau, ni une spécificité française. Il est né il y a près de deux décennies et n’a cessé de s’amplifier depuis dans les pays occidentaux en particulier, comme en témoigne année après année cette étude internationale de référence : le « baromètre de la confiance » publié et mis à jour par l’agence Edelman (=> en découvrir les principaux enseignements pour 2015 dans la présentation ci-dessous, ainsi que la synthèse qu’en livrait ici Olivier Cimelière en début d’année) :

 

De fait, sous la triple conjonction de la crise économique (fragilisation du travail, perte de pouvoir d’achat…), d’une crise sanitaire et écologique (fragilisation de notre cadre de vie) et de l’émergence des nouveaux risques (fragilisation du sentiment de sécurité, extension du terrorisme, développement de la cyber-criminalité…), la perception du danger devient d’autant plus omniprésente que les réponses apportées par les gouvernements successifs paraissent insuffisantes voire inadaptées.

La confiance dans les instances gouvernementales s’en ressent fortement, tandis que la défiance s’étend progressivement à toutes les formes d’autorité et aux structures traditionnelles : partis et personnalités politiques, administrations, médias et journalistes, entreprises et leurs dirigeants… Jusqu’au noyau familial lui-même, longtemps préservé, mais de moins en moins perçu par les Français comme une protection ou une « valeur refuge » aujourd’hui…

Conséquence : la perception d’un certain « chaos » semble se répandre à tous les étages, révélatrice d’un malaise social de plus en plus profond.

2 – Le retour en force de l’individualisme, par une « ré-individuation réactionnelle » 

Confrontés à ces incertitudes sur le monde qui les entoure et sur la pérennité du « modèle français », nos concitoyens ont une nette tendance à se désengager progressivement des structures collectives, pour se focaliser sur eux-mêmes et leurs proches.

Cette « ré-individuation réactionnelle », comme la qualifie TNS Sofres (car elle est le produit des évènements et de l’environnement et non volontaire), peut être synonyme de solitude et d’isolement. Plus positivement, elle apporte aussi un sentiment de libération : les Français ayant de plus en plus l’impression de pouvoir « jouer librement leur propre jeu » dans le désordre croissant de la société.

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Il en découle une forme d’optimisme très contrastée, comme le notent régulièrement d’autres études : pessimistes sur le plan collectif, les Français manifestent plutôt un optimisme « lucide et volontariste » pour ce qui concerne leur propre situation et leur avenir.

3 – Des Français de plus en plus hédonistes, à la fois joueurs et jouisseurs…

« Jouer et jouir à sa façon, l’assumer, le dire et le montrer », tels semblent être les nouveaux mots d’ordre, dans une société où les grands interdits semblent tomber les uns après les autres. Ainsi que l’explique Thibaut Nguyen, Directeur du développement de TNS Qualitative : « Parler et montrer son argent est admis, crier son identité sexuelle ou culturelle est libératoire. Coming out, selfies, braggies… On s’autorise à jouer avec les normes et on se ‘sur-exprime’ pour exister plus fort. »

Dans cette nouvelle quête individualiste et hédoniste, la « pulsion de vie » pousse parfois à l’extrême et le besoin de dépassement devient un thème récurrent.

Binge drinking, défis Facebook, « neknomination »², prise de possession de son corps (piercings, tatouages…) et fascination pour les émissions de survie du style Koh Lanta ou Man Versus Wild ne seraient que quelques-unes des différentes facettes ou illustrations de cette aspiration à vivre plus vite et plus fort son existence. Comme si chacun se préparait à affronter seul les hostilités des périodes à venir.

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4 – Et le fameux « vivre ensemble », dans tout ça ?? 

… Et bien il ne semble pas au mieux, à lire les conclusions de l’étude TNS Sofres. Et cela ne vous surprendra guère. De ce point de vue, le décalage semble de plus en plus énorme entre le volontarisme affiché par la classe politique (en tout cas une partie d’entre elle) et les réalités sociologiques et psychologiques de notre pays.

Comme le démontre en effet la vaste enquête de ce Baromètre des valeurs 2014, la nouvelle carte sociétale qui se dessine en France (comme dans d’autres pays) relève davantage du tableau pointilliste que d’une fresque d’ensemble. Les innombrables points de ce tableau représentant en quelque sorte autant de « micro-mondes » qui peuvent le cas échéant se superposer, chacun de ces micro-mondes correspondant aux pulsions individuelles ou locales de micro-communautés reliées par leurs opinions ou leurs centres d’intérêt.

Dans cette émancipation croissante vis-à-vis des structures sociales et entités « massifiantes », TNS Sofres n’identifie guère comme « ciment » social potentiel que les technologies elles-mêmes et Internet : suprême ironie !

« Outil de l’autonomisation et de la jouissance au présent », Internet est en effet ce vecteur qui permet à la fois d’entrer en contact et d’échanger, de consommer mieux et autrement, de se mettre en scène et se réaliser à titre personnel et professionnel, d’établir des alliances, de percevoir des avantages en termes de services (liés à la géolocalisation par exemple) ou de prendre des décisions dans un temps restreint…

Comme les « noeuds » du Web, et par la vertu d’Internet justement, on peut imaginer que les micro-mondes évoqués ci-dessus entrent en interrelation et se structurent, dessinant à terme une nouvelle société, plus horizontale car sans instance régulatrice ni décisionnelle centrale.

Dans cette projection (qui fait tout de même un peu froid dans le dos), les micro-mondes individuels ou micro-locaux seraient susceptibles de se généraliser, organisant leur propre mode d’action et de collaboration, prenant le pas sur les dernières grandes structures et organisations collectives qui encadrent encore aujourd’hui notre quotidien.

Bref : une « micro-révolution en marche », en quelque sorte, avec de macro-conséquences à prévoir sur notre façon de vivre et de percevoir le monde d’ici quelques années…

 

 

Notes et légendes :

(1) Le Baromètre des valeurs des Français 2014 : Moi, Beau et Méchant ! par Thibaut Nguyen, Revue des marques n°90 – avril 2015.

=> cet article revient sur les résultats du Baromètre des valeurs des Français 2014, publiés par TNS Sofres fin 2014.

(2) Neknomination : jeu mettant en scène la consommation de boissons alcoolisées sur Internet.

 

Crédits photos et illustrations : 123 RF, X, DR – TNS Sofres / The BrandNewsBlog 2015

 

La communication et les communicants dans une mauvaise passe ?

Les communicants sont-ils en train de devenir les têtes de turc préférées des politiques et de l’opinion ? Si l’on se fie à un certain nombre de signaux convergents et aux analyses éclairantes de quelques observateurs avertis, il semblerait que oui.

Il faut dire qu’après l’onde de choc de l’affaire Bygmalion, la tentation est forte de faire l’amalgame : « méthodes de ripoux = habitude de tout communicant = tous pourris » et de désigner l’ensemble d’une profession à la vindicte populaire. Les politiques eux-mêmes, bien que friands des conseils des communicants et à l’origine de nombreuses déviances, n’ont pas hésité à reprendre à leur compte les critiques les plus virulentes, en réclamant par exemple avec plus ou moins de discernement une réduction des effectifs de communication au sein des administrations et des entreprises.

C’est pour éviter de sombrer dans ce genre de démagogie et dénoncer les pratiques d’une poignée de « gourous » et autres « spin doctors » que des professionnels tels que Jean-Luc Letouzé ou Olivier Cimelière ont jugé bon de monter au créneau*… Le BrandNewsBlog ne pouvait qu’approuver leurs coups de gueule et contribuer au débat…

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Les pratiques (aussi condamnables soient-elle) de quelques acteurs ne peuvent suffire à condamner une profession…

L’affaire Bygmalion recèle tous les ingrédients d’un mauvais polar communicant. Une agence évènementielle peu regardante sur la loi et les questions d’éthique, un candidat en quête de fonds pour terminer sa campagne, un parti politique et des dirigeants a minima complaisants, de grandes entreprises naviguant en eaux troubles et une cohorte de « seconds rôles » aux responsabilités encore à déterminer… Bref : une bonne dose de magouilles mâtinées de mensonges et autres trahisons, le tout dans une parfaite opacité cela va sans dire. Soit un condensé de toutes les déviances qui n’ont cessé depuis des années de creuser le fossé entre l’opinion et nos « élites » : journalistes, politiciens, dirigeants d’entreprise et ceux qu’on décrit parfois comme leurs « âmes damnées », les communicants bien sûr.

Rien d’étonnant, dès lors, à constater le discrédit dont souffrent les représentants de ces « autorités en mal d’autorité ». Le baromètre de l’UDA-Harris Interactive 2013 (voir ici) et les résultats du célèbre Trust barometer notamment, quantifient et démontrent année après année une érosion spectaculaire de la crédibilité de nos élites, et l’ampleur de cette défiance généralisée représente hélas une terrible épée de Damoclès pour nos démocraties.

Pour autant, chacun admet que les pratiques de quelques intermédiaires et agences de communication « véreuses » ne sont pas forcément représentatives des comportements d’une profession. Et de fait, la réalité de la plupart des agences et communicants que je connais est à des années lumières des pratiques délictueuses imputées à Bygmalion. Confrontées à la crise, aux coupes budgétaires et autres réductions d’effectifs, la plupart des marketeurs et communicants en est plutôt à se serrer la ceinture et à négocier âprement la moindre marge de manœuvre qu’à rouler sur l’or ou à surfacturer allégrement.

La faute aux spin doctors et autres « gourous » de la com’ ?

Le scénario et le « casting » de l’affaire Bygmalion seraient sans doute incomplets sans l’ambition dévorante d’un de ces « gourous de la com’ » qu’affectionnent tant le grand public et les médias. Ancien collaborateur de Jean-François Copé à l’UMP, Bastien Millot, le fondateur de Bygmalion, était connu et apprécié depuis des années des milieux politiques et d’affaires, pour ses relations et son entregent. Patron d’agence, faiseur et défaiseur de réputations, chroniqueur dans le grand Bazar des médias sur Europe 1, il était en quelque sorte, au fait de sa gloire, le pendant droitier du beaucoup plus discret Robert Zarader, grand communicant et conseiller de l’ombre de François Hollande. Aujourd’hui « retiré des affaires », Bastien Millot est devenu avocat au barreau de Marseille… (=> lire ici l’article que lui consacrait récemment Paris Match).

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Voilà d’ailleurs un des paradoxes de cette équation communicante : le public décrie et raffole en même temps des personnages de l’ombre et autres spin doctors auxquels on attribue volontiers la réussite (ou l’échec) de leurs poulains. Il suffit de lire cet article récent des Enjeux-Les Echos sur Robert Zarader pour s’en convaincre : dans l’imaginaire collectif, le bon communicant se doit d’abord d’être un manœuvrier hors pair, doublé d’un homme/une femme d’expérience au carnet d’adresses bien rempli. Son influence supposée auprès de la presse, en particulier, et sa connivence avec les grands journalistes politiques ou économiques, demeurent un des moyens de mesurer son pouvoir et son aura. Car le gourou de la com’ rend volontiers des services, c’est bien connu. En échange desquels il est naturellement en droit d’attendre quelques retours d’ascenceurs…

Dans son billet-coup de gueule, l’excellent Olivier Cimelière (que je cite souvent mais ses écrits le méritent), ne manque pas de dénoncer le tort que ces bidouilleurs (de génie parfois), ont causé et continuent de causer aux communicants. Incarnant à eux seuls une bonne partie des clichés en vogue sur la communication, ils en ont sapé la crédibilité et les dernières illusions morales, tandis que la plupart des professionnels s’évertuent à faire la preuve de comportements plus éthiques.

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Des communicants condamnés à la pédagogie et à lutter contre les clichés…

Dans un précédent article, j’insistais sur les « 6 bonnes raisons de croire en la communication… et de ne pas désespérer des communicants ». De fait, la plupart des communicants « 2.0 » appliquent aujourd’hui des méthodes bien différentes de leurs prédécesseurs et n’hésitent pas à promouvoir et mettre en pratique une véritable transparence. Les attentes des publics et l’avènement des médias sociaux aidant, ils envisagent leur métier d’une manière plus éthique et responsable, soucieux d’engager leurs entreprises dans une relation durable avec leurs parties prenantes.

C’est aussi pour réhabiliter la communication et les communicants que Jean-Luc Letouzé est parti en croisade contre les clichés qui stigmatise sa profession*. Répondant à une petite phrase de Ségolène Royal, qui estimait dernièrement nécessaire de tailler dans les « effectifs pléthoriques » de communicants au sein des administrations et des banques en particulier, le Président de l’association Communication et entreprise rappelait récemment dans le magazine Stratégies les 5 raisons d’être de la communication corporate : 1) Apporter du sens et faire partager l’ambition stratégique des entreprises // 2) Créer de la valeur au travers de la marque, une bannière permettant à la fois d’identifier l’entreprise et la positionner sur ses marchés et face à ses concurrents // 3) Répondre aux interrogations et besoins d’information des publics internes et externes // 4) Favoriser l’évolution des organisations et accompagner les changements de l’entreprise // 5) Cultiver les responsabilités de l’entreprise, via la RSE qui devient un levier clé de création de valeur.

Ces deux plaidoyers en forme de coups de gueule le prouvent : régulièrement désignés comme « inutiles », « dépensiers », « manipulateurs » voire « nuisibles à la démocratie », les communicants ont encore un long chemin à faire pour tordre le cou aux idées reçues, braver les critiques démagogiques qui leur sont adressées et faire reconnaître l’utilité de leurs missions.

Facilitateurs sociaux et interfaces entre les organisations et leurs publics, leur rôle et leur apport souvent contestés n’en restent pas moins primordiaux. Et j’aurai nécessairement l’occasion d’y revenir dans ce blog, en répondant point par point à chacun des clichés qui polluent l’image des communicants… Clichés dont je vous livre ci-dessous un petit « florilège » :

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* Sources :

« Communication : dépense ou investissement ? Réponse à Ségolène Royal » de Jean-Luc Letouzé – 30 avril 2014

« Bygmalion & spin doctors : il faut absolument changer de logiciel communicant ! » d’Olivier Cimelière – 15 juin 2014

« 6 bonnes raisons de croire en la communication… et de ne pas désespérer des communicants«  – BrandNewsBlog – 11 février 2014

« Robert Zarader, le confident de l’Elysée » d’Henri gibier – Enjeux Les Echos, 1er mai 2014

« Bastien Millot, un ambitieux assoiffé de reconnaissance », de David Le Bailly et François labrouillère, Paris Match – 11 juin 2014

 

Crédits photos : X, DR, TheBrandNewsBlog 2014

 

 

 

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