1 000 mots pour raconter l’époque : la fabuleuse oeuvre lexico-picturale de l’alchimiste Jeanne Bordeau

Parmi mes fidèles lecteurs et lectrices, certain.e.s me feront peut-être observer que je ne manque jamais une occasion de parler des travaux de Jeanne Bordeau.

C’est vrai. L’éminente linguiste, fondatrice de l’Institut de la qualité de l’expression¹, a souvent été une inspiratrice et une contributrice de ce blog et je n’ai jamais caché mon admiration pour la profondeur de sa réflexion et pour ses apports fondamentaux à nos métiers du marketing et de la communication.

Ainsi, dans mes recommandations et bonnes résolutions pour 2019, parues il y a quelques jours, je vous incitais à aller découvrir son exposition « Le récit d’une époque », dans laquelle Jeanne Bordeau alias Jane B (son nom d’artiste) s’apprêtait à nous faire découvrir les 1 000 mots et expressions marquantes de l’année écoulée.

Fidèle au rendez-vous, puisque j’ai eu la chance de découvrir moi-même l’expo ce vendredi, je ne pouvais  laisser sur leur faim toutes celles et ceux qui auraient aimé se rendre au campus Molitor cette fin de semaine mais n’ont finalement pu le faire (l’expo est néanmoins ouverte jusqu’à ce soir²). Aussi ai-je décidé de partager avec vous le passionnant entretien que l’artiste a bien voulu m’accorder. Puisque c’est bien sous cette casquette d’artiste, mais aussi de linguiste et de fine observatrice des bonheurs et des maux de notre époque que Jeanne a bien voulu me répondre, et je l’en remercie.

Pour celles et ceux d’entre vous qui ne connaîtraient pas encore l’œuvre de Jane B, je rappellerai qu’à côté du travail qu’elle mène pour un certain nombre de grandes entreprises au sein de son Institut, Jeanne Bordeau a entrepris depuis 11 ans de réaliser une grande fresque lexico-picturale de notre siècle (d’où le titre de son exposition 2019). Année après année, à partir des milliers de coupures de journaux et de magazines qu’elle a sélectionnées et classées avec soin au fil des 12 mois écoulés, elle réalise en effet 10 « tableaux de mots », fragments de cette gigantesque tapisserie de Bayeux contemporaine qui rassemble aujourd’hui 110 œuvres et dont elle avait choisi cette année de représenter les moments majeurs.

« Gilets jaunes », « colère », « ras-le-bol fiscal »… Vous pourrez constater comme moi que les mille mots retenus pour l’édition 2019 font évidemment écho à l’actualité la plus récente, approfondissant ce sillon de la  » triple fracture sociale » que Jeanne avait déjà identifié depuis plusieurs années. Mais la « fracture » est également géographique et numérique, et les nouveaux usages reconfigurent complètement les univers du travail, de la communication ou de la culture, tandis que les préoccupations environnementales et la lutte contre les discriminations restent des thématiques fortes.

Je n’en dirai pas plus et vous laisse découvrir, en ce dimanche idéal propice à la lecture, la teneur de mon entretien avec Jeanne Bordeau :)

The BrandNewsBlog : Chaque année, à partir de coupures de presse collectées dans des milliers de journaux et de magazine, vous créez une grande fresque lexicale en 10 tableaux regroupant les 1 000 mots des douze mois écoulés. Quels sont les mots et expressions clés qui sont particulièrement ressortis en 2018 ?

Jeanne Bordeau : Les mots marquants des médias de l’année 2018 sont, cette année, plus éloquents dans l’univers politique, économique et social. Parce que depuis 11 ans chaque année je travaille sur 9 grands thèmes³, je peux dire qu’à l’inverse, l’an dernier, c’est l’univers de la femme avec le « me too » et l’univers du développement durable qui étaient les plus marquants, les plus existants. Cette année, on a à peine entendu le bruit de la Cop 24 !

Le premier grand mot marquant cette année est la « fracture », parce qu’on a en effet une fracture économique, une « fracture sociale », une « fracture numérique » et une « fracture territoriale ». Il y a les « gilets jaunes » bien sûr, le « pouvoir d’achat » et le « ras le bol fiscal ». Cette expression que l’on voyait déjà dans le tableau de 2013 s’impose cette année. Elle symbolise cette « colère » qui resurgit, qui était déjà présente depuis 11 ans dans mes tableaux, bien avant les gilets jaunes.

Aussi, depuis un long moment déjà on sentait poindre l’angoisse sur le travail, sentiment accéléré par « l’Intelligence Artificielle ». Cette angoisse est surtout incarnée cette année par les « bullshit jobs », terme traduit par les « jobs à la con » et venant de l’ouvrage David Graeber, anthropologue. On ressent bien un « malaise ».

La lumière est aussi sur les « héros », les « Poilus », mais aussi les héros des temps modernes, avec la « Génération Beltrame » et « Mamadou Gassama ». Dans ce chaos, on a un désir de modèle, d’admiration, d’histoire forte. Il y a aussi l‘arrivée du « voice commerce » et d’« Alexa ». Tout ce chaos est exacerbé par cette recherche de vérité, qui a fait naitre le mot « infox ».

The BrandNewsBlog : Vous évoquez cette année une triple fracture « sociale », « numérique » et « géographique » dans notre pays. Comment se manifeste-t-elle et quels mots l’ont traduite en 2018 ?

Jeanne Bordeau : La « fracture » est en effet le grand mot de l’année. Telle que je l’évoquais juste avant, elle est partout, dans tous les domaines : il y a une « fracture sociale », politique, économique, territoriale et numérique. Du latin fractura, qui signifie éclat, fragment, ce mot flotte dans l’atmosphère.

De « la bataille des prix du carburant » sont nés des « gilets jaunes »des « nuits jaunes »,des « colères jaunes ». On voit des questions surgir : « Macron est le président des pauvres ? ». Cette fracture se traduit aussi par les mots « ras le bol fiscal », et le grand thème, très simple mais si classique, du « pouvoir d’achat » avec cette fameuse « colère » qui était contenue depuis tant d’années.

La « fracture territoriale » est concrétisée par la « désindustrialisation », par la détresse économique des territoires, par « la disparition des corps intermédiaires », la « déconnexion avec les élites ». On n’a plus une vie territoriale harmonieuse et répartie. Par ailleurs, Monsieur Macron n’a pas senti l’importance de son lien avec les maires. On trouvera dans les mots de l’année l’expression « Adieu aux maires » selon les médias. On voit aussi poindre un nouveau terme, la « rurbanisation » pour évoquer ces villes qui débordent sur la campagne. Et, les élevages industriels pullulent. Concomitamment, les villes deviennent des « villes vertes », « des villes jardins » avec des jardins suspendus.

Derrière les nouveautés tech’ foisonnantes, la « fracture numérique » porte en son sein un nouveau mot : « l’illectronisme ». Le digital ne serait pas si intuitif que cela, il est peut-être plus élitiste que l’on ne le croit…Même les jeunes générations sont parfois incapables de dompter ces nouveaux outils façonnés par la technologie.
On ressent « la grande peur des algorithmes » et on commence de côtoyer les « robots ».

La diffusion aisée et la manipulation de l’information qu’a permis le digital a aussi posé la question de la vérité. Les fake news deviennent « infox » après l’automne, à la suite de la décision de la Commission d’enrichissement de la langue française face aux informations toxiques et erronées. Est-ce un mot dont le public s’emparera ? On ne peut pas encore le dire.

The BrandNewsBlog : Au-delà de cette triple fracture, quels sont les autres mots marquants et tendances lexicales de l’année ? Et que racontent-ils de notre époque et de notre société ?

Jeanne Bordeau : J’ai criblé d’autres mots puissants comme « illibéralisme », « collapsologie », « peuplecratie » qui correspondent bien à tout ce qu’une fracture peut faire naître. Les « black blocks » et les « casseurs » font parler d’eux. On se souvient aussi en novembre du « parcours mémoriel » du Président qui tente de renouer avec l’Histoire et avec le peuple. Mais la presse a caricaturé ce voyage en l’appelant le « Macron tour ».

Côté numérique, le prénom de l’année, c’est « Alexa ». Le « commerce devient vocal », la voix révolutionne notre rapport aux marques. « C’est l’enceinte qui te parle » avec « Alexa » et « Google Home ». Est-ce que l’on parlera bientôt à des gens qui ne sauront ni lire ni écrire ?

On voit poindre également les termes de « nano-influenceurs » et « instapreneurs ». « Instagramiser » est l’un des verbes de l’année. On apprend ce qu’est « l’overclocking », cette pratique qui consiste à manipuler le signal d’horloge du processeur de l’ordinateur pour le rendre plus performant, pratique très connue de « la génération K ». Pendant ce temps-là, « Netflix » est sur tous les écrans.

Côté travail, c’est l’année des « slasheurs », ces travailleurs qui alternent entre plusieurs emplois ou métiers dans le même mois. Mais ce surcroît de travail volontaire ou subi ne doit pas éluder la question soulevée par le best-seller de David Graeber, celle des « Bullshit jobs » où l’inutilité des tâches remplit le quotidien de l’employé de bureau. « Bullshit jobs » est traduit par « jobs à la con ». On entend aussi parler des « oubliés de la start-up nation ». Le terme « co-working » entre définitivement dans le langage courant. Il était déjà présent en 2010 mais cette fois, ce sont les entreprises qui choisissent des espaces de travail organisés en mode « co-working ». En 2018, le co-working est incarné par les lieux.

Un autre très grand phénomène est le thème de la « sècheresse », des « canicules », des « inondations ». Le « dérèglement climatique » vient peu à peu remplacer le « réchauffement climatique ». Peut-être « dérèglement » est-il un mot plus juste. Parfois, certains parlent de « changement ».

Face à ces phénomènes, la recherche du bonheur est omniprésente et de plus en plus, les marchands de bonheur et de zen sont pointés du doigt. En économie, on a pu voir naître une expression comme « Bonheur national brut ». Mais, c’est surtout la « happycratie » qui est devenue célèbre grâce au livre publié en août par Eva Illouz et Edouard Cabanas.

Pour terminer sur une note positive, n’oublions pas « l’amour foot » et la victoire galvanisante des Bleus, vite assombrie hélas par « l’affaire Benalla ». On se souvient également du talent de « France Gall », « Aznavour », « Aretha Franklin »…

Enfin, le verbe « apprendre » a beaucoup frissonné en 2018, ainsi que le verbe « dessiner » qui a été réveillé par la sur-utilisation du mot « design » et « instagramiser ». On retrouve également cette année la sur-utilisation du verbe « réinventer ».

The BrandNewsBlog : Et l’univers du digital et de la communication, que représente-t-il ?

Jeanne Bordeau : C’est un travail majeur, c’est un lieu source, le cœur vivant d’un changement qui fait que plus rien ne sera jamais pareil.

Cette année, le « vocal », « le voice commerce », « Alexa », « Google home » sont sous les projecteurs. « Coucou, c’est l’enceinte qui te parle » et « on remet le son ! ». Sans oublier le bruit qu’a fait la « RGPD » qui entre en vigueur le 25 mai 2018.

Ce sont aussi des dizaines et des dizaines de mots qui naissent. Victor Hugo ne pourrait pas lire votre média, ni Stratégies, ni Influencia. De « l’eye-tracking » à la « nano influence », d’« Instagramiser » qui fut un verbe de l’année à « bad buzz » qui fut le titre d’un livre d’Anthony Babkine il y a quelques temps, les mots du digital sont tout un patrimoine lexical des années 2000. Cette année, la « génération K » fait confiance aux «nano-influenceurs » qui n’ont qu’entre 10 000 et 100 000 influenceurs. Sans doute racontent-ils une histoire plus sincère. Enfin, la popularité du récit « Netflix » confirme : nous sommes des « mangeurs d’histoires », toujours touchés par la puissance du « storytelling ».

En 10 ans, un territoire sémantique nouveau s’est installé : Victor Hugo rencontrerait les « geeks », les « chatbots », les « hacktivistes », « millenials » et Youtubeurs » !

Il serait surpris par les « hologrammes », les « pompes à données », les « data » et les « algorithmes », par les concepts de « dark web », « cyber sécurité, « gamification », « phygital », « e-reputation », « e-learning » …

On lui expliquerait tous les nouveaux mots inventés : les « phablettes », « newsrooms », « pitchs », le « personal branding », les « licornes ». C’est tout juste si Victor Hugo reconnaitrait le mot « pirate » dans la planète « cyber » ! Enfin, comprendrait-il pourquoi tout est « ultra » ?  « Ultra-emotionnel », « ultra personnalisé ». L’écrivain poète serait ultra-perdu !

The BrandNewsBlog : Parmi ces tableaux de l’année, y-en-a-t’il par hasard un ou plusieurs pour lesquels vous avez une préférence, ou dont vous êtes particulièrement fière ? Certains vous ont-ils donné plus de « fil à retordre » que d’autres ?

Jeanne Bordeau : Oui, j’ai des tableaux préférés qui m’ont particulièrement marquée. Sur la centaine de tableaux créés en 11 ans, il y en a des poignants. Je suis fière de mon tout premier tableau Société, qui s’appelle « Métamorphose », où Michael Jackson apparait en Charlie Chaplin, et tout cela dans la forme d’un papillon. Il y avait déjà dans ce tableau le terme « déclassement ». Mais ce qui m’avait frappé surtout, c’est la superposition de ces deux artistes. Tous les deux ont une démarche à la fois déséquilibrée et une démarche tout à fait gracieuse, voire aérienne. Michael Jackson et Charlie Chaplin pouvaient marcher sur la lune ! Ils étaient à la fois bannis, controversés, incompris et gracieux, doués, vifs. Je pense encore aujourd’hui à cette métaphore de la société. En créant ce tableau, j’avais l’impression de voir cette société qui boitait et qui pouvait tout en même temps courir. Elle court peut-être pour empêcher de montrer qu’elle boite. Il annonce beaucoup ce tableau.

Je suis également fière de ceux qui marquent les étapes historiques. Celui sur la mort de Steve Jobs « Off Steve », en 2011, ou celui de la Crise qui s’appelle « Evasion » en 2012. Ce dernier implique que « riche » va devenir un mot presque imprononçable. D’autres m’interpellent encore aujourd’hui : le « Burn-out » (Ressources Humaines) en 2013, Le « Chaos » en 2014 (Société), le Société de 2015 « Je suis Charlie », sur le bataclan et « Tristan et les chatbots » (Communication) en 2016, qui annonce l’arrivée des robots.

L’année dernière, le « Soleil Vert » du thème Développement durable, ainsi que le « Me too », (Femme) et le « Jupiter » (Politique) sont particulièrement expressifs de l’année 2017. J’avais travaillé un Président Macron fond jaune fluo… prémonitoire, qui semblait porter le monde.

Cette année, ce sont les tableaux Politique, Social et Économie qui sont particulièrement forts.

En plus de la collection des 10 thèmes de l’année, tous les tableaux particulièrement marquants depuis 11 ans seront exposés au Campus Molitor.

The BrandNewsBlog : En réalisant ces fresques et tableaux artistiques année après année, à partir des 1 000 mots que vous avez patiemment sélectionnés, vous avez créé un nouveau courant : le lexico-picturalisme. Comment le définiriez-vous et quelles sont vos sources d’inspirations sur le plan artistique ? 

Jeanne Bordeau : Le lexico-picturalisme, c’est créer une œuvre picturale avec des mots. Dans mon cas, je mets en scène les mots des autres, ceux des journalistes, pour dessiner une interprétation de la société.

Je suis touchée par le Dadaïsme, Kurt Schwitters, George Braque, Picasso, Matisse pour les couleurs ainsi que Delaunay pour les formes mais aussi par l’artiste plasticien américain Rauschenberg, ou encore Basquiat, Hans Hartung, pour sa force du trait, Bram Bogart, Jean-Michel Alberola…. Et tant d’autres ! J’écoute chaque art.

Je suis surtout sensible à la magie de la métamorphose et à son mouvement, mais aussi à la danse, à sa force et à sa grâce, à la nature, aux êtres qui m’entourent. Par exemple, vous trouverez souvent dans mes tableaux des abeilles et des papillons, des yeux, presque obsessionnellement. Et parfois des mains, des pieds, des oreilles. Et puis toujours des silhouettes. J’essaye le plus possible de réussir à dessiner avec les mots, de rendre compte ensuite d’une harmonie ou d’une dissonance malgré la profusion des mots. Ce n’est pas toujours évident de faire danser et respirer des mots de papier rigides, des mots de journaux, souvent édités avec un papier de mauvaise qualité !

Pour créer, j’ai souvent un film qui tourne en fond dont j’écoute les dialogues. J’écoute aussi beaucoup de musiques, comme Puccini, Beethoven, Dinah Washington, Judy Garland… Mais également de la musique corse, grecque, russe, espagnole, italienne et du Grégorien. J’écoute les langues et des musiques assez ventrales, qui bousculent, qui expriment l’histoire d’une culture.

The BrandNewsBlog : Une fois les 1 000 mots de l’année rassemblés en sous-familles, puis par grande thématique, comment vous vient l’inspiration picturale pour la mise en scène de chacun de vos 10 tableaux ? 

Jeanne Bordeau : Tout au long de l’année, chaque semaine, Je crible les mots dans la presse les sélectionne et avec la patience d’un entomologiste, les classe dans des cartons à dessins par thèmes. Des milliers de mots passent dans mes mains. Cette sensation physique est précieuse et indispensable. Vers le mois d’octobre, mes tableaux naissent dans mon esprit en lien avec la relecture des mots récoltés. Pour chacun des tableaux, il y a une approche commune qui est presque une méthode depuis onze ans. J’ai toujours une première sensation par la couleur, une couleur vive ! Ensuite, il y a un concept clé qui donne une forme.

Pour le tableau Développement durable de cette année par exemple, c’est un arbre qui se dessèche, le concept principal est la « sécheresse » : « laissez les arbres tranquilles ! », « déforestation », « canicule », « incendies », « acidification de la terre ». Il y a la mort des oiseaux et des animaux : « les cigognes qui ne migrent plus », « les animaux malades du plastique » « les abeilles à bout de souffle ». À gauche, au pied de l’arbre dessiné, j’ai posé des petites lunettes noires pour faire face à la canicule. Mais j’ai surtout ajouté une grande paire de lunettes roses posée sur l’arbre qui est majeur dans ce tableau et qui dit clairement que l’on ne veut pas voir l’état des dégâts. Pourtant la situation est urgente : le réchauffement climatique glisse vers un « dérèglement climatique ». Vous voyez des couples de mots contradictoires. « Planète brule » et « ouragan », « vagues d’incendies » et « inondations ».

Le tableau Femme de cette année est en mauve. Les femmes sont en deuil. Avec les mots, j’ai choisi de dessiner la forme d’un œuf, c’est le « game ovaire ». Les femmes essayent de sortir d’un cercle fou, d’un œuf, d’un enfermement, elles sont perdues, déstabilisées. Les messages sont contradictoires. À côté de « arrêter de chercher à plaire », on trouve le « body sirène ». La famille n’existe plus. Il y a « des spermatozoïdes en catalogue ». Et le « me too » est toujours là cette année. Il laisse les secrets s’échapper : tant de jeunes filles ont été violées dans les familles.

Un seul tableau existe dans ma collection des dix tableaux sur les Beaux Mots, car les beaux mots sont tellement plus rares. Il n’y a que 10% de mots doux, portants la beauté et le rêve. Dans ce tableau, on croise « âme nomade », « élégance », « tout doux », « danse », « puissance poétique », « quête de sens »

The BrandNewsBlog : Vous laissez-vous guider par une image mentale du tableau que vous avez soudain en tête, par la petite musique qui se dégage des mots ou bien d’abord par une une couleur de fond ? D’ailleurs y-a-t’il une règle ou vous laisser vous aller davantage à l’instinct ?

Jeanne Bordeau : C’est la disposition des mots qui crée un dessin et participe à tisser un récit. C’est pour cela que je peux passer 6 heures à voir comment disposer les mots. C’est une écriture : des tableaux contes. Rien n’est laissé au hasard, il n’y a pas de détail. Je me munis de mes pigments, cutters, colle et ciseaux. C’est ascétique. Et j’essaye de dessiner la dimension sensible du monde, l’irradiation des mots.

Composer ces tableaux, c’est aussi exigeant qu’une activité sportive, il y a un timing, il faut lutter contre le temps. Tout au long de l’année je crible les mots dans la presse, je les récolte chaque jour et garde une journée du week-end et les trie par thème, je les ausculte. C’est en octobre que je supprime des répétitions et décide des mises en scène des formes. Mettre 6 gilets jaunes ou 8. Mettre 6 gilets jaunes, 8 gilets jaunes, 12 gilets jaunes ? Pour chaque tableau, une synthèse se fait après le brassage et le tri puis un concept dominant s’installe.

C’est un long travail minutieux muri tout au long de l’année. Mais une fois que je me lance, je me surprends à veiller à la justesse des propos jusque chez l’encadreur. C’est cet équilibre, entre une réflexion omniprésente, mon expertise, ma pratique et mon écoute dans les entreprises qui fondent une cohérence dans le récit que raconte chacun de ces tableaux. À part égale, je fais toutefois confiance à mon intuition. C’est ainsi que j’ai choisi du jaune vif pour le tableau politique de l’année dernière !

The BrandNewsBlog : Vous réalisez ce travail considérable sur les mots de l’année depuis maintenant 11 ans. A ce titre, quels grands enseignements se dégagent de cette gigantesque « tapisserie de Bayeux du monde contemporain »  ? Les mots évoluent-ils au fil du temps et incitent-ils par exemple à l’optimisme ou bien sont-ils « neutres » ?

Jeanne Bordeau : Les tableaux ne sont pas là pour enseigner. Chaque tableau donne avant tout à penser. Je vois qu’ils bouleversent et qu’ils dérangent. Ce sont des tableaux d’état de vérité. Je ne suis qu’un lanceur d’alerte et un transmetteur qui crible les mots des médias, de la société. Et qui écoute le bruit du monde. Chaque personne qui regarde les tableaux aura une interprétation différente.

Oui, les mots évoluent, bougent, palpitent, respirent. Mais hélas, ils sont de plus en plus violents. Ce sont des mots de l’extrême. Ce n’est plus la « vitesse » c’est « l’accélération ». Ce n’est plus la « beauté » c’est la « beauté augmentée ». C’est l‘installation de « l’hyper » et de « l’ultra ».

Dans toute la collection de tableaux, on tombe sur des mots comme « arme numérique », « chaos », « barbarie », « cyberviolence ». Pour compenser, on nous parle de bonheur, de « happythérapie ». Mais les mots ne sont pas neutres. Je n’ai pas tellement vu le mot « sérénité » par exemple, j’ai plutôt vu le mot « colère » « chaos » s’imposer dès 2014. Et « Chaos » est d’ailleurs le titre de tableau Société de 2014. Ce sont des tableaux qui gardent la mémoire des mots dits et écrits comme « décapité », « égorgé », « attaque au couteau ». Ce sont des mots qui témoignent du temps.

The BrandNewsBlog : Nous parlions tout à l’heure de « fracture sociale » et de « colère ». Y-a-t’il des mots et tendances lexicales éphémères et d’autres qui au contraire s’inscrivent dans la durée ? Les mots des années antérieures vous ont-ils parfois permis de pressentir de grands mouvements sociaux à venir, comme celui des gilets jaunes cette année ?

Jeanne Bordeau : Il y a des mots comme « déclassement social », dès 2009, l’apparition du mot « pauvres » face aux « riches » et « hyper riches » en 2012, « burn out » qui était dans mon tableau de 2013, « chaos » dans mon tableau de 2014 et « chatbot » (tableau de 2016), qui s’imposent et s’installent. Ils naissent avec des nouvelles pratiques.

Il y a des mots nouveaux qui sont souvent faits de préfixes et suffixes comme « ultra », « hyper », « éco » « cyber » ou « tech » … Les années qui précédent, on pouvait lire « éco-gestes », « cybersécurité » « civitech », « foodtech » « frenchtech ». Sans oublier le mot « start-up », « écosystème », « Intelligence artificielle », « malbouffe » etc…

Il y a aussi les mots « ZAD », on a désormais des « zadistes ».

Quant aux verbes, « uberiser », « digitaliser », « buzzer » ils n’étaient pas là il y a dix ans.

On reconnaît des mots, mais ces récits racontent aussi des phénomènes qui durent. Johnny Hallyday est dans tous mes tableaux Culture depuis 11 ans. On se moquait de moi, quand je disais qu’il aurait l’enterrement de Victor Hugo ! Chaque année, je tenais tête aux critiques en disant que Johnny Hallyday était là parce qu’il embrassait l’histoire de 4 générations. Je suis là comme témoin pour dire que malgré les critiques caustiques le populaire est noble : que l’on aime Johnny ou pas. Il est encore là cette année. Il est toujours au rendez-vous ! Cette année, j’ai même comme mot « sans Johnny ».

Il y a des mots plus fugaces, des mots gadgets, qui s’échappent au rythme des tendances et qui se brulent dans la lumière de l’actualité et du temps qui passe. Qui se souvient par exemple de « Vuvuzuela », des « bourus » (bourgeois ruraux), des « banksters » (banquiers gangsters) ou encore d’ « insincérité » apparu fugacement en 2016 ?

The BrandNewsBlog : Pour conclure, combien d’années encore voudriez-vous continuer à réaliser un tel travail sur les tendances lexicales ? Vous êtes-vous fixé un objectif, un défi à relever ?

Jeanne Bordeau : Mon objectif est de trouver un plus grand atelier près du Hameau Boileau dans le 16e où je vis. Je souhaite aussi commencer une œuvre qui ne s’arrête jamais et qui soit sur le temps, sur les mots du temps. Peut-être que j’aimerais aussi travailler sur le thème de l’élégance, qui semble un mot en voie de disparition. Enfin, la nature aussi me fascine. La terre malade s’est imposée depuis 2013. Il y a 5 ans, les tableaux Développement durable n’étaient pas aussi alertants. La planète est malade. Cela s’impose. J’entends gémir ces mots douloureux comme « déchets toxiques », « planète plastique », « fin du monde », « SOS terre en détresse ».

The BrandNewsBlog : Quelle serait pour vous la consécration ou la reconnaissance ultime pour ce travail à la croisée de la linguistique, de l’art, de l’histoire et la sociologie ?

Jeanne Bordeau : Transmettre grâce à ces tableaux, ce que Monsieur Richard Lablée, Directeur du Campus Molitor m‘a d’ailleurs demandé de faire en 2019 avec ses étudiants. Je le remercie d’ailleurs d’exposer mes tableaux de 2018 au campus. Les invités, nos clients, les passants, mais surtout les étudiants du Campus pourront vivre avec ces mots et j’aimerais que ces œuvres soient dans d’autres écoles, dans des entreprises, dans tout lieu de vie. Il faut qu’ils circulent, qu’ils alertent. C’est une œuvre publique et citoyenne. Grâce à Marie Béatrice Levaux, référente francophonie au Conseil économique, social et environnemental, je reçois également le soutien de la francophonie.

Ce n’est pas un hasard non plus que le Sénateur Maire du Mans Jean-Claude Boulard qui était auteur et anthropologue ait accueilli mes tableaux au Mans pendants 1 mois dans un lieu public comme le théâtre du Mans. En 2017, la Commission Culturelle du Sénat m’a sélectionnée pour exposer en juillet à l’Orangerie du Sénat dans le jardin du Luxembourg. Sans doute ne suis-je pas faite pour les musées mais pour les lieux de vie et d’échanges et les lieux publics. Je vois l’art comme un cri complémentaire, un cri nécessaire.

 

 

Notes et légendes : 

(1) L’Institut de la qualité de l’expression, fondé par Jeanne Bordeau a pour expertise le langage. Il accompagne depuis plus de 10 ans de grandes entreprises dans les domaines du conseil, de la stratégie éditoriale, du design linguistique et des contenus. Lieu de recherche, de création et de production, ce bureau de style est à l’origine de méthodes déposées : charte sémantique, signature sémantique, baromètre du langage digital…

(2) L’exposition « Le récit d’une époque » de Jeanne Bordeau alias Jane B, a lieu au Campus Molitor, 26 rue de Molitor dans le 16ème arrondissement de Paris et est ouverte du vendredi 18 janvier au dimanche 20 janvier au soir. 

(3) Jeanne Bordeau travaille en effet depuis 11 ans sur 9 thèmes : Politique, Économie, Ressources Humaines et travail, Développement durable, Femmes, Communication, Culture, Société. Et je traite en plus les verbes de l’année car le verbe est le moteur de la phrase.

 

Crédits iconographiques : Jeanne Bordeau alias Jane B, Garrett Strang, TheBrandNewsBlog 2019

 

Marketeurs et communicants : 9 bonnes résolutions pour bien commencer 2019 !

Le BrandNewsBlog serait-il vraiment le BrandNewsBlog sans les bonnes résolutions dont je vous fais part chaque début d’année ? Assurément non. Fidèle à cette tradition inaugurée dès janvier 2013, je vous propose donc de découvrir ci-dessous les 9 suggestions et vœux que je me suis permis de former pour vous, bien chers amis marketeurs.euses et communicant.e.s !

Ainsi que je le répète chaque année, ces recommandations ne seront pas peut-être pas toutes à votre goût. Au-delà de l’exercice de saison, c’est surtout ma manière à moi de vous souhaiter le meilleur des millésimes possibles en 2019, vous l’aurez compris.

Du reste, on connaît le sort réservé en général aux bonnes résolutions de début d’année : hormis pour les plus motivés d’entre nous, le « taux de transformation » est au final assez faible, puisque parmi les 63% de Français qui reconnaissent se fixer de telles résolutions, 5% seulement avouent les suivre et les réaliser systématiquement par la suite¹. Chacun.e fera donc exactement comme il.elle l’entend bien sûr, mais il ne sera pas dit que je n’aurai pas essayé de vous inspirer :-) Hashtag #ChacunFaitEnsuiteCeQuiLuiPlaît !

Néanmoins, comme j’ai lu l’an dernier que « perdre du poids » était la bonne résolution la plus populaire parmi les Français, juste avant « se remettre au sport » (ah oui : c’était dans ce très sérieux article de La Dépêche), j’ai décidé de faire de la lutte contre l’infobésité un de mes fils rouges. Vous ne trouverez donc dans mes suggestions de liens, d’ouvrages ou d’évènements ci-dessous que des propositions et contenus à valeur ajoutée professionnelle et/ou intellectuelle, c’est promis ! Voilà pour l’aspect santé et remise en forme…

Pour le reste, je vous laisse découvrir ma liste de suggestions « maison » en deux épisodes, aujourd’hui et jeudi, non sans vous souhaiter d’abord à toutes et tous une très belle année 2019 !

>> BONNE RESOLUTION N°1 : cela ne prend que deux minutes, on participe à ce sondage exclusif sur les 10 tendances marketing communication pour l’année 2019…

Si vous êtes une lectrice ou un lecteur assidu de ce blog, vous vous souviendrez peut-être que j’ai terminé l’année 2018 en vous livrant une analyse « maison » des 10 tendances marketing -communication à suivre (voir ici l’article en question, pour mémoire). 

Afin de peaufiner l’analyse et de recueillir votre sentiment sur ces tendances, l’excellente Coryne Nicq – qui m’a fait l’honneur de suivre et de soutenir le BrandNewsBlog dès ses premiers jours il y a 5 ans – m’a tout simplement proposé le principe d’un sondage Doodle, qu’elle a elle-même lancé dès ce week-end.

Après avoir recueilli les premiers votes, nous sommes en attente des suffrages d’un maximum d’entre vous, bien évidemment. Alors n’hésitez pas à répondre à ce petit questionnaire et à repartager le tweet ci-dessous… Je ne manquerai pas de vous faire un retour consolidé des résultats de ce sondage dans la suite et fin de cet article à venir dès jeudi.

Entre la lutte contre les discriminations et le développement du brand purpose ; la lutte contre les infox ou fake news ; la fin de la communication top-down et l’envol de l’employee advocacy ; la professionalisation du marketing d’influence ; le retour en force des contenus de qualité et du storytelling ; le triomphe de l’UX ou l’avènement irrésistible de l’intelligence artificielle… quelles seront d’après vous les tendances réellement marquantes cette année ? Nous le saurons très rapidement et les premiers retours en donnent déjà une première idée mais chuut ! Je vous laisse le soin de donner votre avis et/ou de m’indiquer en commentaire à cet article quelles sont les les autres tendances incontournables que j’aurais pu oublier.

Merci d’avance à toutes et tous !

>> BONNE RESOLUTION N°2 : on court voir l’exposition de Jeanne Bordeau « Le récit d’une époque » sur les 1 000 mots de l’année écoulée

C’est un rendez-vous que j’intègre désormais tous les ans dans ma liste des bonnes résolutions communicantes incontournables. Chaque début d’année en effet, au mois de janvier, Jeanne Bordeau alias Jane B* nous livre dans le cadre d’une exposition le produit de son incroyable travail de veille linguistique et ses fulgurances sur les mots et expressions qui ont marqué les 12 mois écoulés. Et cette exposition exceptionnelle, qu’elle a baptisée pour 2019 « Le récit d’une époque » sera rien moins que la 11ème édition de cette œuvre désormais gigantesque au fil de laquelle la styliste en langage a sélectionnés près de 11 000 mots, qu’elle a ensuite mis en scène dans 110 tableaux qui racontent l’époque mieux que n’importe quel livre d’histoire contemporaine. Passionnant et à ne manquer sous aucun prétexte, vous dis-je !

Véritable « tapisserie de Bayeux du monde contemporain », les 10 oeuvres de l’années qui seront exposées au campus Molitor à Paris, dédiées chacune à une thématique précise (politique, société, culture…) représentent donc la quintessence de ce labeur patient d’encyclopédiste et d’artiste auquel se livre Jeanne Bordeau. Car c’est bien à longueur d’année qu’elle découpe dans des montagnes de journaux et de magazines les mots et bouts de phrase qu’elle assemble ensuite dans ses collages, grandes fresques de l’actualité inspirées du Dadaïsme, du Pop-Art et du Street Art et qui inventent au passage un courant artistique nouveau : le lexico-picturalisme.

Et pour découvrir ces œuvres étonnantes et les tendances lexicales qui ont marqué l’année écoulée, le mieux est encore d’aller y voir par soi-même à partir du 18 janvier en l’occurrence². Mais, comme à son habitude, Jeanne Bordeau en a donné un avant goût fin décembre à quelques médias sélectionnés (voir notamment à ce sujet ce bel article de synthèse réalisé par le Journal du dimanche en date du 30/12 ).

« Colère jaune », « nuit jaune », « insurrection », « casseurs », mais aussi « déclassement social » ou « pouvoir d’achat » (entre autres) sont sans surprise les mots qui ressortent de l’analyse sémantique et lexicale de la fin d’année, avec la confirmation d’une triple « fracture », qui émergeait déjà les années passées dans les tableaux de Jeanne Bordeau. « Fracture sociale », illustrée par le mouvement des gilets jaunes bien sûr ainsi que la précarisation croissante des emplois des « slasheurs » et autres « bullshit jobs », mais également « fracture numérique » avec l’apparition du terme « illectronisme », nouvel analphabétisme numérique dont peuvent être victimes les jeunes et les moins jeunes ; sans oublier cette « fracture territoriale » qui sépare désormais les zones rurale de la France périphérique des villes et agglomérations plus dynamiques mais surpeuplées. Un constat assez sombre donc, mais où se lisent aussi de nouveaux mots davantage porteurs d’espoirs : un retour en force de la figure du « héros » sous les traits du gendarme Arnaud Beltrame ou de Mamadou Gassama, ou bien le développement d’un « capitalisme inclusif » tendant à promouvoir un visage plus humain et social des mondes de l’entreprise et du travail. Sans oublier les nouveaux mots de la culture, les néologismes propres au nouvelles technologies et autres phénomènes linguistiques dont vous pouvez retrouver la trace dans l’exposition de Jeanne Bordeau.

>> BONNE RESOLUTION N°3 : on continue de suivre, de lire et d’encourager les blogueurs du marketing et de la communication !

Vous allez peut-être vous dire que je me livre ici à une honteuse séquence d’auto-promotion ? Et bien oui, j’assume :)) Continuez de suivre et de recommander le #BrandNewsBlog à tous les professionnels de votre connaissance, si vous trouvez que ce site le mérite.

Et continuez surtout de suivre les quelques blogueurs et blogueuses que je vous recommande régulièrement (voir ici cet ancien article de recommandations à ce sujet, ou la rubrique) car ils.elles le méritent et en valent vraiment la peine !

Passionné.e.s de mercatique, de publicité ou de stratégies de communication, ces blogueurs.euses ont d’autant plus de mérite qu’ils animent pour la plupart seuls leur site, sans avoir les moyens d’en vivre ni de le monétiser vraiment car ces influenceurs ne traitent pas forcément de sujets « grands publics » et n’ont évidemment pas les audiences d’Enjoy Phénix ou de Mercotte, cela va sans dire. Et passés les premiers mois voire les premières années d’exercice, et l’euphorie de la gestation puis du lancement de leur « bébé », ils ont le très grand mérite (et j’en sais quelque chose, car le blogging reste toujours aussi chronophage) de continuer à se renouveler et à s’intéresser avec honnêteté et professionnalisme à de nouveaux sujets dignes d’intérêt pour leurs lecteurs.

Et parmi ces « vétérans » – en espérant qu’ils ne se vexent pas de ce titre car leur enthousiasme reste assurément juvénile – je tiens en particulier à rendre à nouveau hommage à ces champions du blogging communicant que sont Olivier Cimelière (Le blog du communicant), Christophe Lachnitt (Superception), et Nicolas Bordas (L’idée qui tue), dont la productivité éditoriale et la passion ne cessent de m’émerveiller.

…Sans oublier de saluer bien sûr ces autres références du blogging que sont pour moi Mathilde Aubinaud (La Saga des Audacieux), Nicolas Vanderbiest (Le Reputatio Lab ), Cyrille Franck (Mediaculture), Thierry Spencer (Le sens du client), Magali Heberard (Couscous royal), ni les excellents blogs collectifs de la communication : Les éclaireurs de la com’, We are com ou encore Siècle digital !

>> BONNE RESOLUTION N°4 : où qu’il se joue en 2019, on court voir le One-Man-Conf-Show d’Emmanuel Chila « Allez vous faire communiquer ! »

Oui, je l’avoue : je fais partie de ces privilégiés qui ont eu l’honneur d’aller voir en 2018 le spectacle d’Emmanuel Chila, lors d’une de ses représentations à la Comédie de Paris. Expert en communication, enseignant et fondateur de sa propre société de conseil et de formation (Wayta), Emmanuel est un génial touche-à-tout, qui n’hésite jamais longtemps à concrétiser ses nouvelles idées et se donne en général les moyens de transformer ses rêves en réalité.

Et c’est sur la base de son expérience de la communication, de l’enseignement mais surtout des relations interpersonnelles de manière générale, qu’il a eu l’idée de concevoir ce spectacle très original au titre volontairement provocateur : « Allez vous faire communiquer ! » Soit un One-Man-Conf-Show d’une heure et demie durant lequel le communicant se transforme en bête de scène et décortique avec humour les grands ressorts de toute communication interpersonnelle, en insistant sur ce qui marche… et sur les freins et erreurs que nous pouvons commettre, le tout agrémenté de nombreux exemples à la fois drôles et personnels, que chacun a pu expérimenter dans sa propre vie et dans lesquels tout le monde se reconnaîtra.

Très réussi, ce show-conférence réinterprété à la sauce stand-up fonctionne évidemment en premier lieu grâce à l’énergie et à la personnalité d’Emmanuel Chila, qui n’hésite pas à interagir avec son public, rapidement conquis, comme s’il avait 20 ans de scène derrière lui !

Prévu au départ en représentation unique au casino de Dunkerque, où il a eu l’occasion d’être rodé au mois de septembre dernier, le spectacle d’Emmanuel Chila a ensuite connu une demi-douzaine de représentations supplémentaires sur la fin d’année 2018. Et de nouvelles dates devraient prochainement être annoncées sur le site officiel, que je vous invite à consulter régulièrement, sachant qu’il existe aussi une page Facebook et une chaîne YouTube où retrouver toutes les infos et avoir un avant-goût du spectacle : un communicant ne se refait pas :) !

> BONNE RESOLUTION N°5 : on s’efforce d’en finir une fois pour toute avec les vieux réflexes de la « communication de papa »…

Evidemment, cette bonne résolution ne sera peut-être pas la plus simple à tenir… Mais je rejoins sur ce point le constat lucide et clairvoyant formulé récemment dans son bilan de l’année par l’excellent blogueur communicant Olivier Cimelière. Dixit le directeur conseil d’Euros/Agency : « Je m’aperçois en effet qu’au-delà des nouveautés qui émergent dans les pratiques de communication, persistent encore bien des trous dans la raquette sur ce qui devrait pourtant être acquis depuis longtemps et considéré comme fondamental pour opérer des stratégies de communication, de réputation et d’influence efficientes ».

Et le créateur du Blog du communicant de lister pêle-mêle, sans prétention à l’exhaustivité, les scandales réputationnels et la stratégie de communication totalement décalée – voire contre-productive – mise en œuvre par Facebook pour allumer des contre-feux à l’affaire Cambridge Analytica ; les errements du marketing d’influence, quand celui-ci est pris au piège d’une course effrénée aux influenceurs, qui « frise désormais le grand n’importe quoi » (tant il est vrai que la crème des youtubers et autres instagramers côtoient désormais une kyrielle de starlettes de la télé-réalité et d’autres influenceurs autoproclamés et que les bonnes pratiques tendent à devenir indiscernables des mauvaises) ; mais aussi le développement inquiétant des fake news ou infox, dont chacun.e d’entre nous peut devenir à son corps défendant un relai, faute d’avoir par exemple revérifié attentivement les sources des informations que nous diffusons ou repartageons…

On le voit : la liste des mauvais réflexes pourrait être longue. Et même si Olivier Cimelière arrête là son énumération, il faudrait évidemment ajouter à celle-ci, de manière plus globale, les ravages de la communication « top-down », quand celle-ci devient la planche de salut de toute organisation traversant une situation de crise (mauvais réflexe) ou le refuge de dirigeants et de communicants obsédés du contrôle, allant jusqu’à dénaturer leurs propres opérations d’employee advocacy, pour faire de leurs collaborateurs-ambassadeurs de vulgaires « perroquets des messages corporate de l’entreprise » et de la langue de bois interne.

>> BONNE RESOLUTION N°6 : …et on se promet, a contrario, de pratiquer un marketing et une communication plus responsables

Si les marketeurs.euses et communicant.e.s se sont emparés depuis un moment des thématiques de la RSE au sein de leur organisation (avec plus ou moins de succès d’ailleurs, car le soupçon de « greenwashing » leur colle toujours aux baskets), il est sans doute temps d’aller plus loin…

Tandis que les chartes et codes de bonne conduite se sont multipliés ces dernière années dans nos univers, généralement à l’initiative des syndicats professionnels et de certains de leurs adhérents, l’UDA s’est assurément démarquée dans ce registre, en inaugurant en janvier 2018 avec quelques 28 signataires³ le programme FAIRe, soit 15 engagements à suivre pour favoriser l’émergence d’une communication et d’un marketing véritablement responsables (voir ces 15 engagements sur l’infographie de synthèse ci-dessous).

Elaboration responsable des messages, éco-socio-conception des supports, diffusion maîtrisée des communications, prise en compte de l’ensemble des publics, relations responsables avec les partenaires… Toutes les dimensions de nos métiers sont concernées, et outre les 15 engagements principaux définis, le programme identifie également d’autres champs de progrès à retrouver ici.

Particulièrement exemplaire dans cette démarche, le Groupe EDF, signataire de ce programme aux côtés d’entreprises comme Bel, BNP Paribas, Citroën, Coca-Cola, L’Oréal, Unilever ou Danone, est allé encore plus loin en déclinant et complétant ces 15 engagements par un code interne de quelques 45 autres engagements (soit 60 au total), qui englobent toutes les typologies d’actions de communication.

C’est ainsi qu’à l’occasion des Electric days qu’il a organisés du 9 au 11 octobre derniers, le premier électricien du monde a conçu le premier évènement 100% éco- et socialement responsable : une grande première en France, dont beaucoup d’organisations pourraient s’inspirer.

>> BONNE RESOLUTION N°7 : on découvre bientôt le nouvel ouvrage-évènement d’Anthony Babkine et on ne manque sous aucun prétexte les prochains Diversidays !

Ex directeur général adjoint de l’agence TBWA/CORPORATE, auteur prolixe d’ouvrages de référence sur l’e-réputation ou la communication en temps réel et chroniqueur TV (entre autres), Anthony Babkine fait partie de ces personnalités dont je vous donne régulièrement des nouvelles et qui font avancer nos métiers et les mentalités.

Au mois de novembre 2017, Anthony avait lancé à Paris, avec sa camarade de promo et complice Mounira Hamdi, la première édition des Diversidays. Soit un rendez-vous exceptionnel et innovant, visant à promouvoir de nouveaux modèles de réussites et des initiatives inspirantes issus de la diversité et liés au numérique et à l’entrepreneuriat.

Fort du succès de cette première édition parisienne et très engagés dans ce combat qui leur est cher, Anthony et Mounira n’ont pas tardé à récidiver, en délocalisant en province cet évènement hors-norme et leur démarche de détection et de valorisation des jeunes talents issus de la diversité et du numérique.

Après une nouvelle édition particulièrement réussie et pleine d’émotion et d’énergie réalisée en Occitanie l’automne dernier (voir l’extrait vidéo ci-dessous), c’est en Auvergne Rhône-Alpes qu’auront lieu les prochains Diversidays le 7 février prochain, avant que la belle aventure se propage à Lille.

…Et en parallèle de ces Diversidays à venir, Anthony Babkine s’apprête à livrer très prochainement le produit de ses réflexions sur ce formidable ascenseur social qu’a représenté pour lui et que représente aujourd’hui pour des milliers de jeunes le numérique : un livre dont j’ai eu l’honneur de pouvoir lire les bonnes feuille (merci encore Anthony) et que je vous recommande chaudement !

BONNE RESOLUTION N°8 : exigence d’authenticité, envol de l’advocacy, retour en force des contenus et du storytelling, nécessaire adaptation des outils et des organisations… > on attaque de front les grands enjeux identifiés par les marketeurs et communicants.

Chose promis, chose due : je m’étais engagé lundi, au début du présent article, à vous faire un retour sur les tendances les plus marquantes priorisées cette semaine par les marketeurs.euses et les communicant.e.s.

Sur la base des 10 tendances que j’avais listées et détaillées en fin d’année, vous êtes à 23 heures ce jeudi soir près de 110 à avoir répondu au sondage concocté par Coryne Nicq et je l’en remercie / je vous en remercie vivement !

Voici ci-dessous les résultats, pour le coup parfaitement fiables et significatifs, qui se dégagent de ce sondage et les tendances classées par ordre de priorité (je reprécise pour les lecteurs que chaque répondant pouvait voter pour 3 tendances qu’il jugeait prioritaires, sur les 10 que j’avais identifiées…).

Si la lutte contre les fake news et le besoin d’authenticité remportent beaucoup de suffrages, de même que l’employee advocacy, la nécessité d’adapter les organisations, le storytelling et l’UX, que dire du rang assez étonnant (et marginal) de l’IA, de la data et du brand purpose ? Ce dernier étant mon cheval de bataille, faut-il comprendre que celui-ci coule aujourd’hui de source dans les organisations… ou au contraire qu’il n’est pas une priorité : chacun l’interprètera comme il le souhaite. Des résultants intéressants et tranchés en tout cas.

BONNE RESOLUTION N°9 : plus que jamais en 2019, on continue de promouvoir l’écoute et la bienveillance et de pratiquer la communication avec audace !

Je me souviens en avoir déjà fait deux de mes résolutions en début d’année dernière : la pratique de l’écoute demeure une des compétences clés des communicants et un préalable à toute recommandation communicante, ainsi que je l’ai également expliqué dans cet article dédié.

De même, la bienveillance, au sein de l’entreprise et en dehors, une bienveillance « à 360 degrés » entre les différents acteurs (dirigeants, managers, collaborateurs, émetteurs et récepteurs de messages) me paraissait également plus que souhaitable pour poser les bases d’un véritable dialogue et d’un engagement réciproque dans des contextes de plus plus volatils et incertains.

Ma recommandation sur ces points n’a pas varié d’un iota. Et dans une société où les parties prenantes n’ont jamais eu autant de mal à s’écouter et à échanger (cf évidemment la crise des « gilets jaune », mais c’est loin d’être le seul exemple), un peu de communication au sens premier du terme (rappelons que communiquer veut d’abord dire « mettre en commun » et donc partager) ne serait pas un luxe !

Mais pour communiquer il faut être deux et cela réclame une véritable audace : celle d’aller l’un vers l’autre, plutôt que de demeurer dans une attitude passive-agressive ou de rester dans l’invective. Car ainsi que le disais récemment à Mathilde Aubinaud, dans cette interview : « Communiquer, au sens premier de ‘mettre en commun’, cela suppose en premier lieu de faire l’effort d’aller vers l’autre et de l’écouter, c’est à dire de faire abstraction de son propre point de vue et de ses préjugés pour s’ouvrir à autrui et le reconnaître dans son altérité. Sans cette écoute et cette ouverture d’esprit, point de conversation possible : l’échange tournera au « dialogue de sourds » ou demeurera tout simplement un monologue ».

Dans notre formidable pays, où chacun pense savoir mieux communiquer que son voisin, et bien entendu beaucoup mieux que les communicants professionnels, voués aux gémonies, un retour à ces principes de base et à un peu d’humilité ferait le plus plus grand bien. Mais il est si confortable de se murer dans le silence, de faire des petites phrases assassines, de tacler son voisin par réseau social interposé tout en confortant ses propres convictions dans des communautés de plus en plus fermées et qui s’auto-alimentent, quand il ne s’agit pas de casser des vitrines ou du CRS « pour se faire entendre ».

Beaucoup de suffisance, d’agressivité et de postures et de moins en moins d’écoute et de volonté de communiquer… Alors oui, bien cher.e.s ami.e.s marketeurs.euses et communicant.e.s, croyez-moi : en 2019 et longtemps encore, les entreprises et les parties prenantes auront plus que jamais besoin de nos compétences.

 

 

Notes et légendes :

(1) D’après une étude récente menée par Newpharma et l’institut Toluna, sur les 69% de Français qui reconnaissant se fixer des bonnes résolutions en début d’année (31% ne s’en fixeraient jamais), 63% indiquent respecter « parfois » leurs bonnes résolutions sur le long terme, 23 % précisent les tenir « souvent » et 5 % seulement disent les tenir « toujours »… tandis que 9 % des Français reconnaissent ne jamais respecter les bonnes résolutions prises pour la nouvelle année (CQFD).

* Jane B. est le nom d’artiste que s’est donnée Jeanne Bordeau, éminente linguiste et experte en communication que j’ai régulièrement citée et interviewée sur ce blog. Ses tableaux mettant chaque année en scène les 1 000 mots marquants des 12 mois écoulés sont aujourd’hui autant reconnus pour leur qualité artistique que leur valeur linguistique. N’hésitez pas à lire à ce sujet cet article précédent du BrandNewsBlog sur le rapport entre les artistes et les marques, dans le cadre duquel je citais déjà Jane B.

(2) Exposition « Le récit d’une époque », par Jeanne Bordeau alias Jane B, au Campus Molitor, 26 rue Molitor, 75016 – Paris, du 18 au 20 janvier 2019.

 

Crédit photos et illustrations : 123RF, Jeanne Bordeau, Christophe Lachnitt, Emmanuel Chila, TheBrandNewsBlog, X, DR. 

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