1 000 mots pour raconter l’époque : la fabuleuse oeuvre lexico-picturale de l’alchimiste Jeanne Bordeau

Parmi mes fidèles lecteurs et lectrices, certain.e.s me feront peut-être observer que je ne manque jamais une occasion de parler des travaux de Jeanne Bordeau.

C’est vrai. L’éminente linguiste, fondatrice de l’Institut de la qualité de l’expression¹, a souvent été une inspiratrice et une contributrice de ce blog et je n’ai jamais caché mon admiration pour la profondeur de sa réflexion et pour ses apports fondamentaux à nos métiers du marketing et de la communication.

Ainsi, dans mes recommandations et bonnes résolutions pour 2019, parues il y a quelques jours, je vous incitais à aller découvrir son exposition « Le récit d’une époque », dans laquelle Jeanne Bordeau alias Jane B (son nom d’artiste) s’apprêtait à nous faire découvrir les 1 000 mots et expressions marquantes de l’année écoulée.

Fidèle au rendez-vous, puisque j’ai eu la chance de découvrir moi-même l’expo ce vendredi, je ne pouvais  laisser sur leur faim toutes celles et ceux qui auraient aimé se rendre au campus Molitor cette fin de semaine mais n’ont finalement pu le faire (l’expo est néanmoins ouverte jusqu’à ce soir²). Aussi ai-je décidé de partager avec vous le passionnant entretien que l’artiste a bien voulu m’accorder. Puisque c’est bien sous cette casquette d’artiste, mais aussi de linguiste et de fine observatrice des bonheurs et des maux de notre époque que Jeanne a bien voulu me répondre, et je l’en remercie.

Pour celles et ceux d’entre vous qui ne connaîtraient pas encore l’œuvre de Jane B, je rappellerai qu’à côté du travail qu’elle mène pour un certain nombre de grandes entreprises au sein de son Institut, Jeanne Bordeau a entrepris depuis 11 ans de réaliser une grande fresque lexico-picturale de notre siècle (d’où le titre de son exposition 2019). Année après année, à partir des milliers de coupures de journaux et de magazines qu’elle a sélectionnées et classées avec soin au fil des 12 mois écoulés, elle réalise en effet 10 « tableaux de mots », fragments de cette gigantesque tapisserie de Bayeux contemporaine qui rassemble aujourd’hui 110 œuvres et dont elle avait choisi cette année de représenter les moments majeurs.

« Gilets jaunes », « colère », « ras-le-bol fiscal »… Vous pourrez constater comme moi que les mille mots retenus pour l’édition 2019 font évidemment écho à l’actualité la plus récente, approfondissant ce sillon de la  » triple fracture sociale » que Jeanne avait déjà identifié depuis plusieurs années. Mais la « fracture » est également géographique et numérique, et les nouveaux usages reconfigurent complètement les univers du travail, de la communication ou de la culture, tandis que les préoccupations environnementales et la lutte contre les discriminations restent des thématiques fortes.

Je n’en dirai pas plus et vous laisse découvrir, en ce dimanche idéal propice à la lecture, la teneur de mon entretien avec Jeanne Bordeau :)

The BrandNewsBlog : Chaque année, à partir de coupures de presse collectées dans des milliers de journaux et de magazine, vous créez une grande fresque lexicale en 10 tableaux regroupant les 1 000 mots des douze mois écoulés. Quels sont les mots et expressions clés qui sont particulièrement ressortis en 2018 ?

Jeanne Bordeau : Les mots marquants des médias de l’année 2018 sont, cette année, plus éloquents dans l’univers politique, économique et social. Parce que depuis 11 ans chaque année je travaille sur 9 grands thèmes³, je peux dire qu’à l’inverse, l’an dernier, c’est l’univers de la femme avec le « me too » et l’univers du développement durable qui étaient les plus marquants, les plus existants. Cette année, on a à peine entendu le bruit de la Cop 24 !

Le premier grand mot marquant cette année est la « fracture », parce qu’on a en effet une fracture économique, une « fracture sociale », une « fracture numérique » et une « fracture territoriale ». Il y a les « gilets jaunes » bien sûr, le « pouvoir d’achat » et le « ras le bol fiscal ». Cette expression que l’on voyait déjà dans le tableau de 2013 s’impose cette année. Elle symbolise cette « colère » qui resurgit, qui était déjà présente depuis 11 ans dans mes tableaux, bien avant les gilets jaunes.

Aussi, depuis un long moment déjà on sentait poindre l’angoisse sur le travail, sentiment accéléré par « l’Intelligence Artificielle ». Cette angoisse est surtout incarnée cette année par les « bullshit jobs », terme traduit par les « jobs à la con » et venant de l’ouvrage David Graeber, anthropologue. On ressent bien un « malaise ».

La lumière est aussi sur les « héros », les « Poilus », mais aussi les héros des temps modernes, avec la « Génération Beltrame » et « Mamadou Gassama ». Dans ce chaos, on a un désir de modèle, d’admiration, d’histoire forte. Il y a aussi l‘arrivée du « voice commerce » et d’« Alexa ». Tout ce chaos est exacerbé par cette recherche de vérité, qui a fait naitre le mot « infox ».

The BrandNewsBlog : Vous évoquez cette année une triple fracture « sociale », « numérique » et « géographique » dans notre pays. Comment se manifeste-t-elle et quels mots l’ont traduite en 2018 ?

Jeanne Bordeau : La « fracture » est en effet le grand mot de l’année. Telle que je l’évoquais juste avant, elle est partout, dans tous les domaines : il y a une « fracture sociale », politique, économique, territoriale et numérique. Du latin fractura, qui signifie éclat, fragment, ce mot flotte dans l’atmosphère.

De « la bataille des prix du carburant » sont nés des « gilets jaunes »des « nuits jaunes »,des « colères jaunes ». On voit des questions surgir : « Macron est le président des pauvres ? ». Cette fracture se traduit aussi par les mots « ras le bol fiscal », et le grand thème, très simple mais si classique, du « pouvoir d’achat » avec cette fameuse « colère » qui était contenue depuis tant d’années.

La « fracture territoriale » est concrétisée par la « désindustrialisation », par la détresse économique des territoires, par « la disparition des corps intermédiaires », la « déconnexion avec les élites ». On n’a plus une vie territoriale harmonieuse et répartie. Par ailleurs, Monsieur Macron n’a pas senti l’importance de son lien avec les maires. On trouvera dans les mots de l’année l’expression « Adieu aux maires » selon les médias. On voit aussi poindre un nouveau terme, la « rurbanisation » pour évoquer ces villes qui débordent sur la campagne. Et, les élevages industriels pullulent. Concomitamment, les villes deviennent des « villes vertes », « des villes jardins » avec des jardins suspendus.

Derrière les nouveautés tech’ foisonnantes, la « fracture numérique » porte en son sein un nouveau mot : « l’illectronisme ». Le digital ne serait pas si intuitif que cela, il est peut-être plus élitiste que l’on ne le croit…Même les jeunes générations sont parfois incapables de dompter ces nouveaux outils façonnés par la technologie.
On ressent « la grande peur des algorithmes » et on commence de côtoyer les « robots ».

La diffusion aisée et la manipulation de l’information qu’a permis le digital a aussi posé la question de la vérité. Les fake news deviennent « infox » après l’automne, à la suite de la décision de la Commission d’enrichissement de la langue française face aux informations toxiques et erronées. Est-ce un mot dont le public s’emparera ? On ne peut pas encore le dire.

The BrandNewsBlog : Au-delà de cette triple fracture, quels sont les autres mots marquants et tendances lexicales de l’année ? Et que racontent-ils de notre époque et de notre société ?

Jeanne Bordeau : J’ai criblé d’autres mots puissants comme « illibéralisme », « collapsologie », « peuplecratie » qui correspondent bien à tout ce qu’une fracture peut faire naître. Les « black blocks » et les « casseurs » font parler d’eux. On se souvient aussi en novembre du « parcours mémoriel » du Président qui tente de renouer avec l’Histoire et avec le peuple. Mais la presse a caricaturé ce voyage en l’appelant le « Macron tour ».

Côté numérique, le prénom de l’année, c’est « Alexa ». Le « commerce devient vocal », la voix révolutionne notre rapport aux marques. « C’est l’enceinte qui te parle » avec « Alexa » et « Google Home ». Est-ce que l’on parlera bientôt à des gens qui ne sauront ni lire ni écrire ?

On voit poindre également les termes de « nano-influenceurs » et « instapreneurs ». « Instagramiser » est l’un des verbes de l’année. On apprend ce qu’est « l’overclocking », cette pratique qui consiste à manipuler le signal d’horloge du processeur de l’ordinateur pour le rendre plus performant, pratique très connue de « la génération K ». Pendant ce temps-là, « Netflix » est sur tous les écrans.

Côté travail, c’est l’année des « slasheurs », ces travailleurs qui alternent entre plusieurs emplois ou métiers dans le même mois. Mais ce surcroît de travail volontaire ou subi ne doit pas éluder la question soulevée par le best-seller de David Graeber, celle des « Bullshit jobs » où l’inutilité des tâches remplit le quotidien de l’employé de bureau. « Bullshit jobs » est traduit par « jobs à la con ». On entend aussi parler des « oubliés de la start-up nation ». Le terme « co-working » entre définitivement dans le langage courant. Il était déjà présent en 2010 mais cette fois, ce sont les entreprises qui choisissent des espaces de travail organisés en mode « co-working ». En 2018, le co-working est incarné par les lieux.

Un autre très grand phénomène est le thème de la « sècheresse », des « canicules », des « inondations ». Le « dérèglement climatique » vient peu à peu remplacer le « réchauffement climatique ». Peut-être « dérèglement » est-il un mot plus juste. Parfois, certains parlent de « changement ».

Face à ces phénomènes, la recherche du bonheur est omniprésente et de plus en plus, les marchands de bonheur et de zen sont pointés du doigt. En économie, on a pu voir naître une expression comme « Bonheur national brut ». Mais, c’est surtout la « happycratie » qui est devenue célèbre grâce au livre publié en août par Eva Illouz et Edouard Cabanas.

Pour terminer sur une note positive, n’oublions pas « l’amour foot » et la victoire galvanisante des Bleus, vite assombrie hélas par « l’affaire Benalla ». On se souvient également du talent de « France Gall », « Aznavour », « Aretha Franklin »…

Enfin, le verbe « apprendre » a beaucoup frissonné en 2018, ainsi que le verbe « dessiner » qui a été réveillé par la sur-utilisation du mot « design » et « instagramiser ». On retrouve également cette année la sur-utilisation du verbe « réinventer ».

The BrandNewsBlog : Et l’univers du digital et de la communication, que représente-t-il ?

Jeanne Bordeau : C’est un travail majeur, c’est un lieu source, le cœur vivant d’un changement qui fait que plus rien ne sera jamais pareil.

Cette année, le « vocal », « le voice commerce », « Alexa », « Google home » sont sous les projecteurs. « Coucou, c’est l’enceinte qui te parle » et « on remet le son ! ». Sans oublier le bruit qu’a fait la « RGPD » qui entre en vigueur le 25 mai 2018.

Ce sont aussi des dizaines et des dizaines de mots qui naissent. Victor Hugo ne pourrait pas lire votre média, ni Stratégies, ni Influencia. De « l’eye-tracking » à la « nano influence », d’« Instagramiser » qui fut un verbe de l’année à « bad buzz » qui fut le titre d’un livre d’Anthony Babkine il y a quelques temps, les mots du digital sont tout un patrimoine lexical des années 2000. Cette année, la « génération K » fait confiance aux «nano-influenceurs » qui n’ont qu’entre 10 000 et 100 000 influenceurs. Sans doute racontent-ils une histoire plus sincère. Enfin, la popularité du récit « Netflix » confirme : nous sommes des « mangeurs d’histoires », toujours touchés par la puissance du « storytelling ».

En 10 ans, un territoire sémantique nouveau s’est installé : Victor Hugo rencontrerait les « geeks », les « chatbots », les « hacktivistes », « millenials » et Youtubeurs » !

Il serait surpris par les « hologrammes », les « pompes à données », les « data » et les « algorithmes », par les concepts de « dark web », « cyber sécurité, « gamification », « phygital », « e-reputation », « e-learning » …

On lui expliquerait tous les nouveaux mots inventés : les « phablettes », « newsrooms », « pitchs », le « personal branding », les « licornes ». C’est tout juste si Victor Hugo reconnaitrait le mot « pirate » dans la planète « cyber » ! Enfin, comprendrait-il pourquoi tout est « ultra » ?  « Ultra-emotionnel », « ultra personnalisé ». L’écrivain poète serait ultra-perdu !

The BrandNewsBlog : Parmi ces tableaux de l’année, y-en-a-t’il par hasard un ou plusieurs pour lesquels vous avez une préférence, ou dont vous êtes particulièrement fière ? Certains vous ont-ils donné plus de « fil à retordre » que d’autres ?

Jeanne Bordeau : Oui, j’ai des tableaux préférés qui m’ont particulièrement marquée. Sur la centaine de tableaux créés en 11 ans, il y en a des poignants. Je suis fière de mon tout premier tableau Société, qui s’appelle « Métamorphose », où Michael Jackson apparait en Charlie Chaplin, et tout cela dans la forme d’un papillon. Il y avait déjà dans ce tableau le terme « déclassement ». Mais ce qui m’avait frappé surtout, c’est la superposition de ces deux artistes. Tous les deux ont une démarche à la fois déséquilibrée et une démarche tout à fait gracieuse, voire aérienne. Michael Jackson et Charlie Chaplin pouvaient marcher sur la lune ! Ils étaient à la fois bannis, controversés, incompris et gracieux, doués, vifs. Je pense encore aujourd’hui à cette métaphore de la société. En créant ce tableau, j’avais l’impression de voir cette société qui boitait et qui pouvait tout en même temps courir. Elle court peut-être pour empêcher de montrer qu’elle boite. Il annonce beaucoup ce tableau.

Je suis également fière de ceux qui marquent les étapes historiques. Celui sur la mort de Steve Jobs « Off Steve », en 2011, ou celui de la Crise qui s’appelle « Evasion » en 2012. Ce dernier implique que « riche » va devenir un mot presque imprononçable. D’autres m’interpellent encore aujourd’hui : le « Burn-out » (Ressources Humaines) en 2013, Le « Chaos » en 2014 (Société), le Société de 2015 « Je suis Charlie », sur le bataclan et « Tristan et les chatbots » (Communication) en 2016, qui annonce l’arrivée des robots.

L’année dernière, le « Soleil Vert » du thème Développement durable, ainsi que le « Me too », (Femme) et le « Jupiter » (Politique) sont particulièrement expressifs de l’année 2017. J’avais travaillé un Président Macron fond jaune fluo… prémonitoire, qui semblait porter le monde.

Cette année, ce sont les tableaux Politique, Social et Économie qui sont particulièrement forts.

En plus de la collection des 10 thèmes de l’année, tous les tableaux particulièrement marquants depuis 11 ans seront exposés au Campus Molitor.

The BrandNewsBlog : En réalisant ces fresques et tableaux artistiques année après année, à partir des 1 000 mots que vous avez patiemment sélectionnés, vous avez créé un nouveau courant : le lexico-picturalisme. Comment le définiriez-vous et quelles sont vos sources d’inspirations sur le plan artistique ? 

Jeanne Bordeau : Le lexico-picturalisme, c’est créer une œuvre picturale avec des mots. Dans mon cas, je mets en scène les mots des autres, ceux des journalistes, pour dessiner une interprétation de la société.

Je suis touchée par le Dadaïsme, Kurt Schwitters, George Braque, Picasso, Matisse pour les couleurs ainsi que Delaunay pour les formes mais aussi par l’artiste plasticien américain Rauschenberg, ou encore Basquiat, Hans Hartung, pour sa force du trait, Bram Bogart, Jean-Michel Alberola…. Et tant d’autres ! J’écoute chaque art.

Je suis surtout sensible à la magie de la métamorphose et à son mouvement, mais aussi à la danse, à sa force et à sa grâce, à la nature, aux êtres qui m’entourent. Par exemple, vous trouverez souvent dans mes tableaux des abeilles et des papillons, des yeux, presque obsessionnellement. Et parfois des mains, des pieds, des oreilles. Et puis toujours des silhouettes. J’essaye le plus possible de réussir à dessiner avec les mots, de rendre compte ensuite d’une harmonie ou d’une dissonance malgré la profusion des mots. Ce n’est pas toujours évident de faire danser et respirer des mots de papier rigides, des mots de journaux, souvent édités avec un papier de mauvaise qualité !

Pour créer, j’ai souvent un film qui tourne en fond dont j’écoute les dialogues. J’écoute aussi beaucoup de musiques, comme Puccini, Beethoven, Dinah Washington, Judy Garland… Mais également de la musique corse, grecque, russe, espagnole, italienne et du Grégorien. J’écoute les langues et des musiques assez ventrales, qui bousculent, qui expriment l’histoire d’une culture.

The BrandNewsBlog : Une fois les 1 000 mots de l’année rassemblés en sous-familles, puis par grande thématique, comment vous vient l’inspiration picturale pour la mise en scène de chacun de vos 10 tableaux ? 

Jeanne Bordeau : Tout au long de l’année, chaque semaine, Je crible les mots dans la presse les sélectionne et avec la patience d’un entomologiste, les classe dans des cartons à dessins par thèmes. Des milliers de mots passent dans mes mains. Cette sensation physique est précieuse et indispensable. Vers le mois d’octobre, mes tableaux naissent dans mon esprit en lien avec la relecture des mots récoltés. Pour chacun des tableaux, il y a une approche commune qui est presque une méthode depuis onze ans. J’ai toujours une première sensation par la couleur, une couleur vive ! Ensuite, il y a un concept clé qui donne une forme.

Pour le tableau Développement durable de cette année par exemple, c’est un arbre qui se dessèche, le concept principal est la « sécheresse » : « laissez les arbres tranquilles ! », « déforestation », « canicule », « incendies », « acidification de la terre ». Il y a la mort des oiseaux et des animaux : « les cigognes qui ne migrent plus », « les animaux malades du plastique » « les abeilles à bout de souffle ». À gauche, au pied de l’arbre dessiné, j’ai posé des petites lunettes noires pour faire face à la canicule. Mais j’ai surtout ajouté une grande paire de lunettes roses posée sur l’arbre qui est majeur dans ce tableau et qui dit clairement que l’on ne veut pas voir l’état des dégâts. Pourtant la situation est urgente : le réchauffement climatique glisse vers un « dérèglement climatique ». Vous voyez des couples de mots contradictoires. « Planète brule » et « ouragan », « vagues d’incendies » et « inondations ».

Le tableau Femme de cette année est en mauve. Les femmes sont en deuil. Avec les mots, j’ai choisi de dessiner la forme d’un œuf, c’est le « game ovaire ». Les femmes essayent de sortir d’un cercle fou, d’un œuf, d’un enfermement, elles sont perdues, déstabilisées. Les messages sont contradictoires. À côté de « arrêter de chercher à plaire », on trouve le « body sirène ». La famille n’existe plus. Il y a « des spermatozoïdes en catalogue ». Et le « me too » est toujours là cette année. Il laisse les secrets s’échapper : tant de jeunes filles ont été violées dans les familles.

Un seul tableau existe dans ma collection des dix tableaux sur les Beaux Mots, car les beaux mots sont tellement plus rares. Il n’y a que 10% de mots doux, portants la beauté et le rêve. Dans ce tableau, on croise « âme nomade », « élégance », « tout doux », « danse », « puissance poétique », « quête de sens »

The BrandNewsBlog : Vous laissez-vous guider par une image mentale du tableau que vous avez soudain en tête, par la petite musique qui se dégage des mots ou bien d’abord par une une couleur de fond ? D’ailleurs y-a-t’il une règle ou vous laisser vous aller davantage à l’instinct ?

Jeanne Bordeau : C’est la disposition des mots qui crée un dessin et participe à tisser un récit. C’est pour cela que je peux passer 6 heures à voir comment disposer les mots. C’est une écriture : des tableaux contes. Rien n’est laissé au hasard, il n’y a pas de détail. Je me munis de mes pigments, cutters, colle et ciseaux. C’est ascétique. Et j’essaye de dessiner la dimension sensible du monde, l’irradiation des mots.

Composer ces tableaux, c’est aussi exigeant qu’une activité sportive, il y a un timing, il faut lutter contre le temps. Tout au long de l’année je crible les mots dans la presse, je les récolte chaque jour et garde une journée du week-end et les trie par thème, je les ausculte. C’est en octobre que je supprime des répétitions et décide des mises en scène des formes. Mettre 6 gilets jaunes ou 8. Mettre 6 gilets jaunes, 8 gilets jaunes, 12 gilets jaunes ? Pour chaque tableau, une synthèse se fait après le brassage et le tri puis un concept dominant s’installe.

C’est un long travail minutieux muri tout au long de l’année. Mais une fois que je me lance, je me surprends à veiller à la justesse des propos jusque chez l’encadreur. C’est cet équilibre, entre une réflexion omniprésente, mon expertise, ma pratique et mon écoute dans les entreprises qui fondent une cohérence dans le récit que raconte chacun de ces tableaux. À part égale, je fais toutefois confiance à mon intuition. C’est ainsi que j’ai choisi du jaune vif pour le tableau politique de l’année dernière !

The BrandNewsBlog : Vous réalisez ce travail considérable sur les mots de l’année depuis maintenant 11 ans. A ce titre, quels grands enseignements se dégagent de cette gigantesque « tapisserie de Bayeux du monde contemporain »  ? Les mots évoluent-ils au fil du temps et incitent-ils par exemple à l’optimisme ou bien sont-ils « neutres » ?

Jeanne Bordeau : Les tableaux ne sont pas là pour enseigner. Chaque tableau donne avant tout à penser. Je vois qu’ils bouleversent et qu’ils dérangent. Ce sont des tableaux d’état de vérité. Je ne suis qu’un lanceur d’alerte et un transmetteur qui crible les mots des médias, de la société. Et qui écoute le bruit du monde. Chaque personne qui regarde les tableaux aura une interprétation différente.

Oui, les mots évoluent, bougent, palpitent, respirent. Mais hélas, ils sont de plus en plus violents. Ce sont des mots de l’extrême. Ce n’est plus la « vitesse » c’est « l’accélération ». Ce n’est plus la « beauté » c’est la « beauté augmentée ». C’est l‘installation de « l’hyper » et de « l’ultra ».

Dans toute la collection de tableaux, on tombe sur des mots comme « arme numérique », « chaos », « barbarie », « cyberviolence ». Pour compenser, on nous parle de bonheur, de « happythérapie ». Mais les mots ne sont pas neutres. Je n’ai pas tellement vu le mot « sérénité » par exemple, j’ai plutôt vu le mot « colère » « chaos » s’imposer dès 2014. Et « Chaos » est d’ailleurs le titre de tableau Société de 2014. Ce sont des tableaux qui gardent la mémoire des mots dits et écrits comme « décapité », « égorgé », « attaque au couteau ». Ce sont des mots qui témoignent du temps.

The BrandNewsBlog : Nous parlions tout à l’heure de « fracture sociale » et de « colère ». Y-a-t’il des mots et tendances lexicales éphémères et d’autres qui au contraire s’inscrivent dans la durée ? Les mots des années antérieures vous ont-ils parfois permis de pressentir de grands mouvements sociaux à venir, comme celui des gilets jaunes cette année ?

Jeanne Bordeau : Il y a des mots comme « déclassement social », dès 2009, l’apparition du mot « pauvres » face aux « riches » et « hyper riches » en 2012, « burn out » qui était dans mon tableau de 2013, « chaos » dans mon tableau de 2014 et « chatbot » (tableau de 2016), qui s’imposent et s’installent. Ils naissent avec des nouvelles pratiques.

Il y a des mots nouveaux qui sont souvent faits de préfixes et suffixes comme « ultra », « hyper », « éco » « cyber » ou « tech » … Les années qui précédent, on pouvait lire « éco-gestes », « cybersécurité » « civitech », « foodtech » « frenchtech ». Sans oublier le mot « start-up », « écosystème », « Intelligence artificielle », « malbouffe » etc…

Il y a aussi les mots « ZAD », on a désormais des « zadistes ».

Quant aux verbes, « uberiser », « digitaliser », « buzzer » ils n’étaient pas là il y a dix ans.

On reconnaît des mots, mais ces récits racontent aussi des phénomènes qui durent. Johnny Hallyday est dans tous mes tableaux Culture depuis 11 ans. On se moquait de moi, quand je disais qu’il aurait l’enterrement de Victor Hugo ! Chaque année, je tenais tête aux critiques en disant que Johnny Hallyday était là parce qu’il embrassait l’histoire de 4 générations. Je suis là comme témoin pour dire que malgré les critiques caustiques le populaire est noble : que l’on aime Johnny ou pas. Il est encore là cette année. Il est toujours au rendez-vous ! Cette année, j’ai même comme mot « sans Johnny ».

Il y a des mots plus fugaces, des mots gadgets, qui s’échappent au rythme des tendances et qui se brulent dans la lumière de l’actualité et du temps qui passe. Qui se souvient par exemple de « Vuvuzuela », des « bourus » (bourgeois ruraux), des « banksters » (banquiers gangsters) ou encore d’ « insincérité » apparu fugacement en 2016 ?

The BrandNewsBlog : Pour conclure, combien d’années encore voudriez-vous continuer à réaliser un tel travail sur les tendances lexicales ? Vous êtes-vous fixé un objectif, un défi à relever ?

Jeanne Bordeau : Mon objectif est de trouver un plus grand atelier près du Hameau Boileau dans le 16e où je vis. Je souhaite aussi commencer une œuvre qui ne s’arrête jamais et qui soit sur le temps, sur les mots du temps. Peut-être que j’aimerais aussi travailler sur le thème de l’élégance, qui semble un mot en voie de disparition. Enfin, la nature aussi me fascine. La terre malade s’est imposée depuis 2013. Il y a 5 ans, les tableaux Développement durable n’étaient pas aussi alertants. La planète est malade. Cela s’impose. J’entends gémir ces mots douloureux comme « déchets toxiques », « planète plastique », « fin du monde », « SOS terre en détresse ».

The BrandNewsBlog : Quelle serait pour vous la consécration ou la reconnaissance ultime pour ce travail à la croisée de la linguistique, de l’art, de l’histoire et la sociologie ?

Jeanne Bordeau : Transmettre grâce à ces tableaux, ce que Monsieur Richard Lablée, Directeur du Campus Molitor m‘a d’ailleurs demandé de faire en 2019 avec ses étudiants. Je le remercie d’ailleurs d’exposer mes tableaux de 2018 au campus. Les invités, nos clients, les passants, mais surtout les étudiants du Campus pourront vivre avec ces mots et j’aimerais que ces œuvres soient dans d’autres écoles, dans des entreprises, dans tout lieu de vie. Il faut qu’ils circulent, qu’ils alertent. C’est une œuvre publique et citoyenne. Grâce à Marie Béatrice Levaux, référente francophonie au Conseil économique, social et environnemental, je reçois également le soutien de la francophonie.

Ce n’est pas un hasard non plus que le Sénateur Maire du Mans Jean-Claude Boulard qui était auteur et anthropologue ait accueilli mes tableaux au Mans pendants 1 mois dans un lieu public comme le théâtre du Mans. En 2017, la Commission Culturelle du Sénat m’a sélectionnée pour exposer en juillet à l’Orangerie du Sénat dans le jardin du Luxembourg. Sans doute ne suis-je pas faite pour les musées mais pour les lieux de vie et d’échanges et les lieux publics. Je vois l’art comme un cri complémentaire, un cri nécessaire.

 

 

Notes et légendes : 

(1) L’Institut de la qualité de l’expression, fondé par Jeanne Bordeau a pour expertise le langage. Il accompagne depuis plus de 10 ans de grandes entreprises dans les domaines du conseil, de la stratégie éditoriale, du design linguistique et des contenus. Lieu de recherche, de création et de production, ce bureau de style est à l’origine de méthodes déposées : charte sémantique, signature sémantique, baromètre du langage digital…

(2) L’exposition « Le récit d’une époque » de Jeanne Bordeau alias Jane B, a lieu au Campus Molitor, 26 rue de Molitor dans le 16ème arrondissement de Paris et est ouverte du vendredi 18 janvier au dimanche 20 janvier au soir. 

(3) Jeanne Bordeau travaille en effet depuis 11 ans sur 9 thèmes : Politique, Économie, Ressources Humaines et travail, Développement durable, Femmes, Communication, Culture, Société. Et je traite en plus les verbes de l’année car le verbe est le moteur de la phrase.

 

Crédits iconographiques : Jeanne Bordeau alias Jane B, Garrett Strang, TheBrandNewsBlog 2019

 

Marketeurs et communicants : 7 bonnes résolutions pour bien démarrer 2017…

17sunrise3C’est devenu une tradition sur le BrandNewsBlog. Un peu comme l’incontournable buche de Noël et la dinde qui la précède… Chaque début d’année, je me permets de vous livrer quelques recommandations pour vous aider à découvrir et à apprécier d’emblée le nouveau millésime communicant.

Oh, bien sûr, tout n’est pas à prendre rigoureusement au pied de la lettre, et rien ne vous empêche de n’en faire aucun cas… Du reste, on sait le sort que la pression du quotidien et le poids des habitudes réservent en général aux bonnes résolutions de début d’année : le « taux de transformation » est en général assez faible, hélas…

C’est pourquoi (voyez comme je suis prévoyant) je vous propose ci-dessous un assortiment de résolutions de fond et d’autres beaucoup plus faciles à tenir. Vous n’aurez qu’à « faire votre marché » parmi elles et n’hésitez pas à me signaler, si vous le voulez bien, celles que vous aurez retenues :-)

Mais avant de démarrer cette liste de recommandations « maison », permettez-moi surtout de vous souhaiter à tous, marketeurs(teuses) et communicant(e)s, une très belle année 2017 ! En espérant, pour chacun(e), qu’elle soit à la fois connectée et source de belles rencontres « In Real Life », riche en inspirations et en découvertes, fertile en succès et avant tout empreinte de bienveillance !

>> BONNE RESOLUTION N°1 : et si, à l’occasion des voeux, on redécouvrait la vertu des messages personnalisés ?

Qui se souvient encore de l’époque où l’on exposait fièrement, sur son étagère ou un coin de son bureau, les plus créatives des cartes de voeux reçues de nos correspondants ? Il me semble que c’était hier… c’est-à-dire il y a fort-fort-longtemps. Nous passions alors, pour certains d’entre nous en tout cas, un temps non négligeable à rechercher puis à rédiger de notre plus belle écriture la formule originale et la plus personnalisée qui ferait mouche auprès de chacun(e) de nos interlocuteurs(trices).

Depuis, nous sommes tous passés ou presque aux messages SMS et aux charmes de la carte de voeux numérique, sans que la carte de voeux papier disparaisse totalement il est vrai, comme une ultime survivance d’un passé révolu… Mais il semble qu’une partie de la tradition des voeux se soit au passage perdue en route, les messages d’accompagnement personnalisés ayant de plus en plus tendance à céder la place aux formules types et autres e-mailings de masse pas toujours bien maîtrisés !

Qu’on ne se méprenne pas sur le sens de cette première remarque et de la suggestion qui en découle : je n’aurai pas la naïveté d’opposer les Anciens et les Modernes et l’époque (supposément bénie) des voeux manuscrits à l’ère du tout numérique. Ce serait faire peu de cas de la surenchère créative bienvenue à laquelle se livrent aujourd’hui aussi bien les entreprises que leurs agences, par vidéos de voeux et autres cartes électroniques interposées. Et ce serait aussi oublier tous ces gens qui se contentaient / se contentent encore d’agrafer leur carte de visite à la bonne vieille carte de voeux papier, sans la moindre attention pour leur interlocuteur !

Mais, puisque le vintage revient décidément à la mode, pourquoi ne pas consacrer de nouveau un peu de temps – et d’attention – à la rédaction de nos messages d’accompagnement (et de nos messages en général) ? Qu’on se remémore l’impact d’une formulation originale et personnalisée, qui va droit au cœur, auprès de celui ou celle qui la reçoit (cf ci-dessous l’excellent exemple des voeux personnalisés adressés par la boutique Tiffany Champs Elysées à une cliente pour son anniversaire). Autant faire de ce passage obligé des vœux la toute première expérience de marque gratifiante de l’année, dont se souviendront à la fois vos clients et vos partenaires…

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>> BONNE RESOLUTION N°2 : en janvier, on court voir l’exposition de Jeanne Bordeau (alias Jane B*) sur les 1 000 mots de l’année écoulée

C’est devenu un des rendez-vous les plus inspirants du calendrier communicant. Chaque année, au mois de janvier, Jeanne Bordeau nous livre dans le cadre d’une exposition ses fulgurances sur les mots et expressions qui ont marqué l’année écoulée.

Véritable « tapisserie de Bayeux du monde contemporain », les dix oeuvres exposées à cette occasion, dédiées chacune à une thématique précise (politique, société, culture…), sont le fruit d’un travail colossal de veille et d’analyse de la part de cette éminente spécialiste du langage. Car c’est à longueur d’année que Jeanne découpe dans des montagnes de journaux et de magazines les mots et bouts de phrase qu’elle assemble ensuite dans ces collages, qui expriment les grandes tendances lexicales du moment.

Alors, quoi de neuf en 2016 me direz-vous ? Le mieux est encore que vous alliez le découvrir par vous-mêmes à la à partir du 12 janvier¹. Mais, comme à son habitude, Jeanne Bordeau en a donné un avant goût fin décembre à quelques médias sélectionnés (voir notamment à ce sujet cet article de France 24).

Ainsi, avec notamment les expressions et termes « camion fou », « prêtre égorgé », « déradicalisation », « stop-djihadisme », une partie des mots marquants de l’année, particulièrement durs, témoigne évidemment de l’omniprésence de la menace terroriste et du souvenir des attentats meurtriers de l’année. « Populisme », « Brexit », « colère », « anti-système » ou encore « Nuit debout » renvoient quant à eux aux évènements politiques majeurs de 2016 et aux grands mouvements sociaux qui ont ébranlé les certitudes d’élites politique et médiatiques souvent dépassées par les évènements, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis. Tandis qu’au plan politique encore, les adjectifs « fillonistes » et « rassembleur » se sont taillés la part du lion en fin d’année, dans le contexte de « primaires » à l’issue inattendue, ce sont au contraire des mots et expressions touchant à la recherche du bien-être qui se sont répandus en entreprise et dans les univers professionnels et personnels, comme autant de remèdes aux remous du monde et à la sinistrose, avec le triomphe de mots et expressions tels que « lâcher prise », « bienveillance », « bien-être », « vivre mieux » ou encore « vegan », nous révèle ainsi Jeanne Bordeau.

Et quand la transformation numérique et l’innovation continuent de bouleverser chaque jour nos vies quotidienne, avec ces nouveaux mots et expressions que sont la « réalité virtuelle », la « réalité augmentée », « l’homme augmenté » et le « transhumanisme », mais également les « objets connectés », les « vêtements intelligents », « l’intelligence artificielle » ou encore les « blockchains »… l’impératif d’une part croissante de nos concitoyens devient de plus en plus de se réapproprier le monde et de donner un nouveau sens à leur existence. Ainsi, tiraillés que nous sommes « entre l’ancien monde et le digital, les super riches et les laissés pour compte, les élites et le peuple » comme le pointe Jeanne Bordeau, nous ré-investissons de plus en plus les verbes à préfixe tels que « redresser », « reconquérir », « redonner », « dédramatiser » ou « réinventer », notamment…

Il s’agit de plus en plus de « revivre différemment », ainsi que le résume la fondatrice de l’Institut de la qualité de l’expression, et rien moins que « retrouver une histoire commune, pour réparer une société blessée » : une ambition qui transcende une bonne partie des mots et expressions marquantes de 2016 et du début 2017, incontestablement.

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>> BONNE RESOLUTION N°3 : on nourrit sa curiosité et son esprit critique au bon jus de blog communicant…

Quelle meilleure façon d’entamer 2017 qu’en allant découvrir ou redécouvrir les meilleurs blogs de la communication et du marketing ? Par le passé, ceux qui suivent depuis un moment le BrandNewsBlog se souviennent peut-être que j’avais consacré des articles complets à ce sujet, en vous présentant notamment aux mois de janvier 2014 et janvier 2015 des sélections détaillées de mes blogs préférés (voir par exemple ici la shortlist de blogs que je recommandais en 2014 et ici ma shortlist 2015).

Les sites que je recommandais à l’époque et ceux que vous retrouverez d’ailleurs dans la rubrique « Mes blogs favoris » (en barre latérale droite du BrandNewsBlog), n’ont rien perdu de leur actualité ni de leur pertinence en 2016. Qu’on en juge par la qualité de ce récent article du Blog du communicant, dans lequel Olivier Cimelière revient de manière critique sur le buzz  créé par Monoprix à l’occasion d’une vidéo qui pastiche celle d’Amazon et son concept Amazon Go…

Dans cette veine critique et analytique, le dernier article du Reputatio Lab de Nicolas Vanderbiest, spécialiste de la communication de crise, de la réputation et des phénomènes d’influence en ligne, vaut également le détour. Le blogueur y évoque avec sa verve habituelle et beaucoup de rigueur le cas Toblerone et les dangers de la « memication » d’une crise, c’est à dire le fait que les internautes du monde entier se saisisse d’une actualité ou d’une idée simple pour la propager à l’infini et la tourner le cas échéant en dérision, l’idée en question ou le contenu considéré devenant sur Internet et les réseaux ce que l’on appelle un « mème ».

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Christophe Lachnitt, expert en communication, auteur de plusieurs ouvrages dont l’excellent « Le génie gênant » (qui traite des dernières tendances digitales et des enjeux de la transformation numérique) et blogueur infatigable depuis de nombreuses années, n’était pas moins en forme ces derniers temps sur son blog Superception. Parmi la foule d’articles pertinents écrits récemment par Christophe, je vous recommande ce billet édifiant sur l’avènement de « l’ère post-factuelle » : « La télévision peut-elle défendre la démocratie contre les réseaux sociaux ? » Dans une analyse pas franchement rassurante, Christophe y évoque la stratégie de communication de Donal Trump et sa manière d’utiliser en particulier les réseaux sociaux et Twitter pour court-circuiter les médias traditionnels et faire diversion en cas de crise et de remise en cause… Cette stratégie de « distraction massive », également utilisée pour désigner des entreprises, des journalistes ou des personnalités (comme le leader syndical Chuck Jones) à la vindicte populaire, en prenant à témoin ses millions de followers, a non seulement contribué à la popularité et au succès du Président élu, mais représente assurément une dérive inquiétante. Quand on constate en effet le soin pris à pousser et promouvoir des allégations plus ou moins mensongères et la volonté manifeste de Donald Trump de continuer d’utiliser ses comptes sociaux à des fins politiques une fois à la Maison blanche, comme autant de contre-pouvoirs aux institutions démocratiques américaines en place, on peut légitimement s’interroger. Mais heureusement la télévision veille au grain nous assure Chritophe Lachnitt…

Pour finir ce rapide tour d’horizon des blogueurs les plus en forme en ce moment, je ne manquerai pas de citer l’excellent site Couscous royal de Magali Héberard. Avec son franc-parler et un bon sens à toute épreuve, Magali excelle dans le traitement de sujets sensibles et / ou originaux. Pour exemple, je ne citerai que deux de ses dernières publications. Dans son billet intitulé « 11 leçons tirées de ma transition professionnelle », la blogueuse revient avec talent sur un sujet tabou du milieu de la communication : la gestion des situations de recherche d’emploi et la difficile remise en question professionnelle de ces cadres seniors mis sur le carreau non en raison de leur incompétence mais le plus souvent pour alléger la masse salariale de leurs entreprises, dans des contextes de restructuration… De même et pour d’autres raisons évidemment, j’ai beaucoup apprécié ce billet-coup de gueule plein d’humour (et si pertinent) de Magali : « Pourquoi je n’accepterai pas votre demande de contact LinkedIn », qui dénonce une partie des travers et mauvaises pratiques en vigueur sur les réseaux sociaux. Alors n’hésitez pas : allez-y voir vous aussi, si vous ne connaissez pas encore ces sites…

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BONNE RESOLUTION N°4 : en 2017, on embrasse les défis de la transformation numérique… sans pour autant tout sacrifier à la déesse digitale 

Je l’ai écrit récemment dans un billet qui se voulait optimiste (« 2017, année de la maturité numérique pour les communicants ? »), dans la foulée d’une étude publiée fin novembre par l’éditeur Wiztopic et le cabinet de conseil en transformation numérique Digiturns : « à part quelques très rares réfractaires, il semblerait bien que les professionnels de la communication soient enfin tous entrés dans l’ère numérique ».

Avec des degrés de conviction et d’engagement certes variables, les Dircom peuvent en effet se targuer de niveaux de culture digitale et de maîtrise des outils numériques objectivement bien supérieurs à ce qu’ils étaient il y a seulement 3 ans. Au point que 57 % des responsables communication interrogés dans le cadre de l’étude Wiztopic-Digiturns estiment aujourd’hui la culture digitale de leur équipe plutôt « bonne », voire « excellente », et 41 % la voient « en progrès ».

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Pour autant, malgré ces bonnes nouvelles et les statistiques flatteuses publiées à l’occasion de cette étude (64 % des Dircom affirmaient également avoir établi un plan de digitalisation de leur direction et le mettre déjà en œuvre), beaucoup reste encore à faire dans la plupart des entreprises et il faut demeurer prudent quant au degré de maturité réel des organisations et de leurs managers dans ce nouveau contexte.

Au-delà des retards persistants pointés par les experts de la #TransfoNum (sous-équipement des communicants en matière d’outils de veille, de connaissance client mais également de CRM et d’exploitation des big data ; retard des organisations dans l’adaptation aux nouveaux enjeux du numérique…), il convient aussi de ne point succomber complètement au « solutionnisme technologique » béat dont sont empreints tant de discours aujourd’hui.

De fait, et les marques les plus performantes l’ont compris depuis longtemps, si les chatbots et autres innombrables opportunités offertes par la digitalisation représentent des gisements d’innovation non négligeables, en terme de relation client notamment, les consommateurs attendent aussi de l’humain et in fine une expérience physico-digitale complète et « parfaite », ainsi que je l’expliquais ci-dessous dans le cadre des tendances marketing recueillies au mois de septembre dernier par l’éditeur Brandwatch. Il convient donc avant tout de remettre le digital à sa place, c’est à dire au service de la stratégie de l’entreprise et de l’expérience client, la transformation numérique n’étant évidemment nullement une fin en soi !

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BONNE RESOLUTION N°5 : Et si on abandonnait les vieilles ficelles et les déclarations d’intention pour devenir vraiment des communicants 2.0 ?

Vous allez peut-être vous dire que nous autres, blogueurs, ressemblons à ces animateurs télé qui ne cessent de s’inviter entre eux et semblent en permanence se renvoyer l’ascenseur, tant il m’arrive souvent de citer Olivier Cimelière (je viens d’ailleurs de le mentionner 2 résolutions plus haut :)

Mais il faut dire que l’ancien journaliste et ex dircom de Google France (entre autres) commet si souvent d’excellents billets de blog qu’il est vraiment difficile pour un communicant de passer à côté. Et son article du 21 décembre dernier sur les tendances de la communication en 2017, si vous ne l’avez pas encore lu, ne fait pas exception et me paraît incontournable.

Dans ce « coup de gueule » bien senti, Olivier Cimelière rebondissait justement sur les résultats flatteurs des études comme celle de Wiztopic-Digiturns et cette tendance de nombreux communicants à s’auto-satisfaire un peu facilement des progrès digitaux déjà accomplis.

Car en fait de transformation numérique, tandis que les professionnels sont de plus en plus nombreux à prétendre avoir compris et intégré les nouveaux paradigmes de la communication digitale, une majorité d’entre eux, d’après Olivier Cimelière, ne feraient en définitive que dupliquer à la sauce digitale les « vieilles ficelles » du marketing et de la communication. Point de changement véritable de comportement sur le fond, par conséquent, mais beaucoup de « bricolage », une obsession persistante du contrôle et une tendance récurrente à vouloir enjoliver coûte que coûte la réalité… Bref : rien de très nouveau sous le soleil à en croire le blogueur, la « com’ manipulatoire de papa » étant encore largement répandue, aux dépends de cette « communication 2.0 » qu’on a si souvent évoquée, mais qui suppose nécessairement d’intégrer l’autre, de l’entendre et de dialoguer avec lui, pour trouver des points mutuels de convergence et d’acceptation notamment.

Pour preuve de ce grand écart persistant entre les belles intentions proclamées et le poids des (mauvaises) habitudes, Olivier Cimelière cite notamment l’exemple de cette Dircom qui, tout en se montrant une ardente promotrice des réseaux sociaux au sein de son entreprise, continue d’exiger que le moindre tweet lui soit soumis pour validation au moins un mois à l’avance !

Pour certain(e)s, on comprend de facto que le chemin vers une communication libérée de ses vieux démons risque d’être long… Mais il suffit de lire l’article d’Olivier, synthétique et passionnant, ou son dernier ouvrage en date (« Managers, parlez numérique… ² ») pour comprendre tout l’intérêt d’une réelle évolution des mentalités et des pratiques.

BONNE RESOLUTION N°6 : On accepte le lâcher-prise, la contradiction et l’échange et on mise de nouveau sur la créativité et l’émotion

Quel que soit le domaine considéré (créativité, innovation, communication 2.0…), le lâcher-prise requiert un minimum de bienveillance et une confiance non pas aveugle mais raisonnée et sincère en la bonne foi et l’expertise de son/ses interlocuteurs.

Tout le contraire de la défiance et du rapport de force qui prévalent encore trop souvent hélas dans les relations annonceurs-agence par exemple, ou dans la communication minimaliste et parfois un brin paranoïaque des « obsédés du contrôle ».

Qu’on en juge par le visuel humoristique ci-dessous, représentant un visuel publicitaire revu et corrigé par un annonceur (pas si éloigné que ça de la réalité, il faut dire) : le résultat d’une telle défiance et de tels réflexes, sur le plan créatif notamment, s’avère souvent catastrophique ;-) !

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Au-delà du clin d’oeil et à la décharge des communicants, il faut reconnaître qu’il n’est pas toujours facile, dans le nouveau contexte de la révolution des usages et de la transformation numérique en particulier, d’accepter de perdre en partie le contrôle et de se laisser aller à un réel lâcher prise…

Il en va pourtant de l’évolution inéluctable de nos métiers, comme l’admettaient déjà sur ce blog  l’an dernier Anne-Gabrielle Dauba et Pierre Auberger³ (relire ici leur interview), une fois cette réalité admise « qu’une réputation ne se décrète plus unilatéralement, ni de façon incantatoire, mais qu’elle relève davantage d’un subtil mobile de Calder, où les parties prenantes ont autant de poids (sinon plus) que la marque ou l’entité corporate », comme le résume parfaitement Olivier Cimelière.

Dans ce nouvel ordre des choses, qui compose désormais notre quotidien, il est bien évident que les communicants qui se montrent ouverts, savent embrasser la contradiction, l’agilité et un véritable échange, auront le plus de chance de gagner à terme en crédibilité et en autorité, au détriment de ces « maréchaux d’empire » qui pensent encore pouvoir protéger leur entreprise et sa réputation en pratiquant une omerta et un contrôle excessifs et systématiques.

BONNE RESOLUTION N°7 : On ouvre ses « chakras », on évite le piège de l’entre-soi et on cultive un esprit positif, pour une rentrée en beauté !

C’est Lawrence Lesssig, professeur de droit à Harvard et initiateur de la licence Creative Commons qui en a parlé à Paris il y a un mois, à l’occasion du quatrième sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert : Facebook et les réseaux sociaux ont tendance à enfermer les utilisateurs dans leurs propres opinions.

Ce constat, certes déjà connu depuis un moment mais devenu réellement préoccupant à l’issue de l’élection présidentielle américaine, représente un réel défi collectif pour la survie de la démocratie mais aussi à titre individuel pour tout citoyen et tout professionnel. Car si les algorithmes de Facebook & Cie, au lieu de nous ouvrir au monde comme nous l’imaginions il y a 10 ans, tendent à nous protéger de la richesse et la diversité des opinions de ceux qui sont en désaccord avec nous, c’est à chacun de nous qu’il revient de corriger ce travers en allant vers des socionautes qui nous sont bien différents…

Mais admettons-le : c’est souvent et naturellement tout le contraire qui se produit, quand nous décidons par exemple de suivre ou de nous abonner à un internaute qui partage manifestement les mêmes passions et opinions que nous, ou bien le même métier. Le premier je l’avoue, j’ai tendance à entretenir ce réflexe en m’abonnant de préférence à des professionnels du marketing et de la communication ou à des experts qui partagent mes goûts… Et je ne suis sans doute pas le seul.

Pour éviter ce piège mortiphère de l’entre-soi médiatico-mercatique, que je dénonçais déjà dans cet article au mois de novembre dernier, ouvrons tous nos chakras et envisageons l’avenir de manière positive.

S’il nous est souvent reprochés, à nous autres Français, de sombrer trop souvent dans le pessimisme et l’auto-flagellation, je ne saurai trop vous recommander la lecture d’un ouvrage au demeurant passionnant : « Inventer demain : 20 projets pour un avenir meilleur »**, qui rassemble les contributions stimulantes de 20 grands experts qui ont planché sur des propositions concrètes pour améliorer l’entreprise, développer une croissance verte ou promouvoir le leadership des femmes.

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Au prix modique de 3 euros, ce petit opus dans lequel vous retrouverez les témoignages de Jacques Attali, Nicolas Hulot, Luc Ferry, mais également Isaac Getz, Joël de Rosnay ou Elon Musk… est un petit régal de pensée positive, et constitue une résolution facile à tenir ! :-)

 

 

Notes et légendes :

* Jane B. est le nom d’artiste que s’est donnée Jeanne Bordeau, éminente linguiste et experte en communication que j’ai régulièrement citée et interviewée sur ce blog. Ses tableaux mettant chaque année en scène les 1000 mots marquants des 12 mois écoulés sont aujourd’hui autant reconnus pour leur qualité artistique que leur valeur linguistique. N’hésitez pas à lire à ce sujet cet article précédent du BrandNewsBlog sur le rapport entre les artistes et les marques, dans le cadre duquel je citais déjà Jane B.

(1) Jane B. alias Jeanne Bordeau exposera ses tableaux à la galerie Au Médicis, à Paris, à partir du 12 janvier prochain. L’exposition sera accessible seulement certaines heures et sur rendez-vous.

(2) « Managers, parlez numérique… et boostez votre communication », par Olivier Cimelière aux Editions Kawa – octobre 2013

(3) Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce est Directrice de la communication et des relations presse de Google France ; Pierre Auberger est Group Corporate Communications Director de Bouygues SA.

** « Inventer demain : 20 projets pour un avenir meilleur », ouvrage collectif publié dans la Collection Librio Idées – septembre 2016

 

Iconographie : 123RF, The BrandNewsBlog, X, DR.

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