Pourquoi les clichés sexistes font (hélas) encore recette dans la pub…

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Les publicitaires et les marques seraient-ils victimes d’une épidémie aigüe de machisme ? Dans un article dont je conseille vivement la lecture*, publié récemment, les experts en communication Elisabeth Segard, Florian Silnicki et Sébastien Chenu s’indignaient de la recrudescence des partis-pris sexistes dans un nombre croissant de créations, que ce soit online ou offline.

Dans ce domaine, si la publicité plus que moyenne de Perrier (voir ci-dessus et ci-dessous) semble encore plus pathétique du fait de l’énergie déployée par la marque à nier toute erreur, ce « couac » fait suite à une série de campagnes plus graveleuses les unes que les autres, produites dans le seul but de faire le buzzd’après ces 3 experts… Au risque de compromettre l’image et la réputation à moyen terme des marques concernées.

Il faut dire, si l’on en croit les résultats de certaines études, que la faible réactivité des Français face à ce genre de clichés n’aide guère les marques à se remettre en question dans un sursaut salutaire… D’après l’institut de sondage Mediaprism par exemple, qui menait en 2013 sa première enquête pour le compte du Laboratoire de lutte contre les stéréotypes**, 12% des Français seulement repèreraient les stéréotypes dans une publicité…

 

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Une surenchère sexiste… et le cynisme publicitaire en guise de stratégie ?

Pour Elisabeth Segard, Florian Silnicki et Sébastien Chenu, l’utilisation de clichés sexistes dans la publicité ne relève pas de malenconteuses « boulettes » de créatifs en panne d’inspiration. Si Darty met en scène des «chattes bricoleuses» pour attirer les clients dans ses magasins, si Perrier multiplie les sous-entendus sexuels dans sa vidéo, si le magazine pour hommes Summum ose ce message à l’attention de ses lecteurs : « Oui, on retouche nos photos. Parce que vous voyez déjà assez de vergetures et de cellulite dans une journée »… c’est parce que ce type de stéréotypes fonctionne auprès des publics visés et est de nature à créer le sacro-saint effet de buzz.

Niant à la fois, par cette stratégie de « coups » publicitaires, la valeur à long terme de leur propre marque et tous leurs efforts en termes de réputation, le bénéfice escompté peut paraître bien maigre au regard des risques encourus. Comme le résument les 3 auteurs de l’article en une interrogation : « Comment comprendre que des annonceurs rémunèrent une fortune des créatifs pour produire des campagnes qui suscitent avis et commentaires négatifs de la part des internautes, contribuant à dégrader leur image, pendant que, parallèlement, elles rémunèrent des agences leur garantissant une amélioration de leur image sur internet ? ». Il y a là une sacrée contradiction.

D’autant que, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, quand on les interroge sur la thématique des préjugés, comme l’a fait l’en dernier Mediaprism dans le cadre de son enquête, on constate que les Français réprouvent de plus en plus clairement les stéréotypes sexistes. A la question « Vous arrive-t-il de constater que certains magazines, journaux / certaines campagnes de communication véhiculent des stéréotypes sexistes ?« , 32% répondent « souvent » et 35% « de temps en temps ». Et 57% des Français estiment être davantage sensibilisés qu’auparavant… Une nette amélioration en termes d’éducation par rapport à la décennie précédente, a priori.

La faute au sexisme « invisible » ?

Le vrai problème serait-il ailleurs ? Dans l’acceptation, plus ou moins inconsciente et « culturelle », de ce type de clichés par notre société ? Il semblerait en effet que les stéréotypes aient la peau dure, comme le prouvent dans le détail les résultats de l’étude menée par Mediaprism…

Pour mesurer la réactivité des Français face aux stéréotypes, l’institut de sondage a soumis 5 visuels publicitaires à un large échantillon de nos concitoyens, en leur demandant d’abord « tous les mots ou idées qui leur venaient à l’esprit », puis « si quelque chose » dans le visuel ou les textes les interpellaient. Dans un troisième temps, la question était beaucoup plus explicite : « Diriez-vous que cette campagne véhicule ou combat des stéréotypes sexistes, ou ni l’un ni l’autre ? »

Résultat : seuls 12 % des répondants ont indiqué d’emblée qu’ils y identifiaient un stéréotype sexiste, puis 20% dans un deuxième temps… Lorsque Mediaprism les assistait en leur demandant s’ils voyaient une allusion sexiste, 37 % seulement l’ont repérée.

Deuxième paradoxe donc : si les Français déclarent mieux détecter les publicités sexistes… leur regard n’en est pas devenu plus aiguisé pour autant. Bien au contraire. Pour Frédérique Agnès, présidente de l’institut Mediaprism, un premier facteur d’explication est peut-être le suivant : « D’après nos travaux exploratoires, les publicités peuvent comporter des stéréotypes clairs, que le grand public va rejeter, ou plusieurs stéréotypes ‘gentils’ plus insidieux » que le public aura du mal à percevoir.

On le voit, le chemin sera peut-être long pour « éduquer vraiment » l’oeil du lecteur, de l’internaute ou du téléspectateur. Pourquoi les marques ne se montreraient-elles pas les premières exemplaires, en commençant par abandonner ces ressorts publicitaires éculés et peu glorieux ? Tout le business y gagnerait… à commencer par la qualité des créations publicitaires !

 

 

Pour aller plus loin :

* « Le cliché sexiste, nouvelle mode du marketing publicitaire ? » par Elisabeth Segard, Florian Silnicki et Sébastien Chenu, La Tribune.fr, 7 juillet 2014

** Lire ici les principaux résultats de l’enquête Mediaprism sur les stéréotypes (mars 2013) réalisée pour le compte du Laboratoire de lutte contre les stéréotypes (ce laboratoire est une émanation du Laboratoire de l’égalité, structure apolitique fondée à l’initiative de décideurs issus des secteurs publics et privée, visant à faire avancer la thématique de l’égalité au travers de 3 axes : 1/ en rassemblant les acteurs de l’égalité professionnelle ; 2/ en interpellant les décideurs économiques et politiques ; 3/ en sensibilisant l’opinion publique => cliquez ici pour découvrir leur site web.

 

Lire également à ce sujet :

>> mon précédente article « Le sexisme dans la publicité, un suicide pour les marques »

>> les dénégations incompréhensibles de Perrier suite au bad buzz (oser inscrire cette pub dans les « valeurs de la marque », quelle étonnante erreur stratégique et de communication, de surcroît, quand tout le monde reconnaît la faiblesse créative de la campagne et qu’un mea culpa et un retrait auraient sans doute suffit à calmer le jeu ?) : « Malgré les critiques, Perrier assume sa nouvelle publicité »

Le sexisme dans la publicité, un suicide pour les marques…

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En début d’année, le site businesspundit.com publiait une rétrospective des 15 pubs américaines les plus matchistes qui aient jamais été créées… Un florilège de créations vintage au goût plus que douteux, pour ne pas dire carrément rétrogrades (=> découvrez ces pubs dans la galerie «Brand images» de cette semaine).

…Evidemment, si elles étaient republiées à l’identique dans la presse, il y a fort à parier que ces annonces susciteraient de nos jours une large indignation (on peut en tout cas l’espérer).

Pour autant, la création publicitaire et le marketing sont-ils aujourd’hui à l’abri du sexisme ?… Loin s’en faut, manifestement. Il suffit de consulter les catalogues de jouets que compulsent en ce moment nos chers bambins pour comprendre que les stéréotypes en ce domaine ont la vie dure. Dans les saynètes sensées faire rêver nos enfants, la petite fille fait encore le ménage en panoplie de parfaite ménagère tandis que le garçon a droit aux activités sportives et aux jeux les plus ludiques…

De même, une soirée passée à lire la presse devant son ordinateur ET sa télévision (soyons modernes donc multicanal ;-) nous expose inévitablement à des publicités aussi navrantes que celles-ci :

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Le sexisme et le machisme, 2 registres navrants et suicidaires pour les marques…

Le Super Bowl 2013* marque sans doute un tournant et une prise de pouvoir inattendue… Evènement télévisuel majeur aux Etats-Unis, toutes les marques y rivalisent habituellement d’audace en créant des spots dédiés pour l’occasion.

Cette année, tandis que les marques rivalisaient de clichés plus sexistes les uns que les autres, des milliers de téléspectatrices en colère ont pris d’assaut Twitter pour manifester leur exaspération devant tant de matchisme, un hastag #NotBuyingIt en bandoulière («Je ne l’achèterai pas»). Une belle démonstration de l’incurie des agences (et des annonceurs) puisque les femmes représentent tout de même 50 % de l’audience du Superbowl… et 85 % des achats de biens de consommations aux Etats-Unis (!)

Le conseil du BrandNewsBlog : « trop de testostérone nuit gravement à la création publicitaire et aux marques »

Bien sûr, on me dira que les Etats-Unis n’ont rien à voir avec l’Europe et que nos cultures sont différentes… De nombreuses marques européennes (automobiles notamment) ont d’ailleurs intégré depuis longtemps les évolutions sociologiques et compris l’importance du public féminin, en développant des annonces destinées à les séduire.

Mais certaines agences ne gagneraient-elles pas à recruter davantage de teams créatifs féminins, histoire de contrebalancer les effluves de testostérone encore très/trop présentes dans certaines publicités ? Idem chez les annonceurs : si les études de marché et la sociologie servent à quelque chose, il me semble que la consommatrice française n’est pas moins influente que la consommatrice américaine…

Alors encore un peu de vigilance et de fibre féminine, et la pub n’en sera que meilleure ;-).

* Finale du championnat de football américain.

(Crédit photo : TheBrandNewsBlog / http://www.businesspundit.com)

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