10 questions qui chatouillent et 5 questions qui gratouillent au sujet de l’Employee Advocacy…

[Mea culpa] Les plus réguliers des lecteurs et lectrices du BrandNewsBlog peuvent en témoigner : cela fait des années que je vous entretiens dans mes articles de l’intérêt des démarches d’advocacy… sans jamais jusqu’ici avoir consacré un billet à part entière à la notion et aux démarches d’employee advocacy¹.

Fort heureusement, voici une regrettable impasse que je m’apprête aujourd’hui à corriger, grâce à une remarquable initiative d’Entreprises & Médias. L’association de directeurs de la communication, dont j’ai à plusieurs reprises relayé les excellents travaux, a en effet entrepris depuis 2017 de consacrer un groupe de travail à ce sujet, et n’a pas fait les choses à moitié en cette rentrée 2018, en publiant à la fois un précieux document de synthèse au sujet des salariés ambassadeurs² (document en libre accès que je recommande à tous les communicants), mais en mettant également à la disposition de toute organisation souhaitant se lancer dans une telle démarche un outil en ligne lui permettant d’évaluer son degré de maturité ou de « readiness » : le DEARIndex³, conçu en partenariat avec l’agence de communication Little Wing.

Pour nous parler de ces précieuses contributions et des enseignements de leur groupe de travail, j’ai choisi d’en interroger le pilote : Benoît Cornu, directeur de la communication du groupe Elior, ainsi qu’une de ses membres, Kate Philipps, directrice de la communication du groupe Faurecia, qui a elle même lancé au sein de son entreprise une démarche à la fois originale et réussie (à découvrir dans l’interview croisée ci-dessous).

Mais vous me connaissez : ne pouvant m’en tenir au contenu de cette excellente publication « Employee advocacy : faire des collaborateurs de l’entreprises des acteurs de ses communications » et soucieux d’interroger les discours régulièrement entendus sur les démarches de salariés ambassadeurs, je me suis permis de « titiller » un peu mes interlocuteurs et de les pousser dans leurs retranchements, en leur posant aussi bien des questions qui « chatouillent » que des questions qui « gratouillent » sur ce type de démarches, questions auxquelles ils ont bien voulu répondre avec spontanéité et franchise. Et je les en remercie.

Avec le développement des réseaux sociaux et à l’heure où les frontières entre les publics internes et externes à l’entreprise n’ont jamais été aussi poreuses, dans un climat de défiance croissante via-à-vis des discours corporate aseptisés, beaucoup d’organisations ont aujourd’hui compris l’intérêt et l’opportunité de faire de leurs collaborateurs.trices de véritables ambassadeurs, aussi bien sur les réseaux sociaux « qu’in real life ».

Mais si, comme le précise Sophie Duhamel, Déléguée générale d’Entreprise & Médias, au-delà des entreprises ayant déjà structuré des initiatives concrètes « 94 % des directeurs de la communication souhaitent mener, à moyen terme, un projet de ce type car ils estiment que cela permet de renforcer la réputation de l’entreprise, d’encourager l’attachement et l’engagement des collaborateurs, de prévenir les risques, voire de contribuer à favoriser le business », de telles démarches ne s’improvisent pas ni ne se décrètent… Et tout l’enjeu est bien de susciter des vocations d’ambassadeurs sans contraindre quiconque à quoi que ce soit, en respectant les règles de confidentialité et la cohérence globale du message de l’entreprise, sans pour autant perdre en spontanéité ni en authenticité en transformant les salaries-ambassadeurs en « perroquets » de sa parole institutionnelle.

Un exercice pas si simple mais un magnifique défi pour tous les communicants et communicantes, invités à délaisser une posture de contrôle « tatillon » voire de censure pour encourager et accompagner les ambassadeurs dans leurs prises de parole et leur maîtrise des réseaux sociaux, mais également à co-produire avec eux de nouveaux contenus pertinents et intéressants pour leurs communautés !

Le BrandNewsBlog : Bonjour Kate, bonjour Benoît. Comme je viens de l’indiquer en introduction, dans le cadre de votre groupe de travail sur l’employee advocacy, vous avez commencé par mesurer l’état d’avancement des directeurs de la communication de grandes entreprises sur ce sujet. Et sur l’ensemble des répondants à votre enquête, 54% seulement ont reconnu avoir déjà lancé une démarche en la matière, certaines de ces initiatives n’en étant d’ailleurs qu’à leurs prémices… N’est-ce pas un score relativement faible au regard du « buzz » suscité par l’employee advocacy depuis plusieurs années ? Comment l’expliquez-vous Benoît ? 

Benoît Cornu : Nous avons en effet voulu vérifier si l’employee advocacy était un de ces « buzz words » dont nos milieux professionnels raffolent, un simple effet de mode ou bien une vraie lame de fond. Et de fait, plus de la moitié d’entre nous a déjà lancé une démarche structurée, ce qui très honorable, sachant que la quasi-totalité de l’autre moitié a prévu de le faire.

Les collaborateurs sont depuis longtemps un relais crédible de la communication d’entreprise, quelles que soient les formes d’expression utilisées. L’employee advocacy est donc bien un sujet de fond, qui transcende les phénomènes de mode et ne se réduit d’ailleurs pas à la dimension digitale. Le temps de l’entreprise est long, il faut savoir le respecter : l’important reste en permanence de savoir anticiper et s’adapter.

Le BrandNewsBlog : Dans l’introduction de votre document de synthèse, vous évoquez à plusieurs reprises le levier de démultiplication que représente l’employee advocacy, en la définissant également comme « la mobilisation des collaborateurs et du premier cercle de l’entreprise pour en faire des relais actifs des messages corporate ». Mais ne s’agit-il pas d’une vision réductrice au regard des multiples dimensions que peut recouvrir l’advocacy ? Vous soulignez en effet par ailleurs que les collaborateurs sont de plus en plus invités, sur la base du volontariat, à devenir des « social employees » et à s’exprimer sur les différents sujets de l’entreprise… Qu’en est-il exactement et que recherchent la plupart des organisations ?

Benoît Cornu : La définition que vous évoquez n’est pas la principale dans le document, celle que nous mettons en avant dès l’introduction étant beaucoup plus générique¹ et nous avons au contraire veillé à avoir une approche très large de l’employee advocacy dans nos travaux, en parlant de « communications » au pluriel.

Et c’est bien le bénéfice central de cette démarche à notre avis : elle élargit considérablement notre capacité à émettre des messages, en nombre et en diversité. Nous avons même du nous limiter tant le champ de l’advocacy était large, en nous concentrant sur ce qui avait vocation à favoriser le business, renforcer la réputation de l’entreprise, encourager l’attachement et l’engage­ment des collaborateurs, mais également à prévenir les risques. Cela nous a permis de répondre à l’essentiel des questions que chacun se pose.

Le BrandNewsBlog : Comme vous le soulignez d’emblée, inciter les salariés d’une entreprise à en devenir les ambassadeurs n’a rien de nouveau, mais les démarches d’advocacy ont pris une nouvelle ampleur avec le developpement sans précédent des réseaux sociaux et cette prise de conscience qu’à défaut de pouvoir encore contrôler la prise de parole des collaborateurs, l’encourager peut contribuer à renforcer la réputation et l’image de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes. Quels sont les autres bénéfices des démarches d’employee advocacy

Benoît Cornu : Les salariés consti­tuent l’un des premiers actifs de l’entreprise et il est évident que leur engagement peut faire la différence dans des écosys­tèmes en constante mutation.

Si on les considère non seulement comme destinataires de messages internes, mais surtout comme des influenceurs, on active le levier de la communication entre pairs (« peer-to-peer ») qui est tout à la fois plus affinitaire, plus crédible et plus efficace. Ils deviennent « reconnus » et assument donc une forme de leadership. Ils peuvent même être le cas échéant au centre du dispositif, dans des campagnes de recrutement par exemple.

En interne, l’employee advocacy représente un accélérateur, un levier de diffusion de la culture digitale et donc de la transformation des organisations.

Le BrandNewsBlog : La littérature à laquelle votre groupe de travail a pu se référer en matière d’advocacy est abondante… et le plus souvent américaine. Ainsi que vous l’indiquez, elle met à la fois l’accent sur l’avènement du « social employee », ce collaborateur 2.0 qui met sa marque individuelle au service de la marque de l’entreprise via les réseaux sociaux, et sur tous les bouleversements que cela implique. En quoi l’émergence des social employees et des social executives, ces dirigeants et salariés particulièrement engagés sur les réseaux et soucieux de promouvoir aussi bien leur « personal branding » que leur entreprise, remet-elle en cause les hiérarchies et les organisations existantes ? Et comment les équipes communication peuvent-elles s’adapter à cette nouvelle donne ?

Benoît Cornu : A mon sens, l’employee advocacy ne remet pas en cause les organisations et les hiérarchies : je crois même qu’elle peut contribuer à les clarifier, car elle représente surtout l’opportunité d’accélérer la circulation de l’information, de mieux faire connaître les rôles et les succès des uns et des autres dans des organisations complexes.

En terme de personal branding, il ne s’agit pas de tomber dans l’outrance et il y a sans doute des limites à observer. A chacun de trouver la sienne. Dans ce domaines comme pour tout ce qui touche l’employee advocacy, les équipes de communication ont un rôle d’accompagnement, de conseil et de pédagogie. Elles doivent aussi être équipées en conséquence et doivent capitaliser sur celles et ceux qui réussissent pour créer des effets d’entrainement.

Kate Philipps : Je ne pense pas que non plus que l’employee advocacy remette en cause les organisations. Au contraire, elle les stimule à mon avis ! Les salariés sont déjà acteurs de leur image personnelle sur leurs réseaux sociaux et le fait qu’ils ajoutent des communications liées à leur entreprise est quelque part une évolution naturelle.

Nous devons en effet avoir des équipes de communicants qui ont anticipé ce phénomène, le comprennent et le déploient avec pédagogie. L’employee advocacy chez Faurecia par exemple est conçue comme un programme gagnant-gagnant où le salarié est acteur d’une communication ouverte et sûre nous permettant surtout de révéler et d’amplifier le sentiment et la fierté d’appartenance à notre Groupe.

Le BrandNewsBlog : Vous pointez une différence non négligeable entre les approches anglo-saxonnes et françaises de l’advocacy. Tandis qu’aux Etats-Unis, c’est le business et le renforcement du social selling qui sont privilégiés à travers la plupart des démarches, les entreprises françaises encouragent plutôt l’employee advocacy à des fins réputationnelles et pour accompagner la transformation digitale. En termes de transformation digitale justement, pourquoi l’advocacy est-elle importante et en quoi complète-t’elle les démarches de formation ? Le social selling n’est-il pas en définitive une prochaine étape, quand la maturité des entreprises françaises et de leurs équipes commerciales leur permettra de mieux maîtriser ces techniques de vente ?

Kate Philipps : En tant que Groupe industriel BtoB, nous n’avons pas pour ambition d’utiliser les réseaux sociaux pour vendre. Nous les percevons comme une brique complémentaire et additionnelle à nos autres outils de communication, dans un triple objectif : 1) améliorer notre marque employeur, 2) fédérer les salariés et enfin 3) promouvoir la transformation de Faurecia en « Tech Company ».

Le contenu proposé peut également servir à des fins pédagogiques quand par exemple notre CEO prend position sur le véhicule à hydrogène ou bien que nos experts s’expriment sur les grandes tendances technologiques et industrielles. Il rendent ainsi la vision du Groupe accessible à tous.

Le BrandNewsBlog : Entre volonté de contrôle toujours présente de la parole des salariés, velléités d’instrumentalisation de leur engagement pour pousser les messages de l’entreprise et crainte du bad buzz, quel peut être l’espace d’autonomie pour les salariés-ambassadeurs ? Parmi les 4 enseignements et enjeux des démarches d’employee advocacy que vous avez identifiés, vous mettez à juste titre le doigt sur le risque de transformer les social employees en « perroquets », si ceux-ci se contentent d’en repartager les messages institutionnels sur leur compte de réseaux sociaux… Comment éviter ce piège ? Et comment passer de « l’effet perroquet » à un « effet mégaphone », comme vous le préconisez ? Qu’est-ce que cela implique de la part des entreprises et des services com’ ?

Benoît Cornu : Je pense que c’est surtout une question de curseur et de maturité des organisations. Il faut trouver en effet arriver à trouver un juste équilibre entre la maîtrise des contenus voulue par l’entreprise – quitte à créer effectivement un « effet perroquet » – et la confiance dans les collaborateurs, au risque de laisser passer quelques erreurs.

La mission des équipes de communication est de former et d’accompagner celles et ceux qui entrent dans cette démarche, et d’apporter des contenus de qualité. Pour ce faire, nous préconisons de mettre en place des logiques de co-construction entre les communicants et des communautés pilotes, sous forme de test & learn.

Le BrandNewsBlog : Pour toute démarche d’employee advocacy, vous insistez à plusieurs reprises sur la notion de volontariat et sur l’importance de laisser chaque collaborateur libre d’y participer ou non. Mais avant d’en faire des ambassadeurs, avec quels arguments convaincre des salariés absents des réseaux sociaux voire rétifs au numérique de s’intéresser à de telles démarches et d’ouvrir leur propre compte sur LinkedIn ou Twitter ? Et a contrario, comment convaincre les salariés les plus actifs sur ces réseaux, parfois dubitatifs sur l’intérêt des publications de l’entreprise, de devenir des ambassadeurs ?

Kate Philipps : Pour moi, tout est affaire de pédagogie, de rencontres et d’explications. Et dans ce domaine, la communication orale est importante pour expliquer, convaincre et in fine créer du bouche à oreille.

Evidemment, chacun doit y trouver son intérêt, que cela soit dans le contenu proposé, dans l’élargissement d’un domaine d’expertise ou bien de son audience. Nous ne cherchons pas à convaincre l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise, cela serait utopique. Nous préférons nous appuyer sur des gens motivés et volontaires, qui ont compris que l’intérêt allait dans les deux sens. Dès lors, ils seront nos meilleurs ambassadeurs en interne comme en externe !

Benoît Cornu : Toutes les démarches d’employee advocacy reposent sur la sincérité et la motivation des ambassadeurs. Il est donc impensable en effet d’obliger qui que ce soit à porter en étendard les messages de son entreprise s’il ne le veut pas, ou à apparaître sur les réseaux sociaux si cela n’est pas son souhait ou si il/elle ne les comprend pas.

Et pour être honnête, nous avons souvent beaucoup de volontaires prêts à s’engager : à nous de les accompagner et de nous appuyer sur eux pour créer cet effet d’entraînement que j’évoquais il y a un instant.

Le BrandNewsBlog : Dans le cadre du déploiement d’une démarche d’employee advocacy, plusieurs stratégies sont évidemment possibles et réclament des choix préliminaires stratégiques. Parmi ces choix, vous évoquez le fait d’opter pour une logique d’experts ou pour une logique « globale ». Pouvez-vous nous expliciter ces deux options et l’avantage de chacune ? Les deux approches ne peuvent-elles se recouper : solliciter d’une part les experts de l’entreprise pour fournir et publier des contenus, et d’autre part les collaborateurs pour les partager et les commenter ?

Benoît Cornu : Tout dépend de la stratégie et du positionnement des entreprises. On retrouvera sans doute davantage de démarches s’appuyant sur les experts ou sur un « thought leadership » structuré dans les entreprises BtoB, et des approches plus globales dès lors qu’on s’adresse directement aux consommateurs.

Mais quel que soit le choix, la qualité des contenus est le premier levier pour susciter l’adhésion des équipes et des relais. Il faut donc mettre à disposition une information claire, précise, qui peut même être exigeante, mais elle doit être construite pour favoriser son appropriation. L’efficacité des messages est directement corrélée à leur personnalisation.

Kate Philipps : Au sein de Faurecia, nous avons conçu notre programme de façon globale afin de toucher l’ensemble des salariés du Groupe et l’ensemble des acteurs de notre écosystème. Nous pensons en effet qu’un programme d’Employee Advocacy doit être bénéfique à tous les salariés (à tous les niveaux) et que chacun doit y trouver son intérêt.

Nous l’avons ainsi conçu autour de 3 sous-programmes : 1) une base de contenus riches, variés et validés, disponible sur Sociabble et partageable par tous ; 2) Instagram avec notre concept « A week in a life of » pour une approche plus originale et authentique ; 3) La publication par nos experts de tribunes sur LinkedIn pour partager notre vision stratégique ainsi que l’évolution de notre environnement et enfin notre CEO qui, faisant partie du programme LinkedIn Influencer, montre aussi l’exemple à travers des prises de paroles personnifiées et engagées.

Le BrandNewsBlog : Soucieuses de respecter les organigrammes et de « limiter les risques », un certain nombre d’entreprises choisissent parfois de limiter leur démarche d’employee advocacy aux membres des comités exécutifs ou à leurs principaux dirigeants… avec une efficacité toute relative souvent, faute d’appétence pour le digital chez certains et de réelle disponibilité pour les autres. S’il est indispensable d’impliquer les dirigeants dans les démarches d’advocacy, ainsi que vous le préconisez vous-mêmes, s’en tenir à la chaîne hiérarchique peut-il suffire ?

Benoît Cornu : L’incarnation est évidemment essentielle pour que le message soit entendu, et les dirigeants doivent adapter leur communication à l’évolution des vecteurs. Ils sont depuis toujours les premiers porte-parole de l’entreprise. Mais si on s’en tient là, on ne parle plus d’employee advocacy en effet : on fait « comme avant », avec simplement de nouveaux outils !

Kate Philipps : Nous vivons dans un monde digitalisé où les frontières entre informations internes et externes sont désormais poreuses. Plutôt que de lutter contre évidence, nous avons choisi chez Faurecia de jouer avec. Nous avons choisi de faire confiance à nos collaborateurs et nous ne le regrettons pas !

Nous avons par ailleurs souhaité commencer notre démarche par nos salariés et non le COMEX pour embarquer le plus de monde dès le départ. Mais il était important que notre CEO s’engage également dans cette démarche, pour bien démontrer que cela se joue à tous les niveaux de l’entreprise.

Le BrandNewsBlog : Est-il imaginable, comme certains le redoutent, que l’employee advocacy et l’influence sociale deviennent demain de nouveaux critères d’évaluation – voire de recrutement – de certaines catégories de collaborateurs (les cadres notamment, ou les communicants) ou bien cela relève-t’il selon vous de la « RH-fiction » ? Les managers se sentiraient alors obligés de partager les informations de l’entreprise pour être bien vus, celles et ceux qui s’y refusent ou qui seraient moins influents étant alors considérés comme des « cadres de seconde zone » ?

Kate Philipps : Certes, l’empreinte digitale d’un candidat peut entrer dans l’analyse de son profil si celle-ci est directement liée à son métier. Mais pour le reste, et pour toutes celles et tous ceux pour qui ce n’est pas le cas, ce sont avant tout les compétences, le parcours professionnel et le relationnel qui sont examinés dans le cadre d’un recrutement. L’activité digitale d’un salarié-ambassadeur et l’exposition qui en découle doivent être basées sur le volontariat et ne doivent évidemment supplanter ni son travail ni la réalité interne d’une entreprise.

Le BrandNewsBlog : Quels sont les enjeux les plus critiques de l’employee advocacy pour les dircom et leurs équipes ? Quoiqu’on en dise, le contrôle de la cohérence des messages sortants semble demeurer pour la plupart des entreprises un enjeu très important (voire une obsession ?) et des chartes digitales sont mises en place dans la plupart des organisations pour veiller à ce que les prises de parole des collaborateurs respectent les règles juridiques et de compliance… Cela est-il à votre avis toujours indispensable, quand dans la pratique on constate que les collaborateurs pratiquent largement l’auto-censure et redoutent eux-mêmes de commettre des impairs ? 

Benoît Cornu : L’employee advocacy ne déroge pas aux règles, chartes et principes de la communication d’une entreprise en effet. Il faut donc être clair sur ce qui est « autorisé » et ce qui ne l’est pas…

Un groupe coté en bourse doit par exemple se conformer à des règles strictes quant aux contenus et au calendrier de ses communications, et il existe bien sûr partout des règles de confidentialité qui s’appliquent à certains sujets et qui doivent continuer à être respectées… Mais il reste encore un espace très large de sujets et de contenus à partager.

C’est donc notre rôle de communicants de construire et de diffuser des « guidelines » et de suivre en temps réel ce qui est publié, de favoriser tel ou tel type d’expression, en impliquant dès l’origine celles et ceux qui dans l’entreprise sont en charge de la gestion des risques ou de la compliance notamment.

Le BrandNewsBlog : Outre l’excellent document de synthèse que vous avez produit avec votre groupe de travail, vous avez également conçu à l’intention de tous les communicants un outil interactif précieux pour évaluer leur « readiness », c’est à dire à la fois leur degré d’appétence et de maturité pour se lancer dans des démarches d’employee advocacy. Sur la base de quels critères est calculé ce DEARIndex, qui apparaît une fois votre questionnaire en ligne complété ? 

Benoît Cornu : Ce « Digital Employee Advocacy Readyness Index » est un outil qui permet à chacun de mesurer le degré de maturité de son organisation et d’identifier les axes de travail prioritaires à partir de question simples :

  • Est-ce que la culture interne de l’entre­prise favorise l’employee advocacy ?
  • Le socle de réputation est-il suffisamment solide pour construire une démarche sans risque ?
  • Les pratiques digitales des collaborateurs facilitent-elles leur prise de parole sur les réseaux sociaux ?
  • Le top management donne-t-il l’impulsion de la démarche ?
  • Comment respecter la compliance ?
  • Comment contribuer à développer l’expertise de l’entreprise ?

Autant de questions auxquelles il est prudent de savoir répondre avant de s’engager dans une démarche d’employee advocacy.

Le BrandNewsBlog : Vous avez eu la bonne idée de recenser en fin de document quelques bonnes pratiques de l’advocacy, dans des secteurs et des entreprises aussi différents qu’IBM, Avril, HSBC France, Bristol-Myers Squibb, Cap gemini, BNP Paribas ou Faurecia… D’où il ressort, en dépit des degrés de maturité digitale plus ou moins avancés de chacune de ces organisations, que l’employee advocacy peut être mise à profit partout et contribuer positivement à la transformation et l’acculturation digitale. Quels sont à titre personnel les enseignements et meilleures pratiques que vous avez retenu parmi les 7 entreprises citées ? 

Benoît Cornu : Je ne voudrais pas faire de favoritisme entre ces démarches ni exprimer de préférence, car elle sont toutes pertinentes et intéressantes, mais j’ai été sensible en ce qui me concerne à la stratégie d’Avril, qui utilise sa démarche d’employee advocacy pour créer du lien avec des collaborateurs de terrain déconnectés des organisations centrales, et à celle de Kate chez Faurecia avec Instagram. Un exemple dont je vais d’ailleurs m’inspirer ! :-)

Kate Philipps : Pour le cas de Faurecia, la contribution à cet ouvrage représente une pierre de plus à l’édifice ! Elle démontre avec pertinence que la transformation digitale porte une influence directe et fait évoluer en conséquence les cultures des entreprises.

Avant, nous étions une entreprise discrète avec une culture de communication plutôt fermée vers l’extérieur. Les benchmarks que nous avons réalisés nous ont aidé à convaincre les dirigeants de notre Groupe de la nécessite d’ouvrir la communication et de choisir les salariés et les réseaux sociaux comme relais importants pour notre image et notre Marque Employeur.

Le BrandNewsBlog : Et dans vos organisations respectives, Benoît et Kate, où en sont vos programmes d’employee advocacy et quels sont les premiers résultats des démarches mises en place ? Au sein de Faurecia, vous avez donc choisi en particulier de miser sur Instagram. Pourquoi ce choix original et quel type d’initiatives avez-vous favorisé / mis en oeuvre, avec quelle adhésion de la part des collaborateurs ?

Kate Philipps : Comme je l’expliquais précédemment, notre démarche est globale chez Faurecia et concerne tous les réseaux sociaux, mais il est vrai que notre programme dédié à Instagram est très original et attire donc davantage l’attention !

Instagram est une plateforme qui permet de capitaliser sur des formats (photos et vidéos) beaucoup plus porteurs qu’un simple texte. Les collaborateurs n’étant pas des communicants professionnels, il y a ainsi une dimension beaucoup plus spontanée dans leur approche. La prise de parole est personnalisée, authentique et chacun est libre d’y exprimer sa patte en jouant avec les filtres ou d’autres applications proposées par Instagram.

Cette communication plus authentique nous permet également de refléter davantage notre diversité, notre internationalisation et surtout l’esprit Faurecia qui est une entreprise ouverte et digitalisée. Un an après le démarrage du programme « A week in a life of », nous avons d’ailleurs multiplié par 10 notre base d’abonnés sur Instagram et avons couvert 40 profils métiers dans 15 pays dans le monde. Et tout cela sans avoir eu recours à du sponsoring de post, ce qui nous permet d’avoir une base qualifiée et surtout engagée !

Benoît Cornu : Une entreprise multinationale doit composer avec les usages locaux, et chaque pays a tendance à favoriser plutôt tel réseau social que tel autre…

Nous concentrons chez Elior nos efforts sur LinkedIn, en particulier autour du social selling, et sur Twitter avec notre programme de sensibilisation « We are socializers » à ce stade. Mais nous réfléchissons au coup d’après, en particulier en direction du recrutement et de la marque employeur.

Le BrandNewsBlog : Le développement des démarches d’employee advocacy a donné lieu au développement d’une véritable « advocacy tech », sensée aider les entreprises et faciliter les prises de parole ou le partage de contenus par leurs collaborateurs. Solutions « Elevate » de LinkedIn, « Amplify » de Hootsuite, Smarp ou Sociabble : aussi bien les grandes plateformes que de plus petits éditeurs se partagent un marché prometteur et juteux, avec chacune leurs avantages et leurs inconvénients… Qu’est-ce qui ressort du comparatif de ces plateformes que vous avez réalisé et que livrez aux communicants (voir ici) ? Y-a-t’il des solutions qui ressortent et quelles sont les plus utilisées ? Et lesquelles / laquelle utilisez-vous au sein de vos entreprises respectives ?

Benoît Cornu : Encore une fois, il faut trouver le dispositif le plus adapté à la stratégie qu’on souhaite mettre en place au sein de chaque entreprise, et à sa culture interne.

Selon que celle-ci est centralisatrice ou non, que les contenus sont déjà nombreux et disponibles ou pas, que l’entreprise dispose d’un RSE ou non… certains outils seront plus appropriés que d’autres. L’important est d’aborder ce sujet en examinant le besoin, les usages et les attitudes… Pour le reste, il s’agit d’intendance en quelque sorte et « l’intendance suivra » comme le disait le général De Gaulle :)

 

 

Notes et légendes :

(1) L’employee advocacy « est le mécanisme par lequel une marque ou une entreprise mobilise ses salariés pour en devenir ses ambassadeurs non seulement dans leur vie professionnelle, mais également dans leur vie personnelle.

Par extension, ce mécanisme d’advocacy peut également s’appliquer à des personnes qui ne sont pas des salariés de l’entreprise, mais se situent dans son premier cercle (ex. prestataires externes dans le cas des entreprises de technologie, agents ou distributeurs dans le cas d’entreprises BtoB). »

>> Définition donnée en introduction de l’ouvrage de synthèse d’Entreprises & Médias : « Employee Advocacy, faire des collaborateurs des acteurs de ses communications » septembre 2018

(2) « Employee Advocacy : faire des collaborateurs des acteurs de ses communications », publication de synthèse du groupe de travail d’Entreprises & Médias consacré à l’Employee Advocacy – septembre 2018

(3) Le DEARIndex ou « Digital Employee Advocacy Readyness Index », outil en ligne permettant à toute organisation d’évaluer son degré de maturité ou de « readiness » en amont du lancement d’une démarche d’employee advocacy, a été conçu par l’association Entreprises & Médias et l’agence de communication Little Wing..

 

Pour aller plus loin : je vous invite aussi à lire cet excellent article de synthèse de l’incontournable Olivier Cimelière, sur son blog « Le blog du communicant », dans lequel il résume très clairement les principaux enjeux d’une démarche d’Employee Advocacy, suite à la publication du document d’Entreprises & Médias. Un #MustRead, comme on dit :-) !

 

Crédits photos et illustrations : Faurecia, Elior Group, The BrandNewsBlog 2018, X, DR.

 

 

Principe, bonnes pratiques et perpectives : où en est aujourd’hui le PERSONAL BRANDING ?

Popularisé sous ce nom il y a déjà une dizaine d’années, par plusieurs auteurs américains essentiellement*, le personal branding ou « marketing personnel » ou « marketing de soi-même » est longtemps demeuré relativement méconnu de ce côté-ci de l’Atlantique, malgré l’écho et le relai efficaces qu’il a trouvé auprès de quelques précurseurs francophones**…

D’abord décrié dans les sphères académiques, qui continuent d’en contester la rigueur conceptuelle et lui refusent le statut de nouvelle discipline du marketing ; récusé également par tous ceux qui y voient une « marchandisation de l’être humain », le personal branding a néanmoins continué son petit bonhomme de chemin et gagné de nouvelles lettres de noblesses avec l’émergence puis le développement sans précédent du web 2.0.

A l’heure où l’image que chacun renvoie de soi-même, de sa personnalité, son dynamisme et sa communication est devenue si importante, sur les réseaux sociaux notamment, l’intérêt voire la nécessité de travailler sur cette image et son identité personnelle et professionnelle, de valoriser sa personnalité et ses atouts, on-line et dans la vraie vie, ne font plus guère débat désormais.

De là à s’engager dans une démarche méthodique et réfléchie de construction d’une « marque personnelle », en respectant chacune des étapes préconisées par les experts du personal branding (travail sur soi, création de sa marque, communication…), il reste un pas que beaucoup n’osent franchir. Pour autant, les professionnels et décideurs qui, pour ce faire, font appel à des personal brander sont chaque jour plus nombreux, preuve d’un engouement croissant pour ces démarches.

Pour faire le point sur le développement de cette nouvelle discipline, dix ans après son émergence, et en évoquer les principaux enjeux, les bonnes pratiques et les perspectives, j’ai choisi d’interviewer ces grands experts du digital et du web 2.0 que sont Fadhila Brahimi¹, Anthony Babkine² et Alban Jarry³.

Qu’ils soient ici remerciés pour leur disponibilité et leurs éclairages indispensables sur le personal branding, mais également pour leurs recommandations à l’attention des collaborateurs, entreprises et dirigeants qui s’intéressent à ce sujet, aux synergies entre marques personnelles et marque employeur/marque corporate et qui souhaitent par exemple développer des démarches structurées de brand advocacy… Il trouveront ci-dessous de précieux conseils :-)

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Le BrandNewsBlog : Tout d’abord Fadhila, pourriez-vous nous donner votre définition du personal branding ? Qu’est-ce qui se cache derrière cet anglicisme et en quoi cela consiste ? Quel intérêt pour les lecteurs du BrandNewsBlog et pour tout internaute de connaître et maîtriser ce type de démarche ? Et y-a-t’il des profils ou des catégories professionnelles plus particulièrement concernés ?

Fadhila Brahimi : Le personal branding, c’est l’art de valoriser et faire reconnaître sa singularité au profit d’un projet individuel/collectif afin de provoquer des opportunités pour le développement de son activité.

Derrière cet anglicisme se cache le processus de création et de promotion d’une marque emprunté aux entreprises, que l’on va transposer à la personne en utilisant les techniques de développement personnel pour mieux se connaître et se présenter, ainsi que les techniques de communication et de marketing on- et offline pour se faire remarquer.

Le Saint graal du personal branding est in fine d’être recommandé pour son talent :

  • …parce que vous êtes LA personne qui vient tout de suite à l’esprit lorsque l’on pense à un savoir-faire et/ou un savoir être ;

  • …parce que vous êtes LA signature que l’on reconnaît derrière une production, une oeuvre;

  • …parce que vous êtes LA personne que l’on sollicite pour répondre à une problématique/situation particulière ;

  • …parce que vous êtes LA personne qui incarne les valeurs et la vision d’un projet.

Cela signifie en définitive que avez su marquer l’attention de votre réseau grâce à une communication cohérente et que ce dernier a confiance en votre expertise, estimée crédible.

Chacun peut s’approprier le personal branding pour l’adapter à ses propres objectifs (emploi, mobilité, entrepreunariat, répresentation, etc), en fonction de sa capacité et de sa volonté à se faire connaître. Certains vont juste avoir besoin de décrocher un emploi, d’autres d’accompagner le développement de leur entreprise, d’autres encore de dynamiser leur carrière… Nous sommes tous uniques. Nous avons tous un talent à cultiver. Nous aspirons tous à suivre notre propre étoile… Nous savons également que nous devons nous « armer » pour pouvoir rebondir en cas de changement de vie personnelle et/ou professionnelle. Et que, sans réseau et sans réputation numérique positive, les opportunités s’amenuisent…

En revanche, nous n’aspirons pas tous à devenir célèbre, populaire, ou « influenceur » bien sûr.

A minima, le personal branding vous servira donc à vous connaître, à concevoir une stratégie pour atteindre vos objectifs et à vous présenter efficacement lors d’un entretien, sur vos documents écrits (CV, carte de visite, etc) et sur vos profils sociaux professionnels (LinkedIn, Twitter…)

Utilisé de manière optimale, au maximum des opportunités qu’il offre, le personal branding vous permettra de devenir une référence incontournable dans votre secteur d’activité et/ou au sein de votre entreprise avec une forte notoriété (conférence, ouvrage, interview, etc).  Le personal branding pourra également renforcer votre capacité à mobiliser des acteurs autour d’un projet. Pour un(e) Dirigeant(e)/Président(e)/Directeur(trice), c’est votre posture d’éclaireur, d’évangéliste et de leader d’opinion (tant attendue par les collaborateurs et les autres parties prenantes : voir le tableau ci-dessous) qui s’en trouvera aussi renforcée.

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Le BrandNewsBlog : Le personal branding a longtemps souffert d’une relative incompréhension voire d’une mauvaise image. Entre ceux qui ne savent pas ce que cela recouvre, ceux qui refusent catégoriquement à ces démarches le statut de nouvelle discipline (le terme ne figure dans quasiment aucun dictionnaire de marketing, par exemple) et ceux qui dénoncent la futilité du développement de la marque personnelle, en parlant notamment de personal « branling », les résistances ont été parfois fortes… La première ambiguïté ne vient-elle de l’utilisation du terme de « branding » et justement de cette assimilation de la gestion de la marque personnelle à la gestion d’une marque traditionnelle ? Le marketing de soi et le marketing d’une entreprise ne sont-ils pas pourtant fondamentalement différents ?

Fadhila Brahimi : Lorsqu’une idée nouvelle se présente, elle génère toujours des interrogations, des résistances, des emballements et des amalgames… C’est d’autant plus vrai lorsqu’elle touche à l’intériorité et aux « tabous » collectivement admis. Le principe même qu’une personne puisse s’approprier les attributs affectés à un produit ou à un service a parfois été ressenti comme une marchandisation de la personne, alors que nous savons tous que, dans le cadre d’un entretien de recrutement, d’une présentation commerciale ou d’un rendez-vous de networking, l’objet de l’attention se porte sur notre attitude, notre comportement et notre force de conviction dès les premières minutes… Donc notre personnalité, la manière dont nous argumentons et le choix des mots ont nécessairement un impact positif ou négatif.

Le branding n’est pas la propriété unique de l’entreprise : c’est une logique d’action qui vise à positionner une marque dans l’esprit d’un individu. Si vous cherchez à marquer l’esprit de votre interlocuteur pour qu’il se souvienne de vous, vous êtes déjà dans une logique de branding

L’intérêt fondamental du personal branding ne réside pas tant dans sa logique d’action que dans les racines de la marque, l’objectif poursuivi et la manière dont vous le traduisez.

Le terme de “branling” a en effet été associé à des attitudes perçues comme egocentrées, visant à tout bout de champ à attirer la lumière des projecteurs pour se faire « mousser »… Nous parlons ici essentiellement de « ressentis », dans un pays où, dans la conscience collective, il faut vivre caché pour vivre heureux et où il n’est pas de bon ton d’afficher une forme de réussite, voire insupportable d’avoir une tête qui dépasse…

Ceci dit, j’ai aussi remarqué que beaucoup pratiquaient le personal branding sans autre projet que d’être aimé par leurs fans en croyant qu’une présence (hyper) active sur les médias sociaux suffisait à construire une marque. Raison pour laquelle j’insiste toujours sur l’importance d’avoir un projet de vie personnelle et de vie professionnelle, même sous forme de rêve, ainsi qu’une virtualité effective.

Bien évidemment, le personal branding n’est pas nouveau. Longtemps, il n’a tout simplement pas été reconnu en tant qu’usage. Les artistes et les journalistes par exemple ont toujours eu conscience de la nécessité de se démarquer en peaufinant leur style. Ainsi, l’acteur Bourvil avait façonné son personnage de comique-paysan en puisant dans ses racines familiales et en cultivant le talent que l’on lui reconnaissait.

La nouveauté réside dans les évolutions sociétales : la concurrence qui entraîne une compétition et une nécessaire employabilité, l’expansion des outils de communication qui nous transforment tous en médias avec l’obligation de gérer notre image en ligne…

Pourquoi serait-il improbable ou scandaleux que le personal branding s’inspire du marketing de l’entreprise alors que l’entreprise s’inspire des attributs humains, en cultivant notamment l’art de la conversation sur les médias sociaux ?

En 1992, Jean-Noël Kapferer analysait l’identité des marques d’entreprise sous le prisme de l’identité humaine (le physique, la personnalité, la culture, la relation, le reflet et la mentalisation : voir le schéma ci-dessous). Aujourd’hui, l’identité humaine s’approprie les techniques des entreprises pour construire sa propre marque.

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Le BrandNewsBlog : Ainsi que je le disais en introduction, de l’eau a coulé sous les ponts du web 2.0 depuis la parution de votre premier ouvrage sur le sujet¹. Et il semble notamment que la nécessité de la gestion de la réputation et de l’image personnelle sur Internet soit aujourd’hui beaucoup plus largement admise et ne fasse plus guère débat, les internautes et socionautes ayant beaucoup mûri sur ces questions… Pour autant, pour la précurseur que vous êtes sur ces sujets, assimiler gestion de sa réputation 2.0 et personal branding n’est-il pas réducteur ? A notre époque, le management de la marque personnelle existe-t-il vraiment en dehors de notre présence en ligne ?

Fadhila Brahimi :  Comme on l’a vu à l’instant, il n’est pas aisé de définir le personal branding. Ceux et celles qui entrent dans de telles démarches expriment plus souvent un résultat attendu (“avoir plus de client”, “se faire démarcher”, “être reconnu(e) en tant qu’expert(e)”) ou une crainte (“se distinguer des homonymes”, “ne pas passer pour un(e) has-been”, “réparer des erreurs en ligne”) plutôt qu’une véritable démarche de développement personnel (“J’ai besoin d’aligner ma communication à mes valeurs”). La e-réputation est bien sûr l’une des composantes du personal branding, dans la partie visible de l’iceberg. C’est une discipline inhérente au travail autour de la gestion de l’image et de la communication digitale de la marque personnelle. Il serait néanmoins incomplet de résumer le personal branding à un score d’audience sur les médias sociaux. Il reste en effet essentiel dans notre société latine de cultiver le visuel, les rencontres dans la vie physique et les échanges autour d’un café pour consolider des relations.

Au fil des années, de nombreux professionnels ont embrassé cette discipline en exploitant consciemment et/ou inconsciemment qu’un seul versant de cette méthode : soit en limitant le personal branding à une présence en ligne justement (objectif de visibilité) au détriment du sens et de la profondeur ; soit au contraire en niant l’importance de l’identité numérique.

Limiter le personal branding à des publications en ligne (même en démultipliant les supports) ou à une démarche introspective, cela revient de facto à ignorer toute la complexité de la notion d’image, qui comprend nécessaire trois facettes complémentaires :

  • « l’image vraie » : ce que nous sommes réellement sans les fioritures du marketing, et de la bienséance ;

  • « l’image voulue » : ce que nous aimerions être et laisser transparaître ;

  • « l’image perçue » : ce que nous renvoyons aux autres et la manière dont ils nous perçoivent à travers notre attitude, nos comportements, notre empreinte numérique (réputation/eréputation), etc.

fadhila_brahimi-quote1Le BrandNewsBlog : Au fil de vos différents ouvrages, vous défendez évidemment une conception et une méthodologie bien précises du personal branding, qui exploite à la fois des recettes du marketing et du e-branding et certains des fondamentaux du coaching. Pourriez-vous nous rappeller en quoi consiste exactement une démarche individuelle de personal branding, telle que vous la recommandez ? Par où une personne désireuse de développer sa marque personnelle doit-elle commencer et quelles sont les grandes étapes à ne pas manquer ?

Fadhila Brahimi : Dans mon adaptation du livre “Me 2.0” de Dan Schawbel, j’ai transposé les exemples et les explications au public français, tout en respectant la structure du processus. Ainsi, pour celles et ceux qui souhaitent initier ou renouveler leur marque personnelle, je recommande une méthode en quatre étapes :

  • Première étape : découvrir sa marque. Ce premier pas vous invite à travailler sur vous-même afin de trouver les clefs de votre singularité. Il s’agit d’analyser  vos qualités personnelles, vos valeurs, à travers vos différentes expériences de vie, vos atouts et votre environnement (concurrents compris). En utilisant la grille d’analyse SWOT – forces (strengths), faiblesses (weaknesses), opportunités (opportunities) et menaces (threats) – puis en formalisant votre projet professionnel, vous apprendrez d’abord à vous situer et à vous projeter.

  • Deuxième étape : créer sa marque. Pour communiquer, il vous faut une « boîte à outils » composée d’une photo professionnelle, d’une bio, d’une promesse et d’un press book compilant vos réalisations et contenant des recommandations ou des références. Cette étape doit tenir compte du fait que votre personal branding se déploiera on- et off line. Ainsi, l’appartenance à des communautés en ligne, ou bien une participation à des soirées de networking, des salons, des  forums ou des think tanks sont tout aussi importants que les publications sur les réseaux sociaux… A ce stade, vous pourrez déterminer vos territoires d’expression ainsi que les outils adaptés à votre personnalité, votre cible et votre projet (logo, blog, réseaux sociaux, etc).

  • Troisième étape : communiquer autour de sa marque. Vous êtes en quelque sorte votre propre chargé de relations publiques. Soignez votre carte de visite et vos signatures e-mail. Manifestez-vous sur les médias sociaux et sur les blogs pour affirmer vos domaines d’expertise afin de vous faire repérer par les médias. En somme : suscitez l’envie que l’on vous cite et vous recommande. Pourquoi pas en créant votre propre événement, un ouvrage, une chaîne tv !

  • Quatrième étape : entretenir sa marque. Votre identité numérique est vivante. Elle est alimentée par vous et par les internautes qui interagissent avec vous. A ce stade, vous devez vous armer d’outils de gestion de tableau de bord et connaître des principes de base du référencement naturel (Search Engine Optimisation) pour amadouer les algorithmes d’autorité sociale… Vous devez également apprendre à protéger vos données, à paramétrer des outils de veille  et à animer vos profils pour générer de l’engagement, afin d’obtenir des recommandations.

Le BrandNewsBlog : Certains de vos confrères et consœurs insistent beaucoup sur les étapes amont : introspection, connaissance de soi voire prise de confiance pour être capable de déterminer d’abord son identité et son projet personnel… Ils s’appuient pour se faire sur des bagages et méthodologies souvent très variés : tests de personnalité, auto-analyse, voire relooking… Ces étapes de retour sur soi sont-elles si importantes et quelle différence avec les autres formes d’accompagnements personnels qui existent, de la psychanalyse au coaching en passant par le bilan de compétence ?… Le personal branding trop « psychologisant » tel qu’il est prescrit par certains « gourous » du développement personnel n’a-t-il pas fait du tort aux coachs et aux véritables conseils en développement de la marque personnelle  ?

Fadhila Brahimi : Le personal branding n’est puissant que lorsque l’intéressé commence par appliquer ce principe : “Connais toi, toi même”. En se jetant sur les médias sociaux  sans passer par cette étape, vous risquez de vous éparpiller et de vous épuiser à développer une audience sans avoir de retour constructif. L’étape d’introspection propre au développement personnel a le mérite de vous aider à verbaliser ce qui vous rend unique afin vous projeter dans une dynamique d’action. Un travail long et parfois fastidieux car il paraît futile et abstrait, alors qu’il est en fait la « racine de l’arbre ».

Faire l’impasse sur le sens que l’on donne à sa présence numérique crée en effet de l’ambiguïté.

Les tests de personnalité ne sont utiles que dans le cadre d’une maïeutique : les résultats seuls ne vous aideront pas à faire émerger la solution qui est en vous. Il n’est pas facile de parler de soi. Tout comme il n’est pas facile de faire le tri entre ses croyances limitantes, ses préjugés, ses envies et son potentiel…

Mais attention à ne pas s’égarer : le développement personnel sert à connaître son potentiel et à trouver les clefs permettant de se rendre en quelque sorte « un étage plus haut ». Il ne s’agit pas d’une thérapie utile pour ranger et soigner sa « cave intérieure » (objectif de soin).

En revanche, il est nécessaire de savoir si vous êtes plus à l’aise à l’écrit, à l’oral, en dessin… pour choisir le média approprié. Et il est essentiel de connaître vos valeurs pour trouver votre place au sein d’un réseau… Les femmes ont souvent du mal à choisir les bons mots pour valoriser leurs expériences professionnelles ; les personnes qui ont un parcours fragmenté/varié expriment des difficultés à donner du sens à leur bio ; les entrepreneurs se questionnent régulièrement sur la meilleure stratégie à adopter pour faire vivre simultanément leur marque personnelle et la marque de leur entreprise ; les leaders en entreprise ont besoin de clarifier leur positionnement (comment incarner la marque de l’entreprise tout en gardant leur « patte » ?). Quant aux dirigeants, ils doivent apprendre à sortir du langage « corporate » en osant l’imparfait, la spontanéité, l’émotion…

Ce travail de positionnement entraîne en général un changement intérieur qui va déclencher des désirs de changement et des révélations qui peuvent notamment s’extérioriser par un changement de look, une libération de la parole…

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Le BrandNewsBlog : Alban, vous êtes quant à vous un expert dans les domaines de l’assurance et de la communication 2.0 des entreprises et des collaborateurs. Vous incarnez un très bel exemple de personal branding réussi, puisque vous avez su utiliser toutes les ressources du web et des plateformes sociales notamment pour faire connaître vos expertises et accélérer, il y a de cela quelques années, une réorientation professionnelle. Pouvez-vous nous parler de cette expérience et nous dire quand et comment vous est venue au départ cette idée d’utiliser le web pour faciliter votre évolution de carrière ?

Alban Jarry : Comme beaucoup de monde, j’ai découvert et appris le personal branding numérique en le pratiquant involontairement. Comme le faisait remarquer à l’instant Fadhila, la notion de marque personnelle existait depuis longtemps dans le monde professionnel sans que le terme « personal branding » n’ait été vraiment utilisé. Beaucoup de professionnels, d’experts, des conférenciers, étaient connus et entraient probablement déjà dans les critères actuels en étant visibles dans les supports traditionnels des médias ou en intervenant régulièrement devant un public. Le numérique a ouvert des possibilités complémentaires en démocratisant cette notion où tout le monde devient acteur de son personal branding, où tout le monde peut gérer plus ou moins activement son image. Il n’est pas nécessaire selon moi d’être communicant ou marketeur pour commencer à faire du personal branding numérique : il suffit juste d’apprendre à utiliser quelques plateformes gratuites et accessibles en quelques clics.

Me concernant, la première phase a consisté à créer un profil LinkedIn qui, via sa CVthèque, propose à chaque utilisateur de gérer sa « vitrine numérique ». Très rapidement, j’ai utilisé l’outil de diffusion des actualités en y partageant des articles qui renvoyaient vers des thèmes autour de mes compétences. LinkedIn ne conservant les actualités que quelques jours, j’ai ouvert un blog servant de support à cette curation. A l’époque, d’autres outils plus simples devaient exister pour faire de la curation, mais une fois que le blog WordPress fut créé, il était malheureusement trop tard pour moi pour changer, ce qui m’aurait pourtant simplifié la vie. J’utilise toujours ce blog pour faire de la curation.

A partir de février 2012, j’ai commencé à publier les supports d’interventions en conférences (sur SlideShare) car je pars du principe que dès lors qu’une information est devenue publique il n’y aucune raison de ne pas la diffuser plus largement. Puis, est venu Twitter, où j’ai découvert progressivement des personnes formidables et les vastes possibilités de partage de l’information. Cette plateforme permet de s’éveiller très simplement à l’innovation et d’agir en mode collaboratif, notamment grâce aux Direct Messages (DM) que nous utilisons pour les communautés #i4emploi ou #612rencontres, comme le fait excellemment Emmanuelle Leneuf avec le #FlashTweet. La méthode a donc été empirique au départ et probablement facilitée par le fait que je venais de l’univers de l’informatique. Pendant 17 ans, j’ai en effet dirigé des projets notamment autour du numérique. Cette expérience  m’a permis sans aucun doute d’aller plus vite.

Etant à l’époque intégré dans un plan social, j’avais besoin de retrouver rapidement un travail. Ce fut le cas, à l’issue de ce plan, en quelques jours. Pour reboucher sur la complémentarité des canaux évoquée ci-dessus, je pense d’ailleurs que ce sont surtout la participation à des groupes de travail de l’AFG (Association Française de Gestion) ou du Club AMPERE, les interventions en conférence et les articles dans Les Echos qui m’ont permis d’accélérer cette recherche et de gagner en visibilité. En faisant partie depuis plusieurs années de groupes de travail dans les associations professionnelles et en y ayant des responsabilités, suffisamment de graines avaient été semées pour finalement que quelques-unes d’entre elles finissent par pousser.

A l’époque, les réseaux sociaux m’ont surtout permis de collecter de l’actualité, car ce sont de véritables mines d’or de ce côté-là. Aujourd’hui, je pense que les réseaux sociaux ont toujours un côté irréel (voir même « mythique ») dans le monde professionnel car il n’y a qu’une faible proportion des acteurs du monde professionnel qui y est présente activement. Par contre, depuis quatre 4 ans, ce monde, irréel et parallèle, ne cesse de se rapprocher du monde réel et pourra incontestablement y avoir un impact de plus en plus important sur nos carrières…

Le personal branding devrait par conséquent devenir une matière à part entière qu’il faudra maîtriser. Il me semble que progressivement il sera de plus en plus enseigné aux étudiants pour leur faciliter l’entrée dans le monde professionnel puis pour s’appuyer dessus pour progresser. Et les collaborateurs des entreprises aussi auront tout intérêt à y être formés.

Le BrandNewsBlog : En l’espace de deux années seulement Alban, vous avez su créer une présence en ligne assez remarquable, en vous appuyant sur différents ressorts et outils : votre blog, dont je recommande la lecture, un investissement particulièrement actif sur Twitter et Linkedin, la production et la diffusion de livres blancs sur les professionnels connectés, la publication d’article et de tribunes dans des médias en ligne de référence tels que Les Echos.fr ou la Harvard Business Review… Pouvez-vous nous dire quels ont été les facteurs clés de votre succès et quels sont vos secrets pour maintenir cette belle visibilité que vous avez sur le web aujourd’hui ? 

Alban Jarry : Dès la création de mon blog, il y a quatre ans, j’ai privilégié le mode de la curation d’informations sur ce support. En effet, j’ai eu la chance de pouvoir publier très rapidement pour des médias notamment pour La Nouvelle Revue de Géopolitique ou Le Cercle Les Echos. En conséquence, j’ai toujours proposé en priorité ces tribunes à des médias en ligne, ou papier, tout en indiquant sur mon blog que j’avais publié ces articles. Pourquoi ? Car la puissance des médias est toujours incroyable par rapport au numérique et à un blog. Le blog permet ensuite de diversifier les points d’entrée sur une information, c’est une sorte « d’entonnoir ».

Ensuite, Twitter et LinkedIn servent de relais à ces tribunes et amplifient ce fameux personal branding à mon sens. Ils démultiplient les points d’impacts. Ecrire des tribunes, publier, prend du temps, beaucoup de temps. Il serait donc dommage de se priver de ces moyens de communiquer numériquement avec des marques fabuleuses. Ces associations illustrent d’ailleurs la force que peuvent avoir le rapprochement entre des marques personnelles et des marques institutionnelles. Au cours de ces 4 dernières années, j’ai utilisé plusieurs outils différents. Certains ont marché, d’autre moins. Aujourd’hui, par manque de temps, je privilégie les plus efficaces dans l’univers professionnel que je côtoie : Twitter, LinkedIn, Slideshare et un peu Google+.

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Il faut cependant tenir compte du fait que ces sites peuvent disparaitre du jour au lendemain. Par exemple, il y a régulièrement des rumeurs autour de Twitter. Leurs modèles économiques sont plus ou moins stables. Il est donc primordial de ne pas trop s’attacher à un outil car il n’est qu’un moyen parmi tant d’autres. Un personal branding efficace repose donc sur une variété de supports et il faut toujours prévoir des solutions alternatives.

Pour maintenir une visibilité, il est nécessaire d’avoir une présence régulière qui peut s’assimiler à un marathon. D’autant plus que cette présence se matérialise tôt le matin et tard le soir en dehors des horaires de bureau. Au niveau des contenus, il faut oser et tout le temps essayer de trouver les limites du système. Dans les tribunes, je m’appuie souvent sur les citations ou des exemples. Je conseille la relecture du Petit Prince car Antoine de Saint Exupéry y avait décrit l’ensemble des caractères humains qui s’appliquent encore de nos jours dans l’univers numérique.

Le BrandNewsBlog : Pour arriver à ce résultat, grâce à vos publications en premier lieu, vous reconnaissiez récemment (dans cet article) avoir consacré beaucoup de temps à développer votre personal branding et encore aujourd’hui à maintenir une présence effective sur autant de supports et plateformes (blogs, réseaux sociaux, rubriques experts des sites d’information en ligne…). Pour nos lecteurs qui souhaiteraient renforcer leur image de marque et leur présence en ligne sans investir au départ autant de temps, par où commenceriez-vous de commencer ? Et quelles sont les 3 ou 4 principales erreurs à éviter ?

Alban Jarry : Le point de départ commence nécessairement par la création d’un profil de type CVthèque, par exemple dans LinkedIn. Ensuite, il faut utiliser ces outils pour y trouver de l’information. Pour cela, Twitter est indispensable car c’est une porte d’entrée vers toute l’actualité professionnelle (le fil AFP gratuit des professionnels en quelque sorte). Dans un troisième temps, il est possible de partager de l’information en utilisant sur les sites des revues ou médias les boutons de partage, c’est le plus simple. Puis dans une quatrième temps d’interagir sur ces plateformes par des messages courts. Très peu de personnes passent à l’étape suivante qui consiste à publier des articles et qui est l’étape la plus compliquée… Cette étape ne peut s’envisager que pour les personnes qui ont envie de tenter cette expérience car en publiant, l’exposition devient beaucoup plus importante et il faut savoir la gérer.

Il y a très peu d’erreurs à véritablement éviter dans ce monde. Les règles sont à peu près les mêmes que dans la « vraie vie », car ce sont des humains qui y interagissent. C’est en participant que l’on apprend les règles et qu’il est possible de progresser… Il n’y a selon moi aucun modèle unique d’utilisation de ces outils car beaucoup de voies sont encore défrichables. Tout cela peut encore s’assimiler au far west avec un écosystème qui progressivement s’auto régule. C’est un monde où il faut oser, essayer, ne pas avoir peur de se prendre les pieds dans le tapis. La seule règle incontournable est probablement de ne jamais répondre à des polémiques car l’expérience prouve que cela cela ne sert à rien.

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Le BrandNewsBlog : Anthony, comme Fadhila, vous conseillez quant à vous des entreprises et des P-DG dans le développement de leur image personnelle et de leur e-réputation. En quoi la marque personnelle d’un dirigeant est-elle aujourd’hui si importante pour lui… et pour son entreprise ? Et en quoi le personal branding de tout collaborateur, de manière générale, peut-il contribuer à valoriser le branding de l’entreprise ?

Anthony Babkine : Je fais partie d’une agence (TBWA\CORPORATE) qui croit profondément en la « brand advocacy » (ndlr : la parole des collaborateurs et autres ambassadeurs de la marque). Au point que notre Président, Emlyn Korengold, a pris pour habitude de dire qu’à l’heure des réseaux, ce que dit une entreprise a, chaque jour, moins de valeur que ce qu’on dit d’elle. 

En d’autres termes, il ne s’agit plus de savoir si les présences numériques d’une entreprise sont plus ou moins stratégiques que celles de ses dirigeants ou des collaborateurs : il s’agit de prendre conscience qu’elles sont indissociables et toutes aussi importantes les unes que les autres !

En ce sens, les prises de parole des collaborateurs, décideurs et la communication corporate d’une entreprise se doivent aujourd’hui d’être synchronisées… Le tout en tachant d’être les plus pertinentes, authentiques et cohérentes possibles.

La présence en ligne d’un patron, d’une marque et des collaborateurs peuvent ainsi avoir la même ambition pour un Directeur de la communication :

  • renforcer l’incarnation de l’entreprise,
  • humaniser l’entreprise/ lui donner un visage,
  • démultiplier la puissance de frappe de ses prises de parole,
  • permettre à des futurs clients/ collaborateurs de mieux se projeter,
  • échanger/ partager avec les différentes parties-prenantes de l’entreprise

Bref : il s’agit de permettre à l’entreprise de ne plus parler d’elle même, mais de donner l’occasion à des centaines, milliers (en fonction de la taille de la structure) d’individus de porter sa communication, ses valeurs, ses compétences… auprès de différents publics.

Le BrandNewsBlog : Les entreprises cherchent de plus en plus à associer leurs collaborateurs au développement de leur image sur Internet, en développant des réseaux de « salariés ambassadeurs » notamment. Certaines, comme Orange, La Poste, Generali ou encore PVCI ont développé des programmes internes dédiés pour pousser leurs salariés à être actifs sur les réseaux, à développer leur personal branding et à parler de l’entreprise ? Quels sont à votre avis les facteurs clés de succès de ce type de démarches et leurs risques éventuels ? 

Anthony Babkine : Construire un réseau d’ambassadeurs, c’est croire en la force du collaboratif et du collectif pour incarner sa communication et porter ses valeurs/expertises. Peu d’entreprises françaises ont réussi à prendre relativement tôt ce virage sur les média sociaux. Pourtant, à beaucoup d’égards, cette stratégie est payante… autant pour la marque employeur que pour l’attractivité de l’entreprise et l’incarnation humaine/des expertises et singularités de l’entreprise.

De manière très concrète, la réussite et le déploiement efficace d’un réseau d’ambassadeurs dépendent souvent du fait que l’entreprise :

  • monte des programmes d’acculturation au numérique (acculturation qui concerne les employés à tous les étages),
  • intègre des ‘digital gourous’ dans l’entreprise (ces pionniers, talents et acteurs du web qui donnent l’impulsion au service du collectif),
  • montre l’exemple grâce à l’impulsion donnée par des décideurs clés en interne (P-DG, Dircom, DRH…)
  • se prononce de manière claire sur le fait de donner une part de voix réelle à ses collaborateurs (longtemps les média sociaux ont été bannis et parfois interdits dans l’entreprise. Aujourd’hui la tendance est à la pédagogie… On avance !),
  • souhaite démultiplier son approche conversationnelle (la fin du « one-to-all » et le début du « one-to-one »),
  • valorise les professionnels les plus impliqués dans cette démarche (programme interne, rencontres, récompenses, interviews etc.)

anthonybabkinequote2Le seul risque que j’identifie vraiment pour l’entreprise est de déployer trop tardivement une stratégie d’employee advocacy… à l’heure où l’internaute voudra de moins en moins parler avec la marque et davantage à ses ambassadeurs.

Le BrandNewsBlog : Beaucoup d’entreprises se montrent encore très réticentes par rapport à ce type d’initiatives et considèrent que le développement de la présence en ligne et du personal branding de leurs collaborateurs n’est pas de leur ressort, voire représente un risque important de les voir partir, car ils peuvent ensuite être « chassés » par des concurrents ou chercher à se « vendre » ailleurs. Que répondez-vous à ces objections et jusqu’où les DRH et services com’ des entreprises peuvent-ils aller en ce sens sans être trop intrusifs dans la vie et l’activité en ligne de leurs collaborateurs ? 

Anthony Babkine : À ces objections, je réponds souvent : « Allez-vous arrêtez de former vos salariés sous prétexte qu’ils seront trop qualifiés sur le marché et susceptibles d’être débauchés ? ». La présence numérique d’un collaborateur a autant à apporter à l’entreprise qu’au collaborateur lui-même… à l’instar d’un salarié auquel on accorde une formation. En ce sens, c’est « donnant-donnant ». Le contexte, les ambitions et règles de l’accompagnement de l’entreprise doivent être claires dès le départ vis-à-vis des collaborateurs.

Le BrandNewsBlog : Quand on est un dirigeant de société, j’imagine que les enjeux et peut-être même les méthodes de développement du personal branding ne sont pas tout à fait les mêmes que pour un collaborateur « lambda » ? Quelles sont les premières précautions ou règles à respecter et que dites vous aux P-DG qui ont déjà une idée de ce qu’ils veulent faire ou qui souhaitent par exemple ouvrir tout d’un coup leur propre compte Twitter, par exemple ? Pouvez-vous nous citer quelques exemples de dirigeants qui ont selon vous un personal branding efficace et quel est le secret de leur succès ?

Avant de « lancer » un patron sur les médias sociaux, je m’assure souvent qu’il soit accompagné dans cette démarche en interne… A vrai dire, un bon niveau de maturité dans l’entreprise et une grande bienveillance sont nécessairement requis. Certains décideurs découvrent parfois la puissance des médias sociaux en même temps qu’ils s’acculturent au web social.

Pour ma part, je suis particulièrement vigilant à un certain nombre de points et j’ai tendance à poser d’emblée les questions suivantes à mes interlocuteurs :

  • est-ce que le décideur qui souhaite se lancer sur les médias sociaux perçoit bien les enjeux de sa présence ? (cf. ci-dessous les principaux à mon sens)
  • Est-ce que ce même décideur est accompagné d’un(e) professionnel(le) capable de suivre, conseiller et alimenter sa présence numérique ? Il y a à mon sens aujourd’hui beaucoup de questions de fond sur le rôle du dirigeant dans sa propre incarnation… Par exemple : doit-il tweeter lui même ?… C’est son compte professionnel et il se doit de comprendre et être celui qui impulse la ligne éditoriale de son entreprise, donne le “La”, mais il doit aussi être épaulé pour faire vivre ses réseaux et les incarner avec brio !
  • Faire prendre conscience très tôt qu’une présence numérique se travaille dans la durée et aussi dans une logique de plan de rencontre physique.
  • Ancrer au coeur de la présence numérique du décideur les codes de la culture web, du live et de la conversation.

Les règles d’or d’un lancement ou d’une présence réussie ? Authenticité, intérêt pour le sujet, envie d’apprendre… La curiosité du décideur reste notre meilleur allié, car au final les médias sociaux ont aussi leur part ludique et de fraîcheur.

Avec mes équipes (je me permets de mentionner ici Chloé Balleix – Social Media Manager – qui est l’un des talents de TBWA\CORPORATE sur l’accompagnement des décideurs), nous passons beaucoup de temps à :

  • observer les bonnes pratiques de l’écosystème numérique du décideur,
  • comprendre son empreinte numérique,
  • analyser ses sujets de prédilection pour avoir une ligne éditoriale proche de ses attentes et possibilités…

… des étapes cruciales où nous avançons en tandem resserré avec le patron et ses conseillers/ executive assistants/ directions de communication.

anthonyquote1Par ailleurs, les méthodologies pour accompagner un patron peuvent parfois être les mêmes qu’un individu lambda (pédagogie, formation, accompagnement etc.). Mais les enjeux stratégiques de sa prise de parole/ présence numérique sont nécessairement bien différents de ses collaborateurs. Je pointerai plus particulièrement 3 enjeux fondamentaux :

  • Leadership : porter la fonction de dirigeant en incarnant son expertise sectorielle et ses grands chantiers / initiatives (exemple: l’engagement de l’entreprise dans sa transformation numérique, l’innovation, etc) ;
  • Influence & Business : toucher une audience influente et amplifier sa part de voix sur son secteur avec une portée le cas échéant internationale (journalistes, leaders d’opinions, blogueurs…)
  • Interne : fédérer les collaborateurs en bâtissant une présence forte pour créer une caisse de résonance au service de ses actions.

… Le tout en ayant la possibilité de mesurer évidemment la portée de ses actions et prises de parole autour de cette activité numérique. En somme, une action qualifiable et quantifiable (nombre de relais, nouveaux abonnés, influence des prises de parole, analyse sémantique/sentiments etc.…)

Voici ci-dessous quelques exemples de patrons qui maîtrisent particulièrement bien leur image et leurs prises de parole via les réseaux sociaux, et Twitter en particulier :

patrons

Le BrandNewsBlog : Fadhila, dans un article très intéressant publié il y a quelques semaines (à découvrir ici), vous évoquiez des perspectives plutôt radieuses pour cette discipline du personal branding, qui est promise selon vous à un bel avenir. Banalisation du recours à des personal branders ; développement du conseil et de l’accompagnement des collaborateurs en matière de personal branding ; émergence d’un Quotient de Conversation Sociale (QSC) parmi les critères de recrutement de certaines entreprises ; généralisation de la co-création et du co-branding entre les marques personnelles des salariés ambassadeurs et la marque employeur de leur entreprise, etc. Pourriez-vous nous en dire plus sur ces perspectives et les évolutions que vous sentez inéluctables d’ici 5 à 10 ans ?

Fadhila Brahimi : Ces 10 dernières années, j’ai perçu essentiellement trois grands changements…

  1. à la dimension « être acteur de sa vie », nous avons ajouté l’adage “tous média” ;

  2. à la démarche d’introspection (coaching) et de promotion de sa singularité (communication et marketing), nous avons dû intégrer les leviers de la communication d’influence dans le digital (portée, amplification, pertinence) ;

  3. aux techniques de référencement et à l’apprentissage de l’animation de ses profils sociaux professionnels se sont ajoutés les enjeux de l’analyse de la data (engagement, tonalité, viralité)…

La mission du “personal brander” (ce professionnel dont le métier consiste à accompagner ses clients dans une démarche de personal branding) n’est plus seulement d’être un agent du changement à un moment T mais d’être un accompagnateur d’un changement permanent avec des multi-compétences (développement personnel, communication et marketing, physical et média-training, audit et analyse de la data, droit à l’image, brand content, référencement…)

Parallèlement, l’individu a pris conscience que le travail sur son image est essentiel, même hors d’une période de challenge professionnel, et ce, dès l’école. Prendre soin de son image et de sa communication est devenu une activité dont il faut se préoccuper en permanence, à l’instar d’un bâtiment. La construction et l’entretien d’une maison ne sont jamais terminés : il faut toujours procéder à des travaux d’embellissement et de réparation.

Ces  5 dernières années, la demande des leaders a évolué et ils sont de plus en plus nombreux à souhaiter un “accompagnement à durée indéterminée” afin de suivre l’évolution de leur présence en ligne (analyse des profils et de l’impact des publications), d’intégrer les nouveaux codes de communication et les nouveaux outils (ex : émoji, vidéo live), de sélectionner les influenceurs, les followers, de conseiller sur les réponses à apporter en cas d’interpellation ou de crise (spin doctors), de transmettre des suggestions d’articles, etc. Ils  utilisent ainsi le personal branding pour créer leur marque et la promouvoir mais également pour l’entretenir en temps réel et la renouveler en permamence.

Si quelques youtubers/instagramers/blogueurs ont su capitaliser sur leur audience en monnayant leur influence, peu ont conscience que leur identité numérique est un capital immatériel et social à chérir.

Les entreprises commencent à peine à comprendre l’intérêt d’accompagner des influenceurs et des ambassadeurs pour incarner la marque corporate en esquissant des programmes d’employee advocacy (ambassadeurs salariés) souvent basés sur un partage de veille (automation) mais sans avoir intégré les différents enjeux RH qui en découlent... Quid en effet de la valorisation de l’investissement individuel des salariés/collaborateurs sur les médias sociaux pour diffuser les opérations de communication de la marque ? Quid de la prise en compte du développement des compétences issues d’une pratique réussie des médias sociaux ? Quid du capital social créé par un networking efficace ?

De même, aux niveaux individuel et personnel : qui parmi nos lecteurs a déjà pensé à son testament numérique ? Qui a déjà délégué son trousseau numérique (procuration, login et mots de passe…) ? 

Récemment, j’ai accompagné la famille d’une personnalité publique décédée dont la vie numérique se poursuivait (modifications de sa page wikipédia, démentis, apport de preuves). Je suis certaine que nous sommes au début d’une extension de la discipline du personal branding, avec l’apparition de problématiques tout à fait nouvelles comme celle-ci, auxquelles nous n’avions encore jamais pensé.

Pour conclure, je dirai que je suis intimement convaincue que…

  1. … dans 10 ans, une grande majorité de leaders et de décideurs aura son personal brander !

  2. Le personal branding servira à accroître son “Quotient de Conversation Social », levier de négociation.

  3. Le personal branding sera intégré au processus RH comme un droit social.

  4. …Il permettra de devenir un véritable conso’acteur sociétal.

 

Notes et légendes :

* Le terme de personal branding est apparu pour la première fois en 1981 dans le livre The Battle for Your Mind des auteurs Al Ries et Jack Trout, avant d’être repris dans un autre ouvrage par Tom Peters. 

Parmi les auteurs de référence, on peut citer William Arruda, l’auteur en 2007 de « Career Distinction: Stand Out by Building Your Brand » et Dan Schawbel, dont l’ouvrage « Me 2.0: 4 Steps to Building Your Future », publié en 2010, a été transposé en Français par Fadhila Brahimi.

** En France, les précurseurs du personal branding ont été notamment Fadhila Brahimi, Thierry Do Espirito et Pascale Baumeister, tous trois auteurs d’ouvrages sur le sujet dans les années 2000.

(1) Entrepreneuse, fondatrice de sa société FB-Associés et précurseur du personal branding en France, Fadhila Brahimi est consultante et coach en e-réputation et communication d’influence. Chroniqueuse, conférencière et speaker TEDx, elle est notamment co-auteure avec Dan Schawbel de « Moi 2.0 – Devenez l’entrepreneur de votre vie grâce aux Personal Branding » aux Editions Leduc.

(2) Directeur du pôle Médias sociaux chez TBWA/CORPORATE, Anthony Babkine est également blogueur, co-fondateur et organisateur des conférences Labcom ; fondateur et directeur de la formation « MBA ESG/ IICP – Stratégie et Communication Digitale » et chroniqueur. Il est également auteur de « Réussir l’organisation d’un événement » aux éditions Eyrolles et co-auteur avec Mounira Hamdi de « Bien gérer sa réputation sur Internet » aux éditions Dunod et « Bad Buzz, gérer une crise sur les médias sociaux » également aux éditions Eyrolles.

(3) Directeur Solvency 2, ORSA et Risques stratégiques en Mutuelle jusqu’à aujourd’hui, Alban Jarry sera prochainement (à compter du mois de mars) Chief Digital Officer dans une entreprise du secteur de l’Asset Management. Intervenant à HEC et conférencier, Président Délégué et membre du Comité scientifique sur le Big Data et le Numérique de l’Ecole Polytechnique d’Assurances, auteur de nombreuses tribunes pour Forbes, Harvard Business Review, Les Echos, Revue Politique et Parlementaire, Nouvelle Revue de Géopolitique, Argus de l’Assurance, il a notamment été classé parmi les 15 Linkedin Top Voices de 2016, le TOP 15 des experts à suivre sur Twitter et le Top 5 des influenceurs B2B à suivre sur LinkedIn.

 

Crédit photos et illustrations : Christophe Averty pour la photo de Fadhila Brahimi ; Anthony Babkine ; Alban Jarry ; The BrandNewsBlog 2017.

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