Les 6 questions à se poser avant d’opter pour le business model « freemium »

MK-BW677_SBFREE_P_20120822181714

Le « freemium », modèle économique combinant offre gratuite (« free ») et offre payante (« premium ») serait-il devenu un passage obligé pour toutes les marques et concepteurs d’applications qui ont des ambitions online ? Si on en juge par le nombre sans cesse croissant d’e-brands et de secteurs d’activité qui s’y mettent (réseaux sociaux comme Linkedin et Viadéo ; plateformes de curation et sites de stockage comme Scoopit, Pearltrees ou Dropbox ; médias en ligne comme le NYTimes.com ou Le Monde.fr + toux les sites et applications de jeux en ligne ou presque…), on pourrait le croire.

Pourtant, tout le monde s’accorde à dire que le freemium reste un modèle risqué. Et malgré son attrait, les exemples d’échecs sont bien plus fréquents qu’on ne l’imagine. La première raison de ces plantages ? La plupart du temps, les e-brands et leurs dirigeants finissent par négliger une des dimensions de l’offre : soit la partie gratuite justement, qui « passe à la trappe » au fil du temps, soit au contraire l’offre payante, ce qui peut s’avérer encore plus rapidement fatal.

Comment optimiser le modèle pour qu’il soit viable ? Et quels conseils donner aux marques qui seraient tentées de s’y mettre à leur tour ? Le BrandNewsBlog vous propose ce matin de découvrir les 6 questions à se poser et les 6 facteurs clés de succès pour optimiser le taux de conversion utilisateurs > abonnés, tout en continuant à attirer sans cesse de nouveaux utilisateurs¹, une condition essentielle de survie pour la marque/le service à moyen terme.

Le business model freemium : pour qui, pourquoi, comment ?

En l’espace de 10 ans, le freemium est devenu le modèle dominant parmi les start-up d’Internet et sur le marché des applications pour smartphones. On ne compte plus les sites et applis mobiles qui, en libre accès, proposent gratuitement à leurs utilisateurs des fonctionnalités de base (souvent suffisantes pour les besoins de la plupart des utilisateurs), tout en permettant à leurs abonnés (moyennant finance évidemment) d’accéder à une offre plus complète et/ou des fonctionnalités avancées.

Le succès de Linkedin, une des premières entreprises freemium à avoir été cotée en Bourse, a sans doute largement contribué à la popularité de ce modèle économique parmi les jeunes patrons de ces pure players partis à l’assaut du web ces dernières années.

Très rapidement adopté par un coeur de cible constitué de professionnels des ressources humaines et des fonctions commerciales, qui ont rapidement compris l’intérêt de s’abonner à ses offres premium, le réseau social a su développer sa base d’utilisateurs de façon continue et devenir, via son offre gratuite, la plateforme de référence pour tous les internautes soucieux de construire, développer et enrichir leur « capital social » professionnel. Revendiquant plus de 300 millions d’utilisateurs à fin 2014, Linkedin affirmait fin 2014 tirer 70% de ses revenus de ses abonnements et de ses services de recrutement, la publicité lui rapportant 30% de ses ressources.

free_versus_paid1

Mais un tel succès (celui de Linkedin) n’est pas donné à toutes les marques freemium. Convertir aussi rapidement son coeur de cible en abonnés premium qui « portent » financièrement le développement de la marque, tout en attirant sans cesse de nouveaux utilisateurs gratuits susceptible de s’abonner à leur tour, représente certes un cercle vertueux idéal, mais est loin d’être aussi facile que certains le pensent.

Modèle économique audacieux pour entrepreneurs connaissant bien leur marché et sûrs de l’attractivité et l’équilibre de leur offre (gratuite + payante), il repose sur une « pari raisonnable » : celui de la conversation rapide d’une proportion suffisante d’utilisateurs en abonnés, pour convaincre les investisseurs dans un premier temps puis assurer des revenus réguliers permettant de financer une partie du développement de l’entreprise par la suite.

Le freemium, nouvel eldorado… mais pas pour les gogos ?

Mais il serait très utopique de croire qu’il suffit de rendre gratuite une partie de son offre (les fonctionnalités les moins avancées bien sûr, sans autre distinction) pour rencontrer le succès.

Comme le soulignait très bien Vineet Kumar², dans un article récent de la Harvard Business Review¹, les marques qui se lancent dans le freemium doivent être sûres d’en maîtriser les règles. Et répondre, pour commencer, à cette question évidente : qu’est-ce qui, dans l’offre, doit être offert gratuitement et qu’est-ce qui doit être payant ? Un autre point essentiel pour anticiper et pallier les éventuelles « baisses de régime » dans le développement de la marque freemium : connaître le cycle de vie de la conversion et des mises à niveau par les abonnés de votre plateforme s’avère tout à fait crucial et déterminant.

On comprend l’importance de cette connaissance en jetant un oeil à la courbe ci-dessous :

cycle vie

Comme le prouve cette courbe, modélisée par Vineet Kumar sur la base d’années d’étude des modèles et entreprises freemium, leur cycle de vie n’est absolument pas linéaire. A la croissance forte de la proportion d’abonnés (ou du taux de conversion) dans les premiers temps, succèdent en général une période plus difficile et une baisse relative du taux de conversion, les utilisateurs « tardifs » étant  moins intéressés par l’offre premium que les early adopters des services / applications en question. Ce taux de conversion réaugmente par la suite, au gré des innovations apportées à son offre par la marque.

Méconnaître ce type d’enseignement et « partir la fleur au fusil » serait en somme suicidaire pour les éventuels « gogos » qui n’auraient préparé aucun business plan, ni prévu la manière de gérer et dépasser les « bas de cycle » évoqués ci-dessus.

6 facteurs clés de succès du modèle freemium… et les 6 (bonnes) questions à se poser

Les 6 questions à se poser avant d’opter pour le modèle freemium peuvent être résumées comme suit :

1 > Qu’est-ce qui doit/peut être gratuit et qu’est-ce qui doit/peut être payant ? Telle est la première question à se poser. Les dirigeants et marketers des marques freemium ne doivent pas perdre de vue qu’un des premiers objectifs de ce business model est d’attirer de nouveaux utilisateurs. Pour cela, il vaut mieux que l’offre gratuite soit réellement crédible… et attirante. A contrario, si votre produit/service en ligne génère beaucoup de trafic mais que très peu d’utilisateurs optent ensuite pour l’offre payante, c’est qu’il est peut-être temps de revoir à la baisse les fonctionnalités offertes gratuitement. Dans le domaine des médias, c’est notamment ce qu’ont fait le site web du New York Times ou Le Monde.fr : ils ont limité progressivement l’accès à leurs contenus gratuits, pour inciter davantage les lecteurs à s’abonner. NYTimes.com est ainsi passé de 20 à 10 articles par mois consultables gratuitement, pour ne pas « vampiriser » son offre payante.

2 > Votre offre premium est-elle suffisamment distincte et compréhensible ? Tandis que certaines marques freemium proposent un découpage on ne peut plus clair et logique entre leurs fonctionnalités gratuites et l’offre payante, ce dispatch est souvent beaucoup moins évident sur d’autres sites. La plateforme de stockage Dropbox (200 millions d’utilisateurs) a trouvé le bon compromis : toute personne qui saisit un nom d’utilisateur et un mot de passe dispose de 2 giga-octets de stockage hébergé gratuitement. Au-delà, le stockage est payant (9,99 dollars par mois pour 100 Go supplémentaires). Voilà un découpage limpide, aisément compréhensible par tous ses utilisateurs. Sur d’autres plateformes, en revanche (et elles sont nombreuses), les bénéfices de l’offre premium ne sautent pas toujours aux yeux. En dehors de son coeur de cible RH et commercial, l’avantage pour les membres du réseau Linkedin de passer à un abonnement premium est loin d’être évident. Car la plupart des fonctionnalités de la plateforme sont présentes dans l’offre gratuite et les options avancées proposées en sus ne suscitent pas de forts taux de conversion. En dépit de son succès auprès des entreprises, Linkedin pourrait gagner à améliorer ses offres pour le grand public.

freemium3

3 > Faut-il privilégier un taux de conversion élevé, au détriment du trafic ? En écosystème freemium, mieux vaut convertir en abonnés 5% de 2 millions de visiteurs par mois, plutôt que 50% de 200 000 visiteurs… Le principal intérêt de la gratuité étant on le répète d’attirer de nouveaux utilisateurs, mieux vaut passer à un autre modèle (essai gratuit pendant une durée limitée par exemple) si les fonctionnalités gratuites n’intéressent plus suffisamment d’internautes. 

4 > Avez-vous suffisamment anticipé votre cycle de vie de conversion ? La courbe de cycle de vie présentée et explicitée ci-dessus incite les entreprises intéressées par le modèle freemium à la prudence. Pour réussir dans la durée, il leur faut en effet anticiper la baisse prévisible du taux de conversion (les primo-adoptants étant davantage prêts que les utilisateurs suivants à dépenser pour accéder à une offre payante). Comme le résume bien Vineet Kumar : « Avec le temps, le taux de conversion décroît à mesure que la base d’utilisateurs s’élargit, pour inclure des personnes plus sensibles au prix ou attachant moins de valeur au service ». Sans avoir à renier le principe de la gratuité ni à changer de business model, il importe alors que la marque freemium continue de soigner ses utilisateurs non payants, en limitant au besoin les fonctionnalités mais en veillant à ce que sa plateforme leur soit toujours accessible et qu’aucune contrainte technique ne mette à mal sa notoriété et son image.

5 > Vos utilisateurs sont-ils prosélytes ? Dans la « vraie vie de tous les jours », le prosélytisme n’est pas perçu positivement, car il est synonyme d’intrusion et souvent considéré comme du « bourrage de crâne ». Pour les e-brands, en revanche, les utilisateurs de l’offre gratuite sont naturellement invités à partager leur enthousiasme pour la marque et à en devenir les ambassadeurs sur les réseaux sociaux, pour susciter un afflux de nouveaux utilisateurs susceptibles de s’abonner. Ce cercle vertueux de prescription suppose évidemment que les ambassadeurs soient pleinement satisfaits de la plateforme, une autre donnée à surveiller et régulièrement mesurer.

Money, money, money... picture 217/365 Follow my project with CClones 365-2011 on  Twitter | Facebook

6 > Etes-vous prêts à innover en permanence ? Pour pallier la baisse tendancielle du taux de transformation des utilisateurs en abonnés premium, une seule solution : innover… Et continuer à garder une offre payante réellement attractive par rapport aux fonctionnalités et services offerts gratuitement. C’est ce qu’ont su faire de nombreuses marques freemium, comme Dropbox, qui s’est lancé en 2008 comme un service de sauvegarde de fichiers, avant d’élargir son périmètre aux dossiers partagés puis de devenir également un outil collaboratif. En ce sens, et quel que soit le domaine d’activité considéré, le freemium s’avère être un modèle exigeant, qui réclame des marques le meilleur d’elles-mêmes : une stratégie bien définie en amont, un équilibre gratuit/payant pertinent, de la persévérance et de la cohérence dans les décisions et une réelle maîtrise du cycle de vie de conversion des utilisateurs en abonnés

freemium4

 

 

Notes et légendes :

(1) Ce billet et les 6 questions à se poser m’ont été directement inspirés par l’article « Bien utiliser le freemium » de Vineet Kumar, Harvard Business Review de février-mars 2015.

(2) Vineet Kumar est maître de conférence en marketing à la Harvard Business School

 

Crédits photos : TheBrandNewsBlog, 123RF, X, DR

 

La gratuité : un dogme du web plutôt coûteux… et pas si « net »

Principe humaniste et républicain, quand il s’agit notamment pour un Etat d’assurer un accès égalitaire des citoyens à l’éducation, à la justice ou aux soins, la gratuité revêt un tout autre sens au niveau commercial. Bien connue des marchands, qui en pratiquent la technique depuis la nuit des temps pour favoriser ou susciter une vente (sous la forme de cadeaux notamment), elle a présidé à l’émergence et au formidable succès d’Internet. Au point d’être devenue un véritable dogme pour les internautes et un cheval de bataille des plus grands acteurs de l’économie numérique.

Mais cette gratuité est-elle réellement un cadeau ? Dans le dernier numéro de la revue Tank*, Pascal Béria s’interroge à juste titre sur les déviances de ce principe apparemment généreux et altruiste. Pour l’auteur, la gratuité reste synonyme d’importantes contreparties et est directement à l’origine de la disparition de brillantes start up, de la crise des médias et des industries de création. Elle sert aussi assez souvent à justifier l’exploitation sans vergogne de nos données personnelles par les géants du web, ainsi que l’exploitation d’une nouvelle catégorie de travailleurs pauvres, les « esclaves digitaux »… Une addition plutôt salée pour une gratuité devenue économiquement et socialement très coûteuse.

free

La gratuité, un principe fondateur d’Internet qui s’impose à toute marque sur le web

Qui, des internautes ou des précurseurs du web, en est le premier responsable et le plus à blâmer ? Un peu des deux, sans doute… La gratuité d’utilisation, la liberté d’accès à une infinité de contenus et la «tradition» du téléchargement illégal sont pour ainsi dire consubstantielles au web et désormais bien ancrées dans les habitudes des consommateurs. Au point d’être devenues de véritables dogmes.

« Le Web est devenu le monde de la gratuité » annonçait d’ailleurs dès 2008 Chis Anderson¹, prophétisant l’extension du principe : « Les coûts sur Internet vont tous dans la même direction : vers zéro. Il est désormais clair que tout ce que le numérique touche évolue vers la gratuité ». Et Olivier Bomsel, professeur d’Economie industrielle à l’Ecole des Mines de Paris de compléter² : « Le gratuit va continuer de s’étendre, ne serait-ce que parce que l’économie numérique  suscite de plus en plus d’information, laquelle engendre de plus en plus de publicité, laquelle a vocation à subventionner des utilités nouvelles (…) Pour initier ces effets, il faut subventionner les premiers consommateurs. Il y aura donc de plus en plus de gratuit, mais aussi moins de lisibilité sur le prix des produits ».

Par la simple confrontation de l’offre et la demande, le capitalisme de l’abondance (qui est encore celui qui prédomine sur le web) conduit nécessairement à la diminution de la valeur de l’offre, explique Pascal Béria. Et quel que soit le business model sur lequel elles reposent (financement par le don pour les wikis, financement par des fonctionnalités avancées payantes dans le modèle freemium, financement par la publicité, par l’affiliation ou par des micro-paiements… et même dans le modèle e-commerce), les e-brands sont toutes confrontées à cette nécessité d’offrir à leurs clients des services totalement ou au moins partiellement gratuits pour répondre aux attentes bien installées de leurs clients.

Les dégâts « collatéraux » de la destruction radicale de valeur sur les industries de création

L’univers de l’édition et le commerce des produits culturels ont été les plus durement touchés par l’invasion de ce principe de gratuité sur leurs marchés respectifs. Premières victimes d’un piratage massif, la musique, la production de logiciels et les films, puis l’édition de livres (dans une moindre mesure) ont été pris dans la spirale de la destruction radicale de valeur, et des conséquences que celle-ci implique.

Une habitude était née : celle d’un accès universellement gratuit aux contenus de création, obligeant des professions entières à se réinventer et à proposer des alternatives crédibles (et rentables) pour pérenniser leurs activités. Un exercice plus que difficile, comme en atteste le succès encore mitigé des modèles émergents que sont par exemple pour la musique et la vidéo le streaming légal ou le micro-paiement.

Car comme l’explique à son tour Georges Lewi³, « La gratuité devient la réalité, chaque fois qu’un internaute utilise Google ou Wikipédia, tel site d’information de la presse ou de programmes TV… Ce sont donc des catégories de produits et de services entiers qui sont confrontées au prix radical », c’est à dire le zéro euro. D’où la difficulté pour toute offre alternative, même aussi intéressantes que celles de Deezer ou de Spotify par exemple, d’arriver à imposer un prix marginal pour des produits considérés comme sans valeur ou presque… Sans parler de l’impossibilité de rémunérer correctement la création et les auteurs/artistes sur la base de ces nouveaux modèles économiques.

Quand Lady Gaga ou Thom Yorke, chanteur de Radiohead, sont rémunérés 0,004 à 0,006 euros à chaque écoute d’un de leur titre sur une de ces plateformes de streaming, que penser de la survie sur de telles bases de rémunération d’artistes et créateurs moins célèbres, donc moins vus et écoutés ? « Bien sûr que cela n’empêche pas la création… » tempête par exemple Eric Petrotto, président de la plateforme de distribution alternative de musique CD1D, « mais comment on amène des artistes à maturation avec un tel système ? ». Même si les nouveaux modèles économiques prouvent que l’on peut surmonter l’ornière du gratuit, et que les internautes sont prêts à payer un contenu dès lors qu’on leur propose un modèle légal qui soit aussi opérant, ergonomique et simple qu’un accès gratuit, il reste encore du chemin pour imposer ces alternatives de manière durable.

lewi

 

Médias et « esclaves du net », autres victimes du 100% gratuit…

Les médias et le domaine des prestations intellectuelles ont évidemment été également affectés par cette tendance vers le « coût zéro ». Tandis que les grands groupes de presse tentent encore d’imposer et de viabiliser leur nouveau modèle économique et la complémentarité offline-online, les pure players de la presse numérique tels que le Huffington Post, Rue 89, le JDN ou Citivox leur font une sérieuse concurrence.

S’appuyant largement sur la participation gratuite de nombreux contributeurs externes (le fameux user generated content), ces nouveaux acteurs exploitent sans vergogne l’expertise et les compétences rédactionnelles de professionnels en manque d’exposition. Une concurrence presque déloyale faite aux journalistes et pigistes dont cette activité reste le gagne pain, d’après Pascal Béria : « Notoriété et visibilité sont ainsi devenues les nouveaux opiums du peuple connecté qui altèrent mécaniquement le prix d’un travail que d’autres ont aujourd’hui du mal à se faire rémunérer ».

Ainsi, dans un certain nombre de supports en ligne et autres sites de production de contenu, des pratiques peu éthiques se répandent. Le journalisme salarié et la pige rémunérée traditionnels étant de plus en plus remplacée par de la contribution gratuite ou des contrats sous-payés, générant ce que Tiziana Terranova n’hésite pas à qualifier de « free labor » ou « d’esclavagisme du Net ». Ainsi, travailler pour les médias digitaux serait loin d’être aussi fun que ce que l’on prétend, pour cette spécialiste des nouveaux médias. Et la nouvelle économie du tout-gratuit ou presque se construirait en partie sur le dos de jeunes talents sous-rémunérés, sur le modèle des start-up des années 2000… mais sans les avantages. « C’est une chimère aussi d’imaginer que l’information est gratuite à produire », avertissait il y a quelques temps Christophe Ginisty.

Quand la gratuité se pare de vertus… c’est que vous êtes le produit 

Google pourrait cristalliser à lui seul toute l’ambiguité du principe de gratuité qui domine aujourd’hui sur le web. Sous couvert des nombreux services gratuits qu’il propose, au delà de son moteur de recherche quasiment monopolistique, Google s’est souvent paré des traits de la vertu et de ceux du bienfaiteur, tout en poussant à son paroxysme l’exploitation des données de navigation et autres informations personnelles des individus.

AFGAAprilus-640x494

« Si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit » entend-on souvent. Dans le cas de Google, la contrepartie à la gratuité, et les revenus gigantesques que le groupe de Moutain View tire notamment de la publicité et du référencement payant, proviennent directement de la contribution de tous ses utilisateurs à l’amélioration et à la valeur de son service. Mais chacun le sait : il en est grosso-modo de même pour la plupart des géants américaines d’Internet, depuis les sites d’e-commerce tels que e-bay ou Amazon jusqu’aux réseaux sociaux bien sûr (Facebook et consorts…).

Les consommateurs acceptent en général bien volontiers les maigres contreparties qui leur sont demandées en termes d’information personnelle, pour bénéficier de services gratuits qui leur semblent utiles et ergonomiques. Quitte à vendre un peu de leur âme, parfois ;-)

Utopie, dogme de marché ou aliénation : la gratuité en vaut-elle toujours la chandelle ?

Economiquement coûteuse, notamment pour les secteurs de la création et pour les nombreux pure players qui ne réussissent jamais à trouver le chemin de la rentabilité (du fait de business models intenables), la gratuité est aussi coûteuse socialement et en termes de libertés individuelles.

Au point pour Pascal Béria de livrer ce jugement sans appel : « Loin de nous apporter la liberté, la gratuité nous conduit par de multiples chemins à une dépendance profonde à quelques grands majors à qui nous offrons informations personnelles, codes de carte bleue, fichiers informatiques et à qui nous communiquons les produits que nous consommons et parfois même les détails les plus intimes de nos existences en l’échange de quelques services dont nous avons aujourd’hui du mal à nous passer (…) L’utopie de la gratuité ne rend pas libre. Elle est au contraire devenue une cause d’aliénation ».

S’il ne faut pas pour autant minimiser et oublier les vertus du principe, et notamment le fait que la gratuité reste un excellent « produit d’appel » pour ramener les consommateurs vers des offres payantes, même à un faible niveau (streaming, médias en ligne…), je rejoins pour ma part Pascal Béria sur ses mises en garde.

Car en attendant l’avènement prochain de la très idéaliste « Nouvelle société du coût marginal zéro » **, prophétisée dans son dernier best seller par Jérémy Rifkin, et la concrétisation de tous les bénéfices que l’économiste américain prédit, la réalité incite en effet à rester prudent, sur les contreparties de la gratuité et de ce coût marginal zéro… sans pour autant tomber dans l’obscurantisme réactionnaire. C’est qu’il y a encore un sacré pas à franchir entre le monde que nous connaissons (certes en mutation) et cette société du partage et de la fin de la propriété que Rifkin annonce en prélude à la fin du capitalisme, même si on peut tous l’appeler de nos voeux.

 

photo copie

Sources et notes :

* « Une gratuité hors de prix », par Pascal Béria – Magazine Tank n°9, été 2014

** « La Nouvelle Société du coût marginal zéro », par Jeremy Rifkin – Editions Les Liens qui libèrent, 2014

(1) « Free! Why $0.00 Is the Future of Business » – Magazine Wired, 25 février 2008

(2) « Gratuit », par Olivier Bomsel – Editions Folio actuel, 2007

(3) « e-branding – Stratégies de marque sur Internet », par Georges Lewi – Editions Pearson, 2014 

 

Crédits photos : 123RF 

 

%d blogueurs aiment cette page :