Les 6 questions à se poser avant d’opter pour le business model « freemium »

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Le « freemium », modèle économique combinant offre gratuite (« free ») et offre payante (« premium ») serait-il devenu un passage obligé pour toutes les marques et concepteurs d’applications qui ont des ambitions online ? Si on en juge par le nombre sans cesse croissant d’e-brands et de secteurs d’activité qui s’y mettent (réseaux sociaux comme Linkedin et Viadéo ; plateformes de curation et sites de stockage comme Scoopit, Pearltrees ou Dropbox ; médias en ligne comme le NYTimes.com ou Le Monde.fr + toux les sites et applications de jeux en ligne ou presque…), on pourrait le croire.

Pourtant, tout le monde s’accorde à dire que le freemium reste un modèle risqué. Et malgré son attrait, les exemples d’échecs sont bien plus fréquents qu’on ne l’imagine. La première raison de ces plantages ? La plupart du temps, les e-brands et leurs dirigeants finissent par négliger une des dimensions de l’offre : soit la partie gratuite justement, qui « passe à la trappe » au fil du temps, soit au contraire l’offre payante, ce qui peut s’avérer encore plus rapidement fatal.

Comment optimiser le modèle pour qu’il soit viable ? Et quels conseils donner aux marques qui seraient tentées de s’y mettre à leur tour ? Le BrandNewsBlog vous propose ce matin de découvrir les 6 questions à se poser et les 6 facteurs clés de succès pour optimiser le taux de conversion utilisateurs > abonnés, tout en continuant à attirer sans cesse de nouveaux utilisateurs¹, une condition essentielle de survie pour la marque/le service à moyen terme.

Le business model freemium : pour qui, pourquoi, comment ?

En l’espace de 10 ans, le freemium est devenu le modèle dominant parmi les start-up d’Internet et sur le marché des applications pour smartphones. On ne compte plus les sites et applis mobiles qui, en libre accès, proposent gratuitement à leurs utilisateurs des fonctionnalités de base (souvent suffisantes pour les besoins de la plupart des utilisateurs), tout en permettant à leurs abonnés (moyennant finance évidemment) d’accéder à une offre plus complète et/ou des fonctionnalités avancées.

Le succès de Linkedin, une des premières entreprises freemium à avoir été cotée en Bourse, a sans doute largement contribué à la popularité de ce modèle économique parmi les jeunes patrons de ces pure players partis à l’assaut du web ces dernières années.

Très rapidement adopté par un coeur de cible constitué de professionnels des ressources humaines et des fonctions commerciales, qui ont rapidement compris l’intérêt de s’abonner à ses offres premium, le réseau social a su développer sa base d’utilisateurs de façon continue et devenir, via son offre gratuite, la plateforme de référence pour tous les internautes soucieux de construire, développer et enrichir leur « capital social » professionnel. Revendiquant plus de 300 millions d’utilisateurs à fin 2014, Linkedin affirmait fin 2014 tirer 70% de ses revenus de ses abonnements et de ses services de recrutement, la publicité lui rapportant 30% de ses ressources.

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Mais un tel succès (celui de Linkedin) n’est pas donné à toutes les marques freemium. Convertir aussi rapidement son coeur de cible en abonnés premium qui « portent » financièrement le développement de la marque, tout en attirant sans cesse de nouveaux utilisateurs gratuits susceptible de s’abonner à leur tour, représente certes un cercle vertueux idéal, mais est loin d’être aussi facile que certains le pensent.

Modèle économique audacieux pour entrepreneurs connaissant bien leur marché et sûrs de l’attractivité et l’équilibre de leur offre (gratuite + payante), il repose sur une « pari raisonnable » : celui de la conversation rapide d’une proportion suffisante d’utilisateurs en abonnés, pour convaincre les investisseurs dans un premier temps puis assurer des revenus réguliers permettant de financer une partie du développement de l’entreprise par la suite.

Le freemium, nouvel eldorado… mais pas pour les gogos ?

Mais il serait très utopique de croire qu’il suffit de rendre gratuite une partie de son offre (les fonctionnalités les moins avancées bien sûr, sans autre distinction) pour rencontrer le succès.

Comme le soulignait très bien Vineet Kumar², dans un article récent de la Harvard Business Review¹, les marques qui se lancent dans le freemium doivent être sûres d’en maîtriser les règles. Et répondre, pour commencer, à cette question évidente : qu’est-ce qui, dans l’offre, doit être offert gratuitement et qu’est-ce qui doit être payant ? Un autre point essentiel pour anticiper et pallier les éventuelles « baisses de régime » dans le développement de la marque freemium : connaître le cycle de vie de la conversion et des mises à niveau par les abonnés de votre plateforme s’avère tout à fait crucial et déterminant.

On comprend l’importance de cette connaissance en jetant un oeil à la courbe ci-dessous :

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Comme le prouve cette courbe, modélisée par Vineet Kumar sur la base d’années d’étude des modèles et entreprises freemium, leur cycle de vie n’est absolument pas linéaire. A la croissance forte de la proportion d’abonnés (ou du taux de conversion) dans les premiers temps, succèdent en général une période plus difficile et une baisse relative du taux de conversion, les utilisateurs « tardifs » étant  moins intéressés par l’offre premium que les early adopters des services / applications en question. Ce taux de conversion réaugmente par la suite, au gré des innovations apportées à son offre par la marque.

Méconnaître ce type d’enseignement et « partir la fleur au fusil » serait en somme suicidaire pour les éventuels « gogos » qui n’auraient préparé aucun business plan, ni prévu la manière de gérer et dépasser les « bas de cycle » évoqués ci-dessus.

6 facteurs clés de succès du modèle freemium… et les 6 (bonnes) questions à se poser

Les 6 questions à se poser avant d’opter pour le modèle freemium peuvent être résumées comme suit :

1 > Qu’est-ce qui doit/peut être gratuit et qu’est-ce qui doit/peut être payant ? Telle est la première question à se poser. Les dirigeants et marketers des marques freemium ne doivent pas perdre de vue qu’un des premiers objectifs de ce business model est d’attirer de nouveaux utilisateurs. Pour cela, il vaut mieux que l’offre gratuite soit réellement crédible… et attirante. A contrario, si votre produit/service en ligne génère beaucoup de trafic mais que très peu d’utilisateurs optent ensuite pour l’offre payante, c’est qu’il est peut-être temps de revoir à la baisse les fonctionnalités offertes gratuitement. Dans le domaine des médias, c’est notamment ce qu’ont fait le site web du New York Times ou Le Monde.fr : ils ont limité progressivement l’accès à leurs contenus gratuits, pour inciter davantage les lecteurs à s’abonner. NYTimes.com est ainsi passé de 20 à 10 articles par mois consultables gratuitement, pour ne pas « vampiriser » son offre payante.

2 > Votre offre premium est-elle suffisamment distincte et compréhensible ? Tandis que certaines marques freemium proposent un découpage on ne peut plus clair et logique entre leurs fonctionnalités gratuites et l’offre payante, ce dispatch est souvent beaucoup moins évident sur d’autres sites. La plateforme de stockage Dropbox (200 millions d’utilisateurs) a trouvé le bon compromis : toute personne qui saisit un nom d’utilisateur et un mot de passe dispose de 2 giga-octets de stockage hébergé gratuitement. Au-delà, le stockage est payant (9,99 dollars par mois pour 100 Go supplémentaires). Voilà un découpage limpide, aisément compréhensible par tous ses utilisateurs. Sur d’autres plateformes, en revanche (et elles sont nombreuses), les bénéfices de l’offre premium ne sautent pas toujours aux yeux. En dehors de son coeur de cible RH et commercial, l’avantage pour les membres du réseau Linkedin de passer à un abonnement premium est loin d’être évident. Car la plupart des fonctionnalités de la plateforme sont présentes dans l’offre gratuite et les options avancées proposées en sus ne suscitent pas de forts taux de conversion. En dépit de son succès auprès des entreprises, Linkedin pourrait gagner à améliorer ses offres pour le grand public.

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3 > Faut-il privilégier un taux de conversion élevé, au détriment du trafic ? En écosystème freemium, mieux vaut convertir en abonnés 5% de 2 millions de visiteurs par mois, plutôt que 50% de 200 000 visiteurs… Le principal intérêt de la gratuité étant on le répète d’attirer de nouveaux utilisateurs, mieux vaut passer à un autre modèle (essai gratuit pendant une durée limitée par exemple) si les fonctionnalités gratuites n’intéressent plus suffisamment d’internautes. 

4 > Avez-vous suffisamment anticipé votre cycle de vie de conversion ? La courbe de cycle de vie présentée et explicitée ci-dessus incite les entreprises intéressées par le modèle freemium à la prudence. Pour réussir dans la durée, il leur faut en effet anticiper la baisse prévisible du taux de conversion (les primo-adoptants étant davantage prêts que les utilisateurs suivants à dépenser pour accéder à une offre payante). Comme le résume bien Vineet Kumar : « Avec le temps, le taux de conversion décroît à mesure que la base d’utilisateurs s’élargit, pour inclure des personnes plus sensibles au prix ou attachant moins de valeur au service ». Sans avoir à renier le principe de la gratuité ni à changer de business model, il importe alors que la marque freemium continue de soigner ses utilisateurs non payants, en limitant au besoin les fonctionnalités mais en veillant à ce que sa plateforme leur soit toujours accessible et qu’aucune contrainte technique ne mette à mal sa notoriété et son image.

5 > Vos utilisateurs sont-ils prosélytes ? Dans la « vraie vie de tous les jours », le prosélytisme n’est pas perçu positivement, car il est synonyme d’intrusion et souvent considéré comme du « bourrage de crâne ». Pour les e-brands, en revanche, les utilisateurs de l’offre gratuite sont naturellement invités à partager leur enthousiasme pour la marque et à en devenir les ambassadeurs sur les réseaux sociaux, pour susciter un afflux de nouveaux utilisateurs susceptibles de s’abonner. Ce cercle vertueux de prescription suppose évidemment que les ambassadeurs soient pleinement satisfaits de la plateforme, une autre donnée à surveiller et régulièrement mesurer.

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6 > Etes-vous prêts à innover en permanence ? Pour pallier la baisse tendancielle du taux de transformation des utilisateurs en abonnés premium, une seule solution : innover… Et continuer à garder une offre payante réellement attractive par rapport aux fonctionnalités et services offerts gratuitement. C’est ce qu’ont su faire de nombreuses marques freemium, comme Dropbox, qui s’est lancé en 2008 comme un service de sauvegarde de fichiers, avant d’élargir son périmètre aux dossiers partagés puis de devenir également un outil collaboratif. En ce sens, et quel que soit le domaine d’activité considéré, le freemium s’avère être un modèle exigeant, qui réclame des marques le meilleur d’elles-mêmes : une stratégie bien définie en amont, un équilibre gratuit/payant pertinent, de la persévérance et de la cohérence dans les décisions et une réelle maîtrise du cycle de vie de conversion des utilisateurs en abonnés

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Notes et légendes :

(1) Ce billet et les 6 questions à se poser m’ont été directement inspirés par l’article « Bien utiliser le freemium » de Vineet Kumar, Harvard Business Review de février-mars 2015.

(2) Vineet Kumar est maître de conférence en marketing à la Harvard Business School

 

Crédits photos : TheBrandNewsBlog, 123RF, X, DR

 

Les 4 secrets de longévité (et de résilience) des marques centenaires

Avec tout le raffut que les GAFA* arrivent à générer en touchant au moindre cheveu de leur algorithme (on a vu combien les modifications introduites cette semaine par Google et Facebook ont pu faire couler d’encre !), on finirait presque par oublier qu’il existe des entreprises tout aussi dignes d’intérêt… et largement aussi performantes.

Certaines ont réussi à conjuguer pérennité et innovation de manière si évidente qu’on a presque l’impression qu’elles sont nées hier ou avant-hier, comme les plus beaux fleurons de la Silicon Valley.

Pourtant, leurs certificats de naissance en attestent : IBM, Air Liquide, Saint-Gobain, Solvay, General Electric, Potel et Chabot (entre autres) ont plus de 100 ans… De taille et d’origine très variées (il en existe sur tous les continents), ces vieilles dames courent encore le 100 mètres. Plus vite et plus fort qu’Usain Bolt de surcroît !

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Comment ces entreprises ont-elles survécu aux aléas de l’histoire et aux soubresauts de l’économie mondiale, aux crises, aux guerres et autres avanies qui ont tué depuis longtemps la plupart de leurs consoeurs? Quelle est la DHEA de ces marques qui durent?

C’est à ses questions passionnantes qu’Alain Bloch¹ et Isabelle Lamothe² ont consacré un ouvrage tout à fait édifiant, il y a quelques mois : « L’éternité en héritage : enquête sur les secrets de la résilience des organisations »³.

Après avoir analysé en détail le parcours et les ressorts de 19 de ces marques centenaires et avoir sollicité de nombreux experts et consultants en organisation sur le Plus Petit Commun Dénominateur de leurs success stories, quatre facteurs clés de succès et de résilience communs se sont nettement dégagés.

Je vous propose aujourd’hui de découvrir ces 4 « secrets de longévité », auxquels de nombreuses entreprises gagneraient à se confronter. Car si tant est que les GAFA existent encore dans 20 ans, il y a fort à parier que la plupart de ces centenaires pétulantes mèneront encore la danse également. De fait, elles ont été et restent d’abord bâties pour durer…

1 – Des organisations à la fois frugales et fiables

A une époque où la longévité moyenne des entreprises a plutôt tendance à se raccourcir (elle ne dépasse pas 40 ans aujourd’hui, d’après la plupart des études internationales), les marques centenaires font clairement figure d’exception. Il n’y en aurait par exemple pas plus d’une quarantaine parmi les 500 plus grandes entreprises mondiales, telles que répertoriées dans le classement annuel du magazine américain « Fortune ».

Et leur premier secret de succès, aussi étonnant cela peut-il paraître, tiendrait tout d’abord à une frugalité exemplaire, quel que soit leur secteur d’activité considéré. Qu’on s’appelle en effet Alcatel, DCNS, Michelin ou Brink’s, chacune de ces marques a fait de l’optimisation budgétaire une véritable obsession. Et maximiser l’impact de la moindre des ressources est beaucoup plus qu’une habitude : c’est devenu pour tous les collaborateurs de ces entreprises un véritable état d’esprit.

D’autant que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette frugalité ne se fait pas au détriment de la fiabilité, autre obsession de ces marques championnes de la relation client durable. Maîtrisant parfaitement leurs métiers, elles réussissent en effet à conjuguer haute fiabilité et maîtrise des coûts, car chaque processus optimisé dans leur organisation permet mécaniquement de gérer des économies supplémentaires…

Cette frugalité au quotidien, comme l’explique la plupart des dirigeants et DRH des sociétés considérées, garantit une structure de coûts allégée, facteur de stabilité de l’emploi et de relations sociales plus apaisées que dans la plupart des entreprises classiques. Car elle permet en règle générale d’éviter des licenciements massifs, même quand le vent de la conjoncture a tendance à se retourner.

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Comme le reconnaît volontiers Jean-Pierre Duprieu, un des dirigeants d’Air Liquide : « Nous avons une énorme exigence de frugalité. Un exemple tout simple mais très concret : je voyage en classe économique quand je vais à moins de quatre heures de vol de Paris, et notamment à Moscou. Il y a chez nous un sens de la frugalité : nous dépensons mieux »

2 – Des organisations réellement « ambidextres »

L’ambidextrie, me direz-vous ? De quoi s’agit-il et dans quel sens faut-il l’entendre ici ? Dans le monde de l’entreprise, comme pour les travaux manuels ou artistiques, il s’agit d’une vraie qualité : l’ambidextrie est en effet le propre des organisations qui sont à la fois capables de se livrer à une intense exploration d’activités nouvelles, sans pour autant négliger l’exploitation de leurs compétences actuelles.

En résumé, l’étude menée par Alain Bloch et Isabelle Lamothe le prouve clairement : les marques centenaires, certainement plus que les autres, arrivent à se renouveler régulièrement au fil des années, sans jamais « lâcher la proie pour l’ombre ».

Capitalisant sur des cultures internes où le risque est bien connu et le droit à l’erreur reconnu (et accepté) à toutes les strates de l’organisation, ces entreprises ont souvent mis en place des structures de recherche fondamentale dédiées, bien isolées des structures de recherche appliquée dont les objectifs sont souvent bien différents.

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Que ce ce soit au sein du « lab » d’Air Liquide ou de l’entité Saint-Gobain Recherche, une grande autonomie est laissée à ces structures de recherche, dans un esprit très entrepreneurial…

3 – Des entreprises qui ont su bâtir et développer un « pacte social » unique avec leurs salariés

Une des plus grandes forces des marques centenaires, d’après Alain Bloch et Isabelle Lamothe, repose sur leur maîtrise de la gestion des ressources humaines, bien supérieure à la moyenne de leurs concurrents. Plus que d’autres, ces marques résiliantes ont effet su valoriser leur capital humain et proposer à leurs collaborateurs un pacte social efficace, fruit d’une relation gagnant-gagnant entre les différents interlocuteurs de l’entreprise.

Ce savoir-faire sans équivalent, dans le domaine du développement et du renforcement du lien social, se traduit par une satisfaction existentielle, bien supérieure chez les collaborateurs de ces entreprises centenaires à la moyenne des structures de taille équivalente.

L’appartenance à une communauté et la valorisation de toutes les composantes de la culture commune sont des leitmotivs constants. Qu’il s’agisse de célébrer l’expertise de collaborateurs d’élite (comme les « IBM Fellows » d’IBM) ou de marquer de manière très formelle l’attachement de la marque à ses salariés (Air Liquide n’hésite pas à préciser à chaque nouvel embauché que l’objectif est bien qu’il passe toute sa carrière dans l’entreprise !), on assume avec fierté dans ces organisations un turnover particulièrement faible, quel que soit le niveau hiérarchique considéré.

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Cerise sur le gâteau : plus qu’ailleurs également, la promotion sociale fonctionne et on peut signaler des exemples récurrents d’employés partis du « bas de l’échelle » pour accéder in fine à des responsabilités importantes au sein des Comités de direction de ces structures.

Comme le résument bien Alain Bloc et Isabelle Lamothe : « D’une manière générale, les entreprises centenaires ont cette particularité de faire en sorte que les beaux discours en matière de ressources humaines soient suivis d’effet, même dans les épisodes les plus difficiles. Ce pacte social différent est crédible aux yeux des collaborateurs, parce que ces entreprises  centenaires ont démontré au cours de leur histoire et des épreuves traversées que les hommes n’étaient pas une simple variable d’ajustement. »

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4 – Deentreprises qui cultivent un « leadership durable » et un sens inné du storytelling ! 

Quatrième et dernier secret de longévité des marques centenaires : la qualité de leurs dirigeants. Sélectionnés à rebours de tous les canons en vigueur dans les entreprises high-tech, deux caractéristiques les distinguent nettement de la plupart des dirigeants en poste dans d’autres structures : 1) à la prise de poste, leur ancienneté moyenne dans l’entreprise est supérieure à 20 ans (=> alors qu’une étude de 2011 menée auprès des entreprises du classement Fortune 500 évaluait l’ancienneté moyenne de leurs dirigeants au moment de leur prise de fonction à 8,24 ans) ; 2) par ailleurs, le mandat  des dirigeants des entreprises centenaires dure en moyenne un peu plus de 10 ans (=> contre 5 ans en moyenne dans les autres entreprises).

Nul besoin de vous faire un dessin : de manière tout à fait nette, l’ancienneté dans l’entreprise et la stabilité aux postes de direction ont toujours été privilégiées par les marques centenaires. Et cette inscription dans une vision long terme est assurément ce qui permet aux dirigeants de prendre de la hauteur et de privilégier les objectifs de résilience à ceux de performance à court terme, tant recherchés au sommet des autres entreprises.

Alain Bloch et Isabelle Lamothe n’hésitent pas à parler à ce sujet de leadership « orienté résilience », la pérennité de l’entreprise passant en général dans ces entreprises avant la performance immédiate et les propres objectifs de carrière des dirigeants.

Deux exemples parmi d’autres de cette stabilité et de cette expérience des dirigeants d’entreprises centenaires : l’ancienneté moyenne des 20 membres du comité de direction d’Accenture dépasse 25 ans, tandis que chez Air Liquide, l’ancienneté cumulée des trois membres de la direction générale est de 85 ans !

Les marques centenaires, championnes du storytelling…

Un autre domaine dans lequel excellent les marques centenaires (et cela pourrait constituer un cinquième secret de leur longévité, mais il est en réalité très lié aux secrets précédents) : l’art de raconter (et magnifier) leur histoire…

Qu’on parle de Michelin, Saint-Gobain, Air Liquide ou General Electric : toutes les marques centenaires sont passées maîtres dans l’art du storytelling. Pour la plupart, elles n’hésitent pas à enraciner leur(s) récits dans la fabuleuse histoire dont elles sont issues.

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Sur les 19 marques étudiées dans le périmètre initial de leur étude, Alain Bloch et Isabelle Lamothe ont ainsi relevé que pas moins de 17 d’entre elles avaient pris soin de se pencher sur leur passé, de manière souvent fouillée et académique. Solvay s’est ainsi appuyé sur le travail de longue haleine d’une équipe d’universitaires, avant d’en publier le résultat pour ses propres collaborateurs.

« Grâce à ce travail de mémoire, nos organisations comprennent qu’elles sont des survivantes et redécouvrent ce qui leur a permis de durer », résume Frédéric Sanchez président de l’entreprise centenaire Fives.

… Un objectif aux antipodes de celui recherché par les champions de la Silicon Valley, quand ils s’attachent à raconter leur propre histoire, pour produire in fine des storytellings beaucoup plus formatés (voir à ce sujet cet excellent article tout récent de L’Obs).

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Notes et légendes :

* GAFA : Google, Apple, Facebook et Amazon

(1) Alain Bloch est professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers et dirige à HEC Paris le master Entrepreneurs.

(2) Isabelle Lamothe est directrice générale adjointe d’Altedia LHH France, où elle dirige les activités de conseil du groupe

(3) « L’éternité en héritage : enquête sur les secrets de la résilience des organisations », Editions Descartes & Cie, septembre 2014

 

Crédits photos : Air Liquide, Accenture, X, DR

Les 8 facteurs clés de succès de la « marque France »

Depuis le 30 janvier dernier, une démarche a été initiée qui doit aboutir au lancement en 2014 d’une marque pour notre pays*. Le principe de la création de cette «marque France», dont l’objectif premier est de contribuer à améliorer la compétitivité de notre économie, est perçu positivement par les Français, à en juger par les résultats de l’enquête menée en début d’année par l’agence W&Cie (92% se disaient alors « tout à fait favorables » ou « plutôt favorables » à cette initiative).

MF_modifié-11La « Mission Marque France » chargée de mener à bien la réflexion et la mise en oeuvre de ce projet, a déjà remis aux ministères concernés un pré-rapport détaillé, posant les préliminaires méthodologiques du travail sur la marque et formulant 22 propositions concrètes. Sur la base de ces propositions, une consultation nationale a été menée du 28 juin au 6 septembre dernier pour recueillir l’avis de nos concitoyens.

Comme me le précisait la semaine passée Philippe Lentschener, Président de l’agence MacCannErickson et pilote de la Mission Marque France (que je remercie au passage pour ces informations), les résultats des différentes études consécutives à la consultation ont été présentés jeudi dernier. Il reste maintenant à les exploiter et à les synthétiser pour produire le rapport final qui sera présenté le 28 octobre prochain, avant de passer à la phase de création d’un logo et d’une charte dédiée… La marque France est donc sur les bons rails.

Pour autant, notre nation branding « made in France » arrivera-t’il à destination ? Pour contribuer efficacement au redressement de notre économie, de grands défis sont à relever. Sur la base du pré-rapport de la Mission Marque France et des contributions sur le sujet d’experts comme Jean-Noël Kapferer**, voici selon moi les 8 principaux « facteurs clés de succès » pour que cette future marque nationale gagne le cœur des Français et puisse conquérir le monde…

1 – Affirmer un positionnement différenciateur

Concept fondamental du marketing et élément de base de la réflexion sur la marque, le « positionnement » est généralement défini comme « la somme de toutes les caractéristiques particulières d’un produit ou d’un service qui lui permettent de construire une image univoque dans l’esprit de ses différents publics. » Qu’il s’agisse de bâtir une marque commerciale, territoriale ou nationale, son positionnement doit exprimer les caractéristiques originales qui la distinguent des marques concurrentes. Il doit aussi apporter aux différents publics ciblés une valeur ajoutée reconnue comme « supérieure ». A ce titre, il est intéressant de noter comment la Mission Marque France a su s’écarter dans ses préconisations de notions aussi galvaudées que « la qualité » (terme trop technique et peu différenciant), « l’art de vivre » (notion floue) ou encore « l’innovation » (appellation « fourre-tout »), pour se concentrer sur des valeurs plus concrètes et tangibles. Au final, le positionnement proposé pour notre marque nationale est celui de « multiplicateur de valeur ». La France excelle en effet, d’après les experts de la Mission, dans l’art de « concrétiser les rêves » et de rendre « plus intelligents, plus inattendus, plus pointus et productifs » les projets auxquels elle participe… Bien sûr, il reviendra in fine aux publics ciblés (touristes, investisseurs étrangers, etc), de juger de la pertinence de ce positionnement et de la « promesse » énoncée, au regard de leur perception et de leur expérience.

2 – Susciter une large adhésion autour des valeurs et de l’identité de marque définies

Pas de réussite pour une « marque pays » sans une réelle implication des citoyens dans son élaboration et une large adhésion aux valeurs qu’elle propose. Celles identifiées par la Mission Marque France (en l’occurrence : « l’amour des gestes et des savoir-faire », « la capacité à penser, imaginer et initier » et « l’art de la surprise ») sont dans doute de nature à susciter un consensus. Encore faut-il que les autres éléments de la marque, à savoir le « récit économique » et les grandes croyances fondatrices sur lesquelles elle s’appuie, soient également partagés. Le rôle de la communication, à toutes les étapes de la démarche de construction de la marque est à cet égard fondamental. Avant de briller à l’international, il faudra que la démarche autour de la marque France soit beaucoup plus largement connue et comprise du grand public hexagonal. Si la consultation des Français a été faiblement médiatisée, cet été, on ne peut qu’espérer que la diffusion du rapport final sur la Marque France et la présentation ultérieure de ses éléments d’identité graphique permettent une meilleure appropriation du projet par les Français.

3 – Proposer un « récit » puissant et crédible

Tous les experts le reconnaissent : contrairement à d’autre pays comme les Etats-Unis ou l’Allemagne, la France ne dispose pas d’un « récit économique » historique reconnu, que ce soit par les Français ou les étrangers. Ses mythes fondateurs (Les Lumières, la Révolution française, les Droits de l’homme, la République…) sont tous d’ordre politique ou social. Pourtant, et c’est une conviction forte énoncée dans le pré-rapport publié le 28 juin dernier, le récit économique français existe bel et bien, au moins dans l’inconscient collectif national. Et ce récit, qui ne demande qu’à être révélé, n’a rien à envier à l’American dream et au storytelling d’autres grandes nations, si l’on se réfère notamment à la somme d’innovations majeures qu’on doit à des Français (la machine à vapeur, la montgolfière, l’automobile, le télégraphe, la photographie, le réfrigérateur, l’aspirine, la moto, les vaccins, le sonar, l’ABS, la radioactivité, les formats mp3 ou DivX…). Il y a donc matière à produire un récit économique puissant, à la fois attractif, consensuel et crédible, fondé sur des réalisations, des personnalités et des faits incontestables, qui ne demandent qu’à être mieux connus et valorisés, en commençant par leur dédier une place dans nos programmes scolaires (proposition n°2 du pré-rapport).

4 – Capitaliser sur nos forces et proposer une « expérience de marque » attractive 

La France ne manque pas d’atouts dans le jeu concurrentiel international. Année après année, les classements internationaux concernant notre pays et les différents sondages menés auprès de consommateurs ou d’investisseurs étrangers témoignent de la notoriété forte et de l’image plutôt flatteuse de notre pays. Parmi les premières destinations touristiques mondiales (avec plus de touristes reçus que d’habitants), la France est non seulement appréciée à l’étranger pour son savoir faire dans les domaines du luxe ou de la gastronomie, mais également plébiscitée pour son cursus scolaire et sa capacité à former de bons ingénieurs et managers, notamment. Même s’il ne faut pas sous-estimer le poids des stéréotypes (notre excellence est plus facilement reconnue dans les domaines de la mode et de la culture que dans l’aéronautique ou le nucléaire, par exemple), nous disposons indiscutablement de points d’appui à partir desquels construire une marque valorisante. Là aussi, il s’agira en premier lieu d’en convaincre les Français, réputés pour être souvent plus pessimistes sur les opportunités et perspectives nationales que bien des observateurs étrangers. En capitalisant plutôt sur les nouvelles technologies et les atouts du digital, la mission Marque France entend mettre en scène ces atouts et le récit français via une expérience de marque résolument innovante… Le rapport qui sera communiqué le 28 octobre devrait en détailler les moyens.

5 – Etre portée par une gouvernance claire et pérenne

L’importance de la gouvernance de la marque est souvent soulignée. Dans un billet récent au sujet de la marque France, Pierre-Louis Desprez réclamait ainsi la création d’un poste de « ministre du marketing » pour piloter notre marque pays. Plus pragmatiques et efficaces à mon sens (car les maroquins ministériels ne font pas tout), les rédacteurs de la Mission Marque France en appellent quant à eux à la création de structures mixtes comme une « agence opérationnelle publique-privée de gouvernance sous forme d’un Groupement d’Intérêt Economique » (proposition n°10) et d’un « Comité Eiffel rassemblant l’ensemble des organisations souhaitant promouvoir et travailler avec la Marque France » (proposition n°9). La Mission propose d’ailleurs de confier la présidence du GIE à « une personnalité française particulièrement consensuelle et emblématique » et de mettre en place une véritable « plateforme de marque », soit une équipe restreinte chargée de garantir la cohérence de toutes les actions et communications futures autour de la Marque France. Point de ministère donc mais des structures plus « agiles », garantes d’une homogénéité d’action et chargées notamment de superviser les grands rendez-vous, à commencer par une « conférence annuelle de la Marque France » en présence du chef de l’Etat (proposition n°5).

6 – Unifier les démarches de marketing territorial et national autour d’une marque cohérente

Facteur clé de réussite important, la mobilisation et la coordination des structures œuvrant pour la promotion de nos différents territoires, et l’intégration des labels nationaux déjà existants (comme le label « Origine France Garantie » créé suite à la mission Jégo de 2012), sont indispensables. Cela passera sans doute par des étapes de concertation et de discussion préalables, car les marques territoriales n’ont pas attendu la marque France pour exister et se développer. Mais il y va de la cohérence et de la réussite de toute la démarche. C’est pourquoi la Mission Marque France propose la mise en place de contrats entre l’Etat et les collectivités territoriales, d’une part (proposition n°11), l’intégration des logos et labels d’origine existants dans le cadre d’une charte graphique « ombrelle » unifiante de la marque France (propositions n°7 et 21) ou encore l’endossement de la Marque France par les marques commerciales membres du « Comité Eiffel » (proposition °22).

7 – Mobiliser les acteurs publics et privés

Pour relever des défis aussi importants que la modification des perceptions des investisseurs internationaux sur notre pays ou l’amélioration de la qualité d’accueil réservé aux touristes et visiteurs du monde entier… de grands chantiers de sensibilisation sont nécessaires, qui réclament une large mobilisation de tous les acteurs publics et privés. Il faut dire que l’image d’un pays est tout autant le reflet de la performance de ses administrations que de la renommée de ses entreprises (que serait l’image de la France sans le « glamour » véhiculé par nos grandes marques de luxe et la réputation de fiabilité de nos grands groupes d’ingénierie ?). On ne saurait travailler sur un marketing et une marque pays sans associer étroitement tous les acteurs concernés, dont l’intérêt commun est bien de faire émerger une marque nationale forte, dont chacun pourra ensuite bénéficier.

8 – Tenir la promesse sur le terrain… dans la durée

Si une marque se nourrit d’un récit puissant, de valeurs et de croyances fondatrices, il important que ces éléments soient crédibles et suffisamment pérennes pour refléter dans la durée la culture et la réalité du pays. Les « grands écarts » et distorsions parfois observés entre une promesse exagérée et les expériences vécues sur le terrain par les touristes et businessmen en voyage d’affaires par exemple, peuvent s’avérer destructeurs en terme d’image. Il est donc important de travailler sur « l’expérience concrète de la marque France » vécue par nos différents publics « cibles », en s’attachant à réduire tous les points noirs qui peuvent nous être reprochés. Un discours de preuve et des comportements concrets et mesurables doivent justifier le positionnement et la promesse de la marque France. De même qu’il convient de ne pas duper les différents publics sur nos valeurs et nos engagements, les exemples de pays ayant particulièrement réussi leur nation branding montrent aussi que la stabilité des organes de gouvernance de la marque, sur le moyen et le long termes, est également indispensable. La Corée du Sud, l’Australie ou la Suède ont réussi à améliorer durablement l’attractivité et l’image de leur pays grâce à cette continuité dans leur action et à un investissement « au long cours », au-delà des inévitables alternances politiques… Ils tirent aujourd’hui tous les bénéfices de leur construction de marque vertueuse.

A lire également :

> * Cf mon précédent article : Compétitivité de la France, une marque et ça repart ?

> Découvrir les résultats du baromètre Viavoice de l’agence W&Cie sur la marque France (édition 2013)

> Lire le pré-rapport de la Mission Marque France remis aux ministres le 28 juin

> ** De Jean-Noël Kapferer : Ré-inventer les marques, la fin des marques telles que nous les connaissions (éditions Eyrolles 2013)

Crédit photo : Patrouille de France / TheBrandNewsBlog

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