La communication interne, un métier stratégique en pleine extension de ses champs d’intervention et de compétence

Je n’aurais pu rêver meilleure manière de reprendre le fil de ce blog, dédié aux marques, au branding et à la communication, qu’en remettant aujourd’hui à l’honneur une discipline qui m’est chère et dont j’ai régulièrement parlé ici : la communication interne.

Il y a quelques mois, l’association de référence des professionnels du secteur, l’Afci*, publiait une importante mise à jour de son référentiel métier, le référentiel de compétences des communicant.e.s internes**

L’aboutissement d’un important travail collaboratif et l’occasion de revenir, dans le détail, sur les principales missions, activités et savoir-faire déployés aujourd’hui par les communicant.e.s d’entreprise, mais aussi sur les connaissances et savoir-être requis pour exercer au mieux leurs missions.

Pour en parler et dessiner « en creux » les grandes évolutions du métier de communicant.e interne ainsi que les nouveaux enjeux auxquels sont confrontés les professionnels, j’ai eu la chance de pouvoir échanger avec trois membres éminents de l’Afci : Fabienne Ravassard1, Conseil en communication et dynamiques d’entreprise (Baïrlaa) ; Jean-Marie Charpentier2, Consultant en communication et auteur de référence dans le domaine de la communication interne et Guillaume Aper3, expert en communication et ex Directeur communication adjoint de JCDecaux .

Avec ces trois experts, nous revenons notamment aujourd’hui sur la méthodologie très collaborative qui a présidé à l’élaboration de ce référentiel métier ; sur ses ambitions et objectifs ; sur ce qui constitue en quelque sorte la « moelle épinière » du métier de communicant.e interne et sur les raisons du déficit de légitimité encore éprouvé aujourd’hui par de trop nombreux professionnels…

En attendant la publication de la deuxième partie de cette interview mardi prochain, qu’il me soit permis de remercier encore nos 3 intervenants du jour, pour la qualité de leurs réponses et de leurs éclairage, et de vous souhaiter à tous une très bonne connexion ou reconnexion avec le BrandNewsBlog.

Le BrandNewsBlog : Bonjour Fabienne, Jean-Marie, Guillaume. Bravo à vous et à l’Afci pour la publication de ce référentiel de compétences, très pédagogique et complet. A qui s’adresse ce document en priorité ? Et quels en sont les objectifs ?

Jean-Marie Charpentier : Ce référentiel s’adresse d’abord et avant tout aux communicants et à tous les consultants qui interviennent dans le champ de la communication interne. Mais il cible aussi les directions de la communication au sens large et les directions des ressources humaines, notamment la fonction recrutement qui peut être particulièrement intéressée pour mieux comprendre ce qu’est ce métier et ainsi mieux recruter. D’après les premiers retours que nous avons eus, ce référentiel a aussi été très bien accueilli par les enseignants et les étudiants en communication.

Sa genèse s’inscrit dans le cadre de deux grands chantiers lancés en 2024 par l’Afci : d’une part la refonte du premier référentiel de compétences de la fonction communication interne, qui datait de 2004, et d’autre part la production de récits de métiers, que nous avons choisi de publier l’été dernier sous la forme d’un ouvrage dédié à la parole des communicants sur leur travail. Deux approches complémentaires pour donner à voir ce qu’est aujourd’hui le métier de communicant interne : comment il se situe, comment il se transforme, quels en sont les enjeux et ce qu’en disent les professionnels eux-mêmes. Avec l’objectif que tout cela soit le plus incarné et vivant possible.

Au fond, à travers ces deux documents, l’Afci revient sur l’identité professionnelle des communicants internes, remet en perspective leurs pratiques et a aussi pour ambition de redonner de la force et de la visibilité à celles et ceux qui, au quotidien, exercent cette mission avec beaucoup d’engagement et souvent de passion.

Le BrandNewsBlog : Vous le soulignez, un premier référentiel avait été publié par l’Afci en 2004. En termes de méthodologie, comment avez-vous travaillé sur cette nouvelle version ? A-t-il été facile de dégager une vision commune du métier parmi les participants et membres de l’Association ? Et globalement, les compétences fondamentales attendues en 2024 ont-elles beaucoup évolué par rapport à celles identifiées en 2004 ?

Guillaume Aper : Même si je n’ai pas participé à l’élaboration du premier référentiel de 2004, il faut d’abord repréciser que le travail qui avait été fait à l’époque était essentiellement tourné vers la fonction ressources humaines, pour affirmer et positionner le métier de la communication interne auprès des personnes en charge du recrutement et de la gestion de carrières notamment… L’Afci avait alors travaillé en petit comité, au travers d’une série d’entretiens qui avaient été menés puis synthétisés par un consultant. Pour élaborer la nouvelle version du référentiel, nous avons voulu procéder de façon tout à fait différente et profiter de la force de notre collectif de professionnels au sein de l’association.

Fabienne Ravassard : Oui, dans cette optique, on est partis assez vite sur l’idée de constituer un groupe de travail et nous avons rapidement pu composer un groupe dynamique et représentatif de professionnelles issues d’entreprises et d’institutions de taille et de secteurs très différents, aux niveaux d’ancienneté variés. Nous les avons rassemblées lors d’une première journée d’atelier, en repartant d’emblée de la base existante de 2004, et en les faisant réagir et échanger en modalités d’intelligence collective sur les principales missions des communicants internes. Cela a permis de déboucher assez rapidement sur 5 grandes missions essentielles, auxquelles le groupe de travail a rattaché à chaque fois 3 ou 4 activités. Soit au final 5 missions et 16 grandes activités principales qui ont pu être définies et auxquelles nous avons associé progressivement les savoir-faire correspondants.

Il n’a pas été difficile de dégager cette ‘vision commune’ du métier dont vous parlez. C’est là toute la magie et la puissance de l’intelligence d’un collectif. A partir de ce travail fondateur, plusieurs autres séances de travail ont eu lieu, avec Jean-Marie, Guillaume et d’autres participants membres de l’Afci pour aboutir au référentiel actuel, qui a été soumis en relecture au groupe de l’atelier initial.

Nous nous sommes rendu compte que les grandes missions et l’essentiel du métier tel que décrit en 2004 n’avaient pas fondamentalement changé. Ce sont plutôt les activités rattachées et les savoir-faire associés qui ont évolué, et surtout la façon dont les professionnels envisagent et construisent les liens à l’intérieur de leur entreprise.

Le BrandNewsBlog : Vous le souligniez récemment Fabienne et Guillaume, dans une intéressante tribune*** et vous aussi Jean-Marie, dans un article pour la Harvard Business Review****, la communication interne reste, malgré sa professionnalisation, une fonction en quête de légitimité. A quoi ce déficit de légitimité est-il dû selon vous ?

Jean-Marie Charpentier : Je dirais d’abord qu’il y a toujours eu une certaine tension entre deux dimensions : d’une part, la production et la diffusion de contenus, qui est une mission classique des communicants internes ; d’autre part, la capacité à faire du lien, à établir des relations au sein de l’entreprise.

Longtemps, on a conçu ce métier comme relevant avant tout, voire uniquement, des outils et de la seule diffusion. Or, dans les moments critiques, dans les moments intenses de transformation ou de crise, c’est beaucoup plus sur la relation que se joue la communication interne. On l’a bien vu durant la pandémie de Covid-19 : c’est sur le plan des relations que la communication interne a été le plus efficace et le plus utile, en permettant à l’entreprise de tenir, de maintenir des collectifs, de faire corps dans les difficultés.

Or, malgré ce momentum et la professionnalisation accrue des communicants internes, on a un peu l’impression que post Covid, ce sont les logiques de marque et de communication externe qui ont un peu partout repris le dessus, au détriment de la communication interne, qui s’intéresse d’abord à l’entreprise, à ses métiers et aux collectifs de travail. Cela a un peu remis sous le radar la communication interne, qui a été renvoyée à son statut de ‘fonction support’ et de ‘gestionnaire des tuyaux’, alors qu’un rééquilibrage entre ce qui relève de la marque et ce qui relève de l’entreprise est nécessaire. La marque et l’entreprise, ce n’est pas exactement la même chose.

Plusieurs autres facteurs peuvent aussi expliquer ce déficit de légitimité ressenti par les communicants internes : un positionnement parfois fragile dû à un manque d’affirmation de la fonction ou bien à un rattachement incertain (tantôt à la Communication, à la DRH, tantôt à la DG voire aux directions de la transfo…). Et puis, il y aussi le fait que les communicants internes sont des professionnels qui travaillent souvent « à bas bruit », et ne sont pas du genre à se mettre en avant, étant de tempérament assez discret.

Fabienne Ravassard : Sur cet aspect du manque d’affirmation de la fonction, il faut souligner que les communicants internes sont le plus souvent des communicantes, qui œuvrent avec conviction de manière discrète, privilégiant l’efficacité aux effets de manche. J’identifie aussi deux autres causes à ce déficit de légitimité de la fonction communication interne, en plus des facteurs dont vient de parler Jean-Marie. D’une part, les équipes de communication interne sont de plus en plus challengées en interne par d’autres directions. Il arrive en effet de plus en plus souvent que les équipes com’ interne se retrouvent écartées de grands sujets voire ‘uberisées’ par des directeurs ou chefs de projets qui maîtrisent les outils pour générer une newsletter ou un canal de com’, savent faire eux-mêmes une vidéo ou utiliser un réseau social d’entreprise. Il se crée ainsi une concurrence interne des équipes transfo, marketing ou informatique sur un certain nombre de sujets dont la communication interne aurait toute légitimité à s’emparer.

D’autre part, par sa nature transversale et son approche collaborative des sujets, la communication interne se trouve aussi écartée car elle apporte de la hauteur et donc une forme de complexité, ce qui n’est pas toujours du goût de certaines directions, peu désireuses de les associer. La com’ interne est par essence même un métier transversal, nourri de la collaboration dans l’entreprise. Or on le sait, collaborer n’est pas toujours bien accepté, même entre équipes qui se connaissent.

Guillaume Aper : J’ajouterai que pendant la pandémie de Covid-19, la communication interne a aussi connu un momentum grâce à sa connaissance des publics internes de l’entreprise et à sa capacité d’écoute. Les directions générales et directions opérationnelles se sont beaucoup nourri des retours terrains des communicants internes, pour mieux gérer la crise. Après cette période, on est en effet repartis davantage dans des logiques de production de contenus, peut-être un peu au détriment de l’écoute et de la mise en relation des publics internes. Or il appartient aux communicants internes de continuer d’aller à la rencontre des métiers et des différents publics internes, pour continuer à alimenter les directeurs communication et directions générales de remontées terrain et de signaux faibles. C’est un positionnement qui ne peut que renforcer la légitimité de la fonction et renforcer le binôme com’ interne – dircom au sein des entreprises.

Le BrandNewsBlog : Pour contextualiser pour nos lecteurs la publication de ce référentiel, pourriez-vous nous rappeler qui exerce aujourd’hui le métier de communicant interne en entreprise ? Y-a-t-il des profils types qui se dégagent, et des spécificités de formation ou de parcours par rapport aux autres communicants ? Vous souligniez notamment Fabienne que la fonction est très féminisée. Quel est aujourd’hui son degré de professionnalisation ? Est-il homogène au sein des entreprises ?

Guillaume Aper : Pour les 30 ans de l’Afci, en 2019, nous avions justement mené une étude à ce sujet. Il en était ressorti, d’abord, que la profession est largement féminisée : 83% des professionnels qui l’exercent étant des femmes. L’âge moyen des communicant.e.s internes était à l’époque de 40 ans, avec une sur-représentation des entreprises du secteur privé, même s’il semblerait que le nombre de communicant.e.s internes dans la sphère publique a augmenté depuis l’étude

Nous avions eu la surprise de constater aussi à l’époque que près de la moitié des communicant.e.s internes travaillait dans des PME-PMI, ETI ou entreprises de moins de 2000 salariés, la fonction n’étant donc pas l’apanage des grandes organisations.

Et plus globalement, nous avions pu voir que les équipes communication interne sont le plus souvent de petite taille, avec beaucoup de binômes et de personnes seules en poste. J’ajoute qu’il était aussi apparu qu’une fraction non négligeable des communicant.e.s internes ne venaient pas d’écoles ou de filières communication, raison pour laquelle l’Afci a étoffé depuis 5-6 ans son offre de formation, pour permettre aux plus néophytes de se former aux fondamentaux du métier, formations que nous avons complétées progressivement par des modules plus pointus, sur la posture du communicant interne par exemple, sur la communication du changement et des transformations, ou bien encore sur la communication managériale.

Ces formations ont eu beaucoup de succès car elles permettent à chacun de renforcer son expertise et sa crédibilité en interne, y compris pour les communicants qui n’ont jamais fait de communication interne auparavant et qui se rendent souvent compte, après quelques mois d’exercice, des compétences et missions bien spécifiques attachées à la communication interne.

Le BrandNewsBlog : Dans ce réferentiel publié par l’Afci, les contributeurs reviennent sur les missions fondamentales, les activités et savoir-faire, les connaissances et savoir-être attendus des communicants internes. Pour résumer ce « métier à part entière, et à part », pourriez-vous nous dire quel en est pour vous l’ADN, la ‘substantifique moëlle’ ?

Jean-Marie Charpentier : La substantifique moëlle de ce métier, c’est selon moi la relation. La relation avec le haut de l’entreprise (en l’occurrence les dirigeants) ; mais aussi la relation avec le terrain (les managers de proximité, les salariés…). Comme vous le verrez en découvrant le référentiel, tout ou presque (que ce soit dans les missions, les savoir-faire, les connaissances, les savoir être…) tourne autour de cette capacité à nouer une relation, à faciliter le lien, à organiser l’échange. C’est bien pour cela qu’il importe de ne pas limiter le métier de communicant.e interne à la production et à la diffusion des contenus, même si cela fait aussi partie du travail et de la relation avec les différents publics de l’entreprise.

Les récits de métier que nous avons pu recueillir donnent très concrètement à voir, sous différents angles, cet enjeu de la relation au cœur du métier. D’où, pour les communicant.e.s l’importance de bien connaître, de bien comprendre pour agir. Connaître, comprendre les acteurs, les métiers, les collectifs. Connaître, comprendre également de quoi est fait le travail. Connaître, comprendre les attentes des différents publics. Une communicante d’un grand distributeur nous rappelait dans les récits de métier que « Comprendre, c’est le verbe le plus important en communication interne. »

J’ajouterais autre chose encore à propos de la relation comme substantifique moelle du métier : nous vivons en ce moment une véritable transition dans les entreprises, dans la société. Et cette transition, qu’elle soit économique, sociale ou écologique, nous impose d’aller au-delà de l’approche purement fonctionnelle de l’entreprise, réduite à l’administration des choses, à la gestion des flux ou des réseaux. La transition vers une entreprise plus relationnelle, plus « robuste » pour reprendre le terme d’un livre que l’Afci a primé récemment, c’est davantage d’interactions, de liens, d’expressions partagées. Et dans ce domaine, les communicants internes ont une place essentielle.

Fabienne Ravassard : Oui, ainsi que l’indique Jean-Marie, pour ne pas paraphraser les 5 grandes missions du communicant interne que vous retrouverez ci-dessous, le cœur du métier n’est plus uniquement de produire et de diffuser des messages, mais vraiment, comme nous l’avons écrit dans notre tribune, de faire vivre un collectif et même le ‘récit collectif’ qui l’accompagne. Plus que jamais, la mission première du communicant interne, c’est de réunir, de créer les conditions d’une bonne compréhension de l’entreprise, d’une véritable pédagogie et du dialogue. Et comme tout métier de communication, il s’agit aussi de veiller à la notion de cohérence des discours, c’est à dire au bon alignement entre la parole et les actes, afin que les salariés puissent constater qu’il n’y a pas de dissonance entre ce qu’on leur dit et leur vécu, entre le verbe des dirigeants et ce qu’ils voient en action, sur le terrain.  Dans le cœur d’expertise du communicant interne, on retrouve également cette notion d’intelligence collective. Non pas qu’il revienne systématiquement au communicant interne d’animer lui-même des dispositifs d’intelligence collective, mais on lui demande a minima de pouvoir faire des recommandations sur le sujet, d’être en capacité de piloter des dispositifs en faisant par exemple intervenir un facilitateur ou des consultants spécialisés en intelligence collective.

Dans le même ordre d’idée, les dimensions plus invisibles du métier que sont la capacité d’analyse, l’écoute active, la capacité à se mettre dans une posture de conseil et à anticiper, y compris en termes de ressources, sont de plus en plus attendues en termes de compétence et de savoir-être, afin de faire face aux défis de transformation et de communication au sein de l’entreprise.

Le BrandNewsBlog : Dans votre tribune pour le magazine Stratégies, Fabienne et Guillaume, vous mettez en avant deux compétences clés des communicants internes. D’une part, au-delà de la production de contenus et de la diffusion de messages, la capacité à « faire vivre un récit collectif » au sein de l’entreprise. D’autre part, la capacité à créer les conditions de compréhension de ce récit et à mettre en cohérence discours et actes. En quoi ces deux compétences vous semblent-elles primordiales ? Et en quoi ce récit collectif permet de mieux accompagner les transformations au sein de l’entreprise ?

Fabienne Ravassard : Oui, cette notion de récit collectif et sa compréhension, son appropriation par les différents publics de l’entreprise nous ont paru d’autant plus importantes que nous traversons comme nous l’avons déjà dit une période intense de transformations et de grands changements, et qu’il est nécessaire de les accompagner au mieux au sein de l’entreprise. Qu’on ait à faire à un projet de réorganisation, de rachat ou au lancement d’une nouvelle stratégie, la construction d’un récit collectif permet de faire face au changement et à l’incertitude, de redonner du sens aux collaborateurs, à condition bien sûr que ce récit ne soit pas descendant et qu’il soit co-construit avec les équipes, et incarné.

Bâtir ce récit collectif, c’est en définitive se donner la possibilité de rassembler, autour d’un message commun, cohérent et fédérateur, en créant de l’alignement entre les différentes parties prenantes internes qui sont mobilisées sur les changements et les transformations.

J’ai travaillé récemment pour une structure qui, dans le cadre de la refondation de sa stratégie de communication interne, avait dressé le constat que des cultures très disparates coexistaient sur ses différents sites et pouvaient « s’entrechoquer ». Au moment de mener à bien un gros projet interne, les dirigeants ont ressenti que cette diversité de culture(s), qui avait pu faire jusque-là la richesse de l’entreprise, pourrait cette fois constituer un frein au projet et une source d’incompréhensions. Avec les communicants internes, nous sommes donc allés dialoguer directement avec les collaborateurs des différents sites, dans le cadre de focus groupes, pour interroger cette notion de culture d’entreprise et déterminer ensemble quels étaient les « plus petits communs dénominateurs » de la culture commune, sans galvauder les différences existantes. Ce travail de fond a permis aux communicants internes de clarifier un récit collectif fédérateur, nuancé, qui fait in fine la part belle aux points forts partagés, tout en valorisant la richesse des singularités de l’entreprise.

Ce type de travail, s’il est bien réalisé, et s’il est accompagné par les communicants internes dans sa diffusion, permet à la fois de créer du lien et de rendre aussi beaucoup plus intelligibles les grands changements qui peuvent venir impacter les collaborateurs.

Ce savoir-faire de narration se déploie aussi dans la capacité à rendre plus concrète, incarnée, percutante et efficace, une nouvelle stratégie d’entreprise dont la formulation initiale serait trop absconse ou éloignée du quotidien des collaborateurs. En traduisant cette stratégie sous forme d’un récit beaucoup plus pragmatique, au travers d’exemples concrets et de situations vécues et portées par les collaborateurs, ou en simplifiant la formulation et en co-construisant le récit correspondant avec des managers, on peut rapidement en faire quelque chose de beaucoup plus efficace, appropriable et connecté au travail et à la réalité quotidienne de l’entreprise.

Le BrandNewsBlog : La connaissance des publics et des métiers de l’entreprise, l’écoute et la traduction des attentes des collaborateurs, la capacité à détecter les signaux faibles… demeurent au cœur de la mission des communicants internes. A quel savoir-faire spécifique ces compétences font-elles appel ? Et quels sont en définitive les principaux savoir-être attendus des communicants internes ?

Jean-Marie Charpentier : La capacité d’écoute est à la base du métier et lui assigne une posture d’humilité : être d’abord celui ou celle qui écoute les autres. Encore une fois, le média et le message ne doivent pas être premiers. C’est l’écoute qui fonde l’approche du communicant interne. Et on peut bien sûr écouter de multiples façons (directe ou indirecte, formelle ou informelle, via des rencontres ou des outils tels que les sondages). Dans tous les cas, il y a un pré-requis, c’est le contact avec le terrain et la proximité. A l’heure des réseaux sociaux ou de l’IA, voire du télétravail, on peut facilement se déconnecter du terrain. Or, le communicant interne ne doit jamais le quitter. C’est sa véritable raison d’être. Sur le terrain, dans les contacts directs, on capte les petites choses, ce que l’anthropologue de la communication Yves Winkin appelle les « petits riens », des petits riens qui peuvent en réalité s’avérer des pépites.

En termes de savoir-être, les différentes compétences attendues des communicant.e.s internes renvoient à des capacités de perception et d’expression (ouverture, curiosité, écoute active, empathie, synthèse…), mais aussi aux capacités à développer du lien, du sens, ainsi qu’à cette capacité d’écoute qu’on vient d’évoquer.

Les savoir-faire opérationnels et stratégiques, comme être en capacité de conseiller le management, savoir élaborer et faire circuler l’information, viennent ensuite.

En matière de communication interne, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, la charrue de l’info avant les bœufs de l’écoute et de la relation, si j’ose dire. N’oublions jamais que c’est eux qui tirent et donnent au métier son sens.

Guillaume Aper : Pour compléter le propos de Jean-Marie sur l’écoute, l’aptitude à détecter et à remonter les signaux faibles fait appel à cette capacité d’écoute informelle dont j’ai déjà parlé, qui requiert de bien connaître les gens, de savoir se constituer un réseau d’interlocuteurs internes auprès desquels on peut facilement passer quelques coups de fil pour savoir comment sont perçus telle ou telle décision ou tel sujet épineux. Une nouveauté est ressortie dans la nouvelle édition de notre référentiel de compétences : la capacité à savoir dresser une véritable cartographie des publics internes, à l’instar d’une photo satellite dont on peut ensuite se servir régulièrement et qu’on peut actualiser. Cette cartographie, qui a été évoquée par de nombreux professionnels, peut s’avérer particulièrement utile et démontre la connaissance fine de l’entreprise par les communicant.e.s internes.

Savoir naviguer en permanence entre la direction de l’entreprise, les managers et les équipes terrain sur site, dans des usines ou sur des chaînes de production, requiert aussi une réelle capacité à se mettre à la portée de différents publics, une vraie plasticité intellectuelle et une curiosité insatiable. Cela implique aussi, à mon sens, d’avoir le goût de l’interation et de la communication directe avec les gens, donc de l’empathie.

Le BrandNewsBlog : La communication managériale, en particulier – qui reste parfois un sujet d’insatisfaction des dirigeants – n’empiète-t-elle pas sur la mission d’animation des managers ? Et quelles sont finalement les limites à la communication interne, dans l’animation des métiers et des différentes communautés professionnelles ? N’y-a-t-il pas un risque de dilution des messages et du récit collectif dont nous parlions à l’instant, quand la communication interne devient trop spécifique ? Et quel est son rôle dans l’accompagnement du management ou des collectifs de travail ?

Fabienne Ravassard : Vous abordez là un vaste sujet… et plusieurs questions en une. Pour parler spécifiquement de la communication managériale, Guillaume le dit souvent : c’est l’un des sujets les plus complexes à appréhender pour les communicant.e.s internes et pour leurs dirigeants. Parce que pour aboutir à une communication managériale vraiment efficace, il faudrait en réalité pouvoir aligner les planètes, « avoir à sa main » des sujets aussi différents que la formation des managers et le style managérial, qui relèvent plutôt de la DRH ; connaître sur le bout des doigts la culture et l’histoire de l’entreprise, et savoir ce qui est attendu des managers et de la communication managériale également. Voilà pourquoi, pour avoir une communication managériale efficace, de même que pour avoir une communication interne efficace, la première chose à faire devrait être à mon sens de définir collégialement, avec les dirigeants, ce qu’on en attend et quels en sont les objectifs… quitte à se revoir régulièrement pour revenir sur ces objectifs et ajuster au gré des besoins.

En terme de communication managériale, est-ce qu’on attend d’un manager qu’il soit juste capable de s’exprimer correctement auprès de ses équipes et de relayer de temps en temps les messages importants transmis par sa direction ? Ou bien lui demande-t-on d’être un ambassadeur, capable de porter la stratégie et les décisions de l’entreprise auprès de ses équipes ?

Dans l’idéal, et dans les organisations les plus matures selon nous, une communication managériale efficace implique d’autoriser le manager à faire des pas de côté, pour expliquer avec ses propres mots la stratégie de l’entreprise, transposer de manière autonome et pédagogique cette stratégie pour que son équipe la comprenne et se l’approprie. C’est à mon sens le degré le plus abouti d’une communication managériale réussie, mais cela implique un haut niveau de confiance des dirigeants dans leurs managers, et un accompagnement de la part des équipes communication pour que les managers se sentent à l’aise.

Beaucoup trop de dirigeants attendent encore des managers qu’ils « cascadent » à la virgule près des éléments de langage pré-mâchés, pas toujours adaptés à la réalité du terrain. Et nombreux sont aussi les managers à avoir besoin d’être accompagnés et rassurés à ce niveau, de peur de faire un faux-pas ou d’être piégés par une question pertinente posée par leurs collaborateurs.

Car l’idée c’est aussi cela : plutôt qu’une communication descendante, faire de la communication managériale un espace d’échange et d’interactions où les collaborateurs se sentent libres de poser leurs questions, quitte à ce que le manager revienne auprès d’eux plus tard, avec une réponse élaborée avec les communicants ou les dirigeants de l’entreprise.

Il en va de même pour l’animation des métiers auprès des différentes communautés professionnelles. La réussite dans ces domaines passe également par la confiance a priori et le fait d’accompagner les ambassadeurs internes à devenir des acteurs de la communication interne de l’entreprise, plus que de simples relais.

Guillaume Aper : Pour les communicant.e.s internes, les points que Fabienne vient de relever impliquent qu’ils se retrouvent dans une position et une posture de conseil auprès des managers et des autres ambassadeurs de la communication interne. Charge à eux de co-construire avec les managers et les ambassadeurs internes des plans de communication et des dispositifs qui soient adaptés à leur besoins et aux enjeux, tout en les formant et les sensibilisant aux grands enjeux de la communication et en les accompagnant au besoin, comme des coaches, dans leurs prises de parole. Cela peut passer par la préparation commune d’éléments de langage, le regard critique sur des discours préparés par les managers, l’acculturation des managers aux méthode de l’intelligence collective, pour créer les conditions d’un véritable échange au sein de leurs équipes ou bien tester des messages, par exemple.

Au-delà de ses propres contenus et des canaux de communication qu’il anime, il appartient au communicant interne de faire en sorte que d’autres que lui (managers, réseau de correspondants internes, ambassadeurs) portent et amplifient le récit collectif de l’entreprise, tout en maintenant une cohérence des messages et des discours. Cela passe en effet par de la co-construction du récit, la constitution de réseaux et de communautés à même de porter et incarner les messages auprès de leurs équipes.

Le BrandNewsBlog : Elaborer et faire circuler l’information au sein de l’entreprise ; faire vivre la culture d’entreprise ainsi que les dynamiques collectives, font partie des missions ‘régaliennes’ des communicants internes. En quoi l’essor de l’intelligence artificielle et la multiplication des canaux de communication offrent de nouvelles opportunités et perspectives aux professionnels dans ces domaines. Et a contrario, comment les communicants internes gèrent-ils le risque d’infobésité et la prolifération des canaux, contenus et dispositifs numériques à laquelle on a assisté ces dernières années ?

Guillaume Aper : Sur ces sujets de l’élaboration et la diffusion des contenus de communication interne, un des grands enseignements qui est ressorti de la nouvelle édition du référentiel (par rapport à celui de 2004), c’est certes que les technologies ont beaucoup évolué et que la communication s’est largement digitalisée, mais c’est surtout que les contenus de communication interne ne sont plus produits exclusivement par les communicants et qu’ils proviennent maintenant d’une multitude de canaux et d’émetteurs (réseaux sociaux d’entreprises, Intranets métiers, newsletters et outils de chat, etc.

A cet égard, et face à cette masse de plus en plus importante de « User Generated Content », qui peuvent aujourd’hui représenter bien plus de la moitié des contenus de communication internes diffusée, les communicants internes doivent être garants de la cohérence et se positionner en « aiguilleurs du ciel » de l’ensemble des contenus émis. A eux de faire remonter tel ou tel contenu, de dire quel avion reste en l’air, quel avion décolle et lequel atterrit. C’est une mission qui combine étroitement coordination, modération et curation, qui n’existait évidemment pas il y a encore quelques années de cela.

Aux communicants internes de superviser ce qui sort, se tenir au courant, assurer la cohérence parmi la multitude de canaux digitaux et de contenus produits dans l’entreprise.

Pour se faire, il me semble que les outils d’intelligence artificielle peuvent justement être d’une aide précieuse, en aidant les communicants à remonter et faire le tri parmi tous les contenus publiés dans l’entreprise.

Plus encore que la production de contenus hyper ciblés et personnalisés, il me semble que le premier apport de l’IA pourrait résider dans cette mission de tri, grâce à des outils tels que Perplexity ou des métamoteurs de recherche, qui auraient / auront pour vocation de simplifier la curation des contenus internes qui incombe aujourd’hui aux communicant.e.s internes.

Car avec la démultiplication des canaux et la facilité que l’IA permet dans la production de contenus et de supports de communication, il y a en effet un vrai risque d’embouteillage et d’infobésité interne, et qu’on n’arrive tout simplement plus à retrouver les bonnes informations quand on les recherche. Or on sait que le temps d’attention de nos lecteurs / des collaborateurs, est de plus en plus limité. Il nous revient dont de nous y adapter pour produire plus efficacement et parcimonieusement des contenus, mais aussi et surtout adresser les bons contenus internes aux bonnes personnes et d’adopter ce qui est déjà une demande dans nombre d’organisations : la sobrieté éditoriale.

Le BrandNewsBlog : Nous parlions à l’instant de reconnaissance et de quête de légitimité de la part des professionnels de la communication interne. Cette légitimité n’a jamais été aussi forte, le rappeliez-vous Jean-Marie, qu’en temps de crise, durant la pandémie de Covid-19… Quelles sont d’après vous les pistes pour étendre cette reconnaissance, désormais établie dans les domaines de la communication de crise et l’accompagnement du changement, à toutes les autres missions et compétences des communicants interne ? Et comment faire pour qu’ils soient considérés par leurs dirigeants comme des « partenaires de pensée et d’action » ainsi que vous l’appelez de vos vœux ?

Jean-Marie Charpentier : C’est certain, l’expérience de la pandémie de Covid-19 a été refondatrice pour de nombreux communicant.e.s internes. Ils nous l’ont dit. Il a fallu tenir le cap dans un moment critique et ils ont su se montrer particulièrement utiles grâce aux relations entretenues avec les dirigeants, les managers et les salariés, pour assurer une continuité de service. Leur pouvoir d’agir, émanant de leur bonne connaissance du terrain, s’est trouvé accru dans les cellules de crise, dans le contact avec les managers et leurs équipes.

Développer ce pouvoir d’agir, accroître les leviers d’action pour les communicant.e.s internes, cela passe par le fait de nouer des alliances. Le communicant interne ne travaille jamais seul. Il est ou doit être en partenariat tantôt avec les dirigeants, tantôt avec le DRH, tantôt avec les managers de proximité et les métiers.

Un exemple parmi d’autre de ce pouvoir d’agir : trop souvent encore, on vient voir le communicant interne pour lui demander des slides, une vidéo, un podcast… Or, le vrai pouvoir d’agir du communicant commence par questionner le besoin (pourquoi communiquer, à qui, pour quels besoins ?). Cette capacité à remonter à la source du besoin conduit parfois à remettre en question le média initialement choisi et à co-construire avec son interlocuteur-partenaire une offre de communication et des dispositifs pertinents. C’est la meilleure façon de pratiquer la communication interne à mon sens.

Fabienne Ravassard : Pour asseoir leur légitimité, être reconnus comme des « partenaires de pensée et d’action », les communicant.e.s internes peuvent aussi cultiver leur lien avec le/la dircom, ainsi que le soulignait tout à l’heure Guillaume.

Constituer un binôme efficace, en alimentant le dircom de remontées terrain, de signaux faibles, en l’éclairant sur un certain de nombres de sujets comme la façon dont sont perçues les décisions des dirigeants ou la stratégie d’entreprise, me paraissent des axes de travail et de reconnaissance intéressants. Cela suppose encore une fois de s’entendre, avec le dircom dans un premier temps, puis avec les dirigeants, sur ce qu’on attend exactement de la communication interne, et quels en sont les objectifs. A partir de là, on peut déterminer les plans et moyens à mettre en œuvre pour être à la hauteur des ambitions affirmées.

Développer le travail d’écoute et rester en permanence en prise avec les différentes communautés et les différents publics de l’entreprise demeurent des impératifs, et aussi peut-être pour les communicant.e.s internes, s’agit-il de forcer un peu leur nature pour communiquer davantage sur ce qu’ils font et faire mieux connaître l’étendue de leur « offre de service ».

Cela suppose aussi de renforcer leur assertivité et de développer leur connaissance des  sujets stratégiques, en mettant de côté leur discrétion pour s’imposer progressivement dans les différents comités projets et autres instances de coordination, au sein desquelles ils ne sont pas systématiquement conviés habituellement. Passer pour ainsi dire en permanence et avec facilité du sol bétonné des ateliers d’usine aux couloirs feutrés des étages de direction, en sachant à chaque fois quel langage on y parle, pour mieux les relier.

Le BrandNewsBlog : Chefs d’orchestre du récit de l’entreprise, interfaces au service des collectifs de travail, passeurs, médiateur et tisseurs de cohésion entre les différents métiers, les hiérarchies et les communautés professionnelles… Vous dites, Jean-Marie, que les communicants internes sont passés d’une pure « communication de transmission » à une véritable gestion des relations au sein de l’entreprise. Quels sont les grands défis qui en découlent ? Et globalement Fabienne, Guillaume et Jean-Marie, quels sont les prochains défis à relever par les communicants internes pour asseoir encore davantage leur rôle stratégique ?

Jean-Marie Charpentier : Selon moi, il y a quelques grands défis à relever pour les communicants internes : d’abord, continuer de faire face aux multiples crises qui touchent les entreprises (nous sommes à bien des égards dans une situation de « permacrise ») et préparer en interne les nécessaires transitions pour y faire face.

Ensuite, et on en a déjà parlé les uns et les autres, tout faire pour conserver le lien avec le terrain. Fabienne vient d’évoquer le fait du passer avec facilité du béton des usines aux couloirs feutrés des directions… Dans les faits, il y a mille sollicitations pour s’éloigner progressivement du terrain. Le solutionnisme technologique, avec l’IA notamment, peut être un piège comme le fut le cas à une autre époque avec le « tout numérique », et peut inciter les communicants à rester dans leur tour d’ivoire. Tout ne relève pas de la technologie. On a besoin d’un usage raisonné de l’IA, pour ne pas finir par travailler « en chambre ».

Autre défi en lien avec le terrain : être en prise, encore plus qu’hier, avec les questions du travail (les conditions de travail, les espaces de travail, la place du télétravail, etc.). Des évolutions comme la généralisation du télétravail ces dernières années bouleversent durablement les pratiques et la communication dans l’entreprise.

J’ajouterais enfin : irriguer la communication interne et externe par des récits de vie, des récits de métier, pour que celle-ci soit toujours crédible et incarnée. La forme du récit, c’est ce qui permet tout à la fois de capter le réel et d’aller vers l’imaginaire. Il y a toute une communication dans le travail et sur le travail à mettre ou à remettre au jour. Les communicants internes doivent s’en saisir. N’oublions pas, comme le disait Jeanne Bordeau, que « le savoir dire vient de l’intérieur ».

Guillaume Aper : Jean-Marie et Fabienne viennent d’évoquer le fait de passer avec aisance du terrain aux étages de direction. A cet égard, le défi pour les communicants internes est aussi, parfois, d’être perçus comme davantage « business oriented », de s’intéresser réellement à la marche des affaires et aux évolutions des métiers de leur entreprise, pour demeurer crédibles et ne pas se retrouver au ban des comités projets et autres instances de décision.

Dans le contexte de permacrise et de transformation permanente que vient d’évoquer Jean-Marie, il faut aussi que les communicant.e.s internes travaillent en dynamique sur la culture d’entreprise, pour adapter en permanence le récit collectif de l’entreprise et que celui-ci continue de coller aux réalités de terrain. Il en va de l’engagement des collaborateurs, car la culture, et un récit collectif clair et crédibles, créent les conditions de l’engagement.

Les deux derniers défis que je perçois, on en a parlé également un peu plus tôt, ce serait que la communication interne grandisse et pourquoi pas grossisse, en investissant de nouveaux champs ou de nouvelles missions. Cela suppose d’abord un rééquilibrage des moyens et des ressources avec la communication externe, en tout cas un moins grand déséquilibre. Et la communication interne, dont les champs sont déjà vastes, pourrait ainsi investir de nouveau champs que sont par exemple, l’adaptation des collaborateurs aux grandes évolutions sociologiques et macro-économiques.

Pour aborder des sujets et débats de société, vulgariser de grandes questions économiques, géopolitiques, sociétales ou scientifiques, presque dans un esprit de d’outillage culturel et citoyen des collaborateurs, pour les préparer aux grands changements du monde et de leur environnement, la communication interne a à mon avis un rôle à jouer dans cette zone encore peu investie entre communication et formation.

Le BrandNewsBlog : Un dernier mot sur l’ouvrage « A mots ouverts », publié par l’Afci en même temps que le référentiel de compétences. Il est sous-titré : « Tout ce que je veux vous dire sur mon métier, la communication interne » et présente 20 témoignages de professionnels sous la forme de 20 récits justement. Pourquoi avoir publié cet ouvrage à part ?

Jean-Marie Charpentier : Nous venons de parler il y a un instant de l’importance de l’incarnation des récits d’entreprise et des récits émanant des métiers. L’Afci a souhaité que des communicants internes racontent leur travail au quotidien. De ces témoignages recueillis par une petite équipe au sein de l’association, il a été tiré des « récits de métiers », qui restituent sans filtre la voix des communicants. L’objectif : parler du métier, révéler ce que signifie travailler pour celles et ceux qui font métier de communiquer au sein des organisations, en entrant de plain-pied dans leur quotidien. Et surtout, passer par la parole de ces professionnels. Leur offrir l’opportunité de parler de leur travail, dire « je », raconter le concret de leur activité, ses rites, ses rituels, exprimer leur façon de tenir leur rôle et de (bien) faire ce métier, souligner tout ce qui va, en ne cachant pas ce qui bloque ou résiste. Et puis, se situer en tant que communicant dans une équipe, dans son rapport aux dirigeants, aux managers, aux salariés. L’Afci a voulu publier cette parole, très riche, sous la forme d’un livre, qui vient compléter et en quelque sorte faire écho au référentiel métier. Cette mise en mots du métier par ceux et celles qui l’exercent est une première pour l’association et je dois dire que nous en sommes assez fiers.

 

 

Légendes et commentaires :

* Afci : Association française de communication interne

** Découvrez ici en libre accès le référentiel de compétences des communicant.e.s internes publié en janvier 2025 par l’Afci 

*** Communicant interne : un métier à part entière, un métier à part, par Guillaume Aper et Fabienne Ravassard, Stratégies, 19 septembre 2025

**** La communication interne, un métier en tension entre professionnalisation et légitimation, par Jean-Charpentier et Vincent Brulois, Harvard Business review France, 24 sepetmbre 2025

(1) Fabienne Ravassard : Adhérente de l’Afci. Conseil en communication et dynamiques d’entreprise au sein du cabinet Baïrlaa.

(2) Jean-Marie Charpentier : Administrateur de l’Afci. Consultant en communication et auteur de référence dans le domaine de la communication interne.

(3) Guillaume Aper : Administrateur de l’Afci. Expert en communication et ex Directeur communication adjoint de JCDecaux.

La rentrée dans le viseur de… Sophie Palès, Déléguée générale de l’Afci

Vous savez, et je n’ai cessé d’en parler dans les colonnes de ce blog depuis des mois, quel rôle éminent les communicants ont joué au sein des entreprises depuis les prémices de la crise sanitaire.

Premiers relais (et parfois traducteurs) des directives gouvernementales, mais aussi et surtout porteurs des décisions et consignes de leur direction générale, ils ont fait preuve de réactivité, d’agilité et d’une créativité sans pareille pour maintenir le lien avec l’ensemble des parties prenantes leur organisation…

Une prouesse parfaitement illustrée cette semaine par les témoignages de Thierry Orsoni (Club Med) et Emmanuelle Raveau (EY) notamment.

Parmi les plus équipes les plus fortement mobilisées, dès le mois de février, les communicants internes ont du répondre à des situations et des enjeux multiples et évolutifs, depuis l’accompagnement de la mise en place du confinement jusqu’au retour sur site des collaborateurs en chômage partiel ou en télétravail, en passant par la gestion du « déconfinement » progressif et très encadré imposé aux entreprises…

Pour revenir sur ces différents défis et nous projeter sur les enjeux de cette rentrée et des mois à venir, auxquels seront nécessairement confrontés les communicants d’entreprise, j’ai choisi d’interviewer aujourd’hui Sophie Palès, Déléguée générale de la très dynamique Afci (Association française de référence en Communication interne).

Comme nous l’explique Sophie, son association a su durant les mois écoulés répondre avec réactivité et inventivité à toutes les questions et interrogations de ses adhérents, et se réinventer pour les accompagner au mieux, à distance, dans la résolution de leurs problèmes et la gestion de cette crise majeure. 

Gageons cependant – et Sophie ne nous dit pas le contraire – que les communicants et l’Afci auront encore beaucoup à faire dans les mois à venir, tant les défis des crises désormais combinées (sanitaire et économique) demeurent importants et l’incertitude forte.

Bonne lecture à tous et mille mercis encore à Sophie pour sa disponibilité et ses éclairages experts !

Le BrandNewsBlog : Bonjour Sophie. Avant l’été, nous avons eu une première occasion d’échanger ensemble sur le rôle très actif joué par les communicants internes durant la crise sanitaire. Hyper-sollicités au sein de leurs entreprises et de leurs organisations depuis le mois de mars, ont-il enfin pu souffler ces deux derniers mois ? Et dans quelles conditions vont-ils.elles attaquer cette rentrée ? Quels seront leurs principaux défis ?

Sophie Palès : Bonjour Hervé. En effet, les communicants dans les organisations ont été très sollicités au plus fort de la crise, car ils ont du notamment accompagner les nouvelles modalités de travail (chômage partiel, mise en place du télétravail…) ainsi que la mise en œuvre des contraintes sanitaires que l’on connaît. Les enjeux étaient alors de réagir vite, de diffuser la bonne information à la bonne personne et au bon moment, malgré la dispersion des équipes et des équipements parfois hétérogènes. Par la suite, les enjeux de communication interne ont évolué vers une dimension beaucoup plus relationnelle. C’est d’ailleurs un des bénéfices inattendus de cette crise : elle a donné un coup d’accélérateur à la mutation de la communication interne, tout en démontrant la dimension stratégique de notre métier.

Les adhérents de l’Afci, comme tous les professionnels qui ont travaillé à distance avec une charge lourde, sont sortis très fatigués des deux mois de confinement que nous avons vécu. La période pré-estivale a ensuite été marquée par un semblant de retour à la normale, avec la reprise de projets de fond et la volonté de prendre à nouveau de la hauteur et non plus seulement de gérer l’urgence.

Mais ces derniers mois ont aussi été marqués par une grande incertitude, toujours présente en cette rentrée, assortie de la menace d’une crise économique qui ne fait que commencer. Nos adhérents sont évidemment très concernés par cette menace, à la fois en tant que salariés et en tant que communicants, en charge d’accompagner les changements successifs et les annonces.

Les grands défis des semaines à venir s’inscriront donc dans la continuité des mois écoulés : il s’agira d’accompagner la digitalisation du travail, de consolider les collectifs de travail, d’ancrer les pratiques de gestion de crise dans le temps, d’accompagner les managers dans leur mission de garant du lien social… dans un contexte certainement plus « tendu » lié à la crise économique, avec de probables réductions budgétaires et d’effectifs au sein des organisations.

Le BrandNewsBlog : Nous n’avions pas évoqué ce point lors de votre interview croisée avec Jean-Marie Charpentier, mais l’AFCI, première association française de communicants d’entreprise, a elle même été très impactée par la crise sanitaire. Alors que vous aviez l’habitude d’organiser de nombreuses rencontres et formations en présentiel, il vous a fallu revoir complètement votre organisation et vos modalités d’action depuis le mois de mars. Comment avez-vous réussi à accompagner vos adhérents durant cette période et à surmonter cette crise ?

Sophie Palès : Oui, nous avons dû nous adapter nous aussi très vite et imaginer de nouvelles manières d’aider nos membres à se professionnaliser, à échanger, à s’entraider. Fort heureusement, notre équipe de la délégation générale était déjà prête d’un point de vue technique pour télétravailler.

Très rapidement, nous avons pu réfléchir avec le Bureau de l’association aux apports qui seraient les plus utiles et les plus pertinents pour nos membres dans cette période inédite. Nous avons mis en place des ateliers d’échanges de pratiques en ligne, des webinaires de témoignages d’adhérents, donnant notamment la parole à ceux qui étaient les mieux préparés à la gestion de crise, mais aussi des ateliers inspirés du codéveloppement pour résoudre ensemble des problématiques métiers… Tout cela en utilisant les outils digitaux à notre disposition bien sûr.

Dans cette période incroyable, le rythme s’est considérablement accéléré. Nous avons donc produit une newsletter hebdomadaire pour tenir nos membres informé.es des nombreuses activités proposées, de nos publications, et mis en place des fiches de partage d’expérience. Et nous avons dédié notre veille presse hebdomadaire à la crise. C’était déjà un service très apprécié par nos membres, mais durant cette période, nous avons battu tous les records de consultation ! Il y avait une production médiatique tellement abondante que le travail de curation réalisée par l’équipe apportait une indéniable valeur ajoutée à nos membres

Enfin, nous ne serions pas l’Afci si nous n’avions pas rapidement ressenti le besoin d’analyse et de prise de recul, même au cœur de la crise. C’est ainsi que nous est venue l’idée de lancer de nouveaux formats, propices à cette analyse et cette prise de recul, comme une série de podcasts lancée pendant le confinement.

En résumé, je crois que nous avons su nous adapter rapidement et répondre aux attentes de nos membres durant cette période délicate. Leurs messages de remerciement pour les actions entreprises et leur fidélité pour la saison à venir en sont d’ailleurs des preuves gratifiantes.

Le BrandNewsBlog : Au fil des mois Sophie, la crise a progressivement changé de nature et les enjeux en matière de communication interne ont évolué. Là encore, quelle aide apportez-vous à vos adhérents et quels dispositifs spécifiques mettez-vous à leur disposition en cette rentrée ?

Sophie Palès : On l’a vu, le travail à distance s’installe durablement dans les entreprises et la menace d’une « deuxième vague » de l’épidémie se fait de plus en plus précise. Après une période de « tout distanciel » acharné, où l’on a complètement perdu les petites conversations de la machine à café, nous voici maintenant dans une période hybride.

Les contraintes de distance physique imposent une limite à la fréquentation des locaux des entreprises, avec une limite de 50 à 60% des effectifs présents simultanément. A l’échelle d’une équipe, il y a donc bien souvent des rotations qui se sont mises en place, pour assurer des permanences ou être sûrs de se retrouver certains jours. Mais quoiqu’il en soit, il y a toujours ce besoin de se réunir avec des personnes présentes sur place et d’autres à distance. Il faut donc apprendre à gérer des réunions mi-présentielles, mi-distancielles… ce qui n’est pas si simple, et engendre souvent incompréhensions et frustrations. Cela devient un véritable enjeu pour les managers et donc pour les communicants internes.

Dans la pratique, nous évoluons encore dans un environnement très incertain et ne sommes pas en mesure d’anticiper quelles pourront être les consignes à suivre pour cet automne et cet hiver. Nous avons donc fait le choix de ne pas organiser d’activité présentielle jusqu’à fin 2020.

Toutes nos activités auront lieu en ligne, sous différents formats, ce qui favorise la participation et l’implication de tous nos membres, où qu’ils.elles soient. Et bien entendu, tous les thèmes traités le seront avec le prisme de la crise que nous traversons : espaces de travail et organisation du travail, raison d’être, communication managériale, communication interne de crise et mutations, etc.

Ce contexte amène aussi les administrateurs de l’Afci, qui s’impliquent fortement dans l’organisation de nos activités, à imaginer de nouvelles modalités de traitement de nos sujets. De ce point de vue, la période est certes difficile, mais très propice à l’innovation.

Il en va de même pour notre offre de formation. Nous continuerons assurément à organiser des sessions présentielles, mais nous proposons également tout notre catalogue à distance. Et cela est très apprécié des professionnels, membres ou non de l’association, qui sont en région ou à l’étranger.

Le BrandNewsBlog : Pour une organisation professionnelle de premier plan comme la vôtre, qui vit par et pour ses membres, en organisant habituellement de nombreux évènements, comme nous venons de le dire, quels leçons et enseignements tirez-vous de cette période à la fois passionnante et épuisante ? Comptez-vous faire évoluer durablement votre « modèle », entre échanges et formations à distance et rencontres en présentiel ? Les outils tels que « Zoom », « Teams » et autres peuvent-ils répondre à tous les besoins et quel est votre bilan de leur impact dans votre activité ?

Sophie Palès : Cette évolution était chez nous en gestation depuis déjà quelque temps déjà. Au démarrage de notre nouvelle saison, en juillet 2020, nous avons donc lancé une nouvelle formule d’adhésion unique et tout compris. Les adhérents ont désormais accès à toutes nos activités, en ligne et en présentiel, ainsi qu’à toutes nos publications et à leur réseau de pairs, si précieux. Cela signifie que tous les membres, quelle que soit leur localisation, bénéficient des mêmes services. Les premiers retours suite à cette simplification, notamment de la part de nos adhérents en région, sont très positifs !

L’autre grand changement de la période, c’est l’enrichissement de cette offre mixte « présentiel-distanciel » que nous proposons et que nous allons très certainement continuer à faire évoluer en fonction des attentes des adhérents. Quoiqu’il arrive, notre conviction reste pourtant que la rencontre demeure essentielle pour une vraie qualité relationnelle. Les adhérents l’apprécieront d’autant plus lorsque nous pourrons à nouveau organiser des réunions.

Le BrandNewsBlog : En complément des outils d’échanges et d’information que vous proposiez déjà à vos membres, vous venez de nous dire que vous avez lancé de nouveaux formats durant les mois écoulés, tels que les podcasts. Quels en étaient les objectifs et qu’apportent-ils, dans la panoplie des supports dont vous disposiez déjà ? Cette nouveauté a-t-elle séduit vos membres ?

Sophie Palès : En effet, la période a été féconde en nouveaux formats. Et je suis particulièrement fière de cette série de podcasts que nous avons lancée, Conversations. Il s’agit d’entretiens avec des experts, souvent universitaires, sur les enjeux du moment : Thierry Libaert sur la communication de crise, Nicole d’Almeida sur l’évolution du positionnement de la communication, Denis Maillard sur le collectif de travail, Aurélie Dudézert sur la place du digital dans le travail… Cette série a été très appréciée et demeure accessible en ligne à tous les membres de l’association.

Nous avons aussi prévu de publier dans les prochaines semaines un hors-série des Cahiers de la communication interne dédié à la crise. Nos lecteurs y retrouveront les points de vue d’experts autour des enjeux de communication interne liés à la crise, ainsi qu’une analyse de la situation et une ouverture vers l’après crise, assortis de conseils et de recommandations pour se préparer au nouveau paysage qui nous attend. Nous avons également demandé à des communicant.e.s de réagir avec leur regard et leur expérience de terrain… Bref : en examinant les défis de la crise actuelle, ce numéro spécial permettra d’en tirer tous les enseignements et de se préparer aux crises futures, il s’agissait donc d’un exercice indispensable à nos yeux.

Le BrandNewsBlog : Nous le disions à l’instant : la rentrée s’annonce riche pour les communicants internes. Quels sont / quels seront les prochains rendez-vous à ne pas manquer pour l’AFCI, au mois de septembre et d’ici la fin d’année ? A l’issue de la crise sanitaire que nous traversons – si tant est que celle-ci s’achève bientôt – comptez-vous par exemple lancer une enquête sur le vécu et l’évolution des pratiques des communication de vos membres ?

Sophie Palès : Oui, la rentrée s’annonce riche, avec des rendez-vous en ligne pour les nouveaux membres, le 11 septembre notamment. Et ensuite différentes activités en ligne : le 2 octobre sur le thème « Espaces de travail et organisation du travail », le 8 octobre sur les « enjeux de communication managériale » et des formations sur l’accompagnement du changement, les fondamentaux de la communication interne, la mise en place d’un réseau de correspondants, etc.

Nous réalisons régulièrement des enquêtes auprès des adhérents sur différents aspects de leur métier. Un bilan de la période me semble en effet utile pour évaluer ce qui a changé brutalement et ce qui va s’inscrire dans la durée pour les communicants internes. Nous en reparlerons sans doute cet automne.

 

 

Crédit photo : Photo de Sophie Palès par V. Colin

Etude Afci : la communication interne au coeur des enjeux de transformation (et de communication) de demain

J’en faisais la remarque il y a quelques mois à Sophie Palès (Déléguée générale de l’Association française de communication interne) ou bien encore à Guillaume Aper (Directeur adjoint de la communication du Groupe JCDecaux et Administrateur de l’Afci) : contrairement à de nombreux dircom et à beaucoup de communicant.e.s « externes », la plupart des communicant.e.s internes demeure à mon sens assez peu visible sur les réseaux sociaux et faiblement identifiée en dehors des entreprises qui les emploient…

A tel point que durant plusieurs années, il m’a été difficile d’alimenter la catégorie dédiée de ma liste des « Twittos du marketing et de la communication à suivre »¹. Et que j’ai parfois du mal, encore aujourd’hui, à identifier la ou les personnes en charge de la com’ interne dans telle ou telle organisation.

Question de culture sans doute, mais aussi de philosophie et de réserve liées aux spécificités du métier : cette discrétion est tout sauf anodine… Et si elle est tout à l’honneur de la profession (j’en reparlerai plus loin), elle peut expliquer aussi le manque d’exposition dont elle a pu souffrir et dont il lui arrive parfois encore de pâtir.

Ayant toujours eu pour ma part la plus grande admiration pour les communicant.e.s internes, et considérant depuis des lustres la discipline comme stratégique, je n’étais pas peu fier – et réjoui – d’en voir les représentants s’afficher aussi nombreux mardi dernier, à l’anniversaire des 30 ans de l’Afci².

Pour l’occasion, il faut dire que l’Association de référence de la com’ interne avait mis les petits plats dans les grands, avec un programme festif à la hauteur de l’évènement, et des animations très réussies. Mais c’est également du côté des contenus présentés, préparés avec minutie, qu’il y avait matière à se réjouir, avec le partage de vidéos de nombreux experts, une fresque retraçant les temps forts des 30 années écoulées, et la publication de livrables passionnants… A commencer par une étude en 3 volets extrêmement complète sur le métier de communicant interne, ses enjeux et ses perspectives, complétée par un numéro spécial des excellents Cahiers de la communication interne³.

De quoi donner du grain à moudre et une très riche matière à réflexion à votre serviteur… Car si l’avenir de la communication interne semble assuré et ses perspectives de développement plutôt prometteuses, le métier n’en est pas moins « en tension et en mouvement », structurellement sous-investi par les directions générales au regard des enjeux de transformation actuels et à venir, et « à la croisée des chemins » quant à son évolution…

Parvenu à un tel carrefour, c’est une véritable aubaine que de disposer d’une étude aussi bien ficelée et exhaustive que celle livrée la semaine dernière par l’Afci, combinant à la fois une photo du métier tel qu’il est pratiqué aujourd’hui et une projection éclairée sur les défis à venir… Un vade-mecum indispensable à tout communicant en somme, que je vous propose de synthétiser aujourd’hui sur le BrandNewsBlog.

Une étude de référence pour toutes celles et ceux qui s’intéressent, de près ou de loin, à la communication interne

S’il m’est arrivé, à plusieurs reprises dans les colonnes de ce blog, d’écrire au sujet de la communication interne et de vous faire part de mes constats et recommandations (voir notamment ici ou ), qui de mieux placé que l’Afci pour mener cette grande étude de synthèse sur la communication interne et les communicant.e.s d’entreprise, qui a le grand mérite « d’objectiver » les perceptions et tendances relevées par les uns et les autres ?

Association de référence pour tous les professionnels de la communication interne depuis maintenant 30 ans, et qui en a accompagné le développement et les évolutions avec tant de pertinence (en publiant notamment dès 1994 le premier référentiel de la fonction, régulièrement actualisé et complété depuis), l’Association française de communication interne n’a pas lésiné pour cette grande étude en 3 volets, en confiant la réalisation d’une première étape – qualitative – aux psychosociologues Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault. Le second volet (étude quantitative auprès de 367 communicant.e.s internes) avait quant à lui été confié au cabinet d’étude Occurrence et le troisième volet (plus prospectif sous la forme de deux ateliers de co-design) à Harris Interactive, qui a pu compter sur les contributions précieuses d’une vingtaine de communicants, de managers et de salariés.

Et les résultats de ces 3 démarches, accessibles et consultables directement sur le site de l’Afci, sont particulièrement édifiants…

Pour dresser en premier lieu le portrait-robot du/de la communicant.e interne, sur la base des enseignements de l’étude Occurrence, il s’avère tout d’abord que celui-ci est le plus souvent une femme (dans 83% des cas), de plus de 40 ans (dans 63% des cas), employé dans le secteur privé davantage que le public (pour 65% d’entre eux/d’entre elles : voir l’infographie ci-dessous). Il.elle travaille souvent au sein d’un service communication (dans 39% des cas, les autres rattachements pouvant être la DRH ou directement la direction générale), pour une structure de plus de 2 000 salariés dans 54% des cas, les structures de moins de 2000 salariés concentrant les 46 autres % des communicant.e.s internes.

Complétant cet aperçu purement statistique, les résultats passionnants de l’étude psychosociale de Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault nous enseignent aussi que la majorité des communicant.e.s internes le deviennent rarement dès la sortie de leur formation initiale… Ils.elles rejoignent la fonction après des trajectoires généralement atypiques au sein des entreprises, montrant des « hésitations, des bifurcations au gré de rencontres et d’opportunités. »

Ainsi, si l’ouverture d’esprit, l’intérêt pour les matières littéraires ou le goût pour les voyages et les cultures différentes, de même que la capacité à s’impliquer dans leur mission, semblent constituer des dénominateurs communs pour la plupart de ces professionnel.le.s, leurs parcours n’ont en général rien de linéaire.

Et ils n’en sont pas moins investis dans leur travail, au contraire ! Les 2 volets de l’enquête – quali et quanti – démontrant justement qu’une fois dans ces fonctions, une majorité de communicant.e.s internes y trouve du sens (80% d’entre eux.elles étant satisfaits sur ce point), mais également de véritables marges de manoeuvre et une réelle autonomie (pour 88% d’entre eux.elles) malgré la charge de travail, la lourdeur des circuits de validation ou la faiblesse des moyens budgétaires consacrés à la com’ interne (voir schéma ci-dessous).

Ainsi – et c’est sans doute ce qui me les rend si attachants je vous l’avoue – quels que soient les aléas de leurs parcours et les difficultés de leur quotidien, l’étude Afci dresse le portait de passionnés, dont les niveaux d’engagement dans leur mission et dans leur entreprise pourraient être pris en exemple par bien des DRH, comme le confiait avec humour dans son speech introductif la Présidente de l’Afci, Ingrid Maillard.

De quoi tirer une légitime fierté du métier, confirmée par les propos de Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault : « Le sentiment domine d’être différent, pas tout à fait dans la norme d’une trajectoire bien huilée. Mais lorsque le professionnel réalise, parfois après plusieurs changements de postes, que c’est là son métier, il témoigne bien souvent du sentiment d’avoir trouvé sa place. Certains évoquent ce métier comme une révélation. Le communicant interne est un professionnel qui travaille à donner du sens, par exemple quand il s’attache à donner sens aux fréquents remaniements que connaissent la plupart des organisations ».

Une fonction source de fierté, car porteuse de sens, interconnectée à tous les publics de l’entreprise et au coeur des enjeux de transformation… mais encore sous-investie et faiblement reconnue au regard des enjeux, quand elle n’est pas en souffrance

Plutôt fiers de leurs missions et de leur fonction donc, et bien conscients d’apporter du sens et d’interconnecter entre eux les différents publics de l’entreprise, les communicant.e.s internes n’en sont pas moins lucides (et pour certains résignés) quant aux écueils et embûches qui viennent entraver leur action et leur efficacité au quotidien…

Entre la faiblesse des moyens humains et financiers (pour mémoire, j’évoquais dans cet article la baisse des budgets de communication interne relevée en 2019 par l’association Place de la communication), la faible reconnaissance de leurs missions et de leurs spécificités par rapport aux autres disciplines de la communication (perception qu’on sent poindre dans le volet qualitatif de l’étude notamment) ; la difficulté du travail quotidien avec des circuits de validation complexes et un sous-investissement de certaines directions générales dans la communication interne ; et le sentiment d’accélération du temps qui contraint parfois les communicants d’entreprise à un vraie stakhanovisme éditorial ou à communiquer le changements de manière beaucoup trop précipitée… les axes de progrès demeurent nombreux.  

Dixit Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault, pour illustrer certains de ces écueils : « C’est un métier de conviction. Les professionnels rencontrés expriment un fort attachement à la fonction de médiateur dans les organisations […] Mais pour certains, la fonction semble menacée dans des organisations très verticales ou procédurales. D’autres expriment de la lassitude en raison du développement d’une culture dans laquelle tout est communication et où les demandes sont énoncées sur le mode de l’urgence […] Les communicants internes sont attachés au respect de la temporalité propre à l’appropriation des changements. C’est une composante majeure de leur métier. Or, les organisations sont si mouvantes et les changements quasi permanents qu’il est plus souvent question d’obtenir une adhésion immédiate qu’une appropriation progressive des enjeux. »

Comme le démontre l’infographie ci-dessus, parmi les freins et zones de progrès clairement identifiés, les communicant.e.s internes ont aussi bien conscience de ne pas avoir suffisamment de temps pour accompagner la communication managériale, notamment vis-à-vis des managers de proximité, les plus éloignés des directions d’entreprise et soumis à la pression quand ils ne vivent pas des injonctions paradoxale.

Ainsi, si 63% des communicants reconnaissent le rôle clé des managers dans a communication interne, ils ne sont que 43% à reconnaître les accompagner concrètement dans leur communication de proximité : un regret et un vrai axe d’amélioration pour le futur…

Une transformation digitale plutôt bien appréhendée et intégrée… et une posture de retrait, voire d’effacement volontaire, chez la plupart des communicant.e.s internes

Autre constat confirmé par les deux premiers volets de la grande étude Afci (volets quantitatif et qualitatif), les communicant.e.s internes ou communicant.e.s d’entreprise n’ont pas loupé le train de la transformation digitale.

Ô certes, il reste encore beaucoup à redire et à faire, sur la performance des Intranets-RSE notamment, qui ne s’avère pas toujours au rendez-vous. Ainsi si 92% des communicant.e.s interrogé.e.s reconnaissent que la transformation digitale a été globalement favorable à la communication interne (voir infographie ci-dessous), la performance du réseau social d’entreprise notamment obtient une note globale de 4,9 sur 10 seulement. Evidemment, cette note cache de grandes disparités, entre les entreprises qui ont su faire de leur RSE une plateforme d’échange incontournable et dynamique, comme le groupe JCDecaux, et celles qui n’y sont pas parvenues et connaissent une faible appropriation et de faibles taux d’utilisation de l’outil, voire de consultation de leur Intranet.

Dixit Guillaume Aper, directeur adjoint de la communication de JCDecaux : « Notre groupe, qui compte 13 000 salarié.es répartis dans 85 pays, a fait figure de pionnier avec un réseau social d’entreprise (RSE) lancé dès 2011. Fait plutôt rare, ce réseau a été rapidement utilisé et continue à bien fonctionner. Il a fusionné avec l’Intranet et permis ainsi d’internationaliser l’audience de ce dernier. Le secret de ce succès ? Tout d’abord, notre RSE a répondu dès le début à un véritable besoin. Nos équipes réclamaient une plateforme d’échanges pour bénéficier de la richesse de toutes nos expériences clients à travers le monde. Nous avions préparé une dizaine de communautés témoins qui ont permis de montrer les usages potentiels de ce RSE, et mis l’accent sur l’accompagnement en organisant des formations, des rendez-vous de questions-réponses, etc. Aujourd’hui, nous continuons à accompagner tel ou tel métier pour qu’il devienne producteur de ses propres informations. Le contenu ainsi auto-produit permet à la communication interne de se consacrer à d’autres missions »

Et de fait, comme le pointent Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault, la plupart des communicant.e.s internes a su s’adapter aux innovations techniques et aux nouveaux outils apportés par la révolution digitale sans trop de difficulté apparente, graduellement et progressivement. Ainsi, si plusieurs des professionnel.le.s interrogés par les deux psychosociologues admettent que leur métier reste « assez artisanal », avec une large latitude laissée à l’initiative et à la créativité, ils.elles disent aussi avoir assimilé les innovations et nouveaux outils « sans disqualification et sans difficulté, au gré d’expérimentations souvent décidées par eux-mêmes et non imposés ». Une adaptation facilitée par leur implication active, dès le départ des projets, dans tous les chantiers de refonte des plateformes Intranet et RSE, dont ils.elles sont en général les chevilles ouvrières.

Parallèllement – et sans qu’il y ait de lien particulier avec le constat précédent – Florence Giust-Desprairies et Corine Cauvin Renault ont aussi relevé cette tendance des communicant.e.s internes à demeurer relativement discrets au sein de leur entreprise. J’évoquais ce dénominateur commun en introduction de mon article : d’après les deux psychosociologues, les communicant.e.s internes se placent en effet le plus souvent « dans une posture de retrait, voire d’effacement volontaire, destinée à mettre davantage en lumière les autres acteurs de l’organisation. Ecouter et donner la parole à ceux qui d’ordinaire ne s’expriment pas. Pour certains, cette attention aux autres pourrait fragiliser leur position dans des organisations qui valorisent l’image de la puissance et de la visibilité. D’autres au contraire considèrent que c’est là un élément nodal du métier, centré sur l’écoute et la médiation, qu’il convient de soutenir et d’affirmer ».

Ainsi, si l’accompagnement des salariés dans des démarches d’employee advocacy incite de plus en plus les communicant.e.s internes à « montrer l’exemple » et à sortir de leur réserve et de leur discrétion habituelle, en étant plus actifs qu’auparavant sur les réseaux sociaux à titre professionnel et personnel, ils.elles ne sont pas encore si nombreux à revendiquer leur expertise de communicant.e.s internes dans leurs profils. Pour ne pas se fermer des portes en terme d’employabilité sans doute, beaucoup continuent en effet à se présenter de manière générique sur les réseaux sociaux comme « communicants » ou « responsables communication », sans faire aucunement mention de leur titre ou de leur fonction exacte.

Des perspectives d’avenir assez réjouissantes… pour un métier à la croisée des chemins, qui doit continuer d’évoluer 

Le dernier volet de la grande étude menée par Afci n’est pas le moins intéressant. Confié aux bons soins de la société Harris Interactive, qui a piloté deux ateliers de co-design réunissant une vingtaine de communicants, de managers et de salariés, ainsi que je le notais ci-dessus, il a permis de faire émerger les grandes pistes et futurs possibles pour le métier de communicant interne, autour de 6 challenges parfaitement résumés dans l’infographie ci-dessous.

Ainsi, si les dimensions d’écoute et de partage du sens devraient continuer de contribuer à cette grande mission qui reste de faciliter la compréhension des enjeux et de la complexité, les communicant.e.s internes sont assez nombreux.euses à déplorer qu’on ne leur laisse plus le temps de le faire et qu’on leur demande de plus en plus de présenter une « version simplifiée et édulcorée du monde »… rejetée massivement par les salariés.

Bien conscients de cette difficulté et des dangers du « stakhanovisme éditorial » dans lequel ils se voient parfois enfermés, les professionnels identifient clairement la réhabilitation du temps long comme une autre de leurs priorités, pour mener à bien leur mission d’accompagnement de la transformation de l’entreprise.

Mais tout aussi à l’aise (ou presque) dans cette 3ème mission qu’est l’animation des différents réseaux de communication au sein de l’entreprise, à l’heure où les communicant.e.s ont perdu le monopole de la production et la diffusion des messages sortants, les communicant.e.s internes se voient aussi à l’avenir être des facilitateurs de la créativité et de l’intelligence collaborative au sein de leur organisation, en développant notamment une alliance et un accompagnement beaucoup plus poussés des managers, notamment les managers de proximité, dont ils se veulent plus proches. Cela tombe bien : ces orientations recoupent complètement les évolutions que je suggérais dans mon article sur le passage de la communication interne à la la communication collaborative ! :-)

Enfin, pour soutenir toutes ces missions et actions, il est important pour les communicant.e.s internes de continuer à exploiter au mieux les opportunités du digital, sans oublier de laisser une vraie place aux instances de partage sur le travail et aux évènements permettant une rencontre IRL des collaborateurs.trices, car le numérique ne solutionne pas tout, évidemment. Cette sixième perspective incite aussi les communicant.e.s internes à se remettre en question, en acceptant la porosité croissante de leurs missions avec celles de la communication externe, qui réclame a minima une meilleure coordination – à défaut d’une fusion pure et simple – des équipes. Un chantier de coordination qu’il faut piloter avec doigté, en identifiant les missions spécifiques à la communication interne et à la communication externe et celles qui auraient naturellement vocation à être partagées.

Pour davantage de précisions et un regard très complémentaire sur ce sujet de l’évolution de la communication interne, je vous incite aussi à lire ou relire cet autre article que j’avais écrit sur le sujet : « 5 défis à relever d’urgence pour améliorer votre communication interne ».

 

 

Notes et légendes :

(1) « 450 Twittos du marketing et de la communication à suivre en 2019 », par Hervé Monier – The BrandNewsBlog – 13 janvier 2019 + Suite et fin :450 Twittos du marketing et de la communication à suivre en 2019, The BrandNewsBlog – 17 janvier 2019

(2) L’Association française de communication interne (Afci) fêtait mardi dernier 25 juin ses 30 ans, en présence de nombreux membres et de personnalités de la communication, à la Porte de Versailles à Paris. L’occasion d’une soirée à la fois festive et riche en animations, très appréciée par les participant.e.s.

Les principaux résultats de la grande étude évoquée dans cet article ont été présentés à cette occasion par Ingrid Maillard, Présidente de l’association et Directrice de la communication du groupe DPD.

(3) Les résultats de la grande étude 2019 de l’Afci, ainsi que tous les livrables produits à cette occasion (rapport de l’étude psycho sociale, rapport de l’étude quantitative, rapport sur les ateliers de co-design + Synthèse de la grande étude) sont consultables directement sur le site de l’Afci.

 

Crédit photos et illustration : 123RF, Afci, The BrandNewsBlog 2019

 

 

 

 

5 défis à relever pour moderniser la communication interne… et l’adapter aux nouveaux enjeux et attentes de ses publics

Trop souvent encore considérée comme le « parent pauvre » des stratégies de communication, la communication interne continue de souffrir, dans beaucoup d’organisations, d’une inadéquation avec les attentes et les besoins de ses publics et d’un sous-investissement chronique au regard de ses enjeux stratégiques.

La faute à qui ? Certainement pas aux professionnels ni à leurs associations de référence, AFCI* en tête, qui n’ont cessé depuis des années de faire la pédagogie de leur métier et de signaler le décalage croissant entre les objectifs ambitieux de transformation affichés par la plupart des dirigeants et la faiblesse des moyens alloués à la communication en entreprise.

Pas plus tard que l’automne passé, l’association Place de la communication pointait d’ailleurs, dans la deuxième édition de son Observatoire¹, une baisse des investissements en communication interne par rapport à 2016. Et parmi les objectifs de communication remontés par ses adhérents, le premier item concernant la communication interne (« Contribuer à l’information et à l’engagement des équipes ») n’est arrivé qu’en cinquième position des objectifs prioritaires des entreprises – essentiellement les plus grandes – laissant entrevoir que la situation est encore moins glorieuse dans les organisations de plus petite taille…

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi un tel décalage et surtout que faire pour y remédier ? C’est ce que je vous propose de voir dans mon article du jour, mais sans omettre aucun des grands défis qui se posent par ailleurs aux expert.e.s de la communication interne : 1) Défi des moyens ; 2) Défi du rythme, de la profusion et du sens; 3) Défi du ton et du langage ; 4) Défi de la pertinence et du « lâcher-prise » ; 5) Défi de la redéfinition du rôle et des missions des communicant.e.s internes.

Longtemps occultées par de faux débats sur la « disparition de la communication interne » et/ou le constat de la porosité croissante entre interne et externe, de plus importantes problématiques se posent en effet aujourd’hui à tous les communicant.e.s sur la place et le rôle de la communication en entreprise, mais aussi sur la meilleure manière de la pratiquer et de la faire évoluer pour que celle-ci accompagne au plus près les besoins des collaborateurs et les enjeux des entreprises : compréhension fine du corps social de l’organisation et des communautés qui le composent, accompagnement du changement et de la « transformation », développement du travail collaboratif, (re)construction du sens commun…

On le voit : les enjeux sont considérables et il appartient à chacun de les aborder avec lucidité et honnêteté pour produire une communication interne plus efficace, authentique et moderne. Rien que ne puissent en définitive réussir les communicant.e.s, à condition d’être eux.elles mêmes convaincu.e.s des efforts et mutations à accomplir et de bénéficier dans cette mutation du soutien indéfectible d’une direction générale réellement impliquée…

Porosité croissante de l’interne et de l’externe et guerres de territoires : non, la communication interne n’est pas « soluble » dans le management transversal de la marque…

Chacun.e de mes lecteurs.trices sait à quel point je suis attaché aux principes d’un management plus transversal de la marque et à la disparition des « silos » : marque corporate, marque employeur et marque(s) commerciales ont trop longtemps été travaillées de manière distincte, alors qu’elles sont les différentes facettes d’une même entité émettrice, l’entreprise, qui a de plus en plus intérêt aujourd’hui à parler d’une seule voix – en tout cas de la manière la plus cohérente possible – à ses différents publics.

Ce constat est d’autant plus vrai aujourd’hui, à l’heure où le digital abolit de plus en plus les frontières et qu’il est demandé aux collaborateurs.trices qui le souhaitent de porter à l’extérieur la parole de l’entreprise, dans le cadre de démarches d’employee advocacy notamment. A l’heure également où chacun semble avoir enfin compris que le.la collaborateur.trice peut également être un.e client.e de l’organisation, actionnaire, et/ou conjoint.e d’une autre de ses parties prenantes…

Pour autant, ainsi que le soulignait l’an dernier Thierry Libaert dans un article des Cahiers de la communication interne de l’AFCI², « S’il est certain que la porosité existe et que le discours de l’entreprise doit être commun à toutes les communications, dans un souci de cohérence, la communication interne conserve toujours ses particularités ». Et la première d’entre elles est de s’adresser à un public bien spécifique – les salariés – sans lequel l’organisation ne peut fonctionner et dont on mesure de plus en plus l’importance dans la réussite de toutes les stratégies aujourd’hui.

A ce public, encore plus informé et exigeant de nos jours que toute autre partie prenante, et qui a appris depuis des décennies à « décoder » les communications descendantes émises par les communicant.e.s et leur direction générale, il est impossible de fournir les mêmes messages « formatés » qu’on adresse aux clients ou aux journalistes… Et si, dans une logique « d’écosystème » et pour des raisons de réduction de coût, il a été souvent envisagé de préparer des contenus rigoureusement identiques et communs à toutes les cibles, la plupart des entreprises qui se sont essayé à cette communication un brin « monolithique » en sont d’ores et déjà revenues ou en reviennent… Car elle est tout simplement aux antipodes de ce qu’attendent leurs collaborateurs et collaboratrices, avides d’explications, de pédagogie, d’authenticité et d’engagement de la part de leur hiérarchie.

De ce point de vue, il est à souligner que les guerres de territoires entre certaines directions (de la communication et des ressources humaines le plus souvent, auxquelles les communicant.e.s internes ont pu être successivement rattaché.e.s), ont sans doute eu pour effet de retarder la prise de conscience de l’importance et de la variété des nouveaux enjeux de communication interne, certaines réorganisations n’ayant eu parfois pour seul objectif que de justifier le rattachement des ressources correspondantes à la dircom ou à la DRH… sans tenir aucunement compte des expertises spécifiques des uns et des autres, ni des besoins de leurs publics internes.

5 défis à relever pour moderniser la communication en entreprise et répondre aux nouveaux besoins de ses publics

A l’aune des enjeux primordiaux que j’ai abordés en introduction et de l’évolution des publics internes et de leurs attentes – on voit notamment cohabiter pour la première fois près de 4 générations différentes au sein de l’entreprise, et cela est tout sauf anodin – il est indispensable de réinventer la communication interne, et de redéfinir ses objectifs, missions et modalités d’action au sein de la plupart des organisations…

A celles et ceux qui n’en seraient pas convaincus, je recommanderai volontiers la (re)lecture d’un article que j’avais déjà consacré il y a deux ans aux nouveaux défis de la communication en entreprise, article dans lequel je faisais abondamment référence au mémoire professionnel de Bernard Gaudin« Réinventer la communication interne à l’ère collaborative »³.

Dans le cadre de ce mémoire particulièrement riche, intéressant et abouti, Bernard Gaudin s’était permis d’adresser un questionnaire sur la communication interne à près de 560 collaborateurs.trices travaillant dans différentes entreprises et d’organisations de toutes tailles, les interrogeant à la fois sur leurs habitudes et pratiques en matière de consommation d’information, mais également sur leur perception de la communication interne et de sa pertinence/son intérêt.

Les résultats de ce questionnaire, recoupés par d’autres études et les remontées de terrain collectées par de nombreux communicants, ne sont pas nécessairement très flatteurs pour les entreprises et pour la communication interne en général, encore jugée trop impersonnelle, désincarnée, éloignée du terrain et excessivement positive dans la plupart des entreprises. Les enseignements de cette étude et autres remontées terrain ont donc naturellement alimenté plusieurs de mes recommandations ci-dessous :

1 – Défi des moyens : doter la communication interne de budgets et de ressources à la hauteur des enjeux et ambitions

Si les budgets et moyens alloués aux directions de la communication varient évidemment grandement d’une entreprise et d’une organisation à l’autre, j’ai souvent – pour ne pas dire toujours – été frappé de la faiblesse des moyens consacrés à la communication interne au sein de la plupart des entreprises.

Entre les organisations – très nombreuses encore – ne disposant pas d’une véritable ligne budgétaire dédiée (hormis pour leurs conventions et principaux évènements internes) et celles où le budget, voire l’ensemble des ressources, sont en quelque sorte la « variable d’ajustement » d’un budget marcom ou RH global – pouvant à ce titre être réduits à la portion congrue ou escamotés en cours d’année – trop rares sont encore les entreprises à « sanctuariser » en début d’année un budget de communication interne proportionné à leurs ambitions et à leurs différents chantiers de transformation.

A cet égard, outre le faible degré de priorité relevé pour les sujets et enjeux de communication interne dans le cadre de son Observatoire de la communication 2018, l’association Place de la communication pointe aussi une baisse des investissements consacrés à tous les supports internes, qu’ils soient traditionnels ou numériques, par rapport à son édition 2016… Et s’interroge : « Dans un contexte où l’intelligence artificielle monte en puissance, où la définition de ce qu’est une entreprise (et le travail) se brouille et où la dernière valeur refuge se situe dans l’humain, ses savoir-faire et son savoir être, le désinvestissement dans la communication interne interpelle. Il paraît pour le moins risqué ».

Et le président de l’association, Vincent Colas, d’enfoncer le clou en pointant le rôle et la responsabilité des dircom et des communicants dans la sensibilisation de leur direction générale, sur ce sujet : « Il est de la responsabilité des communicants de mieux faire comprendre et apprécier ce qui devrait être un enjeu central, un élément de compétitivité et non une préoccupation périphérique […] C’est aux professionnels de la communication de faire comprendre et de promouvoir l’idée que la première responsabilité d’une organisation est de communiquer auprès (et surtout avec) ceux qui la constituent et la font avancer. »

CQFD : on ne saurait mieux exprimer le décalage encore flagrant des ambitions et des moyens alloués dans ce domaine.

2 – Défi du rythme, de la profusion et du sens : privilégier des contenus UTILES plutôt que continus et l’alternance de formats longs et courts ayant un véritable SENS au stakhanovisme éditorial…

Trop de contenus et d’informations aurait-il tendance à tuer l’information ? Dans le domaine de la communication interne comme pour la communication en général, l’infobésité et le « content shock » guettent, assurément. Et nombreux sont les collaborateurs interrogés par Bernard Gaudin à regretter des « communications trop nombreuses, qui nuisent à leur lisibilité ».

A cet égard, chacun a sans doute en tête l’image de ces intranets regorgeant d’informations, où l’on est passé, en l’espace de quelques années, de pages quasiment statiques rarement réactualisées à la mise en avant de dizaines de contenus faiblement hiérarchisés, malgré la présence de carrousels sensés « montrer l’essentiel »… Les verbatim relevés par Bernard Gaudin sont à ce sujet on ne peut plus explicites : « Sans hésiter, le nombre de communications que l’on reçoit : entre les communications du groupe, celle de la direction où l’on travaille et celles de mon département… Sans compter les newsletters des projets transverses, les trucs et astuces… Un vrai problème !!! » ; « Trop d’information tue l’information » ; « J’ai l’impression que les communicants de ma boîte sont évalués au nombre de messages qu’ils envoient ! Cela fait 10 ans que je travaille pour le même groupe, j’ai l’impression d’en recevoir plus chaque année… Je ne lis même plus. »

Et cette tendance, qui parlera évidemment à tous les communicants de grandes et moyennes entreprises qui disposent d’une communication interne structurée, est également relevée par Carole Thomas, dans un tout récent article des Cahiers de la communication interne de l’AFCI** intitulé « C’est comment qu’on freine ?« . Car associée à l’injonction de la vitesse, à la réactivité à tout crin et à la mode des formats courts, la production de contenus internes – comme celle de contenus externes parfois – frise désormais souvent le stakhanovisme éditorial.

Et la directrice de la communication et du marketing digital d’Immobilière 3F de poser d’emblée le débat dans les bons termes, en introduction d’un excellent texte : « A force de faire court, toujours plus court, de faire ‘continu’, nos messages deviennent cacophoniques, fatigants pour nos publics. Les équipes communication s’épuisent à produire des contenus dont il faudrait prendre le temps d’interroger la valeur ajoutée. Comment arrêter cette machine infernale que nous alimentons ? Et si nous décidions de sortir de cette situation schizophrénique en nous appropriant des formats longs, en pensant contenus « utiles » et en réaffirmant notre attachement au temps et à la qualité ? »

Là encore, CQFD. Et si Carole Thomas ne se veut pas dogmatique et reconnaît bien volontiers les vertus des formats courts (qui poussent à éliminer le « gras », à éviter le bavardage et à « angler » les sujets de façon plus serrée, en évitant au passage quelques niveaux de validation inutiles), c’est bien dans une alternance de formats courts et de formats longs qu’elle voit le salut, faisant écho à mon article de fin d’année sur les tendances 2019 du marketing et de la communication, dans lequel je saluais ce sursaut éditorial salvateur et ce retour à la raison. Et la dircom d’Immobilière 3F de saluer le magnifique exemple du film « SNCF au féminin », primé par le jury des Top com 2018 : un documentaire de 52 minutes qui suit la vie de sept femmes appartenant au réseau SNCF au féminin et montrant sans fard la réalité quotidienne de l’entreprise.

Projeté aux personnels de la SNCF dans des salles et lors de moments dédiés, tel qu’il a été tourné, c’est à dire sans filtre, sans coupe ni interviews de responsables ou d’experts pour venir édulcorer les propos des unes et des autres, ce reportage authentique a connu un large succès en interne, au point d’être aujourd’hui montré comme une fierté en externe, lors de présentations dans des entreprises de secteurs variés.

Sans aller nécessairement vers des formats aussi longs, pourtant très adaptés pour retrouver le temps de l’émotion, Carole Thomas en appelle aussi au bon sens de chacun.e et à la quête de sens, en préconisant de penser d’abord les contenus internes en termes d’utilité pour les salariés, plutôt que de vouloir alimenter à tout prix les différents canaux de communication et autres intranets. « Tels des ogres à avaler des contenus, les intranets nous poussent à publier une information à la moindre actualité corporate, qu’elle ait ou non un sens pour les collaborateurs et collaboratrices. Nous postons aussi ‘sous pression’ la news d’une équipe ou d’une direction souhaitant absolument ‘être visible en une’, tout en sachant qu’elle n’intéressera que celle-ci […] Autorisons-nous à produire moins pour produire mieux ! »

On ne peut que souscrire à ces conseils, quitte à faire la promotion en interne comme en externe d’un « slow content » ou d’une « slow communication » permettant de renouer avec la sérénité et de retrouver le chemin de la qualité et de l’utilité éditoriale, au détriment des « snacking contents » internes à faible valeur ajoutée.

3 – Défi du ton et du langage : oser une communication moins « langue de bois », une langue plus authentique et crédible s’affranchissant de la propagande corporate 

Parmi les commentaires relevés par Bernard Gaudin dans le cadre de son enquête sur la perception de la communication interne par les collaborateurs.trices, les plus nombreux concernent assurément le ton et le langage utilisés, jugés excessivement positifs et pour tout dire, presque propagandistes par moment…

Les verbatim illustrant ce biais sont on ne peut plus explicites : « La com’ interne a tendance à être ‘excessivement positive’, au point où elle en devient non crédible, proche de l’outil de propagande. Il faut une communication plus juste (abordant les bonnes ET les mauvaises informations, qui doivent être passées avec la même régularité et clarté auprès au staff). La communication positive est utile, mais le positivisme excessif est une faille dans laquelle il ne faut pas tomber ».

Et les salariés de pointer du doigt, sur la forme comme sur le fond, une communication interne souvent « ripolinée », ayant tendance à repeindre tout en rose, avec un décalage important entre les informations transmises et la réalité vécue par tout un chacun sur le terrain : « Le décalage avec la réalité, les obstacles rencontrés, fait que les employés perdent confiance dans cette communication qu’ils considèrent comme des voeux pieux plus que de réelles informations » ; « Il faudrait rendre la com’ interne moins ‘professionnelle’. Elle est aujourd’hui trop léchée, trop pesée, pas suffisamment naturelle » ; « Plus de sincérité et moins de corporate ; plus de transparence et moins de politique ! ».

Dans son article « C’est comment qu’on freine ? », décidément très lucide, Carole Thomas dépeint les mêmes travers : d’une part, le peu de goût des dirigeants et des communicant.e.s pour explorer ou expliciter les échecs, et ne pas faire uniquement la promotion de « ce qui marche » au sein de l’entreprise ; et d’autre part cet enjeu du langage et de la qualité d’écriture interne, qui mériteraient d’être améliorés d’urgence pour ne pas sombrer ad vitam dans la langue de bois.

Dixit la dircom d’Immobilière 3F :  » L’autre question à se poser concerne la qualité d’écriture au sens large. La volonté de tout ‘positiver’, inhérente à la communication interne, se traduit par un catalogue de titres, de formules et donc de contenus sans surprise, souvent plats, consommés sans plaisir par nos publics : ‘C’est parti pour…’ ; ‘Une initiative remarquable…’ ; ‘Toujours plus innovant…’ ; ‘Des résultats en progrès…’ ; ‘Des produits toujours plus performants…’, ‘Une entreprise socialement engagée…’, ‘Tous ensemble pour…’ Autant de propos le plus souvent éloignés de ce que vivent les équipes confrontées au quotidien aux guerres de silos et autres coupes budgétaires. »

On ne saurait dresser plus clairement le constat. Pour ce qui est remèdes, évidemment, le retour à de meilleures pratiques et à un langage plus authentique n’est pas si facile ! Il requiert à la fois de l’audace de la part des communicant.e.s et une volonté farouche de ne pas retomber dans les ornières de formes langagières désincarnées et éculées. Une réelle conviction, aussi, que les recettes de la communication de « papa » ne peuvent plus fonctionner à l’heure de l’hyper-information des publics internes et que le retour au « parler vrai » passe aussi par la valorisation de la parole sans filtre des collaborateurs.trices, chaque fois que cela est possible.

Un tel renversement nécessite évidemment le soutien des dirigeants – qui pourraient d’ailleurs montrer eux-mêmes l’exemple du parler vrai – en revenant plus régulièrement sur les raisons de tel ou tel échec, s’il y a lieu. Et pour s’assurer qu’on évite au maximum la langue de bois et qu’on chemine toujours vers le parler-vrai, je suggère aussi de passer tous les messages internes importants au filtre du petit « prisme de crédibilité » décrit ci-dessous…

4 – Défi de la pertinence et du lâcher prise : de l’importance de se reconnecter aux besoins des publics internes et de co-produire ensemble la communication du changement 

Au-delà de la langue de bois et du ton/du contenu excessivement positifs des communications, c’est aussi, en définitive, le calendrier et le choix des thématiques de com’ interne auxquels les collaborateurs et collaboratrices demandent à être davantage associés.

Car quels que soient les sujets abordés par cette communication interne encore bien trop descendante, ils.elles ont bien du mal à y reconnaître aujourd’hui leurs propres sujets d’intérêt : « J’ai souvent du mal à m’identifier au messages ‘top level’ que je reçois, je ne vois pas le reflet de ce que je vis au quotidien » ; « Il faudrait une communication interne plus proche, plus tournée vers les préoccupations des salariés » ; « Une communication plus ciblée en fonction du type de collaborateur » ; « Il faut trouver les vrais sujets d’intérêts pour les collaborateurs »…

Bref, si les thématiques et l’agenda de la com’ interne semblent encore trop souvent « à la main » des directions générales, il appartient en définitive aux communicant.e.s de se recentrer aussi sur les besoins de leurs publics, en identifiant les contenus les plus utiles aux différentes communautés qui constituent l’entreprise, quitte à les cibler et les « audiencer » encore davantage, mais aussi en lâchant davantage prise, et en co-produisant avec les collaborateurs.trices la communication du changement et de la transformation de l’entreprise.

Cela passe nécessairement par un repositionnement et une redéfinition du rôle des communicant.e.s internes, à qui il n’est plus demandé seulement d’être de parfaits connaisseurs de la culture d’entreprise et les seuls émetteurs.trices des contenus internes, mais des « générateurs de lien et de sens commun » ainsi que de véritables « coaches » du changement, experts des méthodes collaboratives et à même d’accompagner tous les émetteurs internes de l’entreprise (correspondant.e.s de communication interne, pilotes de communautés, directeurs.trices et responsables d’équipes, ambassadeurs-salariés de l’entreprise…) dans la production de leurs messages.

Nulle raison en effet que les évolutions et mutations observées quant au rôle des dircom et des communicant.e.s externes à l’ère numérique n’affectent pas à leur tour les communicant.e.s internes, dont la mission ne cessera d’être de plus en plus diversifiée et stratégique.

5 – Défi de la redéfinition du rôle et des missions des communicant.e.s internes : loin de disparaître, un métier de plus en plus « multifonctions » et stratégique… et des compétences vitales pour l’entreprise

Dans son mémoire passionnant sur les évolutions de la communication interne (voir ici mon article à ce sujet), Bernard Gaudin retrace avec talent l’histoire de cette fonction encore très jeune, dont les missions n’ont cessé de s’enrichir et de se complexifier au fil des décennies…

Après l’heure de gloire des purs journalistes d’entreprise, les professionnels de la communication interne ont rapidement gagné en responsabilités et en crédibilité au gré de l’évolution des besoins de l’entreprise, dont ils ont sont devenus les meilleurs experts du corps social et les accompagnateurs du changement. A la fois « chefs d’orchestre » des contenus internes, « sociologues » de leur propre organisation, mais aussi « ministres de la culture d’entreprise » et responsable des relations internes, on a dernièrement renforcé leurs prérogatives de « coaches du changement » dans le contexte des grands projets de transformation que j’évoquais en introduction.

L’émergence et le développement sans précédent en entreprise des approches et outils collaboratifs, mais également le net accent mis sur la mobilisation et l’engagement des salariés, dans le cadre des chantiers de transformation ou de démarches d’employee advocacy notamment, augmentent encore les attentes vis-à-vis des communicant.e.s internes, quand celles-ci/ceux-ci ne sont pas aussi engagés dans la gestion des différentes facettes (y compris externes) de la marque employeur.

Interconnecteurs et émulateurs de sens au sein de l’organisation, les communicant.e.s internes sont également (rappelons-le) les premiers dépositaires des valeurs de l’entreprise et parmi les meilleurs ambassadeurs internes de sa mission ou de sa raison d’être…

Avec ces multiples casquettes et face aux grands défis évoqués ci-dessus (amélioration des contenus et du sens, promotion du parler vrai, reconnexion aux attentes et aux centres d’intérêt des salariés…), les communicant.e.s internes sont à nouveau sommé.e.s de réinventer leur métier, de ré-éxaminer et de reprioriser leurs missions pour répondre aux nouvelles attentes de leurs dirigeants et de leurs publics.

Tout comme Bernard Gaudin, si je n’ai aucune certitude sur ce qui composera demain le référentiel de compétences du bon communicant interne, je suis néanmoins convaincu que l’avenir de la fonction réside d’abord dans sa dimension d’accompagnement et dans « l’ingénierie » des démarches collaboratives et de changement au sein de l’entreprise, ainsi que dans la création de lien et de sens au sein de l’entreprise, bien plus que dans le contrôle tatillon de canaux et de contenus internes qui ont vocation à être de plus en plus co-produits et co-gérés en mode user-content.

Avec leurs différents publics et communautés, il appartient donc aux communicants et communicantes d’entreprise de définir les nouvelles approches et nouveaux outils qui feront vraiment basculer l’organisation dans cette ère plus collaborative qui pourra seule garantir l’atteinte des ambitieux objectifs de transformation formulés ici et là, et la production de contenus plus proches des besoins des collaborateurs.trices. A ce titre, je vous renvoie encore une fois vers le brillant mémoire de Bernard Gaudin, qui donne des pistes plus qu’intéressantes à ce sujet.

 

 

 

Notes et légendes :

(1) 2ème édition de l’Observatoire de la Communication réalisée à l’automne 2018 par l’association Place de la communication, premier réseau de communicants au nord de Paris, avec pas moins de 450 adhérents (annonceurs privés et publics, agences et free-lances, écoles…) et dont l’objectif était de décrypter les nouvelles tendances et identifier les enjeux phares des métiers de la communication à l’aube de la nouvelle année à venir. 

(2) Dossier des Cahiers de la communication interne de l’AFCI n°41 de Décembre 2017 : « Communication interne : ce qui est en jeu »

(3) Mémoire professionnel de l’Executive Master Communication de Sciences Po de Bernard Gaudin, promotion Pierre Lévy – octobre 2015 : « Réinventer la communication interne à l’ère collaborative »

* L’AFCI est l’Association Française de référence en Communication Interne. Créée en 1989 et forte de 900 membres aujourd’hui, dont plus de 500 entreprises, elle propose à chacun.e un espace d’échange, de professionnalisation et de rencontres et est notamment éditrice des excellents Cahiers de la communication interne. L’association fêtera le 25 juin prochain ses 30 ans, et j’aurai sans doute l’occasion de vous en reparler.

** « C’est comment qu’on freine ? » par Carole Thomas, Directrice de la communication et du marketing digital d’Immobilière 3F, Les Cahiers de la communication interne de l’AFCI n°43 – Décembre 2018

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, The BrandNewsBlog 2019.

L’art de la dispute, ou comment libérer la parole en entreprise…

Il y a quelques mois de cela, pour celles et ceux d’entre vous qui s’en souviennent, j’appelais à « réinventer la communication interne à l’heure du collaboratif et de l’entreprise libérée », dans le cadre d’un article qui suscita l’enthousiasme et de nombreux commentaires¹.

Enumérant les grands défis qui se posent aux communicants d’entreprise (arrivée de nouvelles générations sur le marché du travail, porosité croissante entre audiences internes et externes, nouvelles attentes des salariés vis-à-vis de leur employeur), j’évoquais l’absolue nécessité de répondre à ces aspirations et aux enjeux de la transformation numérique des organisations en passant « de la com’ interne de papa » à une communication beaucoup plus authentique et collaborative…

Las, force est de constater que la route vers cet objectif est souvent semée d’obstacles, au sein même des entreprises. Et l’un des premiers d’entre eux – et pas le moindre – demeure assurément la difficulté à libérer la parole des collaborateurs, mais aussi celle des dirigeants et des managers, et à oser « parler vrai », préalables pourtant indispensables à toute dynamique collective.

Alors que les nouvelles générations de salariés, plus informées et exigeantes que jamais, n’ont jamais été aussi allergiques aux discours corporate aseptisés et ne cessent de réclamer davantage de proximité et de transparence de la part de leur employeur, l’omerta et la « langue de bois » font hélas toujours recette et continuent de prévaloir dans de nombreuses organisations, au grand dam de l’Afci (Association française de la communication interne), qui organisait d’ailleurs récemment un colloque à ce sujet².

Pointant la frilosité de dirigeants souvent plus soucieux d’aseptiser leurs messages et d’éviter les échanges plutôt que de rechercher la contradiction et le débat, les intervenants de ce colloque ne manquèrent pas de souligner que cette « difficulté à communiquer le réel en entreprise » s’étend aussi, par contagion, aux collaborateurs eux-mêmes, qui préfèrent souvent taire les problèmes et ne pas remonter les alertes plutôt que d’affronter la réaction imprévisible de leur hiérarchie…

A l’heure où les organisations sont engagées, pour la plupart d’entre elles, dans des cycles de plus en plus rapprochés de transformation et de changements, qui impactent tout ou partie de leurs process et de leurs équipes, il est pourtant tout à fait ESSENTIEL et URGENT de surmonter ces inerties et de libérer la parole au sein des entreprises. Il en va tout simplement de leur capacité collective à pouvoir surmonter les crises et à innover, dans des contextes de plus en plus incertains.

Pour sortir de cette impasse et stimuler des « frictions créatives » génératrices d’innovation au sein de ce corps social complexe qu’est l’entreprise, pourquoi ne pas réhabiliter cet art si noble de la « dispute »inspiré de la dialectique d’Aristote ?

C’est l’idée – tout à fait pertinente et brillante à mon avis – de Benedikt Benenati, que celui-ci a notamment pu mettre en œuvre au sein du groupe Kingfisher et dont il résumait les principes dans un article récent des Cahiers de la communication interne³. Je ne pouvais manquer d’y faire écho, via le BrandNewsBlog, en vous livrant en guise de synthèse mes « 8 recommandations pour libérer la parole en entreprise »…

De l’art si noble de la dispute…

Ex directeur de la communication interne de Danone, puis du groupe Kingfisher, avant d’être nommé directeur de la transformation numérique de Renault, Benedikt Benenati est le fondateur de l’agence Only The Braves et Secrétaire général de l’Afci. Autant dire qu’il maîtrise aussi bien les problématiques de transformation que les nouveaux enjeux de la communication d’entreprise que j’énumérais ci-dessus…

Pour répondre aux enjeux de transformation de son employeur, le Groupe Kingfisher, et en mobiliser les 250 dirigeants dans le cadre d’une approche collaborative à l’occasion d’un de leurs séminaires annuels, le dircom’ interne de ce leader européen du bricolage a eu l’idée de s’intéresser à l’art ancestral de la « dispute », dont la pratique s’est progressivement perdue au fil des siècles.

Aujourd’hui complètement détournée de son esprit originel, assimilée au registre des différends conjugaux ou bien à celui des clashes médiatiques et autres punchlines balancées lors des débats télévisés, la dispute avait en effet une toute autre signification au XIIIème siècle et ne comportait en rien la connotation négative qu’on lui connaît aujourd’hui.

« C’était, nous dit Benedikt Benenati, une activité tout à fait honorable réservée aux esprits les plus brillants. Dans les universités qui se développaient alors, les professeurs organisaient des ‘disputatio’ en demandant aux étudiants d’apporter des arguments – les ‘pro’ et les ‘contra’ – pour traiter des thèmes importants ». Inspirée de la dialectique d’Aristote, cette méthode d’enseignement avait pour unique but la recherche de la vérité et ne souffrait ni la polémique ni les querelles d’ego, le maître étant placé au centre et garant de l’esprit de co-construction et de la qualité des échanges. Il lui revenait d’ailleurs, ajoute Benedikt Benenati, la lourde de tache de formuler une determinatio, c’est à dire la synthèse des débats en fin de disputatio, sans que cette synthèse ne soit nullement gravée dans le marbre pour autant, car ici le but n’est pas tant de déterminer un vainqueur ou de tirer des enseignements définitifs que de progresser dans la voie de la vérité et de s’améliorer…

Et le secrétaire général de l’Afci de citer sur ce point le moraliste Joseph Joubert, disciple et secrétaire de Diderot : « Il vaut mieux débattre d’une question sans la régler que de la régler sans avoir débattu ».

A cet égard, Benedikt Benenati ne manque pas de distinguer à juste titre l’art de la dispute de celui de la « rhétorique », dont la pratique apparaît à partir du 16ème siècle et dont le but affiché est bien, a contrario, de convaincre intellectuellement et de persuader l’adversaire, voire de l’emporter sur lui aux yeux du public en le ridiculisant ou en le discréditant, en mobilisant toutes les ressources oratoires chères à Cyceron…

On le voit en effet : entre la dispute qui élève et co-construit au travers d’une argumentation contradictoire et la rhétorique qui détruit en remplaçant l’art de la dispute par celui de la démonstration et de la persuasion, il ne saurait y avoir conception du débat plus opposées… Et on ne peut que regretter que la seconde l’ait emporté sur la première il y a 4 siècles et continue aujourd’hui de lui tenir la dragée haute sur les plateaux de télévision (et jusque dans les nouvelles épreuves orales du baccalauréat ?).

… Et de l’intérêt évident de réhabiliter la dispute pour libérer la parole des collaborateurs… et de leurs managers

Après avoir lu la partie qui précède, vous l’aurez évidemment compris : dans une logique collaborative et des approches de co-construction, comme celles que les entreprises s’ingénient désormais à mettre en place en leur sein dans le cadre de leur transformation, organiser de véritables « disputes », selon des modalités précises et fidèles à l’esprit originel de la disputatio, peut revêtir moult avantages…

Et le premier d’entre eux (et non le moindre) est bien de permettre la libération de la parole des collaborateurs en garantissant à chacun, les pro et les contra, une véritable égalité de traitement quels que soit leurs arguments, ainsi qu’une vraie liberté de parole.

Les bénéfices d’un tel exercice pour les organisations, me direz-vous ? Ils sont là aussi multiples. Car si « l’entreprise n’est pas un espace démocratique », comme le rappelle à juste titre Benedikt Benenati et « qu’elle demeure avant tout un lieu de décision avec des jeux de pouvoir et de subordination« , le déroulement de telles disputes, dans des périodes de grande transformation et d’anxiété, a le grand mérite de permettre l’expression « sans filtre » des espoirs et des incertitudes des collaborateurs et des managers.

Outre le fruit de l’intelligence et de la réflexion collective, qu’il est possible de recueillir durant de telles démarches, la vertu performative de telles « disputes » est en effet de s’affranchir résolument des effets délétères du silence et de la langue de bois, en instaurant un « parler vrai », facteur de confiance et d’engagement de la part de tous les collaborateurs.

Chez Kingfisher, le résultat de cette réflexion et de la démarche de Benedikt Benenati s’est concrétisé par l’organisation de « Real Conversation Rounds » à l’occasion du séminaire de dirigeants que j’évoquais ci-dessus, durant lequels les participants ont eu la possibilité, par petites équipes, de débattre en toute franchise sur des thématiques qu’ils avaient préalablement choisies, après que les dirigeants de l’entreprise aient eux-mêmes débattu de ces sujets de manière contradictoire devant toute l’assemblée.

Sous d’autres formes, des entreprises réputées pour leur maturité en terme de dialogue social, comme Danone, EDF-GDF ou Leroy-Merlin ont également adopté des démarches ouvertes et similaires, allant jusqu’à instituer des temps de débat permanent sur l’organisation de leur entreprise ou le devenir de leurs métiers notamment…

La dispute comme nouveau levier collaboratif… et les écueils à éviter

Pour Benedikt Benenati, on l’aura compris, la dispute est un levier intéressant voire unique en son genre pour générer un environnement collaboratif. Et tout manager devrait pouvoir « décider de s’en servir pour traiter des problèmes, impliquer, mobiliser, motiver ses équipes et les emmener dans une dimension où l’écoute et le dialogue non polémique sont le reflet d’une conviction sincère ».

Sous réserve de vouloir sortir enfin de l’évitement consensuel, du consensus mou et de la torpeur dans laquelle se retrouvent trop souvent les collaborateurs des entreprises, l’esprit de dispute peut également permettre, en effet, « d’appréhender des contradictions et conflits d’intérêts qui se manifestent dans la construction des opinions », comme le souligne Jean-Marie Charpentier, rédacteur en chef des Cahiers de la communication interne, et de gérer le chaos que représentent nécessairement les périodes d’incertitude et de changement.

Encore faut-il que l’entreprise autorise de tels champs d’expression et ne cherche pas, in fine, à détourner la parole des salariés à son avantage pour mieux l’édulcorer ou la « museler » : deux écueils dans lesquels tombent hélas trop souvent les organisations.

Sous couvert de libération de la parole, Jean-Marie Charpentier a ainsi démontré, dans un travail de recherche intitulé « Le débat en entreprise : communication et participation directe des salariés », comment certaines organisations étaient passées maîtres dans la manipulation du débat et l’organisation de consultations tronquées ou orientées et autres démarches participatives « bidon », dont l’objet est davantage de « faire parler pour faire taire » que de laisser libre champ à l’expression des salariés.

Débats posés dans les mauvais termes, restitutions soigneusement édulcorées et vidées de tout leur contenu critique pour servir la vision monolithique des dirigeants et réduire le questionnement collectif à des divergences imaginaires ou anecdotiques… Les serviteurs zélés de la langue de bois et de ce désespérant « esperanto corporate » qui continue d’envahir trop de supports de communication interne sont hélas nombreux et plein de ressources !

De l’art de la dispute : mes 8 recommandations pour libérer enfin la parole en entreprise…

En guise synthèse, à partir de l’article de Benedikt Benenati et des préconisations de l’Afci, mais également de mon expérience et mes recherches personnelles sur les conditions d’une véritable écoute en entreprise, je vous propose l’infographie ci-dessous, qui vous aidera ressusciter au sein de votre entreprise, en tout cas je l’espère, cet art délicat et fragile de la disputatio.

Comme toujours, au-delà du soin à apporter aux facteurs environnementaux, pour créer un espace et un temps propices au débat, la réussite de bonnes disputes repose avant tout sur l’état d’esprit de celles et ceux qui les organisent et des participants. Car il en faut assurément, de la motivation et de la conviction, pour éviter que la disputatio ne retombe rapidement dans l’évitement consensuel, les postures convenues ou l’affrontement stérile de ces « gladiateurs corporate » où c’est finalement « la plus grande gueule » qui l’emporte, au détriment du parler vrai et de l’expression de la richesse des opinions !

Notes et légendes :

 

(1) « Et si on passait de la com’ interne de papa à la communication collaborative ? », article du BrandNewsBlog, 25 juin 2017 

(2) Demi-journée Grand Angle « Tuer la langue de bois » organisée à Paris le 24 novembre 2017 par l’Afci (Association française de la communication interne) 

(3) « Le retour de la dispute pour sortir du chaos », par Benedikt Benenati – Cahiers de la communication interne n°41, Décembre 2017

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, The BrandNewsBlog, X, DR.