Marques et RSE : 4 conseils pour être vraiment audibles (et crédibles)

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Dans un billet que vous avez pu lire sur le BrandNewsBlog il y a quelques mois¹, je m’appuyais sur les résultats de plusieurs études pour souligner combien la Responsabilité Sociale des Entreprises est devenue un sujet important pour les consommateurs.

A l’aune d’une enquête menée aux Etats-Unis par l’institut Lab42², je soulignais ainsi « qu’acheter à une marque socialement responsable » figurait désormais parmi les 5 premiers critères d’achat outre-Atlantique. Et que 84% des personnes interrogées se disaient prêtes à payer davantage pour un service ou un bien délivré par une entreprise « socialement responsable ».

S’il en était besoin, une autre étude (menée par Havas Media en l’occurrence³) rappelait il y a quelques temps un avantage supplémentaire pour les marques de s’intéresser à la RSE. Sur la base d’un large échantillon d’entreprises analysées, il y était démontré que celles qui avaient placé au coeur de leur mission l’amélioration du bien-être et de la qualité de vie surperformaient leur marché de 120% en termes de résultats boursiers. Et pourquoi cela, me direz-vous ? Toutes les recherches qui ont pu être menées sur le sujet tirent la même conclusion : les pratiques socialement et écologiquement responsables déployées ont tendance à améliorer directement la réputation de l’entreprise et l’image de ses marques, ce qui contribue à rassurer les investisseurs et à sécuriser ses ressources financières.

De fait, pour ces bonnes raisons (prise en compte des attentes consommateurs + amélioration de la réputation corporate et de l’image) et d’autres (baisse des coûts de production par l’optimisation de leurs process, etc), nombreuses sont les entreprises qui ont compris depuis un moment l’intérêt d’investir dans les démarche RSE, au-delà de leurs exigences légales en la matière.

Mais comment intégrer la RSE dans la gestion et la promotion de ses marques ? Quelle communication et quel discours tenir, pour demeurer à la fois audible et crédible ?

On le sait, les consommateurs ont de moins en moins confiance dans les discours corporate des entreprises. Et tout ce qui peut ressembler, de près ou de loin, à du greenwashing (récupération/détournement du discours social ou écologique à des fins marketing) leur donne des boutons. A cet égard, le risque réputationnel n’en est que plus grand quand la marque prétendument vertueuse est prise en défaut sur ces thématiques…

Pour autant, comme le démontraient avec talent les quelques experts sollicités récemment à ce sujet par la Revue des marques*, les bonnes pratiques en matière de communication RSE existent. Et un certain nombre de marques sont aujourd’hui plébiscitées comme socialement responsables et reconnues comme parfaitement légitimes dans leurs « prises de parole RSE ». Elles respectent toutes les 4 grands fondamentaux que je vous propose de découvrir ci-dessous…

>> 1 – Rester simple et sincère sur le fond

C’est la première « loi » énoncée par Elisabeth Albertini et Fabienne Berger-Rémy dans leur excellent article introductif de la Revue des marques. Et cette sincérité indispensable découle évidemment de deux préalables, rappelés dans un autre article par Patrick d’Humières* : a) Au-delà des campagnes et messages ponctuels de la marque, l’entreprise elle-même doit être engagée dans des démarches de responsabilité en profondeur, construites et communiquées dans la durée ; b) Afin d’éviter tout « trou dans la raquette » de la RSE et que les messages de la marque ne soient facilement retournés contre elle, il est également indispensable que cette démarche RSE soit cohérente et globale (depuis le sourcing des matières entrant dans la production jusqu’à la maîtrise du bon usage des produits par les clients).

Pour avoir négligé ce dernier point, la marque Dove, qui se mobilise depuis 2008 sur les questions d’image de soi, de boulimie et d’anorexie, fut victime à l’époque d’un sévère retour de bâton… Greenpeace profita de son engagement et de l’écho donné à la première campagne Dove sur ces sujets pour interpeller la marque sur son recours massif à de l’huile de palme non certifiée, facteur de déforestation des forêts primaires d’Amazonie (voir la vidéo ci-dessous).

 

Cet exemple et celui de nombreuses autres marques, comme Starbucks (bien connue pour son engagement sociétal et environnemental, mais qui fut récemment attaquée en Angleterre pour sa politique « d’optimisation fiscale ») en offrent de parfaites illustrations : l’absolue sincérité d’une démarche RSE, son exhaustivité et la maîtrise des zones éventuellement à risques constituent des pré-requis incontournables avant toute communication.

Autre critère important, la simplicité. Tous les experts consultés sur ce point sont formels : il ne s’agit pas de communiquer de manière désordonnée sur le catalogue des actions entreprises en matière sociale et environnementale par l’entreprise. On ne saurait l’exprimer de manière plus concise et claire qu’Elisabeth Albertini et Fabienne Berger-Rémy  :

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Et en la matière, le véritable défi pour les marques consiste bien à distinguer parmi tous les enjeux RSE ceux qui font vraiment résonance avec la marque et sur lesquelles elle est crédible et légitime. Les consommateurs n’en attendent pas moins… et pas plus. 85% d’entre eux affirment en effet qu’ils sont « à l’aise avec le fait qu’une entreprise ne soit pas parfaite, du moment qu’elle est honnête à propos de ses efforts » (Global CSR Study 2013, Cone Communications/Echo).

Mais sur ce chemin de la simplicité, comme le rappelle avec justesse Thomas Busuttil*, un premier obstacle à surmonter pour les marketers et communicants semble résider dans « la richesse, la complexité et la transversalité même du concept de RSE », qui paraissent aller « à l’encontre de la règle n°1 du marketing sur la ‘promesse unique’ d’une marque prolongée et sur l’unité du message qui garantit l’impact et la mémorisation d’une campagne ». Il est donc d’autant plus délicat, mais essentiel, d’identifier les enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux les plus importants et les plus pertinents pour une marque, ses produits et ses activités.

Si la chose est plus facile quand la RSE fait partie du concept fondateur et de l’identité de la marque, comme ce fut le cas pour les marques Innocent, Ben&Jerry’s ou Body Shop par exemple, des marques plus anciennes et pas forcément « vertes » à l’origine y arrivent également avec succès.

C’est par exemple le cas d’Adia, entreprise de travail temporaire, qui est à la fois crédible et légitime quand elle interpelle le grand public sur les stéréotypes à l’embauche (voir quelques visuels d’une de ses campagnes ci-dessous). C’est évidemment le cas, également, pour des groupes agro-alimentaires tels que Danone ou Fleury Michon, quand le premier choisit comme mission «d’apporter la santé par la nutrition au plus grand nombre », et le second «d’aider les Hommes à manger mieux chaque jour ». Des objectifs largement relayés par leur communication et qui font naturellement écho avec le métier et la vocation première de ces marques.

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>> 2 – Etre audacieux sur la forme

Est-ce justement le fait que les enjeux paraissent si denses, complexes et transversaux (donc peu compatibles avec le dogme de « l’Unique Selling Proposition ») ? Ou bien cela est-il lié à la dimension potentiellement culpabilisante et moralisatrice du développement durable (il faut moins consommer…) ? Voire à son côté passéiste ? Toujours est-il que beaucoup de marketers et de communicants avouent avoir du mal avec la RSE. Un sujet qu’ils trouvent le plus souvent austère et anti-créatif, à l’opposé de leur ambition de singulariser la marque et de la différencier de ses concurrentes.

Résultat : les messages et formats concoctés par les communicants au sujet de la RSE s’en ressentent nettement, comme le soulignent Elisabeth Albertini et Fabienne Berger-Rémy. Car « dès qu’il s’agit de RSE, c’est un peu comme si les communicants avaient oublié les bonnes vieilles règles d’une communication efficace : un message simple, clair, direct, de l’humour – voire de la provocation (cf la campagne Adia ci-dessus) -, de l’agrément, et des preuves de ce que l’on raconte ».

Victimes de cette grande amnésie, la plupart des campagnes s’enlisent dans un langage administratif et complexe, un ton moralisateur et des iconographies banales et ennuyeuses, tandis que la fourniture des preuves est repoussée à plus tard… Assurément pas le meilleur moyen d’intéresser les différents publics de l’entreprise, ni de susciter désirabilité et attractivité par la RSE.

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Pour identifier « les pépites de la RSE qui vont enrichir la désidérabilité de la marque » ; pour intégrer et valoriser les actions RSE les plus pertinentes dans une communication efficace, Fanny Picard et Olivier Classiot recommandent aux entreprises de sensibiliser et intéresser les marketers et communicants à la RSE. Car c’est un fait : alors que les démarches de responsabilité sociale impliquent de plus en plus d’équipes différentes : QSE, industrielles, logistiques ou achats notamment, les « marketers ont été concernés plus tardivement et partiellement, en particulier sur les questions de communication responsable ou de packaging ».

Rarement formés à ces sujets dans leurs écoles ou universités, ils/elles n’ont pas forcément identifié la RSE comme un levier d’opportunités business au service de la marque. Ils/elles ont également une connaissance assez floue des impacts RSE qu’ils génèrent et manquent de repère… Or l’émergence de concepts tels que la CSV (Creating Shared Value, formalisée par Michael Porter) permet aujourd’hui de sortir des visions défensives de la RSE et placent les équipes marketing en première ligne pour construire un discours susceptible de toucher et engager les consommateurs et de générer du business. A ce titre, la mise en avant d’une notion de « responsabilité élargie », qui remet les marketers et communicants au centre d’un écosystème intégrant la totalité du cycle d’activités et qui leur permet de prendre conscience de leur rôle et de leur impact, peut être intéressante dans le cadre de sensibilisations / formations à mener par les experts RSE internes ou par des intervenants externes.

Au-delà de ce premier niveau d’accompagnement des équipes com’ et marketing, il peut être intéressant d’identifier avec eux quels sont les points saillants de la politique RSE de l’entreprise, et comment les rendre tangibles pour les publics externes. Si on n’attend pas (et on attendra jamais) des marketers qu’ils deviennent des experts des questions les plus techniques de la RSE, il est déterminant, pour qu’ils puissent rendre ces sujets un tant soit peu intéressants, de les pousser à se poser les bonnes questions et à s’approprier les enjeux, dans leurs recommandations et dans leurs briefs notamment.

Facteur d’efficacité dans les communications, l’appropriation par les marketers des démarches et enjeux de la RSE est aussi un cercle vertueux. Dans les entreprises, on trouve souvent des niveaux de maturité très disparates sur ces questions… Tandis que certains professionnels en sont restés à une approche purement « extérieure » et administrative, d’autres ont bien identifié l’importance de ces sujets dans le renforcement de l’image et de la réputation de la marque et sont eux même ambassadeurs et porteurs d’innovation dans ces domaines. Le défi réside donc en partie dans la mobilisation des plus sceptiques, pour créer une véritable dynamique autour la RSE.

>> 3 – Toujours s’intéresser aux bénéfices pour le consommateur et pour les autres parties prenantes

Au-delà du choix des meilleures techniques de communication et des médias les plus appropriés pour toucher et impliquer un maximum de consommateurs, il s’agit d’intégrer réellement les différentes parties prenantes dans l’élaboration des actions et des messages RSE de l’entreprise. Il s’agit aussi et surtout de répondre aux attentes de ces publics, en se concentrant sur les idées et initiatives les plus simples et les plus concrètes.

Comme le rappellent fort à propos Elisabeth Albertini et Fabienne Berger-Rémy, « les études le montrent, les consommateurs ont des attentes sensées et raisonnables en matière de RSE. Ils ne s’attendent pas à ce que les entreprises sauvent la planète, ils demandent juste des mesures de bon sens, qui profitent à tous. »

En ce sens, les mesures et initiatives visant à faciliter la vie des consommateurs, à faire baisser les prix, lutter contre l’obsolescence programmée et le gaspillage… sont souvent les mieux perçues par les différents publics. Elles contribuent de manière directe au développement durable, tout en étant aisément compréhensibles et appropriables par chacun.

La récupération des sacs plastique et des cartons par E. Leclerc, la conception par Ikea de paquets plats, à la fois plus rentables pour l’entreprise en termes de gestion des stocks, plus faciles à transporter et plus écologiques (car ils diminuent les volumes transportés ) en sont de bonnes illustrations. La campagne bien vue et pleine d’humour d’Intermarché, pour réhabiliter les « fruits et légumes moches », c’est à dire non calibrés et moins chers, illustre également le même souci et a été plébiscitée par les consommateurs (et largement relayée par les médias).

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>> 4 – Cachez cette responsabilité que je ne saurais voir : ne parler de RSE sous aucun prétexte !

C’est un phénomène connu, dont l’ampleur semble s’accentuer chaque année  : les citoyens et consommateurs ont de moins en moins confiance dans leurs institutions, quelles qu’elles soient. Gouvernements, partis politiques et syndicats, médias… toutes les formes d’autorité « traditionnelles » sont considérées avec une défiance croissante. Et les entreprises ne font pas exception. Encore moins quand elles s’aventurent à traiter de sujet sociétaux ou environnementaux, bien sûr.

Guillaume de Vesvrotte le rappelle, en préambule d’un très bon article : aujourd’hui, 29% seulement des consommateurs français accordent du crédit au discours des entreprises, alors qu’ils étaient 69% en 2004 (!).

L’assimilation de toute démarche et toute communication RSE, quelle qu’elle soit, à du greenwashing (= détournement des sujets sociétaux et environnementaux à des fins mercantiles et « cosmétiques ») est quasi-systématique, en particulier en France, où l’opinion publique est volontiers jusqu’au-boutiste dans la déconstruction du discours des marques (toujours à leurs désavantage, cela va sans dire). Comme si reconnaître la sincérité d’une démarche et les efforts d’une entreprise en matière de RSE était inconcevable, dans l’hexagone en tout cas.

Toujours créatifs quand il d’agit d’épingler (avec humour et ironie) les comportements « déviants » de nos entreprises, ce n’est sans doute pas un hasard si c’est dans notre pays (et par trois ONG attachées à la défense de l’environnement et des droits sociaux) qu’ont été créés les « prix Pinocchio ». Chaque année, ils sanctionnent les entreprises dont les comportements contredisent les discours vertueux, comme ArevaAuchan ou Veolia, lauréats pour 2013.

C’est sans doute la raison pour laquelle Elisabeth Albertini et Fabienne Berger-Rémy n’hésitent pas à recommander de ne pas utiliser le jargon trop institutionnel et connoté de « RSE » pour estampiller les démarches sociales et environnementales des marques. « Le mot lui-même et tous ses corollaires (développement durable, écologie…) drainent immanquablement pour le consommateur des relents de langue de bois et provoquent de facto une forme de défiance ».

Cachez cette RSE que les publics ne sauraient voir, et faites donc comme Ikea ou Intermarché : de la RSE, comme Monsieur Jourdain fait de la prose. C’est à dire des actions concrètes, répondant aux attentes des consommateurs et à de véritables enjeux, tout en étant parfaitement cohérentes avec l’identité de la marque. Cette RSE « low-profile » et qui ne se dit pas en tant que telle, sera assurément plus efficace que les grands effets de manche et d’affichage… Tout le contraire du greenwashing, en somme !

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Notes et légendes :

(1) « L’heure de la RSE a-t-elle enfin sonné pour les marques ? » (Le BrandNewsBlog, 30 octobre 2014) 

(2) Etude « How do Consumers perceive Social Corporate Responsibility », réalisée par l’institut Lab42 auprès de plusieurs centaines de consommateurs américains et publiée au mois d’octobre 2014 

(3) Etude « Meaningful brands » menée en 2013 par Havas Media

 

* A se procurer d’urgence car passionnant >> Revue des marques n°89, Dossier « Marques & RSE » – Janvier 2015, avec notamment les articles suivants sur lesquels s’appuie ce billet :

> « RSE et marques : mariage contre nature ou mariage de raison ? » par Elisabeth Albertini et Fabienne Berger-Rémy, Maîtres de conférence, membres de la Chaire Marques & Valeurs de l’IAE de Paris

> « Marques et RSE, définitivement Lost in translation ? », par Thomas Busuttil, Founder and Managing Director Imagin’able

> « RSE, marketing et création de valeur partagée », interview de Fanny Picard (Consultante Des enjeux et des hommes) et Olivier Classiot (Directeur associé en charge de la practice Responsible Marketing & Brands’ engagement)

> « Pour une communication ouverte et co-construite » par Guillaume de Vesvrotte, Directeur conseil de Sidièse

> « Les marques seront durables ou ne seront pas ! » par Patrick d’Humières, Président de l’institut RSE management et directeur du programme exécutif entreprise durable de l’Ecole centrale de Paris.

 

Crédits photos et infographie : 123RF, Revue des marques, X, DR

Pourquoi les dirigeants ont intérêt à devenir les premiers brand managers de leur entreprise

Que les chefs d’entreprise qui auraient encore des doutes à ce sujet se procurent d’urgence l’avant-dernier numéro de la Revue des marques... Ils y découvriront toutes les raisons d’investir de leur temps dans le brand management. Une discipline aussi capitale pour l’entreprise que la gestion de ses autres actifs stratégiques.

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Dans deux articles aussi brillants que complémentaires, la spécialiste des marques Fabienne Berger-Rémy* d’une part, et l’experte en propriété intellectuelle Sandrine Vimes** d’autre part, donnent tous les arguments pour convaincre les patrons les plus réticents de s’intéresser de près à leur(s) marque(s). Et d’en décloisonner le pilotage, pour le plus grand bénéfice de toutes les parties prenantes.

En fervent partisan de cette approche transversale et stratégique du branding, je vous livre ci-dessous une synthèse « maison » : soit les 6 raisons pour un dirigeant de devenir le premier manager de la marque au sein de son entreprise…

1/ …Parce que la marque est un actif immatériel dont la valeur s’intègre au bilan de l’entreprise

Comme le rappelle Sandrine Vimes, en plus de ses fonctions premières d’identification des produits, de garantie et de différenciation par rapport à la concurrence, la marque constitue à la fois un « titre de propriété » et un des actifs majeurs du patrimoine de l’entreprise. A ce titre, elle revêt une valeur financière et capitalistique incontestable et mesurable (= brand equity). Celle-ci intègre aussi bien les investissements publicitaires et promotionnels de l’entreprise que son impact sur ses marchés en termes de reconnaissance, de notoriété ou d’image.

En premier lieu, il appartient donc au chef d’entreprise de mettre tout en œuvre pour sécuriser cet actif (et l’avenir de son entreprise) en supervisant et surveillant sa/ses marque(s) et en étant le garant de leur protection au plan juridique. Pour ce faire, Sandrine Vimes conseille vivement à tout dirigeant de se former « notamment à la gestion des actifs patrimoniaux que sont les marques, à la richesse de la boîte à outils qu’est la propriété industrielle et au regard des actions et stratégies à mener ». En d’autres termes : savoir relever ses manches et « mettre les mains dans le camboui de la marque et du branding », pour commencer.

Branding Concept. Button on Modern Computer Keyboard with Word Partners on It.

2/ …Parce que la marque est une affaire bien trop sérieuse (et transversale) pour être confiée uniquement à des marketeurs

Fabienne Berger-Rémy en parlait déjà en 2013, dans l’excellent ouvrage collectif Management transversal de la marque*** : pour des raisons historiques et du fait de leurs missions en lien avec l’offre marquée et avec les consommateurs, les équipes marketing ont d’abord réalisé une véritable « OPA » sur les questions de branding. Rendues de plus en plus techniques, les problématiques de marque sont ainsi devenues (et longtemps restées) le domaine réservé d’experts, en général rattachés aux directions marketing et éloignés des centres de décision : les fameux « brand managers »…  Une exclusivité aujourd’hui largement dépassée, du fait de la nouvelle dimension prise par la marque. Passée du statut de garantie à celui «d’objet social porteur de sens», la marque est désormais l’affaire de tous. Des équipes commerciales et autres services de relations client aux départements R&D et logistique, en passant par les départements communication, juridique, RH… la marque est également fortement influencée en externe par ses différentes parties prenantes (distributeurs, partenaires et prestataires, prescripteurs, consommateurs…).

Dès lors, qui de mieux placés que les dirigeants pour gérer cette nouvelle complexité et disposer de la vision la plus transversale de la marque ? Quand certains continuent de plaider pour une gestion « en silos » de la marque, articulant (souvent laborieusement) marque commerciale, marque corporate et marque employeur, le P-DG dispose de la plus grande légitimité pour coordonner l’action et les grandes orientations en matière de brand management.

3/ …Parce que la marque est un guide pour l’action et un filtre pour l’innovation

Dotée de ses nouveaux « super-pouvoirs », la marque dépasse largement le cadre du marketing car « elle inspire et cadre l’innovation, elle inscrit l’entreprise dans un temps plus long, elle unifie les actions en donnant du sens et enfin, elle peut avoir un effet positif sur la motivation et ‘l’empowerment’ des collaborateurs ». Véritable rempart contre le court-termisme, facteur de pérennité commerciale et de réassurance en interne, la marque peut guider l’action des dirigeants, que ce soit en termes de décision ou de mise en oeuvre des plans d’action.

Ainsi, en étudiant telle ou telle option stratégique à l’aune de l’identité de la marque (son « ADN »), le dirigeant peut-il choisir plus facilement de mener une action ou de l’abandonner. De la même façon, comme le montre Fabienne Berger-Rémy, l’identité de la marque peut encadrer et guider un grand nombre d’actions ou d’opérations du quotidien, comme les modalités de réponse téléphonique des différents services de l’entreprise ou le choix des canaux les plus appropriés pour toucher une cible ou l’engager plus étroitement.

De même, utilisée très en amont comme un « filtre d’innovation », l’identité de la marque peut servir comme source d’inspiration pour de nouvelles idées ou au contraire comme un facteur de tri, suivant que l’idée « est » ou « n’est pas » conforme à l’esprit de la marque. Pratiquant un peu le branding comme Monsieur Jourdain l’art de la prose, on se souviendra comment Steve Jobs choisissait ou écartait une idée, en utilisant justement cette connaissance intime de l’identité d’Apple, cette marque dont il était devenu peu à peu l’incarnation.

4/ …Parce que la marque est un outil de différenciation et un excellent levier de mobilisation des collaborateurs

Guide pour l’action, filtre en matière d’innovation, outil de différenciation sur un marché, la marque constitue également en interne un levier de management et de motivation des collaborateurs, ajoute encore Fabiennne Berger-Rémy. « A l’ère des réseaux sociaux, de la désintermédiation et de la circulation rapide de l’information, il devient en effet illusoire de maintenir une frontière stricte entre l’interne et l’externe« , et, de facto, les collaborateurs sont tous concernés par la marque, qui constitue un vecteur efficace d’identité et de mobilisation.

Toutes les études récentes le confirment, en effet : « les collaborateurs considèrent que la marque donne du sens à leur travail, qu’elle favorise la cohésion et le sentiment d’appartenance à un groupe, qu’elle procure un sentiment de sécurité et enfin qu’elle leur apporte de la reconnaissance, dans le sens où ils se sentent valorisés par le succès de leur marque. »

… Autant de facteurs de mobilisation dont les dirigeants auraient bien tort de se priver pour asseoir leur vision stratégique et emmener derrière eux un maximum « d’ambassadeurs de marque », prêts à porter la bonne parole bien au-delà du périmètre de l’entreprise. C’est ce qu’ont bien compris des chefs d’entreprise avertis en matière de branding, comme Franck Riboud de Danone, qui accordent une importance cruciale au management de la marque, conjointement à celui des ressources humaines.

5/ …Parce que le pilotage de la marque est éminemment stratégique et qu’il exige un oeil expert

Stratégie mono-marque ou multimarque, branding et positionnement des différentes offres, lancement de marque, extension, rebranding ou repositionnement, gestion stratégique du « portefeuille » de marques… le périmètre des actions et décisions relevant du branding est particulièrement vaste.

S’agissant de questions et de problématiques aux incidences financières, commerciales et stratégiques importantes, il est évidemment primordial que les décisions soient prises, en connaissance de cause, au plus haut niveau de l’entreprise. Exemplaires sont à ce titre l’investissement et la maturité sur les questions de branding de certains chefs d’entreprise ou de groupes. J’évoquais encore récemment dans cet article comment le développement du groupe Kering dans l’univers du luxe a été porté par la vision et l’autocritique poussée de François Henri-Pinault sur son portefeuille de marques… et sur la valeur qu’un groupe international de ce secteur peut et doit apporter à chacune des marques qui le composent.

La série de décisions prises pour réorienter profondément l’activité du groupe Kering résulte en effet d’une analyse sans concession de ses forces et faiblesses et d’une maîtrise fine des différentes dimensions et des impacts d’une politique de branding (en matière d’achat, de ressources humaines…). Pour aboutir à tel résultat, la « vision » est évidemment indispensable, mais la formation et l’intérêt (voire la passion) du dirigeant pour les questions de brand management me semblent des éléments déterminants.

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6/ …Parce que le dirigeant doit être le premier brand manager de son entreprise, sans « vampiriser » la/les marques

Qu’on ne se méprenne pas sur mon propos. Après avoir constitué le domaine réservé des marketeurs et autres brand managers, je ne suggère évidemment pas de concentrer le pilotage de la marque et des questions de branding dans les seules mains des dirigeants. Cela ne serait sans doute pas très réaliste, dans les organisations matricielles et internationales en particulier.

Comme Georges Lewi et Pierre-Louis Desprez le soulignait dans leur ouvrage La Marque (Editions Vuibert 2013), celle-ci est nécessairement un « pouvoir opérationnel partagé » au sein de l’entreprise. Il appartient donc à chacune des directions de se sentir investie de la mission de porter la/les marques à son niveau, les missions du dirigeant dans ce domaine pouvant être résumées comme suit : 1) être le garant de l’identité de la/les marques au travers de ses prises de décision et de la protection de la marque au plan juridiquet ; 2) veiller au fonctionnement optimal de la structure de management de la marque, en instaurant des modes de gestion les plus collégiaux et transversaux possibles pour éviter les phénomènes de « bureaucratisation de la marque » qui nuisent à la créativité et à l’expression collective ; 3) Partager le plus largement la politique de branding, en lien avec la vision stratégique de l’entreprise ; 4) faciliter l’enrôlement et l’acculturation à la marque des multiples parties prenantes en créant par exemple (dans les organisations les plus matures) des directions autonomes et transversales dédiées.

On le voit, dans l’idéal, le rôle du dirigeant relève davantage du chef d’orchestre évoqué ci-dessus que de l’influence du « gourou ». En effet, s’il est au demeurant positif que la marque soit « incarnée » (au travers de l’ensemble de ses équipes plutôt qu’un seul dirigeant), j’ai déjà eu l’occasion de souligner combien la confusion entre la marque et la personnalité d’un de ses dirigeants (souvent le créateur / fondateur) peut s’avérer néfaste. A la disparition de celui-ci, ou s’il se trouve discrédité, l’impact en termes de réputation (et de business) peut être très négatif et ternir durablement l’image de l’entreprise et de ses marques : voir ici mon article évoquant les cas de Steve Jobs, John Galliano et John McAfee notamment.

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* Fabienne Berger-Rémy est Maître de conférences associée, membre de la chaire de recherche Marques & Valeurs de l’IAE de Paris, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle a notamment contribué à l’excellent « Management transversal de la marque », dont j’avais déjà parlé ici.

** Sandrine Vimes est Conseil en propriété industrielle au cabinet Schmit-Chrétien, présidente de la commission Actions en région de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle.

*** « Management transversal de la marque« , Editions Dunod – 2013

Sources de ce billet :

> « La marque, du marketing à la stratégie », de F. Berger-Rémy – Revue des marques n°86, avril 2014

> « Marque et entreprise : un management global« , de S. Vimes – Revue des marques n°86, avril 2014

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