La communication interne, un métier stratégique en pleine extension de ses champs d’intervention et de compétence

Je n’aurais pu rêver meilleure manière de reprendre le fil de ce blog, dédié aux marques, au branding et à la communication, qu’en remettant aujourd’hui à l’honneur une discipline qui m’est chère et dont j’ai régulièrement parlé ici : la communication interne.

Il y a quelques mois, l’association de référence des professionnels du secteur, l’Afci*, publiait une importante mise à jour de son référentiel métier, le référentiel de compétences des communicant.e.s internes**

L’aboutissement d’un important travail collaboratif et l’occasion de revenir, dans le détail, sur les principales missions, activités et savoir-faire déployés aujourd’hui par les communicant.e.s d’entreprise, mais aussi sur les connaissances et savoir-être requis pour exercer au mieux leurs missions.

Pour en parler et dessiner « en creux » les grandes évolutions du métier de communicant.e interne ainsi que les nouveaux enjeux auxquels sont confrontés les professionnels, j’ai eu la chance de pouvoir échanger avec trois membres éminents de l’Afci : Fabienne Ravassard1, Conseil en communication et dynamiques d’entreprise (Baïrlaa) ; Jean-Marie Charpentier2, Consultant en communication et auteur de référence dans le domaine de la communication interne et Guillaume Aper3, expert en communication et ex Directeur communication adjoint de JCDecaux .

Avec ces trois experts, nous revenons notamment aujourd’hui sur la méthodologie très collaborative qui a présidé à l’élaboration de ce référentiel métier ; sur ses ambitions et objectifs ; sur ce qui constitue en quelque sorte la « moelle épinière » du métier de communicant.e interne et sur les raisons du déficit de légitimité encore éprouvé aujourd’hui par de trop nombreux professionnels…

En attendant la publication de la deuxième partie de cette interview mardi prochain, qu’il me soit permis de remercier encore nos 3 intervenants du jour, pour la qualité de leurs réponses et de leurs éclairage, et de vous souhaiter à tous une très bonne connexion ou reconnexion avec le BrandNewsBlog.

Le BrandNewsBlog : Bonjour Fabienne, Jean-Marie, Guillaume. Bravo à vous et à l’Afci pour la publication de ce référentiel de compétences, très pédagogique et complet. A qui s’adresse ce document en priorité ? Et quels en sont les objectifs ?

Jean-Marie Charpentier : Ce référentiel s’adresse d’abord et avant tout aux communicants et à tous les consultants qui interviennent dans le champ de la communication interne. Mais il cible aussi les directions de la communication au sens large et les directions des ressources humaines, notamment la fonction recrutement qui peut être particulièrement intéressée pour mieux comprendre ce qu’est ce métier et ainsi mieux recruter. D’après les premiers retours que nous avons eus, ce référentiel a aussi été très bien accueilli par les enseignants et les étudiants en communication.

Sa genèse s’inscrit dans le cadre de deux grands chantiers lancés en 2024 par l’Afci : d’une part la refonte du premier référentiel de compétences de la fonction communication interne, qui datait de 2004, et d’autre part la production de récits de métiers, que nous avons choisi de publier l’été dernier sous la forme d’un ouvrage dédié à la parole des communicants sur leur travail. Deux approches complémentaires pour donner à voir ce qu’est aujourd’hui le métier de communicant interne : comment il se situe, comment il se transforme, quels en sont les enjeux et ce qu’en disent les professionnels eux-mêmes. Avec l’objectif que tout cela soit le plus incarné et vivant possible.

Au fond, à travers ces deux documents, l’Afci revient sur l’identité professionnelle des communicants internes, remet en perspective leurs pratiques et a aussi pour ambition de redonner de la force et de la visibilité à celles et ceux qui, au quotidien, exercent cette mission avec beaucoup d’engagement et souvent de passion.

Le BrandNewsBlog : Vous le soulignez, un premier référentiel avait été publié par l’Afci en 2004. En termes de méthodologie, comment avez-vous travaillé sur cette nouvelle version ? A-t-il été facile de dégager une vision commune du métier parmi les participants et membres de l’Association ? Et globalement, les compétences fondamentales attendues en 2024 ont-elles beaucoup évolué par rapport à celles identifiées en 2004 ?

Guillaume Aper : Même si je n’ai pas participé à l’élaboration du premier référentiel de 2004, il faut d’abord repréciser que le travail qui avait été fait à l’époque était essentiellement tourné vers la fonction ressources humaines, pour affirmer et positionner le métier de la communication interne auprès des personnes en charge du recrutement et de la gestion de carrières notamment… L’Afci avait alors travaillé en petit comité, au travers d’une série d’entretiens qui avaient été menés puis synthétisés par un consultant. Pour élaborer la nouvelle version du référentiel, nous avons voulu procéder de façon tout à fait différente et profiter de la force de notre collectif de professionnels au sein de l’association.

Fabienne Ravassard : Oui, dans cette optique, on est partis assez vite sur l’idée de constituer un groupe de travail et nous avons rapidement pu composer un groupe dynamique et représentatif de professionnelles issues d’entreprises et d’institutions de taille et de secteurs très différents, aux niveaux d’ancienneté variés. Nous les avons rassemblées lors d’une première journée d’atelier, en repartant d’emblée de la base existante de 2004, et en les faisant réagir et échanger en modalités d’intelligence collective sur les principales missions des communicants internes. Cela a permis de déboucher assez rapidement sur 5 grandes missions essentielles, auxquelles le groupe de travail a rattaché à chaque fois 3 ou 4 activités. Soit au final 5 missions et 16 grandes activités principales qui ont pu être définies et auxquelles nous avons associé progressivement les savoir-faire correspondants.

Il n’a pas été difficile de dégager cette ‘vision commune’ du métier dont vous parlez. C’est là toute la magie et la puissance de l’intelligence d’un collectif. A partir de ce travail fondateur, plusieurs autres séances de travail ont eu lieu, avec Jean-Marie, Guillaume et d’autres participants membres de l’Afci pour aboutir au référentiel actuel, qui a été soumis en relecture au groupe de l’atelier initial.

Nous nous sommes rendu compte que les grandes missions et l’essentiel du métier tel que décrit en 2004 n’avaient pas fondamentalement changé. Ce sont plutôt les activités rattachées et les savoir-faire associés qui ont évolué, et surtout la façon dont les professionnels envisagent et construisent les liens à l’intérieur de leur entreprise.

Le BrandNewsBlog : Vous le souligniez récemment Fabienne et Guillaume, dans une intéressante tribune*** et vous aussi Jean-Marie, dans un article pour la Harvard Business Review****, la communication interne reste, malgré sa professionnalisation, une fonction en quête de légitimité. A quoi ce déficit de légitimité est-il dû selon vous ?

Jean-Marie Charpentier : Je dirais d’abord qu’il y a toujours eu une certaine tension entre deux dimensions : d’une part, la production et la diffusion de contenus, qui est une mission classique des communicants internes ; d’autre part, la capacité à faire du lien, à établir des relations au sein de l’entreprise.

Longtemps, on a conçu ce métier comme relevant avant tout, voire uniquement, des outils et de la seule diffusion. Or, dans les moments critiques, dans les moments intenses de transformation ou de crise, c’est beaucoup plus sur la relation que se joue la communication interne. On l’a bien vu durant la pandémie de Covid-19 : c’est sur le plan des relations que la communication interne a été le plus efficace et le plus utile, en permettant à l’entreprise de tenir, de maintenir des collectifs, de faire corps dans les difficultés.

Or, malgré ce momentum et la professionnalisation accrue des communicants internes, on a un peu l’impression que post Covid, ce sont les logiques de marque et de communication externe qui ont un peu partout repris le dessus, au détriment de la communication interne, qui s’intéresse d’abord à l’entreprise, à ses métiers et aux collectifs de travail. Cela a un peu remis sous le radar la communication interne, qui a été renvoyée à son statut de ‘fonction support’ et de ‘gestionnaire des tuyaux’, alors qu’un rééquilibrage entre ce qui relève de la marque et ce qui relève de l’entreprise est nécessaire. La marque et l’entreprise, ce n’est pas exactement la même chose.

Plusieurs autres facteurs peuvent aussi expliquer ce déficit de légitimité ressenti par les communicants internes : un positionnement parfois fragile dû à un manque d’affirmation de la fonction ou bien à un rattachement incertain (tantôt à la Communication, à la DRH, tantôt à la DG voire aux directions de la transfo…). Et puis, il y aussi le fait que les communicants internes sont des professionnels qui travaillent souvent « à bas bruit », et ne sont pas du genre à se mettre en avant, étant de tempérament assez discret.

Fabienne Ravassard : Sur cet aspect du manque d’affirmation de la fonction, il faut souligner que les communicants internes sont le plus souvent des communicantes, qui œuvrent avec conviction de manière discrète, privilégiant l’efficacité aux effets de manche. J’identifie aussi deux autres causes à ce déficit de légitimité de la fonction communication interne, en plus des facteurs dont vient de parler Jean-Marie. D’une part, les équipes de communication interne sont de plus en plus challengées en interne par d’autres directions. Il arrive en effet de plus en plus souvent que les équipes com’ interne se retrouvent écartées de grands sujets voire ‘uberisées’ par des directeurs ou chefs de projets qui maîtrisent les outils pour générer une newsletter ou un canal de com’, savent faire eux-mêmes une vidéo ou utiliser un réseau social d’entreprise. Il se crée ainsi une concurrence interne des équipes transfo, marketing ou informatique sur un certain nombre de sujets dont la communication interne aurait toute légitimité à s’emparer.

D’autre part, par sa nature transversale et son approche collaborative des sujets, la communication interne se trouve aussi écartée car elle apporte de la hauteur et donc une forme de complexité, ce qui n’est pas toujours du goût de certaines directions, peu désireuses de les associer. La com’ interne est par essence même un métier transversal, nourri de la collaboration dans l’entreprise. Or on le sait, collaborer n’est pas toujours bien accepté, même entre équipes qui se connaissent.

Guillaume Aper : J’ajouterai que pendant la pandémie de Covid-19, la communication interne a aussi connu un momentum grâce à sa connaissance des publics internes de l’entreprise et à sa capacité d’écoute. Les directions générales et directions opérationnelles se sont beaucoup nourri des retours terrains des communicants internes, pour mieux gérer la crise. Après cette période, on est en effet repartis davantage dans des logiques de production de contenus, peut-être un peu au détriment de l’écoute et de la mise en relation des publics internes. Or il appartient aux communicants internes de continuer d’aller à la rencontre des métiers et des différents publics internes, pour continuer à alimenter les directeurs communication et directions générales de remontées terrain et de signaux faibles. C’est un positionnement qui ne peut que renforcer la légitimité de la fonction et renforcer le binôme com’ interne – dircom au sein des entreprises.

Le BrandNewsBlog : Pour contextualiser pour nos lecteurs la publication de ce référentiel, pourriez-vous nous rappeler qui exerce aujourd’hui le métier de communicant interne en entreprise ? Y-a-t-il des profils types qui se dégagent, et des spécificités de formation ou de parcours par rapport aux autres communicants ? Vous souligniez notamment Fabienne que la fonction est très féminisée. Quel est aujourd’hui son degré de professionnalisation ? Est-il homogène au sein des entreprises ?

Guillaume Aper : Pour les 30 ans de l’Afci, en 2019, nous avions justement mené une étude à ce sujet. Il en était ressorti, d’abord, que la profession est largement féminisée : 83% des professionnels qui l’exercent étant des femmes. L’âge moyen des communicant.e.s internes était à l’époque de 40 ans, avec une sur-représentation des entreprises du secteur privé, même s’il semblerait que le nombre de communicant.e.s internes dans la sphère publique a augmenté depuis l’étude

Nous avions eu la surprise de constater aussi à l’époque que près de la moitié des communicant.e.s internes travaillait dans des PME-PMI, ETI ou entreprises de moins de 2000 salariés, la fonction n’étant donc pas l’apanage des grandes organisations.

Et plus globalement, nous avions pu voir que les équipes communication interne sont le plus souvent de petite taille, avec beaucoup de binômes et de personnes seules en poste. J’ajoute qu’il était aussi apparu qu’une fraction non négligeable des communicant.e.s internes ne venaient pas d’écoles ou de filières communication, raison pour laquelle l’Afci a étoffé depuis 5-6 ans son offre de formation, pour permettre aux plus néophytes de se former aux fondamentaux du métier, formations que nous avons complétées progressivement par des modules plus pointus, sur la posture du communicant interne par exemple, sur la communication du changement et des transformations, ou bien encore sur la communication managériale.

Ces formations ont eu beaucoup de succès car elles permettent à chacun de renforcer son expertise et sa crédibilité en interne, y compris pour les communicants qui n’ont jamais fait de communication interne auparavant et qui se rendent souvent compte, après quelques mois d’exercice, des compétences et missions bien spécifiques attachées à la communication interne.

Le BrandNewsBlog : Dans ce réferentiel publié par l’Afci, les contributeurs reviennent sur les missions fondamentales, les activités et savoir-faire, les connaissances et savoir-être attendus des communicants internes. Pour résumer ce « métier à part entière, et à part », pourriez-vous nous dire quel en est pour vous l’ADN, la ‘substantifique moëlle’ ?

Jean-Marie Charpentier : La substantifique moëlle de ce métier, c’est selon moi la relation. La relation avec le haut de l’entreprise (en l’occurrence les dirigeants) ; mais aussi la relation avec le terrain (les managers de proximité, les salariés…). Comme vous le verrez en découvrant le référentiel, tout ou presque (que ce soit dans les missions, les savoir-faire, les connaissances, les savoir être…) tourne autour de cette capacité à nouer une relation, à faciliter le lien, à organiser l’échange. C’est bien pour cela qu’il importe de ne pas limiter le métier de communicant.e interne à la production et à la diffusion des contenus, même si cela fait aussi partie du travail et de la relation avec les différents publics de l’entreprise.

Les récits de métier que nous avons pu recueillir donnent très concrètement à voir, sous différents angles, cet enjeu de la relation au cœur du métier. D’où, pour les communicant.e.s l’importance de bien connaître, de bien comprendre pour agir. Connaître, comprendre les acteurs, les métiers, les collectifs. Connaître, comprendre également de quoi est fait le travail. Connaître, comprendre les attentes des différents publics. Une communicante d’un grand distributeur nous rappelait dans les récits de métier que « Comprendre, c’est le verbe le plus important en communication interne. »

J’ajouterais autre chose encore à propos de la relation comme substantifique moelle du métier : nous vivons en ce moment une véritable transition dans les entreprises, dans la société. Et cette transition, qu’elle soit économique, sociale ou écologique, nous impose d’aller au-delà de l’approche purement fonctionnelle de l’entreprise, réduite à l’administration des choses, à la gestion des flux ou des réseaux. La transition vers une entreprise plus relationnelle, plus « robuste » pour reprendre le terme d’un livre que l’Afci a primé récemment, c’est davantage d’interactions, de liens, d’expressions partagées. Et dans ce domaine, les communicants internes ont une place essentielle.

Fabienne Ravassard : Oui, ainsi que l’indique Jean-Marie, pour ne pas paraphraser les 5 grandes missions du communicant interne que vous retrouverez ci-dessous, le cœur du métier n’est plus uniquement de produire et de diffuser des messages, mais vraiment, comme nous l’avons écrit dans notre tribune, de faire vivre un collectif et même le ‘récit collectif’ qui l’accompagne. Plus que jamais, la mission première du communicant interne, c’est de réunir, de créer les conditions d’une bonne compréhension de l’entreprise, d’une véritable pédagogie et du dialogue. Et comme tout métier de communication, il s’agit aussi de veiller à la notion de cohérence des discours, c’est à dire au bon alignement entre la parole et les actes, afin que les salariés puissent constater qu’il n’y a pas de dissonance entre ce qu’on leur dit et leur vécu, entre le verbe des dirigeants et ce qu’ils voient en action, sur le terrain.  Dans le cœur d’expertise du communicant interne, on retrouve également cette notion d’intelligence collective. Non pas qu’il revienne systématiquement au communicant interne d’animer lui-même des dispositifs d’intelligence collective, mais on lui demande a minima de pouvoir faire des recommandations sur le sujet, d’être en capacité de piloter des dispositifs en faisant par exemple intervenir un facilitateur ou des consultants spécialisés en intelligence collective.

Dans le même ordre d’idée, les dimensions plus invisibles du métier que sont la capacité d’analyse, l’écoute active, la capacité à se mettre dans une posture de conseil et à anticiper, y compris en termes de ressources, sont de plus en plus attendues en termes de compétence et de savoir-être, afin de faire face aux défis de transformation et de communication au sein de l’entreprise.

Le BrandNewsBlog : Dans votre tribune pour le magazine Stratégies, Fabienne et Guillaume, vous mettez en avant deux compétences clés des communicants internes. D’une part, au-delà de la production de contenus et de la diffusion de messages, la capacité à « faire vivre un récit collectif » au sein de l’entreprise. D’autre part, la capacité à créer les conditions de compréhension de ce récit et à mettre en cohérence discours et actes. En quoi ces deux compétences vous semblent-elles primordiales ? Et en quoi ce récit collectif permet de mieux accompagner les transformations au sein de l’entreprise ?

Fabienne Ravassard : Oui, cette notion de récit collectif et sa compréhension, son appropriation par les différents publics de l’entreprise nous ont paru d’autant plus importantes que nous traversons comme nous l’avons déjà dit une période intense de transformations et de grands changements, et qu’il est nécessaire de les accompagner au mieux au sein de l’entreprise. Qu’on ait à faire à un projet de réorganisation, de rachat ou au lancement d’une nouvelle stratégie, la construction d’un récit collectif permet de faire face au changement et à l’incertitude, de redonner du sens aux collaborateurs, à condition bien sûr que ce récit ne soit pas descendant et qu’il soit co-construit avec les équipes, et incarné.

Bâtir ce récit collectif, c’est en définitive se donner la possibilité de rassembler, autour d’un message commun, cohérent et fédérateur, en créant de l’alignement entre les différentes parties prenantes internes qui sont mobilisées sur les changements et les transformations.

J’ai travaillé récemment pour une structure qui, dans le cadre de la refondation de sa stratégie de communication interne, avait dressé le constat que des cultures très disparates coexistaient sur ses différents sites et pouvaient « s’entrechoquer ». Au moment de mener à bien un gros projet interne, les dirigeants ont ressenti que cette diversité de culture(s), qui avait pu faire jusque-là la richesse de l’entreprise, pourrait cette fois constituer un frein au projet et une source d’incompréhensions. Avec les communicants internes, nous sommes donc allés dialoguer directement avec les collaborateurs des différents sites, dans le cadre de focus groupes, pour interroger cette notion de culture d’entreprise et déterminer ensemble quels étaient les « plus petits communs dénominateurs » de la culture commune, sans galvauder les différences existantes. Ce travail de fond a permis aux communicants internes de clarifier un récit collectif fédérateur, nuancé, qui fait in fine la part belle aux points forts partagés, tout en valorisant la richesse des singularités de l’entreprise.

Ce type de travail, s’il est bien réalisé, et s’il est accompagné par les communicants internes dans sa diffusion, permet à la fois de créer du lien et de rendre aussi beaucoup plus intelligibles les grands changements qui peuvent venir impacter les collaborateurs.

Ce savoir-faire de narration se déploie aussi dans la capacité à rendre plus concrète, incarnée, percutante et efficace, une nouvelle stratégie d’entreprise dont la formulation initiale serait trop absconse ou éloignée du quotidien des collaborateurs. En traduisant cette stratégie sous forme d’un récit beaucoup plus pragmatique, au travers d’exemples concrets et de situations vécues et portées par les collaborateurs, ou en simplifiant la formulation et en co-construisant le récit correspondant avec des managers, on peut rapidement en faire quelque chose de beaucoup plus efficace, appropriable et connecté au travail et à la réalité quotidienne de l’entreprise.

Le BrandNewsBlog : La connaissance des publics et des métiers de l’entreprise, l’écoute et la traduction des attentes des collaborateurs, la capacité à détecter les signaux faibles… demeurent au cœur de la mission des communicants internes. A quel savoir-faire spécifique ces compétences font-elles appel ? Et quels sont en définitive les principaux savoir-être attendus des communicants internes ?

Jean-Marie Charpentier : La capacité d’écoute est à la base du métier et lui assigne une posture d’humilité : être d’abord celui ou celle qui écoute les autres. Encore une fois, le média et le message ne doivent pas être premiers. C’est l’écoute qui fonde l’approche du communicant interne. Et on peut bien sûr écouter de multiples façons (directe ou indirecte, formelle ou informelle, via des rencontres ou des outils tels que les sondages). Dans tous les cas, il y a un pré-requis, c’est le contact avec le terrain et la proximité. A l’heure des réseaux sociaux ou de l’IA, voire du télétravail, on peut facilement se déconnecter du terrain. Or, le communicant interne ne doit jamais le quitter. C’est sa véritable raison d’être. Sur le terrain, dans les contacts directs, on capte les petites choses, ce que l’anthropologue de la communication Yves Winkin appelle les « petits riens », des petits riens qui peuvent en réalité s’avérer des pépites.

En termes de savoir-être, les différentes compétences attendues des communicant.e.s internes renvoient à des capacités de perception et d’expression (ouverture, curiosité, écoute active, empathie, synthèse…), mais aussi aux capacités à développer du lien, du sens, ainsi qu’à cette capacité d’écoute qu’on vient d’évoquer.

Les savoir-faire opérationnels et stratégiques, comme être en capacité de conseiller le management, savoir élaborer et faire circuler l’information, viennent ensuite.

En matière de communication interne, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, la charrue de l’info avant les bœufs de l’écoute et de la relation, si j’ose dire. N’oublions jamais que c’est eux qui tirent et donnent au métier son sens.

Guillaume Aper : Pour compléter le propos de Jean-Marie sur l’écoute, l’aptitude à détecter et à remonter les signaux faibles fait appel à cette capacité d’écoute informelle dont j’ai déjà parlé, qui requiert de bien connaître les gens, de savoir se constituer un réseau d’interlocuteurs internes auprès desquels on peut facilement passer quelques coups de fil pour savoir comment sont perçus telle ou telle décision ou tel sujet épineux. Une nouveauté est ressortie dans la nouvelle édition de notre référentiel de compétences : la capacité à savoir dresser une véritable cartographie des publics internes, à l’instar d’une photo satellite dont on peut ensuite se servir régulièrement et qu’on peut actualiser. Cette cartographie, qui a été évoquée par de nombreux professionnels, peut s’avérer particulièrement utile et démontre la connaissance fine de l’entreprise par les communicant.e.s internes.

Savoir naviguer en permanence entre la direction de l’entreprise, les managers et les équipes terrain sur site, dans des usines ou sur des chaînes de production, requiert aussi une réelle capacité à se mettre à la portée de différents publics, une vraie plasticité intellectuelle et une curiosité insatiable. Cela implique aussi, à mon sens, d’avoir le goût de l’interation et de la communication directe avec les gens, donc de l’empathie.

Le BrandNewsBlog : La communication managériale, en particulier – qui reste parfois un sujet d’insatisfaction des dirigeants – n’empiète-t-elle pas sur la mission d’animation des managers ? Et quelles sont finalement les limites à la communication interne, dans l’animation des métiers et des différentes communautés professionnelles ? N’y-a-t-il pas un risque de dilution des messages et du récit collectif dont nous parlions à l’instant, quand la communication interne devient trop spécifique ? Et quel est son rôle dans l’accompagnement du management ou des collectifs de travail ?

Fabienne Ravassard : Vous abordez là un vaste sujet… et plusieurs questions en une. Pour parler spécifiquement de la communication managériale, Guillaume le dit souvent : c’est l’un des sujets les plus complexes à appréhender pour les communicant.e.s internes et pour leurs dirigeants. Parce que pour aboutir à une communication managériale vraiment efficace, il faudrait en réalité pouvoir aligner les planètes, « avoir à sa main » des sujets aussi différents que la formation des managers et le style managérial, qui relèvent plutôt de la DRH ; connaître sur le bout des doigts la culture et l’histoire de l’entreprise, et savoir ce qui est attendu des managers et de la communication managériale également. Voilà pourquoi, pour avoir une communication managériale efficace, de même que pour avoir une communication interne efficace, la première chose à faire devrait être à mon sens de définir collégialement, avec les dirigeants, ce qu’on en attend et quels en sont les objectifs… quitte à se revoir régulièrement pour revenir sur ces objectifs et ajuster au gré des besoins.

En terme de communication managériale, est-ce qu’on attend d’un manager qu’il soit juste capable de s’exprimer correctement auprès de ses équipes et de relayer de temps en temps les messages importants transmis par sa direction ? Ou bien lui demande-t-on d’être un ambassadeur, capable de porter la stratégie et les décisions de l’entreprise auprès de ses équipes ?

Dans l’idéal, et dans les organisations les plus matures selon nous, une communication managériale efficace implique d’autoriser le manager à faire des pas de côté, pour expliquer avec ses propres mots la stratégie de l’entreprise, transposer de manière autonome et pédagogique cette stratégie pour que son équipe la comprenne et se l’approprie. C’est à mon sens le degré le plus abouti d’une communication managériale réussie, mais cela implique un haut niveau de confiance des dirigeants dans leurs managers, et un accompagnement de la part des équipes communication pour que les managers se sentent à l’aise.

Beaucoup trop de dirigeants attendent encore des managers qu’ils « cascadent » à la virgule près des éléments de langage pré-mâchés, pas toujours adaptés à la réalité du terrain. Et nombreux sont aussi les managers à avoir besoin d’être accompagnés et rassurés à ce niveau, de peur de faire un faux-pas ou d’être piégés par une question pertinente posée par leurs collaborateurs.

Car l’idée c’est aussi cela : plutôt qu’une communication descendante, faire de la communication managériale un espace d’échange et d’interactions où les collaborateurs se sentent libres de poser leurs questions, quitte à ce que le manager revienne auprès d’eux plus tard, avec une réponse élaborée avec les communicants ou les dirigeants de l’entreprise.

Il en va de même pour l’animation des métiers auprès des différentes communautés professionnelles. La réussite dans ces domaines passe également par la confiance a priori et le fait d’accompagner les ambassadeurs internes à devenir des acteurs de la communication interne de l’entreprise, plus que de simples relais.

Guillaume Aper : Pour les communicant.e.s internes, les points que Fabienne vient de relever impliquent qu’ils se retrouvent dans une position et une posture de conseil auprès des managers et des autres ambassadeurs de la communication interne. Charge à eux de co-construire avec les managers et les ambassadeurs internes des plans de communication et des dispositifs qui soient adaptés à leur besoins et aux enjeux, tout en les formant et les sensibilisant aux grands enjeux de la communication et en les accompagnant au besoin, comme des coaches, dans leurs prises de parole. Cela peut passer par la préparation commune d’éléments de langage, le regard critique sur des discours préparés par les managers, l’acculturation des managers aux méthode de l’intelligence collective, pour créer les conditions d’un véritable échange au sein de leurs équipes ou bien tester des messages, par exemple.

Au-delà de ses propres contenus et des canaux de communication qu’il anime, il appartient au communicant interne de faire en sorte que d’autres que lui (managers, réseau de correspondants internes, ambassadeurs) portent et amplifient le récit collectif de l’entreprise, tout en maintenant une cohérence des messages et des discours. Cela passe en effet par de la co-construction du récit, la constitution de réseaux et de communautés à même de porter et incarner les messages auprès de leurs équipes.

Le BrandNewsBlog : Elaborer et faire circuler l’information au sein de l’entreprise ; faire vivre la culture d’entreprise ainsi que les dynamiques collectives, font partie des missions ‘régaliennes’ des communicants internes. En quoi l’essor de l’intelligence artificielle et la multiplication des canaux de communication offrent de nouvelles opportunités et perspectives aux professionnels dans ces domaines. Et a contrario, comment les communicants internes gèrent-ils le risque d’infobésité et la prolifération des canaux, contenus et dispositifs numériques à laquelle on a assisté ces dernières années ?

Guillaume Aper : Sur ces sujets de l’élaboration et la diffusion des contenus de communication interne, un des grands enseignements qui est ressorti de la nouvelle édition du référentiel (par rapport à celui de 2004), c’est certes que les technologies ont beaucoup évolué et que la communication s’est largement digitalisée, mais c’est surtout que les contenus de communication interne ne sont plus produits exclusivement par les communicants et qu’ils proviennent maintenant d’une multitude de canaux et d’émetteurs (réseaux sociaux d’entreprises, Intranets métiers, newsletters et outils de chat, etc.

A cet égard, et face à cette masse de plus en plus importante de « User Generated Content », qui peuvent aujourd’hui représenter bien plus de la moitié des contenus de communication internes diffusée, les communicants internes doivent être garants de la cohérence et se positionner en « aiguilleurs du ciel » de l’ensemble des contenus émis. A eux de faire remonter tel ou tel contenu, de dire quel avion reste en l’air, quel avion décolle et lequel atterrit. C’est une mission qui combine étroitement coordination, modération et curation, qui n’existait évidemment pas il y a encore quelques années de cela.

Aux communicants internes de superviser ce qui sort, se tenir au courant, assurer la cohérence parmi la multitude de canaux digitaux et de contenus produits dans l’entreprise.

Pour se faire, il me semble que les outils d’intelligence artificielle peuvent justement être d’une aide précieuse, en aidant les communicants à remonter et faire le tri parmi tous les contenus publiés dans l’entreprise.

Plus encore que la production de contenus hyper ciblés et personnalisés, il me semble que le premier apport de l’IA pourrait résider dans cette mission de tri, grâce à des outils tels que Perplexity ou des métamoteurs de recherche, qui auraient / auront pour vocation de simplifier la curation des contenus internes qui incombe aujourd’hui aux communicant.e.s internes.

Car avec la démultiplication des canaux et la facilité que l’IA permet dans la production de contenus et de supports de communication, il y a en effet un vrai risque d’embouteillage et d’infobésité interne, et qu’on n’arrive tout simplement plus à retrouver les bonnes informations quand on les recherche. Or on sait que le temps d’attention de nos lecteurs / des collaborateurs, est de plus en plus limité. Il nous revient dont de nous y adapter pour produire plus efficacement et parcimonieusement des contenus, mais aussi et surtout adresser les bons contenus internes aux bonnes personnes et d’adopter ce qui est déjà une demande dans nombre d’organisations : la sobrieté éditoriale.

Le BrandNewsBlog : Nous parlions à l’instant de reconnaissance et de quête de légitimité de la part des professionnels de la communication interne. Cette légitimité n’a jamais été aussi forte, le rappeliez-vous Jean-Marie, qu’en temps de crise, durant la pandémie de Covid-19… Quelles sont d’après vous les pistes pour étendre cette reconnaissance, désormais établie dans les domaines de la communication de crise et l’accompagnement du changement, à toutes les autres missions et compétences des communicants interne ? Et comment faire pour qu’ils soient considérés par leurs dirigeants comme des « partenaires de pensée et d’action » ainsi que vous l’appelez de vos vœux ?

Jean-Marie Charpentier : C’est certain, l’expérience de la pandémie de Covid-19 a été refondatrice pour de nombreux communicant.e.s internes. Ils nous l’ont dit. Il a fallu tenir le cap dans un moment critique et ils ont su se montrer particulièrement utiles grâce aux relations entretenues avec les dirigeants, les managers et les salariés, pour assurer une continuité de service. Leur pouvoir d’agir, émanant de leur bonne connaissance du terrain, s’est trouvé accru dans les cellules de crise, dans le contact avec les managers et leurs équipes.

Développer ce pouvoir d’agir, accroître les leviers d’action pour les communicant.e.s internes, cela passe par le fait de nouer des alliances. Le communicant interne ne travaille jamais seul. Il est ou doit être en partenariat tantôt avec les dirigeants, tantôt avec le DRH, tantôt avec les managers de proximité et les métiers.

Un exemple parmi d’autre de ce pouvoir d’agir : trop souvent encore, on vient voir le communicant interne pour lui demander des slides, une vidéo, un podcast… Or, le vrai pouvoir d’agir du communicant commence par questionner le besoin (pourquoi communiquer, à qui, pour quels besoins ?). Cette capacité à remonter à la source du besoin conduit parfois à remettre en question le média initialement choisi et à co-construire avec son interlocuteur-partenaire une offre de communication et des dispositifs pertinents. C’est la meilleure façon de pratiquer la communication interne à mon sens.

Fabienne Ravassard : Pour asseoir leur légitimité, être reconnus comme des « partenaires de pensée et d’action », les communicant.e.s internes peuvent aussi cultiver leur lien avec le/la dircom, ainsi que le soulignait tout à l’heure Guillaume.

Constituer un binôme efficace, en alimentant le dircom de remontées terrain, de signaux faibles, en l’éclairant sur un certain de nombres de sujets comme la façon dont sont perçues les décisions des dirigeants ou la stratégie d’entreprise, me paraissent des axes de travail et de reconnaissance intéressants. Cela suppose encore une fois de s’entendre, avec le dircom dans un premier temps, puis avec les dirigeants, sur ce qu’on attend exactement de la communication interne, et quels en sont les objectifs. A partir de là, on peut déterminer les plans et moyens à mettre en œuvre pour être à la hauteur des ambitions affirmées.

Développer le travail d’écoute et rester en permanence en prise avec les différentes communautés et les différents publics de l’entreprise demeurent des impératifs, et aussi peut-être pour les communicant.e.s internes, s’agit-il de forcer un peu leur nature pour communiquer davantage sur ce qu’ils font et faire mieux connaître l’étendue de leur « offre de service ».

Cela suppose aussi de renforcer leur assertivité et de développer leur connaissance des  sujets stratégiques, en mettant de côté leur discrétion pour s’imposer progressivement dans les différents comités projets et autres instances de coordination, au sein desquelles ils ne sont pas systématiquement conviés habituellement. Passer pour ainsi dire en permanence et avec facilité du sol bétonné des ateliers d’usine aux couloirs feutrés des étages de direction, en sachant à chaque fois quel langage on y parle, pour mieux les relier.

Le BrandNewsBlog : Chefs d’orchestre du récit de l’entreprise, interfaces au service des collectifs de travail, passeurs, médiateur et tisseurs de cohésion entre les différents métiers, les hiérarchies et les communautés professionnelles… Vous dites, Jean-Marie, que les communicants internes sont passés d’une pure « communication de transmission » à une véritable gestion des relations au sein de l’entreprise. Quels sont les grands défis qui en découlent ? Et globalement Fabienne, Guillaume et Jean-Marie, quels sont les prochains défis à relever par les communicants internes pour asseoir encore davantage leur rôle stratégique ?

Jean-Marie Charpentier : Selon moi, il y a quelques grands défis à relever pour les communicants internes : d’abord, continuer de faire face aux multiples crises qui touchent les entreprises (nous sommes à bien des égards dans une situation de « permacrise ») et préparer en interne les nécessaires transitions pour y faire face.

Ensuite, et on en a déjà parlé les uns et les autres, tout faire pour conserver le lien avec le terrain. Fabienne vient d’évoquer le fait du passer avec facilité du béton des usines aux couloirs feutrés des directions… Dans les faits, il y a mille sollicitations pour s’éloigner progressivement du terrain. Le solutionnisme technologique, avec l’IA notamment, peut être un piège comme le fut le cas à une autre époque avec le « tout numérique », et peut inciter les communicants à rester dans leur tour d’ivoire. Tout ne relève pas de la technologie. On a besoin d’un usage raisonné de l’IA, pour ne pas finir par travailler « en chambre ».

Autre défi en lien avec le terrain : être en prise, encore plus qu’hier, avec les questions du travail (les conditions de travail, les espaces de travail, la place du télétravail, etc.). Des évolutions comme la généralisation du télétravail ces dernières années bouleversent durablement les pratiques et la communication dans l’entreprise.

J’ajouterais enfin : irriguer la communication interne et externe par des récits de vie, des récits de métier, pour que celle-ci soit toujours crédible et incarnée. La forme du récit, c’est ce qui permet tout à la fois de capter le réel et d’aller vers l’imaginaire. Il y a toute une communication dans le travail et sur le travail à mettre ou à remettre au jour. Les communicants internes doivent s’en saisir. N’oublions pas, comme le disait Jeanne Bordeau, que « le savoir dire vient de l’intérieur ».

Guillaume Aper : Jean-Marie et Fabienne viennent d’évoquer le fait de passer avec aisance du terrain aux étages de direction. A cet égard, le défi pour les communicants internes est aussi, parfois, d’être perçus comme davantage « business oriented », de s’intéresser réellement à la marche des affaires et aux évolutions des métiers de leur entreprise, pour demeurer crédibles et ne pas se retrouver au ban des comités projets et autres instances de décision.

Dans le contexte de permacrise et de transformation permanente que vient d’évoquer Jean-Marie, il faut aussi que les communicant.e.s internes travaillent en dynamique sur la culture d’entreprise, pour adapter en permanence le récit collectif de l’entreprise et que celui-ci continue de coller aux réalités de terrain. Il en va de l’engagement des collaborateurs, car la culture, et un récit collectif clair et crédibles, créent les conditions de l’engagement.

Les deux derniers défis que je perçois, on en a parlé également un peu plus tôt, ce serait que la communication interne grandisse et pourquoi pas grossisse, en investissant de nouveaux champs ou de nouvelles missions. Cela suppose d’abord un rééquilibrage des moyens et des ressources avec la communication externe, en tout cas un moins grand déséquilibre. Et la communication interne, dont les champs sont déjà vastes, pourrait ainsi investir de nouveau champs que sont par exemple, l’adaptation des collaborateurs aux grandes évolutions sociologiques et macro-économiques.

Pour aborder des sujets et débats de société, vulgariser de grandes questions économiques, géopolitiques, sociétales ou scientifiques, presque dans un esprit de d’outillage culturel et citoyen des collaborateurs, pour les préparer aux grands changements du monde et de leur environnement, la communication interne a à mon avis un rôle à jouer dans cette zone encore peu investie entre communication et formation.

Le BrandNewsBlog : Un dernier mot sur l’ouvrage « A mots ouverts », publié par l’Afci en même temps que le référentiel de compétences. Il est sous-titré : « Tout ce que je veux vous dire sur mon métier, la communication interne » et présente 20 témoignages de professionnels sous la forme de 20 récits justement. Pourquoi avoir publié cet ouvrage à part ?

Jean-Marie Charpentier : Nous venons de parler il y a un instant de l’importance de l’incarnation des récits d’entreprise et des récits émanant des métiers. L’Afci a souhaité que des communicants internes racontent leur travail au quotidien. De ces témoignages recueillis par une petite équipe au sein de l’association, il a été tiré des « récits de métiers », qui restituent sans filtre la voix des communicants. L’objectif : parler du métier, révéler ce que signifie travailler pour celles et ceux qui font métier de communiquer au sein des organisations, en entrant de plain-pied dans leur quotidien. Et surtout, passer par la parole de ces professionnels. Leur offrir l’opportunité de parler de leur travail, dire « je », raconter le concret de leur activité, ses rites, ses rituels, exprimer leur façon de tenir leur rôle et de (bien) faire ce métier, souligner tout ce qui va, en ne cachant pas ce qui bloque ou résiste. Et puis, se situer en tant que communicant dans une équipe, dans son rapport aux dirigeants, aux managers, aux salariés. L’Afci a voulu publier cette parole, très riche, sous la forme d’un livre, qui vient compléter et en quelque sorte faire écho au référentiel métier. Cette mise en mots du métier par ceux et celles qui l’exercent est une première pour l’association et je dois dire que nous en sommes assez fiers.

 

 

Légendes et commentaires :

* Afci : Association française de communication interne

** Découvrez ici en libre accès le référentiel de compétences des communicant.e.s internes publié en janvier 2025 par l’Afci 

*** Communicant interne : un métier à part entière, un métier à part, par Guillaume Aper et Fabienne Ravassard, Stratégies, 19 septembre 2025

**** La communication interne, un métier en tension entre professionnalisation et légitimation, par Jean-Charpentier et Vincent Brulois, Harvard Business review France, 24 sepetmbre 2025

(1) Fabienne Ravassard : Adhérente de l’Afci. Conseil en communication et dynamiques d’entreprise au sein du cabinet Baïrlaa.

(2) Jean-Marie Charpentier : Administrateur de l’Afci. Consultant en communication et auteur de référence dans le domaine de la communication interne.

(3) Guillaume Aper : Administrateur de l’Afci. Expert en communication et ex Directeur communication adjoint de JCDecaux.

Du statut d’éclaireur à celui de suiveur : les dircom sont-ils aujourd’hui à la traîne de la transformation numérique ?

Vous le savez : cela fait des années que je m’intéresse aux évolutions des métiers de la communication et du marketing et que je rends compte, sur ce blog, des impacts de la révolution numérique sur nos pratiques quotidiennes.

Ayant eu la chance de vivre et d’impulser la transformation numérique à la tête d’équipes particulièrement agiles et d’interviewer régulièrement des dircom tous aussi passionnés que moi par ce sujet, j’ai toujours été assez admiratif de la capacité d’adaptation des communicants face à l’émergence de nouvelles technologies et de nouveaux usages. Et je n’ai jamais hésiter à affirmer leur/notre exemplarité dans ce domaine et la légitimité des dircom à accompagner cette mutation, aux avants-postes de la transformation globale de leurs organisations.

Pour autant, les dircom et leurs équipes sont-ils toujours en avance de phase en matière de #TransfoNum ? A l’heure de l’IA, de la blockchain, des big data et du web sémantique, font-ils à tout le moins figure d’éclaireurs au sein des entreprises, comme cela a été le cas aux premières heures du web puis lors de l’émergence du web 2.0 ?

Sans revenir sur le chemin accompli ces dernières années, plusieurs études et rapports récents vont sans doute refroidir l’enthousiasme des plus auto-satisfaits, car non seulement reste-t-il beaucoup à faire pour exploiter toutes les opportunités du web social, mais il semble bien que les communicants soient en train de passer à côté des prochaines révolutions technos : notamment celle du web², centré sur l’exploitation des données et celle du web 3.0, centré sur la connaissance…

Un avertissement déjà formulé en filigrane il y a quelques mois par l’éditeur Cision, à l’issue d’une enquête menée auprès de 380 directeurs de la communication¹, et relayé tout dernièrement par l’expert en transformation Alan Calloc’h².

Auteur d’un excellent mémoire sur les « Nouveaux enjeux du dircom à l’ère de la transformation digitale et de l’intelligence artificielle », dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur lors de sa soutenance au Celsa, ce passionné de communication et de numérique revient dans ses travaux sur 25 années d’évolution des métiers de la communication et dresse un constat sans appel : après s’être plutôt bien illustrés dans les premiers temps de la révolution numérique, les dircom et communicants seraient « à la traîne » face aux défis à venir. Et auraient perdu en influence et en crédibilité dans l’accompagnement des changements occasionnés au sein de leur entreprise par la transformation numérique, étant de plus en plus concurrencés sur ces sujets par d’autres directions et des expertises digitales plus poussées.

Comment en est-on arrivé là ? Et quelles sont précisément les nouvelles technologies et problématiques sur lesquelles les communicants n’ont pas suffisamment su se positionner ? Comment continuer de répondre aux enjeux de la révolution numérique tout en capitalisant sur les fondamentaux de nos métiers ? Et comment demeurer crédibles et en avance de phase, pour des dircom de plus en plus challengés par les directeurs digitaux ou des experts du marketing digital notamment ?

C’est ce que je vous propose d’aborder dans mon article du jour. En remerciant encore Alan Calloc’h pour la confiance qu’il a bien voulu m’accorder, pour son point de vue et ses éclairages passionnants sur les conséquences et défis de cette révolution numérique, qui représente bien une transformation permanente au sein des entreprises et non un simple « tournant », même si des progrès importants ont déjà été accomplis, y compris ces derniers mois avec une forte accélération de la digitalisation durant la crise sanitaire.

Des dircom plutôt satisfaits de leur maturité numérique et des compétences digitales de leurs équipes…

Les directeurs et directrices de la communication auraient-ils tendance à se voir un peu trop « beaux-digitaux » ? S’il est toujours risqué de tirer des conclusions générales, tant le degré d’appétence et de maturité numériques varie d’une entreprise à l’autre et surtout d’un dircom à un autre, l’étude de l’éditeur Cision « Comment les dircom perçoivent-ils la transformation digitale ? », réalisée à l’automne 2019, a le grand mérite de fournir de premières réponses et nous présente un panorama finalement assez nuancé de la digitalisation des services com’.

Tandis que 86% des 380 dircom interrogés par Cision perçoivent la transformation digitale comme une évolution nécessaire ou une évidence (cf infographie ci-dessous), ils sont tout de même 63% à estimer que leur service est « plutôt en avance », voire « très en avance » sur le sujet par rapport aux autres directions de l’entreprise… et 19% seulement à estimer être « en retard » ou « très en retard ».

Une perception somme toute assez flatteuse, étant entendu que la « transformation digitale » reste pour beaucoup un terme assez fourre-tout, de même que « l’intelligence artificielle » par exemple, perçue par les dircom de manière très positive… alors que bien peu y ont aujourd’hui recours, ainsi que nous le verrons plus loin, et qu’un nombre encore limité de communicants est aujourd’hui en mesure de définir précisément ce que recouvre cette notion d’IA et quels usages pourraient vraiment en être faits au sein de leur structure.

Plus lucides sans doute quand il s’agit de parler de données, les dircom sont 87% à estimer que la data n’est pas utilisée de manière suffisamment approfondie au sein de leur service (cf infographie ci-dessous), la mesure de la performance de leurs actions de communication et la personnalisation des contenus en fonction des cibles étant les deux usages prioritaires identifiés  par ces professionnels.

De même, dans l’étude Cision, les directrices et directeurs de la communication sont pas moins de 72% à affirmer que leur département n’est pas suffisamment équipé pour conduire sa transformation digitale, une lacune dont 43% des communicants interrogés imputent la responsabilité à leur direction générale, pas assez volontariste dans ce domaine à leur goût, 64% des dircom pointant également un budget insuffisant et 66% un déficit de formation… L’appétence des équipes communication pour la transformation digitale n’étant pas en cause selon eux, puisque seul un petit nombre de managers et de collaborateurs seraient réticents aux mutations en cours.

Conscients de leur manque d’outils pour mener à bien tous les chantiers de la transformation digitale, les communicants sont moins de 30% à avoir accès aux solutions de CRM, quand il en existe au sein de leur entreprise (un point bloquant pour relier l’efficacité de leurs actions aux variations du chiffre d’affaires). Et seuls 8% des départements communication seraient équipés de logiciels d’influence, 15% de chatbots, tandis que les outils de social media management du type Hootsuite et les outils de veille et de social media listening seraient heureusement plus répandus…

Si les solutions d’accompagnement de l’employee advocacy (comme Sociabble) ne sont pas abordées dans l’étude Cision, on peut constater en revanche une nette progression de leur usage depuis 2 ans, parmi les entreprises ayant mis en œuvre des démarches dédiées au développement et à la gestion de leurs communautés d’ambassadeurs.

Un point positif qui ne contrebalance que faiblement le constat de sous-équipement numérique de la plupart des directions de la communication.

En ce qui concerne enfin les canaux et typologies de supports utilisés par les communicants pour diffuser leurs contenus, ceux-ci seraient aujourd’hui « digitalisés » à 65%, tandis que les outils et actions de communication non dématérialisées/non dématérialisables tendraient à représenter une portion de plus en plus congrue du brand content, ainsi que le démontrent les infographies ci-dessous. A noter que parmi les canaux digitaux, seul le blog d’entreprise tomberait progressivement en désuétude, les podcasts et autres outils du « live » étant au contraire promis à un bel avenir, de même que les contenus vidéos de manière générale (longs ou courts) hébergés sur les chaînes des entreprises.

Dircom et transformation numérique : un « décrochage » progressif, malgré la digitalisation de la fonction ces dernières années ?

Evidemment plus exhaustif et critique dans le cadre de son mémoire que ne peuvent l’être les différentes études menées sur la transformation numérique des services communication, Alan Calloc’h fait quant à lui le constat d’un retard progressif dans l’appropriation des technologies par les dircom et leurs équipes.

Et le décrochage, si tant est que l’on puisse utiliser ce terme, lui le situe historiquement dans le passage du web 2.0 au web² et au web 3.0, tels que décrits ci-dessous dans le schéma de Dion Hinchcliffe, avec de premiers retards constatés ici et là dès l’émergence du web 2.0, dans la prise en compte de certains des impacts du web social, avec une appropriation plus ou moins avancée parmi les entreprises de la révolution du brand content, des nouveaux formats d’écritures et codes du storytelling digital, ou bien en matière de gestion des User Generated Contents, faute de stratégies de co-création bien définies et réellement formalisées au sein de la plupart des entreprises…

Ainsi, dans son analyse très intéressante des évolutions de la communication et du métier de dircom, Alan Calloc’h rappelle à juste titre que notre secteur a été le premier impacté par la numérisation des organisations. Durant les années 90, avec l’émergence du web 1.0 ou web de publication centré sur les documents et alors que le site web et l’email sont les nouveaux services plébiscités par le grand public, les dircom et leurs équipes sont en effet en première ligne de la transformation numérique des entreprises. Ils élaborent les premiers sites internet et intranet et gardent le contrôle sur l’information, en considérant simplement le web comme un nouvel outil, qui ne remet nullement en cause la stratégie de prise de parole de leur organisation.

A partir de 2004, avec l’apparition des premières plateformes sociales et interfaces de programmation, puis l’essor des réseaux sociaux, naît le web 2.0 ou web social centré sur les utilisateurs et leur offrant la possibilité d’interagir (développement d’interfaces riches et de nouveaux usages de partage et de conversation). Durant cette phase, qui voit les organisations accélérer l’intégration stratégique du web, les dircom et communicants restent mobilisés, intègrent les nouvelles technologies et nouveaux codes, tout en comprenant que leur métier va en être profondément bouleversé. Ils constatent en effet qu’ils perdent de plus en plus le contrôle sur l’information, à mesure que les internautes s’expriment davantage, échangent entre eux et se mettent à interpeller les marques.

Mais avec le web², tandis que les communicants en sont encore à gérer tant bien que mal les impacts du tsunami 2.0, la donnée prend le pouvoir et vient de nouveau bousculer le périmètre métier des communicants. « En manque d’expérience, de culture technologique et marketing face à cette nouvelle vague, le dircom se voit dépossédé de certains projet, au bénéfice des directeurs marketing et des nouveaux directeurs digitaux, disposant d’un niveau d’expertise bien plus poussé et d’une vision transversale de la transformation numérique’.

Alors que nous entrons désormais progressivement dans l’ère du web 3.0 dit « sémantique », où les machines comprennent et sont en capacité d’utiliser de manière autonome les données qu’elles hébergent, la perte de repère est encore plus complète pour les communicants, qui tardent à mettre à jour leur logiciel et à adapter leurs pratiques, faute de formation et d’une compréhension fine des nouveaux enjeux. En témoigne le corpus d’annonce de recrutement ainsi que les nombreuses fiches de poste récentes étudiées par Alan Calloc’h : dans la plupart des cas, les enjeux liés au digital y sont traités traités à la marge (ou pas du tout), comme si la révolution numérique était achevée et déjà totalement intégrée par l’écosystème de la communication.

Dixit le consultant en transformation numérique : « Nous avons été surpris de constater que 60% des annonces étudiées (tous secteurs et tout type de structure confondus) n’intègrent peu ou pas d’enjeux liés au digital, ni au titre de la transformation de l’organisation, ni au titre de la dimension ‘outil’. Par ailleurs, concernant les fiches descriptives du métier de directeur de la communication, 86% des structures du panel étudié n’intègrent pas de sémantique spécifique sur le thème de la transformation digitale. » 

Sans même entrer dans le détail des technologies et les notions d’intelligence artificielle, de blockchain ou de data, dont la mention est là aussi absente de la quasi-totalité des annonces et descriptifs, cette conception pour le moins « figée » de nos métiers interpelle et vient donner de l’eau au moulin d’Olivier Lefèvre, consultant du groupe Onepoint cité par Alan Calloc’h, qui ne peut lui aussi que relever le décalage :

« Le secteur de la communication est le premier à avoir été impacté par la numérisation au sein de l’organisation. Un temps en première ligne de la transformation digitale, le directeur de la communication est aujourd’hui moins impliqué. Il est pourtant celui qui a installé les outils web, créé les premiers sites (internet et intranet), mis en place des cellules dédiées au web… Et pourtant, il ne semble plus être un moteur de la transformation […] L’écosystème a évolué plus vite que lui »

Nouveaux formats et nouvelles écritures du storytelling digital, modélisation de la chaîne éditoriale, stratégies de co-création… : tous les impacts et enjeux du web 2.0 sont encore très inégalement pris en compte

Dans la première partie de son mémoire, « Disruptions à l’ère des réseaux sociaux et du mobile », Alan Calloc’h recense de manière précise et exhaustive les différents défis auxquels les dircom dont confrontés à l’ère du web 2.0, en précisant que la plupart ont été intégrés, au moins dans les discours, comme en témoignent les interviews de dircom qu’ils ne manquent pas de citer.

Immédiateté des réseaux sociaux, fake news, défiance croissance des citoyens face aux institutions et aux discours corporate, inflation de contenus, « infobésité » et diminution de l’attention des publics… réclament une transparence accrue, de la sincérité et la démonstration de véritables valeurs de l’entreprises, incarnées de préférence par ses salariés, ses dirigeants ou des ambassadeurs crédibles.

De fait, à l’heure du web social, « ce sont les valeurs de respect, d’honnêteté, d’écoute et de générosité qui forment le socle durable de relations numériques de confiance… » rappelle Alan Calloc’h et les communicants sont appelés à communiquer différemment, en investissant certes les différentes plateformes sociales et en s’appropriant les nouveaux outils, mais en intégrant également à leur narration le destinataire de leurs messages.

Dans cette nouvelle ère où les marques sont invitées à exprimer leur identité et une vision forte, articulée aux nouveaux besoins de leurs parties prenantes et de la société, il appartient aux entreprises et aux communicants de démontrer sans langue de bois la réalité de leurs engagements, de respecter le « contrat de confiance » avec leurs clients et parties prenantes en nourrissant un vrai dialogue, une vraie conversation avec eux sur les réseaux sociaux notamment. Les contenus produits doivent être efficaces et engageants, et respecter les nouveaux codes et formats de l’écriture digitale (contenus riches, « langage augmenté » utilisant toute la palette des nouvelles ressources numériques : émojis, mêmes, sons et images), alterner formats longs et courts dans le cadre d’un storytelling digital pensé et efficace, soutenu par de véritables schémas narratifs (les lecteurs assidus de ce blog retrouveront là des conseils maintes fois évoqués sur ce blog, ainsi que l’écho des recommandations de l’experte du langage Jeanne Bordeau).

Mais de facto, comme le souligne Alan Calloc’h et malgré de réels progrès accomplis par beaucoup d’organisations, c’est souvent dans l’appropriation de ces nouveaux codes d’écriture et dans le déploiement ce se storytelling digital, voire dans l’organisation et la modélisation même de la chaîne éditoriale sensée suivre cette stratégie éditoriale et en produire les contenus que le bât blesse.

Encore très « silotée » (entre directions de la communication, du marketing, voire les départements commerciaux), la production de contenus, trop souvent disparates, échoue à atteindre son objectif de cohérence et à adresser la multiplicité des points de contact avec les bons messages, dans le bon timing. Et si des « newsrooms » ont été bien mises en place ici et là, dont le dircom est rarement le rédacteur en chef en définitive, il est bien rare que tous les producteurs de contenus et tous les experts des canaux digitaux et offline y aient été intégrés, pour gérer cette chaîne éditoriale complète allant de la production à leur diffusion, en passant par l’indispensable monitoring de leur performance. Et tous les experts du web social sont loin d’y être systématiquement associés.

Outre le faible degré de modélisation de la chaîne éditoriale au sein de la plupart des entreprises, le manque de ressources et d’expertises dédiées ainsi que d’outils pour saisir complètement toutes les opportunités du web 2.0, les communicants seraient encore assez en retard en matière de co-création de contenus et de gestion des user generated content, ainsi que le rappelle également Alan Calloc’h.

De fait, si la capacité à faire participer les consommateurs, les clients fidèles et les consommateurs à leur storytelling de marque est une des forces d’entreprises exemplaires comme Innocent, Red Bull ou Go Pro pour ne citer que les plus connues, bien des entreprises considèrent encore la co-création et le « storymaking » comme des gros mots… quand la signification même de ce dernier terme ne leur échappe pas complètement.

Il y aurait donc encore beaucoup à faire pour que toutes les entreprises et tous les communicants puissent se targuer d’exploiter complètement toutes les opportunités du web social, nous glisse en filigrane Alan Calloc’h.

Blockchain, big data, VR et IA : des nouvelles technologies encore mal maîtrisées et très peu appliquées par les communicants et les dircom

Si le web 2.0, les réseaux sociaux et le mobile ont bouleversé le quotidien du dircom, sans que celui-ci sache encore en exploiter toutes les opportunités, une autre révolution peut-être plus impactante encore pour les organisations se prépare depuis des années : celle de la captation, de l’enrichissement et du traitement de la donnée sous toutes ses formes.

Capable de capter, traiter et exploiter une masse sans cesse plus importante de données, la technologie associant big data et tracking comportemental à la puissance de calcul accrue de l’informatique offre des possibilités quasi illimitées et permet aux entreprises de comprendre, mieux cibler et anticiper. « Couplées avec les techniques d’intelligence artificielle, de l’automatisation et de la vérification des informations via la blockchain, les données autorisent les direction marketing et communication à atteindre le graal : adresser le bon contenu, à la bonne personne et au bon moment. » 

Et Alan Calloc’h de présenter dans le détail, dans son mémoire, les opportunités offertes par le tracking comportemental et la masse exponentielle de data consolidées par les GAFAM, Google et Facebook en tête, ainsi que l’importance de la 5 G, du cloud et des objets connectés dans la convergence des systèmes informatiques et le croisement de ces milliards de données qui ne demandent qu’à être analysées et utilisées.

Las, les entreprises et les services marketing et com’ disposent encore très rarement des outils et des compétences leur permettant une telle exploitation, quand ce n’est pas la gouvernance elle même du sujet au sein de l’entreprise qui pose problème. Dixit Béatrice Mathurin, directrice communication du groupe Chantelle : « La mutation du métier est lié à la data et aux multiples sources de collecte de données. Face à cette problématique, on a l’impression que personne ne dirige. On accumule les chiffres avec une volonté de les faire parler, afin d’aller chercher toujours plus de ROI », mais sans mettre en oeuvre au bon endroit les expertises adéquates pour une exploitation efficace, faute de concertation et d’une véritable prise de conscience des enjeux.

De même, la blockchain, technologie de stockage et de transmission d’information sécurisée fonctionnant sans organe central de contrôle, offre des perspectives plus qu’intéressantes pour les dircom et leurs équipes : 1) possibilité de lutter contre la désinformation et les fake news, en certifiant et garantissant la fiabilité d’informations et de publications (communiqués de presse, communications financières…) ; 2) authentification et gestion de la relation avec les influenceurs sur la base d’indicateurs partagés de ROI ; 3) assainissement du marché de la publicité en ligne grâce aux capacités de structuration et de sécurisation de la blockchain ; 4) meilleure gestion de la relation client et de l’employee advocacy, grâce au partage directement consenti par les contacts et les ambassadeurs de leurs données personnelles… Mais là encore, hormis le 1er item concernant la certification des informations, déjà utilisé par quelques grands groupes, les expérimentation des dircom et de l’écosystème de la communication demeurent pour l’instant embryonnaires.

Et que dire de l’intelligence artificielle, si souvent et confusément évoquée qu’on ne sait plus exactement ce qu’elle recouvre ? Dans son mémoire, Alan Calloc’h y consacre un longue partie et remet les « vaches au milieu du pré », en citant 5 champs à explorer méticuleusement par les dircom et leurs équipes : 1) l’amélioration des dispositifs de veille, d’écoute et de collecte des données, grâce aux technologies d’exploration intelligente ou de « smart crawling », à la vérification et l’analyse des informations ; 2) la production de contenus courts et structurés, comme des dépêches ou brèves, ou l’identification de contenus existants grâce à la reconnaissance de textes ou d’images ; 3) La personnalisation et la diffusion de contenus, avec une analyse en temps réel des retours et interaction des publics ou des communautés destinataires des messages ; 4) les agents conversationnels ou chatbots, dont Alan Calloc’h signale qu’ils pourraient être aussi intéressants en communication interne qu’en communication externe ; enfin 5) La reconnaissance et la recherches vocales avec les opportunités infinies offerts par les assistants virtuels, dont je vous avais déjà parlé dans cet article.

On le voit : ce ne sont pas les sujets et les chantiers d’innovation qui manquent, d’autant que je n’ai parlé ni de réalité virtuelle ou augmentée, ni des ressources de la communication live, ni des apports tangibles des sciences cognitives dans le développement d’expériences utilisateurs plus satisfaisantes et gratifiantes, pour ne citer que ces autres champs d’amélioration et d’investigation…

Comment les dircoms et leurs équipes peuvent-ils combler leur retard et quelle posture adopter face aux flux continu d’innovations et à la #TranfoNum permanente ?

Sur ces points, les recommandations d’Alan Calloc’h et des experts de Cision se rejoignent.

S’il n’est pas attendu des dircom et des communicants qu’ils abandonnent leurs missions « régaliennes », l’information des publics, la promotion de l’image et des valeurs de la marque au travers d’une narration et de contenus incarnés, reflétant l’identité et la vision de l’entreprise, la gestion de la réputation et la mise en cohérence des discours sortants, l’animation de leurs communautés d’ambassadeurs et de porte-parole… on attend néanmoins d’eux qu’il investissent complètement les opportunités du web conversationnel et de la co-création, qui sont à leur portée, et s’emparent des nouveaux codes et bonnes pratiques du storytelling digital, en revoyant au besoin l’organisation et à modélisation de leur chaîne éditoriale, pour faire tomber les silos au sein de leurs propres équipes.

Et au-delà de la question des budgets et des moyens, qui est certes cruciale pour envisager la suite et faire face aux enjeux du web² et du web 3.0 dont nous venons de parler, au-delà même de la question des outils qui ne sont pas du tout à la hauteur des ambitions, il est aussi urgent que les dircom s’approprient tous les enjeux des révolutions à venir, en se formant en permanence et en formant leurs équipes aux technologies émergentes. C’est loin d’être suffisamment et si souvent le cas dans toutes les entreprises, certains pensant – à tort – être suffisamment en avance ou voir fait le tour des principaux enjeux.

A cet égard, si les dircom n’ont pas nécessairement vocation à devenir eux-mêmes des experts opérationnels du digital, beaucoup gagneraient assurément à s’inspirer de l’exemple de Béatrice Mathurin, dircom du groupe Chantelle, qui a poussé jusqu’au bout la réflexion sur l’évolution de ses propres compétences en choisissant, après 15 ans d’expérience, de réaliser un 3ème cycle spécialisé en marketing digital. A défaut d’avoir elle-même exercé chacun des nouveaux métiers du numérique, si utiles aux services communication, elle dispose sans doute aujourd’hui d’une bien meilleure connaissance et compréhension des enjeux… et des axes de progression de ses équipes pour passer du web social à celui de la connaissance : un défi majeur pour tout communicant.

 

 

 

 

Notes et légendes :

(1) Etude « Comment les dircom perçoivent la transformation digitale ? » réalisée entre juillet et septembre 2019 auprès de 380 directrices et directeurs de la communication en France, par Cyndie Bettant, Directrice Communication & Influence de Cision.

(2) Passionné par le numérique et la communication, Alan Calloch est aujourd’hui coach, consultant et formateur, spécialisé dans l’accompagnement des entreprises à la transformation digitale.

Il a réalisé son mémoire sur les « Nouveaux enjeux du dircom à l’ère de la transformation digitale et de l’intelligence artificielle » dans le cadre de son master de Communication des entreprises et des institutions réalisé en formation continue au Celsa, sous la responsabilité de la Professeure Nicole d’Almeida.

 

Crédit photos et illustrations : 123RF, Cision, The BrandNewsBlog 2020, X, DR

La communication interne, plus que jamais au coeur des enjeux de l’entreprise, pendant et après la crise…

Largement mobilisés depuis les prémices de la crise sanitaire, les communicants internes ont été particulièrement actifs ces derniers mois, dans leur double mission d’information des publics de l’entreprise et d’émulation des relations et du lien social entre les collaborateurs.

Souvent impliqués dans les cellules de crise, ils ont d’abord su rassurer, en fournissant une information claire et didactique à tous les salariés, qu’ils soient présents sur site, en télétravail ou au chômage partiel.

Il ont aussi su adapter le ton, les formats et modalités d’expression de la communication interne à chaque étape du développement de cette crise inédite : dans la phase « 1 » de la pandémie ; dans la bascule vers le confinement ensuite ; dans la période d’adaptation des organisations puis la préparation du déconfinement ; enfin dans l’accompagnement du retour progressif des salariés sur sites, avec la nécessité de gérer des collectifs toujours partagés entre télétravail et présentiel…

Au fil des semaines et des mois, au-delà de cette première mission d’information, il s’est surtout agi d’entretenir le lien et les relations au sein du collectif de travail, en montrant une réelle attention vis-à-vis des collaborateurs et en accompagnant au besoin les cadres et les dirigeants dans leur communication managériale et la mise en oeuvre de nouveaux rites de travail et d’échanges.

Le résultat ? D’après une étude Harris Interactive dévoilée au mois de mai, plus de 4 salariés sur 5 disent avoir été bien ou suffisamment informés sur le plan de la continuité des activités et les aménagements de travail mis en oeuvre par leur entreprise¹. Et les managers et dirigeants ne tarissent pas d’éloge sur l’accompagnement fourni en cette période par les équipes support et par les communicants d’entreprise.

Alors que le « retour à la normale » des activités se fait toujours attendre et que planent encore de nombreuses incertitudes, quels enseignements et bonnes pratiques retenir des mois écoulés en terme de communication interne, et quelle communication d’entreprise mettre en oeuvre pour répondre aux nouveaux enjeux et aux nouvelles attentes des salariés ? A l’aune de cette actualité et des défis à venir (développement du télétravail, animation de collectifs éclatés, invention de nouvelles modalités relationnelles et coproduction du sens…), quels seront la place et le rôle des communicants ?

Très optimiste sur les perspectives qui s’offrent aux communicants internes, Jean-Marc Atlan dressait il y a quelques semaines sur ce blog le constat d’une communication d’entreprise reconnue et revalorisée : « S’il en était besoin, la crise et le confinement ont renforcé une prise de conscience essentielle quant au rôle et aux enjeux décisifs de la fonction communication interne dans les entreprises et les organisations ».

Partageant ce constat et désireux d’obtenir des réponses aux questions ci-dessus, de la part d’experts de la communication interne, je me suis permis de solliciter Sophie Palès, déléguée générale de l’AFCI et Jean-Marie Charpentier, consultant en communication et co-auteur du livre « Communiquer en entreprise », pour aller plus loin.

Qu’ils soient ici remerciés de leurs précieux éclairages, que je vous laisse découvrir in extenso dans mon article du jour…

The BrandNewsBlog : Tout d’abord, Sophie et Jean-Marie, quels enseignements retenir de la crise sanitaire que nous traversons depuis 6 mois, en matière de communication interne ? Plusieurs étapes se sont succédé chronologiquement : 1) la phase de développement de la pandémie ; 2) L’annonce du confinement et des mesures qui en découlaient au sein des organisations ; 3) La phase de « gestion » du confinement et du télétravail de masse ; 4) L’annonce du déconfinement et des mesures de retour sur sites des collaborateurs en télétravail… A quelle étape en est-on aujourd’hui ? Et quelles leçons retenir de chacune ? 

Sophie Palès : Pendant des semaines, cette crise est apparue lointaine et irréelle, sans doute à la fois par son caractère extraordinaire et son origine, asiatique. Les entreprises les plus internationales, avec des implantations en Chine ou dans des pays touchés en premier, ont un peu mieux vu venir la déferlante. Pour les autres, comme d’ailleurs pour l’ensemble de la population, l’annonce du confinement a produit l’effet d’un électrochoc.

Avec un peu de recul, on observe quatre phases de gestion de crise dans les entreprises : une phase de préparation, très courte voire de précipitation, ensuite la bascule vers le confinement, phase intense, puis une phase de gestion d’un nouveau quotidien, usant, et, depuis le mois de mai, une quatrième phase, dans laquelle nous sommes encore, d’accompagnement du déconfinement et qui s’étirera encore plusieurs mois.

En entreprise il y a donc d’abord eu cette courte phase assez silencieuse de préparation, puis le passage brutal en télétravail pour ceux dont l’activité peut s’exercer à distance, le chômage partiel, le confinement, etc. Il y a eu un point de bascule mi-mars, ensuite une période d’adaptation et de surchauffe intense pour les équipes informatiques, RH, communication interne notamment, pour accompagner cette bascule. Les enjeux de communication interne consistaient alors à informer sur les nouvelles règles et fonctionnements applicables, mais très vite il a été question du maintien du lien au sein des équipes.

Avril a représenté une période étale, et dès la fin du mois, la préparation du déconfinement a occupé les esprits. Ce déconfinement est très progressif, de nombreux salariés sont encore en télétravail. Le retour au bureau se fait assez lentement ; d’abord parce que les protocoles sanitaires limitent le nombre de personnes présentes simultanément dans les espaces des entreprises, et aussi parce que le « retour à la normale » revêt des réalités très variables en fonction des conditions du confinement, du rapport au travail ou des conditions de travail de chacun. On parle ici essentiellement des fonctions tertiaires, mais tous les métiers de terrain ont été impactés différemment, certains confinés, au chômage partiel, d’autres non. Je retiens que les enjeux de communication interne qui sont apparus au grand jour pendant la phase la plus chaude de la crise sont bien installés. Ils devront en tout état de cause être pris en compte dans la période de crise économique et sociale qui s’annonce.

The BrandNewsBlog : De manière générale, quel est le rôle des communicants internes en temps de crise ? Quel ton, quelle posture doivent-ils adopter ? Quels messages doivent-ils transmettre ? Il semble que ce rôle se soit singulièrement étoffé avec la crise du Coronavirus-Covid 19… Dans quelle mesure et pourquoi ? 

Jean-Marie Charpentier : Cette crise a confirmé au fond le double rôle des communicants internes. Dès le début, comme le rappelle Sophie, il y a eu d’une part la dimension information et d’autre part la dimension relation, lien social.

Dans le contexte, je retiendrais surtout la montée en puissance de la deuxième dimension. Du côté de l’information, c’est le besoin de sobriété qui a prévalu. Plutôt que la profusion des contenus, dans un moment difficile on attend des communicants précision et clarté pour favoriser la connaissance exacte de la situation.

On a vu les effets avec les chaînes d’info en continu d’une pure logique de contenus. Elle nuit aussi bien à la clarté qu’à la connaissance. L’infobésité fait encore plus de dégâts qu’en temps normal. En temps de crise, les communicants internes ont, plus que jamais, un rôle particulier à jouer dans la régulation des flux d’information.

Du côté de la relation et du lien, la crise a révélé un grand besoin d’attention et de souci de l’autre. Avec une double dimension : individuelle et collective. C’était vrai vis-à-vis des salariés intervenant sur site en pleine pandémie. C’était vrai aussi pour les salariés dispersés, en télétravail, ou ceux mis en chômage partiel. Avec et au côté des managers, les communicants ont eu à prendre soin des salariés. Prise de nouvelles, écoute, facilitation de l’expression du ressenti de la crise, enquête… Dans l’ensemble, et malgré des difficultés bien réelles, les communicants ont été au rendez-vous de ce défi relationnel. Prendre soin des salariés, des collectifs quand tout bascule dans la crise, cela fait partie de la fonction sociale de la communication. Cela redonne, s’il le fallait, de l’épaisseur au métier.

The BrandNewsBlog : D’après une étude réalisée au mois d’avril par le cabinet Elan-Edelmann, toutes les entreprises et les organisations n’ont pas su gérer cette crise avec la même efficacité, loin s’en faut. Et seulement 43% des salariés français estiment que les entreprises ont pris des mesures suffisantes pour protéger salariés et clients face au Coronavirus… A cet égard, qu’est-ce qui a péché le plus souvent en terme de communication ?

Sophie Palès : Si l’étude d’Elan Edelman fait ressortir le chiffre de seulement 43% de Français estimant que les entreprises ont su mettre à disposition les produits et services nécessaires attendus par les consommateurs, elle ne fait pas explicitement mention de la communication interne.

Je crois qu’il est important de bien comprendre d’où l’on parle. Si on interroge les Français sur leur perception de l’entreprise, ce n’est pas tout à fait pareil qu’aller interroger des salariés sur leur perception des mesures de protection et de communication prises par leur entreprise. A cet égard, je constate que les chiffres sont plutôt bons, aussi bien à chaud, au cœur de la crise, qu’avec un peu de recul.

Une étude d’Harris Interactive que nous avons présentée en avant-première aux membres de l’Afci début mai, mettait en évidence au 21 avril, que 89% des salariés avoir été bien ou suffisamment informés par leur entreprise sur le plan de la continuité des activités et sur les aménagements de travail. Ce chiffre en vérité est élevé quand on sait que sur le plan de l’information, les gens ont souvent tendance à répondre qu’ils ne sont jamais assez informés…

Sans verser dans un plaidoyer pro domo,  il nous semble que les communicants internes ont plutôt bien fait le job en matière d’information. Ils ont cherché à répondre aux attentes, avec des moyens souvent limités, beaucoup d’ingéniosité, d’innovation, de pertinence dans les formats testés. Et tout cela, rappelons-le dans un contexte dégradé.

The BrandNewsBlog : Parmi les nombreuses problématiques nouvelles voire exceptionnelles qui ont émergé pendant la crise, il a notamment fallu animer des collectifs fragmentés entre salariés en télétravail et « premiers de corvée », tout en continuant à donner de la visibilité et du sens à l’action collective. Il a aussi fallu accompagner la mise en place du télétravail « de masse » et la mise en œuvre de nouveaux rituels de travail, en faisant preuve de créativité… Ces défis d’animation et d’information sont-ils encore d’actualité au sein des entreprises, dans la phase de retour à la normale et de reprise progressive de l’activité que nous traversons ?

Jean-Marie Charpentier : La crise a mis au jour un nouveau rapport entre distance et proximité. La mise au chômage partiel, l’explosion du télétravail et la coupure entre salariés dont certains étaient tenus d’être présents sur site, tout cela a redessiné les contours de l’entreprise et fragmenté les collectifs de travail.

Il a fallu à chaud revisiter la question des équipes avec leurs rites, leurs modalités de rencontre et d’échange. Travail délicat d’animation et de régulation pour les managers notamment, mais aussi pour tous ceux, RH et communicants internes, qui ont à voir avec le corps social et le lien dans l’entreprise. Cela s’est fait dans un contexte exceptionnel à tous égards et dans une grande diversité de pratiques.

Des ratés, il y en a eu. Cela a été quelque fois difficile à vivre. Dans nombre de cas, l’isolement et l’éclatement n’ont été que partiellement compensés par les outils. Le très probable développement dans l’avenir du télétravail nous rappelle en fait une chose : plus on est distant, plus la question de la proximité revient en force. Quelle que soit la configuration dans le travail, il faut toujours qu’à un moment ou à un autre on puisse se voir, se rencontrer physiquement, de personne à personne dans un groupe.

A défaut, on laisse les salariés distants seuls face aux dilemmes ou aux arbitrages. C’est toute la question des espaces et des temps de discussion dans et sur le travail. Avec l’expérience de la distance contrainte, la crise a révélé quelque chose d’essentiel : on ne peut pas rester durablement isolé au travail, on a besoin de faire équipe, d’être soutenu par un collectif, un réseau, une organisation. Les nouvelles configurations du travail qui vont voir le jour devront en tirer des leçons quant à l’équilibre entre autonomie et besoin du collectif. La place de la communication est au cœur de cette nouvelle donne qui fait qu’un salarié doit être « équipé » et pas seulement en termes informatique.

The BrandNewsBlog : Le déploiement contraint et massif du travail à distance a été largement commenté. Imposé par les circonstances et le plus souvent mis en œuvre avec efficacité et rapidité, il a permis à un certain nombre d’entreprises d’assurer la continuité partielle ou totale de leur activité. Quels en ont été les bénéfices et les limites pour les entreprises et pour les salariés ? Les mêmes limites existent-elles dans le télétravail choisi et à temps partiel ?

Sophie Palès : Eh bien, je crois que l’on peut dire que cette crise sanitaire a balayé d’un coup tous les plans de transformation digitale poussifs, inachevés, timorés… Nous avons tous sauté dans le grand bain, testé et appris en grandeur nature.

Lorsque l’on parle de télétravail, je crois qu’il faut bien avoir conscience que ce que les gens ont vécu pendant le confinement n’a pas grand-chose à voir avec le télétravail. Il s’agissait de travail à domicile, pour certains à temps plein, avec des coworkers par toujours très discrets et autonomes…

Le télétravail, dans une version courante, a vocation à permettre un meilleur équilibre entre sphères professionnelles et personnelles. Il permet de s’isoler du collectif de travail pour se pencher sur des sujets de fond, d’avancer plus vite, etc. On en était loin ces derniers mois…  On a vécu un temps de travail allongé, une productivité et une efficacité dans doute accrues, en tous cas dans les équipes de communication interne, mais aux dépens des temps informels, des échanges à bâtons rompus, de l’observation, de tout ce qui soude un collectif de travail.

Installer durablement le télétravail dans le fonctionnement des entreprises est certes une nécessité pour répondre aux contraintes sanitaires, mais ce n’est pas envisageable à temps plein et à long terme. Comme le souligne Jean-Marie, il est vraiment difficile d’interagir durablement avec des personnels si on n’a jamais l’occasion de les rencontrer.

Malgré les quelques limites que nous venons d’évoquer, le travail à distance est plébiscité aussi bien par les collaborateurs que les dirigeants, dont la plupart ont l’intention d’en développer encore la pratique à l’avenir, sur la base du volontariat et à temps partiel. Quels impacts l’extension de cette modalité de travail aura-t-elle sur les entreprises et les collectifs de travail ? Et quels en sont les enjeux en termes de communication interne ?

Jean-Marie Charpentier : Sur le plan du télétravail, les choses se sont accélérées récemment avec des conséquences à la fois favorables et problématiques.

En France tout de même, rappelons-le, le télétravail a longtemps été perçu par l’entreprise comme assez marginal et ne concernant que certaines personnes pas toujours bien vues d’ailleurs. L’expérience de la crise change radicalement la donne. Au-delà de l’effet d’aubaine, l’enjeu va être maintenant d’installer ce nouveau mode de travail dans la durée articulé au présentiel. Et là, on comprend bien qu’on est au tout début d’un processus.

Selon moi, les mots-clés qui prévalent sont usage et appropriation.  Les salariés en tout cas doivent avoir leur mot à dire, car il en va de la qualité du travail et de la qualité des relations au sein de l’entreprise. Il y a là un gros et beau chantier. Les communicants internes seront doublement concernés, à la fois pour eux-mêmes dans leur métier et sur un plan transverse dans l’entreprise.  Un des points sensibles, Sophie l’a dit, concerne la place des temps informels, des moments d’interstice dans le travail qui font la richesse des relations et sont pour beaucoup dans la coopération au quotidien.

The BrandNewsBlog : Comme les « premiers de corvée », mis à l’honneur durant cette crise, les managers de proximité ont également connu leur heure de gloire ces derniers mois. Pressés de s’adapter aux contraintes du confinement, d’alléger et de rendre plus efficaces leurs rituels de travail et de communication, ils ont réinvesti la scène du travail, au détriment de leurs missions annexes et n’ont jamais paru plus proches de leurs équipes… Ce retour aux sources du management a également refaçonné l’agenda et la communication des dirigeants. Comment faire perdurer les bénéfices de ce renouveau managérial ? Et comment repenser la communication managériale de demain en tenant compte de l’expérience de ces derniers mois ?

Sophie Palès : Comme bien souvent, les managers ont été en première ligne auprès de leurs équipes pour les informer des dispositions liées à l’organisation du travail. Ils et elles ont eu à investir un champ important de leur rôle, qui est celui de faire tenir le collectif de travail à l’échelle d’une équipe, souvent avec le concours de la communication interne.

C’est passé par des initiatives plus ou moins spontanées visant à reproduire les temps partagés en équipes. Au fil des semaines, ces actions un peu forcées type café-visio ont souvent évolué vers des contacts plus individuels, plus subtils. Coté dirigeants, on a découvert des prises de parole plus spontanées sur le fond et sur la forme. Moins de langue de bois, moins de filtres et de survalidation, donc plus de chair et d’authenticité. Et sur la forme, les videos « dans la cuisine » ont fleuri, pour parfois laisser la place au son, au podcast.

Tu sais, Hervé, comme j’aime la proximité, l’intimité, l’incarnation d’un propos que permet la voix, et dans cette période angoissante et incertaine, la voix des dirigeants s’est souvent fait entendre de manière plus directe et ouverte. La désintermédiation de la relation managériale se justifie pleinement dans les circonstances actuelles et surtout doit être complémentaire d’un accompagnement de proximité. Œuvrons pour tisser une communication managériale digne de ce nom. Communicants et managers ont partie liée en ce domaine.

The BrandNewsBlog : Durant les derniers mois, la crise sanitaire a également eu comme vertu de revaloriser et remettre en évidence la mission première de nombreuses entreprises, voire de secteurs entiers (grande distribution, santé, logistique, industrie pharmaceutique…). Pour bien des collaborateurs, le sens même de leur travail est redevenu soudain plus évident et facteur de motivation. Comment capitaliser sur ce supplément d’âme dans les prochains mois, alors que l’attente de sens n’a jamais été aussi forte ? 

Jean-Marie Charpentier : Le sens en entreprise et dans le travail a beaucoup à voir avec l’utilité sociale. Utilité sociale de l’entreprise. Utilité sociale des métiers. On a bien vu combien cette notion a été centrale dans la crise, de même que la notion de service, qu’il s’agisse du service public hospitalier ou des services à la population.

Ce qui a été frappant, c’est la mise en visibilité de services ou de métiers qui étaient largement devenus invisibles, alors qu’ils sont essentiels pour notre quotidien. Passés l’émotion ou les applaudissements, il y a maintenant un enjeu fort à « capitaliser », comme tu le dis Hervé, sur l’engagement professionnel qui a été assez exceptionnel de la part de nombreux salariés. Cela passe par la reconnaissance. Un vrai défi, car la reconnaissance est à plusieurs détentes. Financière d’abord, car un certain nombre des « héros » professionnels figurent parmi les plus basses rémunérations.

Symbolique ensuite, car dans l’ordre des représentations des métiers et professions, les caissières ou les éboueurs ne sont guère avantagés. Professionnelle enfin, car aussi bien du côté des conditions de travail ou des compétences on ne peut pas dire que l’investissement des entreprises soit très important vis-à-vis de ces populations. Le sens est donc une affaire plus concrète qu’on ne le pense souvent. Il faut des moments exceptionnels pour remettre les choses en perspective. Les communicants internes ont, de ce point de vue, un rôle à jouer, à la fois par la mise en valeur des métiers et par le recueil d’expressions et de paroles professionnelles au cœur des équipes. La crise a mis en visibilité, la communication interne a les moyens de la prolonger.

RSE, « raison d’être », engagements sociétaux… Il n’est pas toujours simple de communiquer efficacement sur ces sujets vis-à-vis des publics externes. Et vis-à-vis des publics internes, comment s’y prendre ? La crise économique à venir ne risque-t-elle pas de compliquer encore la tâche des communicants, en détournant l’attention des collaborateurs vers des préoccupations plus urgentes ? En quoi est-il important de continuer à communiquer sur ces sujets à votre sens ?  

Sophie Palès : Je crois qu’il ne s’agit pas de « communiquer sur » les enjeux de RSE ou de raison d’être, etc. mais bien d’intégrer ces enjeux à la manière dont on pense l’entreprise, pour en faire des leviers stratégiques.

Je crois aussi que les entreprises qui sauront prendre ces questions à bras le corps en les intégrant à une stratégie de reprise économique s’installeront plus durablement dans le paysage. Et pour les communicants, les actes se rapprocheront des paroles.

The BrandNewsBlog : Qu’en sera-t-il à votre avis de la communication interne dans les prochains mois ? Après avoir été largement sollicités et mis à l’honneur ces derniers mois, pour leur implication dans la communication de crise et dans l’animation des collectifs de travail, après avoir prouvé leur capacité d’adaptation et d’innovation bien souvent, les communicants interne tireront-ils bénéfice de cette période inédite ? Faut-il s’attendre à un renouveau de la communication interne et à une reconsidération de son rôle stratégique ?

Jean-Marie Charpentier : Nous traversons une crise à tous les sens du terme, c’est-à-dire une période à la fois pleine de danger et d’opportunité. C’est vrai aussi pour toutes les fonctions de l’entreprise. La communication interne n’y échappe pas.

Mon sentiment est que cette fonction, souvent occupée par des professionnels qui interviennent à bas bruit en cherchant la bonne distance de communication, a de l’avenir. Certes, le travail change, les phénomènes de désintermédiation jouent à plein, mais cette crise nous montre combien le travail lui-même est fait de communication et pas seulement de transmission.

Le renouveau de la communication interne que tu évoques Hervé me semble se jouer là au cœur du travail dans toutes ses dimensions, y compris à distance. Les reconfigurations des modes de travail et des équipes, les remises en question des unités de temps, de lieu et d’action sont affaire de management tout autant que de communication.

Les agents du lien seront essentiels dans le monde qui vient. Les dénominations et les rattachements importent peu à mon sens, ce qui compte c’est la reconnaissance de l’enjeu de la communication en entreprise. Et de ce point de vue, les choses sont en train d’évoluer.

The BrandNewsBlog : J’avais parlé sur ce blog d’un quintuple défi à relever par les communicants internes pour développer l’assise stratégique de leur fonction (défi des moyens ; défi du rythme et du sens ; défi du ton et du langage ; défi de la pertinence et du lâcher prise ; défi de la redéfinition des missions…). Qu’en est-il exactement aujourd’hui ? Quels progrès ont été accomplis ? Peut-on être optimiste et espérer que la communication interne s’affranchisse bientôt de son statut de « parent pauvre » de la communication d’entreprise ?

Sophie Palès : On l’a vu lors des derniers mois, les communicants internes ont été au rendez-vous de leur métier : l’information interne certes, mais aussi cette dimension plus relationnelle de la communication, ou en tout cas, ils sont tous bien conscients de la nécessité de développer cet axe, pour eux-mêmes et dans l’accompagnement des managers.

Les entreprises qui ont le mieux géré la crise sont celles qui avaient intégré les équipes de communication, notamment interne, aux cellules de crises. Pour les autres, la période aura permis de mettre en évidence la nécessité d’inviter la communication interne à la table des décideurs. J’espère que ce saut stratégique sera durable. C’est aussi aux communicants de forcer un peu les portes ; l’actualité récente leur a donné l’occasion de démontrer la dimension stratégique du métier.

The BrandNewsBlog : Au final, quels sont, selon vous, les progrès accomplis en matière de communication interne, et quels sont encore les axes et domaines de progression ?

Jean-Marie Charpentier : Deux évolutions assez récentes selon moi. Je crois que l’on en a fini avec le discours sur « la fin de la communication interne » qui revenait comme un marronnier ; par ailleurs, la logique selon laquelle la communication interne n’aurait en définitive d’avenir que du côté de la « fabrique des contenus » se trouve tout de même assez largement démentie par les événements récents au profit d’une approche plus équilibrée.

Quant aux axes de progression, j’en vois un que vient d’évoquer Sophie et qui me paraît essentiel : la communication managériale. Les managers ont un rôle-clé dans la régulation du travail comme dans la communication avec les équipes.  Ils auront notamment à s’adapter à une alternance qui va croître entre proximité et distance, en inventant des formes de lien et des rituels de communication. Les communicants internes ont à les aider dans cette tâche délicate. La communication managériale, ce n’est pas, ce n’est plus la diffusion des kits. Il y a bien plus important.

 

Notes et légendes :

(1) Etude Harris Interactive dévoilée dans le cadre du webinaire « La communication interne à l’heure du confinement et du déconfinement » organisé par l’AFCI le 5 mai 2020 .

(2) Article du BrandNewsBlog « Après le confinement, quels constats et quelles évolutions managériales, organisationnelles et communicantes pour les dirigeants et les entreprises », en date du 17 mai 2020

 

Crédit photos et illustrations : AFCI, Sophie Palès, Jean-Marie Charpentier, The BrandNewsBlog 2020, X, DR

Comment communiquer et garder le lien avec collaborateurs et clients dans cette période de crise et de confinement ?

Bien chers lecteurs du BrandNewsBlog, j’espère tout d’abord que vous et vos proches allez bien. Ces dernières semaines, nous avons toutes et tous été confrontés, à la fois en tant que citoyens, parents, professionnels… à cette crise sans précédent que représente la propagation du coronavirus COVID-19.

S’ils n’étaient pas en première ligne sur le front sanitaire, aux côtés des médecins et personnels de santé que je remercie de tout cœur pour leur dévouement, ni directement aux contacts des clients et des usagers, les communicant.e.s ont été particulièrement sollicités et actifs au sein de leurs entreprises et organisations respectives.

Largement mobilisés par les cellules de crise et la gestion voire l’anticipation des impacts de l’épidémie, ils.elles n’ont cessé de relayer auprès des collaborateurs et de leurs clients/usagers et autres parties prenantes les informations dont ils.elles disposaient. Précieux relais des mesures gouvernementales, des recommandations des autorités de santé mais également bien sûr des consignes et décisions de leur direction, les communicants internes se sont montrés particulièrement réactifs et impliqués, collectant, vérifiant et rediffusant les éléments dont ils.elles disposaient, animant les échanges entre directions et services, assurant les permanences de soirées et de week-end et faisant preuve d’une solidarité remarquable, comme tant d’autres opérationnels des fonctions support ou de terrain.

Mais voici qu’après avoir anticipé, appliqué et accompagné toutes les mesures et décisions gouvernementales consécutives au passage au stade 3 de gestion de la pandémie (fermetures d’établissements et d’usines, recours au télétravail et au chômage partiel, application des mesures de confinement…), ils.elles doivent maintenant continuer de communiquer à distance avec des collaborateurs, partenaires et clients confinés pour une période indéterminée…

Comment, dans de telles circonstances, communiquer efficacement et maintenir le lien avec chacune des parties prenantes ? Comment assurer, en interne, la cohésion et le moral des équipes, accompagner et aider tous les salariés qui en ont besoin, tout en gardant une relation aussi active que possible avec ses partenaires, clients et prospects, avec pour priorité la santé et la sécurité de chacun, mais également la préservation de l’outil de travail pour être prêts pour une future reprise ?

Voici quelques-une des questions qui m’ont été posées par de nombreux collègues et professionnels cette semaine et auxquelles je vous propose de répondre aujourd’hui en mode « work in progress », au travers de l’interview de 4 professionnels qui ont bien voulu me répondre ces derniers jours¹ : Julien Villeret, directeur de la communication d’EDF ; Valérie Lauthier, directrice de la communication du groupe Pierre & Vacances Center Parcs ; Jean-Marie Charpentier, consultant en communication et Florian Silnicki, expert en stratégies de communication de crise.

Qu’ils soient ici remerciés de leur réactivité, de leurs éclairages précieux et du temps qu’ils ont bien voulu m’accorder en pleine période de gestion de crise !

Leurs recommandations et leurs actions illustrent il me semble plusieurs points importants en communication de crise : 1) l’anticipation, sans laquelle le Groupe EDF n’arriverait sans doute pas aussi bien aujourd’hui à assurer ses missions dans un tel contexte ; 2) la grande humilité à conserver dans l’approche de cette situation évolutive et en matière de communication, bien loin des certitudes des sachants et de quelques pseudos experts, car en définitive chacun explore et invente en ce moment de nouvelles modalités d’organisation et de relations à distance ; 3) la priorité absolue accordée à l’humain, à la santé et au bien être des collaborateurs, car sans bienveillance, entraide et solidarité en de telles circonstances, point d’entreprise « agile » ni de continuité de service…

A tous les professionnels qui ont bien voulu me répondre, encore merci, et à toutes celles et ceux qui me lisent, toute mon amitié et mes chaleureux encouragements, en cette période si difficile pour tous.

Le BrandNewsBlog : Dans le contexte de gestion de la crise COVID-19 depuis plusieurs semaines et des mesures de confinement en vigueur depuis le passage au stade 3, comment une entreprise comme EDF se retrouve-t-elle impactée aujourd’hui ? En tant que premier électricien mondial et principal fournisseur d’énergie des Français, vous faites évidemment partie des sociétés dont l’activité et les services nous sont essentiels : qu’est-ce que cela impose comme contrainte particulière et comment les gérez-vous, dans le respect de la sécurité et la santé de vos collaborateurs ?

Julien Villeret : Effectivement, nous fournissons un service qui est considéré comme «vital», et donc à ce titre nous sommes évidemment en première ligne. Les Français le savent, la mobilisation d’EDF en cas de crise, c’est évidemment dans l’ADN de l’entreprise. Ainsi, depuis début janvier et les premiers échos provenant de l’étranger, nous avons activé notre cellule de crise Groupe en mode préventif. Nous avons des activités en Chine et en Italie par exemple qui nous ont permis de vivre le scénario avec plusieurs semaines d’avance.

En France, nous répondons à deux logiques, organisées autour des «stades» indiqués par le gouvernement, qui se croisent en matriciel avec des «modes» décidés par EDF pour assurer la continuation des activités. Ainsi, chaque stade et chaque mode imposent une riposte et des adaptations graduées, de type travail à distance total et ou tournant, équipes scindées, équipes en réserve, et bien d’autres éléments dans l’arsenal.

Je le disais, la prévention et la gestion de crise chez EDF sont génétiques, donc nous avions un plan pandémie et des PCA (plans de continuation d’activité) déjà prêts. Ils ont été mis à jour et déployés rapidement, pour s’assurer que nos activités essentielles au sein de chaque métier soient correctement identifiées, de même que les listes de salariés affectés à chaque mission.

Le BrandNewsBlog : Comme beaucoup d’autres entreprises depuis ce lundi, j’imagine que vous avez mis en place le travail à distance pour tous les collaborateurs qui pouvaient en bénéficier, à temps complet et jusqu’à nouvel ordre. Dans une telle période, comment continuer à assurer la cohésion et le moral de vos collaborateurs durant les prochaines semaines ? Vous appuyez-vous sur les canaux et supports de communication interne existants ou bien en avez vous mobilisés d’autres ? Et comment renforcer le lien avec vos équipes de terrain, ces héros de notre quotidien en situation de crise ?

Julien Villeret : La forte numérisation de l’entreprise menée ces dernières années nous a permis de passer en mode télétravail du jour au lendemain, sans rupture de service pour la production d’électricité comme pour les clients. Nous avons actuellement une capacité d’accueil de 70 000 positions de travail à distance sur nos réseaux, et plus de 56 000 sont connectés chaque jour à date.

Donc la technique fonctionne. Mais l’objectif, c’est évidemment de ne laisser personne en solitude professionnelle, en désœuvrement, pas plus qu’en surmenage. On le voit en particulier sur les fonctions communication, par définition très mobilisées pendant la crise avec un lourd stress pour certains.

L’idée est de préserver au maximum les rites et les rythmes des équipes, à travers la visio notamment. De ne surtout pas créer de nouveaux outils de communication, mais d’exploiter au maximum l’existant. A ce titre, je dois dire que nous sommes heureux de pouvoir exploiter en particulier nos applis de communication interne sur mobiles et tablettes, très utiles pour l’alerting. L’audience de tous nos canaux est maximale, et c’est aussi l’occasion de faire découvrir la palette des outils disponibles aux collaborateurs qui n’en auraient pas encore connaissance.

Enfin, évidemment, l’idée est d’accompagner au maximum les managers, pour qu’ils puissent prendre soin de leurs équipes à tous points de vue. Les messages sont clairs : la santé des salariés et la continuité de l’activité doivent être préservés en toute occasion.

Il est clair que nous nous inscrivons dans une gestion de long terme, donc nous allons au fur et à mesure et de plus en plus largement mettre en lumière ces héros du quotidien que vous évoquez en racontant l’histoire de ceux qui vont s’assurer de l’alimentation en énergie des hôpitaux, gérer une centrale ou répondre aux clients depuis leur domicile.

Le BrandNewsBlog : Dans une telle période de crise, quels sont les principaux enjeux pour le dircom et ses équipes, et quels sont vos points particuliers d’attention ? Garder le lien avec vos clients tout autant que vos collaborateurs, rester positif, valoriser le rôle de vos équipes de terrain et votre maîtrise d’opérateur sont j’imagine les objectifs essentiels. Y-en-a-t’il d’autres et comment y parvenez-vous ?

Julien Villeret : L’enjeu principal est bien entendu de garder le lien avec, mais aussi de rassurer toutes les parties prenantes sur la mobilisation de l’entreprise. La fierté du collectif est essentielle, mais de mon point de vue, la difficulté que nous aurons tous à gérer dans nos différentes entreprises est celle de la durée.

Une crise d’une telle ampleur se déroulant sur plusieurs mois et avec des interdépendances économiques et sociales si puissantes, c’est du jamais vu. Nous allons inventer au fur et à mesure. Nous avons d’ores et déjà lancé une équipe de réflexion sur la sortie de crise, pour être prêts dès que les circonstances le permettront à retrouver une vie « normale », bien que probablement bien différente.

Personnellement, je suis assez convaincu que cette crise fera bouger les lignes. Dans les modes de travail à distance, dans les priorités sanitaires, dans l’articulation des vies pro/vies perso, beaucoup de représentations sociales vont évoluer.

A nous de les accompagner pour en tirer le meilleur. Mais pour l’instant, je crois que la priorité pour toutes les entreprises, c’est de continuer à fonctionner au service des clients. Je pense que les entreprises qui sortiront la tête haute seront celles qui auront rendu service à la population sans la ramener, avec modestie. Et cela pourra probablement faire revenir en grâce certaines activités ou secteurs injustement décriés ces dernières années, comme la grande distribution ou les télécoms par exemple, qui démontrent plus que jamais leur utilité en ce moment.

Le BrandNewsBlog : Jean-Marie, vous êtes quant à vous un grand expert de la communication interne et co-auteur de l’excellent ouvrage « Communiquer en entreprise », dont j’avais déjà parlé sur ce blog. Comment continuer à assurer la cohésion et le moral des troupes parmi les collaborateurs dans les prochaines semaines ? Avez-vous en tête des exemples d’entreprises qui ont d’ores et déjà mis en place des solutions d’échange ou de communication dédiées et intéressantes ?

Jean-Marie Charpentier : Il faut rappeler que télétravail était déjà en forte hausse avant la crise sanitaire ou les grèves de l’hiver dernier. Le phénomène gagne du terrain en entreprise pour des raisons à la fois économiques (réduction des espaces de travail et des bureaux), d’organisation du travail et d’attractivité pour des salariés sensibles à de nouveaux équilibres de vie.

La crise actuelle va encore servir d’accélérateur. On expérimente en grand cette modalité de travail, même si son déploiement ces derniers jours intervient souvent en mode dégradé, dans l’urgence. Ici ou là, l’équipement perso des salariés supplée un équipement pro qui n’est pas toujours en place au domicile. Il faut parer au plus pressé. L’essentiel dans ce moment exceptionnel est d’assurer une continuité du travail et de garder le lien professionnel et social.

Garder un lien direct, même à distance, c’est possible. Il y a des outils pour cela, mais ce n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est l’attention aux autres, l’attention à chacune et chacun, c’est de faire équipe. Il faut tenir le coup dans ces temps difficiles.

Tu parles à juste titre de cohésion et de moral. Plus l’habitude existe de fonctionner en collectif, de dialoguer dans le travail avec des temps dédiés, plus le contact et le lien à distance en période de crise se trouvent facilités. Une communicante me le dit en ces termes : « Tout est plus compliqué, mais heureusement, mon équipe qui a l’habitude d’échanger au quotidien tient bien ».

On est prêt à accepter des tâtonnements, des difficultés techniques dès lors que la confiance existe entre pairs et avec le management. Une chose est sûre : « Zoom », ça ne fait pas de miracle dans des univers cloisonnés et  verrouillés. Dans le travail, on a besoin de coopérer et de faire société, c’est-à-dire opérer ensemble et communiquer pour partager un sens commun. C’est vrai – ou ça devrait être vrai – en toutes circonstances.

Là où il y a du collectif, on voit se créer à chaud en ce moment des groupes WhatsApp, des rendez-vous quotidiens sous forme de « cafés virtuels », des rencontres régulières en ligne pour faire le point… Je pense aussi à cette grande entreprise où le DRH communique de façon soutenue avec chaque membre de son équipe pour maintenir le lien en période de crise, mais il le fait d’autant mieux que son équipe y est habituée en temps normal. Bref, la situation en télétravail est fortement liée aux fonctionnements préexistants, ce qui n’empêche pas, bien au contraire, des innovations. L’Afci vient d’ailleurs d’organiser des ateliers d’échange de pratiques entre communicants pour partager les expériences en cours des uns et des autres.

Le BrandNewsBlog : On sait que le télétravail à temps partiel et surtout le travail à distance à temps complet ont un impact fort sur les pratiques de management et sur les habitudes de travail : certains collaborateurs peuvent se retrouver physiquement et psychologiquement isolés, voire fragilisés. D’autres peuvent éprouver une relative démotivation, liée à la disparition des rituels quotidien de travail et d’échange… Comment s’occuper à distance des plus fragiles et s’assurer de ne laisser personne « au bord de la route », sans oublier toutes les personnes qui doivent continuer de se rendre sur leur lieu de travail, pour des raisons de continuité d’activité ?

Jean-Marie Charpentier : Le télétravail a tendance, on le sait, à isoler les salariés. Celles et ceux qui le pratiquent ont toujours besoin à un moment ou à un autre d’en sortir à la fois physiquement et psychiquement.

Cela renvoie au besoin de ne pas être seul au travail et de pouvoir faire équipe. Tout salarié a besoin d’être soutenu, c’est-à-dire de s’inscrire dans un collectif, un réseau, une organisation. Le télétravailleur, comme tout salarié, doit bénéficier d’appuis, mais dans un cadre particulier. Le meilleur appui, c’est l’équipe avec son manager.

On a poussé très loin, trop loin, l’individualisation de la relation salariale en demandant au salarié d’être « entrepreneur de soi ».  Or, l’autonomie ça s’apprend et ça s’apprend en situation avec les autres dans l’échange quotidien. Comme chacun ne dispose pas des mêmes capacités à être autonome, les micro-solidarités locales d’équipe sont essentielles. Le sociologue Marc Uhalde a montré que c’était le premier facteur permettant de tenir au travail dans un univers en mouvement permanent². Pouvoir compter sur un collectif, cela doit faire partie de l’équipement de base du télétravailleur, bien avant l’outillage informatique.

Si le télétravail, comme on le voit, a vocation à se développer, d’abord ce ne sera pas le cas pour tout le monde et ensuite, cela va nécessiter de revisiter la question des équipes avec leurs rites, leurs modalités de rencontre et d’échange. Sinon, on laisse aux salariés distants le soin de gérer seul ou presque les dilemmes ou les arbitrages. Avec toutes les mauvaises conséquences que l’on peut facilement envisager.

En fait, plus on est distant, plus la question de la proximité se pose. Cela peut paraître paradoxal, mais il y a toujours un moment où il faut se voir, se rencontrer physiquement, de personne à personne dans un groupe. Si certains rêvent de gérer les relations humaines et sociales uniquement en ligne, c’est un fantasme pur et simple.

Le BrandNewsBlog : Pour les managers en particulier, dans le suivi et la communication avec leurs équipes, quels sont les enjeux ? Comment préserver le lien et renforcer le dialogue, tout en s’assurant que les informations et consignes importantes sont bien prises en compte ?

Jean-Marie Charpentier : Une des caractéristiques du moment de crise que l’on vit est que tout le monde, dans certains secteurs, partage aujourd’hui l’expérience du télétravail : à la fois les salariés, les managers et même les dirigeants.

Cela remet en question certains comportements que me rapportait une consultante d’un grand cabinet conseil. Un des patrons s’adressait encore à elle il y a peu sur le mode « Alors, tranquille la vie en télétravail à la maison ?… ». A minima, le salarié en télétravail mérite le respect. Il n’a pas toujours fait le choix de ce mode de travail et même s’il l’a choisi, il ne doit pas être soumis à une justification permanente.

Au fond, cela pose la question centrale de la confiance. Le manager est celui qui est le mieux à même de la construire au quotidien. D’ailleurs, quand on interroge les salariés dans les entreprises sur les acteurs qui, selon eux, sont dignes de confiance, ils placent en tête et de loin leurs collègues et leur manager direct.

C’est toujours la proximité qui l’emporte, parce que l’entreprise fonctionne à l’humain. Tout le défi pour les managers est de faire en sorte que la distance que permettent  désormais les outils ne fasse pas perdre de vue que l’essentiel ce sont les relations entre les personnes. En télétravail, on a à la fois besoin des pairs et des managers. L’expression manager de proximité n’a peut-être jamais été aussi porteuse de sens. Dès lors que l’entreprise demeure un lieu de rencontre sociale, les managers gardent un rôle clé dans la régulation du travail comme dans la communication. Reste à savoir s’adapter à la nouvelle donne d’une alternance croissante entre présence et distance, en inventant des formes de liens et des rituels de communication correspondant à la situation. Les communicants devraient pouvoir les aider dans cette tâche.

Le BrandNewsBlog : Dans le contexte actuel, la santé aussi bien physique que psychique des collaborateurs doit évidemment primer. Avez-vous le sentiment que les entreprises en font assez à ce niveau ? Et dans les communications internes et externes, quel ton adopter ? Au-delà de la gravité de rigueur, les entreprises doivent-elles / peuvent-elles s’autoriser une dose d’humour ou un registre plus décalé, comme se le permettent les internautes sur les réseaux sociaux ? Est-ce compatible avec les enjeux et objectifs dont nous avons parlé à l’instant ?

Jean-Marie Charpentier : L’isolement, non ou mal compensé, produit de la souffrance dès lors qu’il n’y a plus la protection du groupe. Le salarié peut perdre peu à peu ses repères et son pouvoir d’agir et, au final, sa santé en pâtit.

Ceux qui pratiquent le télétravail parlent aussi d’un autre phénomène qui est le sur-travail. On a tendance à travailler en continu, parfois bien au-delà de ce qu’on ferait au bureau, pour surmonter une forme de culpabilité. Là encore avec des risques pour la santé liés à l’épuisement.

Les entreprises ont longtemps minimisé ces phénomènes, associant, sans toujours le dire, domicile et farniente. Heureusement, les représentations évoluent. Les négociations sociales en entreprise autour des enjeux du télétravail ont notamment permis une plus juste appréciation des choses. Il reste que pour surmonter les défis du travail à distance, un des ressorts premiers a trait à la communication, plus exactement à la parole.

Parler, se parler pour maintenir le lien social, c’est la base de la solidarité professionnelle³. La parole échangée permet de remédier en partie à la distance et aussi à la culpabilité que nous évoquions. Quant à l’humour, même si la période ne s’y prête pas vraiment, il renvoie à la confiance. Dès lors que l’on travaille en confiance avec ses pairs, avec le manager, l’humour vient en général naturellement. Cela fait partie de la convivialité au travail, en direct ou en ligne.

Le BrandNewsBlog : Valérie, vous êtes quant à vous la directrice de la communication d’un des leaders européens des villages de vacances et des résidences de tourisme (Pierre & Vacances Center Parcs), un secteur qui a été parmi les premiers et les plus lourdement impactés par les restrictions d’accueil puis les mesures de confinement. Comment avez-vous géré les deux dernières semaines et quelles ont été les priorités pour votre entreprise ?

Valérie Lauthier : Nos priorités des dernières semaines ont été et continuent d’être avant tout la santé et la sécurité de nos personnels et de nos clients. Sur le pont dès le début de cette crise COVID-19, nos dirigeants ont accompagné voire anticipé les mesures prises par les gouvernements des différents pays dans lesquels nous sommes implantés, pour le bien de nos salariés et de nos résidents.

C’est ainsi qu’en ce qui concerne Center Parcs, nous avons été amenés à fermer en fin de semaine dernière tous nos villages en Belgique, puis ceux de France, avant de prendre la même décision de fermeture pour les Pays-Bas et en Allemagne. A l’annonce par le gouvernement français de la mesure de fermeture des bars et des restaurants, nous en avons fait de même pour toutes nos résidences Pierre & Vacances à la mer et à la montage, sur le territoire français et en Espagne. Pour nos résidences urbaines Adagio, qui accueillent souvent une clientèle de longue durée, nous avons également décidé de les fermer au cas par cas. En résumé : tous nos sites sont désormais fermés au public et nous fonctionnons en activité réduite avec l’application pour une majorité de nos salariés du chômage partiel.

Les personnels encore à pied d’œuvre gèrent d’une part la surveillance et l’entretien des infrastructures et des équipements, pour s’assurer d’une reprise rapide de l’activité quand nous pourrons à nouveau accueillir des clients, et par ailleurs l’annulation et la compensation des séjours qui avaient été réservés par notre clientèle pour les semaines à venir, en fonction des dates officielles de confinement annoncées par chaque pays.

Bref : c’est tout sauf une période simple, car nous devons gérer au mieux tous les impacts de cette crise, avec une très faible visibilité et prévisibilité pour la suite. Mais dans un tel contexte, l’essentiel pour nous est bien de préserver la santé et la relation de confiance que nous entretenons avec nos collaborateurs d’une part et nos résidents d’autre part, partout où nous sommes implantés.

Le BrandNewsBlog : Je viens de poser la même question à Julien Villeret et Jean-Marie Charpentier : dans une période aussi particulière, comment continuer à entretenir le lien à distance avec vos collaborateurs, mais aussi vous assurer de leur cohésion et de leur moral durant les prochaines semaines ? Et quels sont vos priorités en matière de communication interne ?

Valérie Lauthier : Vis-à-vis de nos collaborateurs et en matière de communication interne, nous sommes encore en phase d’explication et d’accompagnement. Et cette communication mobilise aujourd’hui beaucoup de notre attention.

A partir du moment où nous sommes entrés en période d’activité partielle, il s’est en effet agi de bien expliquer le pourquoi et le comment de ces mesures : à qui cela s’applique et pour quelle durée, selon quelles modalités… de la manière la plus claire et pédagogique possible. Ces informations ont immédiatement été présentées puis relayées par des notes internes signées de notre direction. Elles sont mises à jour très régulièrement sur notre Intranet, sur lequel nos collaborateurs peuvent également trouver un FAQ, répondant à toutes leurs questions.

Parallèlement à cette communication essentielle et très didactique, nous avons très rapidement mis en place un dispositif psychologique et médical d’accompagnement, à l’attention de tous nos collaborateurs, et communiqué sur ce dispositif.

La période de crise sanitaire dans laquelle nous vivons et les mesures de confinement qui en découlent peuvent en effet être perturbantes et susciter de nombreuses inquiétudes et angoisses parmi nos équipes, comme partout ailleurs. Pour répondre au mieux à cette situation et aux besoins de nos collaborateurs, le service de téléconsultation médicale que nous avons mis en place permet d’échanger gratuitement et à toute heure avec un médecin. Il en est de même pour le numéro vert de soutien psychologique que nous avons mis en œuvre  : celui-ci est accessible 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.

En complément de ces lignes téléphoniques dédiées et de notre service d’accompagnement psychologique et d’assistance médicale, joignable du lundi au vendredi de 9 heures à 18 heures, les collaborateurs de notre Groupe ont aussi la possibilité, depuis cette semaine, de bénéficier d’un entretien psychologique individuel plus approfondi, tous les mardi, pour répondre aux questions qu’ils se posent. « Comment bien ou mieux vivre l’isolement ? », « Comment apaiser mon collègue inquiet ? » : le but est que chacun puisse obtenir du soutien et un réconfort, s’il en a besoin.

De même, nous proposons dans le même esprit à nos managers qui en éprouvent le besoin des rendez-vous individuels de coaching managérial, le jeudi, pour les aider à mieux gérer leur équipe à distance, garder le lien avec leur collègue…

A ces différents dispositifs de soutien et d’accompagnement que nous avons mis en place et sur lesquels nous avons communiqué, on peut aussi ajouter les nombreuses initiatives individuelles ou collectives lancées par nos salariés, dans nos différents pays d’implantation : groupes d’échanges sur WhatsApp, chaîne YouTube de solidarité au Pays-Bas… Toutes ces initiatives reflètent bien ce grand élan d’entraide et de solidarité qu’on a vu émerger notamment sur les réseaux sociaux, avec une multitude d’idées positives et d’évènements virtuels créés par les uns et les autres pour maintenir une vie sociale malgré les mesures de confinement.

Le BrandNewsBlog : Et vis-à-vis des clients de votre Groupe Valérie, quelles ont été les mesures et quelle communication avez-vous mises en place ?

Valérie Lauthier : Vis-à-vis de nos clients, il a d’abord fallu gérer la fermeture de nos sites bien sûr, en demandant à ceux qui se trouvaient encore sur place de quitter leur cottage ou leur résidence et en leur expliquant par ailleurs comment ils seraient indemnisés du reste de leur séjour.

Il a fallu dans un deuxième temps prévenir tous nos clients des annulations de leurs réservations, en fonction des mesures de fermeture et de confinement communiquées pays par pays (tous nos sites français sont par exemple fermés jusqu’au 15 avril, pour l’instant). Ce type de campagne sera évidemment à renouveler si les périodes de confinement sont renouvelées et se prolongent.

Mais au-delà de cette communication ponctuelle sur les fermetures de sites et la gestion des annulations, notre volonté et notre priorité sont bien de garder le contact et le lien avec nos clients et en particulier avec notre cœur de cible, les familles.

Au-delà de la relation commerciale et au travers de nos différentes activités, notre vocation première est en effet de créer ou recréer du lien entre les gens, au sein des familles.

Pour continuer à exercer cette mission pendant les semaines qui viennent, en nous inspirant des valeurs de notre Groupe, nous avons travaillé sur différentes pistes et notre idée première est d’aider les familles à entretenir et à enrichir la relation avec les enfants, comme nous le faisons habituellement tous les jours dans le cadre des activités chez Center Parcs par exemple. Nous serons ainsi susceptibles de proposer à notre communauté en ligne et à nos clients des tutoriels où l’on apprend par exemple à faire du pain, ou à pratiquer des activités que nous maîtrisons puisque nous les pratiquons dans nos domaines.

Un autre axe d’échange et un autre objectif auxquels nous avons pensés, seraient de continuer également à restituer un peu de nature aux gens, particulièrement aux personnes qui vivent le confinement dans des zones urbaines, au travers de visite virtuelle en forêt, par exemple.

Nous réfléchissons aussi aux manières d’associer nos clients à la conception de nos futurs parcs et de leur équipement, de leurs activités, s’ils ont envie d’y contribuer… Autant d’idées d’échanges et de communication qui ont pour objectif d’entretenir le lien pendant cette période inédite, de manière utile ou ludique, avec nos clients et nos communautés, par ailleurs très actives.

Le BrandNewsBlog : Florian, vous qui êtes un expert en communication de crise, quelle serait justement – si tant elle qu’elle existe – la meilleure stratégie de communication à déployer par une entreprise dans le cadre de cette crise Coronavirus COVID-19 ? Quels en sont les principaux enjeux et objectifs ?

Florian Silnicki : La plupart des journalistes comme nos clients ne cessent, depuis quelques semaines, de m’interroger sur la meilleure stratégie de communication de crise sanitaire face au coronavirus COVID-19.

Humblement, je ne crois pas que la question à poser soit celle de « LA meilleure communication de crise ». Cette dernière existe-t-elle d’ailleurs vraiment ?

Dix ans d’expérience internationale de la gestion de crise me conduisent à vous confier que la meilleure communication de crise, c’est sans doute d’abord celle qui saura efficacement convaincre vos cibles, tant vos collaborateurs au sein de votre organisation que vos propres clients ou vos investisseurs. Une bonne communication face à cette crise sanitaire majeure nécessite de trouver un équilibre délicat entre la diffusion rapide d’informations pertinentes et l’absence d’exacerbation du stress de vos cibles nécessairement inquiètes face à l’incertitude du moment que nous vivons collectivement.

Le BrandNewsBlog : Quels conseils donneriez-vous néanmoins aux organisations pour communiquer au mieux, et ne pas commettre d’erreur, dans le contexte de crise sanitaire née de ce coronavirus COVID-19 ?

Florian Silnicki : Face à la crise, je recommanderais d’abord d’être proactif. Vous devez d’abord gérer proactivement les attentes de vos cibles internes et externes, clients comme employés, grâce à une communication de crise continue. Veillez bien à afficher des heures de bureau virtuelles sur vos supports numériques comme sur vos fiches Google.

Dédiez des lignes directes de ressources et prenez en compte leur accessibilité (nécessairement différente) selon les fuseaux horaires de vos cibles ou de vos implantations afin de ne pas susciter de frustration ou de colère chez ceux qui n’arriveraient pas à vous joindre ou qui se sentiraient « sous-traités ».

Face à la crise, ne vous laissez pas non plus emporter par l’urgence. La communication de crise n’est jamais compatible avec la précipitation. A l’ère de l’instantanéisation de la diffusion de l’information et d’une circulation continue des nouvelles concernant le coronavirus COVID-19, à l’ère du doute constant et de la fabrication massive de fake news, veillez à ne diffuser que des nouvelles informations vérifiées. Vos cibles doivent vous faire confiance.

Méfiez vous également des infos pressantes qui paraissent nécessiter une diffusion urgente mais qui, au final, ne pourraient que contribuer à alimenter la défiance à l’égard de la communication institutionnelle.

Même si cela peut contribuer à vous rassurer, ne spammez pas inutilement votre base de collaborateurs ou vos clients de mises à jour sur lesquelles vous seriez contraints de revenir en les démentant. Vos clients ne doivent pas être amenés à penser que votre vérité d’aujourd’hui ne sera plus celle de demain. Vos parties prenantes ne doivent pas non plus finir par ne plus vous lire ou vous écouter. Leur attention n’a jamais été si précieuse pour la continuité de votre activité. Cette crise est l’occasion de renforcer votre lien de confiance avec vos publics. Le coronavirus COVID-19 a contraint tous mes clients à repenser la façon dont ils organisaient leurs activités, à renforcer leur fluidité et leur liquidité. C’est un atout incontestable pour l’avenir. La communication de crise doit suivre ce mouvement élastique d’adaptation à la crise combattue.

La juste communication de crise peut faire la différence entre les organisations qui réussiront à survivre – même à prospérer – en temps de crise et celles qui seront contraintes à s’effondrer parce qu’elles n’auront pas su adapter leur communication de crise.

C’est l’occasion ici de rappeler aux spécialistes du marketing et aux directions commerciales que dans ce contexte de crise sanitaire, les initiatives déplacées instrumentalisant maladroitement et cyniquement la crise sont à proscrire sauf à détruire durablement le capital image des marques et donc la valorisation des organisations qui porteront ces initiatives. En revanche, au-delà de toutes les initiatives déplorables auxquelles nous avons tous été confrontés, il faut encourager toutes les initiatives de communication qui contribueront à démontrer votre soutien à ceux qui dispensent des soins vitaux, prennent soin des plus fragiles, bref toutes les initiatives civiques et citoyennes, sont les bienvenus.

Le BrandNewsBlog : Et comment bien communiquer avec ses salariés pendant cette crise du Coronavirus COVID-19, selon vous Florian ?

Florian Silnicki : Ayez un rythme prévisible de communication avec vos salariés. Vos flash info internes doivent être réguliers afin d’être attendus et importants. L’idée est de créer un rendez vous avec vos collaborateurs. Vos salariés ont besoin d’un rythme de communication régulier afin de ne pas être plus inquiets qu’ils ne le sont déjà forcément.

Faites leur partager en toute transparence largement vos décisions après vos comités de direction ou vos comités exécutifs par exemple. Dites leur ce que vous savez avec empathie. Dites leur humblement ce que vous ne savez pas encore. Dites leur aussi ce qui est susceptible d’évoluer. Ne vous plaignez pas. C’est l’écueil à éviter. Faites leur partager des conseils pratiques, utiles pour bien télétravailler ou bien vivre le confinement. Montrez leur que vous les protéger, que vous pensez à eux, que vous les comprenez, que vous tenez à eux, que leur mobilisation à maintenir votre activité vous touche. 

Coordonnez vos communications. Cela permet d’abord de ne pas avoir de communication discordante ou contradictoire les unes avec les autres. Mettez en place un hub central qui permette à vos équipes communicantes de diffuser à toutes leurs parties prenantes les mêmes messages.

La crise du Coronavirus COVID-19 est aussi une opportunité de valoriser la fonction communication, qu’elle soit interne ou externe, dans les organisations.

Nous avons accompagné depuis quelques semaines des centaines d’organisations internationales de premier plan depuis la naissance de cette crise sanitaire mondiale. Une chose m’a frappé. Tous les dirigeants de ces organisations m’ont dit à quel point ils avaient pris conscience de l’importance de la fonction de communication dans la réponse apportée.

Que cette crise ait eu un impact majeur négatif sur l’activité commerciale de mes clients ou, au contraire, qu’elle ait fait exploser positivement la croissance de leurs ventes, tous ces clients m’ont dit que leurs communicants ont été à la pointe de leur réponse ce qui est plutôt enthousiasmant.

Plates-formes collaboratives internes, applications mobiles dédiées, hotlines spécifiques, … tous les canaux nécessitent de délivrer des messages adaptés dont la conception peut être confiée aux experts de la communication présents dans les services supports des organisations.

Enfin, cette crise est évidemment l’occasion pour les organisations de comprendre à quel point l’anticipation de la communication de crise est essentielle. La préparation a fait toute la différence chez mes clients. Le déploiement des communications de crise a été d’autant plus fluide que ces organisations étaient préparées à affronter une crise. Quoiqu’il arrive, cette crise sanitaire globale est une occasion de faire progresser même les organisations qui n’avaient pas de plan de crise.

« Tout groupe humain prend sa richesse dans la communication, l’entraide et la solidarité visant à un but commun : l’épanouissement de chacun dans le respect des différences. » écrivait Françoise Dolto. C’est sans doute là aussi le secret d’une bonne communication de crise.

 

 

Notes et légendes :

(1) Julien Villeret est Senior Executive Vice President / Directeur de la communication Groupe d’EDF ;

Valérie Lauthier est Directrice de la communication du Groupe Pierre & Vacances Center Parcs ;

Jean-Marie Charpentier est consultant en communication (Etudes Communication et Social), administrateur de l’AFCI et co-auteur avec Jacques Viers du livre « Communiquer en entreprise – Retrouver du sens grâce à la sociologie, la psychologie, l’histoire » publié aux Editions Vuibert, en 2019 ;

Florian Silnicki est expert en stratégies de communication de crise. Il est le Président fondateur de l’agence LaFrenchCom et anime le blog « Confessions d’un communicant de crise » dédié à la communication de crise.

(2) Marc Uhalde (dir), « Les salariés de l’incertitude. Solidarité, reconnaissance et équilibre de vie au travail », éditions Octarès, 2013

(3) Voir le livre blanc de l’Afci « Parole au travail, parole sur le travail », 2017

 

Crédit photos et illustration : 123RF, The BrandNewsBlog 2019, X, DR

 

Communiquer en entreprise, un exercice vital et délicat dans un environnement de plus en plus complexe

Il y a 10 jours, à l’occasion de la 15ème conférence « Tendances Communication 2019 » organisée par Comundi sur les enjeux et perspectives de la communication à l’horizon 2020, j’ai eu le plaisir de m’exprimer sur les évolutions de la communication interne et sur son rôle d’accompagnement du changement.

Pour celles et ceux que cela intéresse, et qui seraient tentés par une rapide session de rattrapage, je viens d’ailleurs de déposer sur Slideshare le contenu de ma présentation : « La communication interne au coeur des enjeux de transformation de demain ».

Naturellement, pour cette synthèse d’une vingtaine de minutes, je n’ai pas manqué de m’appuyer sur les enseignements de la grande étude menée en 2019 par l’Afci¹ (étude déjà évoquée dans cet article du BrandNewsBlog) et sur quelques contenus de référence, dont le tout récent « Communiquer en entreprise » des excellents Jean-Marie Charpentier et Jacques Viers². Un ouvrage dont je vous recommande la lecture et qui a le grand mérite d’offrir matière à réflexion pour tous les communicant.e.s et de dépasser les clichés et la vision purement « instrumentale » (et pour tout dire un peu archaïque) de la communication interne, hélas partagée aujourd’hui encore par un certain nombre de consultants et d’experts és changement notamment.

De fait, dès lors qu’on touche à l’humain et aux questions de représentation et d’interprétation des messages, par des publics internes en l’occurrence de plus en plus hétérogènes, informés et agiles à décrypter la « langue de bois corporate », on entre nécessairement dans un certain niveau de complexité, à ne pas méconnaître. Et ce ne sont pas les dernières évolutions de l’entreprise et des modalités du travail (irruption des nouvelles technologies et omniprésence du digital, accélération des cycles de transformation, individualisation croissante des tâches et du management, émergence de nouveaux rapports sociaux, porosité croissante des publics internes et externes…) qui vont simplifier les choses pour les communicant.e.s chargés d’accompagner ces différentes transformations et d’en expliquer le sens.

Il n’en reste pas moins qu’à l’heure du changement permanent, bien communiquer en entreprise est chaque jour plus vital. Et pour cette profession indispensable et passionnante qu’est la communication interne, répondre aux nouveaux enjeux exige de savoir à la fois remettre à plat ses pratiques et de réinventer son métier, en remettant la communication interne au cœur du travail, et en abandonnant la posture du communicant « porteur, transmetteur et traducteur » de messages uniquement descendants pour celle de facilitateur/médiateur des communications au sein de l’entreprise et d’émulateur du travail collaboratif. 

C’est de cette conviction partagée et des grands enjeux d’une communication d’entreprise « 2 voire 3.0 » que j’ai voulu discuter aujourd’hui avec Jean-Marie Charpentier et Jacques Viers. Et cela tombe bien, les auteurs de « Communiquer en entreprise » ont répondu positivement à mon invitation.

Qu’ils soient ici chaleureusement remerciés de leur leurs réponses à mes questions et très bonne lecture à toutes et tous !

Le BrandNewsBlog : Tout d’abord, Jean-Marie et Jacques, bravo à vous pour cet ouvrage passionnant et très riche sur la communication et sur les communicant.e.s ! Vous avez choisi, dans votre titre, de mettre en avant le fait de « communiquer en entreprise » (au sens large) plutôt que d’évoquer directement la « communication interne »… Pourquoi ?

Jean-Marie Charpentier : Merci, Hervé, pour ce retour positif sur notre livre. Notre constat est que la communication dans l’entreprise connaît aujourd’hui de fortes évolutions. Elles concernent bien sûr la fonction communication interne, mais en même temps cela va bien au-delà…

Les transformations du travail, entre autres, font bouger les lignes. De même, les technologies – avec le digital – offrent de nouvelles opportunités. Et il y a surtout le fait que de plus en plus d’acteurs au sein de l’entreprise communiquent au quotidien dans leur activité.

Dans ce livre, qui s’appuie sur l’expérience des communicants, nous abordons la communication en entreprise de façon étendue. Longtemps, la communication interne a été appréhendée comme la communication externe en plus petit. Or, elle est désormais confrontée à une réalité multiple qui va de la communication entre salariés dans le travail à l’expression des dirigeants en passant par la communication de proximité des managers.

L’extension des communications dans l’entreprise est une bonne nouvelle pour tous les professionnels, qu’ils soient communicants, managers ou responsables RH. Cela donne de belles perspectives, en particulier aux communicants internes, mais c’est aussi un défi pour eux car on se situe bien au-delà de la seule diffusion de « contenus »…

Le BrandNewsBlog : Vous le précisez dès l’introduction de ce livre, vous avez tenu à mettre constamment en parallèle les préoccupations et pratiques des professionnels de terrain avec les apports des sciences sociales sur les questions de management, de rapport au travail ou de communication en entreprise, notamment. En quoi la sociologie, la psychologie et l’histoire (entre autres) peuvent-elles éclairer les problématiques contemporaines des communicant.e.s, et particulièrement des communicant.e.s internes ?

Jacques Viers : Dans un contexte de transformation de l’entreprise, il nous semble que les communicants doivent avoir un positionnement plus «politique» et des compétences sociales au-delà du maniement des outils et des messages.

Entendons-nous bien, notre livre n’a pas pour objet de faire des communicants des sociologues, des historiens ou des anthropologues de la communication, mais de leur permettre d’avoir recours dans leur métier à certaines grilles de compréhension issues de la recherche. Nous sollicitons ainsi l’éclairage des sciences sociales pour élargir leur champ d’action. Nous le faisons à partir d’interventions de chercheurs qui ont participé à des formations de l’Association française de communication interne (Afci) sur l’apport des sciences sociales à la communication.

Pour prendre un exemple, les sociologues de l’entreprise, à la suite de Renaud Sainsaulieu, proposent d’appréhender l’entreprise non comme une mécanique bien huilée, avec un « encliquetage de structures », mais comme une construction humaine et sociale en perpétuelle évolution. Une institution, mieux, un « monde social » forgé entre autres par les salariés eux-mêmes qui sont à la fois des acteurs-stratèges et les héritiers de cultures de métier.

Les communicants ont souvent pour rôle de porter « la » culture d’entreprise. Or, on le sait bien, une culture ça ne se plaque pas d’en haut, à partir d’un siège social. D’où l’intérêt de bien connaître les processus de rationalisation, de socialisation et de légitimation au cœur de chaque entreprise. Nous donnons par exemple la parole à un sociologue d’entreprise, Philippe Robert-Tanguy, qui évoque un cas de transformation culturelle et structurelle lors d’une fusion dans le secteur bancaire.

Le BrandNewsBlog : Je le disais en introduction, la communication interne/communication en entreprise est une activité « en tension », bousculée par l’irruption et le développement des nouvelles technologies, mais aussi et surtout par de nouveaux rapports sociaux dans le travail et par la transformation des entreprises. Comment ces bouleversements se traduisent-ils concrètement pour les communicant.e.s internes aujourd’hui ?

Jean-Marie Charpentier : La tension pour les communicants se traduit surtout par une apparente dépossession. Pour l’essentiel, les outils de communication sont en effet partagés désormais. Et d’une certaine façon, la fonction l’est aussi. Les salariés communiquent dans le travail et sur les réseaux sociaux. Il y a de fait une désintermédiation qui intervient à la fois par le digital, mais aussi dans des rapports sociaux que l’on souhaite plus directs.

C’est là, nous semble t-il, que se joue la transformation en cours des métiers de la communication, mais cela concerne aussi le management ou les RH.

Dans le livre, Jean Rancoule, qui est directeur du Pôle réseaux internes et innovation du groupe Safran, considère que « le communicant demeure essentiel dans une fonction d’expert, de conseil, de formation ».  Oui, il y a sans doute une forme de dépossession si l’on en reste à l’approche  instrumentale du métier en se limitant à la diffusion des contenus. En revanche, il y a de vraies opportunités dans la relation, l’organisation du dialogue professionnel, la création d’une dynamique  d’intelligence collective… D’où l’importance, justement, des sciences sociales pour étayer et renforcer les pratiques innovantes de communication.

Le BrandNewsBlog : La transformation des organisations et les mutations du travail, l’omniprésence du digital, l’évolution des pratiques managériales et la question de plus en plus importante pour les salariés du « sens » de leur activité représentent en quelque sorte une nouvelle toile de fond pour la communication en entreprise… Quelles sont les problématiques essentielles et grandes évolutions à prendre par ailleurs en compte, pour les communicant.e.s ?

Jacques Viers : L’entreprise, en particulier la grande, ne peut plus vivre sur elle-même, si jamais cela a été le cas. Elle est en prise directe avec le grand large de la mondialisation. Nous faisons référence dans le livre aux sciences de gestion et aux recherches interdisciplinaires initiées au Collège des Bernardins pour caractériser l’entreprise et prendre en considération son rapport à la société.

A qui appartiennent les entreprises ?… La question revêt à mon avis une certaine importance, y compris pour les communicants. Selon les chercheurs des Bernardins, l’entreprise n’appartient surement pas aux actionnaires, propriétaires de leurs seules actions, même si la financiarisation a contribué à véhiculer  une autre représentation. Il y a une dimension proprement collective de l’entreprise, y compris dans le cas de l’entreprise privée qui joue sur le rapport entre l’externe et l’interne.

Pour Blanche Segrestin, «l’entreprise est un espace politique et pas seulement un nœud de contrats ». Elle doit donc être pensée en fonction de ce qu’elle « fait au monde » dans une logique d’intérêt public. Même approche chez des spécialistes de la RSE comme Michel Capron et Françoise Quairel-Lanoizelée pour qui l’entreprise a des comptes à rendre à la société. Elle doit en effet se préoccuper désormais de ses impacts sur son environnement naturel et social. Qu’il s’agisse de RSE, de ce que l’on nomme aujourd’hui la « raison d’être » ou encore de l’ « entreprise à mission », on voit bien que tous ces sujets concernent les communicants…

D’ailleurs, la RSE est quelquefois rattachée à la communication dans les entreprises. Pour les communicants, une bonne connaissance de ces enjeux stratégiques est nécessaire, ne serait-ce que pour ne pas retomber dans la tentation du greenwashing

Le BrandNewsBlog : Au-delà des évolutions mêmes du travail et du rapport des salariés au travail, au-delà de l’accélération du temps et des bouleversements liés au digital, je suis frappé de ce constat à la lecture de votre livre : la difficulté croissante, au sein de l’entreprise comme en dehors, de « faire société », de revaloriser le collectif et de construire un sens commun et transcendant, du fait notamment de l’individualisation des situations de travail et de l’affaiblissement des dynamiques sociales traditionnelles (identité, métier, esprit d’entreprise). En ce sens, ce rôle de « catalyseurs du collectif » qu’endossent souvent les communicant.e.s internes ne relève-t’il pas de plus en plus de la gageure ?

Jean-Marie CharpentierNous sommes effectivement dans un mouvement d’individualisation des situations de travail que la sociologue Florence Osty explique bien dans notre livre : « L’histoire des cinquante dernières années est celle du passage du ‘nous’ au ‘je’ « … Avec tout ce que cela induit à la fois en termes d’opportunités, mais aussi de contraintes.

L’une d’entre elles est que les collectifs qui protégeaient hier les salariés quand il y avait problème ou conflit sont en crise. Qu’il s’agisse du métier ou du syndicalisme par exemple, ils n’ont plus la même fonction protectrice.

Pour autant, on voit bien que ce qui fait tenir nombre de salariés dans les entreprises, c’est la relation qu’ils ont avec les collègues ou avec le manager de proximité. Donc, le collectif, même fragilisé, existe encore.

Et tout ce qui contribue à créer ou faciliter le lien, la relation, la coopération permet de faire ou de refaire du collectif. Les communicants y ont leur part avec d’autres dans l’entreprise. Dans le livre, nous évoquons un certain nombre de rituels tels que les fêtes, les pots ou les départs en retraite par exemple. Ces moments ont tendance à disparaître, alors qu’ils permettent de cristalliser un certain rapport à l’entreprise et aux autres.

De même, nous mettons en avant le travail autour de l’histoire. Convoquer le passé de l’entreprise peut avoir plusieurs finalités. Il en est une qui a à voir avec la culture de l’entreprise sur longue période. En étant acteurs et promoteurs de ces démarches, les communicants contribuent à « faire du commun ».

Le BrandNewsBlog : Dans votre chapitre « Communiquer dans un univers en mouvement », vous revenez sur l’accélération des cycles de transformation au sein des entreprises, cycles qui tendent à s’enchaîner de manière incessante aujourd’hui, tandis que le changement et la nécessité de se transformer sont presque érigés au rang de dogme. Comment les communicant.e.s internes peuvent-ils accompagner ces bouleversements, et en garantir l’appropriation par les salariés, quand leur rythme ne cesse de s’accélérer ? L’urgence et le changement permanent ne deviennent-ils pas les ennemis du sens  ?

Jacques Viers : Le sociologue Norbert Alter voit à l’œuvre dans l’entreprise non pas tant un changement qui va d’un point A vers un point B, mais un mouvement permanent. Et c’est un fait que dans ce grand maelström, « on a tendance à perdre le sens »… Un peu comme on perd le Nord.

D’ailleurs, quand on parle de sens, il est question à la fois de signification et d’orientation. Or, on assiste à un effacement de nombreux repères, dû entre autres à leur multiplication dans la société comme dans l’entreprise.

Qu’est ce qui fait autorité aujourd’hui ? Selon la psychosociologue Florence Giust-Desprairies, chacun est confronté à sa propre incompétence « avec un effet considérable sur le sens et ses représentations antérieures ». Et puis, il y a la question du temps. « La question du sens, dit-elle, est celle des lenteurs nécessaires pour intégrer du nouveau dans l’ancien ».

La nouvelle donne proposée par les organisations, avec le plus souvent une mise en œuvre rapide, vient bousculer les représentations existantes et provoque de l’anxiété. Toute la question du rapport au changement est là : entre les nouvelles significations sociales proposées par l’organisation et les représentations que s’en font les individus.

On se donne du sens à travers le sens que l’on donne aux choses. Il faut toujours qu’à un moment donné, cela fasse sens pour soi. Est-ce que je m’y retrouve moi en tant que personne, en termes de valeurs, de développement, de reconnaissance ?…

Le BrandNewsBlog : J’ai abordé le sujet il y a 15 jours à peine, dans un article du BrandNewsBlog dédié au management et à la communication managériale : souvent, les problématiques liées au travail et la communication sur l’activité quotidienne ont été reléguées au second plan par les responsables de la communication interne et par les managers eux-mêmes. Or, vous indiquez clairement dans votre ouvrage que cette dimension de la communication managériale est indispensable pour remettre les managers au coeur de l’activité et permettre aux salariés de trouver des réponses à leurs questions. La communication managériale, globalement sous-investie au sein des entreprises, serait-elle devenue la « nouvelle frontière » de la com’ interne ?

Jean-Marie Charpentier : En tout cas, elle participe d’une approche étendue de la communication interne. Nous consacrons d’ailleurs tout un chapitre à ce sujet. A la fois pour bien appréhender ce que manager au quotidien veut dire, notamment en termes de proximité et en quoi la communication fait partie intégrante du management du travail.

Nous faisons une large place aux travaux de Mathieu Detchessahar, chercheur en sciences de gestion. Il montre en particulier l’enjeu de créer ou recréer des espaces de discussion sur le travail. C’est au manager que revient pour l’essentiel cette communication de proximité qui permet d’aborder les problèmes du travail.

Au fond, il y a sans aucun doute quelque chose à revoir dans la conception traditionnelle de la communication managériale. Longtemps, on l’a confondue avec la transmission des messages venant d’en-haut via des kits de com’ transmis aux managers. Il s’agit là d’une vision restrictive, pour ne pas dire plus, fondée sur la transmission en cascade. Avec de nombreuses questions du côté de la réception et surtout de l’appropriation…

La principale difficulté de cette communication managériale tient à l’éloignement par rapport au travail réel. Or, le développement d’un dialogue professionnel régulier a ceci d’intéressant qu’il porte sur le travail concret et qu’en même temps il peut « embarquer » des dimensions stratégiques. La remise en perspective de la communication managériale passe, nous semble t-il, par un rapprochement nécessaire entre communicants et managers de proximité. A condition que chacun comprenne la logique de l’autre. On ne peut pas continuer à demander aux managers de « passer les plats ».

Le BrandNewsBlog : Certaines sociétés, que vous ne manquez pas de citer dans votre livre, comme la SNCF, Arkema, Leroy-Merlin ou Kingfisher, ont su réintroduire la communication dans sa fonction de régulation du travail réel et de l’activité. Pourriez-vous nous dire comment-ils s’y sont pris, et quel est le secret d’un dialogue professionnel réussi ?

Jacques Viers : Nous relatons dans notre livre une enquête que nous avons menée avec des communicants, des chercheurs et des consultants en entreprise dans le cadre de l’Afci, sur la « parole au travail ». Elle a d’ailleurs fait l’objet d’un livre blanc de l’association paru en 2017³.

Nous avons enquêté dans une dizaine d’entreprises dont nous savions qu’elles avaient fait quelque chose sur le sujet (création d’espaces d’échange ou autres modalités interactives). Qu’avons-nous trouvé? Tout d’abord, une pluralité de situations et de pratiques avec des dénominations différentes d’une entreprise à l’autre. Ensuite, des managers souvent impliqués dans les échanges des équipes et participant eux-mêmes à des groupes d’échanges entre pairs (groupes de co-développement par exemple). Ensuite encore, la recherche d’une parole centrée sur le travail dans un objectif de résolution de problèmes avec une certaine libération de la parole à propos de ce qui était préalablement enfoui dans le « silence organisationnel ». Enfin, un principe de subsidiarité. Il s’agit de faire descendre l’organisation là où se pose le problème, comme nous le disait un dirigeant de Renault.

Point essentiel : ces pratiques de dialogue professionnel doivent pouvoir s’inscrire dans la durée et non se limiter à un « one shot», aussi réussi soit-il. Dans cette enquête, on a constaté que les communicants étaient à vrai dire assez peu présents dans l’ingénierie des espaces de discussion. On voit ici entre autres le chemin à parcourir pour rapprocher les acteurs autour du développement de la communication dans le travail.

Le BrandNewsBlog : Dans votre livre, vous consacrez un chapitre à la transformation digitale des entreprises et à ses différents impacts. Ainsi que vous l’expliquez, cette transformation est multifacettes et un des points d’amélioration reste quasiment partout l’appropriation par les salariés des nouvelles technologies… et l’accélération des cycles d’innovation. Quel rôle et quel apport la communication interne peut-elle jouer à ce niveau ?

Jacques Viers : Comme dit Benedikt Benenati, fondateur de l’agence Only the braves, il serait plus juste de parler de « transformation dans un monde digital » que de « transformation digitale des entreprises ».

Selon lui, « l’outil n’est qu’un moyen, certes important, mais pas essentiel ». Ce qui se joue dans le digital du côté du processus de rationalisation est moins important que les dimensions de créativité permettant de nouvelles façons d’appréhender les organisations, le travail, les relations avec les salariés et les clients.

Nous proposons dans le livre un pas de côté avec la sociologie de l’innovation de Norbert Alter. Elle permet de comprendre le rôle-clé de l’appropriation et de la socialisation dans l’invention digitale. De l’outil à la transformation, il y a tout un cheminement pour qu’une invention arrive à s’imposer dans un usage courant. Ce cheminement n’est ni prévisible, ni prescriptible. Les organisations doivent accepter que des « atypiques », voire des « déviants » essaient, expérimentent, ouvrent des pistes. Il faut toujours une part de transgression ou d’inversion des normes pour que les inventions, une fois socialisées, deviennent la règle commune. L’innovation est à ce prix. Ce qui ne va pas toujours de soi… « Plus une entreprise s’organise, plus elle réduit l’incertitude et moins elle peut innover ; plus au contraire elle innove, plus elle tire parti de l’incertitude et moins elle peut s’organiser », remarque Norbert Alter.

Cette tension est d’une certaine façon inévitable. Le rôle des communicants internes est du côté de l’usage et de l’innovation. Il est de faciliter et d’accompagner l’acculturation des salariés en se focalisant sur la question du sens.

Selon une étude internationale menée en 2016, si 88% des entreprises avaient engagé une transformation digitale, seulement 25% savaient vraiment dire pourquoi… Carole Thomas, directrice de la communication, du marketing et du digital d’Immobilière 3 F et Guillaume Aper, directeur adjoint de la communication de JCDecaux témoignent dans le livre de l’importance de la mission des communicants à propos du sens du digital. Elle « questionne tout particulièrement la stratégie d’entreprise et la culture managériale ». En bref, le digital, c’est moins technique qu’il n’y paraît. C’est plus une affaire de stratégie et de culture.

Le BrandNewsBlog : Aurélie Dudézert, chercheure en management des systèmes d’information a identifié 3 autres points critiques liés à la transformation digitale et à la transformation des organisations de travail que celle-ci occasionne. Elle souligne que la transformation digitale favorise le développement de pratiques plus collaboratives dans le travail et en termes de management. Mais tous les salariés ainsi qu’un certain nombre de dirigeants ne sont pas forcément à l’aise avec ces nouvelles modalités de travail ni avec la libération de l’intelligence collective qui en découle. Pourquoi cela ? Il semblerait par ailleurs que les big data et l’intelligence artificielle fassent l’objet de nombreux fantasmes et craintes ?

Jean-Marie Charpentier : On se retrouve en effet avec des technologies qui ouvrent d’incontestables  possibilités de transformation, mais souvent sur fond d’organisations du travail qui ne changent guère…

Quand le management reste arrimé au command and control, la dimension collaborative a du mal à être au rendez-vous. Et cela, quelles que soient les technologies… Aurélie Dudézert évoque par exemple les difficultés des managers de proximité prêts à initier des pratiques nouvelles quand au-dessus la contrainte de programmation et d’évaluation demeure inchangée. Il y a aussi des incompréhensions du côté des salariés qui ne voient pas toujours l’intérêt des démarches d’intelligence collective. L’autonomie et la créativité peuvent être vécues comme de nouvelles injonctions quand elles ne sont pas ou mal reliées à ce qui fonde la reconnaissance réelle dans l’organisation.

Au fond, le problème est moins celui des technologies, y compris s’agissant de  l’intelligence artificielle qui peut susciter des appréhensions, que ce que l’organisation en fait et surtout ce qu’on en fait dans le travail. Contrairement à une certaine représentation, les salariés ont en général une assez grande capacité à s’approprier les technologies. C’est particulièrement vrai avec le digital. Regardez ce qu’ils en font sur le plan privé. Encore faut-il en entreprise qu’il y ait un certain alignement des finalités et des usages avec les modes d’organisation et de reconnaissance. En clair, c’est difficile d’aller vers du collaboratif, y compris localement, dans des univers qui ne le sont pas vraiment sur un plan global.

Le BrandNewsBlog : Cela a été évoqué il y a quelques mois dans les résultats de la grande enquête menée par l’AFCI, beaucoup de communicant.e.s internes demeurent moyennement satisfaits des performance de leurs Intranets. Quels sont leurs sujets de déception ? Il semblerait que la dynamique collaborative attendue des réseaux sociaux d’entreprise soit loin d’être toujours au rendez-vous… Y-a-t’il néanmoins des contre-exemples d’Intranets-RSE réussis et satisfaisants ?

Jean-Marie Charpentier : L’étude de l’Afci révèle deux choses. Premièrement, les communicants internes sont plutôt à l’aise avec le digital et considèrent à 92% que la transformation digitale est favorable à la communication interne. D’ailleurs, depuis les débuts de la fonction, les communicants entretiennent un rapport le plus souvent décomplexé vis-à-vis des innovations technologiques. Des innovations au passage dont ils ont souvent été à l’origine, je pense à la place de l’audiovisuel ou aux intranets par exemple.

Deuxièmement, cela ne les empêche pas d’être lucides, voire critiques quant à la performance réelle des outils qu’ils utilisent. 54% des communicants interrogés au printemps dernier déclarent disposer d’un réseau social d’entreprise (80% dans les entreprises de plus de 10 000 salariés). Leur constat est pour le moins mitigé, car ils ne lui attribuent que la moyenne de 4,9 sur 10 en termes de performance.

Faible fréquentation, conception reproduisant le modèle hiérarchique, codification de la parole au sein de l’entreprise, rapport à l’écrit problématique pour certains salariés… Il y a manifestement un doute sur la possibilité d’y développer de vrais modes collaboratifs.

Le sociologue Dominique Cardon note que « c’est ambigu et difficile : les organisations produisent des dispositifs qui mettent en format le fait de s’exprimer en tant que salarié, mais avec un outil qui raisonne comme un outil grand public et dans lequel on va pouvoir investir au-delà de ses compétences professionnelles tous ses autres savoir faire ». Cette ambigüité n’empêche pas certaines entreprises, je pense à Orange entre autres, de chercher aujourd’hui à faire évoluer la conception de leur réseau, à l’ouvrir et le dynamiser en tirant parti des problèmes rencontrés au départ.

Au milieu des années 2010, des sociologues[1] avaient en effet constaté que, loin d’être globalisé et transversal, l’usage du réseau de l’entreprise restait souvent le fait d’une population spécifique: un simple outil de travail prolongeant des pratiques existantes entre pairs et gommant les dimensions « sociales » de l’outil : présentation de soi, enrichissement des réseaux relationnels. Conclusion des chercheurs à l’époque : les utilisateurs n’en attendaient rien de spécifique… Tout cela renvoie au fond à d’autres dimensions que celles de l’outil proprement dit. Le consultant en stratégie digitale Bertrand Duperrin s’interroge sur ce point: « Par quelle magie les salariés se mettraient-ils à collaborer sur un réseau social et à contribuer à une stratégie collective si ce n’est pas le fonctionnement habituel de l’entreprise ? »

Le BrandNewsBlog : Les comptes de réseaux sociaux des entreprises (pages Facebook corporate par exemple) et surtout les comptes individuels de salariés sur Twitter, Facebook ou Instagram (fournissant une information interne « alternative ») deviennent parfois, comme c’est le cas à la SNCF, davantage lus que les canaux de communication interne officiels… Et ce phénomène a souvent surpris les directions d’entreprise, voire les communicant.e.s eux mêmes. Etait-ce prévisible ? Et quelles entreprises ont su le mieux su s’y adapter, ou en profiter  à votre sens ?

Jacques Viers : C’est sur la question des usages que les communicants peuvent intervenir le plus efficacement, en essayant de comprendre les attentes à partir de la connaissance des activités réelles, des pratiques managériales, de la cartographie de la culture d’entreprise.

La connaissance de l’expérience du salarié est essentielle. Modeste et pragmatique, le communicant interne doit pratiquer une stratégie des petits pas, observent les professionnels témoignant dans le livre. En même temps, il s’agit d’une mue du métier, estiment-ils. En gros, passer du statut de rédac’ chef à celui de facilitateur de la circulation de l’information.

Certains dirigeants n’ont pas hésité à « plonger » directement dans le grand bain des applications numériques. Nous recueillons par exemple le témoignage de Bénédicte Tilloy, ex-DRH Réseaux de la SNCF. Elle a impulsé avec les salariés de son organisation une communication directe sur Twitter en invitant les cheminots à converser avec elle et entre eux. Son constat : les comptes Twitter personnels de certains cheminots fonctionnent mieux que les comptes officiels de l’entreprise. La parole y est plus spontanée en raison de rapports plus directs. On peut même échanger avec des syndicalistes par exemple. On explique les dysfonctionnements sans être obligé de justifier.

En se livrant à ce jeu ouvert de communication directe, Bénédicte Tilloy n’a pas le sentiment d’avoir encouragé des « pirates », mais plutôt d’avoir dialogué avec des « corsaires »… Malgré des méthodes particulières, les corsaires restent au service de la couronne, alors que les pirates ne travaillent que pour leur seul profit. L’entreprise, estime-t-elle, doit encourager, à la fois, les conformistes et ceux qui remettent en cause les routines en questionnant celles-ci pour apporter un meilleur service. « L’enjeu pour les fonctions communication et RH, dit-elle, c’est finalement de faire cohabiter les deux mondes, en ne gardant que le meilleur des deux ».

Le BrandNewsBlog : Dans un certain nombre d’entreprises, les communicants internes se sont vus confier le lancement de démarches d’employee advocacy, voire l’animation des réseaux d’ambassadeurs d’entreprise sur les réseaux sociaux. Certaines directions de la communication interne ont été également rebaptisée « direction de l’engagement ». Ces nouvelles dimensions sont-elles compatibles avec les autres missions des communicants internes ? Et ceux-ci peuvent-ils être les garants de l’engagement des salariés ?

Jean-Marie Charpentier : Que le salarié accepte de se faire l’ambassadeur de son entreprise n’est pas anodin. Cela suppose pour le moins qu’il entretienne avec elle un rapport fondé sur la confiance.

« Les conditions de l’acceptabilité durable de cette mission d’ambassadeur par les salariés dépendent de leur perception de la place qui leur est reconnue dans l’entreprise »,  souligne Jean-Marc Le Gall, consultant en stratégies sociales. C’est la nature de la relation au travail, au métier et à l’entreprise qui est à la base du choix que fera ou non le salarié de se faire le promoteur de son entreprise à l’extérieur.

J’ai eu l’occasion à EDF de voir par exemple combien l’utilité sociale du métier dans des circonstances exceptionnelles (des tempêtes par exemple) permettait aux agents de manifester publiquement, vis-à-vis des clients mais aussi de la nation, leur fierté d’appartenance à l’entreprise. Nous racontons dans le livre la part de « don » (en reprenant notamment les travaux de Marcel Mauss et plus récemment de Norbert Alter) que suppose un tel engagement.

Mais, bien sûr, cela intervient dans un cadre de réciprocité. Le salarié est prêt à « donner », et souvent beaucoup, pour autant qu’il y a reconnaissance de la part de l’entreprise. La communication peut ici porter témoignage, faciliter l’expression des acteurs. Mais, ne nous trompons pas, cette communication déléguée aux salariés doit se fonder sur une reconnaissance de leur rôle dans l’entreprise. On ne peut pas en faire des « récitants » d’une partition écrite par d’autres. Ou alors, ça sonne tellement faux… Je relie pour ma part cette question des salariés ambassadeurs aux réflexions actuelles sur la « raison d’être » de l’entreprise, voire sur sa gouvernance. Une raison d’être partagée est sans doute de nature à permettre un engagement externe plus fort de la part des salariés.

Le BrandNewsBlog : Parmi les nouvelles extensions du métier de communicant interne identifiées dans son étude prospective par l’AFCI (émulateurs de l’intelligence collective et des pratiques collaboratives ; référents du sens au sein de l’entreprise ; médiateurs internes entre salariés, managers et dirigeants ; accompagnateurs et facilitateurs du changement ; experts de la communication managériale…) quelles vous semblent être les missions les pus prometteuses et importantes ? Et pourquoi ?

Jean-Marie Charpentier : Dans l’étude de l’Afci, la première compétence que les communicants internes revendiquent, c’est de pouvoir entrer en relation avec tous les acteurs de l’entreprise du salarié au dirigeant.

Ils occupent de fait une position assez centrale et leur rôle, tel qu’ils l’entendent en tout cas, est de faire tenir ensemble les différentes parties de l’organisation.

La part prospective de l’étude explore différents chemins pour l’avenir. Je vois pour ma part trois enjeux forts. Le premier a trait au sens. Nous évoluons dans des univers complexes, tant dans la société que dans l’entreprise. Le communicant a un rôle à jouer au service de la compréhension de la complexité. Edgar Morin a coutume de dire que « comprendre est à la fois la fin et le moyen de la communication humaine ». On agit mieux lorsque l’on comprend et le communicant interne a un rôle dans cette compréhension (rôle d’information, de traduction et d’interprétation).

Le deuxième enjeu me semble être du côté de la pluralité des communications. Dans l’entreprise notamment, il y aura demain de plus en plus de réseaux de communication. Et pour le communicant interne, il y a un rôle d’animation, de médiation et de modération à développer. Non pas pour tout mettre sous contrôle à travers des contenus verrouillés, mais pour mettre à disposition des acteurs ses compétences, son expertise.

Enfin, il y a un troisième enjeu qui a trait à la communication dans le travail. Il y a manifestement une nouvelle alliance à construire avec les managers de proximité dans le quotidien de l’activité. Non seulement on n’en a pas fini avec la communication interne, mais son champ d’intervention s’ouvre incontestablement.

 

Notes et légendes :

(2) Afci, Association Française de Communication Interne.

(2) « Communiquer en entreprise » par Jean-Marie Charpentier et Jacques Viers – Editions Vuibert – Octobre 2019

> Docteur en Sciences de l’information et de la communication et administrateur de l’Association française de communication interne (Afci), Jean-Marie Charpentier est aujourd’hui consultant, après avoir occupé des postes dans la communication et les ressources humaines.

> Diplômé de Sciences Po en sociologie de l’entreprise et stratégie de changement, Docteur en droit et licencié d’histoire, Jacques Viers est aujourd’hui consultant-formateur en communication et membre de l’Association des professionnels en sociologie de l’entreprise (APSE).

(3) Livre blanc Afci : « Parole au travail, parole sur le travail », 2017

 

Crédit photos et illustration : Editions Vuibert, The BrandNewsBlog 2019, X, DR