Les 5 dogmes (vacillants) du marketing du luxe

Vous l’avez peut-être remarqué, j’ai un petit faible pour les ouvrages marketing originaux, voire iconoclastes. « La marge est ce qui fait tenir ensemble les pages du livre » a dit un jour Jean-Luc Godard. En ce sens, on trouve souvent plus d’idées et de pistes de réflexions dans les productions d’auteurs originaux et peu connus que dans les best-sellers de la mercatique…

Avec Le luxe déchaîné (édition Le Bord de l’eau 2013), Marine Antoni nous offre une réflexion passionnante sur l’évolution du modèle du luxe « à la française »Son essai, émaillé d’exemples récents, établit un parallèle inattendu et audacieux entre l’effondrement d’un genre littéraire (la tragédie classique au 19ème siècle) et la mutation profonde dans laquelle les marques et le marketing du luxe sont aujourd’hui engagés. Ce faisant, cette ancienne étudiante de khâgne et de l’ESCP nous démontre en quoi les dogmes qui régissaient jusqu’ici ce marketing bien spécifique sont notamment remis en cause par l’émergence d’une nouvelle typologie de consommateurs…

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Le marketing de la marque de luxe : une discipline jusqu’ici très codifiée…

Depuis des années, les marques de luxe ont fait l’objet d’une littérature abondante. Pour la plupart des auteurs, comme Jean-Noël Kapferer et Vincent Bastien (Luxe oblige, 2008), le luxe se caractérise d’abord par un certain nombre de caractères distinctifs comme son prix élevé, l’exceptionnelle qualité des « matériaux » employés et un processus unique de conception-production.

De même que la tragédie classique se conforme à un corpus de règles extrêmement précis (notamment la règle dite des 3 unités*), le marketing du luxe fait lui-même l’objet, dans la littérature spécialisée, d’une codification rigoureuse. Il obéirait notamment à 5 grands axiomes, qui ont quasiment valeur de « dogmes » :

1 / NOBLESSE DES OBJECTIFS : la marque de luxe doit faire rêver (susciter le désir), réconforter (offrir du plaisir) et surtout produire de la distinction ;

2 / TON / « ESTHETIQUE » IRREPROCHABLES : la marque de luxe doit respecter scrupuleusement les règles du bon goût (la célèbre formule de Gabrielle Chanel « le luxe est le contraire de la vulgarité » en est la meilleure expression) ;

3 / GESTION « MONOLITHIQUE » : la marque de luxe doit à la fois refléter une identité forte, distinctive et cohérente (= « unité d’action ») et offrir en tout temps et en tout lieu un visage homogène… « afin que les consommateurs fassent la même expérience de la marque dans le temps et dans l’espace » (= « unité de temps » et « de lieu ») ;

4 / RESPECT DE SES ORIGINES : la marque de luxe est souvent indissociablement liée à son/sa créatrice et doit par-dessus tout rester fidèle à ses propres codes, sans en déroger (faute de quoi elle ne serait plus « audible ») ;

5 / DISTANCE ET INACCESSIBILITE : tout ce qui peut porter atteinte au « rêve » véhiculé par la marque doit être banni (trivialité, références populaires ou vulgaires, codes et registres de la grande consommation…).

… Un marketing bâti par opposition à celui de la grande consommation

Erigé contre les conventions et le goût « vulgaire », le luxe (dans sa conception traditionnelle) constitue pour son consommateur « historique » un moyen d’acquérir une place dans la société et d’affirmer un statut. « Badge social », ou « médaille » selon la terminologie de Kapferer et Bastien, il constitue une « récompense symbolique de la réussite et donc de l’acquisition du pouvoir ».

A ce titre, il est important pour les clients traditionnels du luxe que celui-ci soit visible, soit de façon ostentatoire (importance des logos, des monogrammes ou de styles immédiatement reconnaissables : total look de Chanel…), soit de manière plus subtile, afin d’être reconnu seulement par les membres d’une catégorie sociale.

Dans cette conception du luxe, il est également important que les marques soient perçues comme difficilement « accessibles » au commun des mortels, de par leur prix (élevé) ou tout autre obstacle culturel ou physique. Marine Antoni cite par exemple l’organisation de certaines boutiques (Hermès, Louis Vuitton ou celui de la boutique Christian Dior avenue Montaigne), dont la configuration est étudiée pour ériger un maximum de barrières et de distances entre le produit (idéalisé / désirable / inaccessible) et le client…

Du consommateur « classique » au consommateur « romantique » : de nouvelles attentes vis-à-vis du luxe

Mais cette conception traditionnelle du luxe a aujourd’hui vécu. Sous l’influence des modèles anglo-saxons de démocratisation du luxe (« nouveau luxe », « luxe accessible » ou encore « masstige ») et du fait de l’émergence de nouveaux profils de consommateurs, les marques sont amenées à repenser leur modèle et leur marketing.

La figure du « consommateur romantique », tel que Marine Antoni le décrit, par opposition au « consommateur classique » ou traditionnel du luxe, a des attentes nouvelles. Moins soucieux de statut et de reconnaissance sociale, il/elle souhaite avant tout être reconnu(e) dans son identité et consommer le luxe de manière plus individuelle et hédoniste. Dans cette optique, le luxe devient davantage un moyen d’affirmation et de différenciation de l’individu plutôt qu’un symbole d’appartenance sociale. Les marques sont avant tout choisies sur des critères affectifs et hédoniques, car le consommateur romantique privilégie les dimensions « émotionnelle, expérientielle et psychologisée » du luxe. Plus que les attributs réels et fonctionnels du produit (qualité des matériaux, perfection des finitions…), c’est au monde imaginaire auquel renvoie la marque que le nouveau profil de consommateur s’intéresse…Fidélité à ses valeurs ou à ses choix de consommation, quête de l’authenticité et de l’émotion, goût pour la mode et l’innovation, recherche de singularité : les codes traditionnels sont de plus en plus « ringardisés », remettant en cause les repères immuables des plus grandes maisons de luxe…

Retrouvez la suite dans mon prochain post :

« Le luxe déchaîné ou comment les marques de luxe se réinventent »

* La règle des 3 unités, énoncée par Boileau dans son Art Poétique est considérée comme le fondement narratif de la tragédie : elle dispose « Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli / Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. Pour des raisons de vraisemblance et d’efficacité, la tragédie ne doit dépeindre qu’une intrigue principale, dont la durée n’excède pas vingt-quatre heures et qui se tienne en un lieu unique.

Crédit photo : Le bord de l’eau / TheBrandNewsBlog

S’y retrouver dans la jungle des classements et baromètres de marques…

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L’automne n’est pas seulement la saison des feuilles mortes et des prix littéraires. C’est aussi une des périodes les plus propices à la publication de classements concernant les marques… Best global brands (Interbrand), baromètre des marques « offrant le plus de services inspirants » (Ifop Trends), Grand Prix des marques employeurs préférées des étudiants (TNS Sofrès), Baromètre des marques préférées des français (Posternak-Ipsos)… Chaque institut d’étude (ou presque) y va de son palmarès « maison », s’appuyant sur des critères, des périmètres et des méthodes de calcul spécifiques, en mettant à l’honneur des marques différentes.

Difficile d’y voir très clair dans ces conditions… Quels sont les principaux classements et baromètres à connaître ? Que mesurent-ils et comment ? Lesquels sont les plus fiables / Quel crédit leur accorder ? C’est à ces questions que je vous propose de répondre ci-dessous, au travers d’une typologie des principaux palmarès existants (je ne prétends pas à l’exhaustivité bien sûr, car les classements de marques sont légion).

N’hésitez pas à me faire part de vos commentaires et à me signaler les études et baromètres que vous trouvez les plus pertinents… Je ne manquerai pas de les intégrer à cet article ou de les ajouter en commentaire au besoin.

1) Les classements basés sur la valorisation (principalement financière) des marques

> Le Best global brands, de l’agence de marque Interbrand (publication annuelle : fin septembre) est sans doute le classement de marque le plus connu. Créé en 1988 et reposant sur une méthodologie d’évaluation éprouvée, il liste les 100 marques mondiales ayant le plus de valeur. Pour être éligible à cette classification, une marque doit tout d’abord remplir les conditions suivantes : avoir une envergure internationale, un chiffre d’affaires conséquent, un public identifié, des données financières disponibles et accessibles (ce qui explique que certaines marques comme la BBC ne soient pas inclues dans le champ d’étude).

L’analyse d’Interbrand se fonde ensuite sur 3 grands critères :

1/ une étude financière, qui consiste à évaluer le chiffre d’affaire généré par les produits et services de la marque et à identifier le « revenu à contenu de marque » qui en découle, déduction faite du capital investi en frais de fonctionnement, promotion, etc ;

2/ une analyse du rôle de la marque consistant à déterminer la part du résultat économique de l’activité attribuable spécifiquement à la marque ;

3/ une évaluation des facteurs de risque éventuels liés à la marque, en déterminant notamment les « points de vulnérabilité » qui pourraient lui nuire dans son secteur d’activité.

… Parmi les facteurs entrant également en ligne de compte dans le calcul d’Interbrand : la stabilité de la marque, son leadership et sa dynamique de marché, sa dimension internationale, les actions de soutien éventuelles qui lui sont apportées et son niveau de protection juridique.

Il s’agit donc d’un classement complet et fiable, dont les résultats « bougent » assez peu d’une année sur l’autre, à quelques rares exceptions près. Bref, une étude de référence, ce qui explique sans doute son succès, sur les médias sociaux notamment.

=> voir ici le classement Interbrand 2013, qui présente  les 100 marques mondiales les plus puissantes.

2 > Autre exemple de classement dans cette catégorie : le Forbes Fab 40 (publication annuelle : début octobre), présente une liste des 40 marques sportives les mieux valorisées dans le monde. Parmi celles-ci, 4 catégories sont étudiées : les 10 entreprises ou marques sportives ayant le plus de valeur, les 10 événements sportifs les plus importants, les 10 équipes les plus « bankables », les 10 athlètes disposant des marques personnelles les plus porteuses.

La méthode de calcul retenue par Forbes est différente pour chacune de ces catégories. Elle consiste tout simplement à retenir le critère de valorisation le plus pertinent à chaque fois : pour les entreprises sportives, leur valorisation boursière et la comparaison avec les autres entreprises du secteur ; pour les athlètes, le montant de leur contrat de partenariat individuel avec leurs sponsors ; pour les évènements, les revenus de la billetterie, des partenariats presse, du sponsoring…

De facto, il s’agit d’un classement à prendre avec plus de pincettes que le Best global brands : les critères de valorisation retenus sont moins nombreux et sophistiqués, Forbes ne s’appuie pas sur les compétences d’un institut d’étude pour le réaliser, la valorisation du personal branding des sportifs ne tient pas compte de leur impact global mais uniquement des contrats de partenariat signés par les athlètes avec leurs sponsors, etc.

=> voir ici le dernier classement Forbes Fab 40 2013

2) Les classements évaluant l’attractivité ou la performance des marques

Le baromètre Brand Footprint de Kantar Worldpanel (publication annuelle : début mai) est un bon exemple de ce type de classements. Spécifiquement dédié aux marques « PGC-FLS » (comprenez : « produits de grande consommation et frais libre service »), cette étude a pour objectif de mettre en évidence le « potentiel de croissance globale des marques » en étudiant à la fois leur degré de « pénétration » sur leurs différents marchés et leur fréquence d’achat par les consommateurs (pour chacun des 32 pays ciblés par l’étude.) C’est donc une étude innovante et complète, dont l’intérêt tient à la fois à son caractère concret et à son périmètre international, qui permet de comparer des tendances et évolutions d’un pays à l’autre.

=> Consultez ici les résultats de ce baromètre Brand Footprint 2013

Le baromètre des marques et secteurs offrant le plus de « services inspirants » d’Ifop Trends  (publication annuelle : fin septembre) se fixe pour objectif de repérer les initiatives de marques susceptibles d’être adoptées par d’autres et de créer de nouvelles tendances en terme de services. Car si les marques, en plus de leur fonction de production de biens ou de services, deviennent de plus en plus des « marques-services », rivalisant d’innovations au service des clients, le principe de ce baromètre est de faire ressortir les bonnes pratiques, en dénombrant le nombre d’initiatives prises par chaque marque.

On peut le cas échéant le regretter : c’est donc le critère quantitatif et non la nature ou la qualité des innovations, qui est pris en compte ici. Pour repérer ces innovations, Ifop Trends croise ses informations avec un réseau de correspondants en Europe, aux États-Unis et au Japon principalement.

=> Lire l’article sur le baromètre 2013 d’Ifop Trends

> Partant du constat d’une crise de confiance des différents publics via-à-vis des discours institutionnels des entreprises, l’agence Makheia Group et le cabinet d’étude Occurrence ont eu l’idée en 2010 de créer ensemble un Observatoire de « l’authenticité » (une valeur à la mode mais qui reste un peu « floue » à mon sens). La publication annuelle de leur étude a lieu au mois d’avril.

En quoi consistent les mesures qui en découlent ? Pour la première fois en 2013, l’Observatoire a choisi de mesurer et comparer l’opinion des publics de 2 pays (France et Allemagne) sur la crédibilité du discours des entreprises. A cet égard, les résultats sont sans appel : 66% des Français et 69% des Allemands estiment que ces discours ne sont pas crédibles (une tendance qui se confirme manifestement d’année en année).

=> Consultez une synthèse des résultats 2013 de l’Observatoire de l’authenticité

3) Les classements basés sur des facteurs de perception 

On peut citer dans cette catégorie le baromètre Posternak-Ipsos des marques préférées des Français. (parution trimestrielle). Sans aucun doute un des plus anciens classements de marques à l’échelle nationale et un des plus fiables. Depuis plusieurs années, c’est notamment Yves Rocher qui finit systématiquement premier du classement, grâce à son savoir-faire éprouvé en matière de marketing et de fidélisation clients, bien ancré sur des valeur intangibles, rigoureusement déclinées et respectées par tous les collaborateurs.

=> Voir les résultats du baromètre Posternak-Ipsos 2013

Bien sûr, comme je l’indiquais en début d’article, il existe de nombreux autres classements, qui font par exemple référence dans un secteur d’activité ou une thématique précise… Je citerai parmi ceux-ci, pour l’évaluation des marques pays : le Country Brand Index de FutureBrand, le Nation Brands Index de Anholt-GfK-Roper ou encore le classement SERI-PCNB NBDO développé par le Samsung Economic Research Institute. Autre exemple de classement, dans le secteur automobile cette fois, sur la base de facteurs de perception : le Grand Prix des Marques Automobiles préférées des Français de TNS Sofrès – Journal de l’Automobile…

 

Crédit photo : TheBrandNewsBlog

Les 16 « empires de marques » qui dominent la consommation mondiale…

L’infographie qui circule en ce moment sur les réseaux sociaux est édifiante et spectaculaire. Elle représente, sur la même image, les 16 plus grand « empires » mondiaux dans les secteurs de la grande consommation. Qu’il s’agisse de groupes alimentaires (Coca-Cola, Nestlé, Mondelèz, Danone ou Mars…) ou des plus importants « lessiviers » mondiaux (Procter & Gamble, Unilever, Henkel…), ces 16 « marques mères » étendent leurs tentacules à travers le monde, à la tête de portefeuilles regroupant des centaines de marques extrêmement diversifiées.

… Cliquez sur l’image ci-dessous (jpeg) pour la voir dans la meilleure résolution :

brandsBoissons, produits de beauté, tabac, mousses à raser, plats préparés, yaourts et autres plats cuisinés… impossible d’échapper au quotidien à l’une ou l’autre de leurs marques filles ou marques produit. Chacun de ces conglomérats possède en effet dans son portefeuille aussi bien des marques internationales, connues et promues dans le monde entier (ou presque) que des marques locales leaders sur leur marché national respectif.

Que les marques filles soient directement affiliées à leur mère, de manière affichée (comme les différentes variantes de Coca-Cola : Zero, Light… dont le nom est promu comme une marque) ou « brandées » de manière autonome (nom de marque et communication bien distincts de la marque mère et des autres marques affiliées), les enjeux de communication et le poids de ces mastodontes dans les dépenses publicitaires mondiales sont évidemment colossaux.

NB : les chiffres indiqués sur ce visuel correspondent aux revenus générés (pour l’Allemagne seulement) par chacun de ces groupes et leurs marques affiliées.

Source : visuel mis en ligne par logonews.fr

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