La communication interne, un métier stratégique en pleine extension de ses champs d’intervention et de compétence

Je n’aurais pu rêver meilleure manière de reprendre le fil de ce blog, dédié aux marques, au branding et à la communication, qu’en remettant aujourd’hui à l’honneur une discipline qui m’est chère et dont j’ai régulièrement parlé ici : la communication interne.

Il y a quelques mois, l’association de référence des professionnels du secteur, l’Afci*, publiait une importante mise à jour de son référentiel métier, le référentiel de compétences des communicant.e.s internes**

L’aboutissement d’un important travail collaboratif et l’occasion de revenir, dans le détail, sur les principales missions, activités et savoir-faire déployés aujourd’hui par les communicant.e.s d’entreprise, mais aussi sur les connaissances et savoir-être requis pour exercer au mieux leurs missions.

Pour en parler et dessiner « en creux » les grandes évolutions du métier de communicant.e interne ainsi que les nouveaux enjeux auxquels sont confrontés les professionnels, j’ai eu la chance de pouvoir échanger avec trois membres éminents de l’Afci : Fabienne Ravassard1, Conseil en communication et dynamiques d’entreprise (Baïrlaa) ; Jean-Marie Charpentier2, Consultant en communication et auteur de référence dans le domaine de la communication interne et Guillaume Aper3, expert en communication et ex Directeur communication adjoint de JCDecaux .

Avec ces trois experts, nous revenons notamment aujourd’hui sur la méthodologie très collaborative qui a présidé à l’élaboration de ce référentiel métier ; sur ses ambitions et objectifs ; sur ce qui constitue en quelque sorte la « moelle épinière » du métier de communicant.e interne et sur les raisons du déficit de légitimité encore éprouvé aujourd’hui par de trop nombreux professionnels…

En attendant la publication de la deuxième partie de cette interview mardi prochain, qu’il me soit permis de remercier encore nos 3 intervenants du jour, pour la qualité de leurs réponses et de leurs éclairage, et de vous souhaiter à tous une très bonne connexion ou reconnexion avec le BrandNewsBlog.

Le BrandNewsBlog : Bonjour Fabienne, Jean-Marie, Guillaume. Bravo à vous et à l’Afci pour la publication de ce référentiel de compétences, très pédagogique et complet. A qui s’adresse ce document en priorité ? Et quels en sont les objectifs ?

Jean-Marie Charpentier : Ce référentiel s’adresse d’abord et avant tout aux communicants et à tous les consultants qui interviennent dans le champ de la communication interne. Mais il cible aussi les directions de la communication au sens large et les directions des ressources humaines, notamment la fonction recrutement qui peut être particulièrement intéressée pour mieux comprendre ce qu’est ce métier et ainsi mieux recruter. D’après les premiers retours que nous avons eus, ce référentiel a aussi été très bien accueilli par les enseignants et les étudiants en communication.

Sa genèse s’inscrit dans le cadre de deux grands chantiers lancés en 2024 par l’Afci : d’une part la refonte du premier référentiel de compétences de la fonction communication interne, qui datait de 2004, et d’autre part la production de récits de métiers, que nous avons choisi de publier l’été dernier sous la forme d’un ouvrage dédié à la parole des communicants sur leur travail. Deux approches complémentaires pour donner à voir ce qu’est aujourd’hui le métier de communicant interne : comment il se situe, comment il se transforme, quels en sont les enjeux et ce qu’en disent les professionnels eux-mêmes. Avec l’objectif que tout cela soit le plus incarné et vivant possible.

Au fond, à travers ces deux documents, l’Afci revient sur l’identité professionnelle des communicants internes, remet en perspective leurs pratiques et a aussi pour ambition de redonner de la force et de la visibilité à celles et ceux qui, au quotidien, exercent cette mission avec beaucoup d’engagement et souvent de passion.

Le BrandNewsBlog : Vous le soulignez, un premier référentiel avait été publié par l’Afci en 2004. En termes de méthodologie, comment avez-vous travaillé sur cette nouvelle version ? A-t-il été facile de dégager une vision commune du métier parmi les participants et membres de l’Association ? Et globalement, les compétences fondamentales attendues en 2024 ont-elles beaucoup évolué par rapport à celles identifiées en 2004 ?

Guillaume Aper : Même si je n’ai pas participé à l’élaboration du premier référentiel de 2004, il faut d’abord repréciser que le travail qui avait été fait à l’époque était essentiellement tourné vers la fonction ressources humaines, pour affirmer et positionner le métier de la communication interne auprès des personnes en charge du recrutement et de la gestion de carrières notamment… L’Afci avait alors travaillé en petit comité, au travers d’une série d’entretiens qui avaient été menés puis synthétisés par un consultant. Pour élaborer la nouvelle version du référentiel, nous avons voulu procéder de façon tout à fait différente et profiter de la force de notre collectif de professionnels au sein de l’association.

Fabienne Ravassard : Oui, dans cette optique, on est partis assez vite sur l’idée de constituer un groupe de travail et nous avons rapidement pu composer un groupe dynamique et représentatif de professionnelles issues d’entreprises et d’institutions de taille et de secteurs très différents, aux niveaux d’ancienneté variés. Nous les avons rassemblées lors d’une première journée d’atelier, en repartant d’emblée de la base existante de 2004, et en les faisant réagir et échanger en modalités d’intelligence collective sur les principales missions des communicants internes. Cela a permis de déboucher assez rapidement sur 5 grandes missions essentielles, auxquelles le groupe de travail a rattaché à chaque fois 3 ou 4 activités. Soit au final 5 missions et 16 grandes activités principales qui ont pu être définies et auxquelles nous avons associé progressivement les savoir-faire correspondants.

Il n’a pas été difficile de dégager cette ‘vision commune’ du métier dont vous parlez. C’est là toute la magie et la puissance de l’intelligence d’un collectif. A partir de ce travail fondateur, plusieurs autres séances de travail ont eu lieu, avec Jean-Marie, Guillaume et d’autres participants membres de l’Afci pour aboutir au référentiel actuel, qui a été soumis en relecture au groupe de l’atelier initial.

Nous nous sommes rendu compte que les grandes missions et l’essentiel du métier tel que décrit en 2004 n’avaient pas fondamentalement changé. Ce sont plutôt les activités rattachées et les savoir-faire associés qui ont évolué, et surtout la façon dont les professionnels envisagent et construisent les liens à l’intérieur de leur entreprise.

Le BrandNewsBlog : Vous le souligniez récemment Fabienne et Guillaume, dans une intéressante tribune*** et vous aussi Jean-Marie, dans un article pour la Harvard Business Review****, la communication interne reste, malgré sa professionnalisation, une fonction en quête de légitimité. A quoi ce déficit de légitimité est-il dû selon vous ?

Jean-Marie Charpentier : Je dirais d’abord qu’il y a toujours eu une certaine tension entre deux dimensions : d’une part, la production et la diffusion de contenus, qui est une mission classique des communicants internes ; d’autre part, la capacité à faire du lien, à établir des relations au sein de l’entreprise.

Longtemps, on a conçu ce métier comme relevant avant tout, voire uniquement, des outils et de la seule diffusion. Or, dans les moments critiques, dans les moments intenses de transformation ou de crise, c’est beaucoup plus sur la relation que se joue la communication interne. On l’a bien vu durant la pandémie de Covid-19 : c’est sur le plan des relations que la communication interne a été le plus efficace et le plus utile, en permettant à l’entreprise de tenir, de maintenir des collectifs, de faire corps dans les difficultés.

Or, malgré ce momentum et la professionnalisation accrue des communicants internes, on a un peu l’impression que post Covid, ce sont les logiques de marque et de communication externe qui ont un peu partout repris le dessus, au détriment de la communication interne, qui s’intéresse d’abord à l’entreprise, à ses métiers et aux collectifs de travail. Cela a un peu remis sous le radar la communication interne, qui a été renvoyée à son statut de ‘fonction support’ et de ‘gestionnaire des tuyaux’, alors qu’un rééquilibrage entre ce qui relève de la marque et ce qui relève de l’entreprise est nécessaire. La marque et l’entreprise, ce n’est pas exactement la même chose.

Plusieurs autres facteurs peuvent aussi expliquer ce déficit de légitimité ressenti par les communicants internes : un positionnement parfois fragile dû à un manque d’affirmation de la fonction ou bien à un rattachement incertain (tantôt à la Communication, à la DRH, tantôt à la DG voire aux directions de la transfo…). Et puis, il y aussi le fait que les communicants internes sont des professionnels qui travaillent souvent « à bas bruit », et ne sont pas du genre à se mettre en avant, étant de tempérament assez discret.

Fabienne Ravassard : Sur cet aspect du manque d’affirmation de la fonction, il faut souligner que les communicants internes sont le plus souvent des communicantes, qui œuvrent avec conviction de manière discrète, privilégiant l’efficacité aux effets de manche. J’identifie aussi deux autres causes à ce déficit de légitimité de la fonction communication interne, en plus des facteurs dont vient de parler Jean-Marie. D’une part, les équipes de communication interne sont de plus en plus challengées en interne par d’autres directions. Il arrive en effet de plus en plus souvent que les équipes com’ interne se retrouvent écartées de grands sujets voire ‘uberisées’ par des directeurs ou chefs de projets qui maîtrisent les outils pour générer une newsletter ou un canal de com’, savent faire eux-mêmes une vidéo ou utiliser un réseau social d’entreprise. Il se crée ainsi une concurrence interne des équipes transfo, marketing ou informatique sur un certain nombre de sujets dont la communication interne aurait toute légitimité à s’emparer.

D’autre part, par sa nature transversale et son approche collaborative des sujets, la communication interne se trouve aussi écartée car elle apporte de la hauteur et donc une forme de complexité, ce qui n’est pas toujours du goût de certaines directions, peu désireuses de les associer. La com’ interne est par essence même un métier transversal, nourri de la collaboration dans l’entreprise. Or on le sait, collaborer n’est pas toujours bien accepté, même entre équipes qui se connaissent.

Guillaume Aper : J’ajouterai que pendant la pandémie de Covid-19, la communication interne a aussi connu un momentum grâce à sa connaissance des publics internes de l’entreprise et à sa capacité d’écoute. Les directions générales et directions opérationnelles se sont beaucoup nourri des retours terrains des communicants internes, pour mieux gérer la crise. Après cette période, on est en effet repartis davantage dans des logiques de production de contenus, peut-être un peu au détriment de l’écoute et de la mise en relation des publics internes. Or il appartient aux communicants internes de continuer d’aller à la rencontre des métiers et des différents publics internes, pour continuer à alimenter les directeurs communication et directions générales de remontées terrain et de signaux faibles. C’est un positionnement qui ne peut que renforcer la légitimité de la fonction et renforcer le binôme com’ interne – dircom au sein des entreprises.

Le BrandNewsBlog : Pour contextualiser pour nos lecteurs la publication de ce référentiel, pourriez-vous nous rappeler qui exerce aujourd’hui le métier de communicant interne en entreprise ? Y-a-t-il des profils types qui se dégagent, et des spécificités de formation ou de parcours par rapport aux autres communicants ? Vous souligniez notamment Fabienne que la fonction est très féminisée. Quel est aujourd’hui son degré de professionnalisation ? Est-il homogène au sein des entreprises ?

Guillaume Aper : Pour les 30 ans de l’Afci, en 2019, nous avions justement mené une étude à ce sujet. Il en était ressorti, d’abord, que la profession est largement féminisée : 83% des professionnels qui l’exercent étant des femmes. L’âge moyen des communicant.e.s internes était à l’époque de 40 ans, avec une sur-représentation des entreprises du secteur privé, même s’il semblerait que le nombre de communicant.e.s internes dans la sphère publique a augmenté depuis l’étude

Nous avions eu la surprise de constater aussi à l’époque que près de la moitié des communicant.e.s internes travaillait dans des PME-PMI, ETI ou entreprises de moins de 2000 salariés, la fonction n’étant donc pas l’apanage des grandes organisations.

Et plus globalement, nous avions pu voir que les équipes communication interne sont le plus souvent de petite taille, avec beaucoup de binômes et de personnes seules en poste. J’ajoute qu’il était aussi apparu qu’une fraction non négligeable des communicant.e.s internes ne venaient pas d’écoles ou de filières communication, raison pour laquelle l’Afci a étoffé depuis 5-6 ans son offre de formation, pour permettre aux plus néophytes de se former aux fondamentaux du métier, formations que nous avons complétées progressivement par des modules plus pointus, sur la posture du communicant interne par exemple, sur la communication du changement et des transformations, ou bien encore sur la communication managériale.

Ces formations ont eu beaucoup de succès car elles permettent à chacun de renforcer son expertise et sa crédibilité en interne, y compris pour les communicants qui n’ont jamais fait de communication interne auparavant et qui se rendent souvent compte, après quelques mois d’exercice, des compétences et missions bien spécifiques attachées à la communication interne.

Le BrandNewsBlog : Dans ce réferentiel publié par l’Afci, les contributeurs reviennent sur les missions fondamentales, les activités et savoir-faire, les connaissances et savoir-être attendus des communicants internes. Pour résumer ce « métier à part entière, et à part », pourriez-vous nous dire quel en est pour vous l’ADN, la ‘substantifique moëlle’ ?

Jean-Marie Charpentier : La substantifique moëlle de ce métier, c’est selon moi la relation. La relation avec le haut de l’entreprise (en l’occurrence les dirigeants) ; mais aussi la relation avec le terrain (les managers de proximité, les salariés…). Comme vous le verrez en découvrant le référentiel, tout ou presque (que ce soit dans les missions, les savoir-faire, les connaissances, les savoir être…) tourne autour de cette capacité à nouer une relation, à faciliter le lien, à organiser l’échange. C’est bien pour cela qu’il importe de ne pas limiter le métier de communicant.e interne à la production et à la diffusion des contenus, même si cela fait aussi partie du travail et de la relation avec les différents publics de l’entreprise.

Les récits de métier que nous avons pu recueillir donnent très concrètement à voir, sous différents angles, cet enjeu de la relation au cœur du métier. D’où, pour les communicant.e.s l’importance de bien connaître, de bien comprendre pour agir. Connaître, comprendre les acteurs, les métiers, les collectifs. Connaître, comprendre également de quoi est fait le travail. Connaître, comprendre les attentes des différents publics. Une communicante d’un grand distributeur nous rappelait dans les récits de métier que « Comprendre, c’est le verbe le plus important en communication interne. »

J’ajouterais autre chose encore à propos de la relation comme substantifique moelle du métier : nous vivons en ce moment une véritable transition dans les entreprises, dans la société. Et cette transition, qu’elle soit économique, sociale ou écologique, nous impose d’aller au-delà de l’approche purement fonctionnelle de l’entreprise, réduite à l’administration des choses, à la gestion des flux ou des réseaux. La transition vers une entreprise plus relationnelle, plus « robuste » pour reprendre le terme d’un livre que l’Afci a primé récemment, c’est davantage d’interactions, de liens, d’expressions partagées. Et dans ce domaine, les communicants internes ont une place essentielle.

Fabienne Ravassard : Oui, ainsi que l’indique Jean-Marie, pour ne pas paraphraser les 5 grandes missions du communicant interne que vous retrouverez ci-dessous, le cœur du métier n’est plus uniquement de produire et de diffuser des messages, mais vraiment, comme nous l’avons écrit dans notre tribune, de faire vivre un collectif et même le ‘récit collectif’ qui l’accompagne. Plus que jamais, la mission première du communicant interne, c’est de réunir, de créer les conditions d’une bonne compréhension de l’entreprise, d’une véritable pédagogie et du dialogue. Et comme tout métier de communication, il s’agit aussi de veiller à la notion de cohérence des discours, c’est à dire au bon alignement entre la parole et les actes, afin que les salariés puissent constater qu’il n’y a pas de dissonance entre ce qu’on leur dit et leur vécu, entre le verbe des dirigeants et ce qu’ils voient en action, sur le terrain.  Dans le cœur d’expertise du communicant interne, on retrouve également cette notion d’intelligence collective. Non pas qu’il revienne systématiquement au communicant interne d’animer lui-même des dispositifs d’intelligence collective, mais on lui demande a minima de pouvoir faire des recommandations sur le sujet, d’être en capacité de piloter des dispositifs en faisant par exemple intervenir un facilitateur ou des consultants spécialisés en intelligence collective.

Dans le même ordre d’idée, les dimensions plus invisibles du métier que sont la capacité d’analyse, l’écoute active, la capacité à se mettre dans une posture de conseil et à anticiper, y compris en termes de ressources, sont de plus en plus attendues en termes de compétence et de savoir-être, afin de faire face aux défis de transformation et de communication au sein de l’entreprise.

Le BrandNewsBlog : Dans votre tribune pour le magazine Stratégies, Fabienne et Guillaume, vous mettez en avant deux compétences clés des communicants internes. D’une part, au-delà de la production de contenus et de la diffusion de messages, la capacité à « faire vivre un récit collectif » au sein de l’entreprise. D’autre part, la capacité à créer les conditions de compréhension de ce récit et à mettre en cohérence discours et actes. En quoi ces deux compétences vous semblent-elles primordiales ? Et en quoi ce récit collectif permet de mieux accompagner les transformations au sein de l’entreprise ?

Fabienne Ravassard : Oui, cette notion de récit collectif et sa compréhension, son appropriation par les différents publics de l’entreprise nous ont paru d’autant plus importantes que nous traversons comme nous l’avons déjà dit une période intense de transformations et de grands changements, et qu’il est nécessaire de les accompagner au mieux au sein de l’entreprise. Qu’on ait à faire à un projet de réorganisation, de rachat ou au lancement d’une nouvelle stratégie, la construction d’un récit collectif permet de faire face au changement et à l’incertitude, de redonner du sens aux collaborateurs, à condition bien sûr que ce récit ne soit pas descendant et qu’il soit co-construit avec les équipes, et incarné.

Bâtir ce récit collectif, c’est en définitive se donner la possibilité de rassembler, autour d’un message commun, cohérent et fédérateur, en créant de l’alignement entre les différentes parties prenantes internes qui sont mobilisées sur les changements et les transformations.

J’ai travaillé récemment pour une structure qui, dans le cadre de la refondation de sa stratégie de communication interne, avait dressé le constat que des cultures très disparates coexistaient sur ses différents sites et pouvaient « s’entrechoquer ». Au moment de mener à bien un gros projet interne, les dirigeants ont ressenti que cette diversité de culture(s), qui avait pu faire jusque-là la richesse de l’entreprise, pourrait cette fois constituer un frein au projet et une source d’incompréhensions. Avec les communicants internes, nous sommes donc allés dialoguer directement avec les collaborateurs des différents sites, dans le cadre de focus groupes, pour interroger cette notion de culture d’entreprise et déterminer ensemble quels étaient les « plus petits communs dénominateurs » de la culture commune, sans galvauder les différences existantes. Ce travail de fond a permis aux communicants internes de clarifier un récit collectif fédérateur, nuancé, qui fait in fine la part belle aux points forts partagés, tout en valorisant la richesse des singularités de l’entreprise.

Ce type de travail, s’il est bien réalisé, et s’il est accompagné par les communicants internes dans sa diffusion, permet à la fois de créer du lien et de rendre aussi beaucoup plus intelligibles les grands changements qui peuvent venir impacter les collaborateurs.

Ce savoir-faire de narration se déploie aussi dans la capacité à rendre plus concrète, incarnée, percutante et efficace, une nouvelle stratégie d’entreprise dont la formulation initiale serait trop absconse ou éloignée du quotidien des collaborateurs. En traduisant cette stratégie sous forme d’un récit beaucoup plus pragmatique, au travers d’exemples concrets et de situations vécues et portées par les collaborateurs, ou en simplifiant la formulation et en co-construisant le récit correspondant avec des managers, on peut rapidement en faire quelque chose de beaucoup plus efficace, appropriable et connecté au travail et à la réalité quotidienne de l’entreprise.

Le BrandNewsBlog : La connaissance des publics et des métiers de l’entreprise, l’écoute et la traduction des attentes des collaborateurs, la capacité à détecter les signaux faibles… demeurent au cœur de la mission des communicants internes. A quel savoir-faire spécifique ces compétences font-elles appel ? Et quels sont en définitive les principaux savoir-être attendus des communicants internes ?

Jean-Marie Charpentier : La capacité d’écoute est à la base du métier et lui assigne une posture d’humilité : être d’abord celui ou celle qui écoute les autres. Encore une fois, le média et le message ne doivent pas être premiers. C’est l’écoute qui fonde l’approche du communicant interne. Et on peut bien sûr écouter de multiples façons (directe ou indirecte, formelle ou informelle, via des rencontres ou des outils tels que les sondages). Dans tous les cas, il y a un pré-requis, c’est le contact avec le terrain et la proximité. A l’heure des réseaux sociaux ou de l’IA, voire du télétravail, on peut facilement se déconnecter du terrain. Or, le communicant interne ne doit jamais le quitter. C’est sa véritable raison d’être. Sur le terrain, dans les contacts directs, on capte les petites choses, ce que l’anthropologue de la communication Yves Winkin appelle les « petits riens », des petits riens qui peuvent en réalité s’avérer des pépites.

En termes de savoir-être, les différentes compétences attendues des communicant.e.s internes renvoient à des capacités de perception et d’expression (ouverture, curiosité, écoute active, empathie, synthèse…), mais aussi aux capacités à développer du lien, du sens, ainsi qu’à cette capacité d’écoute qu’on vient d’évoquer.

Les savoir-faire opérationnels et stratégiques, comme être en capacité de conseiller le management, savoir élaborer et faire circuler l’information, viennent ensuite.

En matière de communication interne, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, la charrue de l’info avant les bœufs de l’écoute et de la relation, si j’ose dire. N’oublions jamais que c’est eux qui tirent et donnent au métier son sens.

Guillaume Aper : Pour compléter le propos de Jean-Marie sur l’écoute, l’aptitude à détecter et à remonter les signaux faibles fait appel à cette capacité d’écoute informelle dont j’ai déjà parlé, qui requiert de bien connaître les gens, de savoir se constituer un réseau d’interlocuteurs internes auprès desquels on peut facilement passer quelques coups de fil pour savoir comment sont perçus telle ou telle décision ou tel sujet épineux. Une nouveauté est ressortie dans la nouvelle édition de notre référentiel de compétences : la capacité à savoir dresser une véritable cartographie des publics internes, à l’instar d’une photo satellite dont on peut ensuite se servir régulièrement et qu’on peut actualiser. Cette cartographie, qui a été évoquée par de nombreux professionnels, peut s’avérer particulièrement utile et démontre la connaissance fine de l’entreprise par les communicant.e.s internes.

Savoir naviguer en permanence entre la direction de l’entreprise, les managers et les équipes terrain sur site, dans des usines ou sur des chaînes de production, requiert aussi une réelle capacité à se mettre à la portée de différents publics, une vraie plasticité intellectuelle et une curiosité insatiable. Cela implique aussi, à mon sens, d’avoir le goût de l’interation et de la communication directe avec les gens, donc de l’empathie.

Le BrandNewsBlog : La communication managériale, en particulier – qui reste parfois un sujet d’insatisfaction des dirigeants – n’empiète-t-elle pas sur la mission d’animation des managers ? Et quelles sont finalement les limites à la communication interne, dans l’animation des métiers et des différentes communautés professionnelles ? N’y-a-t-il pas un risque de dilution des messages et du récit collectif dont nous parlions à l’instant, quand la communication interne devient trop spécifique ? Et quel est son rôle dans l’accompagnement du management ou des collectifs de travail ?

Fabienne Ravassard : Vous abordez là un vaste sujet… et plusieurs questions en une. Pour parler spécifiquement de la communication managériale, Guillaume le dit souvent : c’est l’un des sujets les plus complexes à appréhender pour les communicant.e.s internes et pour leurs dirigeants. Parce que pour aboutir à une communication managériale vraiment efficace, il faudrait en réalité pouvoir aligner les planètes, « avoir à sa main » des sujets aussi différents que la formation des managers et le style managérial, qui relèvent plutôt de la DRH ; connaître sur le bout des doigts la culture et l’histoire de l’entreprise, et savoir ce qui est attendu des managers et de la communication managériale également. Voilà pourquoi, pour avoir une communication managériale efficace, de même que pour avoir une communication interne efficace, la première chose à faire devrait être à mon sens de définir collégialement, avec les dirigeants, ce qu’on en attend et quels en sont les objectifs… quitte à se revoir régulièrement pour revenir sur ces objectifs et ajuster au gré des besoins.

En terme de communication managériale, est-ce qu’on attend d’un manager qu’il soit juste capable de s’exprimer correctement auprès de ses équipes et de relayer de temps en temps les messages importants transmis par sa direction ? Ou bien lui demande-t-on d’être un ambassadeur, capable de porter la stratégie et les décisions de l’entreprise auprès de ses équipes ?

Dans l’idéal, et dans les organisations les plus matures selon nous, une communication managériale efficace implique d’autoriser le manager à faire des pas de côté, pour expliquer avec ses propres mots la stratégie de l’entreprise, transposer de manière autonome et pédagogique cette stratégie pour que son équipe la comprenne et se l’approprie. C’est à mon sens le degré le plus abouti d’une communication managériale réussie, mais cela implique un haut niveau de confiance des dirigeants dans leurs managers, et un accompagnement de la part des équipes communication pour que les managers se sentent à l’aise.

Beaucoup trop de dirigeants attendent encore des managers qu’ils « cascadent » à la virgule près des éléments de langage pré-mâchés, pas toujours adaptés à la réalité du terrain. Et nombreux sont aussi les managers à avoir besoin d’être accompagnés et rassurés à ce niveau, de peur de faire un faux-pas ou d’être piégés par une question pertinente posée par leurs collaborateurs.

Car l’idée c’est aussi cela : plutôt qu’une communication descendante, faire de la communication managériale un espace d’échange et d’interactions où les collaborateurs se sentent libres de poser leurs questions, quitte à ce que le manager revienne auprès d’eux plus tard, avec une réponse élaborée avec les communicants ou les dirigeants de l’entreprise.

Il en va de même pour l’animation des métiers auprès des différentes communautés professionnelles. La réussite dans ces domaines passe également par la confiance a priori et le fait d’accompagner les ambassadeurs internes à devenir des acteurs de la communication interne de l’entreprise, plus que de simples relais.

Guillaume Aper : Pour les communicant.e.s internes, les points que Fabienne vient de relever impliquent qu’ils se retrouvent dans une position et une posture de conseil auprès des managers et des autres ambassadeurs de la communication interne. Charge à eux de co-construire avec les managers et les ambassadeurs internes des plans de communication et des dispositifs qui soient adaptés à leur besoins et aux enjeux, tout en les formant et les sensibilisant aux grands enjeux de la communication et en les accompagnant au besoin, comme des coaches, dans leurs prises de parole. Cela peut passer par la préparation commune d’éléments de langage, le regard critique sur des discours préparés par les managers, l’acculturation des managers aux méthode de l’intelligence collective, pour créer les conditions d’un véritable échange au sein de leurs équipes ou bien tester des messages, par exemple.

Au-delà de ses propres contenus et des canaux de communication qu’il anime, il appartient au communicant interne de faire en sorte que d’autres que lui (managers, réseau de correspondants internes, ambassadeurs) portent et amplifient le récit collectif de l’entreprise, tout en maintenant une cohérence des messages et des discours. Cela passe en effet par de la co-construction du récit, la constitution de réseaux et de communautés à même de porter et incarner les messages auprès de leurs équipes.

Le BrandNewsBlog : Elaborer et faire circuler l’information au sein de l’entreprise ; faire vivre la culture d’entreprise ainsi que les dynamiques collectives, font partie des missions ‘régaliennes’ des communicants internes. En quoi l’essor de l’intelligence artificielle et la multiplication des canaux de communication offrent de nouvelles opportunités et perspectives aux professionnels dans ces domaines. Et a contrario, comment les communicants internes gèrent-ils le risque d’infobésité et la prolifération des canaux, contenus et dispositifs numériques à laquelle on a assisté ces dernières années ?

Guillaume Aper : Sur ces sujets de l’élaboration et la diffusion des contenus de communication interne, un des grands enseignements qui est ressorti de la nouvelle édition du référentiel (par rapport à celui de 2004), c’est certes que les technologies ont beaucoup évolué et que la communication s’est largement digitalisée, mais c’est surtout que les contenus de communication interne ne sont plus produits exclusivement par les communicants et qu’ils proviennent maintenant d’une multitude de canaux et d’émetteurs (réseaux sociaux d’entreprises, Intranets métiers, newsletters et outils de chat, etc.

A cet égard, et face à cette masse de plus en plus importante de « User Generated Content », qui peuvent aujourd’hui représenter bien plus de la moitié des contenus de communication internes diffusée, les communicants internes doivent être garants de la cohérence et se positionner en « aiguilleurs du ciel » de l’ensemble des contenus émis. A eux de faire remonter tel ou tel contenu, de dire quel avion reste en l’air, quel avion décolle et lequel atterrit. C’est une mission qui combine étroitement coordination, modération et curation, qui n’existait évidemment pas il y a encore quelques années de cela.

Aux communicants internes de superviser ce qui sort, se tenir au courant, assurer la cohérence parmi la multitude de canaux digitaux et de contenus produits dans l’entreprise.

Pour se faire, il me semble que les outils d’intelligence artificielle peuvent justement être d’une aide précieuse, en aidant les communicants à remonter et faire le tri parmi tous les contenus publiés dans l’entreprise.

Plus encore que la production de contenus hyper ciblés et personnalisés, il me semble que le premier apport de l’IA pourrait résider dans cette mission de tri, grâce à des outils tels que Perplexity ou des métamoteurs de recherche, qui auraient / auront pour vocation de simplifier la curation des contenus internes qui incombe aujourd’hui aux communicant.e.s internes.

Car avec la démultiplication des canaux et la facilité que l’IA permet dans la production de contenus et de supports de communication, il y a en effet un vrai risque d’embouteillage et d’infobésité interne, et qu’on n’arrive tout simplement plus à retrouver les bonnes informations quand on les recherche. Or on sait que le temps d’attention de nos lecteurs / des collaborateurs, est de plus en plus limité. Il nous revient dont de nous y adapter pour produire plus efficacement et parcimonieusement des contenus, mais aussi et surtout adresser les bons contenus internes aux bonnes personnes et d’adopter ce qui est déjà une demande dans nombre d’organisations : la sobrieté éditoriale.

Le BrandNewsBlog : Nous parlions à l’instant de reconnaissance et de quête de légitimité de la part des professionnels de la communication interne. Cette légitimité n’a jamais été aussi forte, le rappeliez-vous Jean-Marie, qu’en temps de crise, durant la pandémie de Covid-19… Quelles sont d’après vous les pistes pour étendre cette reconnaissance, désormais établie dans les domaines de la communication de crise et l’accompagnement du changement, à toutes les autres missions et compétences des communicants interne ? Et comment faire pour qu’ils soient considérés par leurs dirigeants comme des « partenaires de pensée et d’action » ainsi que vous l’appelez de vos vœux ?

Jean-Marie Charpentier : C’est certain, l’expérience de la pandémie de Covid-19 a été refondatrice pour de nombreux communicant.e.s internes. Ils nous l’ont dit. Il a fallu tenir le cap dans un moment critique et ils ont su se montrer particulièrement utiles grâce aux relations entretenues avec les dirigeants, les managers et les salariés, pour assurer une continuité de service. Leur pouvoir d’agir, émanant de leur bonne connaissance du terrain, s’est trouvé accru dans les cellules de crise, dans le contact avec les managers et leurs équipes.

Développer ce pouvoir d’agir, accroître les leviers d’action pour les communicant.e.s internes, cela passe par le fait de nouer des alliances. Le communicant interne ne travaille jamais seul. Il est ou doit être en partenariat tantôt avec les dirigeants, tantôt avec le DRH, tantôt avec les managers de proximité et les métiers.

Un exemple parmi d’autre de ce pouvoir d’agir : trop souvent encore, on vient voir le communicant interne pour lui demander des slides, une vidéo, un podcast… Or, le vrai pouvoir d’agir du communicant commence par questionner le besoin (pourquoi communiquer, à qui, pour quels besoins ?). Cette capacité à remonter à la source du besoin conduit parfois à remettre en question le média initialement choisi et à co-construire avec son interlocuteur-partenaire une offre de communication et des dispositifs pertinents. C’est la meilleure façon de pratiquer la communication interne à mon sens.

Fabienne Ravassard : Pour asseoir leur légitimité, être reconnus comme des « partenaires de pensée et d’action », les communicant.e.s internes peuvent aussi cultiver leur lien avec le/la dircom, ainsi que le soulignait tout à l’heure Guillaume.

Constituer un binôme efficace, en alimentant le dircom de remontées terrain, de signaux faibles, en l’éclairant sur un certain de nombres de sujets comme la façon dont sont perçues les décisions des dirigeants ou la stratégie d’entreprise, me paraissent des axes de travail et de reconnaissance intéressants. Cela suppose encore une fois de s’entendre, avec le dircom dans un premier temps, puis avec les dirigeants, sur ce qu’on attend exactement de la communication interne, et quels en sont les objectifs. A partir de là, on peut déterminer les plans et moyens à mettre en œuvre pour être à la hauteur des ambitions affirmées.

Développer le travail d’écoute et rester en permanence en prise avec les différentes communautés et les différents publics de l’entreprise demeurent des impératifs, et aussi peut-être pour les communicant.e.s internes, s’agit-il de forcer un peu leur nature pour communiquer davantage sur ce qu’ils font et faire mieux connaître l’étendue de leur « offre de service ».

Cela suppose aussi de renforcer leur assertivité et de développer leur connaissance des  sujets stratégiques, en mettant de côté leur discrétion pour s’imposer progressivement dans les différents comités projets et autres instances de coordination, au sein desquelles ils ne sont pas systématiquement conviés habituellement. Passer pour ainsi dire en permanence et avec facilité du sol bétonné des ateliers d’usine aux couloirs feutrés des étages de direction, en sachant à chaque fois quel langage on y parle, pour mieux les relier.

Le BrandNewsBlog : Chefs d’orchestre du récit de l’entreprise, interfaces au service des collectifs de travail, passeurs, médiateur et tisseurs de cohésion entre les différents métiers, les hiérarchies et les communautés professionnelles… Vous dites, Jean-Marie, que les communicants internes sont passés d’une pure « communication de transmission » à une véritable gestion des relations au sein de l’entreprise. Quels sont les grands défis qui en découlent ? Et globalement Fabienne, Guillaume et Jean-Marie, quels sont les prochains défis à relever par les communicants internes pour asseoir encore davantage leur rôle stratégique ?

Jean-Marie Charpentier : Selon moi, il y a quelques grands défis à relever pour les communicants internes : d’abord, continuer de faire face aux multiples crises qui touchent les entreprises (nous sommes à bien des égards dans une situation de « permacrise ») et préparer en interne les nécessaires transitions pour y faire face.

Ensuite, et on en a déjà parlé les uns et les autres, tout faire pour conserver le lien avec le terrain. Fabienne vient d’évoquer le fait du passer avec facilité du béton des usines aux couloirs feutrés des directions… Dans les faits, il y a mille sollicitations pour s’éloigner progressivement du terrain. Le solutionnisme technologique, avec l’IA notamment, peut être un piège comme le fut le cas à une autre époque avec le « tout numérique », et peut inciter les communicants à rester dans leur tour d’ivoire. Tout ne relève pas de la technologie. On a besoin d’un usage raisonné de l’IA, pour ne pas finir par travailler « en chambre ».

Autre défi en lien avec le terrain : être en prise, encore plus qu’hier, avec les questions du travail (les conditions de travail, les espaces de travail, la place du télétravail, etc.). Des évolutions comme la généralisation du télétravail ces dernières années bouleversent durablement les pratiques et la communication dans l’entreprise.

J’ajouterais enfin : irriguer la communication interne et externe par des récits de vie, des récits de métier, pour que celle-ci soit toujours crédible et incarnée. La forme du récit, c’est ce qui permet tout à la fois de capter le réel et d’aller vers l’imaginaire. Il y a toute une communication dans le travail et sur le travail à mettre ou à remettre au jour. Les communicants internes doivent s’en saisir. N’oublions pas, comme le disait Jeanne Bordeau, que « le savoir dire vient de l’intérieur ».

Guillaume Aper : Jean-Marie et Fabienne viennent d’évoquer le fait de passer avec aisance du terrain aux étages de direction. A cet égard, le défi pour les communicants internes est aussi, parfois, d’être perçus comme davantage « business oriented », de s’intéresser réellement à la marche des affaires et aux évolutions des métiers de leur entreprise, pour demeurer crédibles et ne pas se retrouver au ban des comités projets et autres instances de décision.

Dans le contexte de permacrise et de transformation permanente que vient d’évoquer Jean-Marie, il faut aussi que les communicant.e.s internes travaillent en dynamique sur la culture d’entreprise, pour adapter en permanence le récit collectif de l’entreprise et que celui-ci continue de coller aux réalités de terrain. Il en va de l’engagement des collaborateurs, car la culture, et un récit collectif clair et crédibles, créent les conditions de l’engagement.

Les deux derniers défis que je perçois, on en a parlé également un peu plus tôt, ce serait que la communication interne grandisse et pourquoi pas grossisse, en investissant de nouveaux champs ou de nouvelles missions. Cela suppose d’abord un rééquilibrage des moyens et des ressources avec la communication externe, en tout cas un moins grand déséquilibre. Et la communication interne, dont les champs sont déjà vastes, pourrait ainsi investir de nouveau champs que sont par exemple, l’adaptation des collaborateurs aux grandes évolutions sociologiques et macro-économiques.

Pour aborder des sujets et débats de société, vulgariser de grandes questions économiques, géopolitiques, sociétales ou scientifiques, presque dans un esprit de d’outillage culturel et citoyen des collaborateurs, pour les préparer aux grands changements du monde et de leur environnement, la communication interne a à mon avis un rôle à jouer dans cette zone encore peu investie entre communication et formation.

Le BrandNewsBlog : Un dernier mot sur l’ouvrage « A mots ouverts », publié par l’Afci en même temps que le référentiel de compétences. Il est sous-titré : « Tout ce que je veux vous dire sur mon métier, la communication interne » et présente 20 témoignages de professionnels sous la forme de 20 récits justement. Pourquoi avoir publié cet ouvrage à part ?

Jean-Marie Charpentier : Nous venons de parler il y a un instant de l’importance de l’incarnation des récits d’entreprise et des récits émanant des métiers. L’Afci a souhaité que des communicants internes racontent leur travail au quotidien. De ces témoignages recueillis par une petite équipe au sein de l’association, il a été tiré des « récits de métiers », qui restituent sans filtre la voix des communicants. L’objectif : parler du métier, révéler ce que signifie travailler pour celles et ceux qui font métier de communiquer au sein des organisations, en entrant de plain-pied dans leur quotidien. Et surtout, passer par la parole de ces professionnels. Leur offrir l’opportunité de parler de leur travail, dire « je », raconter le concret de leur activité, ses rites, ses rituels, exprimer leur façon de tenir leur rôle et de (bien) faire ce métier, souligner tout ce qui va, en ne cachant pas ce qui bloque ou résiste. Et puis, se situer en tant que communicant dans une équipe, dans son rapport aux dirigeants, aux managers, aux salariés. L’Afci a voulu publier cette parole, très riche, sous la forme d’un livre, qui vient compléter et en quelque sorte faire écho au référentiel métier. Cette mise en mots du métier par ceux et celles qui l’exercent est une première pour l’association et je dois dire que nous en sommes assez fiers.

 

 

Légendes et commentaires :

* Afci : Association française de communication interne

** Découvrez ici en libre accès le référentiel de compétences des communicant.e.s internes publié en janvier 2025 par l’Afci 

*** Communicant interne : un métier à part entière, un métier à part, par Guillaume Aper et Fabienne Ravassard, Stratégies, 19 septembre 2025

**** La communication interne, un métier en tension entre professionnalisation et légitimation, par Jean-Charpentier et Vincent Brulois, Harvard Business review France, 24 sepetmbre 2025

(1) Fabienne Ravassard : Adhérente de l’Afci. Conseil en communication et dynamiques d’entreprise au sein du cabinet Baïrlaa.

(2) Jean-Marie Charpentier : Administrateur de l’Afci. Consultant en communication et auteur de référence dans le domaine de la communication interne.

(3) Guillaume Aper : Administrateur de l’Afci. Expert en communication et ex Directeur communication adjoint de JCDecaux.

Innovation incrémentale et adaptation culturelle : les 2 secrets de longévité de nos marques préférées

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A l’heure où tout un chacun parle d’ubérisation et tandis que l’on ne cesse de s’extasier devant la réussite insolente des « licornes » de la nouvelle économie, voici deux études qui devraient redonner du baume au cœur aux dirigeants des marques dites « patrimoniales »¹.

Avec la deuxième édition de son enquête « Marques d’avenir »², menée récemment en partenariat avec l’institut CSA et Cap Gemini Consulting, l’agence W vient en effet confirmer des enseignements déjà relevés un peu plus tôt cette année par l’IRI, institut spécialisé dans les études de marché et les études prospectives, au sujet des marques de grande consommation. A savoir que les marques qui durent, tous secteurs confondus, sont en général celles qui innovent (sans nécessairement être rupturistes), et surtout celles qui savent s’adapter aux évolutions culturelles de leur marché, en devenant in fine « trans-générationelles », c’est à dire en réussissant à séduire dans la durée plusieurs générations différentes de consommateurs.

En interrogeant quelques 150 décideurs français au sujet du « capital d’avenir des marques », dans l’optique de dresser notamment un classement de celles qui « deviendront (ou resteront) des marques de référence dans leur secteur dans les dix prochaines années », on aurait pu craindre en effet que l’étude de l’agence W se polarise autour des GAFA³ et de ces autres licornes qui ont « ubérisé » leur marché ces dernières années : Airbnb, Uber, etc.

De fait, si le classement des « marques d’avenir » plébiscitées par les Français fait en effet la part belle aux Apple, Google et autre Tesla Motors (3 premières marches du podium), en consacrant également une place de choix à ces e-brands que sont Facebook (7ème), Blablacar (10ème), Amazon (11ème), Uber (15ème), voire Free (19ème), les grandes marques de notre patrimoine sont tout aussi nombreuses dans le TOP 30 du tableau ci-dessous :

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Ainsi, Renault, Airbus, Total, L’Oréal, Danone, Mercedes et Coca-Cola, Nestlé et Volkswagen, mais également EDF, Peugeot, Carrefour, Adidas, Chanel, BMW, Bouygues ou Dior constituent indubitablement le plus gros du peloton des « marques d’avenir » valorisées par nos décideurs.

Et ce plébiscite des marques patrimoniales est assurément lié au fait que, comme le résume Denis Gancel, président de l’agence W, au-delà des quelques championnes incontestées de l’innovation de rupture, dont on espère qu’elles seront en mesure de pérenniser la disruption qui a fait leur succès, « une marque d’avenir a d’abord une histoire. L’hypermédiatisation des licornes crée un complexe de la part des marques patrimoniales. A tort, car c’est au contraire un avantage compétitif objectif en termes de réassurance, de puissance et de résilience. »

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Ainsi, si les licornes de notre économie française sont en définitive peu nombreuses (seules Blablacar et Free figurent dans le classement ci-dessus), les grandes marques nationales sont quant à elles plutôt bien représentées et perçues comme dynamiques, car « elles ont su se renouveler, soit en privilégiant l’innovation interne comme Danone, soit en recourant à des sociétés extérieures, telle SNCF qui a racheté un concurrent de Blablacar ou Accor Hotels qui collabore avec des start-up », ajoute Denis Gancel.

Pour ce qui est de l’innovation incrémentale et de l’adaptation à l’évolution technologique de leur marché, pas d’inquiétude à avoir par conséquent pour la plupart des grandes marques françaises, tant que leur créativité et leur leadership demeureront reconnus, dans les secteurs du luxe en particulier, mais également dans l’énergie, les transports ou l’agroalimentaire… et tant que celles-ci continueront de s’adapter.

Les marques « patrimoniales », omniprésentes dans le panier d’achat et les comportements de consommation des Français… 

A bien y regarder, ces enseignements rassurants de l’enquête de l’agence W sur les « marques d’avenir » recoupent effectivement ceux établis par les experts de l’IRI, dans leur approche des quelques 271 marques de grande consommation qu’ils ont étudiées début 2016 (NB : ces 271 marques de plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires représentent à elles seules 50% des achats de produits de grande consommation en France, et près des deux tiers des achats de marques réalisés par les consommateurs français).

Et que ressort-il ce cette deuxième étude me direz-vous ? Et bien que l’ancienneté des marques qui composent le panier moyen d’achat des Français est de 79 ans ! Et que 36% d’entre elles sont même plus que centenaires… En résumé, assez loin des clichés qui circulent sur l’attrait de la nouveauté et l’infidélité chronique des ménages à l’égard des marques qu’ils achètent, les habitudes de consommation de nos concitoyens resteraient assez concentrées autour d’un « noyau dur » de marques patrimoniales ayant su pérenniser la préférence de marque qui joue en leur faveur (voir le tableau ci-dessous).

Pour les consommateurs les plus jeunes, un tiers des marques présentes aujourd’hui sur le marché sont « transgénérationnelles », c’est à dire qu’elles ont en fait accompagné quasiment toute leur vie leurs parents, grands-parents et même arrière grands-parents.

Les marques qui ont d’ailleurs entre 90 et 100 ans, parfois dénommées marques « génération Aznavour ou Elisabeth II », sont bien connues de tous les Français, qui les ont nécessairement croisées un jour et/ou consommées, leur nom faisant désormais partie de notre patrimoine culturel commun, à l’instar des Fleury Michon, Ricard, Bonduelle, Lactel, Petit Navire, Haribo, Amora, Gemey, Materne, Joker, Mixa, Bordeau Chesnel, Gerblé, Brossard, Orangina, Babybel, Lesieur, La vache qui rit, Spontex, Mentos, Heudebert, Mercurochrome, BN, Danone… et j’en passe.

Si les marchés sont loin d’être figés, puisque 69 marques sur les 271 étudiées ont moins de 50 ans et quatorze moins de 16 ans, on voit que la prédominance des marques patrimoniales reste nette en termes de part de marché…

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La capacité à s’adapter aux évolutions culturelles et à perenniser leur dimension transgénérationnelle : facteurs clés de longévité pour les marques

Si la culture est définie comme « cet ensemble d’activités soumises à des normes socialement et historiquement différenciées et des modèles de comportement transmissibles par l’éducation, propre à un groupe social donné », alors il est certain que les marques que nous consommons font partie intégrante de notre patrimoine national et de notre culture. A plus forte raison pour les marques dites « patrimoniales » que nous venons de citer ci-dessus, car elles font vraiment partie, de par leur ancienneté, leur communication et leur ancrage dans notre vie quotidienne, de notre histoire collective.

Si cet ancrage et la relation de confiance qu’elles ont su établir au fil des décennies avec les consommateurs constituent des atouts indéniables, la pérennité de ces marques patrimoniales tient pour beaucoup au fait qu’elles ont su devenir transgénérationnelles, c’est à dire s’affranchir d’une génération de consommateurs pour séduire aussi bien, ainsi qu’on vient de le résumer ci-dessus, les grands-parents voire les arrières grands parents que leurs petits enfants…

Le secret de cette « jeunesse éternelle » est certes à rechercher dans « l’ADN de la marque », comme se plaisent à le scander les gourous du marketing, et dans l’attachement émotionnel que la marque a su créer au fil du temps, mais il est aussi et surtout, dans la plupart des cas, le fruit d’efforts d’adaptation remarquables de ces marques à leur environnement et aux nouveaux codes culturels des générations qui se succèdent.

Cette capacité d’adaptation permanente est tout à fait flagrante chez la plupart des marques patrimoniales que nous connaissons, et explique en grande partie le fait que ces marques continuent de voir leur chiffre d’affaire progresser de manière plus rapide que la moyenne de leurs marchés et que leurs concurrentes respectives. Ainsi, pour ne citer que cet exemple BonduelleFleury Michon et Mixa, trois grandes marques d’un âge avancé, ont vu leurs ventes progresser de plus de 30% ces 5 dernières années !

Fortes de leur succès et de leur « capital image », elles continuent de se développer grâce au lancement de nouvelles références sur leurs marchés historiques (innovation « incrémentale ») ou au lancement de nouveaux produits sur des catégories périphériques, davantage en phase avec les tendances culturelles actuelles.

Ainsi Bonduelle, 90 ans de bons et de loyaux services et plus que jamais spécialiste des légumes, réalise deux tiers de ses ventes avec des références de quatrième gamme, salades ou légumes surgelés. Chez Fleury Michon, les références de snacking, produits « sans » et bio figurent désormais parmi ses premières ventes. Tandis que 70 % des ventes de Mixa ne s’adressent plus seulement aux mamans pour le soin de leur bébé mais se font dans d’autres catégories d’hygiène beauté… Une belle preuve de leurs capacités d’adaptation !

Presque toutes les grandes marques citées plus haut sont également disponibles sur Amazon ou sont proposées à la vente sur leur site web e-commerce ou via des boutiques en ligne éphémères, se gardant bien de laisser ces nouveaux canaux de distribution aux marques plus jeunes. De même, un certain nombre de ces marques sont-elles devenues des références en matière de maîtrise des réseaux sociaux : tandis que les équipes de community managers de Fleury Michon répondent avec une réactivité exemplaire à toute question posée sur les réseaux au sujet de la provenance de ses produits ou au sujet de ses modes de production, Mixa se fait épauler par des YouTubeuses beauté référentes pour conseiller et aiguiller ses clientes dans leur choix de produits, etc.

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On pourrait multiplier ces exemples attestant du dynamisme culturel et économique des grandes marques, dont la plupart sont passées maîtres dans l’art de s’adapter aux changements de société et aux mouvements des générations. Il en va certes de leur avenir, puisque le statut de marque « vintage » et le ressort de la nostalgie, cultivés à souhait par certaines marques, ne garantit en rien la pérennité : en témoignent les disparitions plus fréquentes qu’il n’y paraît d’un certain nombre de grandes marques de notre enfance, des Mistral Gagnant et Coco Boer chers au chanteur Renaud, aux déroutes brutales ou plus progressives de ces anciens champions que furent en leurs temps KodakLehman BrothersArthur Andersen ou Nokia.

 

Notes et légendes :

(1) Une marque patrimoniale est une « marque ancienne, appartenant à l’inconscient collectif, à très forte notoriété, attachée à l’identité d’un pays et souvent à l’histoire industrielle d’une région. Elle peut se prévaloir d’une histoire, de traditions qui lui assureront un fort attachement de la part des consommateurs et du grand public. « 

(2) La deuxième édition de l’enquête « marques d’avenir », menée au deuxième trimestre 2016 auprès de 150 décideurs français par l’institut CSA et Cap Gemini Consulting, pour le compte de l’agence W, avait pour but d’identifier et classer « toutes ces marques qui deviendront (ou resteront) des marques de référence dans leur secteur dans les dix prochaines années » et ce, sur la base de 6 critères d’évaluation : performance, bénéfice client, disruption, gouvernance, RSE/bien commun, et émotion. 

(3) L’IRI, institut d’étude international spécialisé dans les domaines du big data, des analyses prédictives et des études prospectives, est un expert reconnu des secteurs PGC (Produits de Grande Consommation), de la parapharmacie, de l’univers de la distribution et des médias. Il mène des études récurrentes et ad hoc auprès des consommateurs et des shoppers.

 

Crédit photos et illustrations : 123RF, X, DR, The BrandNewsBlog

 

Brand leaders, storytellers, digital evangelists : les nouvelles casquettes des dirigeants de demain…

56755d015e89a10cdf3715f9232a99207b84ae32La vie d’un patron est-elle réellement plus dure ou plutôt moins dure que celle d’un salarié ? Ah ah : je vous sens frémir… Mais rassurez-vous : l’objet de mon billet du jour n’est aucunement de ranimer le feu de la polémique déclenchée en début d’année par Emmanuel Macron¹. Je laisse aux partisans et aux détracteurs de notre Ministre de l’économie le soin de débattre de cette épineuse (et ô combien navrante) question.

Une tendance me paraît en revanche évidente : plus les années passent, plus les missions et les compétences/qualités attendues des dirigeants d’entreprises, d’associations ou d’administrations se diversifient et se complexifient. Et cette complexité croissante du leadership ne fait que s’accentuer avec la révolution numérique, qui n’en finit pas de bouleverser les habitudes et les attentes de toutes les parties prenantes des organisations (salariés, actionnaires, clients, médias, candidats, société environnante…).

Pour ceux qui en douteraient encore, il est bien révolu ce temps où certains dirigeants (parfois les plus brillants produits de nos plus grandes écoles, d’ailleurs) pouvaient diriger leur entreprise à la baguette, en purs gestionnaires, une calculette greffée dans le cerveau en guise de traducteur universel des émotions et des mouvements d’humeur du « petit personnel ».

Définitivement passés de mode, les patrons condescendants, autocrates et/ou narcissiques qui refusaient de sortir de leur tour d’ivoire, si ce n’est une fois la crise venue, pour s’étonner en des termes souvent maladroits de la souffrance de leurs ouailles et réclamer, comme cet ancien dirigeant de France Telecom, que cesse « cette mode du suicide qui évidemment choque tout le monde »² ! 

Avec la transformation digitale de l’économie, l’émergence puis l’explosion des réseaux sociaux, les dirigeants sont invités à s’exprimer de manière plus régulière, plus empathique et à devenir de véritables « médias » tout en veillant – risques de bad buzz et fact checking obligent – à la cohérence de leurs prises de parole et à leur exemplarité. Premiers brand managers de leur organisation, quand il s’agit de décider et de partager la stratégie de leur marque, les patrons d’aujourd’hui (et encore davantage ceux de demain) ont/auront en effet toute légitimité pour en devenir les narrateurs inspirés, en incarnant le storytelling de leur organisation. De plus en plus communicants et précurseurs, on attend également d’eux qu’ils encouragent les nouvelles méthodes de travail et de coopération (Intranet collaboratif…), impulsent l’innovation et la transformation digitale de leur organisation, entre autres.

On le voit : la fiche de fonction des « patrons 3.0 » est devenue plus longue et plus riche. Et au-delà de leurs compétences pour gouverner l’entreprise et s’entourer, au-delà même de leurs talents de stratège, les qualités à posséder sont devenues si diverses que la recherche d’un nouveau CEO tend de plus en plus à ressembler à la quête de l’oiseau rare. Comme le résumait récemment Jeanne Bordeau³, « le pouvoir [de cette nouvelle génération de patrons] sera dans le savoir, mais aussi dans le dire et le voir. Le chef de demain devra être légitime et tellement empli de qualités paradoxales qu’il sera rare, presque introuvable. » 

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Une majorité de patrons encore peu habitués à prendre la parole, peu concernés par le digital et par la transformation numérique ?

Après cette introduction, j’en vois déjà qui haussent le sourcil et les épaules : ne serais-je pas en train de confondre les rêves et la réalité, en présentant une vision aussi flatteuse de l’évolution du leadership ? Et de citer les (nombreux) exemples d’entreprises et de patrons pour lesquels rien n’a vraiment changé, rivés qu’ils sont à leurs habitudes et à des méthodes plus que traditionnelles.

De fait, que ce soit à la lecture de cet article récent, « Ces patrons trop frileux face aux réseaux sociaux »ou bien en parcourant les résultats de l’Observatoire Social de l’Entreprise sur la Transition numérique, publié il y a un mois par Ipsos et le CESI, des tendances très convergentes ressortent… illustrées parfois par des verbatim très voisins. Ainsi, en partant interviewer les dirigeants de TPE et de PME relativement avant-gardistes, leaders sur le marché, Corinne Dillenseger a-t-elle pu obtenir ce genre de propos : « J’ai une aversion profonde pour Facebook et Twitter. Je ne leur trouve aucune utilité et leur intrusion me gêne beaucoup. Ni l’un ni l’autre ne sont des outils de développement pour nous. Je ne crois d’ailleurs pas qu’ils vont durer. C’est une mode, les gens vont s’en lasser. » Une formule à rapprocher de la façon dont la transition numérique est encore perçue par un grand nombre de patrons selon l’étude IPSOS-CESI… (=> voir les 2 graphes ci-dessous).

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Dans un cas comme dans l’autre, on ne peut que regretter le manque de clairvoyance de ces jeunes et moins jeunes dirigeants ou entrepreneurs, qui assimilent les réseaux sociaux, tout comme la révolution numérique, à de vulgaires « phénomènes de mode » !

Mais en creusant un tant soit peu ces résultats, notamment ceux de l’étude IPSOS-CESI, on s’aperçoit que le scepticisme est sensiblement plus fort dans les petites organisations que dans les grandes, les chefs d’entreprise de plus de 250 salariés étant 70% à penser que la transition numérique « constitue plutôt une opportunité »… contre seulement 28% dans les entreprises de 1 à 9 salariés !

Nonobstant, il semblerait que ce soit encore la « frilosité » qui l’emporte chez beaucoup de patrons : frilosité face aux médias sociaux et aux réseaux sociaux, dont l’utilité réelle dans la relation avec les parties prenantes n’est pas forcément perçue, de même que l’apport concret à la communication ou au business de l’entreprise ; frilosité également quant à la perception de la transition numérique, trop de chefs d’entreprise estimant encore « ne pas être concernés » ou n’en voyant pas l’intérêt.

Une révolution des usages et des attentes des parties prenantes…

Pourtant, chacun le reconnaît, la révolution numérique bouleverse chaque jour davantage les habitudes et la relation des différentes parties prenantes aux institutions et aux entreprises. Tandis que les pratiques de consommation médias ont radicalement changé ces dix dernières années, les consom’acteurs ont appris à s’informer, comparer voire acheter en ligne, plébiscitant les marques qui leur apportent une réelle valeur ajoutée produit ou service et se montrent les plus transparentes dans leur communication.

Tandis que la dématérialisation et l’innovation sont les nouveaux sésames d’une expérience client érigée au rang de dogme, les différents publics de l’entreprise se montrent par ailleurs de plus en plus sensibles à la dimension citoyenne des entreprises et au respect de l’environnement. Premiers ambassadeurs de leur employeur vis-à-vis des publics externes, les collaborateurs (tout comme les clients) sont en attente d’un discours sincère et incarné de la part de leur(s) dirigeant(s), dont la vision et l’exemplarité sont de plus en plus « challengées ».

Après l’ère des patrons gestionnaires puis celle des « super managers », c’est au patron chef d’orchestre et storyteller qu’on demande aujourd’hui d’exprimer sa vision et de faire se lever les foules…

L’heure des dirigeants communicants et éditorialistes en chef a sonné !

Parmi les nouvelles casquettes des dirigeants de demain, la maîtrise de la communication est une des compétences les plus recherchées et les plus appréciées. Non qu’il s’agisse de remplacer les dircom et autres experts des relations publiques dans la mise en œuvre des stratégies de communication ou le choix des outils, ni de tourner brusquement le dos aux autres missions « régaliennes » des dirigeants. Mais plus que jamais, à l’heure du digital, il revient au chef de prendre la parole et d’incarner, vis-à-vis des différents publics, la vision et les ambitions de leur entreprise.

Ainsi que le rappelle Jeanne Bordeau, dans l’ouvrage que je viens de citer, la notion de chef induit et implique aujourd’hui de l’inspiration : « le chef est celui qui possède l’auctoritas, ‘l’autorité’. Auctor ‘auteur’, il inspire vision et confiance dans le projet. Le chef est celui qui est source, celui qui se porte garant de ce qui est déployé ». Et d’ajouter pour étayer son propos et compléter la description de cette perle rare : « Au pays des idées fécondes, un chef doit penser ‘ample’. Il doit penser vite, en plusieurs dimensions, agréger des paramètres jamais réunis jusqu’alors : progrès, rentabilité et développement durable, efficacité, compétitivité et bien-être du collaborateur, transparence et protection des savoir-faire »… Tandis que la communication corporate traditionnelle tend à s’estomper et disparaître, étouffée par les réseaux sociaux, par la conversation et la vie « quotidienne » du langage de la marque, il est de la responsabilité du chef de porter le sens de l’entreprise. Car « plus que jamais sa parole incarne la cohérence de l’écosystème complexe d’une entreprise devenue média [•••] Au coeur du numérique et grâce au texte et à l’image, [le chef] doit devenir le narrateur, le storyteller le plus souple et le plus ample de son image et son groupe ».

Pour ceux qui douteraient de l’importance de cette nouvelle mission (et ils sont encore nombreux, notamment parmi les communicants de profession ;), la récente étude de l’agence W, consacrée aux « nouveaux langages des patrons du CAC 40 à l’heure du digital »* devrait achever de les convaincre. Elle démontre sans ambiguïté comment, en l’espace de quelques années seulement, le discours des dirigeants est devenu une composante incontournable de la stratégie de la marque.

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Confirmant en quelque sorte les propos de Jeanne Bordeau, cités ci-dessus, Denis Gancel, Président de l’agence W, résume en quelques mots tout l’intérêt des dirigeants de s’impliquer personnellement pour porter le discours de leur groupe : « C’est la qualité du récit qui fait l’engagement. Tout grand patron devient un auteur, celui du récit de sa marque »Et de citer les grands exemples de ces dirigeants emblématiques du CAC 40, qui « n’hésitent plus à dire ‘je' » et à se projeter eux-mêmes dans leurs discours. Du précurseur Pierre Bellon, fondateur de Sodexo, qui n’avait pas hésité à composer un poème  pour décrire l’idée qu’il se faisait du service au quotidien, à l’hyperactif Stéphane Richard, président d’Orange, en passant par Frédéric Oudéa (Société Générale), Jean Pascal Tricoire (Schneider Electric) ou Alexandre Ricard (Pernod Ricard), ces précurseurs n’hésitent pas à monter au créneau, aussi souvent qu’ils le peuvent, pour défendre leur vision et expliquer l’ambition de leur entreprise.

Rien d’étonnant, dès lors, de retrouver ces dirigeants dans le peloton de tête du « CEO Content Index », ce classement établi par l’agence W pour rendre compte de la performance des P-DG en termes de présence médiatique et sociale globale (tableau 1 ci-dessous) et surtout en termes d’engagement (tableau 2 ci-dessous).

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Capture d’écran 2016-06-16 à 22.24.09Capture d’écran 2016-06-16 à 22.26.56Qu’ils incarnent le patron « intrépide et discursif », comme Stéphane Richard, un « visionnaire mondialisé » comme Tricoire ou bien encore l’audace de « l’aventurier conquérant », comme Sébastien Bazin, l’innovation demeure souvent un des sujets de prédilection de ces communicants exemplaires, le commentaire des chiffres et résultats de leur entreprise étant un autre champs d’expression privilégié (certes plus classique). Mais à la différence de leurs prédécesseurs, nombre de ces chefs charismatiques osent également s’exprimer aujourd’hui sur l’environnement économique ou des problématiques plus sociétales (création d’entreprise, formation, entrepreneuriat, action de l’Etat…), comme le font régulièrement Xavier Niel (Free), Jacques-Antoine Grangeon (Vente privée) ou encore Frédéric Mazzella (BlaBlaCar). Et chaque fois qu’ils le font, ils suscitent un très fort engagement.

A noter toutefois, comme le confirme également l’étude de l’agence W, que ce ne sont pas nécessairement ceux qui s’expriment le plus qui génèrent le plus d’engagement et de commentaires sur les réseaux sociaux (cf tableau ci-dessus).  Des patrons comme Tom Enders (Airbus Group), Patrick Pouyanné (Total) ou encore Jean-Laurent Bonnafé (BNP Paribas) recueillent ainsi d’excellent scores d’engagement, parce qu’ils s’expriment sur des thématiques pertinentes et « en adéquation avec leur propre personnalité » explique ainsi Denis Gancel.

Digital transformers et « Brand Executive Officers » : des casquettes de plus en plus assumées

On l’a vu à l’instant : la plupart des dirigeants qui s’impliquent personnellement pour porter le discours de leur groupe le font souvent sur des thématiques liés à l’innovation. Et on ne vas pas s’en plaindre ! Au regard des grands enjeux digitaux que j’évoquais précédemment, et de cette transformation numérique qui modifie profondément les attentes et comportements de toutes les parties prenantes de l’entreprise, il est rassurant de constater que les « patrons-médias » que j’évoquais à l’instant se sont largement appropriés et emparés de ces thématiques.

Quand on souhaite impulser de grands changements dans une organisation, et qu’on les matérialise concrètement par la création de nouveaux organes de gouvernance, comme ce shadow comex créé récemment au sein de son groupe par Sébastien Bazin, P-DG d’Accor Hotels, il est de bon aloi de pouvoir l’expliquer devant les média de la manière la plus claire et la plus convaincante.

Cela recquiert non seulement des qualités de communicant, c’est certain, mais aussi et surtout une exemplarité et de véritables convictions dans l’élan digital qu’on souhaite donner à ses troupes. A cet égard, la prise de conscience de Sébastien Bazin et les décisions qui en ont découlé illustre ce qui est de plus en plus attendu des dirigeants modernes : être des digital transformers sincères et crédibles. Et le patron d’Accor Hotels de raconter ainsi son propre « déclic » : « J’étais un jour au volant de ma voiture sur une autoroute normande battue par la pluie quand j’ai pris conscience que je devais tenir compte d’évolutions fortes concernant le monde de l’entreprise et le renouvellement des générations ». Et ce déclic ne s’est pas traduit seulement par la création d’un Shadow comex, mais depuis un an par le lancement d’initiatives très fortes, comme la création d’une plateforme ayant vocation à concurrencer des acteurs tel que Booking.com, après une analyse poussée de l’évolution du marché, de l’impact de ses révolutions digitales successives et des attentes des consommateurs.

Digital transformers ou digital evangelists, montrant l’exemple à tous leurs collaborateurs, mais également Brand Executive Officers pour reprendre l’expression de l’agence W : j’ai déjà évoqué ce sujet (notamment ici) et je n’y reviendrai donc pas aujourd’hui de manière approfondie, mais il s’agit également, pour les chefs d’entreprise, d’être à la hauteur des grands défis à relever par leur entreprises et leur(s) marque(s). A cet égard, sans pour autant être des brand managers « pur jus », bien évidemment (des experts sont payés pour le faire), il revient aux dirigeants de bien connaître et apprécier les grands enjeux de leur portefeuille de marques, de savoir prendre des décisions en parfaite connaissance de cause et de savoir défendre les options et orientations de branding retenues pour leur entreprise.

C’est ce que fait par exemple (et magnifiquement) François-Henri Pinault, dans cet article de la Harvard Business Review, dont j’avais parlé ici.

Bref : c’est aujourd’hui une évidence, les dirigeants voient leurs missions évoluer et se complexifier et le temps du patron silencieux voire muet devant l’évolution de ses marchés est révolu. Au-delà de la présence et l’investissement sur les réseaux sociaux, là aussi bienvenu quand il est sincère et le reflet d’un réel engagement personnel, le fait de maîtriser sa communication personnelle, mais aussi les grand défis du branding de son entreprise et de sa transformation digitale, devient de plus en plus indispensable. Et dans ce domaine, il y a déjà, dans de nombreuses entreprises, des exemples de patrons particulièrement dynamiques et bien inspirés à suivre !

 

 

Notes et légendes :

(1) C’est dans une interview accordée le 20 janvier dernier à BFMTV et RMC, quelques jours après l’annonce par François Hollande d’un nouveau plan d’urgence contre le chômage, qu’Emmanuel Macron avait insisté sur la nécessité de donner plus de visibilité aux chefs d’entreprise, en utilisant cette formule, au demeurant peu renversante mais qui fit polémique dans la bouche d’un Ministre de gauche : «la vie d’un entrepreneur est bien souvent plus dure que celle d’un salarié. Il ne faut jamais l’oublier. Il peut tout perdre, lui, et il a moins de garanties».

(2) C’est à Didier Lombard, qu’on doit cette formule plus que navrante devenue depuis tristement célèbre, prononcée le 16 septembre 2009 : alors que pas moins de 23 salariés de son entreprise s’étaient suicidés dans les 18 mois précédents, le P-DG France Telecom s’était engagé à « mettre un point d’arrêt à cette mode du suicide qui évidemment choque tout le monde » à l’occasion d’une conférence de presse à l’issue de sa rencontre avec le ministre du Travail de l’époque, Xavier Darcos.

(3) Citation extraite du dernier ouvrage de Jeanne Bordeau « Le langage, l’entreprise et le digital », paru récemment aux Editions Nuvis (avril 2016)

* Etude « Le langage des dirigeants du CAC 40 à l’heure du digital » réalisée par Synomia pour le compte de l’agence W et dont le compte-rendu des résultats (passionnants) est à lire dans cette présentation Slideshare.

 

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