Le « badvertising » ou l’art de la provocation en communication… et ses limites

Au lecteur ou à la lectrice qui découvrirait aujourd’hui ce blog dédié au marketing et à la communication, je le confesse d’emblée : j’adore ausculter les nouveaux concepts et autres mots-valises (généralement anglophones) dont nos professions sont si friandes. C’est devenu un péché mignon. Et lors d’une récente consultation, j’avais d’ailleurs analysé cette intriguante notion de « nano-influence », dans un article que vous pouvez retrouver ici...

Le mot-valise du jour ne nous vient directement ni d’outre-Manche ni d’outre-Atlantique : il a été réinterprété par Julie Rivoire, planneuse stratégique de l’agence Oxygen à Paris. Et il a le grand mérite d’être immédiatement « parlant » et aisément compréhensible, même si – comme bien d’autres concepts sur lesquels je me suis penché – la technique qu’il décrit n’a en définitive rien de vraiment nouveau…

Pour l’anecdote, il offre néanmoins un pendant intéressant au concept de « Goodvertising¹« , cette « publicité créative responsable » popularisée et défendue par l’excellent Thomas Kolster, dont j’avais déjà parlé sur ce blog et dont je reparlerai sans doute prochainement.

Mais qu’est-ce donc que ce « badvertising » dont nous parle Julie Rivoire, me direz-vous ? Et bien c’est tout simplement « l’art de mettre en scène un scandale, en le créant de toutes pièces ou en l’orchestrant, pour générer une importante visibilité médiatique et sociale pour son auteur et/ou pour la marque, qu’il s’agisse d’une personnalité, d’un parti ou d’une entreprise ».

Et l’objectif final de cette stratégie de provocation ? Détourner ou monopoliser l’attention bien sûr, dans cette bataille pour exister que se livrent tous les émetteurs dans le flot ininterrompu d’informations déversé par les chaînes d’info en continu, par les médias sociaux et par tous les créateurs et diffuseurs de contenus.

Théorisée sous sa forme primitive au 20ème siècle par ces redoutables stratèges qu’étaient les propagandistes, la méthode a été moult fois employée depuis, et poussée pour ainsi dire à son paroxysme par Donald Trump et ses équipes, dans le champ politique. Mais le badvertising et la provocation ont également fait des émules en France et en Europe depuis des années, comme en témoigne parmi d’autres cette confidence de Sophia Chikirou, glissée au Monde en mai 2017 : « L’affrontement avec les journalistes, en 2012, c’était pensé, organisé, théorisé. Je mettais en œuvre ‘le bruit et la ­fureur’ : on partait de 3 %, c’était notre seule chance d’exister ».

Pas en reste sur les professionnels de la politique, un certain nombre de marques se sont fait depuis des années une spécialité de ce type de stratégies de communication agressives, que ce soit vis-à-vis de leurs concurrents ou du grand public (comme Ryanair en Europe, Abercrombie & Fitch ou T-Mobile notamment). Mais dans un autre registre, les exemples du trublion Free, de Darty ou du précurseur Benetton peuvent également être cités… avec des fortunes diverses pour chacune de ces marques.

En effet, le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Les marques peuvent-elles durablement profiter d’une stratégie de badverstising, et sous quelles conditions ? Quels sont les risques ?

Comme en témoignent les exemples de bad buzz subis par chacune des marques citées ci-dessous, les risques réputationnels de ces stratégies demeurent très importants. Et pour un bénéfice somme toute relativement éphémère en termes d’audience et de notoriété, quels impacts à long terme pour l’image de l’entreprise ?

Ce sont ces différentes questions que je vous propose d’aborder aujourd’hui, en vous expliquant les avantages et les limites du badvertsing et en reprenant les recommandations de plusieurs experts pour les marques souhaitant absolument s’engager dans une telle stratégie.

Le badvertising, ou l’art de jouer avec les limites et de susciter le bad buzz

Stratégie de rupture ou stratégie du chaos, le badvertising présente notamment l’avantage pour une marque « d’exister » médiatiquement et de se faire remarquer rapidement sur un marché encombré.

C’est une des armes de choix pour des marques « trublion » et il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les turbulents Michael O’Leary (créateur de Ryanair) ou John Legere (P-DG de T-Mobile) s’en soient si abondamment servis, non seulement par calcul, mais aussi en accord avec leur propre personnalité et leur tempérament « volcanique ».

« L’attention est bien sûr le nerf de la guerre, nous rappelle ainsi Julie Rivoire. Mais c’est une denrée très difficile à se procurer… Il s’agit donc de se tourner vers des stratégies de communication agressives. Une vraie prise de risque car il faut accepter de ne pas tout contrôler. » Et le bad buzz est évidemment le plus souvent au rendez-vous, comme lorsque la compagnie Ryanair annonça qu’elle allait faire payer l’accès aux toilettes sur ses appareils, créer une section où les passagers seraient obligés de voyager debout ou imposer aux passagers en surpoids une « taxe sur les gros » ! De pures provocations à chaque fois, dont les propos ne furent pas suivis d’effet, mais avaient pour principal objectif de faire parler très largement de la compagnie low-cost.

Et en l’espace de quelques années, il faut bien dire que les bad buzz consécutifs à des stratégies de badvertising se sont multipliés : ainsi les exemples de Perrier, Darty (visuels ci-dessous) ou encore Tefal (visuel ci-dessus) ont pour point commun de s’en prendre de manière délibérée aux femmes, au travers de créations publicitaires dont la misogynie laisse pantois²…

Une stratégie tentante pour des marques naturellement « clivantes » ou cherchant à renforcer leur polarisation…

Si toutes les marques pratiquant le badvertising ne sont pas nécessairement « clivantes », recourir au registre de la provocation permet de cultiver et renforcer la « polarisation » de la marque, ainsi que je l’expliquais dès 2014 dans cet article : « 5 bonnes raisons de vous intéresser à la polarisation de votre marque ».

En effet, pour des marques suscitant naturellement au sein du grand public autant d’attrait que de rejet (comme McDonald’s, Starbucks, BP ou T-Mobile par exemple), 2 types de stratégies opposées peuvent être déployées : tandis que la première consiste à tenter d’apaiser ses détracteurs (comme s’y est efforcé ces dernières années Ryanair, abandonnant progressivement son statut de marque « trublion »), le second type de stratégies peut consister à renforcer la polarisation et par là-même la différenciation de la marque : 1) en alimentant le désamour des « haters » pour faire encore plus parler de soi ; 2) en amplifiant les attributs clivants de la marque, comme le firent T-Mobile ou Free ; 3) en semant la zizanie en terme d’offre ; ou 4) en capitalisant sur des publicités volontairement provovatrices…

4 conseils pour maîtriser l’art de la provocation en communication… et ne pas transformer le scandale en crise

Dans son étude et ses recommandations concernant le « badvertising » – qu’elle considère comme une stratégie de communication aussi valable qu’une autre – la planneuse stratégique³ de l’agence Oxygen formule 4 recommandations à suivre à mon avis à la lettre, pour ne pas basculer du scandale à la crise…

1 – Tout d’abord, dès la conception de la provocation ou du scandale, imaginer la ou les réponses, la ou les solutions qu’on va apporter en phase de révélation… Pour ne pas avoir imaginé ces « issues de secours » ou pour avoir négligé d’étudier les différentes options de sortie de scandale, en fonction de la réaction des publics, certains bad buzz sont restés des bad buzz et n’ont pas profité autant qu’ils auraient pu à la marque, laissant une image mitigée à celle-ci… Ce fut le cas dans la plupart des effets d’annonce de Ryanair, Michael O’Leary ne prenant pas le soin de revenir sur ses propos provocateurs.

2 – Faire preuve d’autodérision et assumer ses défauts. Si une véritable erreur a été commise et que ses conséquences ne sont pas graves ni insurmontables, comme dans le cas d’une stratégie de badvertising assumée, il s’agit de ne pas dévier d’un fil et de mener son action jusqu’à la révélation, en s’efforçant de retourner la réaction du public de positive à négative. Cela passe par la reconnaissance de ses erreurs ou la révélation du badvertising et une grande dose d’autodérision, pour surmonter la rancœur des personnes qui se seraient fait berner.

Ainsi, quand Carambar annonça la fin de ses traditionnelles blagues, les remontées négatives furent si nombreuses et rapides que l’agence fut contrainte d’avancer de plusieurs jours la révélation de sa supercherie, mais s’en tint tout de même à sa stratégie initiale, avec un impact positif non négligeable sur les ventes de Carambar après l’opération.

Quand l’affaire de « l’homme tout nu » éclaboussa la Redoute, après que des clients aient repéré sur une photo de leur catalogue un homme nu à proximité d’enfants, cette erreur profita néanmoins à la marque. Plutôt que de se fendre d’un simple mea culpa, celle-ci choisit en effet une stratégie d’autodérision en cachant 10 autres photos incongrues dans son catalogue et en incitant ses clients à les débusquer.

Mais ainsi que l’ont souligné sur Twitter deux lecteurs du BrandNewsBlog, à la suite de la publication de la première partie de cet article, assumer une telle stratégie de badvertising peut s’avérer compliqué a posteriori.

Ainsi, dans l’opération de badvertising organisée en 2014 par le site Rue du commerce (« Rue du commerce interdit aux femmes »), ces deux professionnels ne manquent pas de souligner que cette grossière provocation fut en réalité très pénible à assumer en interne par les femmes de l’entreprise, qui durent gérer le bad buzz puis détromper toutes les personnes n’ayant pas compris qu’il s’agissait en réalité d’une opération marketing avant Noël. Malgré tout (cf tweets ci-dessous), ces deux internautes précisent que les ventes furent sensiblement plus fortes durant la période des fêtes que l’année précédente.

3 – Ne pas rompre le contrat de confiance avec la marque. Julie Rivoire l’indique clairement : dans l’exercice du badvertising, la limite ultime est évidemment de toucher, au-delà d’une simple supercherie ou de la blague de mauvais goût, à des questions de société beaucoup plus graves, susceptible de briser la relation de confiance entre la marque et ses clients…

Ainsi, si les slogans sexistes utilisés lors d’une campagne par Darty n’ont pas entamé le crédit ni le célèbre « contrat de confiance » revendiqué par la marque, celle-ci les a néanmoins rapidement abandonnés car cette stratégie n’était pas en ligne avec sa plateforme de marque ni avec l’image que l’entreprise voulait en réalité véhiculer.

A contrario, le scandale touchant Findus suite à la découverte de viande de cheval dans ses lasagnes ne relevait certes pas du badvertising mais touchait directement le lien de confiance entre la marque et ses consommateurs. Dans ce cas, le scandale se transforme en crise et ne peut être surmonté, raison pour laquelle Julie Rivoire rappelle qu’orchestrer ou « surfer » sur un scandale ne peut être envisagé quand on porte directement atteinte aux valeurs ou à l’identité même de la marque.

Et la communicante de confirmer : « La différence entre un scandale négatif et un scandale positif, c’est que le premier privilégie les intérêts de l’entreprise au détriment du peuple (santé, trahison, vol…). C’est la frontière à ne pas dépasser, au risque de créer non pas un scandale, mais une crise. » 

4 – Adopter la « Trump method ». Certaines marques ont choisi de fonder leur image sur la polémique et la provocation permanentes, quitte à aller régulièrement au-delà des limites, à la manière du Président des Etats-unis. Ainsi, en faisant l’apologie de la maigreur et en inventant une taille XXX-S, puis en bannissant les tailles XL et XXL, la marque de mode Abercrombie & Fitch s’est mis à dos une bonne partie de l’opinion et est devenue la marque clivante par excellence.

« Cette démarche polémique très forte est comparable à de la politique. c’est la méthode Trump : polariser à fond les électeurs / consommateurs. C’est à dire capitaliser sur les clients déjà acquis, puisqu’on ne peut pas plaire à tout le monde. On aime ou on déteste, mais cela demeure une très bonne stratégie » affirme Julie Rivoire.

Au risque de la détromper pour le coup, je rappellerai néanmoins que suite à plusieurs bad buzz et à des opérations de boycott, cette marque de mode également propriétaire d’Hollister a perdu des centaines de millions de dollars et vu ses résultats plonger dramatiquement, tandis que son image a été durablement écornée. Si le noyau dur des consommateurs de la marque est resté, comme ce fut le cas pour Benetton, la marque précurseur du badvertising, les limites d’une telle stratégie apparaissent clairement avec cet exemple, et celle-ci demeure à manier avec parcimonie… et la plus grande prudence.

Car comme toujours, les bénéfices à court terme en termes d’engagement ou de notoriété peuvent être réels, mais ils peuvent en définitive s’avérer contradictoires avec la création d’une marque pérenne et digne de confiance… A chacun de choisir la stratégie qui lui paraît la plus appropriée en fonction de ses objectifs, mais construire une marque dans la durée exige de dépasser les visions court-termistes, c’est une certitude.

 

 

Notes et légendes :

(1) « Engagement 2.0 : et si on passait au « goodvertising » et à la communication responsable ? », article du BrandNewsBlog du 19 mars 2017  

(2) « Pourquoi les clichés existes font hélas encore recette dans la pub… », article du BrandNewsBlog du 14 juillet 2017  

(3) Suis-je plus royaliste que le roi et plus féministe que les féministes en l’occurrence ? J’ai féminisé à dessein la profession de « planneur stratégique », car je ne vois pas pourquoi on ne parlerait pas de « planneuse stratégique » : quitte à faire bouger quelques mentalités dans les agences et dans la pub, je pense que c’est possible ;-) 

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, The BrandNewsBlog 2018, X, DR.

 

 

 

5 bonnes raisons de vous intéresser à la « polarisation » de votre marque

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La semaine dernière, avec la leçon de branding de Mercedes Erra, j’évoquais l’opportunité pour les marques d’exprimer une « vision » sur le monde qui les entoure.

Que cette vision soit assez consensuelle (comme l’engagement de Danone pour la santé) ou plus militante (comme celle de Benetton notamment), l’adhésion des publics n’est pour autant jamais acquise. Et d’une marque à l’autre, quelle que soit la nature de ces engagements, force est de constater que la « cote d’amour » exprimée par les consommateurs peut varier de manière significative…

Adorées d’une partie du public et abhorrées par d’autres, certaines marques éminemment « clivantes », comme McDonald’s par exemple, suscitent des sentiments étonnamment forts et ambivalents. A contrario, les études démontrent que la perception de marques comme Intel semble beaucoup plus lisse et uniforme parmi les consommateurs.

C’est à la compréhension de ce phénomène et surtout aux façons de tirer le meilleur parti d’une marque clivante que les chercheurs Xueming Luo, Michael Wiles et Sascha Raithel¹ consacraient récemment un passionnant article², qui m’a inspiré ce billet.

… Où l’on découvre, contrairement aux idées reçues, pourquoi mesurer précisément la « polarisation » de sa marque et en cultiver les attributs clivants peut s’avérer une stratégie gagnante. Et comment, à défaut de disposer d’une marque « naturellement » clivante, de plus en plus de marketeurs cherchent à accentuer cette polarisation, pour susciter le buzz notamment, au prix de stratégies parfois risquées.

En quoi mesurer la « dispersion » ou la « polarisation » de votre marque est intéressant…

C’est en étudiant les cas de marques aux perceptions contrastées et de personnalités politiques controversées que des équipes marketing sont arrivées à ce constat : pour évaluer l’attitude de consommateurs ou d’électeurs dans de tels cas, des moyennes ou scores « nets » s’avèrent beaucoup moins riches et pertinents qu’une mesure de la « dispersion » des opinions exprimées.

En d’autres termes, comme on le comprend bien sur le tableau ci-dessous, il s’agit simplement, pour mesurer la « polarisation » éventuelle de la marque, de mettre en regard de manière directe les attitudes les plus extrêmes : la proportion « d’amoureux » de cette marque, versus la proportion de ses « détracteurs ». Plus les pourcentages de fans et d’adversaires de la marque sont élevés, plus la polarisation est forte.

Assez souvent, la dispersion des opinions exprimées s’avère peu significative ou nettement positive pour la marque (Intel, Fedex, et à moindre échelle Apple ou Microsoft³). Dans les cas de McDonald’s, Starbucks ou BP en revanche, on voit que les opinions sont très polarisées, avec beaucoup d’opinions négatives. Un constat à mettre en perspective et à creuser, évidemment, en analysant en premier lieu quelles sont les populations aux attitudes les plus négatives et leurs motivations.

LA POLARISATION DE QUELQUES MARQUES :

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Mesurer régulièrement cette dispersion/polarisation des opinions exprimées par rapport à la marque revêt en résumé 5 avantages :

1 – Mieux connaître les attitudes et les comportements des consommateurs

=> « passer à côté » du caractère « clivant » d’une marque clivante peut exposer l’entreprise à de sérieuses désillusions, du point de vue de l’efficacité de ses actions marketing notamment, voire à un aveuglement stratégique préjudiciable ;

2 – Pouvoir suivre l’évolution des attitudes et des comportements de manière plus fine grâce à la mesure régulière de ce nouvel indicateur (la dispersion de la marque), et mieux juger des actions correctives ou des stratégies mises en place ;

3 – Mettre en œuvre une véritable stratégie de polarisation, soit en essayant de réduire la dispersion des opinions entre fans et adversaires, soit au contraire en jouant de la dispersion des opinions, voir en renforçant les attributs clivants (voir la suite de cet article) ;

=> compter dans son public des détracteurs peut être une bonne chose, car les différentes études de  X. Luo, M. Wiles et S. Raithel le prouvent : « certaines entreprises ont même dopé leurs ventes en augmentant le nombre de leurs détracteurs » ;

4 – Mieux adapter la communication vis-à-vis des « indécis » (cette fraction de la population étant parfois majoritaire, comme dans les cas des marques faiblement polarisées Acer, Air France ou Easy Jet) ;

5 – Mieux identifier les ambassadeurs et les opposants à la marque, pour pouvoir réagir plus rapidement et efficacement en cas de crise 2.0, via les réseaux sociaux en particulier.

Clivantes et fières de l’être…

Comme le prouvent le succès de McDonald’s et les exemples de nombreuses autres entreprises fortement « polarisées », être une marque modérément voire fortement clivante n’est pas nécessairement une mauvaise chose.

Si les études menées par Xueming Luo, Michael Wiles et Sascha Raithel sur la relation entre polarisation et performances boursières semblent indiquer que les marques les plus clivantes tendent à avoir de moins bons résultats que les autresles universitaires ont également pu démontrer que leur cours de Bourse enregistrait en général moins de variations.

De même, les success stories de marques fortement clivantes comme Miracle Whip (sauce à sandwich américaine, au goût sucré) qui ont su exploiter leur polarisation en termes de communiction le prouvent : il est tout à fait possible de doper ses ventes tout en augmentant, paradoxalement, le nombre de ses détracteurs…

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Les 5 stratégies pour tirer le meilleur parti de la polarisation de sa marque

> Plusieurs stratégies sont possibles en fonction du degré de cette polarisation… Ainsi, s’il apparaît que la dispersion de la marque est forte et que la marque est ASSEZ OU TRES CLIVANTE…

… la première stratégie possible consiste à apaiser les détracteurs : pour une marque connue et à forts enjeux réputationnels, en particulier, cette  option paraît souvent la plus simple et la moins risquée. Il s’agit de tout mettre en oeuvre pour essayer de faire changer d’avis une partie de ses détracteurs… En organisant par exemple, comme le firent à plusieurs reprises des entreprises comme EDF ou AREVA, des visites de sites sensibles réservées aux associations telles que Greenpeace, dans une volonté de dialogue et de transparence. Idem pour Coca Cola, marque relativement polarisante, dont la directrice marketing France nous expliquait il y a 15 jours les efforts entrepris depuis un an pour informer les jeunes sur la teneur en sucre de ses sodas, dans le cadre de campagnes de santé publique conçues et financées par la marque. Dans le cas de General Mills et de sa marque de préparations pour dessert Betty Crocker, accusée de favoriser l’obésité, il apparaît que le dispositif d’information et de dialogue mis en place à destination des détracteurs de la marque a permis d’en faire chuter la proportion de 4,5 à 2,8 % en 3 ans. Une baisse significative et un résultat bienvenu quand on sait qu’une poignée d’entre eux peut suffire à déclencher une crise 2.0 et à faire des ravages.

… la seconde stratégie, plus risquée, consiste à alimenter intentionnellement le désamour de ses détracteurs. Plus fréquemment utilisée qu’on ne le pense, notamment par les représentants de marques low-cost, c’est la ligne de conduite très clairement choisie par la compagnie aérienne Ryanair et son P-DG… mais également celle retenue par Xavier Niel et le trublion Free, au moment de l’introduction de son offre mobile notamment. Spécialiste de ces figures acrobatiques et hasardeuses en termes de réputation, mais payantes en termes de notoriété et de part de marché, Ryanair alimente régulièrement les critiques à l’encontre de ses services minimalistes à coups d’annonces tonitruantes de nouvelles suppressions d’équipements ou de services… dont la plupart s’avèrent être des canulars. On se souvient qu’en 2010, la compagnie low-cost avait annoncé qu’elle allait faire payer l’accès aux toilettes sur ses appareils, créer une section où les passagers seraient obligés de voyager debour et imposer aux passagers en surpoids une « taxe sur les gros ». De la pure provocation qui créa certes une forte émotion et un bad buzz (de plus), mais sans entamer les parts de marché de Ryanair, au contraire !

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…. la troisième stratégie vise à amplifier un ou les attributs clivants de la marque. Sur des marchés très concurrentiels, en particulier, il peut faire sens d’accentuer les points de différenciation de son offre, dans l’espoir de doper la loyauté de sa « tribu » d’inconditionnels (et donc son chiffre d’affaires). C’est ce que fit, en termes de communication, la marque Fisherman’s friend, avec la pub de sa petite pastille et son accroche mémorable « It’s a bit strong! ». Amusant, à ce titre, de lire sur ce forum les commentaires des premiers consommateurs français, tantôt séduits, tantôt dubitatifs, voire carrément hostiles : « Il y a plusieurs variétés, dont certaines qui arrachent vraiment » ; « En fait, moi je trouve que c’est très particulier! On aime ou on n aime pas! » ; « Merci du conseil mais moi rien que le nom me donne envie d’éviter ce produit »… Cette accentuation peut se traduire par la sortie de produits encore plus clivants ou au goût plus prononcé, comme la nouvelle gamme XO de la marque Marmite, déjà réputée pour le caractère « corsé » de ses condiments. Celle-ci a fait un carton plein avec ce lancement et un slogan qui résume bien l’approche : « On adore ou on déteste ».

> S’il s’avère que le / les produits ou la marque sont peu ou pas du tout clivants… il peut être également intéressant de rechercher la polarisation (pour se différencier de la concurrence) :

…. la quatrième stratégie vise donc à semer la zizanie sur un marché. Surtout pratiquée par des low costers et nombre de nouveaux entrants sur des marchés mâtures, elle vise à investir rapidement un segment de marché ou une niche, par le biais d’une polarisation sensée accélérer le développement et les ventes. Sur le marché très traditionnel du cidre, c’est le positionnement retenu par la marque irlandaise Magners, qui se démarqua de ses concurrentes en communicant sur le caractère « branché » et désaltérant de sa boisson, à boire l’été et glacée de préférence. Cette stratégie obligea les autres marques de cidre britannique à se repositionner, comme Strongbow, qui choisit dès 2009 de se repositionner sur un coeur de marché plus populaire, se détachant progressivement de la clientèle plus jeune sur laquelle elle était également positionnée. Moralité : la polarisation d’une marque entraîne souvent une segmentation accrue et, par rebond, la polarisation des concurrents (ou une stratégie de me-too product).

… cinquième et dernière stratégie : la polarisation par une pub provocatriceTout le monde n’est pas Ryanair, et à défaut d’être naturellement ou historiquement clivantes, des marques comme Darty ou Perrier (parmi d’autres) se sont lancées récemment sur ces sentiers peu balisés, voire sulfureux. En optant pour le machisme ou la gentille (voire moins gentille) provoc’ un peu lourdingue, la deuxième s’est fait récemment dézinguer pour une campagne pub d’un goût plus que douteux. Un vrai rappel à l’ordre pour tous les communicants et marketeurs tentés par la stratégie du « buzz à tout prix » et tentés d’oublier un peu vite « l’ADN » de leur propre marque. Pour se permettre de de telles transgressions, mieux vaut en effet avoir ses lettres de noblesse de trublion du marketing (cf Ryanair) ou plus simplement que la création reste de bon goût ou soit réalisée avec un minimum de talent. Un exercice que certaines marques feraient tout de même mieux d’éviter. N’EST PAS UN BAD BOY QUI VEUT ;-)

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Notes et légendes :

(1)  Xueming Luo est professeur de marketing à Temple University et professeur honoraire à Fudan University ; Michael Wiles est maître-assistant de marketing à Arizona State University ; et Sascha Raithel est maître-assistant à l’Université Ludwig Maximilian de Munich.

(2) « Marketing : tirer le meilleur parti d’une marque clivante », par Xueming Luo, Michael Wiles et Sascha Raithel – Harvard Business Review, décembre 2014 – janvier 2015.

(3) Dans le cas précis d’Amazon, marque considérée la moins clivante d’après l’étude Yougov Brandindex, il est à noter que les données de l’étude datent a priori d’une période antérieure aux problèmes de réputation que connaît Amazon depuis le printemps 2014 (conflit avec Hachette et les éditeurs, en particulier). A ce titre, il serait intéressant de pouvoir disposer des résultats de la prochaine enquête… Où l’on constaterait sans doute à quel point les données concernant la dispersion et la polarisation d’une marque peuvent évoluer rapidement, rendant nécessaire la mise en oeuvre d’une nouvelle stratégie.

 

Crédits photos et illustrations : Yougov, BrandNewsBlog, X, DR

L’heure de la RSE a-t-elle enfin sonné pour les marques ?

Si l’on en croit les résultats de plusieurs études convergentes, publiés cet automne, la Responsabilité Sociétale des Entreprises serait enfin en passe de devenir un sujet incontournable pour les consommateurs. Et qui pèse de plus en plus au moment de l’acte d’achat.

Pour l’institut Lab42¹ tout d’abord, qui a interrogé plusieurs centaines de consommateurs américains au mois d’août, il s’avère que 84% d’entre eux seraient prêts à payer davantage pour un service ou un bien délivré par une entreprise « socialement responsable ». En définitive, « acheter auprès d’une marque à la conscience sociétale affirmée » figurerait même au cinquième rang des critères qui déterminent l’achat (après le prix, la qualité, le service client et la variété des produits).

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Dans le détail, s’ils sont 70% à attendre que la marque « offre des produits de haute qualité », les consommateurs sont également 69% à être sensibles au fait que l’entreprise mène une politique RH « juste et responsable » et 67% à tenir compte du fait que la marque se montre respectueuse de l’environnement.

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En ce qui concerne la perception des marques à l’aune de ce critère, on constate que le déploiement (ou non) de politiques RSE efficaces détermine de plus en plus l’image que ces marques peuvent avoir auprès du grand public.

Ainsi, même si les Américains estiment à 61% que l’ensemble des marques devraient être « plus transparentes » sur ces thèmes et « devraient rendre davantage de compte » (à 75 %), certains secteurs d’activité et certaines entreprises se détachent nettement des autres sur ce sujet, dans l’opinion publique américaine.

Globalement, les marques high-tech (notamment) bénéficient d’une image sensiblement plus « responsable » que les marques du secteur de la finance et de l’énergie (voir les illustrations ci-dessous). En l’espèce, seule Wallmart est perçue de manière très ambivalente, à la fois comme « socialement responsable » (du fait de son statut de premier employeur privé aux Etats-Unis, avec 1,2 million d’employés) et en même temps comme « peu responsable ». Les dégâts en termes de réputation occasionnés par diverses plaintes, pour discrimination syndicale notamment, ont manifestement pesé fortement pour le n°1 mondial de la grande distribution, tandis que BP pâtit toujours de son image de pollueur suite à la marée noire dans le Golfe du Mexique.

Et c’est le différentiel en termes d’intention d’achat qui est ici intéressant à noter : tandis que 21% des Américains de disent prêts à acheter davantage auprès des marques socialement responsables, ils sont 11% seulement à déclarer vouloir le faire auprès des marques les moins performantes dans le domaine de la RSE…

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Des attentes de plus en plus fortes en matière d’éthique et de brand utility…

Ces résultats d’étude remontés par Lab42 aux Etats-Unis corroborent en tous points les tendances relevées par de nombreux autres instituts, que ce soit en Asie ou en Europe.

Comme le démontrent en particulier les enseignements du Baromètre du bien-être durable® 2014 réalisé par LinkUp et Ipsos², ainsi que les résultats de l’étude menée cet été par Limelight consulting pour Influencia et l’agence Dagobert³, les attentes des consommateurs et la stratégie des annonceurs ne cessent en effet d’évoluer et de se sophistiquer, avec des critères d’adhésion à la marque qui dépassent de plus en plus le « contrat de base » qualité/prix pour s’orienter vers des valeurs d’utilité, de bien-être et d’éthique.

De ce point de vue, les insights dégagés respectivement par LinkUp/Ipsos et Limelight consulting sont assez convergents. Tandis que les Français interrogés par Ipsos ont déclaré aimer les marques d’abord pour des raisons de fiabilité et de confiance, les items suivants qui fondent leur préférence relèvent tous de cette sphère de l’éthique justement. Les consommateurs sont ainsi une majorité à réclamer des marques respectueuses, humaines, sincères, transparentes, cohérentes, engagées et sympathiques… qui s’occupent réellement et activement de leur bien être.

Portant une attention accrue au comportement des marques et à leur empreinte sur tout leur écosystème (salariés, prestataires, populations des pays fournisseurs de ressources naturelles…), ils estiment en moyenne que les marques s’occupent plutôt bien de leurs clients… mais pas forcément suffisamment des autres parties prenantes justement. 31% seulement des personnes interrogées estimaient ainsi en 2013 que les marques s’occupaient convenablement de leurs employés…

Plus vigilants sur les questions de responsabilité des marques, les consommateurs exigent de plus en plus, tous secteurs confondus : un contrôle et un affichage sur la provenance des matières premières, une information crédible et compréhensible sur les produits/services, une prise en compte des impacts de l’activité sur l’environnement et des effets de cette activité (voire des produits s’il y a lieu), sur la santé.

L’étude menée par Limelight consulting auprès des annonceurs et le rapport qui en découle illustrent le même constat de la primauté de la brand utility sur les autres motivations (notamment symboliques et sociales) d’achat et de consommation aujourd’hui ciblées par les marques.

Si la qualité et la fiabilité des produits demeurent recherchés en premier lieu, les consommateurs souhaitent que les produits et les marques améliorent leur quotidien et participent à leur bien-être, en leur procurant notamment des expériences de consommation utiles et gratifiantes.

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Illustration de cette nouvelle dimension des marques (plus humaine et sociétale) et des nouvelles attentes détectées par les annonceurs, le rapport Influencia – Dagobert ne manque pas néanmoins de rappeler ce fameux paradoxe : si 4 consommateurs sur 5 estiment que les entreprises et les marques ont un rôle à jouer dans l’amélioration de la qualité de vie et du bien être (aux niveaux individuel et collectif), ils ne sont qu’un quart à penser que les marques y travaillent réellement*…

Pas de doute, donc : les marques ont encore du chemin à faire pour répondre aux attentes et pour que leur contribution sociétale s’élève au niveau des nouvelles exigences des consommateurs. Mais une chose est sûre : c’est plus que faisable et elles ont énormément à y gagner !

 

 

Sources et notes :

(1)  « How Do Consumers Perceive Corporate Social Responsibility »

(2) « Bien-être durable® – 2ème édition : les Français veulent comprendre et demandent aux marques plus de vertu et d’empathie ! »

(3) Rapport 2014 Influencia – Dagobert sur les marques qui comptent

* Revue Influencia n°6, « Changer », Juillet-Août 2013 et Crédoc, « Consommations et modes de vie » n°237

 

Infographies : Lab42, Influencia/Dagobert

 

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