5 bonnes raisons de vous intéresser à la « polarisation » de votre marque

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La semaine dernière, avec la leçon de branding de Mercedes Erra, j’évoquais l’opportunité pour les marques d’exprimer une « vision » sur le monde qui les entoure.

Que cette vision soit assez consensuelle (comme l’engagement de Danone pour la santé) ou plus militante (comme celle de Benetton notamment), l’adhésion des publics n’est pour autant jamais acquise. Et d’une marque à l’autre, quelle que soit la nature de ces engagements, force est de constater que la « cote d’amour » exprimée par les consommateurs peut varier de manière significative…

Adorées d’une partie du public et abhorrées par d’autres, certaines marques éminemment « clivantes », comme McDonald’s par exemple, suscitent des sentiments étonnamment forts et ambivalents. A contrario, les études démontrent que la perception de marques comme Intel semble beaucoup plus lisse et uniforme parmi les consommateurs.

C’est à la compréhension de ce phénomène et surtout aux façons de tirer le meilleur parti d’une marque clivante que les chercheurs Xueming Luo, Michael Wiles et Sascha Raithel¹ consacraient récemment un passionnant article², qui m’a inspiré ce billet.

… Où l’on découvre, contrairement aux idées reçues, pourquoi mesurer précisément la « polarisation » de sa marque et en cultiver les attributs clivants peut s’avérer une stratégie gagnante. Et comment, à défaut de disposer d’une marque « naturellement » clivante, de plus en plus de marketeurs cherchent à accentuer cette polarisation, pour susciter le buzz notamment, au prix de stratégies parfois risquées.

En quoi mesurer la « dispersion » ou la « polarisation » de votre marque est intéressant…

C’est en étudiant les cas de marques aux perceptions contrastées et de personnalités politiques controversées que des équipes marketing sont arrivées à ce constat : pour évaluer l’attitude de consommateurs ou d’électeurs dans de tels cas, des moyennes ou scores « nets » s’avèrent beaucoup moins riches et pertinents qu’une mesure de la « dispersion » des opinions exprimées.

En d’autres termes, comme on le comprend bien sur le tableau ci-dessous, il s’agit simplement, pour mesurer la « polarisation » éventuelle de la marque, de mettre en regard de manière directe les attitudes les plus extrêmes : la proportion « d’amoureux » de cette marque, versus la proportion de ses « détracteurs ». Plus les pourcentages de fans et d’adversaires de la marque sont élevés, plus la polarisation est forte.

Assez souvent, la dispersion des opinions exprimées s’avère peu significative ou nettement positive pour la marque (Intel, Fedex, et à moindre échelle Apple ou Microsoft³). Dans les cas de McDonald’s, Starbucks ou BP en revanche, on voit que les opinions sont très polarisées, avec beaucoup d’opinions négatives. Un constat à mettre en perspective et à creuser, évidemment, en analysant en premier lieu quelles sont les populations aux attitudes les plus négatives et leurs motivations.

LA POLARISATION DE QUELQUES MARQUES :

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Mesurer régulièrement cette dispersion/polarisation des opinions exprimées par rapport à la marque revêt en résumé 5 avantages :

1 – Mieux connaître les attitudes et les comportements des consommateurs

=> « passer à côté » du caractère « clivant » d’une marque clivante peut exposer l’entreprise à de sérieuses désillusions, du point de vue de l’efficacité de ses actions marketing notamment, voire à un aveuglement stratégique préjudiciable ;

2 – Pouvoir suivre l’évolution des attitudes et des comportements de manière plus fine grâce à la mesure régulière de ce nouvel indicateur (la dispersion de la marque), et mieux juger des actions correctives ou des stratégies mises en place ;

3 – Mettre en œuvre une véritable stratégie de polarisation, soit en essayant de réduire la dispersion des opinions entre fans et adversaires, soit au contraire en jouant de la dispersion des opinions, voir en renforçant les attributs clivants (voir la suite de cet article) ;

=> compter dans son public des détracteurs peut être une bonne chose, car les différentes études de  X. Luo, M. Wiles et S. Raithel le prouvent : « certaines entreprises ont même dopé leurs ventes en augmentant le nombre de leurs détracteurs » ;

4 – Mieux adapter la communication vis-à-vis des « indécis » (cette fraction de la population étant parfois majoritaire, comme dans les cas des marques faiblement polarisées Acer, Air France ou Easy Jet) ;

5 – Mieux identifier les ambassadeurs et les opposants à la marque, pour pouvoir réagir plus rapidement et efficacement en cas de crise 2.0, via les réseaux sociaux en particulier.

Clivantes et fières de l’être…

Comme le prouvent le succès de McDonald’s et les exemples de nombreuses autres entreprises fortement « polarisées », être une marque modérément voire fortement clivante n’est pas nécessairement une mauvaise chose.

Si les études menées par Xueming Luo, Michael Wiles et Sascha Raithel sur la relation entre polarisation et performances boursières semblent indiquer que les marques les plus clivantes tendent à avoir de moins bons résultats que les autresles universitaires ont également pu démontrer que leur cours de Bourse enregistrait en général moins de variations.

De même, les success stories de marques fortement clivantes comme Miracle Whip (sauce à sandwich américaine, au goût sucré) qui ont su exploiter leur polarisation en termes de communiction le prouvent : il est tout à fait possible de doper ses ventes tout en augmentant, paradoxalement, le nombre de ses détracteurs…

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Les 5 stratégies pour tirer le meilleur parti de la polarisation de sa marque

> Plusieurs stratégies sont possibles en fonction du degré de cette polarisation… Ainsi, s’il apparaît que la dispersion de la marque est forte et que la marque est ASSEZ OU TRES CLIVANTE…

… la première stratégie possible consiste à apaiser les détracteurs : pour une marque connue et à forts enjeux réputationnels, en particulier, cette  option paraît souvent la plus simple et la moins risquée. Il s’agit de tout mettre en oeuvre pour essayer de faire changer d’avis une partie de ses détracteurs… En organisant par exemple, comme le firent à plusieurs reprises des entreprises comme EDF ou AREVA, des visites de sites sensibles réservées aux associations telles que Greenpeace, dans une volonté de dialogue et de transparence. Idem pour Coca Cola, marque relativement polarisante, dont la directrice marketing France nous expliquait il y a 15 jours les efforts entrepris depuis un an pour informer les jeunes sur la teneur en sucre de ses sodas, dans le cadre de campagnes de santé publique conçues et financées par la marque. Dans le cas de General Mills et de sa marque de préparations pour dessert Betty Crocker, accusée de favoriser l’obésité, il apparaît que le dispositif d’information et de dialogue mis en place à destination des détracteurs de la marque a permis d’en faire chuter la proportion de 4,5 à 2,8 % en 3 ans. Une baisse significative et un résultat bienvenu quand on sait qu’une poignée d’entre eux peut suffire à déclencher une crise 2.0 et à faire des ravages.

… la seconde stratégie, plus risquée, consiste à alimenter intentionnellement le désamour de ses détracteurs. Plus fréquemment utilisée qu’on ne le pense, notamment par les représentants de marques low-cost, c’est la ligne de conduite très clairement choisie par la compagnie aérienne Ryanair et son P-DG… mais également celle retenue par Xavier Niel et le trublion Free, au moment de l’introduction de son offre mobile notamment. Spécialiste de ces figures acrobatiques et hasardeuses en termes de réputation, mais payantes en termes de notoriété et de part de marché, Ryanair alimente régulièrement les critiques à l’encontre de ses services minimalistes à coups d’annonces tonitruantes de nouvelles suppressions d’équipements ou de services… dont la plupart s’avèrent être des canulars. On se souvient qu’en 2010, la compagnie low-cost avait annoncé qu’elle allait faire payer l’accès aux toilettes sur ses appareils, créer une section où les passagers seraient obligés de voyager debour et imposer aux passagers en surpoids une « taxe sur les gros ». De la pure provocation qui créa certes une forte émotion et un bad buzz (de plus), mais sans entamer les parts de marché de Ryanair, au contraire !

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…. la troisième stratégie vise à amplifier un ou les attributs clivants de la marque. Sur des marchés très concurrentiels, en particulier, il peut faire sens d’accentuer les points de différenciation de son offre, dans l’espoir de doper la loyauté de sa « tribu » d’inconditionnels (et donc son chiffre d’affaires). C’est ce que fit, en termes de communication, la marque Fisherman’s friend, avec la pub de sa petite pastille et son accroche mémorable « It’s a bit strong! ». Amusant, à ce titre, de lire sur ce forum les commentaires des premiers consommateurs français, tantôt séduits, tantôt dubitatifs, voire carrément hostiles : « Il y a plusieurs variétés, dont certaines qui arrachent vraiment » ; « En fait, moi je trouve que c’est très particulier! On aime ou on n aime pas! » ; « Merci du conseil mais moi rien que le nom me donne envie d’éviter ce produit »… Cette accentuation peut se traduire par la sortie de produits encore plus clivants ou au goût plus prononcé, comme la nouvelle gamme XO de la marque Marmite, déjà réputée pour le caractère « corsé » de ses condiments. Celle-ci a fait un carton plein avec ce lancement et un slogan qui résume bien l’approche : « On adore ou on déteste ».

> S’il s’avère que le / les produits ou la marque sont peu ou pas du tout clivants… il peut être également intéressant de rechercher la polarisation (pour se différencier de la concurrence) :

…. la quatrième stratégie vise donc à semer la zizanie sur un marché. Surtout pratiquée par des low costers et nombre de nouveaux entrants sur des marchés mâtures, elle vise à investir rapidement un segment de marché ou une niche, par le biais d’une polarisation sensée accélérer le développement et les ventes. Sur le marché très traditionnel du cidre, c’est le positionnement retenu par la marque irlandaise Magners, qui se démarqua de ses concurrentes en communicant sur le caractère « branché » et désaltérant de sa boisson, à boire l’été et glacée de préférence. Cette stratégie obligea les autres marques de cidre britannique à se repositionner, comme Strongbow, qui choisit dès 2009 de se repositionner sur un coeur de marché plus populaire, se détachant progressivement de la clientèle plus jeune sur laquelle elle était également positionnée. Moralité : la polarisation d’une marque entraîne souvent une segmentation accrue et, par rebond, la polarisation des concurrents (ou une stratégie de me-too product).

… cinquième et dernière stratégie : la polarisation par une pub provocatriceTout le monde n’est pas Ryanair, et à défaut d’être naturellement ou historiquement clivantes, des marques comme Darty ou Perrier (parmi d’autres) se sont lancées récemment sur ces sentiers peu balisés, voire sulfureux. En optant pour le machisme ou la gentille (voire moins gentille) provoc’ un peu lourdingue, la deuxième s’est fait récemment dézinguer pour une campagne pub d’un goût plus que douteux. Un vrai rappel à l’ordre pour tous les communicants et marketeurs tentés par la stratégie du « buzz à tout prix » et tentés d’oublier un peu vite « l’ADN » de leur propre marque. Pour se permettre de de telles transgressions, mieux vaut en effet avoir ses lettres de noblesse de trublion du marketing (cf Ryanair) ou plus simplement que la création reste de bon goût ou soit réalisée avec un minimum de talent. Un exercice que certaines marques feraient tout de même mieux d’éviter. N’EST PAS UN BAD BOY QUI VEUT ;-)

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Notes et légendes :

(1)  Xueming Luo est professeur de marketing à Temple University et professeur honoraire à Fudan University ; Michael Wiles est maître-assistant de marketing à Arizona State University ; et Sascha Raithel est maître-assistant à l’Université Ludwig Maximilian de Munich.

(2) « Marketing : tirer le meilleur parti d’une marque clivante », par Xueming Luo, Michael Wiles et Sascha Raithel – Harvard Business Review, décembre 2014 – janvier 2015.

(3) Dans le cas précis d’Amazon, marque considérée la moins clivante d’après l’étude Yougov Brandindex, il est à noter que les données de l’étude datent a priori d’une période antérieure aux problèmes de réputation que connaît Amazon depuis le printemps 2014 (conflit avec Hachette et les éditeurs, en particulier). A ce titre, il serait intéressant de pouvoir disposer des résultats de la prochaine enquête… Où l’on constaterait sans doute à quel point les données concernant la dispersion et la polarisation d’une marque peuvent évoluer rapidement, rendant nécessaire la mise en oeuvre d’une nouvelle stratégie.

 

Crédits photos et illustrations : Yougov, BrandNewsBlog, X, DR

La mauvaise réputation, une maladie de plus en plus virale

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Elles ne mouraient pas toutes, mais toutes étaient frappées… Est-ce un concours de circonstances, ou bien une preuve tangible de l’accélération du temps médiatique ? En ce moment, chaque semaine semble apporter son lot de scandales, dans lesquels des marques ou des organisations se retrouvent impliquées.

Ne serait-ce qu’au début de ce mois, se sont déjà télescopés sur la place publique : 1) le scandale du LuxLeaks¹, dans lequel les noms de Pepsi, Ikea et Fedex ont été cités, parmi une liste de 300 multinationales qui auraient conclu des accords fiscaux « anticipés » avec le Luxembourg ; 2) la publication du montant des travaux engagés par la CGT dans l’appartement de son secrétaire général ;  3) Les accusations de l’émission Cash Investigation² à l’encontre de Samsung, Alcatel, Wiko ou Huawei, prises en flagrant délit de recours au travail infantile par l’intermédiaire de sous-traitants chinois… pour ne citer que ces affaires, certes sans aucun lien entre elles (à noter que dans le cas de Huawei, l’impact des accusations d’Elise Lucet fut encore amplifié par la réaction pour le moins inappropriée du président de sa filiale française : lire ce bon article à ce sujet).

Dans ces 3 cas de figure, on notera que les médias « classiques » sont à l’origine des révélations initiales. Mais c’est bien sur Internet et via les réseaux sociaux, en particulier, que ces révélations sont devenues des bad buzz, et qu’elles ont connu le plus de retentissement, sans préjuger de leur impact sur la réputation des entreprises et organisations concernées… Une nouvelle preuve de l’importance sans cesse croissante du web 2.0 dans la formation de l’opinion.

Dans son dernier numéro, l’excellente Revue des marques³ revient justement sur cet enjeu primordial qu’est devenue la réputation, pour les entreprises et leurs marques. Tout en rappelant de manière didactique les principales différences entre réputation et e-réputation, sur lesquelles je vais revenir ci-dessous. Même si, « dans les faits, réputation et e-réputation ne sont pas aussi éloignées que ce que la littérature pourrait laisser penser », force est de reconnaître que l’e-réputation est devenue bien davantage aujourd’hui que le simple prolongement de la réputation sur le web. Un constat dont beaucoup d’entreprises ont tendance à s’alarmer, mais qui représente aussi de véritables opportunités.

Notoriété, image et réputation : des notions bien distinctes

Vincent Dutot, Charles de la Rochefoucauld et Loïc Bodin rappellent d’abord ce postulat au travers de 3 articles complémentaires³ : notoriété, image, réputation et e-réputation sont bien des notions distinctes, même si on associe logiquement ces deux dernières.

Tandis que « la notoriété, fondée sur les messages émis par la marque, mesure si elle est connue ou pas par ses publics », l’image se définit quant à elle comme « la réflexion de cette notoriété, fondée sur la réaction des récepteurs aux messages de la marque ». A contrario, la réputation d’une entreprise ou d’une marque résulte de l’opinion qu’on en a, « multipliée par sa notoriété », nous rappelle Charles de la Rochefoucauld.

En cela, image et réputation sont bel et bien des notions distinctes. Il est en effet possible d’avoir une mauvaise image et de conserver une bonne réputation, comme le souligne encore le Président de ComCorp en citant l’exemple de la France, qui souffre à l’étranger d’une image négative, du fait de sa stratégie industrielle interventionniste et étatique notamment, mais qui, sur le plan financier, garde malgré sa dette une bonne réputation (d’où la faiblesse des taux auxquels elle emprunte). De même pour Peugeot, qui, entre la fermeture du site d’Aulnay et l’entrée au capital du Chinois Dongfeng n’avait pas bonne image, mais continuait à bénéficier d’une bonne réputation dans le grand public grâce à la qualité toujours reconnue de ses voitures et aux valeurs (toujours perçues par ses clients) qui font depuis des années le « terreau » de sa marque.

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De la réputation à l’e-réputation : bien plus qu’un simple « prolongement » sur le web

Quant à l’e-réputation, qu’on peut définir comme « l’évaluation sociale qui résulte de toutes les informations diffusées au sujet de l’individu ou de la marque sur le web », elle ne doit pas être considérée comme un simple prolongement de la réputation sur Internet, ni comme le « volet numérique » de la réputation d’une marque ou d’une entreprise.

Car malgré les points communs entre ces deux notions (et le fait que l’e-réputation fait en définitive partie de la réputation), un certain nombre de caractéristiques spécifiques à la réputation en ligne sont à souligner (voir à ce sujet l’infographie ci-dessous), dont découle de nouveaux enjeux… Par ailleurs, on ne peut que constater que l’e-réputation influence de plus en plus la réputation globale des entreprises et des marques, tout en en bouleversant les règles.

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Comme le rappelle très justement Loïc Bodin³ : avec l’avènement du web 2.0 et la démultiplication de l’information, de ses canaux de diffusion et de ses relais, le rapport au temps et à l’espace évolue, de même que la relation au savoir et à l’autorité. Le temps long sur lequel se construisaient jadis les réputations (sous le contrôle au moins partiel des marques) se heurte de plus en plus à l’immédiateté et à la viralité des réseaux et médias sociaux, tandis que les entreprises « perdent la main » et que les capacités de stockage des différentes plateformes rendent les discussions et les traces numériques quasi indélébiles.

Et alors que le web 2.0 offre désormais la possibilité aux « consom’acteurs » d’influencer directement l’image des marques (ce dont ils ne se privent pas !), les occasions de dérapages réputationnels se multiplient pour les marques…

Les entreprises et les marques sous la pression du bad buzz et de crises réputationnelles d’envergure

En permanence sous le feu des projecteurs médiatiques et sociaux, les entreprises et marques à forte notoriété qui interviennent de surcroît dans des secteurs ou activités sensibles, comme l’énergie (Areva, EDF, Total…), l’agro-alimentaire ou la santé publique sont naturellement les plus exposées. Mais elles sont loin d’être les seules, puisque toute organisation aujourd’hui (on le voit avec le cas de la CGT ou de l’UMP dans le scandale Bygmalion) et toutes les dimensions de l’entreprise sont potentiellement concernées, comme le souligne Charles de la Rochefoucauld.

Que la crise d’opinion soit en effet liée au produit lui-même (rappel de millions de voitures par General Motors et Honda, « crise de la viande de cheval », bugs et anachronismes dans la dernière version du jeu Assassin’s Creed d’Ubisoft…) ; liée au process de fabrication (conditions de travail et travail infantile chez des sous-traitants de Samsung, Huawei, H&M ou Zara…; liée à la dimension financière et légale (affaire Kerviel pour la Société Générale, non respect de l’embargo américain par BNP Paribas…) ; liée à des discours publicitaires mensongers, discriminants/sexistes, gratuits ou violents (L’Oréal incriminé en Angleterre et aux Etats-Unis, American Apparel, Perrier…) ; ou liée aux frasques et propos déplacés des dirigeants (RyanairAbercrombie & Fitch…), les sources de crise potentielle sont légion. Et celles qui impactent le plus durement les entreprises sont invariablement celles qu’elles n’avaient pas vu venir et auxquelles elles étaient les moins préparées, bien entendu.

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Parmi les organisations épinglées se côtoient aussi bien des « multi-récidivistes » (comme Ryanair), abonnés aux crises réputationnelles, que des « victimes occasionnelles » ou des entreprises « peu regardantes », prêtes à tout pour faire parler d’elles (Cuisinella, Veet…) en recourant au besoin aux clichés publicitaires les plus éculés et à la provocation, dans le cadre d’une stratégie de (bad) buzz assumée. Car le bad buzz, ce « phénomène de bouche à oreille négatif qui se déroule sur Internet et qui est subi ou provoqué par une action initiale de la marque » n’engendre pas systématiquement une crise réputationnelle majeure. Il peut endommager temporairement l’image (comme ce fut le cas pour Cuisinella ou Perrier : voir l’image ci-dessus, extraite d’une campagne récente retirée depuis), tout en générant de l’audience autour d’une campagne ou d’un produit. Un risque que de plus en plus d’agences et de marques semblent prêtes à prendre, dans le cadre de stratégies marketing à mon avis discutables (car les traces en sont mémorisées sur le web, faciles à exhumer à l’occasion d’une prochaine crise et susceptibles d’affecter durablement la réputation cette fois).

La mauvaise e-réputation, une maladie « honteuse » pour les marques ?

Bien conscientes que les règles du jeu réputationnel changent, et que l’e-réputation influence de plus en plus la formation de l’opinion et leur réputation globale, un certain nombre d’entreprises et de marques refusent ces évolutions et fuient les terrains glissants du web 2.0, croyant pouvoir se prémunir de tout risque. Une attitude aussi illusoire que contre-productive, estime Loïc Bodin. Car comment échapper à l’emprise de ses collaborateurs, de ses clients et prospects, mais également de ses concurrents et d’autres parties prenantes, auxquels les réseaux offrent une chance de s’exprimer ?

Mal à l’aise avec les nouvelles règles du jeu réputationnel et les outils sociaux, ou croyant au contraire les « maîtriser » (douce illusion), certaines organisations s’exposent ainsi de manière inconsidérée à des risques accrus et à cette maladie pour eux honteuse d’une mauvaise e-réputation.

Faute d’avoir correctement appréhendé les nouveaux enjeux que j’annonçais ci-dessus : la spécificité et le fonctionnement de chacune des plateformes ; les risques liés à la viralité ou à la malveillance de concurrents, d’opposants ou d’acteurs mal intentionnés (infowar) ; la capacité à générer de l’empathie autour de soi/de sa marque ; à animer et à fédérer une communauté d’ambassadeurs ou de relations/followers/abonnés « alliés » ; à former et mobiliser les ressources internes nécessaires (outils de veille, compétences de community management… ). Et faute d’avoir surtout défini au préalable les objectifs et les moyens d’une présence en ligne adaptée, et d’avoir suffisamment étudié les communautés susceptibles d’interagir par rapport à leur(s) marque(s)… la probabilité est forte de « passer au travers » et de s’exposer à des bad buzz ou de sérieuses crises réputationnelles.

Après la tentation de la défiance et celle de l’excès de confiance : le temps des opportunités et de la vigilance est arrivé ?

Les livres blancs, ouvrages, conseils et autres leçons en matière d’e-réputation pullulent… Je ne me hasarderai pas à en livrer ici une extrapolation ni une synthèse. Je retiens néanmoins pour ma part ces premiers conseils de Loïc Bodin, pour bâtir une stratégie de réputation cohérente et répondre aux enjeux que je viens d’évoquer :

  1. travailler sur son identité et son image de marque (et leur perception par les différents publics) et définir les objectifs de sa présence en ligne ;
  2. Bien analyser les communautés directement ou indirectement liées à l’entreprise, avoir identifié les potentiels « opposants », ambassadeurs ainsi que les relations/followers/abonnés susceptibles de prendre le cas échéant la défense de la marque ;
  3. Cartographier les circuits de transmission des informations entre l’entreprise et ses communautés, et entre communautés ;
  4. Prendre en main de manière efficace les outils de veille et mettre en oeuvre les moyens d’une présence en ligne adaptée et vigilante (compétences de community management, outils de publication, de suivi et d’interaction, etc).

 

 

Notes et légendes :

(1) Sur ce scandale du LuxLeaks, relisez ce bon article de L’essentiel : « Le dumping fiscal secret du Luxembourg révélé » du 5 novembre 2014

(2) Sur les révélations de l’émission « Cash Investigation » de France 2 et leurs effets collatéraux, découvrez le bon article de Bastamag : « Travail des enfants : Samsung pris au piège de ses beaux discours » du 6 novembre 2014 ; et celui du Figaro : « Le patron de Huawei France menace Elise Lucet de représailles » du 6 novembre également.

(3) Dossier « Marques & réputation » de La Revue des marques, n°88 – octobre 2014 :

=> « De la réputation à l’e-réputation, les enjeux », par Loïc Bodin, Country Manager Middle East de Numberly ;

=> « La réputation, terreau de la marque », entretien avec Charles de la Rochefoucauld, Président de ComCorp et créateur de l’Index de la Réputation ;

=> « Réputation et e-réputation, deux notions différentes », par Vincent Dutot, Ph.D, professeur associé de l’ESG Management School, co-titulaire de la chaire Digital, Data and Design.

 

Iconographie : photo 123RF, X, DR / Infographies : TheBrandNewsBlog

Une année de branding et de réputation #2 : ces autres marques qui ont fait le (bad) buzz en 2013…

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Hormis Abercrombie & Fitch, dont j’ai parlé récemment (voir ici mon post à ce sujet), de nombreuses marques ont suscité des bad buzz en 2013… Pour n’en citer que quelques-unes : Ryanair (voir ici), Spanghero (voir ici), FedEx (voir ici), GoldenCorral (voir ici), Décathlon (voir ici), ou encore la Caisse d’épargne Auvergne-Limousin (voir ici)…

Les conséquences en ont été diverses : de l’entreprise en situation de crise aiguë, contrainte de déposer le bilan (Spanghero) à celles dont le community manager a « simplement » du passer un mauvais quart d’heure, chacune a assumé à la hauteur de ses errements…

Néanmoins, à la lueur des conseils prodigués depuis plusieurs années par les experts en communication de crise et e-réputation, trois leçons peuvent être tirées des mésaventures survenues à certaines de ces marques :

1/ Les médias sociaux ne sont pas un terrain de jeu pour community managers en mal de sensations. La légèreté de certains CM (juniors ?) œuvrant en « électrons libres » et prêts à tout pour créer le buzz peut s’avérer hautement préjudiciable pour l’image de leur employeur (ex. Caisse d’épargne Auvergne-Limousin et à un degré moindre lipdub Décathlon, même si cette marque s’est bien rattrapée par la suite en assumant le buzz avec humour).

2/ Tout buzz n’est pas bon à prendre et ne grandit pas nécessairement l’e-réputation de l’entreprise. Ainsi, les opérations « capillotractées » ou de mauvais goût concoctées par certaines agences pour Carambar et Cuisinella par exemple, ont bien failli tourner au fiasco. Et une fois surfé sur le buzz artificiellement généré, pas sûr que le résultat en terme d’image ait correspondu in fine aux objectifs initiaux recherchés par ces marques…

3/ Mieux vaut apprendre des erreurs des autres. Combien d’entreprises ont encore été victimes cette année de l’effet Streisand*, par exemple ? Trop, assurément. Le résultat le plus calamiteux (et un point de non retour en terme d’image) a clairement été atteint dans ce registre par Ryanair, qui, après avoir voulu faire disparaître les pages Facebook et Twitter de certains de ses pilotes, a commis ensuite de nombreuses bourdes, avant de se distinguer en s’attaquant à la presse (=> voir à ce sujet le bon article d’Olivier Cimelière).

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Hors, sur le web, non seulement les règles spécifiques concernant l’e-réputation sont à respecter, mais beaucoup de celles concernant la communication de crise restent valables (nécessité de définir et anticiper les risques, d’identifier et « nourrir » des alliés…) pour que la marque soit en état de se défendre (ou d’être défendue) en cas de problème.

Hélas pour elles, beaucoup d’entreprises n’avaient pas encore retenu ce genre de leçons en 2013, manifestement… Peut-être en 2014 ?

 

* L’effet Streisand : pour mémoire, en 2003, Barbra Streisand décida d’attaquer en justice un photographe qui avait pris une photographie aérienne de sa villa californienne. L’actrice voulait alors limiter la diffusion des clichés en questions mais obtint l’effet inverse : son action en justice apporta une publicité considérable au photographe et à sa photographie, qui se retrouva dupliquée sur le web des centaines de milliers de fois. Ce phénomène sur Internet désigne aujourd’hui, plus largement, toute tentative de cacher ou faire retirer des contenus du web… qui a tendance à produire le même effet : une prolifération rapide du contenu en question.

(Crédit photo : Ryanair, X, DR)

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