Le « badvertising » ou l’art de la provocation en communication… et ses limites

Au lecteur ou à la lectrice qui découvrirait aujourd’hui ce blog dédié au marketing et à la communication, je le confesse d’emblée : j’adore ausculter les nouveaux concepts et autres mots-valises (généralement anglophones) dont nos professions sont si friandes. C’est devenu un péché mignon. Et lors d’une récente consultation, j’avais d’ailleurs analysé cette intriguante notion de « nano-influence », dans un article que vous pouvez retrouver ici...

Le mot-valise du jour ne nous vient directement ni d’outre-Manche ni d’outre-Atlantique : il a été réinterprété par Julie Rivoire, planneuse stratégique de l’agence Oxygen à Paris. Et il a le grand mérite d’être immédiatement « parlant » et aisément compréhensible, même si – comme bien d’autres concepts sur lesquels je me suis penché – la technique qu’il décrit n’a en définitive rien de vraiment nouveau…

Pour l’anecdote, il offre néanmoins un pendant intéressant au concept de « Goodvertising¹« , cette « publicité créative responsable » popularisée et défendue par l’excellent Thomas Kolster, dont j’avais déjà parlé sur ce blog et dont je reparlerai sans doute prochainement.

Mais qu’est-ce donc que ce « badvertising » dont nous parle Julie Rivoire, me direz-vous ? Et bien c’est tout simplement « l’art de mettre en scène un scandale, en le créant de toutes pièces ou en l’orchestrant, pour générer une importante visibilité médiatique et sociale pour son auteur et/ou pour la marque, qu’il s’agisse d’une personnalité, d’un parti ou d’une entreprise ».

Et l’objectif final de cette stratégie de provocation ? Détourner ou monopoliser l’attention bien sûr, dans cette bataille pour exister que se livrent tous les émetteurs dans le flot ininterrompu d’informations déversé par les chaînes d’info en continu, par les médias sociaux et par tous les créateurs et diffuseurs de contenus.

Théorisée sous sa forme primitive au 20ème siècle par ces redoutables stratèges qu’étaient les propagandistes, la méthode a été moult fois employée depuis, et poussée pour ainsi dire à son paroxysme par Donald Trump et ses équipes, dans le champ politique. Mais le badvertising et la provocation ont également fait des émules en France et en Europe depuis des années, comme en témoigne parmi d’autres cette confidence de Sophia Chikirou, glissée au Monde en mai 2017 : « L’affrontement avec les journalistes, en 2012, c’était pensé, organisé, théorisé. Je mettais en œuvre ‘le bruit et la ­fureur’ : on partait de 3 %, c’était notre seule chance d’exister ».

Pas en reste sur les professionnels de la politique, un certain nombre de marques se sont fait depuis des années une spécialité de ce type de stratégies de communication agressives, que ce soit vis-à-vis de leurs concurrents ou du grand public (comme Ryanair en Europe, Abercrombie & Fitch ou T-Mobile notamment). Mais dans un autre registre, les exemples du trublion Free, de Darty ou du précurseur Benetton peuvent également être cités… avec des fortunes diverses pour chacune de ces marques.

En effet, le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Les marques peuvent-elles durablement profiter d’une stratégie de badverstising, et sous quelles conditions ? Quels sont les risques ?

Comme en témoignent les exemples de bad buzz subis par chacune des marques citées ci-dessous, les risques réputationnels de ces stratégies demeurent très importants. Et pour un bénéfice somme toute relativement éphémère en termes d’audience et de notoriété, quels impacts à long terme pour l’image de l’entreprise ?

Ce sont ces différentes questions que je vous propose d’aborder aujourd’hui, en vous expliquant les avantages et les limites du badvertsing et en reprenant les recommandations de plusieurs experts pour les marques souhaitant absolument s’engager dans une telle stratégie.

Le badvertising, ou l’art de jouer avec les limites et de susciter le bad buzz

Stratégie de rupture ou stratégie du chaos, le badvertising présente notamment l’avantage pour une marque « d’exister » médiatiquement et de se faire remarquer rapidement sur un marché encombré.

C’est une des armes de choix pour des marques « trublion » et il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les turbulents Michael O’Leary (créateur de Ryanair) ou John Legere (P-DG de T-Mobile) s’en soient si abondamment servis, non seulement par calcul, mais aussi en accord avec leur propre personnalité et leur tempérament « volcanique ».

« L’attention est bien sûr le nerf de la guerre, nous rappelle ainsi Julie Rivoire. Mais c’est une denrée très difficile à se procurer… Il s’agit donc de se tourner vers des stratégies de communication agressives. Une vraie prise de risque car il faut accepter de ne pas tout contrôler. » Et le bad buzz est évidemment le plus souvent au rendez-vous, comme lorsque la compagnie Ryanair annonça qu’elle allait faire payer l’accès aux toilettes sur ses appareils, créer une section où les passagers seraient obligés de voyager debout ou imposer aux passagers en surpoids une « taxe sur les gros » ! De pures provocations à chaque fois, dont les propos ne furent pas suivis d’effet, mais avaient pour principal objectif de faire parler très largement de la compagnie low-cost.

Et en l’espace de quelques années, il faut bien dire que les bad buzz consécutifs à des stratégies de badvertising se sont multipliés : ainsi les exemples de Perrier, Darty (visuels ci-dessous) ou encore Tefal (visuel ci-dessus) ont pour point commun de s’en prendre de manière délibérée aux femmes, au travers de créations publicitaires dont la misogynie laisse pantois²…

Une stratégie tentante pour des marques naturellement « clivantes » ou cherchant à renforcer leur polarisation…

Si toutes les marques pratiquant le badvertising ne sont pas nécessairement « clivantes », recourir au registre de la provocation permet de cultiver et renforcer la « polarisation » de la marque, ainsi que je l’expliquais dès 2014 dans cet article : « 5 bonnes raisons de vous intéresser à la polarisation de votre marque ».

En effet, pour des marques suscitant naturellement au sein du grand public autant d’attrait que de rejet (comme McDonald’s, Starbucks, BP ou T-Mobile par exemple), 2 types de stratégies opposées peuvent être déployées : tandis que la première consiste à tenter d’apaiser ses détracteurs (comme s’y est efforcé ces dernières années Ryanair, abandonnant progressivement son statut de marque « trublion »), le second type de stratégies peut consister à renforcer la polarisation et par là-même la différenciation de la marque : 1) en alimentant le désamour des « haters » pour faire encore plus parler de soi ; 2) en amplifiant les attributs clivants de la marque, comme le firent T-Mobile ou Free ; 3) en semant la zizanie en terme d’offre ; ou 4) en capitalisant sur des publicités volontairement provovatrices…

4 conseils pour maîtriser l’art de la provocation en communication… et ne pas transformer le scandale en crise

Dans son étude et ses recommandations concernant le « badvertising » – qu’elle considère comme une stratégie de communication aussi valable qu’une autre – la planneuse stratégique³ de l’agence Oxygen formule 4 recommandations à suivre à mon avis à la lettre, pour ne pas basculer du scandale à la crise…

1 – Tout d’abord, dès la conception de la provocation ou du scandale, imaginer la ou les réponses, la ou les solutions qu’on va apporter en phase de révélation… Pour ne pas avoir imaginé ces « issues de secours » ou pour avoir négligé d’étudier les différentes options de sortie de scandale, en fonction de la réaction des publics, certains bad buzz sont restés des bad buzz et n’ont pas profité autant qu’ils auraient pu à la marque, laissant une image mitigée à celle-ci… Ce fut le cas dans la plupart des effets d’annonce de Ryanair, Michael O’Leary ne prenant pas le soin de revenir sur ses propos provocateurs.

2 – Faire preuve d’autodérision et assumer ses défauts. Si une véritable erreur a été commise et que ses conséquences ne sont pas graves ni insurmontables, comme dans le cas d’une stratégie de badvertising assumée, il s’agit de ne pas dévier d’un fil et de mener son action jusqu’à la révélation, en s’efforçant de retourner la réaction du public de positive à négative. Cela passe par la reconnaissance de ses erreurs ou la révélation du badvertising et une grande dose d’autodérision, pour surmonter la rancœur des personnes qui se seraient fait berner.

Ainsi, quand Carambar annonça la fin de ses traditionnelles blagues, les remontées négatives furent si nombreuses et rapides que l’agence fut contrainte d’avancer de plusieurs jours la révélation de sa supercherie, mais s’en tint tout de même à sa stratégie initiale, avec un impact positif non négligeable sur les ventes de Carambar après l’opération.

Quand l’affaire de « l’homme tout nu » éclaboussa la Redoute, après que des clients aient repéré sur une photo de leur catalogue un homme nu à proximité d’enfants, cette erreur profita néanmoins à la marque. Plutôt que de se fendre d’un simple mea culpa, celle-ci choisit en effet une stratégie d’autodérision en cachant 10 autres photos incongrues dans son catalogue et en incitant ses clients à les débusquer.

Mais ainsi que l’ont souligné sur Twitter deux lecteurs du BrandNewsBlog, à la suite de la publication de la première partie de cet article, assumer une telle stratégie de badvertising peut s’avérer compliqué a posteriori.

Ainsi, dans l’opération de badvertising organisée en 2014 par le site Rue du commerce (« Rue du commerce interdit aux femmes »), ces deux professionnels ne manquent pas de souligner que cette grossière provocation fut en réalité très pénible à assumer en interne par les femmes de l’entreprise, qui durent gérer le bad buzz puis détromper toutes les personnes n’ayant pas compris qu’il s’agissait en réalité d’une opération marketing avant Noël. Malgré tout (cf tweets ci-dessous), ces deux internautes précisent que les ventes furent sensiblement plus fortes durant la période des fêtes que l’année précédente.

3 – Ne pas rompre le contrat de confiance avec la marque. Julie Rivoire l’indique clairement : dans l’exercice du badvertising, la limite ultime est évidemment de toucher, au-delà d’une simple supercherie ou de la blague de mauvais goût, à des questions de société beaucoup plus graves, susceptible de briser la relation de confiance entre la marque et ses clients…

Ainsi, si les slogans sexistes utilisés lors d’une campagne par Darty n’ont pas entamé le crédit ni le célèbre « contrat de confiance » revendiqué par la marque, celle-ci les a néanmoins rapidement abandonnés car cette stratégie n’était pas en ligne avec sa plateforme de marque ni avec l’image que l’entreprise voulait en réalité véhiculer.

A contrario, le scandale touchant Findus suite à la découverte de viande de cheval dans ses lasagnes ne relevait certes pas du badvertising mais touchait directement le lien de confiance entre la marque et ses consommateurs. Dans ce cas, le scandale se transforme en crise et ne peut être surmonté, raison pour laquelle Julie Rivoire rappelle qu’orchestrer ou « surfer » sur un scandale ne peut être envisagé quand on porte directement atteinte aux valeurs ou à l’identité même de la marque.

Et la communicante de confirmer : « La différence entre un scandale négatif et un scandale positif, c’est que le premier privilégie les intérêts de l’entreprise au détriment du peuple (santé, trahison, vol…). C’est la frontière à ne pas dépasser, au risque de créer non pas un scandale, mais une crise. » 

4 – Adopter la « Trump method ». Certaines marques ont choisi de fonder leur image sur la polémique et la provocation permanentes, quitte à aller régulièrement au-delà des limites, à la manière du Président des Etats-unis. Ainsi, en faisant l’apologie de la maigreur et en inventant une taille XXX-S, puis en bannissant les tailles XL et XXL, la marque de mode Abercrombie & Fitch s’est mis à dos une bonne partie de l’opinion et est devenue la marque clivante par excellence.

« Cette démarche polémique très forte est comparable à de la politique. c’est la méthode Trump : polariser à fond les électeurs / consommateurs. C’est à dire capitaliser sur les clients déjà acquis, puisqu’on ne peut pas plaire à tout le monde. On aime ou on déteste, mais cela demeure une très bonne stratégie » affirme Julie Rivoire.

Au risque de la détromper pour le coup, je rappellerai néanmoins que suite à plusieurs bad buzz et à des opérations de boycott, cette marque de mode également propriétaire d’Hollister a perdu des centaines de millions de dollars et vu ses résultats plonger dramatiquement, tandis que son image a été durablement écornée. Si le noyau dur des consommateurs de la marque est resté, comme ce fut le cas pour Benetton, la marque précurseur du badvertising, les limites d’une telle stratégie apparaissent clairement avec cet exemple, et celle-ci demeure à manier avec parcimonie… et la plus grande prudence.

Car comme toujours, les bénéfices à court terme en termes d’engagement ou de notoriété peuvent être réels, mais ils peuvent en définitive s’avérer contradictoires avec la création d’une marque pérenne et digne de confiance… A chacun de choisir la stratégie qui lui paraît la plus appropriée en fonction de ses objectifs, mais construire une marque dans la durée exige de dépasser les visions court-termistes, c’est une certitude.

 

 

Notes et légendes :

(1) « Engagement 2.0 : et si on passait au « goodvertising » et à la communication responsable ? », article du BrandNewsBlog du 19 mars 2017  

(2) « Pourquoi les clichés existes font hélas encore recette dans la pub… », article du BrandNewsBlog du 14 juillet 2017  

(3) Suis-je plus royaliste que le roi et plus féministe que les féministes en l’occurrence ? J’ai féminisé à dessein la profession de « planneur stratégique », car je ne vois pas pourquoi on ne parlerait pas de « planneuse stratégique » : quitte à faire bouger quelques mentalités dans les agences et dans la pub, je pense que c’est possible ;-) 

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, The BrandNewsBlog 2018, X, DR.

 

 

 

Ces inconnus qui s’enrichissent sur le dos des marques célèbres…

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Kevin Ham, Garry Chernoff, Ababacar Diop, Jean d’Eudeville, Gilbert Szajner, Franck Schilling… A coup sûr, ces noms ne vous disent rien, ou pas grand chose. Et pourtant, c’est le BrandNewsBlog qui vous le dit : ce sont pour certains de véritables virtuoses dans leur domaine. Leur point commun et leur principal mérite ? Avoir su se créer des rentes appréciables et parfois de véritables fortunes, à partir de rien ou pas grand chose. C’est à dire en monnayant, en s’accaparant ou en détournant (le plus souvent légalement) des noms de lieux connus, des noms de domaines vacants ou des marques célèbres…

Qu’ils soient hommes d’affaires avisés (comme Gilbert Szajner), dilettantes géniaux en quête de « coups », authentiques chanceux tombés sur le bon filon (comme Ababacar Diop et Jean d’Eudeville), pseudos altruistes ou véritables cracks du domain name grabbing / cybersquatting* (comme Kevin Ham et Franck Schilling), il faut a minima leur reconnaître ce talent : un sacré sens de l’opportunisme. Souvent complété par quelques qualités précieuses (sang froid, endurance procédurière…) qui leur ont permis de faire fructifier leur petite entreprise et d’en faire un business lucratif.

C’est à ces « petits malins » et à leur recette du succès que j’ai décidé de consacrer mon billet du jour. Mais n’en déduisez pas pour autant que je les admire ou que je les cautionne tous… car certains ont incontestablement causé du tort au passage.

Qu’ils aient nui à une entreprise ou à une organisation peu prévoyante, à des milliers d’entre elles, ou bien à l’image de corporations et de territoires réputés (comme le village et la marque Laguiole), leurs châteaux en Espagne s’avèrent souvent construits sur du sable… et finissent parfois par s’effondrer devant la résolution et la persévérance de ceux qu’ils ont le cas échéant lésés.

Et bien qu’ils s’en défendent, en se présentant comme les premiers défenseurs et les véritables promoteurs des marques ou des sites qui ont fait leur fortune, leur « histoire finit mal en général » (mais pas toujours, comme vous pourrez le voir dans mon tableau de synthèse ci-dessous). Jugez-en plutôt…

1 – Les businessmen avisés : dotés d’un sang froid et d’une endurance à toute épreuve

Tout d’abord, qu’on ne se méprenne pas sur le sens de mon article du jour : si je me permets de citer ici nommément des individus, c’est qu’ils ont déjà été plusieurs fois mentionnés par la presse. Et mon but n’est aucunement de les calomnier, tant il est vrai que la plupart ont mené leurs affaires dans la plus parfaite légalité. Et qu’ils ont souvent été à l’origine du dépôt initial des marques concernées, au point que la justice a souvent bien du mal à arbitrer dans de tels dossiers et à trancher en faveur de l’une ou l’autre des parties concernées.

J’ajouterai que les pratiques évoquées, qui ont permis à certains de mettre la main sur des marques réputées, de les « squatter » ou de les détourner, sont aussi largement employées par des entreprises ayant pignon sur rue… Entre marques concurrentes par exemple, comme je l’évoquerai également dans cet article.

> Et puisqu’il faut bien commencer cette galerie de portraits par quelqu’un, comment ne pas évoquer le principal protagoniste d’un imbroglio judiciaire qui dure maintenant depuis près de 15 ans, et qui n’a cessé de captiver les médias depuis ? Je veux  bien sûr parler de l’homme d’affaires francilien Gilbert Szajner, et de cette marque Laguiole qu’il a eu le génie de déposer il y a maintenant 22 ans. Au grand dam de toute une région et d’une industrie locale (la coutellerie) qui se sont entre-temps développées. Et qui voudraient aujourd’hui récupérer ce qu’elles estiment être leur bien le plus précieux, c’est à dire cette marque aujourd’hui reconnue en France aussi bien qu’à l’étranger, et les juteux revenus qui en découlent.

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Après des années de mobilisation, de combat et de défaites judiciaires contre celui que ses détracteurs nomment le  « vampire de Laguiole », il semblerait que les plaignants aperçoivent un (petit) bout du tunnel. Et celui qui, sans qu’ils puissent trouver à y redire, fait fabriquer ses couteaux en Chine ou au Pakistan, mais également du linge de maison, des vêtements, des meubles, des briquets, des tapis et des jouets à la marque Laguiole… vient d’être déchu de son droit d’exploiter la marque pour les couteaux et tous les « outils et instruments à main ou entraînés manuellement ». Une première victoire pour le Maire du village et la Forge de Laguiole, qui sont bien décidés à aller plus loin s’ils le peuvent (lire ici le dernier article à ce sujet et voir également mon tableau ci-dessous).

> Dans cette catégorie des businessmen « rusés », j’évoquerai également les cas du Russe Sergei Zyukov et de l’homme d’affaires lyonnais Mourad Bdai. Il y a quelques années, le premier s’était fait remarquer en réclamant 600 000 dollars à Starbucks, contre les droits d’exploitation de sa marque en Russie.

La mésaventure survenue à la marque américaine réputée pour ses cafés et ses implantations internationales ? Elle est on ne peut plus banale : après avoir déposé sa marque auprès des autorités russes, la multinationale avait oublié de l’utiliser dans les 3 années suivantes (en ouvrant des établissements par exemple), ce qui entraîne là-bas une déchéance quasi-automatique de l’enregistrement réalisé.

Sitôt les 3 années passées, le plus célèbre brand squatter moscovite ne s’était pas fait prier pour déposer de nouveau la marque Starbucks, mais cette fois en son nom… Escomptant de copieux bénéfices à la revente, Sergei Zuykov en fut in fine pour ses frais, car Starbucks récupéra ses billes sur le tapis vert judiciaire à l’automne 2005. Ce squatter audacieux, croyez-le ou pas, est maintenant « rangé des bagnoles » et devenu avocat en propriété industrielle. Et après s’être séparé de l’imposant portefeuille de marques qu’il détenait, il conseille aujourd’hui de grandes entreprises internationales (dont Starbucks !) contre le parasitisme commercial.

> Faute de ressources financières, Mourad Bdai vient quant à lui de perdre la marque qu’il avait déposée et qui le faisait vivre depuis près de 17 ans : « Allez les bleus ». Seul détenteur de la marque depuis que lui était venue l’idée de déposer ce slogan à l’INPI en 1997, le chef d’entreprise originaire de Vénissieux a du céder à une Xième offensive judiciaire, coordonnée par Comité national olympique et sportif français (CNOSF). A croire que Mourad Bdai en avait le pressentiment, lui qui avait déjà résisté à 5 ans de procédures et 3 procès (entre 2001 et 2006) contre la Fédération Française de Football, qui souhaitait déjà récupérer la marque pour son compte.

Entre-temps, il aura plutôt bien vécu, « avec un modeste salaire de cadre » à l’entendre (bien davantage d’après la FFF et le CNOSF), provenant de la commercialisation des produits dérivés et de la négociation des droits du slogan avec les partenaires des différentes équipes de France. Un business plutôt rentable, à vrai dire, même si un certain nombre d’entreprises étaient rebutées à l’idée de négocier de tels droits avec une société et un interlocuteur n’ayant pas grand chose à voir avec le mouvement sportif.

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Miné par les frais de procédures et plutôt beau joueur, Mourad Bdai n’hésite pas à reconnaître la récente victoire du CNOSF. Mais il ne s’avoue pas tout à fait vaincu. Si le Comité olympique a désormais récupéré les droits sur la marque Allez les bleus, « il existe encore un infime espoir de faire appel », explique-t-il à qui veut l’entendre. Et dans une telle éventualité, il espère toujours qu’un chevalier blanc financier se joindra à lui pour l’aider récupérer « son bébé »…

2 – Les chanceux et les brand squatters dilettantes 

Dans la catégorie des chanceux, l’histoire d’Ababacar Diop et des ses compères Jean d’Euderville et Loïc Audrain fait un peu figure de conte de fées. Souvenez-vous : c’était du temps de la splendeur de Vivendi et de Jean-Marie Messier. A l’époque, 3 copains s’associent pour lancer un cyber-café, juste en face de l’église Saint-Bernard à Paris. Une adresse symbolique puisque le jeune ingénieur de la bande (A. Diop) n’est autre que l’ancien leader des sans-papiers. Tous trois déposent la marque « vis@vis, visiophonie publique » auprès de l’INPI, le 1er octobre 1999, pour baptiser leur nouvelle entreprise. A peine quelques mois plus tard, alors que le pétulent groupe Vivendi s’apprête à lancer son portail wap Vizzavi, ses équipes juridiques se rendent compte avec effroi que la petite marque vis@vis pourrait bien leur poser quelques problèmes d’antériorité…

Pas très regardant à la dépense et très pressé de lancer son portail, Jean-Marie Messier donne son feu vert pour entrer en négociation avec les jeunes entrepreneurs, qui se voient proposer 24 millions de francs (8 millions chacun !) pour céder leurs droits sur la marque vis@vis. Evidemment, la petite histoire dit que les 3 copains acceptèrent le pactole. Et croyant à peine à leur chance, chacun repartit de son côté, profitant ce cette manne à sa façon.

Plus récemment, c’est le gamer Krasimir Ivanov qui a fait parler de lui. Ce Britannique, fan de foot, n’a rien trouvé de mieux que de réserver, pour 9 euros seulement, les noms de domaine « XboxOne.com » et « XboxOne.net », quelques mois à peine avant la sortie de la console… Dans son cas, contrairement à la mésaventure survenue à Ababacar Diop et ses amis, la volonté de parasitisme était assez manifeste. Raison pour laquelle Microsoft a gagné assez facilement sa bataille juridique pour recouvrer les noms de domaine qui lui avaient été ravis. Le plus souvent, il arrive que les petits malins ne retirent pas grand chose de leurs initiatives, à part des déconvenues et frais de justice, ce qui a tout de même le don, espérons-le en tout cas, de doucher quelques enthousiasmes…

3 – Les petits génies du domain name grabbing et du typosquatting   

J’imagine l’étonnement de certains de mes lecteurs, à la découverte de mon tableau ci-dessous des « 10 inconnus qui ont fait fortune sur le dos des marques » ...En effet, pour ceux qui les admirent, pas forcément évident de comprendre ce que viennent faire dans ma liste de brand squatters les Franck SchillingKevin HamYun YeGarry Chernoff et autres Scott Day.

De fait, ces petits génies d’Internet, dont la plupart ont commencé leurs activités il y a au moins 15 ans et sont assis aujourd’hui sur de véritables montagnes d’or (pas seulement virtuelles !), sont invités comme des stars dans les conférences internationales pour faire part de leur expertise et de leurs lumières en matière digitale. Sans que cela ne choque vraiment personne.

Pourtant, qu’on me l’accorde : ces domainers (pros de l’achat de noms de domaine) ont certes gagné une bonne partie de leur fortune en déposant des URLs dont il ont eu le pressentiment qu’elles deviendraient célèbres (Watermelons.com pour Scott Day, agriculteur devenu une pointure de l’achat et du commerce de noms de domaines ; Netincome.com pour Garry Chernoff ; Greeting.com pour Kevin Ham, etc), mais une autre partie non négligeable de leurs fortunes provient directement du cybersquatting et du typosquatting

Simon Legouge

Pour les non-initiés, le cybersquatting ou domain name grabbing (encore appelé « accaparement de noms de domaine »), consiste à faire enregistrer un nom de domaine dans le seul but de bloquer toute attribution ultérieure de ce nom au profit de son titulaire naturel afin d’obtenir auprès de celui-ci un avantage financier en échange de la rétrocession du nom ainsi détourné.

Le typosquatting n’est pas différent dans ses motivations. A l’image du nom de domaine greeting.com acheté 350 000 dollars par Kevin Ham il y a quelques années, il s’agit de déposer une ou toute les URLs les plus proches typographiquement d’une URL connue (greetings.com en l’occurrence) pour capter le trafic de tous les internautes qui ne savent pas exactement écrire le nom en question ou qui font des erreurs de frappe. La volonté de parasitisme (vis-à-vis de marques connues notamment) s’est avérée particulièrement évidente. Et qu’on ne s’y trompe pas, c’est incontestablement un des ressorts du succès de ces pros du nommage, dont le métier est ensuite de revendre aux marques les noms de domaine que celles-ci ont eu l’imprudence de laisser échapper.

Propriétaires de dizaines voire de centaines de milliers de noms de domaine, ces filous en col blanc sont donc des maestros du brand squatting, qu’ils ont élevé au rang d’industrie, en automatisant leurs achats grâce à des programmes dédiés, comme Yun Ye et Franck Schilling ont rapidement su le faire.

glossaire

Dans tous les cas, leurs fortunes respectives sont estimées à des centaines de millions de dollars. Et comme on le voit dans mon tableau ci-dessous, Yun Ye est le premier à avoir su transformer cette manne virtuelle en jackpot en revendant dès 2004 son portefeuille de quelques 100 000 noms de domaines à la société Marchex… pour 164 millions de dollars !

C’est sans aucun doute ce genre de success stories qui attirent de plus en plus de candidats au pactole, comme Simon Legouge, ce Français de 28 ans domicilié en Thaïlande, auquel les médias ont consacré récemment de nombreux reportages (et qu’on voit ci-dessus dans son « bureau à ciel ouvert », situé dans le jardin avec piscine de son loft de Chiang Mai).

Dure dure, la vie de domainer… Mais retenons aussi 1) que seuls les plus doués arrivent à en vivre ; 2) que les textes de loi encadrent de plus en plus strictement le cybersquatting et le typosquatting ; 3) que « dilettantes » que je citais ci-dessus sont en réalité bien plus nombreux que les millionnaires cités ci-dessous ;-)

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Notes et définitions :

* Le « Domain Name Grabbing » ou « Cybersquatting » ou encore « accaparement de noms de domaine », consiste à faire enregistrer un nom de domaine dans le seul but de bloquer toute attribution ultérieure de ce nom au profit de son titulaire naturel afin d’obtenir auprès de celui-ci un avantage financier en échange de la rétrocession du nom ainsi détourné.

 

Crédit photos : 123RF, Forge de Laguiole, X, DR – Crédit infographie : TheBrandNewsBlog – 2015

5 bonnes raisons de vous intéresser à la « polarisation » de votre marque

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La semaine dernière, avec la leçon de branding de Mercedes Erra, j’évoquais l’opportunité pour les marques d’exprimer une « vision » sur le monde qui les entoure.

Que cette vision soit assez consensuelle (comme l’engagement de Danone pour la santé) ou plus militante (comme celle de Benetton notamment), l’adhésion des publics n’est pour autant jamais acquise. Et d’une marque à l’autre, quelle que soit la nature de ces engagements, force est de constater que la « cote d’amour » exprimée par les consommateurs peut varier de manière significative…

Adorées d’une partie du public et abhorrées par d’autres, certaines marques éminemment « clivantes », comme McDonald’s par exemple, suscitent des sentiments étonnamment forts et ambivalents. A contrario, les études démontrent que la perception de marques comme Intel semble beaucoup plus lisse et uniforme parmi les consommateurs.

C’est à la compréhension de ce phénomène et surtout aux façons de tirer le meilleur parti d’une marque clivante que les chercheurs Xueming Luo, Michael Wiles et Sascha Raithel¹ consacraient récemment un passionnant article², qui m’a inspiré ce billet.

… Où l’on découvre, contrairement aux idées reçues, pourquoi mesurer précisément la « polarisation » de sa marque et en cultiver les attributs clivants peut s’avérer une stratégie gagnante. Et comment, à défaut de disposer d’une marque « naturellement » clivante, de plus en plus de marketeurs cherchent à accentuer cette polarisation, pour susciter le buzz notamment, au prix de stratégies parfois risquées.

En quoi mesurer la « dispersion » ou la « polarisation » de votre marque est intéressant…

C’est en étudiant les cas de marques aux perceptions contrastées et de personnalités politiques controversées que des équipes marketing sont arrivées à ce constat : pour évaluer l’attitude de consommateurs ou d’électeurs dans de tels cas, des moyennes ou scores « nets » s’avèrent beaucoup moins riches et pertinents qu’une mesure de la « dispersion » des opinions exprimées.

En d’autres termes, comme on le comprend bien sur le tableau ci-dessous, il s’agit simplement, pour mesurer la « polarisation » éventuelle de la marque, de mettre en regard de manière directe les attitudes les plus extrêmes : la proportion « d’amoureux » de cette marque, versus la proportion de ses « détracteurs ». Plus les pourcentages de fans et d’adversaires de la marque sont élevés, plus la polarisation est forte.

Assez souvent, la dispersion des opinions exprimées s’avère peu significative ou nettement positive pour la marque (Intel, Fedex, et à moindre échelle Apple ou Microsoft³). Dans les cas de McDonald’s, Starbucks ou BP en revanche, on voit que les opinions sont très polarisées, avec beaucoup d’opinions négatives. Un constat à mettre en perspective et à creuser, évidemment, en analysant en premier lieu quelles sont les populations aux attitudes les plus négatives et leurs motivations.

LA POLARISATION DE QUELQUES MARQUES :

tableau

Mesurer régulièrement cette dispersion/polarisation des opinions exprimées par rapport à la marque revêt en résumé 5 avantages :

1 – Mieux connaître les attitudes et les comportements des consommateurs

=> « passer à côté » du caractère « clivant » d’une marque clivante peut exposer l’entreprise à de sérieuses désillusions, du point de vue de l’efficacité de ses actions marketing notamment, voire à un aveuglement stratégique préjudiciable ;

2 – Pouvoir suivre l’évolution des attitudes et des comportements de manière plus fine grâce à la mesure régulière de ce nouvel indicateur (la dispersion de la marque), et mieux juger des actions correctives ou des stratégies mises en place ;

3 – Mettre en œuvre une véritable stratégie de polarisation, soit en essayant de réduire la dispersion des opinions entre fans et adversaires, soit au contraire en jouant de la dispersion des opinions, voir en renforçant les attributs clivants (voir la suite de cet article) ;

=> compter dans son public des détracteurs peut être une bonne chose, car les différentes études de  X. Luo, M. Wiles et S. Raithel le prouvent : « certaines entreprises ont même dopé leurs ventes en augmentant le nombre de leurs détracteurs » ;

4 – Mieux adapter la communication vis-à-vis des « indécis » (cette fraction de la population étant parfois majoritaire, comme dans les cas des marques faiblement polarisées Acer, Air France ou Easy Jet) ;

5 – Mieux identifier les ambassadeurs et les opposants à la marque, pour pouvoir réagir plus rapidement et efficacement en cas de crise 2.0, via les réseaux sociaux en particulier.

Clivantes et fières de l’être…

Comme le prouvent le succès de McDonald’s et les exemples de nombreuses autres entreprises fortement « polarisées », être une marque modérément voire fortement clivante n’est pas nécessairement une mauvaise chose.

Si les études menées par Xueming Luo, Michael Wiles et Sascha Raithel sur la relation entre polarisation et performances boursières semblent indiquer que les marques les plus clivantes tendent à avoir de moins bons résultats que les autresles universitaires ont également pu démontrer que leur cours de Bourse enregistrait en général moins de variations.

De même, les success stories de marques fortement clivantes comme Miracle Whip (sauce à sandwich américaine, au goût sucré) qui ont su exploiter leur polarisation en termes de communiction le prouvent : il est tout à fait possible de doper ses ventes tout en augmentant, paradoxalement, le nombre de ses détracteurs…

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Les 5 stratégies pour tirer le meilleur parti de la polarisation de sa marque

> Plusieurs stratégies sont possibles en fonction du degré de cette polarisation… Ainsi, s’il apparaît que la dispersion de la marque est forte et que la marque est ASSEZ OU TRES CLIVANTE…

… la première stratégie possible consiste à apaiser les détracteurs : pour une marque connue et à forts enjeux réputationnels, en particulier, cette  option paraît souvent la plus simple et la moins risquée. Il s’agit de tout mettre en oeuvre pour essayer de faire changer d’avis une partie de ses détracteurs… En organisant par exemple, comme le firent à plusieurs reprises des entreprises comme EDF ou AREVA, des visites de sites sensibles réservées aux associations telles que Greenpeace, dans une volonté de dialogue et de transparence. Idem pour Coca Cola, marque relativement polarisante, dont la directrice marketing France nous expliquait il y a 15 jours les efforts entrepris depuis un an pour informer les jeunes sur la teneur en sucre de ses sodas, dans le cadre de campagnes de santé publique conçues et financées par la marque. Dans le cas de General Mills et de sa marque de préparations pour dessert Betty Crocker, accusée de favoriser l’obésité, il apparaît que le dispositif d’information et de dialogue mis en place à destination des détracteurs de la marque a permis d’en faire chuter la proportion de 4,5 à 2,8 % en 3 ans. Une baisse significative et un résultat bienvenu quand on sait qu’une poignée d’entre eux peut suffire à déclencher une crise 2.0 et à faire des ravages.

… la seconde stratégie, plus risquée, consiste à alimenter intentionnellement le désamour de ses détracteurs. Plus fréquemment utilisée qu’on ne le pense, notamment par les représentants de marques low-cost, c’est la ligne de conduite très clairement choisie par la compagnie aérienne Ryanair et son P-DG… mais également celle retenue par Xavier Niel et le trublion Free, au moment de l’introduction de son offre mobile notamment. Spécialiste de ces figures acrobatiques et hasardeuses en termes de réputation, mais payantes en termes de notoriété et de part de marché, Ryanair alimente régulièrement les critiques à l’encontre de ses services minimalistes à coups d’annonces tonitruantes de nouvelles suppressions d’équipements ou de services… dont la plupart s’avèrent être des canulars. On se souvient qu’en 2010, la compagnie low-cost avait annoncé qu’elle allait faire payer l’accès aux toilettes sur ses appareils, créer une section où les passagers seraient obligés de voyager debour et imposer aux passagers en surpoids une « taxe sur les gros ». De la pure provocation qui créa certes une forte émotion et un bad buzz (de plus), mais sans entamer les parts de marché de Ryanair, au contraire !

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…. la troisième stratégie vise à amplifier un ou les attributs clivants de la marque. Sur des marchés très concurrentiels, en particulier, il peut faire sens d’accentuer les points de différenciation de son offre, dans l’espoir de doper la loyauté de sa « tribu » d’inconditionnels (et donc son chiffre d’affaires). C’est ce que fit, en termes de communication, la marque Fisherman’s friend, avec la pub de sa petite pastille et son accroche mémorable « It’s a bit strong! ». Amusant, à ce titre, de lire sur ce forum les commentaires des premiers consommateurs français, tantôt séduits, tantôt dubitatifs, voire carrément hostiles : « Il y a plusieurs variétés, dont certaines qui arrachent vraiment » ; « En fait, moi je trouve que c’est très particulier! On aime ou on n aime pas! » ; « Merci du conseil mais moi rien que le nom me donne envie d’éviter ce produit »… Cette accentuation peut se traduire par la sortie de produits encore plus clivants ou au goût plus prononcé, comme la nouvelle gamme XO de la marque Marmite, déjà réputée pour le caractère « corsé » de ses condiments. Celle-ci a fait un carton plein avec ce lancement et un slogan qui résume bien l’approche : « On adore ou on déteste ».

> S’il s’avère que le / les produits ou la marque sont peu ou pas du tout clivants… il peut être également intéressant de rechercher la polarisation (pour se différencier de la concurrence) :

…. la quatrième stratégie vise donc à semer la zizanie sur un marché. Surtout pratiquée par des low costers et nombre de nouveaux entrants sur des marchés mâtures, elle vise à investir rapidement un segment de marché ou une niche, par le biais d’une polarisation sensée accélérer le développement et les ventes. Sur le marché très traditionnel du cidre, c’est le positionnement retenu par la marque irlandaise Magners, qui se démarqua de ses concurrentes en communicant sur le caractère « branché » et désaltérant de sa boisson, à boire l’été et glacée de préférence. Cette stratégie obligea les autres marques de cidre britannique à se repositionner, comme Strongbow, qui choisit dès 2009 de se repositionner sur un coeur de marché plus populaire, se détachant progressivement de la clientèle plus jeune sur laquelle elle était également positionnée. Moralité : la polarisation d’une marque entraîne souvent une segmentation accrue et, par rebond, la polarisation des concurrents (ou une stratégie de me-too product).

… cinquième et dernière stratégie : la polarisation par une pub provocatriceTout le monde n’est pas Ryanair, et à défaut d’être naturellement ou historiquement clivantes, des marques comme Darty ou Perrier (parmi d’autres) se sont lancées récemment sur ces sentiers peu balisés, voire sulfureux. En optant pour le machisme ou la gentille (voire moins gentille) provoc’ un peu lourdingue, la deuxième s’est fait récemment dézinguer pour une campagne pub d’un goût plus que douteux. Un vrai rappel à l’ordre pour tous les communicants et marketeurs tentés par la stratégie du « buzz à tout prix » et tentés d’oublier un peu vite « l’ADN » de leur propre marque. Pour se permettre de de telles transgressions, mieux vaut en effet avoir ses lettres de noblesse de trublion du marketing (cf Ryanair) ou plus simplement que la création reste de bon goût ou soit réalisée avec un minimum de talent. Un exercice que certaines marques feraient tout de même mieux d’éviter. N’EST PAS UN BAD BOY QUI VEUT ;-)

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Notes et légendes :

(1)  Xueming Luo est professeur de marketing à Temple University et professeur honoraire à Fudan University ; Michael Wiles est maître-assistant de marketing à Arizona State University ; et Sascha Raithel est maître-assistant à l’Université Ludwig Maximilian de Munich.

(2) « Marketing : tirer le meilleur parti d’une marque clivante », par Xueming Luo, Michael Wiles et Sascha Raithel – Harvard Business Review, décembre 2014 – janvier 2015.

(3) Dans le cas précis d’Amazon, marque considérée la moins clivante d’après l’étude Yougov Brandindex, il est à noter que les données de l’étude datent a priori d’une période antérieure aux problèmes de réputation que connaît Amazon depuis le printemps 2014 (conflit avec Hachette et les éditeurs, en particulier). A ce titre, il serait intéressant de pouvoir disposer des résultats de la prochaine enquête… Où l’on constaterait sans doute à quel point les données concernant la dispersion et la polarisation d’une marque peuvent évoluer rapidement, rendant nécessaire la mise en oeuvre d’une nouvelle stratégie.

 

Crédits photos et illustrations : Yougov, BrandNewsBlog, X, DR

Les fans des marques sont-ils réacs ?

Souvenez-vous, c’était il y a tout juste un an… Conseillée par les équipes digitales de Kids Love Jetlag, la marque Carambar avait suscité un vif émoi en annonçant la suppression de ses célèbres blagues et leur remplacement par des questions ludo-éducatives. Coup de tonnerre : outre les 950 mentions et retombées presse recueillies sur le sujet en quelques jours, les fans de la marque s’étaient immédiatement mobilisés sur les réseaux sociaux. Le bad buzz qu’ils provoquèrent obligea les équipes de Carambar à anticiper d’une semaine la révélation de leur « poisson d’avril ».

Il n’y a pas si longtemps, Malabar avait créé une levée de bouclier similaire, en remplaçant sa mascotte fétiche par un vulgaire renard… Une faute de goût impardonnable aux yeux des adeptes du chewing-gum gonflé. Non moins étonnantes, les mobilisations des fans de Gap ou de Starbucks, à l’occasion de changements de logo, constituent d’autres exemples de réactions épidermiques et à grande échelle via les réseaux sociaux… Dans ces 3 derniers cas, les marques concernées ont fini par céder sous la pression et ajourner ou annuler leurs projets.

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Alors, réactions isolées ou prise de pouvoir des « brand-réactionnaires » ? A l’heure où les entreprises les plus actives sur les réseaux sociaux rivalisent d’audace pour développer une relation affinitaire avec leurs fans et convertir leur engagement en achats, il faut bien admettre que les attitudes et comportements des internautes vis-à-vis des marques demeurent en partie imprévisibles. Les phénomènes collectifs de buzz, en particulier, continuent de nourrir craintes et fantasmes.

Les marques doivent-elles pour autant se méfier de leurs propres fans ? C’est la question à laquelle le BrandNewsBlog vous propose de répondre aujourd’hui…

> Fans des marques : des publics aux motivations hétérogènes

La notion même de « fan » de marque a connu un réel développement avec l’essor des réseaux sociaux. En France, on estime ainsi que 38 % des utilisateurs de ces réseaux suivent au moins une marque aujourd’hui, et 50 % d’entre eux plus de 5 marques (étude Social Media Attitude 2013 du SNCD).

Pour la plupart de ces internautes, leurs motivations demeurent essentiellement pragmatiques. 71% d’entre eux indiquent suivre une marque « par attachement ». Les motivations suivantes sont « l’intérêt des informations et des contenus » (47 %) ou « l’attrait d’un concours » (36 %). En ce qui concerne leurs attentes, la « recherche de réductions commerciales » (86%) et « l’envie de donner son avis » (83%) prédominent… Sortis de ces grandes lignes, les attitudes et comportements des fans/amis/followers vis-à-vis des marques semblent difficilement prévisibles et varient d’un public à l’autre.

A ce sujet, le travail de « typologie des fans basée sur leur relation à la marque », publié par Agnès Helme-Guizon et Fanny Magnoni, de l’IAE de Grenoble, est néanmoins particulièrement éclairant*. En se fondant sur une méthodologie d’enquête essentiellement qualitative, les deux universitaires ont pu identifier cinq profils de fans sur Facebook, selon la nature de leur relation à leur marque favorite. Pour la majorité de ces profils (fans «passifs», «délaissés» et «fun»), ils cultivent une relation affective et «ambivalente» aux marques. Moins pragmatiques que les deux autres catégories identifiées (fans «intéressés» et fans «modèles»), ils sont les plus susceptibles d’interagir négativement en publiant des commentaires désapprobateurs par exemple.

Par hypothèse, on peut donc supposer que ce sont plutôt de ces 3 catégories que viennent les fans les plus réactifs. Ceux qui s’investiront et se mobiliseront le plus facilement aux côtés de la marque, ou pour lui faire barrage en cas de désaccord, s’ils s’estiment « mis à l’écart » par exemple.

> Des internautes plus nostalgiques et « réactifs » que réactionnaires… 

A y regarder d’un peu plus près, néanmoins, une bonne part des mobilisations évoquées ci-dessus jouent sur un même levier : celui de la nostalgie. L’exemple du « poisson d’avril » de Carambar est à cet égard symptomatique. Que la marque ait choisi, pour créer le buzz, de provoquer ses plus fidèles adeptes en annonçant la suppression de ses blagues, ne relève d’aucun hasard. La nostalgie, en matière de marketing, demeure un ressort puissant et efficace. Et un facteur de mobilisation garanti, sur la cible des trentenaires et quadragénaires les plus connectés en particulier.

Dans ce secteur de la confiserie (dont Malabar fait également partie), comme celui des jeux ou des marques de luxe, on sait combien l’investissement symbolique dans la marque peut être important. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le client / fan se montre particulièrement réactif si on touche imprudemment à la marque fétiche de ses jeunes années ou à ses marques de référence.

De même, l’implication et la réactivité des fans vis-à-vis des initiatives des marques est un corollaire évident et éminemment positif du développement du web 2.0. On le sait, rien n’échappe désormais à la vigilance du « cyber-consom’acteur », hyper-connecté et surinformé. Et c’est aux marques d’en tenir compte, en premier lieu. A celles qui n’investissent les médias sociaux que dans des objectifs d’image et de notoriété (voir ici la dernière étude à ce sujet diffusée par Mashable), l’avertissement est renouvelé. La « réactivité » des fans et des consommateurs face aux écarts de conduite des marques est de plus en plus forte. En témoignent par exemple les déboires récents d’Adidas dont deux tee-shirts faisaient incidemment la promotion du tourisme sexuel pour la prochaine Coupe du monde de football au Brésil… Une opération navrante aussi bien sur le fond que sur la forme.

> Un chemin vertueux pour éviter les faux pas : convertir les « fans » en véritables ambassadeurs de marque

S’il ne faut pas exagérer la portée et le nombre des bad buzz déclenchés par des fans aux dépens de leurs marques favorites, Agnès Helme-Guizon et Fanny Magnoni ont bien relevé durant leur enquête le « désir de puissance » exprimé par leurs interlocuteurs. Celui-ci se traduit par un « souhait d’emprise sur la marque, de contrôle et d’influence », que les fans considèrent implicitement comme une contrepartie de leur engagement et de leur loyauté.

Ainsi, plutôt que de mesurer le ROI de leur présence digitale à l’aune de leur nombre de fans et de likes, les marques seraient bien inspirées de consulter davantage leurs fans et de les associer à leurs démarches marketing et à leur veille. En les écoutant davantage et en les reconnaissant, celles-ci pourront les fidéliser, susciter davantage l’achat, mais surtout en faire de véritables prescripteurs auprès de leurs pairs… Un chemin « vertueux » que peu de marques empruntent encore à ce jour.

 

Les marques sont mes amies sur Facebook : vers une typologie de fans basée sur la relation à la marque et le sentiment d’appartenance, de Agnès Helme-Guizon et Fanny Magnoni – Numéro 243 de la Revue Française du Marketing de l’Adetem.

(Crédit photo : 4ever.eu / TheBrandNewsBlog)

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