Marque corporate, marque commerciale, marque employeur: et si on arrêtait enfin de travailler en silos ?

A l’heure de l’intelligence artificielle, de la transformation des entreprises et des organisations « agiles », le modèle traditionnel de gestion des marques est-il encore adapté et peut-il perdurer ? 

Je l’écrivais dans les colonnes de ce blog il y a déjà un moment et cette conviction n’a fait que se renforcer depuis : pour moi, la réponse est évidemment « non ».

Sur le papier, tous les services intervenant sur la/les marques au sein d’une entreprise devraient en effet travailler ensemble et dans la même direction. Dans les faits, le poids de l’histoire, les objectifs intrinsèquement différents poursuivis par chacun des acteurs – sans parler de certains réflexes de défense de territoire – laissent encore entrevoir une réalité assez différente…

Et ce sont hélas des fonctionnements « en silos » qui continuent le plus souvent de prédominer, au détriment d’une vision globale des attentes des clients, des collaborateurs, des partenaires ou des candidats.

Marque corporate, marque commerciale, marque employeur - TheBrandNewsBlog

Pourtant, on ne peut pas dire que les experts aient ménagé leur temps ni leur efforts pédagogiques pour nous prévenir contre les dangers d’un manque de coordination… Et dans leur excellent ouvrage collectif très justement intitulé Management transversal de la marque*, publié dès 2013 et coordonné par Géraldine Michel, les différents contributeurs nous exhortaient déjà à décloisonner d’urgence le brand management.

Au-delà d’une coordination accrue entre les responsables directement en charge des différentes dimensions de la marque (corporate, commerciale, marque employeur…) et à la faveur des transformations en cours au sein de la plupart des entreprises, l’opportunité est en effet plus belle que jamais de fédérer les acteurs de l’entreprise autour de valeurs et d’objectifs communs. D’autant que ce décloisonnement est porteur d’innovation et contribue directement à la pérennité des entreprises !

Considérez donc mon article du jour comme un énième appel à la cohérence et à la coordination, en espérant que les arguments que j’y développe, aussi évidents puissent-ils paraître, fassent enfin mouche auprès de celles et ceux qui ne seraient pas déjà convaincus…

Une perception tronquée des attentes des clients, des candidats… et des autres parties prenantes

C’est un constat régulièrement dressé (mais trop rarement pris en compte à mon avis) : les entreprises ont souvent une perception imparfaite de leurs parties prenantes. Comme par un « jeu de miroirs brisés », le prisme actuel de la gestion de marque (toujours morcelée entre marque corporate/marque commerciale/et marque employeur) renvoie à chacun dans l’entreprise une image incomplète de son environnement.

Dans cette vision tronquée, le client est encore assis bien sagement aux côtés du candidat, lui même distinct du journaliste, du salarié et de l’actionnaire…

Pourtant, dans le monde réel, nous savons bien qu’un client peut se retrouver demain en situation de postuler à une offre d’emploi de l’entreprise ; le journaliste peut être l’ami ou le conjoint d’une de vos collaboratrices ; le prospect ou le salarié figurer parmi vos plus gros actionnaires, etc.

Mais tout se passe comme si une majorité d’acteurs dans l’entreprise – à l’exception des directions de la communication qui ont pour la plupart déjà compris cette notion de porosité des publics – feignait encore de ne pas percevoir la totalité du paysage, nécessairement complexe.

On comprend dès lors à quel point les organisations en silos peuvent être inadaptées à saisir la globalité des attentes de leurs cibles. Et cette « myopie » ne date pas d’hier, puisqu’elle est en premier lieu un héritage de l’histoire…

Une gestion de la marque qui s’est complexifiée et « diluée » au fil des décennies

Fabienne Berger-Rémy et Marie-Eve Laporte le rappelaient déjà dans le chapitre qu’elles consacraient à « la marque, levier stratégique de l’entreprise » * : l’organisation et les méthodes de gestion des marques commerciales encore en vigueur dans la plupart des entreprises aujourd’hui découlent de recommandations formulées il y a plus de 80 ans (!)

C’est en effet par le biais d’un mémo, rédigé le 13 mai 1931 à l’attention du président de Procter & Gamble USA, que Neil McElroy posa les bases du brand management system. Un ensemble de principes dont le plus important stipulait que « chaque marque doit avoir ses propres managers et assistants dédiés à la communication publicitaire et à l’ensemble des activités marketing ». De fait, depuis ce « McElroy Memo », la gestion des marques produits n’a cessé de se sophistiquer. Le recrutement de chefs de produits en charge du management et de la performance des marques s’est encore accéléré depuis les années 70 et 80, accentuant dans les esprits l’association de la marque et du marketing.

Pourtant, et c’est bien ce que déplorent Fabienne Berger-Rémy et Marie-Eve Laporte, cette « intrumentalisation » de la marque a largement contribué à diluer son rôle stratégique. D’une préoccupation quotidienne des dirigeants, engageant leur responsabilité personnelle, le brand management est devenu un domaine de plus en plus technique, géré par des managers de moins en moins expérimentés et décisionnaires…

Des considérations historiques différentes sont à l’origine de la naissance et du développement de la marque employeur, à partir de la fin des années 90. Outre la nécessité perçue par les entreprises de mettre en place une communication spécifique à l’attention des candidats et des collaborateurs internes, il faut se souvenir qu’il s’est aussi agi à l’époque, pour un certain nombre de DRH, de renforcer leurs prérogatives et d’élargir leur périmètre d’action en se dotant de ressources et d’équipes ne dépendant pas des directions communication (en le disant ainsi, je suis conscient de pouvoir heurter. Mais je me souviens très bien de mes échanges d’alors avec un certain nombre de DRH, pour avoir eu la chance de participer au lancement en France du concept de marque employeur, au sein de l’agence Guillaume Tell**).

Les pistes pour décloisonner le brand management au sein de l’entreprise

On le voit, si les considérations historiques expliquent la stratification et l’empilement des systèmes de gestion de marque, les médias sociaux et la porosité croissante des publics réclament évidemment aujourd’hui une gestion décloisonnée et transversale de la marque.

Qui plus est, les prochains défis de l’intelligence artificielle et la nécessité de partager la data au sein de l’entreprise, pour obtenir enfin une vision exhaustive et actualisée des besoins des différentes parties prenantes et leur répondre de manière personnalisée, se font aussi de plus en plus pressants…

Alors que penser, dans ce contexte, de ces trop nombreuses entreprises qui, adulées par leurs clients, continuent dans le même temps d’être décriées par leurs salariés sur les réseaux sociaux (Amazon est un exemple récurrent mais il en existe bien d’autres) ? N’est-il pas prévisible qu’au-delà de leur marque employeur, leur image globale et leur performance en soient tôt ou tard affectées ?

De même, comment peut-on soutenir qu’une crise (comme l’affaire Kerviel à la Société Générale ou les suicides des salariés chez Orange il y a quelques années) n’aura pas de répercussion sur l’image et la marque « globales » de l’entreprise ? Seul les partisans les plus acharnés d’une gestion en silo de la marque (mais il en reste hélas dans toutes les entreprises) oseront dire « que cela ne pose pas forcément de problème du point de vue de la marque employeur »…

C’est donc une conviction que je partage depuis plusieurs années avec les auteurs du Management transversal de la marque : il est plus que jamais indispensable aujourd’hui de diffuser dans toute l’entreprise une culture partagée de la marque… et de la (re)penser comme un outil stratégique !

Comme l’écrit Géraldine Michel : « une marque utile pour l’organisation n’est pas uniquement celle qui identifie et différencie l’offre sur le marché. C’est aussi celle qui permet de fédérer, de faire partager une même vision stratégique de l’entreprise, donc en interne. C’est d’ailleurs bien souvent la réflexion sur la marque qui initie et oriente la stratégie globale d’une organisation, en provoquant une interrogation sur des concepts fondamentaux tels que le métier, les valeurs, la mission ou les territoires de marque, qui orientent tout le développement de l’entreprise. »

Développer l’identité de marque de façon dynamique ; au-delà de la diffusion d’une simple « plateforme de marque », mettre en place une structure transversale de management (comme une « direction de la marque ») en support de tous les autres départements ; évaluer régulièrement le capital et l’apport de la marque non seulement sur les plans financier et concurrentiel, mais aussi du point de vue du capital-humain et de son apport pour les collaborateurs sont de premières pistes pour le déploiement de cette conception transversale et plus équilibrée de la marque.

Cela passe évidemment au départ par l’identification du « noyau central de la marque » et la formalisation de son territoire. Cela passe aussi, assurément, par l’implication de tous les acteurs de l’entreprise et la consolidation des actions à mettre en œuvre par chacun pour animer et faire vivre cette marque. Promouvoir un véritable management des hommes par la marque (s’appuyer notamment sur des « champions de la marque » en interne) ;  mobiliser toutes les énergies dans l’objectif de faire des parties prenantes de l’entreprise de véritables « ambassadeurs de la marque » dans le cadre de politiques d’advocacy sont encore des objectifs ambitieux pour de nombreuses entreprises… mais il s’agit de défis motivants pour tous !

A ces conditions seulement, on pourra bientôt parler « d’une vision globale, plus intégrée et transversale de la marque » qu’elle ne l’est aujourd’hui dans la plupart des organisations…

 

Pour en savoir plus :

* Management transversal de la marque – Editions Dunod, septembre 2013.

** Didier Pitelet, aujourd’hui Directeur général du groupe Moon’s Factory, revendique (à raison) le titre de créateur du concept de marque employeur. Il publia en effet dès la fin des années 90 les premiers ouvrages sur la question.

 

Crédit iconographique :

« Status quo » est une peinture à l’huile de Lily Stockman (merci à elle)

Trackbacks

  1. […] Il ne devrait pas y avoir de différences entre marque corporate, commerciale et employeur. Elles se façonnent autour des mêmes valeurs, de la même culture et des mêmes ambitions. C’est ça, ce que l’on appelle la « vision globale ».  Hervé Monier invite à décloisonner d’urgence le brand management. […]

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