Les séniors, des super-consommateurs au potentiel encore sous-exploité par les marques

Ruth81

Faut-il y voir un aveuglement coupable des entreprises, un dégât collatéral du « jeunisme », le signe d’un désintérêt manifeste pour la silver economy ou bien le poids des habitudes ?… Malgré les louables efforts d’évangélisation de quelques agences spécialisées et les démarches exemplaires de certaines marques, les plus de 50 ans* demeurent les grands oubliés de la plupart des stratégies et plans marketing, en particulier dans l’hexagone.

Un « angle mort » d’autant plus incompréhensible que la démographie et toutes les études le prouvent : non seulement la population des séniors est appelée à croître dans les pays développés et dans certains pays en voie de développement (Chine…), mais leur pouvoir d’achat et leur appétit pour les marques en font des cibles de choix, que les professionnels auraient tout intérêt à mieux connaître et à choyer !

A la lumière de plusieurs études, dont celles récemment menées par Nielsen** ou par Mediacom pour le groupe Bayard presse***, le BrandNewsBlog revient sur les enjeux, les grandes segmentations et « typologies » de séniors ainsi que sur leurs attentes vis-à-vis des marques. Je vous propose en guise de conclusion mes « 10 conseils aux marques pour partir à la conquête des séniors », synthèse des recommandations de la plupart des experts dont je cite par ailleurs les sources en pied d’article. 

Les séniors, un remède à la crise économique ?

Les chiffres sont abondants et éloquents : représentant quelques 23 millions de personnes en France (36% la population / contre 50% aux Etats-Unis d’ici 2017 !), les plus de 50 ans ont un pouvoir d’achat supérieur de 38% à celui des autres générations.

On estime qu’ils génèrent 50% des ventes de produits de grande consommation et dépensent 40% de plus que les moins de 45 ans pour leur alimentation quotidienne. Ils portent également de manière prépondérante des marchés aussi importants que la santé, les voyages, le tourisme, les loisirs, le thermalisme, l’automobile, l’épargne, les associations caritatives, les soins anti-âge…

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Sur le web, même combat. Le cliché qui veut que les séniors ne sachent pas se dépatouiller avec un ordinateur est aujourd’hui largement galvaudé. Et leur niveau global d’utilisation d’Internet, des sites marchands et des réseaux sociaux se rapproche de plus en plus (voire dépasse) celui des autres générations (hormis pour les plus de 75 ans). De fait, il en va des séniors comme des autres générations : les disparités d’usage peuvent s’avérer très importantes d’une classe d’âge à une autre et d’un individu à un autre.

On estime néanmoins (source Nielsen) que les consommateurs de plus de 50 ans dépenseraient d’ores et déjà plus de 7 milliards de dollars en ligne, particulièrement dans les voyages et dans l’achat d’appareils technologiques. Disposant souvent de davantage de temps et de revenus que les autres générations (les seuls « baby boomers » représenteraient 70% des revenus disponibles aux Etats-Unis d’après le Nielsen Boomers Report), les silver surfers**** sont devenus une cible prioritaire pour un certain nombre de voyagistes en ligne et de sites marchands comme celui d’Amazon. Mais toutes les marques ne semblent pas avoir saisi les opportunités de la silver economy comme les nouveaux e-commerçants…

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Les plus de 50 ans encore insuffisamment ciblés et pris en compte… 

Dans sa dernière enquête annuelle sur le moral des consommateurs, menée auprès de 30 000 consommateurs de 60 pays différents, Nielsen pointe les lacunes des marques dans leur approche des séniors. Une majorité des répondants de plus de 50 ans souligne en effet ne jamais recevoir de publicité ou de promotion spécifique à leurs besoins. De manière générale, ils sont nombreux à regretter que les produits et le marketing ne soient pas suffisamment conçus en intégrant leurs contraintes.

Plus de la moitié d’entre eux affirment ainsi qu’il leur est difficile de trouver des étiquettes faciles à lire dans les magasins. 43% estiment avoir du mal à trouver des emballages faciles à ouvrir. Plus de 4 sur 10 ne trouvent pas d’aliments qui répondent à des régimes alimentaires particuliers (45%) ou qui offrent des petites portions individuelles (44%). Les séniors interrogés disent également éprouver des difficultés dans la recherche de services adaptés à leurs besoins spécifiques en matière de logement (46%), de transport (44%), de finance (44%) ou d’assurance (39%), ou encore pour la livraison de leur repas (36%).

De même, les personnes de plus de 50 ans interrogées par Nielsen estiment que les magasins n’offrent pas suffisamment de rayons dédiés aux produits dont les séniors ont besoin (34%), ne sont pas suffisamment équipés de bancs pour s’asseoir (29%) ou de toilettes pour les handicapés (23%), etc.

Et même si la prise en compte des séniors varie selon les marques et selon les continents, semble-t-il (l’Asie-Pacifique et le Moyen-Orient arrivant en tête des continent qui s’adaptent le mieux à cette clientèle, devant l’Amérique du Nord, puis l’Europe et les pays latino-américains en queue de peloton), des améliorations gagneraient à être réalisées quasiment partout, en termes de lisibilité et d’accessibilité tout d’abord. « Les améliorations telles que l’utilisation de caractères plus grands sur les étiquettes et les affiches, une mise en place des produits pour une meilleure accessibilité, et un service accueillant peuvent être des réels atouts pour fidéliser la clientèle» résume ainsi Todd Hale, vice-président Consumer & Shopper Insights de Nielsen.

En France, les méfaits du jeunisme et des clichés sur les « vieux »…

Peut-on parler d’un tabou bien français ? Dans notre pays plus qu’ailleurs, les marques rechignent souvent à associer leur image à celle des plus de 50 ans, de peur de la dévaloriser… Directrice du département consommation au Crédoc, Pascal Hébel n’hésite pas à évoquer ce véritable diktat jeuniste : « Nous sommes vraiment dans une culture du jeunisme. Il est difficile de mettre en avant les seniors car il y a un frein culturel ». Cette difficulté se reflète bien dans les publicités, les créatifs et les marques ayant beaucoup de mal à mettre en scène des personnes d’âge mûr dans leurs campagnes, d’autant que l’image n’en est pas encore acceptée par les séniors eux-mêmes ! On n’hésite donc pas à utiliser des égéries ou des mannequins nettement plus jeunes que la cible et sensés leur renvoyer une image valorisante d’eux-même. A l’exception de quelques marques emblématiques et « trangénérationnelles » qui acceptent de jouer le jeu des séniors, telles que Marks et Spencer, Apple, Ikea ou Evian (cf les visages de sa campagne Live young par exemple)…

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Comportements de consommation des séniors : une première segmentation en fonction de l’âge…

Directrice générale associée de Senior Agency, Frédérique Aribaud recommande de ne pas succomber à la tentation de mettre tous les séniors dans le même panier. Et la première segmentation qui vient à l’esprit quand on évoque cette cible est naturellement celle de l’âge. « On ne s’adressera pas de la même manière à une personne de 50 ans et à une personne de 75 ans, ils n’ont pas les mêmes besoins, les mêmes envies, les mêmes références, les mêmes corps, et ils ne consomment pas les médias de la même manière.« 

Sur les 23 millions de séniors que compte aujourd’hui la France, on peut ainsi distinguer 3 tranches d’âge aux comportements assez distincts, d’après l’Institut français des séniors :

  1. Les baby-boomers (de 50 à 64 ans), soit 12 millions de personnes. Tranche d’âge la plus nombreuse, la plus aisée et la plus entreprenante, elle fait l’objet de toutes les convoitises des marques, en particulier aux Etats-Unis. L’Institut français des séniors la décrit ainsi : « C’est l’âge de l’essentiel, où l’on veut vivre selon ses besoins profonds et satisfaire ses envies, ce qui conduit parfois à des changements de vie importants. Ce sont les plus aisés parmi les seniors et les plus disposés à dépenser car ils sont plus cigales que fourmis. Très attachés à l’image et à la qualité des marques, ce sont des consommateurs exigeants mais généreux »
  2. Les retraités actifs (de 65 à 75 ans), soit 5 millions de personnes. « Vivant majoritairement en couple, souvent animés d’un fort esprit citoyen et de l’envie de rester intégrés dans la société, ils veulent continuer à exercer leurs compétences. Comme dans les conseils municipaux et les associations caritatives (1 retraité sur 2 est membre d’une association). Ou encore en ayant une nouvelle activité professionnelle à temps partiel quelques années. Moins contraints par le temps que leurs cadets, ils partagent parfois leur vie entre deux domiciles, investissent dans leurs maisons, et structurent leur agenda autour de celui de leurs nombreux petits enfants, dont ils s’occupent beaucoup, par plaisir et pour aider leurs enfants »
  3. Les anciens sages (+ de 75 ans), soit 5 millions de personnes. Population majoritairement féminine, vivant seule, elle représente les clients les plus fidèles des entreprises de services et des commerces de proximité. « Après 80 ans, la question de leur logement se pose et c’est avec leurs enfants qu’ils vont en décider. Seulement 600 000 seniors vivent en maisons de retraite et beaucoup cherchent des alternatives. La France compte 1 million de personnes dépendantes et les familles s’organisent pour permettre le maintien à domicile » écrit à leur sujet l’Institut Français des Seniors.

Une approche intéressante : les 5 typologies de séniors proposées par Mediacom et leurs attentes vis-à-vis des marques

Tous les spécialistes s’accordent à le reconnaître : la segmentation par tranche d’âge est insuffisante pour décrire et expliquer les comportements de consommation des séniors, car l’âge n’explique pas tout, bien entendu.

Un des premiers facteurs de dispersion des comportements, qui rend la cible des plus de 50 ans si difficile à cerner est à « marketer » est la différence entre l’âge réel et l’âge ressenti par les invidus. Ce phénomène ou « biais » est bien connu des professionnels des études : à partir d’un certain âge, chacun a tendance à se considérer comme plus jeune qu’il n’est en réalité. Et le décalage de cette « représentation mentale » par rapport à l’âge réel va croissant après 50 ans, comme le montre bien le tableau ci-dessous… A ce titre, les comportements d’achat d’un retraité actif de plus de 65 ans peuvent s’avérer assez proches des générations ultérieures.

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C’est une des raisons pour laquelle, dans la foulée de son étude « Go Old : la retraite, un nouveau départ », menée auprès de 15 000 Français de plus de 50 ans, l’institut d’études Mediacom propose une typologie des séniors fondée sur leurs attitudes et leurs comportements (notamment vis-à-vis des marques), plutôt que sur des considérations d’âge ou socio-économiques.

Mediacom distingue ainsi 5 catégories distinctes de séniors :

  1. Le « patriarche », qui « vit ses vieux jours dans la notion de valeurs, de devoir, presque d’abnégation, est souvent investi dans le milieu associatif ». Sa relation aux marques est généralement assez riche : le patriarche étant plutôt client de marques premium et au fort patrimoine culturel ;
  2. « L’archétype », qui se range plutôt dans la catégorie des « mamies confiture ». « Fondu de jardinage, de belote et gaga de ses petits-enfants », sa consommation de média est très classique, privilégiant la télévision et la presse. Ses marques favorites sont en général des blockbusters ayant su adapter leur marketing à la cible sénior (cf tableau synthétique ci-dessous).
  3. « L’hédoniste » se range quant à lui dans la catégorie des bons-vivants avides de profiter de leur retraites et très connectés. Fan de marques et de contenus à valeur ajoutée, aspirationnels et stimulants, ce sénior refuse par dessus tout d’être traité comme un vieux.
  4. « L’exalté » qui joue volontiers les prolongations de sa vie active et se trouve toujours débordé. Fan de technologies et de marques référentes comme Apple, c’est un silver surfer intéressé et compétent.
  5. « Le fataliste » vit quant à lui avec angoisse son inactivité et son âge. Frileux, il souhaite avant tout consommer des marques rassurantes et bien connues

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En guise de conclusion : quelques conseils d’experts pour marques ambitieuses…

Complexe, de par le spectre très large des âges et situations sociales que cette appellation recouvre (sans parler des questions de dépendance…), les séniors ne sont pas une cible homogène, facile à appréhender. Et une des premières erreurs, d’après tous les experts, serait de s’en tenir à une segmentation plus ou moins figée, collée sur le dos des séniors comme une étiquette.

La réalité des attitudes et comportements de consommation est, hélas pour les marketeurs (mais tant mieux pour l’intérêt de leur travail), extrêmement variée. Raison pour laquelle, pour toute marque désireuse de se positionner auprès des plus de 50 ans, il importe de déterminer d’abord précisément quelle population on souhaite aborder, quels objectifs on vise… et quels moyens on est prêt à se donner pour toucher efficacement les séniors .

Voici donc pour commencer, ci-dessous, une première synthèse de 10 conseils qui peuvent s’avérer utile, au moment de partir à la conquête des séniors…

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Légendes et sources :

* Au sens statistique du terme, qui est celui que nous avons retenu dans cet article, les séniors correspondent à la population des plus de 50 ans. Il existe certes d’autres définition, notamment médicale (sénior = à partir de la perte de l’autonomie) ou psychologique…

** L’étude de Nielsen auquel il est fait référence ici est une enquête annuelle sur le moral des consommateurs, menée auprès de 30 000 consommateurs de 60 pays différents. 

*** L’étude de l’institut Mediacom pour Bayard Presse, baptisée « Go Old : la retraite, un nouveau départ ? » a été réalisée au 2ème semestre 2013 auprès de 15 000 Français couvrant 25 secteurs de consommation.

**** Les « silver surfers » sont les personnes âgées qui utilisent Internet de manière aisée et très courante.

> « La retraite, un âge d’or pour les marques » de Dephine Le Goff – Revue Stratégies n°1 772, 5 juin 2014

> « Les séniors, un remède à la crise » de Frédérique Aribaud – Revue des marques n°85, janvier 2014

Pour aller plus loin : 

> « Les séniors : les grands oubliés des marques et de la grande distribution », Influencia.net – 4 mars 2014

> « Les femmes séniors sont-elles l’avenir des marques ? Womenology.fr, 22 octobre 2013

> « Les seniors, le nouvel Eldorado des marques sur le web » http://www.atelier.net

> « Les baby-boomers à la retraite, poule aux oeufs d’or pour les marketeurs digitaux, » http://www.atelier.net

> « Insaisisables séniors« , de Camille Harel, LSA-conforama.fr – 17 juin 2013

> « Cibler les séniors au moment du passage à la retraite » de Clotilde Briard, Les Echos.fr

> « Les produits préférés des séniors, enjeux-senior.org » – 21 janvier 2014

> « Picard, Apple, Ikea : marque préférées des jeunes et des séniors » – Laposte.fr – 1er décembre 2008

Iconographie : Ruth Flowers, Womenology.fr, Evian, TheBrandNewsBlog

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